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Lili BOULANGER à l'épreuve du concert : mélodies & chœurs


Soirée immanquable hier : on joue déjà peu Lili Boulanger, et même jamais certaines pièces... alors un concert monographique !

Œuvres

Je ne suis pour ma part pas du tout un inconditionnel de Lili (j'aime beaucoup sa cantate du Prix de Rome Faust & Hélène, et sensiblement moins le reste), mais sa musique est incontestablement neuve et intéressante, et méritait le déplacement.

Ainsi, je suis ravi d'avoir entendu ''Les Clairières dans le ciel'' « en vrai » – déjà programmées l'an passé par Yann Beuron et annulées au profit d'un cycle Éluard de Poulenc.
En revanche, je ne peux toujours pas dire que je les aime. Pour des raisons de sensibilité personnelle, puisque son univers sonore ne fait pas vibrer de cordes sympathiques chez moi, mais aussi pour des motifs plus objectifs : Lili n'est vraiment pas douée en mélodies... rien qui retienne l'attention, que des intervalles à la fois plutôt complexes et assez ternes, au service d'une prosodie qui ne prend jamais vie... à la fois inexpressif comme si simplement parlé, et manifestement très difficile.
En réalité, tout s'y passe au piano, où l'accompagnement dispense des couleurs harmoniques versatiles et très spectaculaires. Elle aurait assurément dû se spécialiser dans la musique pure... un trio avec piano ou un quatuor, j'aurais accouru !

Le constat est sensiblement le même dans le fameux Psaume 129-130 « Du fond de l'abîme », mais surtout à cause de la réduction de la partie orchestrale pour piano : l'essentiel du discours musical est ainsi déséquilibré en matière de volumes sonores, puisqu'à part les glossolalies simili-hébraïques et les deux moments d'éclat où les motifs sont repris plus haut et en strates simultanées, on entend surtout l'écriture très ascétique du chœur.

Les trois autres œuvres étaient encore plus rares, s'il se peut, que les Clairières :
Pendant la tempête sur un poème de Gautier (avec chœur d'hommes à trois voix) ;
Pour les funérailles d'un soldat (avec baryton et chœur mixte), une pièce écrite avant la première guerre mondiale, sur un extrait de La Coupe et les Lèvres de Musset, mais déjà excessivement lucide et sérieuse sur les honneurs de la guerre ;
Dans l'immense tristesse, sur un poème de Bertha Galeron de Calone, la seule pièce qui m'ait vraiment séduit dans le programme, une belle image de déréliction avec contralto et chœur mixte, on observe de très beaux mélanges entre la soliste et les parties du chœur.

La grande réserve tient dans l'absence d'orchestre, dommageable dans une musique où toute la finesse réside dans l'accompagnement ; mais comment le reprocher, lorsqu'on dispose déjà d'un chœur complet et de trois solistes pour un concert au tarif du récital chant-piano ? La programmation sur deux dates était de plus courageuse (et la salle n'était remplie qu'à un peu plus des deux tiers).

Interprètes

Pas de surprise pour Florian Sempey, toujours le même : voix extrêmement couverte, avec des harmoniques faciales très fortes, émission d'une haute impédance... exactement le contraire de mon absolu esthétique, mais dans son genre, extrêmement maîtrisé et très engagé pour une partie aussi brève (deux minutes de chant environ, et il a la délicatesse de revenir saluer à la fin, plus d'une heure après !).

Cyrille Dubois (qui chante le long cycle des Clairières), que je trouvais remarquable en retransmission, était l'autre raison de ma venue, pour l'entendre en personne. Vive déception : comme la voix sonne grêle ! Le timbre ne s'épanouit que dans l'aigu forte ; le reste du temps, les sons droits sont blancs à l'extrême, et la montée dans l'aigu se fait avec un usage du masque très raide et largement déconnecté du corps. Ce n'est pas douloureux à entendre, mais vraiment peu gracieux, malgré la diction immaculée.

Pas beaucoup aimé non plus les chœurs (Les Cris de Paris, dirigés par Geoffroy Jourdain) : le parti pris de l'émission uniformément droite (sans vibrato) qui est nécessaire dans la musique ancienne, et tout à fait tenable dans le baroque ou certaines pièces du XXe siècle, empêche le fondu ici. Par ailleurs, le pupitre de ténor est vraiment faible – voix grêles, minuscules dans l'aigu, avec le larynx remonté à se faire décoller la mâchoire. Lorsque l'un d'entre eux chante un solo, j'en viens à me demander si sa formation est lyrique.
Les autres voix sont bien pourvues en revanche : basses nettes, et voix de femmes jeunes et pas du tout hululantes ; chose rare, alti particulièrement remarquables. J'ai aussi le plaisir mitigé de retrouver Mathieu Dubroca – que je n'avais plus entendu depuis 2006 ou 2007 ! – dans le pupitre des barytons : plaisir de voir qu'il s'est inséré professionnellement, mais déception qu'il soit limité aux chœurs, quand c'est un si excellent récitaliste, et une voix si bien faite... Cela arrive très souvent, malheureusement, dans l'univers lyrique, aux voix qui ne sont pas très larges : on accède à la notoriété par Verdi, pour faire simple, et un baryton qui a une voix de liedersänger, même bien projetée, finit généralement dans de tout petits rôles ou dans les chœurs.

Très impressionné par Yael Raanan Vandor, rare voix de contralto, sans forcer son naturel ; l'énergie articulatoire semble un brin importante, mais le son lui-même ne porte la marque d'aucun forçage, et sans être large, parcourt agréablement l'espace. Le vibratello (vitesse de battement très serrée) est très inhabituel aujourd'hui, et l'aigu évoque sans ambiguïté le timbre de Ferrier – mais avec une projection manifestement bien moins « claquante ».
En plus la diction est bonne. Difficile de pronostiquer un avenir précis pour une voix pas très sonore, et qui rencontrera peut-être des difficultés techniques avec les exigences de la carrière, mais en l'état, voici l'une des très rares contraltos du marché que j'aurais envie de réentendre souvent. Et dans un genre qui n'est pas celui des gros coloris wagnéro-mahlériens.

L'autre grande satisfaction, et qui dure toute la soirée, est à chercher du côté d'Anne Le Bozec, d'une virtuosité très impressionnante dans ces transcriptions très exigeantes, d'une netteté immaculée, et d'une familiarité parfaite avec le style poétique post-debussyste (dans des équilibres qui évoquent assez le disque Debussy de Vanessa Wagner – donc bien meilleur que ce que fait Vanessa Wagner lorsqu'elle accompagne ce répertoire).
Aussi bien digitalement que stylistiquement et interprétativement, on entend rarement des accompagnateurs d'une telle trempe, surtout dans des pièces aussi exigeantes.

Il reste des places pour ce soir

La soirée offre quand même un très grand éventail de la musique vocale (mélodies et chœurs) de Lili Boulanger, il faut donc aller l'entendre si on est curieux, même si tout se trouve au disque depuis longtemps.

J'en profite pour recommander la musique de Nadia Boulanger, beaucoup plus difficile à trouver, mais à mon sens considérablement plus adaptée à la mélodique, avec un sens de la diversité des climats et de l'écriture vocale beaucoup plus affûté. Très différent d'ailleurs, beaucoup moins marqué par le debussysme, avec des influences du lied décadent assez évidentes.


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