Il existe aussi des disques Naxos (musique de chambre avec violoncelle, piano solo) que je n'avais pas encore remarqués au moment de la rédaction de la notule, et par conséquent pas encore écoutés.
Si vous ne souhaitez pas utiliser Spotify – qui semble en panne aujourd'hui, décidément la technique m'abandonne de toute part –, ces disques se trouvent aussi en flux sur YouTube. Je vous donne le contenu de la playlist ci-dessous en image.
La discipline des nouveautés et des inédits
Se soumettre à l'écoute des nouveautés, c'est se détourner quelquefois de ses envies, ou limiter les grands cycles thématiques qu'on peut entreprendre… pour autant il s'agit, en réalité, d'un moyen assez incontournable pour ne pas rater des disques qui autrement resteront pour toujours dans l'anonymat – car avec le classement numérique, on ne peut pas « feuilleter » comme dans le bac des disquaires, il faut avoir pensé en amont ce que l'on souhaite trouver, et ensuite éventuellement procéder par proximités (qu'a enregistré par ailleurs cet ensemble, ce chef, que publie habituellement ce label ?).
Et, à condition de ne pas donner exclusivement la priorité aux réenregistrements des œuvres qu'on adore – si je me laissais happer à chaque Quatre Saisons, Schubert 14 ou Mahler 2… ma carrière d'éclaireur serait immédiatement achevée –, on peut être amené de la sorte à pousser des portes qu'on n'aurait assurément pas explorées. C'est en somme la crainte de laisser filer à tout jamais un monde inconnu qui nous rattrape, au bord de l'abîme de l'ignorance.
Je ne puis que rendre grâce à cette ascèse ; elle m'a permis la découverte, qui ne serait jamais advenue autrement, de fonds aussi vertigineux que ceux de Heirich Döbel (notule), Franz Joseph Aumann, Henryk Melcer-Szczawiński (oui, le disque est tiré de cette compétition, même s'il y en a eu d'autres depuis), Richard Rodney Bennett …
Et aussi faire quelques rencontres plus improbables, comme celle de Giorgio Federico Ghedini (1892-1965).
Une rencontre
Au départ, une nouveauté du tout début de 2025.
Aux côtés du Requiem de Pizzetti, que je connaissais et admirais déjà, des pièces (de type Canti sacri, Responsori…) de Ghedini (1892-1965), dont je n'avais pas du tout entendu parler. Des pièces manifestement très influencées par les modèles anciens : rhétorique baroque, imitation du plain-chant (harmonisation en homorythmie sur des thèmes issus du grégorien). L'album est hélas assez mal chanté par le Coro Euridice, audiblement amateur (les moyens sont souvent de fortune chez Tactus, mais rarement à ce point…). On ne prend pas forcément beaucoup de plaisir à l'écoute, cependant on peut se rendre compte de la beauté de cette partition très pudique, recueillie mais aussi finement écrite, qu'ils sont manifestement les seuls à avoir jamais enregistrée : grâces leurs soient rendues pour cela, ils ont joué leur rôle de passeur ! Aussi je me mets en devoir de réécouter le Requiem de Pizzetti (dans une belle version où il était éclipsé par la force de celui de Howells), puis d'aller chercher à réentendre Ghedini en d'autres instances.
Et j'y découvre beaucoup de choses étonnantes.
L'aventure Ghedini
Des concertos de toutes esthétiques : → un Concerto « L'Alderina » (Orchestra Stesichoros chez Stradivarius) très romantique avec ses violons et flûtes pépiants, qui semble réexploiter les jeux d'imitation des concertos baroques dans un imaginaire harmonique davantage postwagnérien ; → un Concerto « Il Belprato » (Orchestra Stesichoros chez Stradivarius), dont la référence bondissante est clairement baroque mais dont les harmonies toujours « à côté » ont tout du néoclassicisme (plutôt celui de la profusion de Milhaud et Françaix, ou plus encore des œuvres pour cordes de Roussel et Bartók, que l'épure stravinskienne) ; → une Fantasia pour piano et cordes (Orchestra da Camera Fiorentina avec Lanzetta & Borruso, chez Halidon-Lanzetta) qui voisine tantôt avec le Concerto de Schnittke, tantôt avec Chostakovitch ou Gershwin ; → un Concerto « L'Olmoneta » (Orchestre Alessandro Scarlatti de Naples, chez Naxos), un concerto pour deux violoncelles aux couleurs expressionnistes bariolées qui évoquent Hindemith, mais assorti d'une tension plus proche de Chostakovitch ; → une Sonata da concerto pour flûte (Orchestra Stesichoros chez Stradivarius, ou Rustioni chez Sony) qui se rapproche beaucoup de la Première Symphonie de Prokofiev, mais très marquée aussi, dans l'écriture de ses lignes pourtant lyriques, par la liberté du contrepoint des musiques les plus radicales… !
Des œuvres lyriques pour piano et voix ont paru chez Nar en 2000 et 2001, dans une veine simple et consonante, mais où la liberté des enchaînements et du contrepoint, certains accords enrichis montrent bien la palette expressive élargie que s'autorise un compositeur du XXe siècle. La voix de Tiziana Scandaletti, au timbre callassiforme (on pense à toute cette école d'Adelaide Negri à Tizia Fabriccini…), malgré des limites techniques perceptibles, reste tout à fait agréable. Privilégiez absolument le volume dédié à la musique sacrée (« Musica Sacra »), car dans celui consacré aux chants profanes (« Canti e Strambotti »), pourtant paru seulement un an plus tard, l'instrument s'est totalement effondré – elle semble avoir pris 40 ans dans l'intervalle, tout est en ruines, et difficilement écoutable (enregistré pendant un vilain refroidissement, j'imagine).
Le plus abouti tient probablement dans les 7 Ricercari pour trio piano-cordes (interprétation ardente et impeccable instrumentalement, Bonucci-Bonucci-Orvieto chez Stradivarius), d'une grande invention : comme ses modèles de la Renaissance (et des débuts du baroque), ici le ricercar est l'occasion d'explorer les possibilité du contrepoint, sans être contraint par la rigidité de l'unicité thématique et de la structure très codifiée de la fugue. La générosité de l'inspiration, dispensant les thèmes parallèles avec beaucoup de prodigalité, m'impressionne surtout, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'un pur jeu formel, et que ces pièces disposent d'un véritable engagement émotionnel, qu'elles soient vives ou lentes.
Et, le plus étrange sans doute, les trois grandes pièces pour orchestre du disque de Daniele Rustioni avec l'Orchestra della Toscana (chez Sony, en 2016, tôt dans la carrière du fulgurant Rustioni !). ¶ Appunti per un Credo se fonde sur le diatonisme grégorien (très peu de tensions dans la ligne, plutôt des tons entiers que des demi-tons), avec beaucoup d'unissons et de doublures, mais finit par évoluer de façon de plus en plus dramatique, avec des harmonies sophistiquées. ¶ Musica notturna, avec son lyrisme désolé, évoque le romantisme dévoyé par la Seconde École de Vienne ou les mouvements lents de Chostakovitch (Quatuor n°7, Symphonie n°5, Largo liminaire de la n°10…) où alternent les cordes blanchies et les bois isolés, avec des effets plus wagnériens de marches harmoniques inexorablement bâties sans jamais se poser sur une résolution. ¶ Studi per un affresco di battaglia (« Études pour une fresque de Bataille ») joue aussi du rapport entre archaïsme (ce début à l'unisson, très parent de celui de la Monna Vanna de Février) et modernité (avec des intervalles un peu dissonants et farouches), bientôt relayés par les batteries de bois et cuivres (inspirés par Berlioz et Lalo, ou par le stile concitato monteverdien ?), des mouvements plus proches du fugato, des thèmes syncopés (très beau solo de basson), et globalement une montée en tension, via beaucoup de marches harmoniques qui n'aboutissent jamais sur une résolution stable. L'ambiance est à rapprocher de l'Ouverture du Roi d'Ys de Lalo, très combattive, généreuse lyriquement, mais avec une surcouche beaucoup plus moderne (hindemithienne ?), qui s'efface çà et là pour laisser place à de véritables pastiches classiques (le solo de flûte !).
Professeur Ghedini
Derrière ces musiques qui m'ont peut-être plutôt intrigué que personnellement bouleversé – mais au fil des réécoutes, je sens que je m'attache de plus en plus à cette figure singulière – se révèle une personnalité importante et tout un paysage musical occulté.
Sa carrière a ainsi été d'abord dédiée à l'enseignement de la composition, dans les grandes villes du Nord de l'Italie (dès ses 25 ans à Turin, puis Parme et enfin Milan quasiment jusqu'à sa mort) – et, lorsqu'on écoute les multiples influences et l'inventivité de sa musique, cela ne surprend guère. Il pratiquait régulièrement l'exercice de la transcription, notamment du premier baroque italien (Gabrieli, Frescobaldi, Monteverdi…), qui a sans doute, là aussi, nourri son goût pour les références à la musique ancienne ; Il a aussi arrangé beaucoup de chants traditionnels pour le Chœur de la Société des Alpinistes Tridentins (Il Coro della SAT, à Trente). Parmi ses élèves célèbres, Luciano Berio – et aussi des chefs comme Guido Cantelli ou Claudio Abbado, mais cela n'a pas grande influence audible sur leur carrière, évidemment.
Son catalogue, très vaste, inclut trois films dans les années trente (Don Bosco, Pietro Micca, La Vedova) et neuf opéras, dont un Gringoire de jeunesse (1915, écrit à 22 ans) – considérant les goûts de Ghedini, j'imagine qu'il met en scène le chef de troupe des mystères fictionnalisé assez différemment du personnage fictionnel d'Hugo ou de Banville ! Il a aussi commis un Billy Budd d'après Melville (1949), un opéra en un acte qui constituerait une belle proposition originale, soit en contrepoint à celui de Britten, soit à d'autres œuvres courtes comme Le Pauvre Matelot de Cocteau & Milhaud !
En attendant (l'improbable) remise à l'honneur de cette figure, je vous invite donc à vous plonger par curiosité dans le legs qui nous est parvenu par le disque, et qui manifeste une approche musicale assez singulière dans son rapport fantasmé au passé, alors même que le langage porte clairement la marque de ses contemporains. La playlist en tête de notule est là pour vous aider – les Sept Ricercars et le poèmes symphoniques du disque Rustioni représentent sans doute la meilleure porte d'entrée pour se laisser surprendre par Ghedini.
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À bientôt, estimés lecteurs, et merci pour les expressions de votre sollicitude ces derniers jours – en espérant le retour, à quelque date prochaine, du site historique de Carnets sur sol ! (Je poursuis mon exploration des solutions techniques, mais je ne vous cache pas que les nouvelles ne sont pas bonnes.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Beaucoup de nouveautés originales et dignes d'intérêt, de réécoutes de
disques importants pour moi dont je n'ai pas encore eu l'occasion de
parler ici. C'est pourquoi, bien que d'ordinaire je place toutes les
écoutes quotidiennes dans ce fichier (toujours accessible par le lien en haut
de chaque page du site, en bleu : « nouveautés disco & autres écoutes ») et quand
je n'en ai pas le temps, dans la playlist Spotify prévue à cet effet (une piste =
une écoute du disque entier, les derniers écoutes sont en bas),
écoutable sur PC sans abonnement payant (avec de la pube, certes)… pour
cette fois j'en présente le résultat ici.
Ce sera aussi l'occasion de rappeler la démarche de ces commentaires
courts, qui me posent souvent une difficulté éthique : est-il
convenable de commenter chaque disque, même lorsqu'on a peu à dire,
avec « c'est bien » / « peut-être pas essentiel », etc. ?
Tentative de pistes de réponses en fin de notule.
Je rappelle le principe de la cotation (indicative) :
♥ chouette disque que je recomande
♥♥ disque particulièrement marquant (œuvre à connaître et/ou
interprétation aboutie / renouvelée)
♥♥♥ disque qui change la vision du monde / du répertoire
¤ j'aime pas du tout (ça joue faux,
mollement, et il y a des coupures, dans un répertoire ennuyeux et déjà
ultra-rebattu)
Exemple : les intégrales Donizetti avec
Callas (mais non, je plaisante, je les aime bien – mais avouez
que ça correspond assez bien au signalement…)
¤¤ disques de Philip Glass
Suite à quelques messages inquiets d'artistes, quand je ne mets pas de
cotation, ce peut être : un oubli (ça arrive régulièrement), mais en
général plutôt un disque que j'ai trouvé très bon mais qui, dans
l'immensité de ce qui paraît, n'est pas ce que je conseillerais en
urgence. (Typiquement, une intégrale Beethoven, il faut qu'elle soit
déjà vraiment très bonne pour que je mette un ♥, je ne vais pas
recommander d'écouter ça s'il n'y a pas une raison particulière de le
faire. De même pour des œuvres avec lesquelles je n'accroche pas : je
ne peux pas recommander quelque chose qui ne m'a pas intéressé moi,
mais ce n'est absolument pas un témoignage négatif sur le disque !)
En somme, c'est la présence de cotation qui est un signal, pas son
absence !
A. Nouveautés
(juin-juillet 2023)
Quelques mots sur les nouveautés de juin-juillet (par chronologie des
compositeurs) :
¶ Legrenzi, oratorio La morte
del cor penitente, par l’Ensemble
Masques. J’ai toujours soutenu l’idée que Legrenzi était un
chaînon manquant indispensable de l’opéra italien, avec une liberté
musicale acquise par rapport à la déclamation du premier XVIIe, mais
sans la fascination exclusive pour la virtuosité et la voix du seria du
XVIIIe… Ici cependant, ce n’est pas la fête de l’innovation, oratorio
que je trouve un peu figé, plutôt typé milieu XVIIe. Pas passionné,
même si c’est très très bien chanté par ailleurs.
¶ Santiago de Murcia, une
nouvelle version du livre de guitare par Núñez Delgado. Corpus
incroyable, tubes inusables (Marionas por la B, Canarios, Jácaras…) ;
comme souvent, on entend les irrégularités de timbre de l’instrument –
il faut écouter Ana Kowalska (de Lute Duo) ou Pierre Pitzl (de Private
Musicke) pour entendre la perfection.
¶ Ultime volume de l’intégrale Marais
de L’Achéron. Je n’ai
pas tout écouté. J’ai eu l’impression d’un instrumentarium plus
resserré (une seule viole) et d’une recherche moindre de couleurs –
mais j’imagine que lorsqu’on se lance dans ce genre de projet, on place
les meilleures œuvres et celles où l’on a le plus à dire dans les
premiers volumes… Possible que, passé la stupeur des deux premiers
volumes, je me sois moi-même habitué, au sein d’un répertoire qui ne me
passionne qu’avec les œuvres les plus abouties.
¶ Serse de Haendel par The English Concert :
discographie déjà riche et je trouve les couleurs un peu maigres, le
tempérament un peu indolent… c’est bien chanté, mais l’orchestre semble
sortir de la période pré-Pinnock, c’est un peu frustrant à l’écoute,
n’impression que tout se traîne de façon assez homogène.
¶ L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel par Les Arts Florissants.
Écouté quelques extraits, ça semble très bien – au sein toutefois d’une
discographie déjà saturée, où Martini, Gardiner, Nelson ont déjà livré
des versions très diverses et abouties. (Un tel gâchis que cet ensemble
tourne en rond depuis quinze ans, il est temps de remplacer le vieux
persécuteur…)
¶ Concertos pour violon de Vivaldi
dans des transcriptions anonymes pour psaltérion (par Il Dolce conforto).
L’occasion d’entendre pépiter cet instrument délectable, d’ordinaire
plutôt utilisé en complément dans l’orchestration (Pluhar en mettait
souvent à une époque) – une petite impression d’homogénéité tout de
même au bout d’un moment, vu qu’il n’y a que des concertos de Vivaldi
et que les nuances dynamiques de l’instrument sont particulièrement
réduites. ♥
¶ Rameau à l’orgue par Higginbottom : vendu comme
un renouvellement du répertoire de clavecin, on y trouve en réalité
beaucoup de transcriptions de danses et airs de ses opéras. Et le
résultat reste assez tradi. Mais très beau disque au demeurant. ♥
¶ Le concerto n°20 de Mozart
réduit pour ensemble de chambre à l’époque du compositeur (Lichtenthal)
et joué sur instruments anciens (Pandolfis Consort), avec
l’extraordinaire Aurelia Vișovan,
on redécouvre les équilibres et la modernité de l’œuvre, avec des
coloris jubilatoires. Jamais entendu mieux pour ma part, et de loin.
(Mais comme je dis la même chose des concertos de Beethoven par
Cristofori et Schoonderwoerd, soyez prévenus.) ♥♥
¶ Réduction pour tout petit ensemble (flûte violon violoncelle piano)
des symphonies 2 & 5 de Beethoven
par Hummel (ensemble
1800berlin). Moins impressionné que dans le disque Vișovan,
lectures très animées, mais je n’ai finalement pas énormément perçu le
contraste avec les originaux. Ça fonctionne en revanche complètement
aussi bien qu’avec soixante musiciens, c’est donc une piste
intéressante pour les économies dans le secteur : flûte, violon,
violoncelle, piano. Transcription approuvée par Beethoven, qui avait
confié la tâche à de bons compositeurs proches de lui pour éviter la
diffusion de mauvais arrangements. Il lui est même arrivé d'écrire dans
la presse pour signaler qu’il n’était pas l’auteur des mauvais
arrangements, afin de préserver sa réputation et l’intégrité de son
œuvre ! ♥
¶ Les quatuors à vent de Rossini
par la Rolls des ensembles chambristes mixtes (vents-cordes), le Consortium Classicum
(vraiment le fer de lance de ce répertoire, avec le Linos Ensemble dont
les compétences s’étendent plus loin dans le temps, jusqu’aux décadents
du premier XXe s.). Et je découvre en les écoutant qu’il s’agit
manifestement des mêmes partitions que ses fameuses Sonates à cordes
(pour deux violons, violoncelle, contrebasse !). Je ne sais s’il s’agit
d’un arrangement du compositeur ou postérieur. En tout cas, cela sonne
très bien malgré le changement total de modes de jeu, et toujours la
même fraîcheur de ton. Je regrette un peu l’absence de hautbois (au
lieu de la flûte), mais cela contribue sans doute à une forme de
douceur suave (flûte clarinette cor basson). Superbe interprétation,
nette et colorée comme toujours chez eux. ♥
¶ Die schöne Müllerin de Schubert
par Krimmel : oh là
là, quelle merveille ! D’abord, parce que Krimmel essaie quelque
chose dont j’ignore la pertinence musicologique, mais qui fonctionne
idéalement : il y a beaucoup de lieder strophiques dans la Belle
meunière, et il varie le rythme ou les ornements des reprises. Avec
énormément de goût, de variété, et toujours très en style (Schubert a
écrit ailleurs les choses qu’il fait). L’effet de renouvellement est
puissant par rapport aux autres versions, et évite la redite parfois
lassante au sein de chaque lied. Ensuite, l’interprétation elle-même :
Krimmel fait parler le texte, nous raconte une histoire comme il sait
si bien le faire, et se coule dans le caractère de chaque situation en
adoptant (sans aucune affectation ni artificialité) une émission vocale
plutôt baryton (avec un médium dense) ou plutôt ténor (avec une focale
fine et une émission plus claire et étroite), pour coller au mieux au
caractère des scènes et aux contraintes techniques des lieder, sans
qu’on sente du tout de rupture. Malgré la souplesse des moyens, on est
à peu près à l’opposé de l’esthétique Gerhaher (qui multiplie les
effets et les changements d’émission pour accompagner le texte), ces
choix se font au profit d’une approche globale qui laisse parler les
poèmes sans les seconder exagérément. J’adore évidemment. ♥♥♥
¶ Les Études en forme de canon de Schumann…
transcrites pour trio piano-cordes ! Voilà qui renouvelle
l’écoute de ce petit bijou – même si, en fin de compte, il n’y aurait
rien à rajouter aux versions au piano ou à l’orgue. (Trio Kungsbacka) ♥
¶ Un Ballo in maschera de Verdi
: délicieuse surprise de l’entendre aussi bien chanté : De Tommaso est
quelque part entre Di Stefano et Castronovo (!), Hernández a un beau
mordant façon Radvanovsky (j’imagine l’impact en salle), Lester Lynch
est très mobile aussi… Je suis comme d’habitude moins enthousiasmé par
ce que fait Janowski
(orchestre très rond, très homogène, accentué par les tropismes de
captation PentaTone), chef incroyable dans le domaine symphonique ou
dans Wagner, mais clairement moins au cœur de l’enjeu (épouser la
mobilité prosodique) dans le répertoire italien qu’il enregistre
quelquefois. Très bonne version en tout cas, on n’en a pas tant eu de
ce niveau ces dernières décennies. ♥
¶ La Tempête, Le Voïévode, Francesca da Rimini de Tchaïkovski, association de pièces
moins souvent jouées mais hautement abouties, par Chauhan et la BBC d’Écosse,
tout à fait enflammés. ♥
¶ (cycle Ukraine) Kalinnikov
(mort à Odessa) par le Niederrheinische
Sinfoniker chez MDG, lecture un peu sérieuse qui ne tire
évidemment pas vers l’ascendance russe, mais la Première Symphonie est
tellement saturée de thèmes très typés qu’on l’entend très bien tout de
même. Et plaisir d’entendre des pièces rares comme Le Cèdre et le
Palmier, la Sérénade pour cordes et surtout les deux très beaux
intermezzi symphoniques ! ♥♥
¶ L’Heure espagnole de Ravel
sur instruments d’époque par Les
Siècles. Petite déception : ce n’est pas la version la plus
savoureuse, tout est très bon (les chanteurs que je n’aime pas trop
sont meilleurs que d’ordinaire, et ceux que j’aime un peu moins
inspirés que d’habitude…), mais je n’y ai pas trouvé énormément de
couleurs supplémentaires ni de verve. Une autre très bonne version
donc, qui ne révolutionne pas du tout l’audition, à l’inverse de la
plupart des disques des Siècles et/ou de Roth.
¶ Monographie Tailleferre de Quynh Nguyen, notamment les
cycles Fleurs de France et L’Aigle des rues. Pas le Tailleferre
néoclassique (raisonnablement) cabossé à robinet continu, plutôt de la
musique de salon plaisante et bien faite. J’ai bien aimé. ♥
¶ En revanche je me suis assez ennuyé pour les pièces de Tailleferre dans le disque à quatre
mains et/ou deux pianos de Jones
& Farmer, où je retrouve le côté grotesque (mais sans grande
saveur) de sa production, qui tire vers le (très) mauvais Milhaud. Dans
ce disque-ci, Le ruban dénoué de Hahn
est autrement plus avenant, et surtout les œuvres de Koechlin (la Sonatine est vraiment
d’une grande qualité poétique). ♥
¶ Suite tirée de l’opéra Wuthering Heights (en réalité plutôt des
extraits incluant les duos des deux personnages principaux) de Bernard Herrmann. On y retrouve la très
belle musique sombre, consonante, lyrique du compositeur de BOs, avec
une qualité de production (chanteurs, musiciens, prise de son) assez
supérieure à l’intégrale captée à Montpellier (qui est déjà très bien).
On y entend notamment l’incomparable poète Roderick Williams et le
forcené de la baguette Mario Venzago,
deux chouchous personnels. ♥
¶ La suite du ballet Kratt révèle un Tubin
bien plus fin orchestrateur et beaucoup mieux animé que ses symphonies.
Belle découverte, interprétée avec un audible investissement par
l’Orchestre du Festival d’Estonie (et Paavo Järvi). ♥
¶ Elusive Lights, c’est un disque solo du violoncelliste Dorukhan Doruk, avec une
sélection passionnante de pièces, assez lumineuses (ce qui change de
l’habitude dans ce répertoire) : Bloch,
Saygun, Say, et surtout Sollima et Cassadó, des mondes entiers
défilent, plutôt tendres que déprimés. Une autre façon d’entendre le
violoncelle. ♥♥♥
¶ J’ai fait une erreur et écouté le volume 9 ♥ de 2020 au lieu du
volume 14 de 2023 (Helsinki), mais je peux déjà parler du concept du
cycle de James D. Hicks
sur des orgues du Nord de l’Europe : des répertoires totalement
inconnus se révèlent, joués sur les instruments locaux. Complètement
passionnant, et très belle réalisation. Dans le volume 9, consacré à la
Suède : Gunnar Idenstam, Nils Lindberg, Erland von Koch, Herman Åkerberg, Gunnar Thyrestam, Fredrik Sixten, Anders Börjesson. Je ne connaissais presque
rien de tout ça, et il y a beaucoup de très bonne musique. Je vais
écouter toute la série !
¶ Pour les volumes de 2023 de la série de James D. Hicks, j’ai écouté
le volume 13 ♥ (capté à Turku sur un orgue des années 30), consacré aux
romantiques finlandais. Des choses assez traditionnelles, comme la
Deuxième Sonate de Karvonen,
mais aussi des propositions d’une très belle poussée (et réalisée avec
un véritable élan par Hicks), comme les variations sur un choral
finlandais de Kumpula ♥♥ ou
l’impressionnant Fantaisie & Choral d’Oskar Merikanto. ♥♥ (Également des
compositions de Haapalainen, Hilli, Siimes, et des stars Kuula, Oskar Merikanto, Kuusisto…)
¶ Le volume 14 ♥♥ est encore plus étonnant, sur des orgues des années
80 et 90 à Helsinki : des œuvres plus récentes de Fridthjov Anderssen, Finn Viderø, Mats Bachman, Lasse Toft Eriksen, Jukka Kankainen, Hans Friedrich Micheelsen, Toivo Elovaara, Kjell Mørk Karlsen, qui culmine dans
l’irrisésitible « Diptyque de danses » d’Olli Saari (♥♥♥).
¶ Missa Solemnis de Luciano Simoni
(direction Rîmbu):
une messe tout à fait traditionnelle (dans un esprit formel totalement
hérité du XIXe, et même assez peu différente côté langage), écrite en
1987 et dédiée à Jean-Paul II. Rien de particulièrement singulier à ce
qu’il m’en a semblé (je n’ai écouté que le Gloria), mais ça s’écoute
très bien.
B. Disques-doudous
Pendant ma petite pause du côté des nouveautés, réécoutes de quelques
disques-doudous dont vous pourrez retrouver les commentaires passés
dans ce fichier avec la fonction recherche :
¶ le Te Deum à 8 voix de Mendelssohn
avec un chanteur par partie, par Bernius ♥♥♥ ;
¶ l’invention formidable du piano de Leo Ornstein (j’aime particulièrement
l’album de Janice Weber, mais il y a beaucoup d’autres œuvres de
qualités et de belles propositions pianistiques, corpus assez bien
servi au disque) ♥♥♥ ;
¶ les Caprices-études de Rode
(bien sûr) par Axel Strauss ♥♥♥ ;
¶ les poèmes symphonies de Novák,
en particulier Toman et Nikotina ♥♥ ;
¶ les épiques opéras allemands méconnus Lorelei de Bruch et, plus fort encore, Die
Räuberbraut de Ries (avec
Thomas Blondelle en feu comme toujours !) ♥♥♥ ;
¶ les cantates-ballades très atmosphériques et dramatiques de Niels Gade : Comala ♥♥ et Erlkönigs
Töchter ♥♥♥ ;
¶ la messe simili-grégorienne avec vents de Bruckner (version Rilling
chouchoute) ♥♥♥ ;
¶ le quatuor Op.76 n°3 (quelle construction étourdissante !) de Haydn par le Quatuor Takács ♥♥♥ ;
¶ le romantisme généreux et subtil de Hans Sommer (lieder et lieder
orchestraux, deux versions disponibles pour chaque genre) ♥♥ ;
¶ le quatuor piano-cordes en mi bémol de Schumann sur instruments anciens
(Michelangelo Piano Quartet), un des sommets du Schumann chambriste
(avec le scherzo du Troisième Quatuor, on ne fait vraiment pas mieux !)
♥♥♥ ;
¶ le récital « So Romantique ! »
de Cyrille Dubois. Direction incroyablement vivante et flexible de
Dumoussaud (dont la carrière explose en ce moment, on comprend
pourquoi), choix d’airs particulièrement inspirés par les têtes
pensantes de Bru Zane, et réalisation au cordeau par le ténor, tout en
mots et en facilité ♥♥♥ ;
¶ la musique de chambre piano-cordes (quatuor et quintette) de Labor, du vrai romantisme, mais
tellement bien bâti et inspiré de bout en bout ! Avec Triendl-bae
évidemment ♥♥ ;
¶ disque doudou, le meilleur volume des arrangements du duo Anderson &
Roe. Leur album When Words Fade est un hymne au piano
symphonique, une exploration de toutes les textures possibles aux
confins de l’hallucination auditive ! ♥♥♥
C. Éthique du
commentaire laconique
Il faut préciser, c'est important, l'idée derrière cette démarche.
Lorsque je balance à la volée ces commentaires rapides, c'est pour
donner une visibilité à ceux qui n'ont pas le temps de tout écouter,
pouvoir avoir une idée de ce qui ressemble à quoi, et choisir au plus
proche de ses goûts ou de ses envies de découvertes ; ce n'est pas une
analyse détaillée de disques (que je viens d'écouter). Pour bien saisir
la saveur de chacun, il faudrait écouter plusieurs fois, s'immerger
dans le projet, lire du contexte, s'informer sur la démarche des
musiciens, etc.
Mon propos s'adresse aux auditeurs
et n'est absolument pas une critique ou une évaluation des disques.
J'ai toujours l'impression d'être un monstre lorsque je lance « œuvre
pas indispensable » ou « interprétation pas particulièrement saillante
», ce n'est pas une analyse… mais uniquement le partage d'un ressenti
qui permet ensuite d'orienter mes réécoutes et potentiellement les
choix d'écoute de ceux qui me lisent.
Il m'est arrivé d'ailleurs quelquefois de passer totalement à côté, en
première écoute, d'un concept, de qualités particulières…
Tenez, ce Pfleger-là : en première écoute, j'ai trouvé ça un
peu ascétique. Et puis j'ai dû me plonger là-dedans pour en écrire la
notice… et j'ai découvert des mondes.
Les fragments de poèmes de dévotion populaires, Dieu qui parle à la
première personne en octaviant des graves sous la portée, les épisodes
rarement représentés (la Cananéenne, Emmaüs…), le chœur de fidèles
figuré par deux voix solistes, les choix d'instrumentation
(psaltérion)… À force de réécoute, j'ai aussi apprivoisé chaque
choix musical, chaque inflexion (et j'ai trouvé ça d'une invention
constante). J'y reviens très souvent, ça fait partie des disques qui me
servent de repère.
Alors qu'en écoute à la volée, je me serais dit « du motet allemand
sympa, mais un peu ascétique quand même » (alors que vraiment, vraiment
pas, ça déborde de mélodies irrésistibles, de virtuosité).
Tout ça pour dire quoi ?
J'essaie de prendre le temps de faire ces commentaires de disques parce
qu'ils permettent d'appréhender
un peu l'immense production
phonographique qui nous submerge chaque semaine, et de ne pas se
limiter aux têtes de gondole.
Mais je sais aussi que ces commentaires sont publics : et je précise
donc qu'il s'agit d'un carnet personnel, d'une façon de partager des
impressions avec ceux qui hésitent devant le disque à essayer en
priorité. Ce n'est en rien une évaluation de la qualité du disque
lui-même.
Dernier souvenir. Une fois (je ne sais plus pour quel corpus),
quelqu'un me pose la question d'une intégrale d'orgue à choisir. Il y
avait trois intégrales. J'explique les qualités (assez différentes) de
deux d'entre elles, et j'écris juste : « on peut se passer de la n°3 ».
Rien de méchant, j'étais dans le cadre d'un conseil de version sur un
forum, j'ai juste conseillé les plus intéressantes à mes oreilles,
c'était le principe, et non détaillé chaque version en particulier (à
supposer que j'aie eu à l'esprit chaque interprétation de chaque œuvre
!)
Le lendemain, j'ouvre mon courrier. Un nom britannique inconnu. C'était
l'organiste de… la troisième version.
Il me demande, très humblement et très poliment, visiblement affecté de
sa lecture, pourquoi « on peut s'en passer », lui y a mis beaucoup de
soin, a cherché les meilleures éditions…
La terre s'ouvre sous mes pieds : je voulais juste donner une info à un
pote – sur des choses écoutées, certes, mais pas non plus travaillées à
fond, j'ai survolé à nouveau le corpus et j'ai donné mon opinion.
Mais l'organiste, lui, dont peu de monde a dû parler même dans la
presse spécialisée, était à l'affût des recensions, et pour une fois
qu'on parle de lui, paf, on écrit « c'est pas la peine d'en dire
quelque chose ».
Et je comprends toute sa peine : lui, il les a travaillées une à une,
ces pièces, il les a enregistrées (avec toute la pression qu'il y a à
produire un disque qui sera l'une des seules traces qui survivra à son
exercice de la musique), il a voulu les transmettre avec sincérité.
L'histoire s'est bien finie : j'ai pu lui expliquer que la prise de son
était clairement défavorable (je trouve, en toute honnêteté, le jeu un
peu moins saillant aussi que les deux autres versions, mais pas du tout
mauvais en soi), et que ma préférence se portait donc ailleurs. Il m'a
alors expliqué que la production avait été difficile : entente avec le
label (je ne me rappelle plus lequel), manque de soin de la prise de
son, il avait lui aussi été assez frustré de l'expérience. Mais il
semblait soulagé que ce ne soit pas lui qui soit en cause.
Vous voyez pourquoi j'éprouve le besoin d'expliciter la démarche : en
publiant mes impressions, elles peuvent toucher les mélomanes qui sont
visés, mais parfois aussi blesser des artistes qui sont à l'affût, et
dont le travail n'est pas en cause.
Pour autant, je ne dis pas du tout que les mélomanes doivent se taire :
les musiciens ne sont pas forcément bons juges de leur travail, et à la
fin des fins, cette musique est (financée et) produite pour un public,
pas pour les musiciens eux-mêmes.
Typiquement, je trouve insupportables les musiciens qui estiment qu'ils
peuvent choisir leur public (comme Barenboim ou Christie qui disputent
ceux qui n'écoutent pas assez bien les génies tels qu'ils se
perçoivent) : les musiciens sont là pour transmettre de la musique à un
public, ce ne sont pas des idoles pour qui la musique a été écrite –
bande de saltimbanques damnés.
Donc, bien sûr, il est légitime que le public dise son avis, même s'il
n'y connaît rien, même s'il est injuste.
En revanche, vous comprenez
sans doute mieux ma réticence devant le principe de l'écoute comparée,
et d'une manière générale de la critique sur le mode « c'est nul il
joue ça trop lentement ». A fortiori maintenant que tout est public :
faites gaffe quand même, surtout si vous avez de l'audience, il y a des
gens de l'autre côté du fusil. (Et des gens qui ont concrètement bossé
pour rendre cette musique disponible.)
Quant pour les musiciens : enregistrez des inédits géniaux où il n'y a pas de
concurrence disponible. Personne n'écoutera vos disques, mais tous ceux
qui le feront seront ravis et ne pourront pas jouer à la mortifère
Tribune des Critiques de Disques.
Je continuerai donc mes commentaires, mais je garde ceci par-devers moi
pour y renvoyer au besoin et bien penser à redire le sens de la
démarche – et pourquoi je ne peux ni être méchant, ni me taire tout à
fait.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Ce soir je vais écouter de la mauvaise musique jouée à l'économie, dans
le Petit Mordor.
Ne m'oubliez pas.
1. Atmosphère
Bellini, I Capuleti e i Montecchi.
Fuchs, Goryachova, Demuro, Bączyk, Teitgen
Opéra de Paris, Scappucci (représentation du mardi 11 octobre
2022)
Les gens normaux : « l'opéra,
c'est des gens qui chantent très fort en italien des choses
incompréhensibles où tout le monde meurt à la fin ». Moi : « mais pas du tout, c'est
beaucoup plus subtil que moi ». Moi également : « allons voir
Romeo de Bellini ».
J'aurai des choses à raconter sur le public, particulièrement dissipé
et fantasque ! Un peu moins sur l'œuvre, que je suis ravi d'avoir
entendue mais qui n'a jamais les moments de fulgurance des grands
Bellini (Straniera, Ernani, Norma,
Puritani).
Tout cela stimule tout de même quelques questions sur les choix de
répertoire à l'Opéra, que je soulèverai peut-être… Public enthousiaste
en tout cas, et remplissage finalement décent après une grosse frayeur
ces semaines passées – il faut dire aussi que la grille tarifaire était
pour la première fois depuis quinze ans repassée sous les 35€ pour les
places de face les moins chères.
L'ambiance était celle-ci.
La
nuit tombait sous les flocons, Et le ciel noir glaçait les dames ; Dans la vitrine froide, on laisse
les flacons. Serrés à l'intérieur, on a mouché
la flamme, Fermé l'interrupteur et cessé les
discours. A peine reluit, là, la parure
diaprée De la vieille invitée qu'en cette
fin de jour Nous couvons d'attentions galamment
inspirées. De loin en loin, chacun retient un
bâillement ; Nous baissons le menton, et
Mesdames leurs châles ; On va tous, voyez bien, dormir dans
un moment.
Quand de la nuit on sent se lever
comme un râle.
Non, ce n'est pas un bruit, ce qui
rompt la torpeur ; Cette chose indicible a tué le
silence Sans le briser, et jette en mes
sens la frayeur : Dans mes veines déjà, cela me bat,
me lance, Et tout mon corps soumis est
frappé, incertain, Au rythme de ce mal, blessure,
intermittence.
Et pourtant, j'en suis sûr, c'est
un son qui m'atteint.
Furtif et laid, tel le cafard qu'un
pied écrase, Sans prévenir jamais, il lance un
de ses traits ; Je ne puis plus penser, j'attends
qu'il joue sa phrase, Mon âme est suspendue quand soudain
il paraît. Je crois qu'il poursuit sa
croissance, Car vient un murmure discret, Je sens qu'à son tour l'assistance Gémit sous tant de violence.
Tout s'accélère et le bruit croît, Il me semble qu'il va faire crouler
les voûtes, Je n'entends que ce cri, dont gémit
la paroi, Arrêtez, arrêtez, cessez quoi qu'il
en coûte !
Le petit ovale paraît. Tous le regardent, la regardent. Elle l'attrape sans apprêt, Et nous toise sans prendre garde.
Voilà, c'est la fin à présent. La musique s'est arrêtée.
Le pianiste vous cherche, et d'un
air peu plaisant, L'alto s'apprête à fort tancer,
regard cuisant, Vos manières d'enfant gâtée.
Madame, leur air furibond N'a, croyez-moi, rien d'exotique ; Si de sucré l'envie vous pique, C'est avant qu'il fallait ouvrir
votre bonbon.
Et je ne vous raconte pas la jeune femme (25 ans environ) qui après
être déjà arrivée 30 minutes en retard et avoir plusieurs fois changé
de place en faisant lever plusieurs personnes, part en trombe sur les
dix dernières mesures avant l'entracte, faisant à nouveau se déplacer
les vieilles dames sur son passage (pour être la première au bar ??).
— Alors, Carnets, l'expérience de l'extrême ?
Vous êtes bien impatients, jeunes gens.
2. Livret : mauvais
mais Urtext
D'abord : bonne expérience. Il est toujours agréable de découvrir une
œuvre. J'avais écouté pas mal de fois au disque I Capuleti, mais comme
il n'est pas évident de rester les yeux sur le livret peu paplitant et
au déroulé à la fois très connu et très lent… il manquait quelques
fragments importants des articulations du drame.
Le texte de Felice Romani n'est pas fondé sur Shakespeare mais sur des
sources italiennes communes – notamment via le drame de Luigi Scevola,
qui sert de base au livret. Ici, beaucoup plus sage, Giulietta refuse
de fuir, a grand peur de la mort ou de la désapprobation paternelle…
Globalement, le livret demeure assez plat, ménageant de grands aplats
de plaintes ou de situations assez figées et particulièrement peu
contrastes d'un tableau l'autre. Romani est l'un des meilleurs
librettistes italiens de cette génération (Il Turco in Italia, L'Elisir
d'Amore, mais aussi quelques solides drames sérieux comme Anna Bolena
ou Norma), mais seulement dans ses bons jours – il a aussi écrit pas
mal de nanars belcantistes qui n'ont pas été aidés par leur livret.
j'y ai repéré quelques trouvailles frappantes cependant : « je dois
rester là », lorsque Juliette veut entraîner Roméo hors du tombeau.
Et, moins délibéré dans l'écriture mais glaçant, le chantage de Roméo,
menaçant de se laisser tuer ou de provoquer en duel le père de Juliette
si elle ne s'enfuit pas avec lui à l'instant. (Clairement, dans cette
version, on se projette difficilement dans un potentiel mariage
heureux… ils ont peut-être chaud du haut de leurs seize ans, mais ils
ne sont clairement d'accord sur rien.) Un mariage raisonnable avec
Tybalt n'aurait peut-être pas été si mal, considérant… je dis ça je dis
rien, on se moque déjà assez de moi quand je tente d'expliquer que Mime
est le seul personnage positif de la Deuxième Journée de la Tétralogie.
3. Un opéra
douloureusement archétypal
La musique est plus rossinienne que dans les meilleurs Bellini, témoin
la (belle !) ouverture avec piccolo, triangle et caisse claire ; ou
encore la façon très joyeuse et légère, comme décorrélée du drame,
d'accompagner les moments les plus tendus du texte.
Parmi les moments forts, tout de même : la grande réunion de guelfes de
l'acte I (même la cavatine de Roméo y est assez magnétique, peut-être
parce que j'ai encore dans l'oreille Jennifer Larmore ?), les
affrontements de l'acte III et bien sûr son grand concertato a cappella
à 5.
Pour autant, dans le reste de l'opéra, très peu de moments saillants…
j'y retrouve surtout les formules-réflexes du genre (et plus
spécifiquement de Bellini), pas beaucoup de mélodies marquantes, de
petits solos d'orchestre bien trouvés, de récitatifs bien balancés…
Dans I Capuleti, j'entends un
peu de cet archétype de l'opéra tel qu'on se l'imagine, où ça chante
des choses virtuoses sans qu'on soit très concerné par ce qui se passe
sur scène, une sorte de vieil objet qui produit une agréable musique
d'ambiance pour expériences de socialisation.
4. Carsen, le génie
en pause
La mise en scène de Carsen, qui n'est pas sa plus visionnaire, accentue
cet aspect : très jolie, en particulier côté costumes (les manches
bouffantes des Guelfes, l'allure funèbre et farouche de Roméo), bon
décor pour les voix, mais à peu près aucune idée forte.
Je retiens seulement Juliette au milieu des morts qui se lève,
lorsqu'elle tombe terrassée par le poison, comme le mauvais rêve d'être
plongée au milieu de ses propres défunts dont elle a trahi le sang par
son amour.
Elle demeure néanmoins jolie, relativement mobile, fonctionnelle pour
les voix : on se contenterait très bien d'avoir ce cahier des charges
assuré à chaque spectacle !
5. Où l'on se
félicite que ça chante (plutôt) bien
Très belle distribution. J'ai beaucoup aimé le médium grave légèrement
mixé avec des couleurs de poitrine, chez Julie Fuchs, typiquement
français (on le retrouve chez Manfrino ou Dreisig, par exemple).
Cependant Fuchs (Giulietta) et Goryachova (Romeo) auraient sans doute
été beaucoup plus impressionnantes d'intensité dans une salle moins
immense – les timbres (très audibles au demeurant) blanchissaient un
peu depuis le lointain. S'y ajoutait le vibrato pas très joli de Fuchs
dans l'aigu : ses aigus ressemblent décidément aux contre-notes de
Callas dans Aida.
Demuro (Tebaldo) commence lui aussi à vibrer fortement, mais la voix
reste toujours aussi sainement projetée, et la diction très nette. Ce
n'est pas une incarnation très sophistiquée, mais tout y est franc et
net, une valeur sûre.
En réalité, je fus surtout magnétié par Jean Teitgen (Capellio), d'une
mapleur et d'une saveur exceptionnelle pour ce rôle qui pourrait être
secondaire et semble devenir la matrice de tout le drame.
5. L'état du
ploum-ploum
Et l'orchestre, me demanderez-vous, confus et tremblants.
Il est à peu près en place, même s'il traîne un peu trop ostensiblement
les pieds lorsque Scappucci leur demande un rubato souple pour suivre
un chanteur « inspiré ».
La conception de Scappucci confirme ce que je connaissais déjà d'elle :
très tradi, vraiment pensé comme un accompagnement pur, avec des aplats
de cordes un peu épais, des ploum-ploums qui sont jetés pour ce qu'ils
sont, sans plus ample procès…
… Pourtant, même dans ce répertoire à l'orchestration étique, une
articulation mobile de l'accompagnement, la mise en valeur de petites
textures et couleurs peut transformer un ronronnement agréable en
électricité généralisée.
Je ne l'ai pas eu, mais c'était tout de même plaisant, dans son genre
tradi. Il existe une bonne frange du public qui aime ça – et il
semblait, hier, très enthousiaste. C'est bien, c'est au moins une
partie du public qui est satisfaite, et qui est en général plus
occasionnelle que les mélomanes purulents de type wagnérien… il est
important de la fidéliser.
Le public applaudit d'ailleurs copieusement sur la musique, même
lorsqu'on est en toute fin d'acte et qu'il reste quelques secondes de
postlude doux. On sent que c'est spontané et joyeux, je ne râle donc
pas. (Mais je le prends un peu durement, je dois l'avouer.)
L'orchestre est même resté saluer la cheffe.
6. Moi ; et (tous)
les autres
Je ne nie pas m'être un peu ennuyé – dans la scène du sépulcre,
pourtant pas la plus mauvaise, j'ai craqué, j'ai un peu lu pour
sauvegarder ma concentration aux moments critiques… Cependant une fois
de plus, ma politique « allons voir une œuvre que nous n'avons pas vue
», ajoutée à « pour l'Opéra de Paris , fin de série ou rien », m'a
permis de passer une très bonne soirée, sans même demander d'œuvre,
d'orchestre ou de chanteurs particulièrement exceptionnels.
Je doute que ce soit le type d'œuvre et de soirée qui puisse convaincre
le public qui ne penche pas déjà naturellement pour l'opéra (et pour un
certain type d'opéra), il faudrait donc vraiment se mettre au travail
et proposer des œuvres au rythme dramatique plus resserré, dans des
langages intelligibles et sur des sujets à la mode qui puissent
recruter au delà des sphères de l'élite financière ou culturelle…
Mais pour ce qui est du public qui aime bien l'opéra avec de belles
voix et de jolis costumes, soirée qui remplissait très bien son office,
pour un spectacle qui date de l'ère Gall !
Avec la simultanéité de la reprise tardive des saisons musicales,
l'annonce des festivals de l'été et de toute la prochaine saison, les
concertivores sortent du trou où la prostration issue du sevrage les
avait jetés, et la lecture des brochures suscite des pensées aussi
soudaines que fulgurantes chez moi.
Et puis, ne nous mentons pas, une petite notule éditoriale suscite
toujours davantage d'échanges que la mise en lumière d'œuvres inconnues
que pas grand monde n'a encore écoutées : ça se pare ainsi d'un petit
bonus interaction sociale
très agréable par les temps qui courent – fût-ce à distance.
Situation aidant, j'en ai donc une petite ribambelle à écouler. Et ça
tombe bien, c'est plus rapide à préparer et le travail avant l'été, les
expositions, les concerts et les relations sociales vont sans doute
aspirer une bonne partie du temps de notulage disponible.
[[]]
Pour accompagner votre lecture,
La source d'un regard (Seattle
Symphony, Ludovic Morlot).
On y entend assez bien ses différentes filiations : Messiaen (le
Premier Chant d'amour de la Turangalîla
n'est pas loin, au début !), les aplats progressivement
évolutifs des spectraux, les cuivres varésiens (façon Déserts, au milieu de la pièce),
une base harmonique relativement tonale (les cordes).
Programmation et distributions 2022
À tout seigneur, tout honneur, l'Opéra de Paris publie une belle
saison, assez variée. Évidemment peu
de titres rares hors Œdipe
d'Enescu (qui ne me semble pas vraiment la partition la plus à même de
saisir immédiatement l'adhésion d'un vaste public – quitte à jouer peu
de choses rares, je mettrais des œuvres dignes de rester au répertoire,
il me semble…), qui fera très plaisir à voir. Mais on y entendra Turandot qui n'y a pas été joué
depuis longtemps, on retrouvera enfin Richard Strauss après une période
de vaches maigres lissnérienne, il y aura beaucoup de langues (un en russe,
deux en anglais, du français), un peu de baroque, des tubes. Le tout
dans de très belles distributions.
Certes peu de XXe.
Les plus glottophiles d'entre nous ont vite remarqué l'absence des stars les plus courues (Netrebko, Alagna,
Kaufmann, en gros), mais les distributions
n'en sont pas moins très prometteuses,
que ce soit par l'arrivée d'autres vedettes (l'étonnant Calleja, pour
la première fois dans un opéra complet en France, c'est pas trop tôt)
ou par l'engagement de chanteurs moins célèbres mais très prometteurs
(Angel Blue, concentration extrême du son, une sorte de Marina Rebeka à
l'afro-américaine !).
Il est possible qu'il y ait un choix délibéré de changer les noms, une
différence de goût chez le conseiller aux distributions, la volonté de
certains chanteurs de ne pas multiplier les pays où se déplacer par les
temps qui courent (mais pourquoi tant d'Américains et pas Alagna, à ce
compte-là), voire tout simplement le fait renouvelé, pour Lissner –
après avoir abandonné en pleine crise le jouet Opéra qu'il avait cassé
et délibérément sabordé l'avenir de l'Athénée (par rivalité avec son
directeur Martinet, de ce que je comprends) – de savonner la planche à
son successeur, engageant toutes les vedettes pour lui à Naples et
laissant Neef naviger à courte vue à son arrivée. Tout cela a peut-être
été combiné, et je n'ai aucune idée si la situation est amenée à se
renouveler ou si les prochaines saisons auront une allure toute
différente.
Globalement, on note tout de même un souci
de variété et d'équilibre plus agréable que dans les deux
dernières saisons de Lissner, très monochromes dans la veine « reprises
de tubes italiens » et « jouons Traviata deux fois par saison, une fois
dans chaque salle ». On n'en est pas encore rendu à une salle qui
aurait une ambition artistique cohérente (hors Œdipe et la création des 7 morts de Maria Callas, que des
choses déjà présentées dans la maison), on ne voit pas trop les exhumations du patrimoine français promises, et la troupe annoncée n'est pas encore
constituée. On comprend bien tous les obstacles qu'il y avait à
programmer de l'ambitieux, du neuf, à réformer la maison en profondeur
: je crois qu'en l'occurrence on ne peut pas honnêtement préjuger de
l'avenir.
Disons que dans l'état actuel de l'Univers, une saison plus variée que
d'ordinaire (par rapport à l'ère Lissner), avec de belles distributions
adéquates (comme c'était le cas avec Ilias Tzempetonidis sous Lissner),
on est plutôt content. De toute façon tout le monde est soulagé d'avoir
le droit de rêver retourner peut-être un jour au concert, donc quel que
soit le programme, ça fait subjectivement plaisir à lire, des titres,
des propositions, du neuf, de l'avenir.
La création contemporaine et Le Soulier de satin
Mais en ce qui concerne l'opéra contemporain, on n'est pas rendu.
Lissner avait eu l'idée (intelligente) de passer l'ensemble de ses commandes avec un thème commun, la mise en valeur
d'œuvres du patrimoine littéraire
français : on a ainsi eu Trompe-la-Mort
de Francesconi, Bérénice de
Jarrell (pas une réussite, mais sur le papier, confier ce thème à ce
compositeur avait une réelle pertinence), Le Soulier de satin de Dalbavie.
Ce dernier cas révèle néanmoins un cas d'école de la façon de traiter la création contemporaine d'une
part comme la cinquième roue du carrosse, d'autre part sans même se
soucier de ses spécificités.
Une création contemporaine à l'opéra, on est d'accord, fait moins
déplacer, parce que le langage
musical est en général plus difficile (et, puisque peu
mélodique, procure tout simplement moins de plaisir à la plupart des
spectateurs) – et, ne nous mentons pas, aussi parce que les livrets sont la plupart du
temps si exécrables qu'ils entraînent dans leur chute même des
partitions valeureuses qui, sises sur un texte décent, auraient pu se
soutenir par elles-mêmes.
Lorsqu'on se lance dans la commande d'un création, il faut donc
s'interroger sur ces paramètres afin de rendre l'œuvre d'une part suffisamment accessible au public
une fois en salle, d'autre part suffisamment
désirableavantmême d'acheter une place – faire
une œuvre géniale et jubilatoire, si personne ne réserve pour aller la
voir, ça va pas non plus.
Et c'est là que nous allons observer l'enchaînement de décisions…
énigmatiques.
1) Concept
de départ, entrelacer composition d'opéra et patrimoine
littéraire français. Excellent. Tout le monde a quelques noms de grands
auteurs en tête (a fortiori le
public d'opéra), ça peut permettre simultanément de renouveler le fonds
d'œuvres du répertoire sur des œuvres géniales jamais encore mises en
musique… et de faire des sujets dans les JTs avec un véritable angle
d'accroche accessible : l'histoire
racontée, le grand écrivain intemporel qui se réincarne dans une
nouvelle création, etc.
2) Le choix de l'auteur. Je ne
sais si Claudel a été suggéré par le commanditaire ou par le
compositeur, mais il ne s'agit déjà pas de l'écrivain le plus célèbre.
Il doit bien y avoir un contingent de catholiques cultivés et
passionnés qui vont lâcher tout leur agenda pour courir aller entendre
une mise en musique de Claudel, mais ce ne doit pas être avec ça que
l'on doit remplir Bastille.
3) Le choix de l'œuvre. LeSoulier de satin : l'œuvre de
langue française la plus longue du répertoire, n'est-ce pas ? On
va donc essayer de représenter, avec le débit de parole chantée (si
l'on prend pour exemple les tragédies en musique de l'ère Louis XIV,
elles font 3 fois moins de vers que les tragédies déclamées, et durent
30% plus longtemps…), une œuvre qu'il faut déjà comprimer pour la
rendre représentable, avec une cadence de déclamation bien plus lente.
Soit on dénature l'original – a
fortiori si, langue française aidant, on voulait en inclure des
morceaux non modifiés dans le livret… –, soit on produit quelque chose
de beaucoup trop long, propre à décourager le public de bonne volonté.
4) On se retrouve ainsi avec un opéra
de six heures. Avec le couvre-feu, il commence à 14h (même en
semaine !). Il faut vraiment vouloir poser une demi-journée de congés
pour s'enfermer, en
juin, dans un théâtre inconfortable pour écouter de la musique
inconnue et peut-être difficile / ennuyeuse / pas à notre goût. Foi en
la création vivante hautement requise – surtout quand les autres salles
(y compris l'autre de l'Opéra National de Paris), à côté, programment L'Orfeo, La Sonnambula ou Tosca, opéras de moins de deux
heures aux lignes vocales généreuses et à l'harmonie familière, qui
commencent à 18 ou 19h…
5) Le choix du compositeur.
J'aime beaucoup la musique de Marc-André Dalbavie, ce n'est donc pas
une mauvaise nouvelle ; cependant j'ai le souvenir de la série du
festival Présences de Radio-France qui lui avait été consacrée (certes,
il doit y avoir 15 ans), où il avait été difficile de réunir
suffisamment d'œuvres pour nourrir chaque concert… Donc un compositeur
pas particulièrement prolixe (ou bien était-il simplement jeune, dans
sa toute petite quarantaine), à qui l'on confie un opéra très long –
mais cette prévention s'efface ici, les délais ont été tenus.
En revanche, en termes de langage, je me suis
interrogé : sa façon, avec de belles couleurs orchestrales, ne se
caractérise pas par le contraste dans le temps mais plutôt dans l'immédiateté de strates simultanées,
évoluant peu au cours de ses pièces – mais je ne connais que
superficiellement son catalogue pour en juger. Est-ce vraiment une
valeur sûre pour écrire un opéra très long ?
Il a cependant déjà écrit deux opéras pour de grandes
maisons, Gesualdo (en
français, Zürich 2010) et Charlotte
Salomon (en allemand, Salzbourg 2014), que je trouve très beaux
mais que je n'ai pas pu écouter en intégralité. Si je m'attarde sur
l'opéra français, on retrouve tout à fait sa manière orchestrale avec
ses cuivres varésiens (l'attaque est à la fin du son et non au début
comme c'est naturellement le cas), son écriture en couches. La prosodie
est bonne, l'élocution naturelle… je m'interroge juste sur la variété
du discours sur la durée – dans Gesualdo,
il s'en était tiré astucieusement en incluant des portions de
madrigaux.
À tester donc : ça me paraissait initialement
aventureux (je n'avais pas connaissance de ses deux opéras, et je
craignais qu'il ne parvienne pas du jour au lendemain à domestiquer son
langage au service de l'exercice très spécifique du drame chanté), mais
il s'agit finalement d'un compositeur expérimenté (troisième opéra en
dix ans), à la prosodie saine (pas d'intervalles délirants ni d'appuis
musicaux indifférents à ceux de la langue), capable de belles
ponctuations orchestrales. Reste simplement à éprouver s'il trouve la
variété de ton (que je ne lui connais pas vraiment) pour habiter de
façon suffisamment renouvelée quasiment six heures de musique. Mais je
suis assez confiant que ce sera beau, en tout cas.
6) Les interprètes. C'est là
le grand point fort de la proposition : le plateau vocal est assez
affolant : Hubeaux, Beuron, Bou, Pisaroni dans les rôles principaux, et
C. Poul, Santoni, Uria-Monzon, Čenčić, Dran, Huchet, Labonnette,
Cavallier aux alentours, voilà qui promet en termes de beauté vocale,
de diction exemplaire et de tempérament extraverti !
Grand soin apporté à la distribution, donc ; pas du
tout des spécialistes de la création contemporaines sortis d'une niche
trop spécialisée, mais des artistes connus du public, de grandes voix
même.
Seule surprise, Dalbavie dirige lui-même, ce qui est
inhabituel à l'Opéra de Paris pour les créations, généralement confiées
à des chefs de renom.
Seconde partie : réalisation concrète du projet en 2021.
7) Le
lieu de création. Contrairement aux habitudes de réserver la
création contemporaine à Garnier, il était prévu que ce soit joué à
Bastille, permettant de faire entendre plus confortablement et à un
plus vaste public (plus loin du drame, aussi). Mais voilà qu'à
l'occasion de la réouverture de la maison, nous apprenons que toutes
les places vendues sont remboursées et que Garnier abritera la
production ! Remplir à nouveau une
salle, en deux semaines à
partir de l'ouverture des ventes, pour de l'opéra contemporain d'un
compositeur pas particulièrement starisé, voilà qui paraît aventureux.
Surtout que l'inconfort de Garnier n'incite pas nécessairement à
prendre le même type de risque : 6 heures n'importe où à Bastille (même
dans les galeries latérales où il faut se plier pour voir), ce n'est
pas du tout équivalent à 6 heures sur un siège à Garnier, où seul le
parterre est réellement confortable – pour le coup, plus qu'à Bastille,
dont les dossiers sont mal conçus.
J'imagine que le but était de libérer de la place à
Bastille pour des productions plus grand public, et satisfaire le plus
grand nombre – mais j'ai l'impression que, bien que Bastille puisse en
accueillir deux simultanément, il n'y a pas de production en alternance
de Tosca ?
Je me suis aussi demandé ce que cela produisait sur
la partition, composée dans la perspective d'être jouée au besoin par
très grand orchestre et dans une salle immense, qui se retrouve dans un
théâtre à l'italienne… est-ce que tout le monde tient dans la fosse
? Est-ce que ça ne va pas sonner trop bruyant ?
8) Les tarifs. Là aussi, un
revirement incompréhensible. Alors que, pour remplir Bastille et
inciter à la découverte de la création, ils étaient particulièrement
bas – dès l'ouverture des réservations, une offre spéciale proposait
des places de première catégorie à 40€ aux moins de 40 ans (de mémoire)
–, les voici revenus à la normale. Ce qui est particulièrement cruel,
considérant que toutes les places ont été remboursées, et qu'à Garnier,
pour 45€, on a soit l'amphithéâtre – très étroit et inconfortable, avec
ses dossiers ornés de moulures en métal (!), pas sûr qu'on ait le
surtitrage non plus –, soit les côtés tout en haut ou plus bas en fond
de loge. Bref, soit il est physiquement impossible d'y tenir six
heures, soit on y voit mal. Pour 45€. Contre un premier rang de premier
balcon à Bastille pour le même prix. Il faut donc clairement dépenser
plus, au moins pour les petits budgets, pour obtenir un degré de
confort comparable.
Dans les seules places à 45€ d'où l'on voit bien
sans aller s'entasser
à l'amphi, seulement deux étaient à la vente (une de chaque
côté !).
Pour une œuvre nouvelle, qui arrive après des
expériences de créations pas toujours probantes (Bérénice ou, plus loin, L'Espace dernier, avaient été fort
mal reçus), c'est demander un sens de la Foi (pour ne pas dire de la
Providence) assez important chez des spectateurs qui ne sont peut-être
pas assez nombreux pour espérer remplir 5 dates.
9) La réservation. Dernière
trouvaille géniale, les places à 25€, qui contiennent quelques sièges
potables (et qui constituent un tarif un peu plus attractif pour les
petits budgets prêts à prendre le risque d'une création)… ne sont cette
année vendues qu'au guichet. Elles ouvrent donc le 19 pour la première
représentation le 21 ! Et vont donc susciter une queue serrée sur
le trottoir, un attroupement dans la zone billetterie – ce qui est
exactement le choix raisonnable à faire en temps de pandémie.
(Sans compter que cette politique de réserver aux
Parisiens les places les moins chères, alors qu'il s'agit d'un opéra national, co-financé par la Nation,
me paraît parfaitement discriminatoire : si vous habitez en banlieue
lointaine ou plus encore en Province, hé bien vous ne pouvez pas avoir
une bonne place à moins de 45€.)
Gouvernance
Je ne comprends donc pas très bien, de l'extérieur, la rationalité des
choix opérés dans les deux étapes d'élaboration de cette création.
a) La commande : quelle idée
saugrenue de choisir une œuvre excessivement longue, sachant que la
mise en opéra distend nécessairement les durées, et qu'il faudrait
multiplier par trois (ou couper au tiers) la pièce d'origine si l'on
voulait la jouer in extenso avec
orchestre et chants ? Même avec les six heures de spectacle (trop
longue pour l'endurance physique dans un fauteuil et l'attention
requise par de la musique nouvelle), il y aura beaucoup de raccourcis
dans l'intrigue, ce qui risque apauvrir les situations ou rendre la
compréhension plus difficile.
b) La mise en œuvre : pourquoi
ces changements soudains, cette augmentation des tarifs, ce
remboursement des places vendues, cette mise en vente partielle… alors
qu'il s'agit de la seule soirée un peu difficile à vendre de la saison
? L'Opéra de Paris est assis sur le tas d'or de sa réputation, de
son rayonnement historique… quoi qu'il programme, tout est complet
(sauf pour les reprises multiples de productions d'œuvres moins
courues, clairement Cardillac #2,
Wozzeck-Marthaler #3 ou Rusalka-Carsen #4 n'étaient pas les
plus grandes réussites de box-office de l'histoire de la maison).
Lorsque par extraordinaire (parce que la création
contemporaine est inscrite dans les statuts, tout simplement…) on met à
l'affiche une œuvre moins célèbre, qui inspire moins confiance…
pourquoi s'acharner à tout rendre plus difficile ? En rendant les
places vendues ! En augmentant les prix ! En réservant les
places attractives au guichet !
J'ai une hypothèse pour la partie mise
en œuvre : Dalbavie a peut-être, lors d'un dîner, médit – devant
un peu trop de témoins – de l'élégance ou des mœurs de la femme de
Neef. Celui-ci a donc juré de l'humilier, de le briser en faisant jouer
sa création devant une salle totalement vide. (Je m'attends à ce qu'un
mystérieux acquérer m'offre avec insistance de racheter ma place au
double de son prix, à présent.)
Pour l'instant, je n'ai pas d'autre interprétation qui résiste aussi
bien au rasoir d'Ockham. Je prends volontiers vos suggestions.
Annexes
Je vous joins ici quelques vidéos pour éclairer les descriptions
abstraites figurant dans cette notule :
→ Entretien et extraits à propos de son premier opéra Gesualdo (Zürich 2010, en
français).
→ Reportage (en allemand) sur son deuxième opéra (écrit en allemand) Charlotte Salomon
(Salzbourg 2010, ici lors de la création allemande en 2017 à Bielefeld).
→ Entretien avec le compositeur à propos du Soulier de satin.
(Attention, vous entendez en fond ses Sonnets
de Louise Labé, pas son opéra.)
Au disque, il existe de beaux échantillons de son art symphonique,
notamment avec le Symphonique de Seattle (Seattle SO Media),
l'Orchestre de Paris (Naïve) et le Philharmonique de Radio-France
(Radio-France).
Aussi sa contribution, très caractéristique de son style, au Requiem de Reconciliation (paru
chez Hänssler) avec son « Domine J » en guise d'Offertoire – aux côtés
de Berio, Cerha, Nordheim, Rands, Penderecki, Rihm, Kurtág…
À bientôt pour un nouvel épisode de la fin de lafin-du-monde !
(Est-ce la fin-renouveau ou la fin-définitive, je ne m'avancerai
guère sur ce point.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Je change un peu de présentation pour classer autrement que par
arbitraire ordre d'écoute.
Du vert au violet, mes recommandations… remplacées par des ♥.
♦ Vert : réussi ! ♥
♦ Bleu : jalon considérable. ♥♥
♦ Violet : écoute capitale. ♥♥♥
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(aucun cette semaine)
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
En rouge, les nouveautés.
OPÉRA & musiques de scène
Côté opéra, qui l'eût cru, c'est un
Donizetti enfin documenté qui attire le plus mon attention…
♥
Monteverdi – Orfeo – I Gemelli, Gonzalez-Toro
(Naïve)
→ Belle version dynamique et nette, qui ne m'a pas paru apporter de
nouveautés marquantes dans l'instrumentation et autres choix
esthétiques, et dont les voix ne sont pas typées. Une excellente
version, néanmoins pas prioritaire dans le cadre de la très riche
discographie. (Petit plaisir d'entendre Zachary Wilder dans son rôle
étendu de Berger !)
Lully - La Grotte de Versailles, Georges
Dandin - Jarry (CVS)
→ La Grotte n'est pas le Lully le plus palpitant, et la manière assez
tendre, pour ne pas dire indolente, de Jarry accentue sans doute encoe
cet aspect peu tendu de l'œuvre – de même que les voix moelleuses, un
peu ouatées, peu typées… (Le disque Reyne faisait une proposition
autrement colorée et évocatrice !)
→ Sous ce traitement, le charmant Dandin sombre lui aussi dans une
uniformitée policée qui, je dois l'aouer, m'exalte assez peu.
(→ Pourtant, les vidéos prises lors de l'enregistrement sont beaucoup
plus électrisantes – lissage artificiel lors de la post-production
?)
♥♥
Donizetti – L'Ange de Nisida – El-Khoury,
David Junghoon Kim, Naouri, Priante ; ROH, Elder (Opera rara, mars
2019)
→ Double histoire d'inachèvement que cet Ange. Commandé en 1834 par le
Théâtre de la Renaissance Donizetti y inclut des éléments de son
Adelaide inachevée. La partition est écrite en 1839, mais alors même
que les répétitions avaient commencé, la troupe fait faillite. L'œuvre
n'est jamais représentée. De ce fait, vous retrouverez dans cette
partitions beaucoup d'endroits que Donizetti réutilise, la même année,
pour confectionner La Favorite, sur une intrigue similaire (le jeune
homme éperdu d'amour idéal qui se retrouve à épouser la maîtresse du
roi), passant de l'Italie à l'Espagne, et remaniée par Eugène Scribe.
→ Belle interprétation ; Elder a peu de mordant ici, mais la
captation qui rend très présents à la fois les chanteurs et
l'orchestre, permet une écoute optimale.
→ Vocalement, très belle version, en particulier chez les hommes, bon
français, et très expressif comme on s'en doute chez les électrisants
Naouri et Priante.
→ Belle découverte qui manquait, parmi le legs français de
Donizetti ! Je trouve même le livret plus palpitant que celui de
La Favorite : des épisodes comiques menaçants (façon Fiesque ou
Ruy Blas, disons), moins d'airs, des échanges / affrontements /
contrats plus mobiles, un peu plus de mystère aussi. Mais n'en attendez
pas de révélation si vous connaissez la Favorite : les
meilleurs morceaux y ont été réutilisés, et il y manque ses solos
marquants. Donizetti –
L'Ange de Nisida – Lidia Fridman, Konu Kim, Sempey, Roberto
Lorenzi ; Donizetti Opera O, Tingaud (Dynamic, octobre 2020)
→ Étrange initiative de publier, à si peu d'intervalle après la
luxueuse version d'Opera Rara il y a dix-huit mois, cette version plus
fruste – ténor certes intéressant (beau timbre, bonne prononciation,
mais il reste des raucités fréquentes chez les chanteurs chinois et
coréens), mais la justesse moyenne des cordes, accentuée par la prise
de son comme souvent très contre-productive de Dynamic (zoom sur les
trous dans le spectre orchestral, voix rejetées en arrière), rend
l'écoute moins confortable.
→ Version tout à fait décente au demeurant, mais paraissant juste après
une autre sensiblement plus aboutie, la nécessité de l'acquérir (voire
de l'écouter) ne paraît pas évidente. [Oh, je me rends compte que la
version physique de l'objet est un DVD et non un CD, ce qui change en
effet l'intérêt de la chose… ce doit être très agréable avec le
visuel !] Moniuszko – Paria – Poznan PO, Borowicz (DUX)
→ Opéra de jeunesse de Moniuszko, écrit sur un thème non local
(intrigue bouddhique à Bénarès) pour séduire le public européen d'après
une pièce de Casimir Delavigne… sur un livret en italien d'un auteur
polonais.
→ Résultat assez standard comme on pouvait le craindre, un des opéras
d'école italienne comme on en a tant produits, sans grande inspiration
mélodique, impact dramatique ni effets d'harmonie ou d'orchestration.
L'équipe de chanteurs polonais prononce de surcroît un italien assez
peu savoureux.
→ Donc assez secondaire, en rien une urgence, sauf pour la curiosité
d'entendre Moniuszko en italien. L'œuvre n'eut pas de succès non plus
en son temps.
Verdi – La Traviata – Duo
Germont-Violetta par Santini-Callas-Savarese,
Mugnai-Callas-Campolonghi, Giulini-Callas-Bastianini,
Rizzi-Grubverová-Zancanaro, Callegari-Devia-Zancanaro,
Muti-Fabriccini-Coni, Pritchard-Sutherland-Merrill,
Votto-Scotto-Bastianini…
♥Verdi – La Traviata – Studer,
Pavarotti, Pons ; Met,
Levine (DGG 1992)
→ De mauvaise fame et pourtant chantée au plus haut niveau, de façon
impeccable techniquement et très frémissante.
♥Godard – Le Dante – Gens,
Montvidas, Lapointe; Radio de Munich, Schirmer (Singulares)
→ Livret toujours aussi nul, de jolies choses dans la musique et une
distribution de feu !
RÉCITALS VOCAUX (pouah)
Haendel – « La
Francesina, Handel's nightingale » – Sophie Junker, Le Concert de
l'Hostel Dieu, Franck-Emmanuel Comte (Aparté)
→ Beau disque, programme original pour un récital Haendel (beaucoup
d'airs d'opéras anglais peu joués), et interprètes remarquables de
style et de vivacités, très bien captés. Avouerai-je une petite
frustration d'entendre Sophie Junker, très grande déclamatrice (adorée
dans Erlkönigs Tochter de Gade aussi bien que dans le premier XVIIe
italien chez Rossi…), se prêter à l'agilité ostentatoire du seria où
l'aération de son timbre paraît moins un atout ? Ce n'était pas le
répertoire où j'avais envie de l'entendre s'épanouir : j'entends
un bon disque Haendel là où l'on pourrait avoir du lied ou des cantates
XIXe absolument saisissants, voire du XVIIe de haute volée.
MUSIQUE SACRÉE Abondance de biens comme
chaque semaine de ce côté : disque particulièrement abouti de la SWR,
varié et prenant, très loin des habituelles joliesses des albums de
Noël (si vous êtes abonné à Qobuz, on m'y a commandé, il y a un an, une
présentation de l'ensemble de la discographie du chœur) ; formidable
démarche et intégration du disque Jarry que j'avais commenté en son
temps, et encore tout récemment ;
une excellente surpris de Jommelli ; Huygens le meilleur compositeur de
petits motets à la française ?
♥♥
Constantijn Huygens: Pathodia Sacra & Pathodia
Profana – Auvity,
Rignol, Van Rhijn (Glossa)
→ Corpus majeur du motet à voix seule, on ne fait pas plus prosodique /
harmonique / rhétorique que ça ! Mais déception après les avoirs
entendus en concert : Auvity est mal capté, la voix sonne avec
dureté et étrangeté, trop près des micros, sans respirer dans un espace
plus vaste… Un peu inconfortable à l'écoute alors que le niveau
artistique est fabuleux. (De ce fait je recommande en priorité le
disque Kooij, excellent aussi, qui ne souffre pas cette
réserve.) ♥♥♥
Constantijn Huygens:
Pathodia
Sacra & Pathodia Profana – Anne Grimm, Brummelstroete, van der
Meel, Kooij – Leo van Doeselaar (NM Classics)
♥♥♥
Balbastre,
Dandrieu,
Daquin : noëls
populaires et pour orgue – Pages du CMBV, Jarry
(CVS)
→ Déjà commenté à sa sortie en novembre 2019, puis dans une notule
spécifique. ♥♥
Jommelli – Requiem – Piau,
Vistoli, R. Giordani, M. Lombardi, Rillevi, Cadel, Salvo ;
Ghislieri O, GIulio Prandi (Arcana)
→ Connu pour ses opéras seria dans un style à la jointure du dernier
baroque et du premier classique (dont les caractéristiques sont les
airs très longs et l'effort d'adjoindre des contrechants de vents dans
l'orchestre), Jommelli révèle ici une tout autre facette (il n'en
existait, je crois, qu'un autre enregistrement, chez Bongiovanni).
→ Épuré, recueilli, persuasif, peu d'effets extérieurs, son harmonie
apparaît beaucoup plus sophistiquée qu'à l'ordinaire, approchant une
grâce digne des grands Mozart. ♥♥
Gibbons, Parsons, Byrd, Ord, Wishart, Howells,
Holst, Vaughan Williams, Britten, Ravenscroft, Poston, Wilcocks, Adès,
traditionnels –
Christmas Carols – SWR Vokalensemble (Hänssler / SWR
Classik)
→ Nombreux cantiques de Noël de langue anglaise, remarquablement
choisis (pièces toutes passionnantes, pas trop homogène à l'écoute,
mais interprétation qui leur procure une cohérence malgré leurs
provenances très diverses), parcourus avec une simplicité frémissante
par l'Ensemble Vocal de la SWR (au legs exceptionnellement divers).
Vivement recommandé.
CONCERTOS
Émerveillement pour l'interprétation
de Weber. Et retour à mon chouchou bassonné Hummel.
♥ Vivaldi –
Les Quatre Saisons – Jaap van Zweden, Combattimento Consort Amsterdam
(Challenge Classics, 2016)
→ Sur instrument modernes (me semble-t-il à l'oreille), mais sans
vibrato, version d'une virtuosité impressionnante permise par les
instruments récents, tout en exposant une netteté et une fureur propre
aux versions « musicologiques », une très belle
proposition !
Dussek,
Eberl, Beethoven, Eybler
– « Beethoven's World » : concertos pour deux pianos,
Gratulations-Menuett, Follia d'après Marais – Tal & Groethuysen,
Radio de Francfort, Goebel (Sony)
→ Encore une superbe réussite de Goebel sur instruments modernes, mais
ce volume me séduit moins que les précédents : pas de révélation
vertigineuse sur le plan du programme. Des concertos pour piano bien
faits parmi tant d'autres – et ce n'est pas mon genre de prédilection.
Les volumes consacrés aux concertos pour violon de Clément ou aux
concertos pour deux violoncelles de Reicha et Romberg étaient autrement
stimulants !
♥♥♥Weber,
Kurpinski – Concertos
pour clarinette –
Hoeprich, Orchestre du XVIIIe s., van Waas (Glossa)
→ Ces timbres, ces gradations en dynamiques, harmonies, en grain !
Van Waas transfigure ces œuvres qui paraissaient un peu monumentales en
un univers frémissant de vie, très théâtral, comme issu en ligne
directe de la dramaturgie de Gluck, la palette compositionnelle étendue
des romantiques en sus !
(→ Le court concerto en un mouvement de Kurpinski est moins marquant,
d'où le classement en section « interprétations ».)
♥♥♥
Hummel – Concerto pour
basson – Luoma, Tapiola Sinfonietta,
Nisonen (Ondine)
→ Bijou de légèreté (très informée musicologiquement), ma version
chouchoute pour ce concerto à la verve merveilleuse !
♥♥♥ Hummel –
Concerto pour basson – Kuuksman
→ Pour du grain et du terroir, le sommet. Le Mozart est aussi
superbement réussi, une de ses grandes lectures !
♥
Paganini
– Violin Concertos 1 and 2 – Rudolf Koelman, PBSO, de Vriend (Challenge
Classics, 2012)
→ Très belle version mobile et vivalnte, mais moins radicale qu'avec La
Haye dont de Vriend est directeur musical, évidemment. Ouverture très
réussie de Matilde di Shabran, crescendo rossinien remarquablement
maîtrisé.
Mendelssohn – Concertos pour 2 pianos – Ammara,
Prosseda, Den Haag, Vriend (Decca 2019)
→ Celui en la bémol procède vraiment de l'imaginaire mozartien. Œuvres
de prime jeunesse sans doute, assez peu marquantes (ce qui en fait, en
soi, des œuvres à connaître : c'est si rare chez
Mendelssohn !).
Moszkowski: Piano Concerto in E
Major – Matti Raekallio,Tampere PO, Leonid Grin (Ondine)
→ Correspond bien davantage que la découverte émerveillée de ses Suites
orchestrales… au préjugé que j'en avais. Du gentil néo-Chopin (très)
bien fait, certes, mais pas particulièrement décoiffant de singularité.
(Petit côté fanfare de cirque qui me plaît bien dans le final…)
♥
Finzi, Vaughan Williams, Holst,
J. Gardner, Arnold, Stanford, J. Horovitz, P. Hope, G. Jacob,
Rawsthorne, Leighton, H. Blake, Gunning, C. Lambert, Fogg – «
My England », concertos anglais pour bois – Groves, Wordsworth, Bolton,
P. Daniel… (Universal 2015)
→ Des raretés absolues dont certaines très stimulantes ! En cours
d'exploration.
SYMPHONIES
& poèmes orchestraux
Exploration partielle du fonds
La Haye / de Vriend. Très convaincant dans l'ensemble, avec un faible
particulier pour cette Neuvième de Schubert qui vient de sortir, et
cette Première Sérénade de Brahms hors du commun. Sinon, Arriaga dans
une lecture plus tradi que Savall, mais tout aussi aboutie… La Symphonie de
Mantovani tient ses promesses, plutôt le meilleur de l'auteur – en
revanche il ne faut pas en attendre de neuf, c'est du vrai Mantovani
typique.
♥
Beethoven – Intégrale des
Symphonies et des Concertos – Den Haag, de Vriend (Challenge Classics)
→ Belle intégrale dans le genre « musicologique », sur
instruments modernes (pas les cuivres manifestement, à l'oreille !),
qui fouette avec un brin de sècheresse ces œuvres, très animées mais à
mon sens un peu au détriment de la structure : lecture très
verticale, dont les lignes s'interrompent vraiment lors des sforzati
(dans l'esprit, à comparer avec Harnoncourt dans son intégrale avec le
COE).
→ Des aspects électrisants, mais dans le même genre, on dispose de
discours plus fouillés, variés, colorés.
Schubert: The Complete
Symphonies Vol. 1. Symphony No. 2, D. 125 /
Symphony No. 4, D. 417, Residentie Orkest The Hague, Jan Willem de
Vriend (Challenge Classics, septembre 2018)
→ Moins convaincu que par les autres volumes. Vif et claquant, mais pas
très touchant.
♥
Schubert: The Complete
Symphonies Vol. 2 (Symphony No. 1, D. 82 / Symphony No. 3, D. 200 /
Symphony No. 8, D. 759 – Residentie Orkest Den Haag, Jan Willem de
Vriend (Challenge Classics, mai 2019)
→ Vivement fouetté comme ses Beethoven, cela fonctionne très bien pour
ces symphonies. (J'aime moins pour le couplage 2 & 4 de 2018.) Là
encore, pas le lieu de la poésie, plutôt une façon très dynamique de
susciter ces œuvres, avec une certaine homogénéité dans la durée.
♥♥ Schubert: The Complete Symphonies Vol. 3:
Symphony No.9, D.944 –
Residentie Orkest Den Haag, Jan Willem de Vriend (Challenge Classics)
→ Splendide Neuvième atypique, pleine de vivacité, qui semble courir
sans fin pendant sa vaste durée, on perd de vue l'impression de
longueur, et l'infini se ressent dans la perpétuation de la
précipitation. J'aime beaucoup – même si la dimension poétique des
belles courbes mélodiques ou de certaines modulations est moins au
premier plan que la dimension motorique ajoutée. ♥♥♥
Arriaga –
Symphonie – Mackerras (Hyperion)
→ Mackerras encore tradi (pas le baroquisant des dernières années),
avec un son d'orchestre moelleux (un peu trop même lorsqu'adviennent
les doublures de bois sur les cordes vibrées), mais on sent qu'un très
grand chef est aux manettes dans le frémissement constant des phrasés !
Seule petite réserve, le thème B de l'Andante (point culminant de la
symphonie pour moi, un peu comme le climax du mouvement lent du Quatuor
de Debussy – il faut impérativement le réussir !) qui n'est pas
ineffable au même point que Savall, mais pour tout le reste, c'est
absolument passionnant, en effet une alternative complètement valable
et exaltante, quoique non « musicologique », de cette œuvre qui
méritait pleinement ces grandes lectures ! ♥♥♥
Brahms – Sérénade n°1,
Variations sur un thème de Haydn –
Den Haag, De Vriend (Challenge Classics)
→ Incroyable de parvenir à produire une Première Sérénade d'un tel
éclat, pas du tout dans la contemplation pastorale, mais spectaculaire
comme peuvent l'être les Variations sur Haydn (moins surprenantes de ce
fait). Grande lecture très originale de cette page, qui sonne
totalement différemment de la pâte brahmsienne habituelle, plus élancée
et insolente ! ♥
Massenet – Brumaire, Visions, Espada, Les
Érinnyes, Phèdre –
Royal Scottish NSO, Tingaud (Naxos)
→ Impressionné par Brumaire, Visions et Phèdre, qui témoignent d'un
sens dramatique avancé ; les deux Suites plus spécifiquement
attachées à la scène sont beaucoup moins passionnantes à mon gré.
→ Un peu déçu que Tingaud tire moins de couleurs du prestigieux Royal
Scottish que de (l'excellente, certes) RTÉ irlandaise, mais belle
lecture dynamique, malgré les timbres assez blancs – et la prise de son
un peu dure.
♥
Strauss:
Metamorphosen, TrV 290 – Sinfonia Grange au Lac; Salonen, Esa-Pekka
(Alpha, septembre 2019)
→ Grain individidualisé, tension de l'arche, grande version !
Prokofiev – Symphonies 1,2,3 – Bergen PO,
Litton (BIS)
→ Versions captées avec l'aération de BIS et la beauté de Bergen, mais
je ne leur ai pas trouvé la fermeté directionnelle ni la netteté
(réverbération un peu forte pour cette musique ?) des grandes
intégrales que je fréquente d'ordinaire (Weller par-dessus tout,
Kitajenko, Gergiev…).
Pino Donaggio – Prélude pour Blow Out de
De Palma –
Sinfonica di Milano
→ Thème sirupeux postrachmaninovien assez standard, avec un petit côté
variétaire dans le solo (sous-Concerto en sol), moui.
Bollon – Œuvres orchestrales – Radio de
Sarrebrück, Nicholas Milton (HM)
→ Par le grand chef qui nous a révélé les mérites de Magnard dans ses
récentes parutions des Symphonies, voici des compositions.
→ Étrange pièce avec flûte à bec amplifiée et modifiée par ordinateur
(inconfortables disproportions, lorsqu'on écoute au disque), puis
pièces assez planantes et tendues, avec des frottements menaçants assez
habituels, des cordes dans le suraigu, des bouts de beat, tout cela
surnageant dans une forme que je n'ai pas réussi à définir. Pas
déplaisant, mais je n'ai trouvé cela ni très singulier ni très
passionnant, je l'avoue. ♥
Mantovani –
Symphonie n°1 « l'idée fixe », Abstract – Coppey, Monte-Carlo
PO, Rophé (Printemps des Arts de Monte-Carlo)
→ Toujours cette écriture où l'on semble glisser d'un motif à l'autre
par les timbres, au sein d'une pensée orchestrale en strates vraiment
riche, animée, ludique à suivre. Une musique totalement atonale qui
suit un parcours accessible, il y a de quoi toucher un plus vaste
public qu'à l'ordinaire.
→ Et le Philharmonique de Monte-Carlo est superbement capté !
MUSIQUE DE CHAMBRE
Grand coup de cœur pour les œuvres
pour vents de Strauss, qui n'a pas beaucoup brillé dans la musique de
chambre… sauf, manifestement, lorqu'elle peut faire du bruit ! Savoureusement interprétées ici.Gedalge également, très belle découverte
(sa Première Sonate aussi, pas enregistrée mais entendu au concert il y
a quelques jours) !
♥
Schubert – Quatuors n°4, 12 & 14 – Arod
SQ
(Erato)
→ Encore un jalon dans la jeune génération de quatuors très ardents
dans ces pages depuis la rupture épistémologique des Jerusalem, qui ont
ouvert une brèche depuis brillamment empruntée par les Ehnes, Novus,
Cremona… À un degré de nouveauté certes moindre, les Arod
impressionnent aussi par l'engagement absolu, le soin des textures et
la tension qui émanent de leur appropriation d'aujourd'hui de ce
quatuor.
→ Dernière variation du mouvement lent à pleine force, très
impressionnante. Moins convaincu par la strette finale du
quatuor : de loin la plus rapide jamais enregistrée, mais au point
que le phrasé devient impossible, dommage.
→ Pas fanatique non plus que leur Quartettsatz, là encore surtout
rapide, dans une œuvre qui a beaucoup d'autres choses à livrer ; en
revanche leur Quatrième très fouillé permet de mettre à l'honneur la
part de jeunesse des œuvres pour quatuor de Schubert, pas du niveau de
ses derniers évidemment, mais parfaitement dignes d'intérêt dans un
genre beaucoup moins typé et
contrasté !
♥♥ André Gedalge – Sonate violon n°2,
concours trompette,
trombone, mélodies – Laurenceau, Hacquard (Polymnie 2007)
→ Langage assez naturel et simple, ses mélodies chant-piano coulent de
source, mais sa Sonate manifeste davantage d'ambition, très
stimulante.
♥♥
R.
Strauss – Œuvres pour
vents : Suite en si bémol,
Sérénade en mi bémol, Sonate n°2 en mi bémol – Octophoros, Dombrecht
(Passacaille)
→ Étrange mélange entre le Strauss contrapuntique sinueux qui affleure
par moment et une écriture pour vents beaucoup plus traditionnelle,
mélodique, sans ombre, une musique de véritable plein air, très
homorythmique. Le vaste final de la Sonate est un modèle du R. Strauss
lumineux, profusif et jubilatoire.
→ Je retrouve avec plaisir Octophoros et ses instruments anciens
nasillards et capiteux, qui n'avaient pas trouvé de débouché
disographique, me semble-t-il, depuis leur période chez Accent dans la
décennie 2000.
♥ Walter
Kaufmann – Quatuors,
Septuor – Chamber ARC Ensemble (Chandos)
→ Incluant du folklore, assez calme et sombre, de belles œuvres
accessibles mais sans superficialité. À approfondir.
SOLOS
Bach – Variations Goldberg – version
harpe de Parker Ramsay (Label du King's College de Cambridge)
→ Très fondu et romantique, peu de contraste entre les sections,
beaucoup de réverbération… je trouve qu'on y perd en richesse.
→ À l'opposé, je révère la lisibilité de la version de Catrin Finch
(DGG 2009), acérée, variée, n'hésitant pas à travailler l'irrégularité
des phrasés, à changer le tempo entre variations. Une très grande
lectures de ces pièces, qui mène au niveau supérieur le changement
d'instrument. Dommage pour Ramsay, donc.
Chaminade : Callirhoé Op.37 n°3 : pas des écharpes,
Erik Parkin (Chandos 1991)
→ Charmant. Mais le lien avec Callirhoé n'est pas évident.
LIED & MÉLODIE
Splendides duos rares, un Winterreise
totalement bizarre, une réédition salutaire d'un des meilleurs disques
d'airs de cour de tous les temps… De quoi être content cette semaine.
♥♥♥
Lambert – Airs de cour –
Mellon, Feldman, Laurens, Visse, Cantor… ; Les Arts Florissants
(réédition HM)
→ Réédition.
→ La façon d'orner et de gérer le tempo a changé depuis
l'enregistrement de ce disque vénérable, mais tout reste merveilleux
ici, notamment la typicité de ces voix étroites, qui mettent le timbre
et le texte au premier plan, loin des profils beaucoup plus couverts /
ouatés qui prévalent aujourd'hui (même chez Christie).
→ Un Lambert vibrant et plein de poésie, chanté souvent à plusieurs
mais avec la précision d'inflexion d'une interprétation monodique, pour
un corpus qui sert lui aussi l'expression d'un goût suprême.
♥♥♥
Schubert – Die
Winterreise (arrangement Wolf & Siegmeth pour récitant, sax et
archiluth) – Stefan Hunstein, Axel Wolf, Hugo Siegmeth (Oehms)
→ Encore un Winterreise bizarre. Mais celui-ci ne se contente pas de
faire jouer la musique par des instruments exotiques, il offre une
lecture intégrale des poèmes (remarquablement dits par Hunstein),
accompagnée / entrecoupée par l'interprétation des thèmes écrits par
Schubert. Quelquefois en entier, quelquefois avec variations,
quelquefois par bribes, ou encore des sortes d'improvisations vaguement
inspirées par le motif d'origine. Des bouts d'atmosphères qui surnagent
autour du poème.
→ Et par deux instruments tout à fait inattendus (le sax ténor fait
vraiment trop musique de cave enfumée pour l'esprit recherché, mais le
sax soprano, la clarinette basse, et surtout le théorbe et l'archiluth
parviennent capturer de réelles beautés bien présentes dans le cycle
initial, et à le redéployer (ce qui est rarissime) sans le ridiculiser
ni l'affaiblir. J'y retrouve tout le plaisir du Winterreise, mais selon
une autre méthode, en quelque sorte. À essayer pour renouveler son
approche, en particulier poétique !
♥♥
Mendelssohn,
Brahms, Gounod, Delibes, Massenet, Fauré,
Chausson, Saint-Saëns… –
Lieder & mélodies en duo « Deux
mezzos sinon rien » – Deshayes, Haidan, Farjot (Klarthe)
→ Programme enthousiasmant, qui n'a rien (comme aurait pu le suggérer
son titre) d'un récital de bis aimables, mais propose des pièces
pleines de saveur, légères comme profondes.
♥
Duparc – Phydilé – Sen
Ren (sur son Facebook)
→ Belle diction, voix
sonore et saine.
Mélodies
suédoises (flonflons Björling, « art song » de Söderström, von
Otter, monographie
Melartin…)
LISTE D'ÉCOUTES à
(re)faire
(cette section contient beaucoup de citations de mes mécènes en
suggestions, copiées-collées dans mon dossier !)
L'Oiseau de feu, Suite du ballet (1945)
= Igor Stravinsky, Orchestre philharmonique de New York
(Columbia, janvier 1946)dusapin nigl
Die Bakchantinnen wellesz
Nordic Autumn? Ce sont des mélodies avec orchestre de Rangström,
Madetoja et Palmgren et Luonnatar de Sibelius - par Camilla Nylund et
Ulf Schirmer avec le Münchner Rundfunkorchester?lazarevitch îles
britanniques / getchell
• Nobody’s Jig. Mr Playford’s English Dancing Master
- elfin knight frederiksen
Christoph Prégardien: ténor Christoph Schnackertz: piano
Moniuszko:traduits en français par Alfred des Essarts.
Paderewski: Douze mélodies Catulle Mendès op.22.
Rihm – Das Rote
tintagiles RVW, loeffler
Sous l'eau du songe
Lieder and melodies by Lili Boulanger (1893-1918), Alma
Mahler (1879-1964) and Clara Schumann (1819-96)
Maria Riccarda Wesseling (mezzo-soprano), Nathalie Dang (piano)
→ Krogulski/Nowakowski (Goerner)
→ Stolpe
HIGH ROAD TO KILKENNY (THE) - Gaelic Songs and Dances from the 17th and
18th Centuries (Getchell, Les Musiciens de Saint-Julien, Lazarevitch)→
Lazzari, . Effet de Nuit fait son effet, par contre, la symphonie est
interminable et les autres pièces symphoniques pas palpitantes (j'ai
même trouvé la rhapsodie spécialement niaise). son trio pour piano et
sa sonate pour violon ravi
→ Joubert (hors quatuors, je n'ai pas pris de notes), : la symphonie
No. 2 (moment ineffable dans le II avant un finale diabolique), le
concerto pour hautbois (sombre et véhément) et les pièces chambristes.
Le cycle vocal Landscapes, le trio pour piano avec beaucoup
d'atmosphères, ses sonates pour piano, surtout la No. 2,
→ tailleferre
→ final choral 2e partie Theodora
→ hummel
→ Marshall-Luck pour la Sonate violon d'Elgar
→ Requiem de Kastalsky par Slatkin
→ dallapiccola vol de nuit→ Alla Pavlova musique de film sous étiquette
symphonique. C’est très sucré
→ Stacey Garrop l’aspect narratif de ses pièces (sa symphonie Mythology
collection de poèmes symphoniques
→ Ses quatuors
→ Lea Auerbach sa musique de chambre, souvent autour des variations,
jeux de miroirs au sein de la même pièce ou entre les pièces (les
mouettes du I dans son premier trio), ses motorismes, toutes ces choses
et plus encore me transportent.
→→ Ses deux trios pour piano et ses 24 préludes (surtout ceux pour
violoncelle et piano, même si violon et piano, un autre numéro d’opus,
sont de haute volée) seraient mes premières recommandations.
→ Gloria Coates Noir, tourmenté, très râpeux
→ Rosalind Ellicott quelle verve mélodique ! Ses deux trios pour piano
→ En vitesse, Lucija Garuta a laissé un très beau concerto pour piano,
Louise Héritte-Viardot 3 quatuors de belle facture, Rita Strohl un
saisissant duo violoncelle/piano Titus et Bérénice. Elisabeth Lutyens
m’a été très difficile d’approche, mais elle a définitivement des
choses à dire.
→ Australiennes, comme Myriam Hyde, Elena Kats-Chernin et Margareth
Sutherland (Women of Note, permet de se faire une idée des noms qui
accrochent).
Bilan du cœur d'été. Peu de grandes productions dévoilées en ces dates,
évidemment, mais toujours un rythme de publication soutenu. J'ai pour
ma part écouté davantage de parutions antérieures ce mois-ci – et
sensiblement moins en valeur absolue, écoutant plutôt les oiseaux
chanteurs dans le cadre de la saison des promenades.
Pour autant, vous trouverez ici quelques nouveautés dignes d'intérêt
Du vert au violet, mes recommandations.
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques.)
Un peu moins saisi par des parutions majeures que le mois dernier, mais
tout de même, une Armide
de LULLY réorchestrée en
1778 par le neveu de Francœur assez jubilatoire (avec Véronique Gens
!), une belle Symphonie n°5 de Christopher Rouse (en hommage à Beethoven), le
quadruple album suspendu (très varié en époques, homogène en caractère)
des excellentes Voces8, de
jolies opérettes rares d'Offenbach
remarquablement servies, la Prison d'Ethel
Smyth… Côté interprétations, un
splendide Siegfried
de Duisbourg, une superbe album J.
Williams viennois d'intérêt inattendu, une belle et fine
intégrale Brahms
de Philippe Jordan, la fin de celle de Dausgaard (volume moins marquant
que celui de la Première Symphonie)… et une nouvelle réédition des Sonates de Beethoven par
l'inapprochable Backhaus !
Hors nouveautés, immersion dans les pièces de guerre avec récitant d'Elgar, les symphonies (superbes) de Harris, les versions discographiques
de la Quatrième de Brahms, de Credeasi misera,
de Drouot,
de l'hilarant (tout en vert et très ouvertement allusif) Roi Pausole d'Honegger, une exploration de
l'étonnant legs du Leipziger
Streichquartett, très vaste, divers, et toujours cette lumière
irradiante !
Dans tous ces genres dépareillés, vous devriez trouver quelques
satisfactions pour vous aussi, je l'espère – quitte à puiser dans les
aplats de Borisova-Ollas ou
dans l'actualité désabusée d'Avenue
Beat…
commentaires
nouveautés : œuvres
commentaires
nouveautés : versions
LULLY & Louis-Joseph Francœur –
Armide (version réorchestrée de 1778)
→
Après l'Armide récrite par Gluck sur le poème de Quinault (1777),
Louis-Joseph Francœur (neveu du compositeur & ancien directeur de
l'Académie Royale, François Francœur) propose en 1778 une version de
l'Armide réelle de LULLY, avec des lignes mélodiques quasiment
inchangées (à quelques finals enrichis et interpolations d'aigus près),
mais une pensée orchestrale totalement transmutée, avec forme trémolos
et accents hiératiques postgluckistes. La métamorphose est totale, dans
le respect pourtant assez scrupuleux des lignes d'origine ! Une
très belle réussite, dirigée avec beaucoup d'urgence par Hervé Niquet…
L'occasion aussi d'entendre l'Armide de Véronique Gens !
Une notule complète avait été publiée à l'occasion du
concert correspondant.
J.
Williams – « John Williams in Vienna » – Wiener
Philharmoniker, J. Williams (DGG)
→
Très belle sélection de thèmes lyriques, pas seulement les plus
tubesques (thème de Marion de l'Arche perdue, thème d'amour de Star
Wars, thème seconde de Star Wars VIII…), dans des versions parfois
raisonnablement développées, et joués avec un entrain étonnant par les
satanés Viennois.
Très convaincu par ce millième disque Williams.
Borisova-Ollas – Angelus &
autres œuvres orchestrales – Stockholm RPO, Brabbins (BIS)
→
Par la compositrice d'un remarquable opéra Dracula récent, puisant à la
tradition tonale modulante post-straussienne, ici un Angelus plus
étale, jouant des tintinnabulements et autres effets ornithologiques,
très réjouissant dans la veine Alpensinfonisante.
Brahms
– Symphonie 4 – Chambre de Suède, Dausgaard (BIS)
→
Très vif, spectre volontairement discontinu, fonctionne bien, avec un
certain mordant / impact, tandis que les timbres sont assez peu typés
pour cette fois.
Smyth – The Prison (Chandos)
→
Quelques belles trouvailles (citations de marches militaires se mêlant
aux voix), pas une veine mélodique incroyable, mais de l'atmosphère,
indéniablement, et bien interprétée. Une belle réussite.
Wagner,
Götterdämmerug Duisburg, Kober–
→
Moins bien capté, moins superlatif orchestralement et prenant
vocalement / dramatiquement. que les précédents volets
(extraordinaires) Je crois aussi que l'œuvre persiste à moins me
convaincre, l'usage des motifs s'étant sophistiqué d'une façon qui
interdit largement les effets de transformation et d'écho (et le livret
étant ce qu'il est – vraiment pas bon).
Offenbach: Pomme d'api &
Trafalgar (Sur un volcan)
Magali Léger, Laconi, Barrard ; Kölner Akademie, Wilens (CPO)
→
Charmantes opérettes en un acte et à à trois personnages, avec des airs
assez loufoques (liste des tâches ménagères, éloge spontané du
beau-père…). Avec des chanteurs savoureux et un orchestre fin.
Verdi,
Sibelius – Quatuors –
Vertavo SQ
→
Très habité, belle poésie, vibratos délicats, mais pas de rupture
épistémologique et de lecture fiévreuse comme pour leurs Nielsen ou
Schumann.
K. Järvi – Nordic Escapes – Young
Baltica, LSO… K. Järvi (Modern Recordings)
→ Planant gentillet assez répétitif, avec des bouts de Tristan, de
Nielsen…
Beethoven
– Die Ruinen von Athen – Cappella Aquileia, Bosch (CPO)
→ Avec récitante, qui donne enfin la matière littéraire de la chose.
→
Exécution extrêmement vive, qui manque peut-être de l'épaisseur et de
la solennité étranges qui font le charme de cette pièce, à mon gré.
Whitacre, Dove, Stopford, Monteverdi, Bach –
After Silence 2 : Devotion– Voces8 (Decca, mars 2020)
→
Très beau, mais très homogène dans l'exécution, écouter plusieurs
albums à la suite, comme dans ce grand recueil de quatre albums
successifs enregistrés en neuf:mois, est un peu lassant, malgré la très
haute qualité !
Brahms
– Symphonies – Wiener Symphoniker, Ph. Jordan
→
La plupart du temps, pas du tout la nervosité nette de ses Beethoven,
mais une rondeur, une dpuceur qui peuvent paraître un peu molles au
disque (je suis persuadé que c'était très bien en salle), et puis, en
d'autres endroits, au contraire une lecture « pointe de
diamant », un Brahms, léger, vif, mordant… La chaconne de la 4 est
particulièrement révélatrice de cette dualité, toute de tendresse un
peu bonhomme, puis éclatant en fières incantations, déversant sa
virtuosité et son ardeur de façon tout à fait inattendue !
On
peut admirer la progression (je fus cueilli !) ou regretter que tout ne
doit pas au même degré de tension, selon l'humeur (ou votre camp).
→
J'aime beaucoup le traitement des mouvements lents, soulignants
détachés et accents, qui évite la mélasse immobile (mais je suppose que
d'autres trouveront cela trop interventionniste).
Gibbons, Byrd, Parry, Harris, Pärt –
After Silence 1 : Remembrance – Voces8 (Decca, novembre 2019)
→ Suspendu et limpide, très intensément exprimé comme d'habitude, dans
une très belle sélection.
Wagner,
Siegfried – Duisburger PO, Kober
→
Toujours un superbe orchestre très bien capté, ça ne change pas avec
Duisburg. Très belle distribution aussi : Rutherford, un des
meilleurs Wotan qu'on ait jamais eus, timbre élégant et mordant,
diction claire, autorité sans lourdeur vocale ; Linda Watson qui
vibre un peu mais qui dispose d'une maturité expressive
remarquable ; Siegfried très décent, qui mixe un peu et ne braille
pas trop.
→ Peut-être pas le degré de réussite de la Walkyrie,
mais un superbe volet, pour ce qui se dessine comme un des meilleurs
Ring du marché !
Rouse – Symphonie n°5, Supplica,
Concerto pour orchestre – Nashville SO, Giancarlo Guerrero (int-1)
(Naxos)
→
Librement inspiré de fragments de celle de Beethoven, Rouse manifeste
toujours le même sens motorique, qui tient en haleine, avec en sus des
suspensions diaphanes qui évoquent Herrmann…
commentaires
nouveautés : rééditions
Beethoven – Sonates – Backhaus
→ Pas vérifié si c'était I ou II, mais on ne fait pas vraiment plus
structuré, sûr et hardi. Incontournable si on ne connaît pas, parmi les
plus grandes lectures de ces pages.
autres
nouvelles écoutes : œuvres
autres nouvelles
écoutes : versions
Berceuses Corses XVIe-XIXe
harmonisées par François
Saint-Yves ; Ensemble Sequenza 9.3, Simonpietri (Souncloud)
→ Belles nappes riches pour accompagner les monodies, voix un peu
trémulantes.
Brahms
– Symphonie n°1, Liebeslieder, Danses hongroises – Chambre de Suède,
Dausgaard (BIS)
→
Très vigoureuse lecture, vive et ferme, mais le prix du disque réside
dans les Liebeslieder et Danses en version orchestrales, absolument
furieux et possédés, d'une insolence assez vertigineuse.
Borisova-Ollas – Symphonie n°1 –
Norrköping SO
Chabrier – Briséis – (Hyperion)
Offenbach – L'Île de Tulipatan –
Peyron (Malibran) Offenbach – La jolie
parfumeuse – (Malibran)
→ Charmant, et remarquablement interprété.
Chabrier – Gwendoline – Didier
Henry, Penin
ELGAR,
E.: Arthur / The Spirit of England / With proud thanksgiving / Carillon
(J. Howarth, LSO, Philharmonia, St Paul's ; J. Wilson)
→ Très agréable Arthur, à défaut d'être typé, musique de scène aux
aspects chambristes inhabituels pour Elgar.
Bizet
– Les pecheurs de perles (en russe) – Kazantseva, Lemeshev, Zahkarov,
All-Union RChbO, Onissim (Aquarius rééd. 2016)
→ Ces voix !
INGHELBRECHT, D.-E.:
Requiem / Vézelay (Corazza, Demigny, Eda-Pierre, Kruysen, ORTF,
Fournet) (éd. André Charlin 1966)
→
Requiem très sage et gentil, s'inspirant du plain-chant, antiphonies
entre solistes et chœur, en aplats méditatifs façon Messe de
Villerville. Les beaux éclats du Dies iræ (très fluide, mais tout de
même animé) sont lissés par la prise dea son un peu ancienne. Entendre
un baryton qui mixe (Kruysen), ça change l'expérience des gros bras
uniformes qui forcent.
→ Vézelay (uniquement instrumental) ne m'a
pas passionné : amusante citation de la Carmagnole pour illustrer
le mouvement sur les Croisades (!), mais rien de très saillant.
Air d'entrée de Riccardo :
¶ Savarese, Rossi (1959 chez MYTO)
Suoni la tromba en russe :
¶ Zakharov, Abramov ; All-Union RChbO, Stolyarov
JACQUET
DE LA GUERRE: Cantates bibliques / Pièces Instrumentales –
Poulenard,
Boulin, Verschaeve, G. Robert, Guillard, B. Charbonnier, Giardelli
(Arion 1986)
→ Interprétation sobre et élégante d'une vaste part du
corpus d'ECJdLG, des cantates toutes inspirées (dont quelques beaux
exemplaires à deux voix).
Barbara
– Drouot – Rikard Wolff (en suédois)
→ Perd de son pathétique.
Barbara – Drouot – Bruel
→ Accompagnement électronique + accordéon peu tonique.
Barbara – Drouot – Barbara
→ Finesse du trait, pudeur des accents.
Barbara – Drouot – Depardieu
→ Ne peut chanter, mais parvient à timbrer à l'ancienne dans le grave
en parlant, dépaysant et sympathique.
Aboulker, L'homme qui
titubait dans la guerre – Chœur Capriccio, Gardiens de la Paix, Jérôme
Hilaire (Hortus)
→
Simplicité ineffable de l'art d'Aboulker. Un petit bijou interprété au
meilleur niveau, comme beaucoup de volumes de la collection Grande
guerre chez Hortus.
ELGAR :
Polonia / Pomp and Circumstance Marches Nos. 1-5 (Hallé Orchestra, M.
Elder)
→ Belle version, bien captée et aérée.
Panufnik : Polonia Suite,
Polish RSO, Borowicz (CPO 2010)
→
Airs folkloriques entraînants traités de façon très fête-de-village,
assez réussi, surtout avec les petites modulations de relance.
Mouvement lent planant, final pétaradant et répétitif lui aussi.
Équivalent polonais des Pins de Rome ?
Messiaen,
L'Ascension – Litaize (Charlin rééd. 2009)
→
Version historique captée confortable à saint-François-Xavier, mais pas
le plus de saillances, de masses et de couleurs, clairement.
Paul Mealor, Gieilo, Lauridsen, Tallis,
J.Williams, Whitacre : Eventide – Voces8 (Decca 2014)
→ Planant adorable, dans des teintes translucides à l'anglaise par ces
anciens chanteurs du Chœur de Westminster.
Mendelssohn – Quintettes à deux
altos – Leipziger SQ (MDG)
→
Belles versions (en particulier du n°1), sobres et clairement captées.
On reste loin cependant de l'élan fabuleux (avec une aération spectrale
similaire) du Felix Mendelssohn SQ, chez BIS.
Elgar :
Polonia, Carillon, Une voix dans le désert et autres mélodrames de
guerre – Callow, Gritton, BBC Concert O, John Wilson (Somm)
→ Les
mélodrames patriotiques sont savoureux ; le reste est davantage du
Elgar très cordé et lyrique, plus traditionnel et prévisible. Belle
interprétation tendue et élancée, comme toujours, de John Wilson, avec
ce qui est pourtant l'orchestre le moins prestigieux de la BBC (celui
prévu pour les soirées grand public ou même le cross-over).
Strauss
– Quatuor, Métamorphoses – Leipziger SQ (MDG)
→
Le Quatuor est toujours une œuvre de jeunesse très simple, guère
profonde, mais servie dans une belle lumière. Métamorphoses
remarquablement lisibles et animées.
Elgar : Polonia – BBC Northern
Symphony Orchestra, Sir Andrzej Panufnik (Maestoso 2020)
→ Je découvre Polonia (par erreur, puisque ce poème symphonique a été
dirigé par… Panufnik), et je suis frappé par la foudre.
→
De gigantesques fugatos et marches harmoniques, dans un genre
inhabituellement hardi pour Elgar, fondés sur des thèmes polonais (airs
patriotiques, mais aussi Chopin et Paderewski) et construit sur des
transitions tétanisantes (la clarinette qui cite Chopin, se disloque
doucement tandis que la marche varsovienne reprend, grand effet !).
L'orchestration reste très cordée et doublurée, typiquement elgarienne,
mais le discours est impressionnant, très articulé et entraînant.
→
Le tout, sur le modèle du Carillon qu'il avait écrit pour la Belgique,
est dédié à Paderewski (alors installé en Amérique), et servit à
financer le Fonds de Soutien aux Victimes de Pologne.
→
Interprétation extraordinairement tranchante et saillante par un
orchestre britannique en théorie secondaire, qui assure ici un rang
majeur.
Beethoven –
arrangements pour quatuor de la Hammerklavier, des ouvertures de
Leonore (quintette) et Fidelio – Leipziger SQ
→ Quelle flamme… Fidelio est particulièrement bien servi, et la
Hammerklavier loin de s'effondrer ainsi !
Unsuk Chin :
concerto pour piano (Chung) (DGG)
Honegger
– Le roi Pausole – Barbaux, Sénéchal, Bacquier, Yarkar… Atelier
Philharmonique Suisse, Venzago (Musiques Suisses)
→
La fine fleur du chant français pour déclamer au plus juste les
dialogues et chanter les lignes vocales à pointre de diamant !
Les
irrésistibles dialogues rimés (totalement grivois) et la musique légère
mais légèrement épicée s'en trouvent magnifiés !
(bissé)
Agathe Backer Grøndahl : Piano
Music ; Geir Henning Braaten
Honegger
– Le roi Pausole – Spanjaard (Brilliant)
→ Il manque les dialogues si savoureux (et la compréhension de
l'intrigue). Rédhibitoire.
Zara Levina - Piano Sonata (1925) -
Eugene Soloviev
Zara Levina – Concerto pour
piano n°1 – Lettberg, RSO Berlin, Matiakh (radio)
Ibert
– cycle Don Quichotte – Henk Neven
Ibert – cycle Don Quichotte (la mort) – Chaliapine
Ibert – cycle Don Quichotte (la mort) – Duhamel
Ibert – cycle Don Quichotte – Bastin
Jolas : Quatuor VI 'avec
clarinette', Ensemble Accroche Note«
Szymanowska: Piano Works par Anna
Ciborowska (DUX)
→
Splendide interprétation pleine de fermeté et de nerf, magnifiant des
affects forts pour une musique qui pourrait être pensée comme « de
salon ».
Afanasiev, Rimski, Rachma, Borodine –
Quatuor « Volga », pièces pour quatuor, Quatuor n°2 –
Leipziger SQ (MDG)
→
Le quatuor d'Afanasiev est fondé sur des thèmes russes et / ou
ukrainiens célèbres, de façon très persuasive. Il ne triomphe pas dans
la rigueur germanique du développement, mais travaille ses thèmes sans
se contenter de superposition rhapsodique, réellement intéressant !
→
Très clair, net et lumineux, mais réussissent vraiment l'ambiance
(façon Franz Schubert SQ pour Tchaïkovski, mais en plus folklorisant,
vivant, frémissant, le décalage stylistique s'entend dans les timbres,
absolument pas le style, irréprochable et généreux).
Andrzej Panufnik – Sinfonia Sacra –
Concertgebouworkest, Panufnik
→ Pétaradant, pas très original, tonalité un peu triste.
Giya Kancheli - Symphonie No. 5 –
Tbilissi SO, Djansug Kakhidze (CUGATE)
→
Mêmes recettes que précédemment. L'usage du solo de clavecin est
amusant, sinon on retrouve la tension et les interruptions de la
Troisième, en un peu moins réussi.
Giya Kancheli - Symphonie No. 4 –
Tbilissi SO, Djansug Kakhidze (CUGATE)
→ Assez pénible, tension sans but aux timbres plutôt désagréables. Long
et guère raffiné.
Giya Kancheli - Symphonie No. 3 –
Tbilissi SO, Djansug Kakhidze (CUGATE)
→
Symphonie n°3 entre aplats et contrastes brutaux, assez saisissante et
impressionnante (orchestration très performante) à défaut de réel
discours.
Roy Harris: Symphonies Nos. 2 & 3 –
Auckland PO, Letonja (Naxos)
→ La 2 sorte de cantate avec soprano plutôt réussie, la 3 d'un
syncrétisme déhanché et vibrillonnant assez jubilatoire !
(la 3 bissée)
réécoutes
œuvres (dans mêmes versions)
réécoutes versions
Avenue Beat - Lowkey
Fall 2020
Brahms –
Chaconne de la 4
¶ Wiener Sphkr, Ph. Jordan
¶ NDR, Wand
¶ Berliner SO, K. Sanderling
¶ Winterthur, Zehetmair
¶ Berlin, Rattle
¶ Chicago, Solti
¶ Tapiola, Venzago (première écoute !)
¶ Helsingborg, Manze
LULLY – La Grotte de
Versailles – Hassler, Reyne (Accord)
d'Indy – Fervaal – Schønwandt (radio)
d'Indy – Fervaal – Berne (radio)
Chausson – Le Roi
Arthus – Armin Jordan
Cherubini, Requiem en rém,
Markevitch (DGG)
Holmès – poèmes
symphoniques – Rhénanie-Palatinat PO, Samuel Friedmann (Naxos
Patrimoine)
→ Wagnérien en diable, mais très réussi.
Cherubini, Requiem en utm, Spering
(Opus 111)
Cherubini, Requiem en utm, Grünert (Rondeau)
Wagner – Ouvertures Polonia, Centenaire
Américain, Rule Britannia, Kaisersmarch – Hong-Kong PO (Macro Polo)
→ Grosse fanfare sans grand intérêt.
Dinorah, final du II : Judd,
puis Opdebeeck
Czerny – Variations sur
la Molinara de Paisiello – Consortium Classicum (MDG)
→ Particulièrement roboratif (et puis l'alliage
clarinette-cor-violoncelle !).
Beethoven – Quatuors 3, 6 –
Leipziger SQ (MDG)
Czerny – Nonette –
Consortium Classicum (MDG)
→ L'œuvre (et l'interprétation) demeure toujours ce miracle de grâce.
Quand Czerny réussit, il ne le fait pas à moitié (cf. Symphonie n°1 par
rapport aux autres…).
→ Gold MDG se trouve enfin en flux ! Beau catalogue, toujours
excellent interprété (van Oosten, Leipziger SQ…) et enregistré !
Beethoven – Quatuors 4, 1 –
Leipziger SQ (MDG)
→ Intégrale d'une lumière irradiante, d'une maîtrise technique absolue,
capté dans une clarté parfaite des plans. Tout en haut de ce qui se
fait de mieux, et étonnamment toujours dans cette sorte de sourir aux
lèvres.
Bissé le 4 (pris très vif, cela fonctionne étrangement bien).
Nowowiejski :
Symphonies n°2 & 3, Poznan PO, Borowicz
→ Déception à la réécoute : grandes masses brillantes mais tristes
pour la 2, plus tournée vers la fanfare ou un antique folklore rêvé,
pour la 3. Pas extraordinairement subtil, malgré la variété des
alliages et l'incontestable respiration du spectre sonore.
liste
nouveautés : œuvres
liste nouveautés :
versions
écoutes à (re)faire
schmitt mélodies
MONTÉCLAIR, M.P. de: Beloved and Betrayed - Miniature dramas for Flute
and Voice (C.H. Shaw, Breithaupt, Les Ordinaires)
schmitt symphonies paavo järvi frankfurt rso
jarry grand
jeu versailles
barber sonata kenny
copland sonata
trauermusik haydn
voces8 marcello
bononcini :
pathodia sacra e profana ; auvity
elgar RVW vln pia, chandos (jen pike)
moscheles, complete piano sonatas
siglo de oro music paolo cherici
marteau quatuors cpo
gassmann airs cpo
turkish piano trios
wolf-ferrari : die vier grosslane
music for a viennese salon dittersdorf
tchaïkovski souvenir de florence
kavakos (verbier)
beethoven songs bostridge pappano (warner)
williams in vienna
osorio french album
polonia panufnik
Silvestrov
symph 7
pals orchestral works
zajc zrinski
kunc Lhotka, quatuors
picchi canzoni
devienne trios par le petit trianon
musik zur tragödie sophocles
piano works israeli composers
marteau string quartets
sperger orchestral
kozeluh trios
oscar straus piano concerto triendel
kapustin & schnittke runge capriccio
rachma vcl sonata harrell
(verbier)
respighi triptyique romain, john wilson (Chandos)
chosta trio 1 jansen (verbier)
franck quintette hamelin (verbier)
haendel concerti grossi ASMF iona brown (Hänssler)
nowowiejski org
comala
tout gold MDG : leipziger (gade, sibelius, schoeck), consortium…
Envie d'écouter Aida.
Préparant une notule qui expliquera en quoi Mario Del Monaco est le le
meilleur ténor de sa génération – sur le plan musical (quelques spoilers ici)
–, et dans une période glottocompatible, je choisis un disque où il se
trouve dans sa
prime jeunesse : Mexico 1951. Je n'avais jamais réussi à finir cette
bande de très mauvaise qualité, surtout célèbre pour de mauvaises
raisons – l'affaire du
contre-mi-bémol.
Mais désormais, on en trouve des sources ou restaurations très valables
:
la bande publiée par le label-phare de tout glottophile wagnéro-verdien
qui se respecte, MYTO, se révèle aussi confortable que n'importe quel
pirate du rang des années soixantes. Un brin de saturation et assez
peu de détail dans l'orchestre, mais honnêtement, c'est la norme radio
à peu près partout dans le monde avant les années 70.
Je me plonge donc dans l'écoute, en commençant par le sommet
(subjectif, sans doute) de la partition, pour ne pas dire de tout Verdi
: l'enfilade de l'acte III «
du Nil ». Chœur hors scène, romance, puis l'effectif enfle : duo de
dispute soprano-baryton, substitution du ténor pour un faux duo
d'amour, trio de réunion où la superposition des deux partenaires
masculins révèle la trahison involontaire, et strette finale
(intervention de la mezzo, orchestre déchaîné, réplique qui claque du
ténor). Implacable, et s'y déploient une veine mélodique, une concision
dramatique, une harmonie inhabituelle (faute de traces archéologiques
de modes musicaux égyptiens, Verdi a opté pour une couleur modale
originale, qu'il n'utilise dans aucune autre œuvre), qui se conjuguent
de façon assez fulgurante.
[[]]
Extrait du duo père-fille. Giuseppe Taddei, Maria Callas, Opéra
de Mexico, Olivero de Fabritiis.
Je regrette de ne pas pouvoir honorer le souffleur avec son nom
– je me rattraperai dans une future notule, déjà bien avancée, incluant
également Callas, et déjà nommée Suggeritore superstar.
J'y admire Giuseppe Taddei : mozartien si tranquille (ce Guglielmo un
peu transparent, ce petit Leporello étroit qui chante du nez pour faire
semblant d'être drôle…) qui se révèle à chaque fois dans les grands
emplois, du Hollandais (en italien) à Scarpia… en passant par cet
Amonasro d'autant plus terrible qu'il est dit avec l'assurance et la
netteté d'un gentilhomme – mais un gentilhomme fâché, assurément.
Je ne
crois pas avoir entendu mieux dans ce rôle, tout simplement, combinant
à ce point l'éclat vocal et la rigueur de la musique & des mots.
--
Arrive la fin de l'acte. J'entends un changement de piste. Sérieusement
?
[[]]
Trio et strette finaux de
l'acte III. Maria Callas, Mario Del
Monaco, Giuseppe Taddei, plus tard Oralia Dominguez.
J'ai délicatement conservé le track
gap entre les pistes, ainsi vous ne manquerez pas les aigus – ne
me remerciez pas, c'est tout naturel.
Hé oui, ils connaissent bien leur marché, chez MYTO : afin de
satisfaire la glottophilie purulente de leurs acheteurs, ils ont mis de
côté les 30 secondes de la fin de la strette (applaudissements pour les
20' suivantes), le moment où le ténor claque ses trois la naturels –
donc exactement la hauteur où la voix brille le plus, sans être
contrainte par la hauteur périlleuse d'un si, mais avec la tension un
peu surnaturelle de la hauteur qui demande une technique sophistiquée.
L'aigu le plus spectaculairement timbré. Et alors, attaqué à cru, tenu
comme cela sur des valeurs longues, répété sur plusieurs voyelles, dans
un grand coup de menton dramatique, et quasiment sans orchestre… il a
tout pour susciter quelques réactions physiologiques violentes chez les
glottophiles les plus réceptifs (cris, larmes, spasmes, turgescences
diverses).
[[]]
La réplique de Del Monaco : « Grand Prêtre, je reste en ton
pouvoir ! ».
Avec ce gros point d'orgue non écrit.
De fait, Del Monaco en fait des caisses, et nous livre généreusement
les trésors de ses résonateurs voûtés.
Mais tout de même ! Couper, pas même à la strette (l'interruption
du trio par la mezzo), mais vraiment juste avant les aigus, sur une
piste à part, pour qu'on n'ait pas besoin d'écouter tout le trio, ou
pouvoir se le repasser à l'infini en détaché… Ils ne font pas semblant
de croire que leur public s'intéresse au théâtre (ou à la
musique).
Interdit, je parcours alors les pistes et… ils ont osé.
Non seulement la présence de la contre-note est incrustée dans le nom
de la piste (!), mais celle-ci se trouve à l'intérieur d'un chœur, même
pas coupé à une respiration, vraiment à la barbare, juste avant le
contre-mi, pour qu'on puisse se le repasser en boucle ou ne pas avoir
besoin de se farcir toute la musique inutile qu'il y a autour.
Bienvenue, profanes, au Glottostan.
--
Il faut donc que je dise, un peu contre mon gré, quelque chose de ce
contre-mi. Je suis même allé pour vous, lecteurs révérés, jusqu'à
m'aventurer dans les redoutables biographies de la chanteuse, pour
vérifier la cause de cette interpolation – je savais bien que le
contexte en était sulfureux comme une légende maudite.
Et, croyez-moi, le voyage chez les biographes de Callas est quelque
chose que vous ne voulez pas faire – à base de tirades sur sa
perfection comme femme, comme archétype, comme beauté même, faisant
coïncider sa beauté comme personne avec un extérieur beau à l'occasion
du régime le plus important pour l'histoire de l'Humanité, nous dit
Pierre-Jean Remy. J'ai trouvé des choses plus factuelles chez les
anglophones, mais les informations les plus détaillées, je les ai
finalement déterrées chez des fanboys
non publiés mais un peu plus méticuleux, d'après sa correspondance
notamment.
(aparté)
Pour moi qui considère Callas comme une très bonne chanteuse de son
temps parmi plein d'autres, pas forcément meilleure, selon les œuvres
et les soirées, que Tebaldi, Tucci, Cavalli, Olivero, Carteri, Gencer,
Curtis Verna, Pobbe… je dois avouer que cet ésotérisme, ce luxe de
détail, ces dizaines de monographies, et surtout la fascination sans
réserve de mélomanes très informés (parfois même du type critique et
suspicieux) me laisse tout à fait désarmé. Elle chante, quoi. Plutôt
bien, oui, plutôt différemment certes, mais en faire la source du style
juste, de l'élargissement du répertoire (huhu), de la subtilité
(sensibilité textuelle indéniable, mais davantage dans le surlignage de
ce qui est déjà écrit que dans l'animation d'un quelconque sous-texte),
voire de toute émotion, voilà qui passe complètement ce que mes radars
sont en mesure de percevoir.
Je suppose que, à la marge, le succès nourrit le succès, et qu'entre
l'effet « premier contact » / « première version » pour beaucoup de
mélomanes et la quantité de témoignages aisément disponibles, on finit
plus facilement par rencontrer quelque chose qui nous plaît – si elle
n'avait pas cette réputation, j'en serais peut-être resté à ses
Norma-Violetta-Tosca (qui ne m'ont pas plus impressionné que cela) et
je serais passé à côté de ses Elvira-Puritani,
Amelia-in-maschera, Abigaille, Turandot, et d'une manière générale de
ses témoignages de jeunesse, tout aussi emportés moins systématiques et
apprêtés (les Gilda et Tosca de Mexico, la première Violetta de studio
avec Santini…). Pourtant, l'abondance de disques de Nilsson, Sutherland
ou même Fischer-Dieskau et Domingo ne provoque pas du tout le même
genre d'hystérie (ils ont des inconditionnels fanatisés, mais rien qui
puisse se mesurer au phénomène Callas).
Faute d'y trouver des raisons proprement techniques (même ses
biographes soulignent, souvent abusivement, comme pour montrer qu'il
leur reste une pincée d'esprit critique, la dissociation de ses
registres, que je ne trouve pour ma part ni gênant ni si criante par
rapport avec à peu près n'importe quelle autre soprane aux prises avec
les tessitures spinte) ou
d'en ressentir la puissance, je suppose que, tout simplement, elle est
entrée en résonance avec une époque, une attente collective. Mais je
n'ai pas de réponse, en vérité.
Upside : ça me procure une réserve infinie de trolls et
provocations pour Twitter ou les dîners en ville. « Oui, Callas est
excellente, c'est même parfois presque aussi bien que Floriana Cavalli.
» Ça ne rate jamais.
Je vous résume donc la situation avec toute l'impartialité de ma
situation d'amateur réel mais tempéré.
(La genèse féerique et merveilleuse du
grand Contre-Mi de Mademoiselle Callas)
Callas remporte à la fin des années 40
de grands succès à la Fenice de Venise (Walküre en italien, Elvira dans les
Puritani) et se voit
embauchée
à Mexico, en 1950, pour une Aida.
Le directeur lui suggère d'emblée le contre-mi, qu'elle refuse –
apparemment sur des considérations stylistiques (légende dorée ou pas,
vous vous figurez bien que je n'ai pas épluché sa correspondance pour
le vérifier…). S'ils veulent des contre-mi, qu'ils l'invitent pour Puritani (qu'elle venait de faire)
ou Lucia (qu'elle n'avait pas
encore fait) !
Et puis viennent les répétitions et les premières représentations. Kurt
Baum, le ténor (dont des bandes témoignent, très vilaine voix engorgée
et manières de beuglard, mais manifestement bien sonore), rajoutait des
points d'orgue partout, sans suivre les directives du chef, et agaçait
tout le monde. C'est là que Callas fut, raconte-t-on, suppliée par
Simionato de lui clouer le bec avec un contre-mi retentissant (là
encore, véracité…). Tout le monde l'adora, Baum, qui était le seul à ne
pas le savoir prévu, jura (sans s'y tenir) de ne plus jamais rechanter
avec elle. Lors de la reprise de la production l'année suivante, elle renouvelle l'interpolation, cette fois avec Del Monaco,
qu'elle détestait. Elle écrit ainsi (au moment de représentations de Turandot
dans ces années) : « Il est si déplaisant… si jamais j'ai l'occasion de
lui bloquer des engagements, je le ferai très volontiers. ».
Vous voyez, elle sait donner de sa personne lorsque le bonheur de ses
semblables en dépend, en toute simplicité. Une héroïne des coulisses en
plus de la scène, toujours prête à rendre service s'il fallait vous défendre, ou sinon vous
venger. La bonté du soprano dramatique d'agilité éclate ainsi
performativement dans tout son bienveillant (quoique sonore) ramage.
Je vous laisse redécouvrir cette merveille.
[[]]
Là aussi, je vous ai conservé religieusement l'interruption du
changement de piste, pour faciliter votre imprégnation dans l'atmosphère
glottocompatible : on sait ce qu'on attendait, et ce qu'on obtient !
Plusieurs choses me fascinent dans ce moment. Je suis d'abord frappé
par la laideur de ce son (vraiment blanc, poussé, irrégulièrement vibré)
qui fait figure de Graal, de témoignage inespéré de la meilleure
chanteuse de tous les temps qui renvoie, par-delà les brumes d'une
captation historique, toutes ses devancières et successrices à leur
inanité presque embarrassante. On devine qu'il devait être réellement
puissant, greffé sur une voix large (et on sent bien toute l'assise de
l'émission qui soutient cette interpolation), mais quant à être
convaincu de sa souveraine supériorité, disons galamment qu'il demeure
une marge susceptible de souffrir le débat.
Ensuite et surtout, par l'absence spectaculaire de sensibilité musicale
de l'interprète. Outre qu'un aigu interpolé ne convient pas toujours à
la musique (il est plus logique textuellement, et Verdi était sensible
à ces choses, de faire culminer puis descendre un disperato amor que de le faire
éclater ainsi dans une montée triomphante sur des accords de triomphe
martelés), je peine à croire que l'Impératrice de la Glotte ait à ce
point manqué de connaissances musicales de base / de respect pour la
musique.
Réécoutez attentivement la fin – vous n'entendez pas comme une
dissonance ?
C'est que Callas tient son mi bémol aussi longtemps
que possible (supposé durer une demi-mesure, il dure deux mesures et
demie), alors même que les accords changent. Par deux fois, l'accord de
si bémol (qui ne contient pas la note mi bémol, mais la note ré,
distante d'un demi-ton, qui frotte
méchamment) passe tandis qu'elle tient imperturbablement sa note
(fausse, donc), et l'arrête même, à bout de souffle, avant le retour à
mi bémol (qui arrive juste après la capture de partition ci-dessous).
On entend clairement que quelque chose sonne faux, paraît déplacé,
dissonant. C'est juste Callas, en fait. Évidemment, nous avons tous
conscience du caractère ultimement sacré de la contre-note dans le
répertoire italien, et du devoir de la tenir le plus longtemps… mais au
point de ne plus du tout s'occuper de l'harmonie écrite par Verdi et de
la tenir alors que la musique change… Lorsqu'on lit ensuite les tirades
enflammées des biographies sur la musicienne hors du commun, l'esthète
visionnaire, le parangon de tous les musiciens, on peine à établir un
lien entre les deux observations.
Cela surprendra moins les wagnériens, qui ont pu sentir dans sa Kundry
l'étendue des limites de sa compréhension de la musique –
clairement une chanteuse plus qu'une analyste ou même une oreille
attentive à l'orchestre.
--
Je m'en voudrais néanmoins de paraître vouloir dénigrer Callas (j'ai
déjà dit pourquoi, pour ces raisons et d'autres, comme sa relation-stabilo aux textes, elle
ne figure pas parmi mes chouchoutes absolues), dont je respecte au
demeurant les dons vocaux et l'engagement dramatique ; aussi,
conformément aux recommandations de mon adjoint à la sécurité aux
personnes, je vais bien pesamment souligner qu'elle n'est pas la seule
à faire un peu n'importe quoi dans ce final du Triomphe.
[[]]
Dès le début, le chœur (d'hommes !) (à l'unisson !) n'est ni ensemble,
ni avec l'orchestre, et ce flou s'étend à tout le passage. Callas &
Del Monaco, quant à eux, choisissent à la reprise (1'05), au lieu de
respecter les indications de Verdi (tout le monde démarre piano et
enfle progressivement pour la reprise du chœur de triomphe doublée des
lignes contrapuntiques des solistes déjà énoncées – tout cela est très
finement écrit) d'octavier leur si bémol en le hurlant le plus fort
possible, de façon à détruire l'effet suspendu de la transition et à
détourner l'attention de la très belle l'entrée simultanée des deux
thèmes. Des gorets glottiques.
J'aime au demeurant beaucoup ce que fait Olivero de Fabritiis,
dramatiquement, dans cet enregistrement ; très vivant, avec un vrai
sens du grain rugueux, mais pour ce qui est de tenir les chanteurs, on
sent clairement que ce n'était pas inscrit dans le contrat.
On glose souvent sur les mérites comparés des époques, mais en matière
d'orchestre, on n'accepterait pas ce degré d'imprécision de la part
d'un orchestre professionnel de petite ville, aujourd'hui. (Bien sûr la
précision n'est pas tout, mais l'opéra italien d'alors, jusque dans les
grandes maisons, est quand même assez impressionnant de ce point de
vue.)
En tout état de cause, ce découpage de piste qui m'horrifie (et que
j'ai voulu partager avec vous) ne m'empêche pas de bien aimer la
posture du label MYTO : lorsqu'il vous vend de la glotte, il ne fait
pas plus semblant de croire que vous aimez la musique que Playboy ne prétend
concurrencer Nature.
À bientôt pour Suggeritore superstar
et autres aventures au pays merveilleux des amygdales surexposées !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Glottologie a suscité :
(→ voir aussi la notule sur la rupture de Rigoletto)
1.
La place de Nabucco
Nabucco, bien que le troisième
opéra seulement de Verdi, demeure l'un
des plus originaux de
son auteur ; certes, c'est déjà 1842, il a dans les 29 ans lors de la
création, et Meyerbeer, Marschner, avaient déjà triomphé dans des
formats autrement complexes. Néanmoins, à l'échelle de l'Italie, son
œuvre est complètement différente de ce qui s'écrivait alors –
essentiellement, pour le peu auquel j'ai eu accès (et je jurerai donc
de rien, je suis trop souvent amené à dire qu'à force de se cantonner à
quelques compositeurs, les histoires de la musique véhiculent
facilement des représentations trompeuses du goût musical du temps),
des opéras belcantistes, avec de grandes cantilènes aux mélodies très
conjointes, des enchaînements harmoniques simplissimes, peu de
modulations, des récitatifs assez banals, un rythme dramatique très
lent, tout l'intérêt tournant autour des airs suspendus ou emportés, et
peu d'ensembles.
Nabucco est presque tout
l'inverse, et a dû stupéfier le public à un point qu'on ne mesure pas,
un peu comme Cadmus de LULLY
ou la première Iphigénie de
Gluck.
∆ La forme en
est assez originale :
→ sujet biblique, un fait pas
inédit mais rare à l'Opéra en
ces temps, et celui-ci, la destruction du Temple et la déportation à
Babylone, en particulier ;
→ intrigue très fragmentée,
répartie dans beaucoup de lieux
sur des durées assez courtes, deux tableaux par acte, souvent dans un
jeu intérieur / extérieur ;
→ ambiance monumentale et
lieux très fastueux (le Temple de Salomon, les appartements de
Nabuchodonosor, la ville de Babylone…) ;
→ pas d'intrigue amoureuse (le
triangle amoureux est expédié en un duo de moins de cinq minutes à
l'acte) ;
→ beaucoup de scènes de foule,
d'ensembles vocaux ;
autant ils étaient depuis longtemps la norme dans le genre bouffe,
autant dans le genre sérieux, on privilégiait d'ordinaire airs et duos,
alors que cette partition déborde de scènes récitatives foisonnantes,
de grands chœurs assez travaillés, et d'ensembles concertati où tous les solistes ont
leur partie thématique !
∆ L'écriture musicale se démarque aussi
totalement de l'habitude :
→ Certes, on retrouve les airs bipartites en cantilène
/ cabalette (récitatif du personnage, cantilène méditative, scène
récitative où l'action avance, cabalette exaltée ou furieuse énoncée
deux fois, avec une petite intervention vaine de l'assistance
entre les deux itérations), mais d'une part ils ne représentent qu'une
minorité de la partition – pas d'air pour le ténor, un air de forme AA'
seulement pour la jeune première (qui n'est qu'un rôle secondaire) – ,
d'autre part ils sont vraiment
différents. Que ce soit par l'accompagnement (la prière de
Zaccaria) ou par le type d'ornement (premier air d'Abigaille, air de
Fenena).
→ L'accompagnement orchestral,
sans constituer une part essentielle, procède de formules assez
variées. Par ailleurs Verdi y ajoute quelques détails personnels : le couple cymbale-grosse caisse
(qu'il abandonne heureusement dans les opéras suivants éloignés du
prétexte du faste assyro-babylonien), l'usage
inhabituellement étendu et thématique des
trombones (à commencer par le choral des premières mesures de
l'Ouverture !), le cor anglais solo
qui dialogue avec Abigaille à la fin de l'ouvrage (procédé qui n'est
pas inédit, mais dénote un effort), et surtout cet incroyable accompagnement à six violoncelles
de la prière de Zaccaria, qui témoigne d'une réelle réflexion sur le
son, et offre des lignes plus contrapuntiques qu'à l'ordinaire –
contrairement à la légende, Verdi a travaillé à l'orgue sur l'écriture
de fugues durant toute sa formation… il n'a rien d'un génie mélodique
spontané mais inculte, comme en attestent, plus tard, certains
ensembles particulièrement riches du Requiem ou de Falstaff.
Et dans tout cela, je n'ai pas mentionné l'évidence et la véritable
raison pour laquelle l'œuvre s'est toujours maintenue au répertoire : sa veine mélodique irrésistible,
quasiment au sommet à chaque instant… Et jusque dans les scènes intermédiaires et
les récitatifs.
La preuve, mes moments fétiches ? L'entrée des Prêtres venus
proposer un pacte à Abigaïl, la malédiction des Lévites sur le traître
Ismaël, les quelques paroles après le foudroiement de Nabucco, et la
toute fin après la mort de la méchante… Des bouts de récitatifs et
d'ensemble, très courts, mais à la prégnance incroyable. Qui n'excluent
nullement l'attrait des airs eux-mêmes, fulgurants aussi (tous les airs
et ariosos de Zaccaria, la grande scène d'Abigaille, celle de Nabucco…).
Dès Oberto, son premier
opéra, Verdi a montré qu'il était différent,
avec en particulier une veine
héroïque, un sens de l'urgence dramatique et un relief des récitatifs
qui étaient inconnus jusqu'alors des compositeurs d'opéra italiens.
(Car l'héroïsme rossinien passait essentiellement par la virtuosité, là
où, chez Verdi, c'est la ligne mélodique et la mise en valeur de la
tension des aigus qui crée, de façon
à la fois plus hiératique et naturelle, cette impression de
puissance ou de lutte.) Dans Nabucco, il
offre déjà une œuvre qui ne ressemble
plus à aucune autre – avant de revenir pendant quelques années à
des formats plus « conservateurs » (comme Giovanna d'Arco, I Masnadieri, La Battaglia di Legnano…), d'où
émergeront progressivement des œuvres de conception de moins en moins
identifiable aux traditions belcantistes : Ernani, Attila, Macbeth, Il Corsaro, Luisa Miller et bien sûr Stiffelio (un monument à la hauteur
des trois suivants de la « trilogie populaire »).
Pour d'autres jalons, je vous renvoie notamment à la notule qui explore
en quoi Rigoletto
constitue une rupture assez radicale,
en réalité, avec tout ce qu'a été l'opéra italien avant lui. (Rupture
préparée, bien sûr, par ces opéras de Verdi à la recherche d'une autre
voie.)
2.
Une représentation (Rustioni)
Un petit mot sur le concert donné à Lyon et au Théâtre des
Champs-Élysées, la soirée n°40 de cette saison – puis quelques conseils
discographiques.
Amartuvshin Enkhbat Nabucco Anna PirozziAbigaille Massimo Giordano Ismaele Riccardo ZanellatoZaccaria Enkelejda ShkozaFenena Martin HässlerLe
Grand Prêtre de Belos Grégoire MourAbdallo Erika BaikoffAnna
Daniele Rustionidirection Orchestre de l’Opéra national de Lyon
Chœurs de l’Opéra national de Lyondirection
Christoph Heil
L'Orchestre de l'Opéra de Lyon
m'a toujours paru – peut-être parce qu'il joue beaucoup de répertoire
plus facile ? ou bien parce qu'il a été dirigé par beaucoup de très
bons chefs – plus virtuose et à son aise que l'Orchestral National de
Lyon (que j'aime assez, mais qui n'a pas le même relief).
Les Chœurs ne sont pas tout à
fait de la même envergure (pas beaucoup de brillant ni de couleurs ;
diction italienne un peu lourde sur les finales, à la française), mais
ils ont pour eux une douceur qui fait souvent défaut aux chœurs
d'opéra, et un goût de la nuance qui, la non plus, n'est pas la norme
dans ce répertoire.
Daniele Rustioni, outre qu'il
impulse une énergie considération à une partition qui ne peut que la
recevoir favorablement, fait preuve d'un soin infini à suivre ses
chanteurs, se tournant régulièrement vers eux pour vérifier où en est
leur rubato (puisque les
chanteurs, particulièrement dans l'opéra romantique italien, ne font
jamais vraiment les rythmes écrits…) et donner le départ juste à
l'orchestre, retenant ou animant du geste ses troupes pour coller
parfaitement à chaque phrasé du soliste. Il ne fait pourtant pas
qu'accompagner, et prend véritablement la peine de travailler les
lignes et les nuances à l'intérieur de ces figures qui, certes variées
par Verdi, ne sont pas supposées attirer l'attention. Et il ne le fait
pas ; simplement, dès qu'on y prête l'oreille, on y trouve toujours des
nuances très exactes, des phrases très délicatement articulées.
Grand chef de fosse assurément, et manifestement (pour ce qu'on peut en
juger dans l'accompagnement grande
guitare d'un Verdi de jeunesse) grand chef tout court. Voilà qui
donne encore plus envie d'aller entendre la superbe et rarissime Enchanteresse de Tchaïkovski – même
au disque, accrochez-vous pour trouver, surtout si vous voulez le
livret !
Du côté des chanteurs, superbe distribution sans faille et même de très
haute volée, avec le petit amusement que j'ai dû réévaluer tous les
protagonistes (que je n'avais entendu qu'au disque ou en
retransmission), qui sonnent assez différemment en salle !
Riccardo Zanellato est le
perdant de l'exercice ; basse que je suis toujours avec beaucoup
d'intérêt, et portant sur ses épaules le rôle finalement principal
(possiblement le plus présent, et en tout cas le seul héros), il semble
fatigué et chanter derrière un voile, largement concurrencé en volume
par l'orchestre. Les graves sont très audibles et naturels, le timbre
beau, mais le volume lui manque pour être toujours audible et conserver
sa majesté et sa préséance face aux autres chanteurs considérables qui
l'entourent. À mon avis enrhumé ou épuisé, si j'en juge par sa
prestation beaucoup plus assurée sur le disque capté avec Mariotti.
C'était superbe quand même ; juste un peu petit pour être
confortablement entendu (et les fa# un brin escamotés).
Anna Pirozzi aussi paraissait
moins définitive peut-être qu'en retransmission (mais le temps a passé
et je l'avais entendue dans des rôles plus inhumains), l'impact sonore
n'étant pas aussi perceptible ; pour autant, on est fasciné, surtout
lorsque la voix s'est bien chauffée, par la coïncidence assez exacte de
son tempérament avec le rôle : la virtuosité inhumaine sollicitée par
le rôle ne semble jamais réfléchie,
mais aller de soi, découler du personnage. Elle ose des contre-ut pianissimi,
dévale ses gammes gigantesques sans rien détimbrer en haut, ni en bas,
rien escamoter au milieu, et campe fièrement son personnage parmi les
plus combattifs de toute la littérature lyrique. La voix n'a pas
forcément un impact physique énorme, mais elle passe très bien et
épouse toutes les situations, l'élégiaque comme l'héroïque, avec la
même aisance. Le public, qui devait pourtant majoritairement la
connaître, était médusé.
J'ai été frappé, par ailleurs, par la ressemblance des médiums avec
ceux de Caballé (pas les graves, mieux timbrés que son aînée, ni des
aigus, plus francs et plus efficaces).
J'aimais déjà beaucoup Massimo
Giordano
en retransmission, mais ne lui trouvais pas une très belle voix. En
salle, c'est tout le contraire, de belles moirures sombres, rien de
cette charpente un peu blanche que je lui reprochais en l'entendant par
le truchement des micros ; certes, il emploie une lourde machinerie
pour une projection qui n'est pas colossale, mais l'entend bien, et
surtout l'artiste est d'une expressivité assez extravertie, procurant
un véritable relief à un personnage qui ne passe pas beaucoup de temps
en front de scène. On peut sans doute y trouver à redire
stylistiquement (tendance à chanter des notes plus hautes qu'écrites, à
ajouter des accents), mais le résultat est tellement juste en tant que
totalité chant & texte, que je n'aurai vraiment rien à retrancher
de cette incarnation.
Les remplacements sont souvent de bonnes nouvelles pour moi, les
vedettes pas toujours adaptées ou parfois fatiguées sont souvent
l'occasion de profiter de gens choisis pour leurs seuls talents vocaux
(Stikhina remplaçant Netrebko, Kaune remplaçant Harteros, Oropesa
remplaçant Damrau, etc.). En l'occurrence, vraiment pas.
Enkhbat incarne assez bien ce que je n'aime (ou n'aimais) pas chez
beaucoup de chanteurs chinois, coréens (ou en l'occurrence mongols),
qui semblent ne pas bien comprendre le principe de l'émission lyrique :
la voix est épaisse, mais reste en gorge, il n'y a pas de résonance
frontale, de clarté, de franchise du son. Ça fait viril / pâteux, mais
ça reste dans le corps (et pour ceux chez qui ça sort bien, c'est
agressif). C'est
dommage, parce que la culture lyrique s'est répandue dans ces pays et
on a désormais des titulaires qui maîtrisent très bien la langue, le
style, et l'esprit de la voix. Mais il y a peu de bonnes clefs
de fa
émanant de ces régions, pour l'instant. Les
retransmissions que j'ai entendues de lui ne font pas du tout envie…(Mais il y a tout le reste, l'œuvre, Pirozzi, l'orchestre,
Rustioni…)
Puis, à propos de Seng-Hyoun Ko :
Ah, lui justement je n'aime pas du tout,
j'y trouve vraiment les défauts de ces écoles, comme s'ils
reproduisaient la lettre de la technique (son non amplifié) sans en
comprendre l'esprit (mordibezza, squillo, chiaroscuro,
aperto-coperto, toutes ces
délicatesses de la théorie italienne). Enkhbat a un peu le même type de
couleur, mais semble aussi plus tassé (ce doit faire moins de bruit).
Ce n'était pas tout à fait un a
priori, puisque j'avais réellement écouté attentivement ce qu'il
produisait dans Verdi. Mais en vrai, en salle, son succès s'est
expliqué de façon éclatante – et je me soumets bien volontiers à la
publicité du ridicule afin d'illustrer le décalage qui existe chez
certaines voix entre le disque et la scène (ce qui explique une bonne
part des déceptions en entendant certaines vedettes du disque, ou
l'agréable surprise lorsqu'on découvre en salle une voix dont le succès
nous avait toujours paru un peu mystérieux).
Quoi qu'il en soit, dès l'entrée d'Enkhbat, j'ai au
contraire entendu une maîtrise de la technique italienne et du grand
style du belcanto comme peu
de chanteurs l'ont dans sa tessiture : voix sonore qui émane d'une
résonance équilibrée (pas très frontale, mais nullement en arrière),
égale sur toute la tessiture (en timbre comme en puissance), legato et longueur de souffle
infinis, attaques mordantes mais son qui reste doux (la fameuse morbidezza
!), du très grand art.
Quelques détails le séparent de la perfection :
l'italien, d'abord (accentuation correcte, mais voyelles floues et pas
totalement exactes, pas très expressif), l'homogénéité ensuite (la
conséquence logique de l'égalité absolue des registres, cela rend le
timbre plus monochrome et l'expression plus lisse). Pour finir, une
tendance, pour cette voix bâtie sur son médium, à blanchir dans l'aigu
(pas dans les grands aigus interpolés, totalement glorieux, mais dans
les fin de ligne des cantilènes). Vraiment minime. En réalité, jusque
dans ses défauts, le timbre, la technique et l'attitude générale m'ont
évoqué de façon frappante… Renato Bruson ! Pas mon modèle,
clairement mais tout de même un grand représentant de l'art du chant,
assez incontesté.
Il faut aussi aussi féliciter le metteur
en scène,
qui a assuré, dans une habile mise en abyme, l'illusion que les figures
historico-légendaires de Babylone se mouvaient sur le plateau d'un
théâtre, auprès d'un orchestre dont l'effectif épouse exactement celui
prévu pour l'opéra !
3.
Pistes discographiques
Afin de consoler ceux qui n'ont pu en être, il existe désormais une
grande version moderne dirigée dans le même style énergique et exact
que Rustioni (mais avec encore pl:us de finesse et de caractérisation,
je trouve), par Michele Mariotti
à Parme (2012, chez C Major, en DVD ou en CD). Avec Nucci qui fit
défection, Zanellato en meilleure forme, et Theodossiou en Abigaille.
Sinon, dans les témoignages plus anciens, le DVD de Nello Santi à Garnier en 1979 est
assez stupéfiant, et en CD il y a bien sûr Gui avec la toute jeune Callas
(1949) d'avant la tendance à interpréter au stabilo et les sons
gonflés, quelques coupures et un son moyen, mais un témoignage emporté
assez irrésistible. J'aime beaucoup aussi, dans cette génération, Previtali avec le méchant Silveri.
Autres témoignages qui ne visent pas à la subtilité mais convainquent
sans peine, Oren avec
Bruson à Vérone fonctionne très bien, et bien sûr le luxueux studio de Sinopoli (si l'on n'est pas
allergique aux cymbales).
Parmi les disques couramment disponibles, Gardelli et surtout Muti
manquent singulièrement d'entrain, surtout pour une partition qui
déborde de luttes et de fanfares !
La tradition majoritaire du chant lyrique provient de l'italien. Une
large partie de son vocabulaire aussi, et jusqu'aux concepts eux-mêmes.
La morbidezza constitueainsi une forme de sommet de la
culture italienne lyrique.
À partir d'une série d'exemples (très) sonores, un petit tour du
propriétaire.
1. Qu'est-ce que la morbidezza ?
La morbidezza est la qualité
de ce qu'on peut déformer, incluant une forme de douceur (on peut aller
jusqu'à « tendresse »). Le mot a été importé en français (et coexiste
avec son équivalent gallicisé « morbidesse ») à la Renaissance pour
caractériser les chairs de femmes, d'enfants et autres putti comme idéal
esthétique dans les peintures du temps.
En matière de chant comme de gâteaux lamorbidezza, c'est tout simplement « le moelleux ».
Je vous en propose un exemple particulièrement abouti, un
émerveillement qui a suscité cette notule.
[[]] Juan Pons dans le récitatif d'entrée
du Conte di Luna (acte I du Trovatore
de Verdi). Ici dans la production d'Oviedo en 1983 (une soirée
électrique dirigée par Boncompagni, avec Troitskaya, Obraztsova et
Carreras). J'utiliserai le même endroit pour faciliter les comparaisons.
Chaque note, et particulièrement l'aigu, est comme enveloppée dans une
gangue souple, une savoureuse patine. Pas une dureté. Cela tient,
certes, à
la couverture, mais la
morbidezza n'est pas ungeste technique défini,
elle désigne à la fois l'esthétique
de principe (produire un son
glorieux mais moelleux) et le résultat
(le fait d'entendre ce
moelleux). Cela passe en général par une égalisation du timbre et une
maîtrise du souffle, sans quoi la ligne paraît accidentée, et la morbidezza couronne l'ensemble du
processus : volumineux, éventuellement incisif, mais toujours rond,
jamais bruyant. Nous avons tous entendu de ces voix très sonores et
bien émises, mais dures, agressives… la morbidezza est précisément l'ajout
de cette maîtrise, cette rondeur.
On n'en parle pas si souvent pour souligner sa présence, mais elle reste un idéal en creux
pour les critiques – lorsqu'on reproche à un chanteur par ailleurs
admirable d'aboyer, de crier, de brailler… c'est qu'il lui manque la morbidezza, la cerise sur le
gâteau, le vernis qui, sur le pudding
de la sueur, du périnée libérée et du diaphragme courbé comme un arc,
vient placer le
fruit confit de l'élégance audible.
Il existe pourtant bien d'autres
façons de (bien) chanter, et des chanteurs illustres (même, on
le verra, de grands anciens
de l'Âge d'or) n'en ont jamais
fait usage : la morbidezza
est à la fois un mot et un concept
très italiens. Car elle pare nécessairement le belcanto,
et n'est pas aussi utile ni recherchée dans le répertoire allemand ;
dans le répertoire français, elle peut contrarier une articulation très
antérieure ; et chez les Russes, il existe aussi un moelleux, mais il
est assez différent, plutôt rejeté dans le pharynx, associé à une
manière de prononcer
les mots très différente, qu'il est difficile de comparer. Toutefois
cette convergence explique peut-être pourquoi, outre leurs voix
extraordinaires, les Russes ont si souvent été acueillis à bras ouverts
dans le répertoire italien, quelle que soit la qualité (souvent
effrayante) de leur italien.
Du fait de son histoire, puis du répertoire majoritairement apprécié du
public, la pédagogie du chant d'opéra repose largement sur les concepts
italiens, qui ne sont pourtant pas les seuls à être opérants –
même si beaucoup, beaucoup de professeurs (incluant ceux qui enseignent
tout sauf de la technique italienne…) le prétendent. La morbidezza en est un exemple
flagrant : pas essentielle sûrement, mais toujours perçue comme un
idéal, même lorsqu'on ne la pratique pas.
2. Différentes pratiques
du principe
Commencer en érigeant Juan Pons
en parangon du belcanto
constitue une insolence,
pour ne pas dire un troll,
dont je m'avoue assez satisfait. On le connaît mieux pour ses
enregistrements plus tardifs, plutôt dans le vérisme (en particulier
grâce aux films Zeffirelli-Prêtre). Voici un extrait de son Prologue de
Paillasse (dans un album avec
un orchestre régional espagnol) :
[[]]
Oui, c'est assez différent, les raucités sont audibles, et l'aigu ne
parvient pas à se « finir » de la même façon. Rien à voir avec
l'extrait que je vous ai proposé et qui était, vous en conviendrez,
assez extraordinaire. On croirait pouvoir se rouler à loisir dans ce
timbre… c'est ça, la morbidezza !
Autre exemple de chanteur qui, lui, n'a jamais disposé (du moins dans
la partie documentée de sa carrière) de cette qualité :
[[]] Željko Lučić,lors d'un concert, dans l'air de
Nabucco « Dio di Giuda » – je n'ai pas pu mettre la main sur son
enregistrement du Trouvère.
On perçoit très bien le grain gros, la façon dont l'aigu plafonne, dont
le timbre reste grisâtre, un peu poussé ou rauque. Cela lui impose un
aspect fruste qui dépasse le personnage et affecte même la technique :
les éclats comme la douceur lui sont difficiles – on me raconte que la
voix
n'est pas extraordinairement puissante, et cela s'explique assez bien
en
regardant le processus de plus près.
La voix reste un peu soufflée, un peu en arrière, et n'arrive jamais
jusqu'au point où il reste du potentiel, de souffle ou d'articulation,
pour arrondir le timbre en fin de course.
C'est typiquement ce type de chant, qui, de façon certes excessive,
nourrit les discours sur le déclin vocal. De fait, il est très rare
d'entendre, même chez des chanteurs mineurs, ce type de restriction
dans les bandes des années 50 et 60, je dois leur concéder cela. Cela
n'empêche pas Lučić de chanter fort honnêtement ses rôles de bout en
bout, mais il lui manque cette cerise sur le pudding.
N.B. : Cette partie de la
notule a été écrite il y a assez longtemps (un an ? deux ?), soit
avant que je n'aie entendu Lučić pour la première fois en salle… et que
j'y aie perçu tout le contraire de ce que laissent penser les
enregistrements ! J'ai au contraire entendu une voix assez
mincement projetée, mais avec un sens de la courbe vocale remarquable
et, sinon du grand moelleux, un lissage assez remarquable de toutes les
aspérités, une douceur plutôt extraordinaire. Amusant de constater, encore une
fois, l'écart entre l'enregistrement et la réalité en salle. Cela
n'enlève rien au demeurant à ce qu'on perçoit dans l'exemple ci-dessus…
simplement je ne peux assurer que ceux qui étaient dans la salle (ni le
prof de Lučić) aient perçu ceci, ce qui explique pourquoi il n'aurait
alors jamais cherché à le corriger !
2.1. (Bien) chanter en italien
sans morbidezza
Pour autant, il est parfaitement possible de produire un chant, sinon
totalement belcantiste, du moins parfaitement maîtrisé et adéquat, sans
recourir véritablement à la morbidezza.
[[]] Leo Nucci,version Muti 2000 – avec Frittoli,
Urmana et Licitra.
Vous l'entendez, Leo Nucci chante ici avec une certaine dureté qui lui
est habituelle : on perçoit avant tout le métal glorieux, et si toutes
les voyelles sont impeccablement timbrées (cette plénitude sur le [i]
de mel dice da quel verone est
éloquente sur la maîtrise d'ensemble),
le soin ne va pas du côté de la finition agréable, plutôt d'une forme
d'impact direct. On l'a beaucoup reproché à Nucci (qui s'est certes
incroyablement bonifié, chantant finalement peut-être mieux dans les
années 2010 que dans les années 80…), à qui l'on tresse désormais des
couronnes (à juste titre au demeurant), sans que son style ait
véritablement changé.
Il ne faudrait pas croire non plus que ce soit, vous l'allez voir tout
au long de ce petit parcours, un fait imposé par la perte de maîtrise
de techniques ancestrales : ces différentes esthétiques ont toujours
cohabité, même au sein du petit groupe des verdiens les plus célébrés.
[[]] Piero Cappuccilli,version Karajan vidéo.
Cet emblème du chant verdien des années 70-80 fait tout l'inverse de la
morbidezza
: du métal, un timbre assez gris, une recherche du son puissant, quitte
à paraître un peu dur – tout est timbré, bien sûr, mais de façon plus
athlétique que moelleuse. On recherche l'impact direct avant l'élégance
du son. (Là aussi, il a fortement
impressionné ses contemporains et je ne puis garantir qu'on n'ait
entendu autre chose en salle…)
[[]] Siegmund Nimsgern, Mehta en
1979 à l'Opéra de Tel-Aviv (remarquable pour sa prestesse et la
précision requise sur les traits orchestraux en général approximés).
Pour le plaisir, l'inimitable Nimsgern, l'inverse de tout ce que représente la morbidezza : chaque voyelle a sa
couleur (donc pas de fondu), chaque son a pour but de produire l'impact
le plus direct, quitte à ne pas être beau (contrairement à la belle
robe de chambre échancrée de la morbidezza,
qui laisse deviner la puissance sauvage sous cette patine élégante), et
le but ultime est la présence dramatique, quitte à pousser un peu les
sons, à cabosser la ligne (là où la morbidezza
assure au contraire une beauté optimale dans les paroxysmes les plus
sonores).
Au demeurant, je ne suis pas sûr que quiconque ait mieux les grands
barytons que Nimsgern… mais il se situe dans un univers frontalement
incompatible avec les principes de la morbidezza.
2.2. Quelques alternatives
esthétiques à la morbidezza
Et de tout temps, ces autres voies ont été creusées.
[[]] Josef Metternich,en allemand (version Schüchter /
Zanotelli).
Metternich appartient à une autre école (allemande), qui privilégie le
tranchant des attaques (effectivement stupéfiantes) à la rondeur du
timbre. Beaucoup de détachés, et une couleur parfaitement maîtrisée et
harmonieuse, mais qui irradie plus qu'elle n'enveloppe ; le même degré
de finition, mais pas la même philosophie.
[[]] Carlo Tagliabue, version
Previtali 1951 (avec Lauri-Volpi).
J'attends ou préviens quelques remarques sur la perte de maîtrise de
ces paramètres par rapport aux grands anciens – reproche qui n'a pas
vraiment de sens dans Wagner (sur les questions de technique pure,
peut-être, sur le style pas vraiment : Wagner a toujours été
inchantable, et chacun y fait peu ou prou ce qu'il peut !), reproche
qui est même
carrément à contresens pour Mozart… mais qui n'est pas dénué de
fondement pour Verdi (les chanteurs d'aujourd'hui, même les meilleurs,
on réellement moins d'aisance pour le beau chant sonore tout en force).
C'est un sujet passionnant en lui-même, auquel j'ai déjà consacré quelques notules, et qui en mériterait bien
d'autres : pourquoi ce changement, et, surtout, qu'est-ce qui change ?
[Spoilers :
→ l'utilisation de la voix dans l'espace public (de moins en moins
d'utilisation de la voix projetée avec les possibilités
d'amplification, aujourd'hui on prend le portable pour appeler
quelqu'un à l'autre bout de l'immeuble), par ailleurs assez mal vue ;
→ le changement de profil des chanteurs (plutôt des intellectuels,
jeunes diplômés de musique, littérature ou langues que des voix
naturelles) ;
→ l'influence du cinéma sur les idéaux vocaux (voix rauques
d'alcooliques maudits plutôt que voix claires de chanteurs napolitains…
Bogart, on ne devait pas l'entendre à vingt pas !), ;
→ la nécessité de chanter dans les langues d'origine (très diverses)
des œuvres
devant des publics qui ne les comprennent pas, pas facile de placer à
nouveau sa voix (lorsque les aînés chantaient parfaitement leur langue
et éventuellement une autre) ;
→ le placement de plus en plus arrière des voix, là aussi sous
l'influence des enregistrements (ce ne sont pas les voix les plus
antérieures ou nasales qui sonnent le mieux en retransmission, alors
que ce sont les plus efficaces en salle)…
→ l'évolution des salles (même les grandes voix, si on les entend dans
les grands Palais des Congrès plutôt que dans les théâtres à
l'italienne, l'impact n'est pas comparable) ;
→ le phénomène ne se limite pas aux chanteurs les plus en vue, mais
pour ceux-là,
les changements de lieux plus fréquents (décalage horaire, acoustiques
à apprivoiser, climatisation asséchante traîtresse…) doivent aussi
amputer leurs performances purement vocales ;
→ … ne sont pas étrangers au phénomène, je suppose.]
Donc, Tagliabue.
On entend clairement du moelleux, mais en fin de compte, sans doute du
fait de l'âge, plus guère de legato
(les sons sont vraiment disjoints entre syllabes), et l'on entend
d'abord le fond-de-sauce de la voix, l'assise un peu grise derrière le
timbre, plus qu'une rondeur véritable. Et l'ensemble demeure plutôt
clair et naturel, même s'il utilise la couverture. Donc morbido, mais pas plus que les
autres, en tout cas pas vraiment le témoin d'un âge d'or inaccessible.
[[]] Sherill Milnes, studio
Mehta.
Bien que l'excellence de sa carrière verdienne ne souffre aucune
contestation, Milnes n'est pas exactement un baryton-Verdi au sens
habituel de la nomenclature : moins d'assise et de noirceur, la voix
est surtout appuyée sur un métal très dense et brillant, et la douceur
des aigus se fait au moyen d'un allègement, d'une mezza voce
qui occulte les harmoniques dures, mais qui n'est pas à proprement
parler le fait d'une pâte moelleuse. Tout cela se trouve lié à la
nature même de la technique (et sans doute aussi au centre de gravité
de la voix, plus haut que ses confrères, ce qui ne l'autorise pas à des
fondus aussi voluptueux dans les médiums).
[[]] Aldo Protti.
La voix de Protti a toujours été un peu dur (ici, le vibrato est en outre assez accusé), et il ouvre
même ses sons dans le grave pour les faire claquer, le tout dans une
expression de méchant passablement énervé. Et pourtant, le fa3 de «
fiamma » témoigne d'une recherche de moelleux très aboutie – tout à
coup le son est comme complètement enveloppé, lissé, débarrassé de
toutes ses barbures, sans perdre en densité de timbre ni en éclat.
[[]] Ingvar Wixell.
Le cas de Wixell (un des très rares chanteurs d'opéra à avoir fait l'Eurovision) est intéressant : la voix
a toujours été ronde, mais instrinsèquement, sans la charpente des
vrais barytons-Verdi italiens – c'est pourquoi je trouve que parler de morbidezza n'a pas réellement de
sens ici. La notion s'applique à une surcouche apportée sur un
instrument par ailleurs très dynamique ; si la voix est en elle-même
douce, la notion perd de son sens (on ne parlera pas de morbidezza pour les ténors doux qui
mixent façon Howard Crook). Par ailleurs, ses voyelles souvent trop
ouvertes (en aperture linguistique, pas forcément au sens de la « couverture » technique) par rapport à la norme
italienne comme ses [a], ou antérieures comme ses [i], diminuent
l'impression de moelleux.
2.3. Vers l'idéal
[[]] Claudio Sgura.
Parmi les grandes voix italiennes d'aujourd'hui, un des barytons les
plus puissants du marché (parmi les rares à vraiment remplir le hangar
à paquebot de l'Opéra Bastille). La voix n'est pas morbida
à proprement parler, tout de même assez lourde et un peu dure, et
pourtant on sent bien la tendance à unifier, à amoindrir l'effet coup de poing de ce volume assez
monstrueux. On n'y est pas encore, mais le souci de cet idéal y est
néanmoins audible.
[[]] Paolo Silveri.
Davantage réputé pour son tempérament que pour ses qualités
belcantistes (surtout célèbre pour son enregistrement de La Gioconda aux côtés de Callas, où
il écrase par ailleurs le plateau de sa personnalité), Silveri surprend
ici par son esthétique paradoxale. En termes de style, pas de legato, chaque note est totalement
individualisée et séparée des autres ; et pourtant, en matière
d'émission vocale, même si sa réalisation est imparfaite, on sent très
bien cette homogénéité un peu duveteuse, en particulier dans le grave –
le timbre claque, mais n'est jamais agressif ni cassant, toujours comme
enrobé d'une étoffe qui en amortit les à-coups.
2.4. Morbidi eletti
« Les moelleux élus. »
[[]] Ugo Savarese, studio Erede.
Peu enregistré, Savarese combine ici à la fois une assise grave et
métallique très dense… et une pâte enveloppante, inégalement présente
selon les moments. On voit bien quel est l'idéal esthétique en tout
cas, à la voix charpentée, fort en impact et arrondi, élégant.
[[]] Giorgio Zancanaro,
version Bartoletti (avec Kabaivanska, Cortez et Bonisolli).
Chez Zancanaro, c'est plutôt la netteté d'attaques
presque cinglantes
qui prime, avec un son très net, certes arrondi par une couverture et une harmonisation des voyelles très
maîtrisées, mais qui ne recherchent pas en premier le moelleux – on
l'entend très
bien au début sur « ma veglia la sua dama » : aucune dureté, mais on
recherche clairement plus le mordant et l'impact, la netteté du trait
que le velours et le
confort sonore.
Pour autant, ces aigus et cette émission ne claquent
jamais avec dureté, jamais le moins du monde poussés ou criés, toujours
maîtrisés avec un confort incroyable : la morbidezza, c'est cela, le comble
de cet art qui consiste à produire beaucoup de son sans jamais paraître
fort, agressif, bruyant. Et
Zancanaro la fait paraître au second plan, tout en la pratiquant avec
plus d'art que quiconque.
La seule réserve technique que l'on pourrait faire
serait une petite limite dans la variété des dynamiques, les nuances
fortes sont rarement très fortes.
(Au demeurant, même morbidezza mise à part, Zancanaro
demeure un modèle esthétique assez fabuleux, justement pour
cette précision d'attaque, cette impression d'émission directe – alors
qu'elle est
maîtrisée au cordeau –, assez précieuse dans Verdi.)
[[]] Renato Bruson.
On lit souvent à quel point Renato Bruson est l'Élu des temps modernes
du belcanto. Comme Juan Pons, c'est pourtant assez peu audible dans la
plupart de ses enregistrements, les plus récents. Ici, comme chez
Tagliabue, on entend très bien la charpente (le « formant du chanteur
», le réseau d'harmoniques « de fond » qui soutient la voix et permet
de projeter de façon sonore et endurante), mais aussi en sus un vibrato
audible (et irrégulier d'intensité), et un timbre par endroit un peu
dur – ce qui est bien sûr allé en s'exagérant au fil des ans.
Couverture vocale très complète, très consciencieuse, c'est certain :
aucune voyelle n'est dangereusement exposée, toutes sont fondues dans
ce fond de sons [ö] un peu gris ; en revanche, le moelleux, cela paraît
beaucoup moins évident – l'homogénéité n'est pas la douceur.
Mais si l'on se dirige du côté de ses témoignages les plus anciens
(donc plutôt du côté des années 70, les années 80 révélant déjà un
timbre largement écaillé), alors l'émerveillement est complet :
[[]] Renato Bruson (bis)– air de
Macbetto « Pietà, rispetto, amore »
Beaucoup plus de clarté, et ici l'égalité se pare d'une enveloppe
infiniment souple et soyeuse, toujours douce et élégante.
[[]] Ettore Bastianini.
Tout le monde admire Bastianini qui, de fait, dispose d'une voix et
d'une technique assez parfaites – je le trouve néanmoins (ou plutôt
corrélativement) souvent un peu monotone de timbre et d'expression,
effet assez logique d'une émission d'une égalité parfaite. Pour autant,
il fend vraiment l'armure dans ses Germont (osant des allègements très
émouvants), et réussit très bien ses Comte de Luna, captés tard dans sa
vie et moins éclatants que ses enregistrements de jeunesse, mais plus
nuancés, et toujours d'une maîtrise souveraine.
Vous percevez ici tout particulièrement combien chaque son est arrondi,
poli sur toute sa surface, et malgré sa vigueur toujours comme
caressant. Morbidezza.
[[]] Mario Sereni – une de ses
nombreuses soirées captées du Met, celle-ci
lors de la prise de rôle in loco de
Corelli.
Nous arrivons sur la cîme : Sereni combine à leur degré ultime le
mordant de l'émission italienne et la rondeur permanente de l'émission,
tout en les maintenant au service d'un phrasé de la plus haute
incandescence, où la violence contenue des attaques et les caresses de
l'étoffe culminent en une sorte de fureur vaguement érotique.
Techniquement et
expressivement un des plus beaux sons qu'on puisse produire.
3. Honteux biais
méthodologiques
Vous aurez remarqué que j'ai essentiellement
sélectionné des Italiens. Pour quelle raison ? D'abord
pour que les questions de langue n'interfèrent pas trop dans
l'appréciation de l'équilibre général de la voix ; ensuite et surtout
parce que la notion me paraît vraiment liée, comme j'ai tâché de le
montrer, à une philosophie du beau
chant qui n'est pas celle d'autres nations – les Américains
goûtent mieux le métal pur (Richard Tucker était le plus absolu anti-morbido possible), les Français (et
Tchèques) émettent trop en avant et avec trop peu d'impédance (le son
rencontre moins de résistance pour sortir de la bouche) pour obtenir
cette texture-là, les Allemands sont davantage tournés vers
l'efficacité (formats dramatiques avant tout sonores, formats lyriques
avant tout souples), les Russes sont très ronds, mais par des voies
techniques complètement différentes, difficile à mettre en équivalence.
4. Effets morbides
Comme mes commentaires, essentiellement tournés vers les nomenclatures
techniques, mais aussi tout à fait ouvertement subjectifs quant à
l'appréciation du résultat, le laissent deviner : pour splendide que
soit la maîtrise complète de la morbidezza,
l'idéal en est tout à fait
légitimement débattable.
Sur le principe d'abord : pour
exprimer les tourments de personnages particulièrement exaltés des
grands opéras romantiques, le moelleux est-il vraiment le meilleur
truchement disponible ? Des voix plus franches, dures, façon
Tucker, Metternich ou Nimsgern, ne sont-elles pas plus indiquées ?
En tout cas, son emploi généralisé à
toutes les situations peut tout à fait être considéré comme une
recherche première du confort vocal et du beau son, alors que selon les
idéologies esthétiques, on peut être enclin à faire primer la variété
du grain, la clarté de diction, l'impact physique de l'émission, etc.
Cette fascination pour la
rondeur, lorsqu'elle se réalise de façon (souvent) mal comprise (car
négligeant beaucoup d'autres paramètres essentiels du beau chant de «
l'Âge d'or » des années 50), a sans doute sa part de responsabilité dans les
jolies voix qu'on aime entendre dans les studios mais qui, en salle, se
révèlent plutôt bouchées et en tout cas dotées d'un très faible impact.
(Longue) liste sur demande.
Évidemment, lorsqu'elles sont réalisées par des artistes de la trempe
de Zancanaro ou Sereni, maîtrisant tous les autres paramètres au plus
haut degré, que la voix fend l'espace tout en murmurant les mots à
l'oreille du public et en magnifiant les affects paroxystiques de la
scène, la question ne se pose pas. Mais
la morbidezza ne peut être que le couronnement d'une
technique vocale : posée sur un instrument moins que parfait,
elle ne sert à peu près à rien (car sans gloire), voire encourage les
mauvais penchants d'une émission trop en arrière (en bouche, ou rejetée
dans le pharynx, pauvre en harmoniques frontales, etc.).
5. Les secrets des glottes
Pour compléter le tableau ou éclairer quelques phénomènes auxquels je
fais référence dans cette notule, vous pouvez librement vous promener
dans les entrées consacrées aux questions de technique vocale à cet endroit de l'index (très partiel) du site.
Il faut en particulier distinguer la morbidezza
(ornementale, en quelque sorte) de la couverture
dont le rôle technique est fondamental (égaliser les voyelles, protéger
la voix dans l'aigu).
Voici pour cette notule promise dès longtemps – et dès longtemps
entreprise.
C'est qu'outre le temps de recherche, sélection & commentaire des
extraits, elle a été refaite à de multiples reprises, faute d'être
satisfait. Tout vient à point à qui lit chaque nouvelle entrée de CSS.
Estimés lecteurs, en attendant la prochaine livraison de notre Revue de
Glottologie, puisse la vie vous prodiguer sans compter ses plus suaves
morbidesses !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Pédagogique a suscité :
Récital écoutable intégralement, gratuitement et légalement ici
(sur ordinateur).
Après
avoir très vite commencé, en Bulgarie, par chanter les spinti (grands
ambitus de formats lyriques héroïsants, façon Tosca ou grands Verdi),
Yoncheva s'est fait connaître au grand public par le Jardin des Voix de Christie (où
elle chantait divinement nettement les formats baroques, aucune
grosseur…), puis plus largement en remportant Operalia (avec l'air du
Cours-la-Reine de Manon de
Massenet, lyrique assez léger), et il me semble que sa première grande
production vidéodiffusée à l'international furent ses Pêcheurs de Perles (miraculeux de
précision, là encore) à l'Opéra-Comique.
Mais dès que sa notoriété fut suffisante, la voilà (avec un vague
sentiment de trahison pour ceux qui espéraient en elle pour servir au
plus juste le baroque ou au minimum l'opéra français romantique)
retournée à ses premières amours, les
très grands rôles du très grand répertoire.
(Avec, à mon sens, une déperdition technique lors de cette transition
brutale : ce qui était parfait ne l'est plus vraiment.)
Et, de fait, on alterne entre le magnifique et quelques détails qu'il
est étonnant de laisser passer en studio (comme cet aigu crié dans «
D'amor sull'ali rosee»du Trouvère), pas très rassurant
considérant que l'évolution d'une voix dans les rôles exigeants du
romantisme tardif et sur les plus grandes scènes va invariablement dans
le sens du dérèglement progressif et du déclin, fût-ce lent.
Détail amusant, Yoncheva dit écouter peu de disques avant de préparer
ses rôles pour ne pas singer qui que ce soit, mais dans le bas-médium,
je trouve enfin la réponse à une énigme : Callas avait une voix bulgare
! À l'aveugle, c'est exactement le même timbre très arrondit et
un peu dans les joues dans certaines parties de la tessiture !
(Et, de fait, je n'y avais jamais songé, mais il y a quelque chose de
slave oriental dans l'enflement des sons de Callas. De pas italien du
tout, en tout cas, techniquement parlant.)
Pour le reste, très joli récital, très bien chanté, avec des airs rares
– mais pas vraiment intéressants… les points forts des Verdi de
jeunesse ne résident pas à vrai dire dans leurs airs de soprane. Pas
d'incarnation bouleversante à signaler non plus, mais j'ai déjà dit à mainte reprise combien l'exercice du récital d'opéra, a fortiori pour un disque en
studio supposé inonder le marché et préparer les directeurs d'Opéras à
ses prochaines prises de rôle, me paraît formel et finalement assez
éloigné de ce qui fait le prix de l'opéra – la fièvre de l'action, de
la déclamation, de situations fécondées par la musique.
C'est néanmoins de la très jolie glotte !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Carnet d'écoutes a suscité :
En ce moment, je me fais à moi-même des remarques profondes sur le
répertoire lyrique.
Vers
un opéra
de zombies ?
Ainsi, à l'heure où les compositeurs
ne savent plus écrire que de la musique de film d'horreur,
comment se fait-il que nous n'ayons toujours pas eu d'opéra de zombies
? Je suis sûr, en plus, que le relatif statisme de la plupart des
créatures imaginées, la tension avant tout psychologique (et
éventuellement quelques vidéoprojections honnêtement hémoglobinées)
seraient très adéquats pour cet art du temps distendu qu'est l'opéra.
Je vois très bien les hordes chorales s'installer progressivement par
strates (façon Ligeti / Hillborg
?), un orchestre d'abord fragmentaire s'épaissir progressivement (comme
dans Marche au supplice ou
les marches d'opéras tchèques, de Dalibor
à Rusalka), et le tout
déferler en décibels terrorisants, à la façon d'un climax de Lady Macbeth de Mtsensk.
Pas besoin d'une intrigue très évoluée non plus, le tout est d'éviter
les discours trop didactiques sur la marche du monde, les déductions se
font très bien tout seul…
Ce serait un opéra qui ne chanterait pas trop, avec peu de mots,
accessibles dans toutes les langues :
– Riiiiiiiiiiiiick !
Aaaaaaaaaaaaaaah !
– They are here / Sono qui / Ils sont là / Aquí están / De er her
/ הם
כאן !
– Oh no ! Gleeeeeeeeeeeeeeeeeeeenn !
Et propre à quelques répliques-cultes :
– Tu es mordu ?
– Oui. Ils sont les morts qui marchent. Je suis le mort qui parle.
(Messieurs les Gouverneurs de théâtre ou de cités idéales,
je suis disponible pour toute collaboration, mes tarifs sont modiques.)
Lorsqu'on parle d'ouvrir l'opéra
aux jeunes, à d'autres classes sociales que les aisées / éduquées, on
tient probablement là un biais plus sûr que les invitations de metteurs
en scène et producteurs de cinéma (branchés comme Hanecke ou plus
populaires comme Dayan), ni même en invitant un compositeur de cinéma
pour faire revivre un film (The Fly de
Howard Shore était un opéra remarquables, mais très cohérent avec les
codes du genre et de la musique du XXe siècle, peu accessible aux
novices). Même problème pour les films adaptés en opéra – que ce soit,
dans deux esthétiques diamétralement opposées, Il Postino
de Catán (rétro) ou The Secret of
Brokeback Mountain (atonal) : c'est avant tout un opéra inspiré
d'une source filmique, qui se pense d'abord comme un opéra.
Car, dans cas de l'opéra de zombies,
ce ne serait pas l'affiche qui varierait, mais son contenu même : non pas changer
l'habillage thématique de l'opéra comme on le faisait dans le seria en remplaçant Tarquin par
Pyrame et Renaud par Néron, mais son cahier des charges tout entier. Il
ne faudrait pas faire un opéra
qui parle de tel sujet, mais s'emparer d'une matière populaire pour la
faire vivre par le biais de l'opéra. C'est le type même de sujet où les
masses chorales, la tension musicale, la présence scénique, la lenteur
tournoyante des répliques d'opéra peuvent prendre tout leur sens, même
pour un public habitué à des rythmes beaucoup plus cavalcadants,
l'occasion de se poser, avant même de parler de langage, la question du
traitement musical du sujet.
(Ce n'est nullement un propos prosélyte, je dis tout cela tout en
demeurant plutôt perplexe devant la mode du film de zombie – une chose
à laquelle on ne peut pas vraiment croire désormais, et dont la
symbolique est un peu univoque. C'est surtout le prétexte pour poser la
question de l'écriture d'un opéra qui ne soit pas enclavé dans le genre
de l' « opéra contemporain » ni de l' « opéra néo / rétro ».)
Extrait du livret de l'opéra tant espéré.
De la même façon, on attend toujours l'opéra wagnérien fondé sur les motifs (et les intrigues) de Star Wars. Quel
terrain de jeu pour un compositeur qui accepterait d'abdiquer son style
propre pour épouver pleinement l'exercice ! Et quel succès
public, se figure-t-on… (Je vous laisse rêver la
distribution avec Netrebko en alderaanaise, Kaufmann en Dooku, Dohmen
en Vader, Domingo en Jabba, Fouchécourt en Yoda,)
Les compositeurs de film
manquent parfois de sens de la structure pour réussir les opéras, mais
dans ce genre du renouveau pensé hors de la tradition exploratrice du
XXe siècle (ou de l'imitation du XIXe), l'un des plus convaincant est
pour moi Marius et Fanny
de Vladimir Cosma. L'opéra est bâti en séquences fermées, dans un
langage tonal un peu naïf, mais il s'empare de la couleur de son sujet
avec une fraîcheur qui lui correspond directement, au lieu de lui
imposer telle grammaire propre au compositeur.
J'avais déjà essayé de tirer, sous un autre angle (plus attaché aux convergences
des compositeurs de film dans ce répertoire), quelques lignes de force
autour de cette question. Mais je me dis qu'il y aurait vraiment, même
avec un compositeur qui ne soit qu'un habile faiseur, l'occasion de
proposer des opéras marquants et surtout à nouveau accessibles – ce qui
n'est plus guère le cas d'une large part du répertoire depuis… Wagner
(et de moins en moins au fil des décennies, il suffit d'observer le
nombre de lyricophiles qui s'abstiennent lors des créations, même ceux
qui ne sont pas rétifs aux langages du second XXe).
À quand le grand opéra-spectacle Glotte
of the Dead, ou
l'oratorio Singing in the Dead ?
J'attends.
Nabucco, opéra uchronique
En réécoutant l'œuvre, l'un des Verdi les plus aboutis (dans la période
pré-Rigoletto, Il Corsaro et Stiffelio sont aussi des
chefs-d'œuvre étonnants et, eux, assez peu représentés !), je me fais
une autre remarque pénétrante.
On commente les contre-choses et les volumes vocaux nécessaires,
l'agilité et la puissance d'Abigaille, sa propension à rompre les voix,
à commencer par celle de la dolce
amica du compositeur, et bien sûr la veine mélodique
inépuisable, les grands concertatos (le canon « S'appressan gl'istanti
» !) ahurissants d'un si jeune compositeur. Pourtant, lorsqu'on
découvre cet opéra, est-ce qu'il n'y a pas plus troublant encore ?
Je vous aide : à la fin de l'histoire, Nabuchodonosor
II se convertit au judaïsme, bâtit des synagogues, et tout
l'Empire néo-babylonien (ex-assyrien, futur perse) avec lui.
L'influence d'Israël s'étend jusqu'aux confins de l'Inde, et l'heure
est proche où les Hébreux manqueront de détruire Athènes.
Inventer des personnages est
assez commun, et même ordinaire et canonique dans tout le théâtre
classique : on peut inventer n'importe quel amant ou parent à ses
héros, pourvu que cela n'infléchisse pas le caractère connu. On peut
même éventuellement modifier un peu leurs morts, voire les ressusciter…
Acceptons donc la fille usurpatrice (à l'origine tout de même de deux
coups d'État), ce n'est qu'une parenthèse dramatique. La fille préférée
qui se trouve otage à Jérusalem (où elle faisait sûrement du shopping,
les chandeliers babyloniens sont tellement communs et ennuyeux…), on
peut aussi la tolérer, même si sa conversion un peu didactique au
judaïsme flatte plus la foi des spectateurs qu'elle ne paraît
nécessaire à l'intrigue.
Mais tout de même, l'opéra se finit avec un bouleversement complet de toute
l'Histoire du monde. Je ne vois pas d'exemples de pièces ou d'opéras
qui fassent ainsi échapper Louis XVI captif par Marat encore tout
trempé, ou Napoléon II être sacré sur le champ de bataille après la
victoire de Waterloo…
Authentique mouvement désordonné de foule babylonienne.
(Milan 1987)
Cependant, comme la justice immanente n'est pas un vain concept,
semble-t-il, les chefs n'ont pas toujours eu plus de respect pour
l'œuvre que le livret de Temistocle Solera n'en avait eu pour
l'Histoire. En plus des coupes multiples, on rencontre ainsi des bidouillages dont l'opéra italien
est hélas coutumier (comme ces hideuses fins ménagées pour les
applaudissement à la fin d'È lucevan
le stelle ou Nessun dorma)
; ainsi en 1981 à Vérone, dans un cadre de plein air propice à toutes
les basses démagogiques, Maurizio Arena fait répéter la phrase de
louange de Nabucco (« Ah, torna, Israel ») de façon à placer le chœur «
Immenso Jehovah » après la mort d'Abigaille, coupant la réelle fin
(très brève et saillante, du grand Verdi) au profit de ce grand chœur a cappella monumental.
Le respect est mort, on cherche encore le corps.
→ Si vous souhaitez écouter l'œuvre
dans de bonnes condition, il existe bien sûr beaucoup de références
luxueuses, dont certaines très réussies, des historiques Gui 1949 (avec
Callas) et Previtali 1951 au studio Sinopoli, aux traces d'Oren (avec
Dimitrova et Bruson) à Vérone, ou de Santi à Paris en 1979 (Bumbry et
Raimondi, longtemps bande pirate et désormais parue en DVD). Mais pour
tous ceux qui doutent des qualités de la partition, ou qui veulent
renouveler leur écoute, la version Mariotti
à Parme (écoutez ici), parue chez C Major avec le reste de
l'intégrale Verdi de très haute tenue, est réellement un enchantement :
l'accompagnement vit avec beaucoup de finesse, et malgré son caractère
rudimentaire, marque quantité de fléchissements expressifs très
suggestifs. La reprise piano
de « Salgo già del trono aurato » n'a rien d'une coquetterie dynamique,
par exemple. Mariotti fait partie de cette nouvelle génération de chefs
d'opéra italien, avec Zanetti par exemple, qui construisent une réelle pensée et un discours très fin sur
des partitions où l'orchestre est pourtant conçu comme un
accompagnement – mais Verdi ménage suffisamment de détails précieux
pour le permettre.
→ Un sujet déjà abordé dans cette
notule, beaucoup d'autres détails de ce type restent en réserve
pour de futures entrées.
Et bien sûr, encore quelques idées hautement géniales, mais je ne les
livre pas toutes ce soir. À bientôt.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Genres a suscité :
Tradition de toujours. Bilan du mois écoulé. Et quelques
recommandations pour ne pas manquer tous ces beaux concerts cachés
d'avril.
Cette fois encore, pour des raisons de praticité, je me
limite à une
petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel,
donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite
pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de
la plupart des théâtres de la région – en musique en tout cas, puisque
l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à
indiquer quelques-unes de mes marottes.
Diagonale de putti dans les
loges de l'Oratoire du Louvre, sous les tribunes.
1.
Les combats
de mars
Quelques aventures sont encore prévues pour la dernière semaine du
mois, mais il faut bien effectuer un bilan avant le 1er avril pour
annoncer les concerts dignes d'intérêt…
Les renoncements sont toujours inévitables, et j'ai dû abandonner, pour
raisons tantôt personnelles, tantôt professionnelles (tantôt envie de
faire autre chose que des concerts, aussi…) :
– Le
jeune Sage et le vieux Foude Méhul (certes un de ses opéras
comiques un peu légers) à la BNF (tellement bien annoncé que je l'ai
découvert une heure avant le concert), étant déjà accompagné pour la Tragédie de Saloméintégrale de Florent Schmitt (ce qui est au
demeurant un choix très défendable) ;
– leRetour d'Ulysse
de Monteverdi dans une
fulgurante distribution ;
– le Boccanegra
luxueux en diable de Monte-Carlo (Radvanovsky, Vargas, Tézier,
Kowaljow…) ;
– le concert Copland-Barber-Bernstein
de l'ONDIF, que j'irai plutôt voir à Montereau (qu'il est beau de voyager, dit-on
dans cet opéra) ;
– enfin et surtout, la grande
rétrospective de la création contemporaine officielle depuis 50 ans,
à la Cité de la Musique (avec de très beaux choix de programme par
l'EIC) ; mais le même soir que la Jehanne
de Tchaïkovski, je n'avais guère de choix en réalité.
Ne croyez donc pas que je les aie boudés par mépris.
Par ailleurs, il y avait déjà de quoi s'occuper, avec 11 soirées rien
qu'entre le 2 et le 25 mars.
♣ Pas toujours des inédits mondiaux, mais des
choses qui ne passent que très exceptionnellement en France (voire dans
le monde…) :
♣♣ La
Pucelle d'OrléansdeTchaïkovski.
Par le Bolchoï
de surcroît : orchestre, chœur et troupe de solistes ! L'opéra
n'est à
peu près jamais donné hors de Russie (où il n'est pas exactement un
standard non plus), et le disque n'en documente que deux versions,
assez anciennes (la plus récente date des années 70). C'est une
étrangeté, puisque composée juste après Onéguine, elle marque, comme Mazeppa écrit juste après (et
contrairement à l'Enchanteresse,
à la Dame de Pique et à Iolanta
qui achèvent sa carrière lyrique), une sorte de retour vers un genre
plus formel du grand opéra historique, même musicalement. Les
récitatifs y sont en effet assez rigides, les airs et numéros assez
longs, pas du tout effleurés comme dans Onéguine
(où Tchaïkovski a vraiment épousé au plus près son sujet !). Néanmoins,
plusieurs grands moments de grâce, en particulier les grands ensembles
et les scènes de foule, et surtout les préludes de chaque tableau, où
l'on retrouve toute la virtuosité purement musicale (harmonie,
orchestrtion) de Tchaïkovski.
♣♣♣♣
L'opéra s'écarte
évidemment
des sources historiques, puisque Jehanne y vit une histoire d'amour
qui, dans une lecture assez mystique (façon Samson) et décadente,
consume ses forces et lui fait perdre sa légitimité. C'est à Chinon,
lors de la présentation de Jeanne, qu'on annonce le siège compromis
d'Orléans, et c'est son propre père qui la maudit ; marchant
ensuite à
peu près seule (avec son semi-amant) dans le forêt, elle se fait
capturer par les Anglais. Chaque acte développe un lieu différent de
façon assez habile : Domrémy, Chinon, Reims, Rouen.
♣♣♣♣
L'Orchestre du Bolchoï n'est
plus
très typé (hors les
remarquables cors translucides assez caractéristiques), la différence
passe, à tout prendre, plutôt par le style du portamento (ports de voix) des
violons dans les phrasés lyriques. Le
Chœur,
lui, est à couper le souffle : n'importe quel choriste pourrait chanter
à Bastille demain – les volumes et la perfection des voix, sans jamais
sembler désagréablement écrasants comme d'autres chœurs de
quasi-solistes (Chœur de Radio-France, la plupart des chœurs d'opéra de
France et d'Italie…). Côté troupe,
Anna Smirnova révèle
à quel point la tessiture très centrale du rôle-titre, recouverte par
l'orchestre, doit être un problème insurmontable pour le distribuer à
tout autre qu'elle ; Bogdan Volkov
(Raymond, son soupirant de Domrémy) comme toujours très élégant, Oleg Dolgov (Charles VII), autre
ténor limpide et élancé à la russe (toujours ces dégradés de couleurs),
superbe Anna Nechaeva (Agnès
Sorel), très charismatique dans un rôle très court… et par-dessus tout Stanislav Trofimov
(l'Archevêque), une voix quelque part entre Kurt Moll et Martti
Talvela, à la fois noire et lumineuse, profonde et pure, grave et très
aisée dans l'aigu. Mon chouchou personnel, l'Ange de Marta Danusevich
: une voix de soprano dont le timbre très fruité paraît celui d'un
mezzo lyrique, avec une richesse de coloris rare chez les voix hautes.
Et qui surmonte le chœur sans la moindre peine.
♣♣ LaDeuxième Symphonie de Nielsen(voir présentation)
par l'ONF et le spécialiste
(parmi la poignée des tout meilleurs) John
Storgårds.
L'une des plus belles symphonies de tout les temps, aussi considérable
que la Quatrième à mon sens (quoique moins complexe). En tout cas dans
mon TOP 5 du premier vingtième (il y aurait aussi van
Gilse 2, Schmidt 2, Sibelius 7, Walton
1 – pour le top 10, Atterberg 1, Alfvén
4
et Madetoja 2, assurément). Chaque mouvement est à la fois fascinant et
exaltant, culminant dans la reprise en climax du thème du mouvement
lent…
♣♣♣♣ Ce soir-là,
le grain naturel et tranchant des cordes de l'ONF des grands jours en faisait le
meilleur orchestre du monde. Et pour ne rien gâcher, nous eûmes le
plaisir d'entendre en vrai Fanny
Clamagirand
que j'admire depuis longtemps – pas un gros son, mais une beauté de
timbre et un goût parfaits. La création d'Édith Canat de Chizy n'était
pas pénible que son ordinaire, à défaut d'imprimer le moindre début de
sentiment de nécessité – la suite d'effets traditionnels, sans propos
thématique / structurel / climatique identifiable. En n'essayant pas
trop de s'intéresser au propos fuyant, le temps passe sans douleur. En
bis, une splendide sarabande de Bach (comme après chaque concerto pour
violon, certes).
♣♣♣♣ Accueil
toujours aussi catastrophique à Radio-France : sécurité
peu respectueuse (tout le contenu du sac retourné sans ménagement et
sans demander l'autorisation – en principe, on enseigne l'inverse aux
agents), replacement de force du public, même si les places d'arrivée
sont moins bonnes (alors qu'en principe, on propose
ce genre de chose). Toujours l'impression, donc, d'être à peine toléré
alors qu'on a payé sa place et qu'on voudrait juste ne pas être traité
comme un délinquant pour vouloir entrer dans la salle puis s'asseoir à
sa place.
♣♣♣♣ Salle
remplie au quart (uniquement les parties de face, et pas en
entier, sur deux étages des trois) : entre les artistes formidables
mais peu célèbres, Nielsen 2 qui n'est pas encore dans les habitudes du
public symphonique, et la création de Canat de Chizy, trop bien connue,
il est vrai qu'on avait cumulé les paramètres de désaffection (il
aurait fallu un concerto de Tchaïkovski avec Jansen en première partie,
et mettre Clamagirand-Chizy dans un concert avec Mahler 4 ou Beethoven
5 en seconde partie…).
♣♣ La Tragédie de Saloméde Florent Schmitt,
dans sa version originelle et intégrale pour petit orchestre (bois par
1). Un superbe cadeau d'Alain Altinoglu pour sa classe de direction
d'orchestre au CNSM… Présentation de l'œuvre (et éloge des musiciens)
faite tout
récemment.
♪ D'autres raretés, peut-être pas majeures, mais très intéressantes.
♫Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa,
un opéra bouffe sur sujet domestique, succès immense et emblématique à
son époque – dès la création, bien avant la vénération bruyante de
Stendhal. Il m'est difficile, je l'avoue, de m'immerger totalement dans
une œuvre théâtrale aussi fragmentée (discontinuité maximale entre de
jolis airs très mélodiques qui évoluent peu, et les récitatifs secs), et les
coupures réalisées par Patrick Davin,
pour une fois, se défendent – sans quoi le spectacle aurait été très
long, et pas forcément plus riche (ce n'est pas comme couper
du Richard Strauss d'une heure et demie). Surtout, Cécile Roussat et Julien Lubek, une fois encore
(témoin leur Dido and Æneas de Rouen) montrent qu'ils sont les
metteurs en scène actuels les plus capables d'animer une scène, même
conçue comme immobile. Quoi qu'on pense de la musique et du livret (de
Giovanni Bertati, celui qui invente la mort liminaire du Commandeur
dans les multiples refontes de Don
Juan), le résultat était un grand moment de théâtre. La
principale réserve tient au style de l'Orchestre du CNSM, que Patrick
Davin fait sonner comme le studio Sanzogno… donc peu sensible aux «
nouveaux » apports musicologiques des soixante dernières années, disons.
♫♫ Les jeunes chanteurs,
bien connus de nos services, sont remarquables, en particulier Harmonie Deschamps, Marie Perbost (mainte fois louées en
ces lieux), et par-dessus tout Jean-Christophe
Lanièce qui révèle, en plus de ses talents connus de chanteur et
diseur, un charisme d'acteur phénoménal. Par ailleurs, la voix paraît
différente en italien, moins centrée sur la couleur et davantage sur
l'éclat, s'adaptant ainsi idéalement au répertoire.
♫ Les
Saisons de Haydn dans
la version (en français)
de leur création française (selon le vœu d'adaptation vernaculaire de
Haydn). Musiciens du Palais-Royal dirigés
par Jean-Philippe Sarcos dans
la salle néo-égyptienne de l'antique Conservatoire de Paris. Il y a
quelque chose de particulier à entendre cette musique dans la salle où
l'on joua pour la première fois les Symphonies parisiennes de Haydn, la
Fantastique de Berlioz, et où l'on donna pour la première fois
Beethoven en France… de quoi méditer sur le son des origines
(acoustique assez sèche, lieu d'où l'on entend bien partout, atmosphère
assez intime, et même une certaine promiscuité dans les loges).
♫♫ Pour le reste, je ne
suis pas un inconditionnel des oratorios de Haydn : de très belles
choses, mais l'ensemble me touche peu. La plus-value du français
n'était pas aussi bien mise en valeur que pour la Création, si bien que mon intérêt
s'est un peu émoussé, je dois l'avouer, sans que l'œuvre soit en cause.
♫♫ J'ai trouvé le français des interprètes (même Clémence Barrabé !) et du chœur très correct, mais assez peu
généreux vu le projet (Sébastien
Obrecht, ayant travaillé la partition en 48h, étant plus
expansif que ses compères). Alors que pour la Création, la limpidité du chœur
(mais il n'était pas constitué des mêmes personnes, quoique portant le
même nom…) et les couleurs de l'orchestre
m'avaient ravi, j'ai trouvé cette fois l'orchestre plus limité
(par rapport à la concurrence superlative en tout cas) et le chœur plus
indifférent au paramètre linguistique. Pour finir, Aimery Lefèvre devrait vraiment
s'interroger : en chantant aussi engorgé, il est inintelligible, la
voix ne porte pas du tout, et ses aigus sont difficiles (ce qui, pour
un baryton aussi jeune, est quand même peu rassurant). C'était déjà une
tendance dans David et Jonathas
il y a trois ou quatre ans, mais la voix commence vraiment à en
souffrir désormais.
♥ Des tubes personnels :
♥♥ In
Taverna avec l'ensemble Il
Festino – et Dagmar Šašková,
la meilleure chanteuse du monde. Programme entendu en septembre 2009, et que je cherchais absolument à
entendre : des airs à boire de
Moulinié et LULLY,
entrecoupés de déclamation en prononciation restituée (par le virtuose Julien Cigana) d'extraits d'éloges
du jus de la treille par La Fontaine, Rabelais, Saint-Amant ou Scarron
!
De quoi se mettre en train le dimanche à 10h du matin. L'heure a sans
doute un peu brouillé les cordes de la chanteuse, moins à son faîte que
de coutume, mais ce programme est simplement grisant, à tout point de
vue, l'une de mes grandes expériences de spectateur. (Il fallait pour
cela se déplacer au Conservatoire de Puteaux un dimanche matin assez
tôt, mais qui peut mettre un prix sur le bonheur ?)
♥♥ Le Concerto
pour la Nuit de Noël deCorelli
(par Karajan ou par les meilleurs baroqueux, toujours bouleversant, là
où tout le reste de Corelli paraît tellement plus décoratif…), une Suite tirée d'Atys deLULLY. Et
puis des extraits des Vêpres de la Vierge de Monteverdi
et la musique pour les Soupers du comte d'Artois de
Francœur. C'était le concert d'inauguration de la section
musique ancienne du tout récent OJIF
(Orchestre des Jeunes d'Île-de-France), censé être une formation de
haut niveau auto-professionnalisante, créée au printemps dernier. Très
bien exécuté (plein d'éloges et de petites réserves à émettre, bien
sûr), mais les conditions climatiques extrêmes laissaient peu le loisir
d'être ému : la porte largement ouverte sur la rue a vidé l'Oratoire du
Louvre de toute sa chaleur… un concert assis immobile à 10°C, c'est
plus pénible qu'exaltant, clairement. Un peu comme écouter Mozart
pendant qu'on vous arrache les ongles. Ou comme écouter du Glass dans
un jacuzzi avec une authentique glace italienne à la main sous le
soleil toscan. Difficile de se départir de la douleur.
♠ Oserai-je le confesser ? J'ai aussi assisté à des concerts d'un
conformisme vertigineux – et passé un excellent moment.
♠♠Symphonie n°38 de Mozartpar l'Orchestre de Paris à la
Philharmonie. (Certes, parce que je n'ai pas réussi à revendre ma
place, je croyais que c'était la seule œuvre au programme, et que
Zacharias dirigeait…) Inséré au sein d'un bizarre spectacle racontant
vaguement la relation de W.A. avec Leopold.
♠♠♠♠ Outre que la
(magnifique) symphonie était assez bien jouée (je l'aime avec plus de
tranchant, mais ce n'était nullement mou) et que le tarif était
ridiculement attractif (20€ pour toutes les places), expérience très
intéressante pour observer un public vraiment
différent. Les gens ont systématiquement applaudi entre les mouvements,
et personne ne leur a dit chut !
– voilà une excellente preuve qu'il ne s'agit pas d'initiés. Et ils ont
hésité en réclamant le bis, je crois qu'ils attendaient une conclusion
(moi aussi, à vrai dire), puisque Mozart et son père s'asseoient pour
regarder la symphonie (et le tout durait à peine plus d'une heure), on
pourrait attendre une petite fin théâtrale… Le violon solo Philippe
Aïche, dans son élégance habituelle, se lève alors et entraîne
l'orchestre avec un geste qui semble dire vous avez pas assez applaudi, tant pis
pour vous – on dit toujours qu'on veut s'ouvrir, mais on préfère
quand même traiter avec ses semblables, pas avec les bouseux qui
découvrent le concert.
♠♠♠♠ J'essaierai de produire une notule pour explorer
cette question des codes du concert et plus largement de la
compréhension de la musique classique – y a-t-il des limites à ce qu'on
peut faire aimer à un auditeur occasionnel ? Perçoit-on
réellement l'essence des œuvres quand on n'est pas musicien / mélomane
aguerri ? Sujet passionnant (et inconfortable).
♠♠ Symphonies
1, 4 et 7 de Beethoven
par l'Orchestre des Champs-Élysées
et Herreweghe. Enfin pu
entendre la Première en vrai… du niveau des plus grandes. Et la
dernière notule traite justement de la Quatrième.
Herreweghe ne cherche pas l'effet, tout est joué avec simplicité, une
sorte d'exécution-type sur instruments anciens, et cette musique est
déjà si forte que c'est assez parfait – en tout cas ce que je cherchais
ce soir-là. Étrangement, la 7 (pourtant à peine plus entendue que la 1
sur ma platine…) m'a moins fortement touché – peut-être parce que
j'entendais la 1 pour la première fois (la 7 que pour la seconde, cela
dit, et à 15 ans d'intervalle…), et que je me convertissais enfin
résolument à la 4.
♠♠ Les
Nuits d'Été de Berlioz
dans sa version (originale) pour baryton, par Christian Gerhaher… la franchise du
texte (il ose de ces sons ouverts !) est exceptionnelle, et le
caractère plus « parlé » d'un timbre de baryton tire l'œuvre hors des
évocations vaporeuses habituelles vers du texte brut – Théophile
Gautier en paraît presque sauvage et échevelé ! Par ailleurs les Piècesopus 16 de Schönberg,
que j'aime beaucoup, mais qui en concert manquent justement de
direction, de propos continu. D'éphémères belles associations de
timbre. Et pour finir, la Deuxième
Symphonie de Schumanndirigée par Daniel Harding : le public a trouvé
le Mahler Jugendesorchester formidable,
et il l'est d'ordinaire… pourtant, je lui ai (i.e. nous lui avons, un
contributeur de CSS y était aussi…) trouvé un petit manque de
tranchant, une superposition des timbres pas toujours parfaite,
quelques flottements (et même un trait de violons vilainement raté) :
les moments les plus rapides leur imposaient la performance, et ils
étaient alors remarquables, mais le reste du temps, il manquait un rien
d'abandon ou d'intensité, difficile à définir. Considérant leur âge
visiblement très tendre, c'est probablement le début d'une session, et
on entendait surtout la différence avec les orchestres permanents qui
jouent ensemble depuis des décennies.
♠♠♠♠ En tout cas,
contrairement à ce qu'on peut supposer (le Jugendesorchester, parrainé
par Abbado, à sélection internationale, multi-enregistré), les élèves
du CNSM, entendus en janvier dans la même œuvre, était deux coudées
au-dessus (au niveau des plus grands), aussi bien en matière de
précision que d'enthousiasme palpable.
♠♠♠♠ Il faudra bientôt
songer à imposer des quotas paritaires dans les cordes : trois hommes (dont le violoncelle
solo, certes, et deux dernières
chaises en violon). Tout le reste constitué de jeunes filles (toutes
blanches, ouf, on peut encore travailler à diversifier le recrutement).
♦ Pour finir, du théâtre :
♦♦ Suddenly
Last Summer de Tennessee Williams,
à l'Odéon. Braunschweig y
retrouve les lents
dévoilements des pièces d'Ibsen,
tout étant centré autour du récit du souvenir indicible de la mort de
celui dont tout le monde parle… à la différence que le dévoilement est
ici souhaité (et clôt la pièce, en sauvant peut-être les personnages),
et non vu avec effroi comme inévitable et destructeur. Belle pièce
néanmoins, plutôt bien dite, dans un jardin en plastique pas très
élégant et une mise en scène pas très mobile mais fluide, où l'on ne
retrouve pas les tropismes de Braunschweig pour les pull gris et les
murs en noir et blanc.
♦♦♦♦ Les comédiens sont
lourdement sonorisés, mais peut-il en aller autrement dans la salle de
1819, très vaste, et en tout cas très haute ? Pourtant, c'était
le siège du Second Théâtre-Français, là où Berlioz connut ses émois
shakespeariens, là où Sarah Bernhardt jouait Racine… Voilà qui
repose grandement la question de notre acceptation du son qui n'immerge
pas, ou, plus grave, de la technique vocale des comédiens d'aujourd'hui.
Vastes sujets.
Il est temps à présent d'interroger avril.
Putti-atlantes dans la salle de 1819 de l'Odéon, sous le regard
du mascaron.
2. La pelote d'Avril
Les vacances scolaires de la zone C font toujours décroître (pour une
raison inconnue) l'offre francilienne. Il y a néanmoins de quoi
s'occuper. Parmi tout ce qu'on peut voir, quelques soirées dont vous
avez peut-être raté l'annonce.
(Organisé plus ou moins par ordre de composition à l'intérieur par
catégorie.)
► Lieder et autres monodies vocales :
■ Le 29, Hôtel de Soubise, Eva Zaïcik
chante Léandre et Héro de
Clérambault, la Deuxième Leçon
de Ténèbres de Couperin et une cantate pastorale de
Montéclair. Générosité et grande expression au programme avec elle !
■ À la Cité de la Musique, Lehmkuhl
et Barbeyrac chantent des lieder de Schubert orchestrés. Avec
Accentus et Insula Orchestra, le 27.
■ Lieder de Clara & Robert
Schumann, de Brahms aussi, le 20 midi par Adèle Charvet (Orsay
ou Petit-Palais).
■ Lieder de Liszt, Wagner, Brahms,
Weill, Stolz, Zeira… et Viardot, par la mezzo Hagar Sharvit, aux
Abbesses le 23.
■ Pot-pourri des Lunaisiens
avec Isabelle Druet, salle Turenne le 21.
► Opéra :
■ Je signale en passant qu'à Rennes, le
6, l'ensemble Azur donnera des chœurs
tirés des Noces
de Thétis et Péléede Collasse,
l'un des ouvrages les
plus repris de la tragédie en musique, et qui attend toujours
d'être intégralement remonté de nos jours.
■ Bien sûr Alcyonede Maraisà l'Opéra-Comique ) : à partir du 26, Jordi Savall y rejoue
l'œuvre qu'on n'a guère dû entendre depuis l'ère disque Minkowski, au
début des années 1990. Je ne trouve pas tout à fait mon compte dans les
opéras de Marais, plus un musicien sophistiqué qu'un maître du
récitatif et de l'expression verbale fine, mais il faut admettre qu'Alcyone, malgré le risible livret
du redoutable Houdar de La Motte, a ses moments spectaculaires, dont la
tempête dont le figuralisme et les moyens nouveaux (pour partie italiens,
mais pas seulement) firent date. Même si Savall m'a plutôt effrayé
lorsque je l'ai entendu (il y a près de quinze ans) en jouer la Suite
de danses (que c'était sec !), l'équipe dont il s'entoure plaide pour
le sérieux de l'entreprise (quelle distribution vertigineuse !).
■ La
Fille des Neiges deRimski-Korsakov
à Bastille, évidemment, même si la relecture sexu(alis)ée de
Tcherniakov ne sera pas forcément propice à la découverte candide,
disons.
■ Une opérette mal connue de Maurice
Yvain, Gosse de riche, au Théâtre
Trévise (L'inverse par les Frivolités
Parisiennes, les 12 et 19 ; de la musique légère, mais qui sera
encore une fois servie au plus haut niveau, jouée avec la rigueur d'un
Wagner mais l'entrain de jeunes passionnés. d'un ballet joué par
l'Orchestre de l'Opéra, donc.)
■ Des extraits de Licht, le
méga-opéra de Stockhausen
présentés pour tous publics à 10h et 14h dans la semaine du 24, à
l'Opéra-Comique. Cela reprend aussi en septembre. Très intriguant
(d'autant qu'il y a vraiment de tout
dans cet opéra, du récitatif de musical
jusqu'aux œuvres instrumentales les plus expérimentales…).
■ The
Lighthousede Peter Maxwell
Davies à l'Athénée à partir du 21, un opéra-thriller assez
terrifiant, dans le goût du Tour
d'écrou : les marins d'un bateau de ravitaillement pénètrent
dans un phare dont les gardiens semblent avoir disparu. Musicalement
pas toujours séduisant (mais accessible et en rien rebutant, simplement
une forme de Britten atonal, quelques jolis effets instruments de type
cors bouchés en sus), mais très prenant, et ce doit être encore plus
fort sur scène !
■ Trompe-la-mort de
Francesconi se joue toujours à
Garnier. Je ne l'ai pas encore vu, mais de ce que je peux déduire de la
musique habituelle de Francesconi, il y aura de belles couleurs et de
belles textures ; leur adaptation à une structure dramatique et aux
contraintes d'une claire prosodie me laissent plus réservé, il faut
tester – j'ai lu tout et son contraire à ce sujet, excepté sur la mise
en scène de Guy Cassiers qui semble être partout louée.
► Sacré & oratorio :
■ Odes
de Purcell par Niquet
à Massy le 22.
■ Un office musical à Paris en 1675,
sur la musique de Charpentier,
par Le Vaisseau d'or(Sainte-Élisabeth-de-Hongrie,
le 1er, libre participation).
■ Leçons de
Ténèbres de Charpentier (plus
austères que les fameuses Couperin) par les excellents Ambassadeurs de
Kossenko, avec la basse Stephan MacLeod, probablement l'homme au monde
a avoir le plus chanté ces œuvres… Oratoire du Louvre, le 5.
■ Leçons de
Ténèbres de Couperin par
l'Ensemble Desmarest, Maïlys de Villoutreys et Anaïs Bertrand, rien que
d'excellents spécialistes (et une de nos protégées du CNSM, qui a déjà
de très beaux engagements).
■ Une Passion de Telemann à
la Cité de la Musique le 15 à 16h30… je n'ai pas vérifié laquelle, il
en a écrit quelques dizaines (je n'exagère pas), et dans des styles
assez divers, italianisantes ou plus ambitieuses musicalement, dont
certaines valent bien les Bach – et d'autres pas grand'chose. C'est
assez tentant néanmoins, on n'en entend jamais, toujours les Bach – et
quelquefois Keiser, sans doute parce qu'on l'a d'abord attribué par
erreur à son collègue lipsien.
■ Le Repas des
Apôtres de Wagner, sorte de longue choucroute
homophonique qui ressemblerait à du Bruckner sans aucune inspiration –
le Wagner de Rienzi, en somme. Mais c'est très rare (et pour cause).
Peut-être qu'en vrai, on en sent mieux la nécessité ? Couplé avec
le Second Concerto pour piano de Brahms et la Symphonie en ut de Bizet,
joués par la Garde Républicaine… amateurs de cohérence programmatique
et de belles notes d'intention s'abstenir.
■ Les Sept
Dernières Paroles, un des chefs-d'œuvre du spécialiste de
musique chorale sacré James MacMillan.
Couplé avec celles de Haydn,
d'abord écrites sans voix puis, devant le succès, réadaptées en
oratorio. Par l'Orchestre de Chambre de Paris à la Cité de la Musique,
le 15.
► Symphonique :
■ Un héros d'avril a dit : « ce que tu
as à faire, fais-le vite ». C'est
étrange, je vais lui obéir (a dit un autre
héros de séans). Je me contente donc de signaler la Quatrième Symphonie de Bruckner, pas du tout rare, mais
l'association Eliahu
Inbal-Philharmonique de Radio-France
produit toujorus de très grands moments de musique – et
particulièrement concernant Bruckner, j'attends toujours de trouver
l'équivalent de leurs Deuxième et Neuvième, entendues à Pleyel et à la
Philharmonie.
► Chambrismes :
■ Les dimanches à 17h, au club du 38
Riv', si vous aimez la viole de gambe
solo ou avec clavecin, il y aura trois concerts qui parcourront
assez bien ce répertoire. Je ne garantis pas l'excellence, ça dépend
des soirs pour l'Association Caix d'Hervelois qui les organise…
■ LesSept Dernières Paroles
de Haydn pour quatuor, avec
texte déclamé, à l'Amphi de la Cité de la Musique, le 14.
■ Nos chouchous duTrio
Zadig joueront Tchaïkovski
et Chostakovitch n°2 à l'Hôtel
de Soubise le 22.
■ Œuvres et arrangements pour harpe
à l'Hôtel de Soubise le 8 : Villa-Lobos
(études), Fauré (impromptu), Mendelssohn (romances), Bach (fantaisie
Chromatique), Schüker.Par
Pauline Haas. ■Piano original le
midi au Musée d'Orsay le 25 : Mompou, Takemitsu, Granados, Satie, et parce qu'il
faut bien vivre, Chopin, Debussy et Ravel, par Guillaume Coppola.
■ L'Octuor de Mendelssohn, la Seconde Symphonie de chambre de Schönberg
et la Sinfonietta de Poulenc
seront données au CRR de Boulogne-Billancourt et au Centre Événementiel
de Courbevoie les 13 et 14. Gratuit.
■ Extraits des quatuors de Walton (final)
et Bowen (mouvement lent), Phantasy pour hautbois et trio à cordes de
Britten, ses Métamorphoses
pour hautbois solo, Lachrimæ de Dowland, création d'un élève du CNSM…
Salle Cortot, le 1er, à 15h.
■ Menotti pour deux
violoncelles, et puis Bruch (Kol Nidrei), Tchaïkovski et
Schubert (Arpeggione) à
l'Auditorium du Louvre, le 28.
■ À Herblay, les Percussions clavier
de Lyon, le 28.
■ Pour finir, des cours publics du Quatuor Ébènedans les salles les plus intimes du CNSM, une expérience
extraordinaire de se mêler aux étudiants en plein travail, la dernière
fois, nous étions seuls, la partition sur les genoux, en train de
suivre l'évolution du Trio de Chausson. Magique. 10h à 19h les 26 et
27, si vous le pouvez. C'est gratuit.
► Théâtre, ce que j'ai prévu pour ma conso personnelle, rien que du
patrimoine pas très original :
■ Marivaux – L'Épreuve – Théâtre Essaion
■ Marivaux – Le Petit-Maître corrigé – salle Richelieu
■ Kleist – La Cruche cassée – salle Richelieu
■ Odéon – Soudain l'été dernier – Odéon. Fait pour ma part (cf.
commentaire supra).
■ d'après Zweig – La Peur – Théâtre Michel
■ d'après Renoir – La Règle du jeu – salle Richelieu
Dans la salle de l'ancien
Conservatoire, au centre des médaillons des grands dramaturges et
musiciens figurent, sur le même plan, Eschyle et… Orphée.
3. L'avenir de l'agenda de CSS
J'avoue éprouver une relative lassitude dans la confection de ces
programmes. Ils prennent pas mal de temps à élaborer, tandis que
j'aurais plutôt envie de parler de choses plus précisément étayées et
plus généralement musicales, moins liées à l'offre francilienne : des
bouts d'œuvre avec des extraits, des questions de structure musicale ou
de technique vocale, plutôt que d'empiler les commentaires sur des
concerts qui n'ont pas encore eu lieu, avant le premier du mois suivant…
Ces notules ne paraissent par ailleurs pas spécifiquement plus lues que
les autres – je laisse de côté les cas, hors concours, où je parle de
Callas, Carmen, des fuites dans les saisons parisiennes, ou des
quelques occurrences où je suis en tête de Google (opéra contemporain,
conseils aux jeunes chanteurs). Je me sens un peu le responsabilité,
puisque cette base de données existe, de promouvoir les ensembles qui
font l'effort et prennent le risque de proposer un répertoire
renouvelé, mais ce n'est pas un office particulièrement exaltant à
réaliser.
D'où cette question : y trouvez-vous un intérêt ? Vous en
servez-vous ?
Si cette notule reçoit moins d'une centaine d'éloges éloquents dans les
commentaires ci-dessous, je ne suis pas sûr de poursuivre ce format-ci
dans l'avenir. Du temps supplémentaire pour des notules de fond – il y
a La Tempête, musique de
scène de Chausson écrite pour marionnettes, un opéra d'un Prix de Rome
où Georges Thill tenait le rôle d'une grenouille amoureuse, et quelques
autres sujets qui sont, comme vous pouvez vous le figurer, un peu plus
amusants à préparer qu'un relevé fastidieux.
Quoi qu'il en soit,
les bons soirs, vous pourrez toujours effleurer la réverbération de ma
voix cristalline dans les coursives étroites des salles louches cachées
au fond des impasses borgnes.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
Bien sûr, lorsqu'on cherche à vous décider d'acheter des places pour un
concert, on vous en dit du bien ; et on est même en droit d'espérer que
les programmateurs ont réellement prévu que ce serait beau. Néanmoins,
est-on obligé de mobiliser les promesses de la Mère Denis pour
promouvoir un tel tube intersidéral ?
Carmen figure au palmarès des opéras
les plus joués dans le monde malgré une réception mitigée lors de sa
création à l’Opéra-Comique en 1875. C’est aujourd’hui un ouvrage «
culte » avec ses airs et mélodies connus de tous et un orchestre
superbement expressif et coloré tant dans les scènes de foules que dans
les moments intimes. Le rôle de Carmen est ambigu dans sa tessiture
puisqu’il présente à la fois les exigences d’une mezzo-soprano et
celles d’une soprano dramatique. Superbe musicienne à la voix
naturellement riche en harmoniques, Marie-Nicole Lemieux est capable de
chanter l’Isabella de l’Italienne, l’Orlando d’une
façon plus furioso que quiconque ou encore une irrésistible
Mrs Quickly. Véritable contralto au riche ambitus et surtout tornade
vocale, elle n’a pas son pareil pour mettre une distribution au
diapason de sa gourmandise et de son espièglerie.
… pouvait-on lire la semaine dernière sur les sites de Radio-France et
du Théâtre des Champs-Élysées. Je ne veux pas médire du TCE, la
relation avec le public est vraiment exemplaire (il reste le statut
ambigu des ouvreurs, mais sinon, aussi bien la communication en ligne
que la gestion humaine de la billetterie, service de tout premier
choix), mais qui que ce soit qui ait écrit le texte : tout de même.
¶ Carmen serait un rôle totalement atypique, réclamant plusieurs voix
(parce que Callas l'a chanté ?). Je ne vois vraiment pas en quoi, c'est
typiquement un rôle de mezzo, très
médium, chanté par tous types de mezzos (du grand dramatique
verdien au petit mezzo lyrique), et même par des sopranos lyriques (au
disque nous disposons de Los Ángeles, Anna Moffo, Angela Gheorghiu…).
Un soprano dramatique serait plutôt embarrassé par ses graves pas
toujours joliment timbrés et ses aigus massifs.
En quoi a-t-on besoin de faire de la tessiture une
exception pour nous vendre le concert ? Pour nous faire croire
que les cent vingt millions d'interprètes de Carmen dans le monde sont
des superhéroïnes ? Alors qu'on pourrait épiloguer sur ce que
l'œuvre à de singuliers, son sujet, ses couleurs orchestrales, son
harmonie. Moins vendeur, je m'en doute, puisque le tropisme glottophile
fait davantage vendre, mais on aurait pu citer les grands noms et les
tessitures différentes qui s'y sont victorieusement frottés, par
exemple.
¶ « Véritable contralto » : le contralto est un animal rare, beaucoup de chanteuses, malgré
l'étroitesse du répertoire, veulent s'arroger la niche. Mais pour cela,
il faut une aisance particulière dans le registre grave, sans avoir
besoin de poitriner exagérément. Or, Marie-Nicole
Lemieux quia effectivement
chanté avec vaillance des rôles de contralto (Orlando chez
Vivaldi, par exemple), n'a pas
beaucoup de graves, en tout cas pas davantage que la majorité de
ses collègues mezzo-soprano. Il n'y a pas de mal à cela : il est
difficile de trouver de grands rôles exploitables pour véritable
contralto (hors Orphée de Gluck et Erda dans le Ring, on se trouve vite, même
lorsqu'ils ont été créés par des contraltos, face à des rôles qui
réclament une belle extension aiguë…), et Lemieux ne pourrait pas faire
la carrière qu'elle fait, et chanter Azucena par exemple, si elle
l'était véritablement. Mezzo non sopranisant, assurément ; contralto,
pas vraiment. Qu'est-ce que cela changerait à sa gloire d'ailleurs,
surtout pour chanter Carmen – un rôle qui a, nous dit-on, « les
exigences d'un soprano dramatique » ?
Sauf si le but est de mentionner un maximum de noms
de tessitures pour impressionner le public et faire croire à une voix
longue – ce qui n'est pas le cas, c'est au contraire une voix assez
centrale.
— Tiens, Marie-Nicole a changé sa couleur.
¶ « Au riche ambitus » : au riche répertoire ou au large ambitus
?
L'ambitus a un sens précis, il désigne
l'étendue vocale (je ne crois
pas que celle de Lemieux soit exceptionnelle, d'ailleurs), qui peut
être longue, mais « riche » renvoie
bizarrement à une notion
qualitative.
Ce n'est pas grave, mais ça trahit un brouet un peu
fumeux qui
cherche à montrer le caractère exceptionnel du concert en enfournant
plein de choses pas trop vérifiées. Marie-Nicole Lemieux a suffisamment
de médailles et de succès à son actif pour qu'on ne fasse pas sa
promotion sans inventer des concepts ad
hoc.
¶ « À la voix naturellement riche en harmoniques », numéro 1.
Pour commencer, une
voix se travaille… qu'elle soit naturellement riche en
harmoniques ou non, ce qui compte, c'est ce que l'on entend en concert
ou au disque, après des années de labeur à se préparer pour la scène
lyrique. La formule a quelque chose de la réclame pour yaourt… au vrais morceaux de fruit (car il
existe de faux morceaux de fruit, sans doute), naturellement riches en vitamines.
¶ « À la voix naturellement riche en harmoniques », numéro 2.
Je dis tout de suite que je ne suis pas un
inconditionnel de Marie-Nicole Lemieux : j'ai bien aimé sa période seria (très séduit par l'énergie de
son Orlando, justement), je suis beaucoup moins convaincu par ce que
j'entends aujourd'hui – aigus courts et passablement criés, émission
très en gorge, qui l'empêche d'être très sonore, diction moyenne. Elle
a incontestablement de la générosité, mais vocalement, il existe mieux
dans les mêmes emplois.
Mais lorsqu'on parle d'harmoniques, il s'agit d'un domaine quantifiable. On peut
mesurer si, physiquement, la voix est pure
(peu d'harmoniques, comme lorsque le cor joue piano) ou riche en harmoniques (comme les
jeux d'anche de l'orgue). Y mettre une connotation morale est
d'ailleurs absurde : il existe de belles voix pures et de belles voix
riches, tout dépend du répertoire choisi et de ce que l'on en fait. La
seule limite est que la voix qui a peu d'harmoniques peut se faire
happer par l'orchestre même si elle est puissante, et qu'on peut
effectivement difficilement chanter Wagner (sauf pour les sopranos, qui
comme Schwanewilms peuvent passer par-dessus le spectre orchestral)
avec des voix qui ne sont pas très riches. Mais dans du Mozart ou du
baroque, on peut apprécier des timbres plus purs, moins chargés (même
si l'inverse n'est pas du tout interdit).
Or, il se trouve que le timbre de Marie-Nicole Lemieux, sans être
translucide non plus, fait plutôt partie de ceux qui ne sont pas trop
riches en harmoniques – notamment parce que la voix résonne plus dans
le pharynx que dans la face. Pour le dire de façon plus positive, c'est une voix qui n'est pas très métallique.
Il s'agit donc, là encore, d'une mauvaise information. Je connais des
tas de mélomanes et glottophiles éclairés qui adorent Lemieux (ce qui
reste un peu mystérieux pour moi, certes), mais ils le font pour de
véritables raisons, pas pour des formules standardisées qui sont à
l'opposé de son identité réelle… D'une certaine façon, je trouve le
procédé un peu vexant, tant de superlatifs pour la présenter… qui ne
décrivent pas ce qu'elle est !
Bien sûr qu'il faut écrire quelque chose de simple, qui claque, qui
crée l'événement, pour donner envie d'aller écouter. Mais autant le
faire en ne désinformant pas le public. Ce serait Parsifal ou Wozzeck, je veux bien qu'on essaie
de rassurer le public en lui promettant un opéra court et accessible,
mais pour vendre Carmen,
était-ce nécessaire, sérieusement ?
Exemple de réécriture.
Carmen figure au palmarès des opéras
les plus joués dans le monde malgré une réception mitigée lors de sa
création à l’Opéra-Comique en 1875. C’est aujourd’hui un ouvrage «
culte » avec ses airs et mélodies connus de tous et un orchestre
superbement expressif et coloré tant dans les scènes de foules que dans
les moments intimes. Le rôle de Carmen a été interprété à la scène et au
disque par les plus célèbres chanteuses, aussi bien des mezzo-sopranos,
comme prévu par Bizet, que par les sopranos les plus différents.
Superbe musicienne à la voix
réputée pour sa chaleur, Marie-Nicole Lemieux est capable de
chanter l’Isabella de l’Italienne, l’Orlando d’une
façon plus furioso
que quiconque ou encore une irrésistible Mrs Quickly. Parcourant les rôles de contralto
comme de mezzo-soprano, véritable tornade vocale, elle n’a pas
son
pareil pour mettre une distribution au diapason de sa gourmandise et de
son espièglerie.
Voilà, c'est pareil, on sous-entend que Carmen est un rôle à part, on
déverse les éloges sur l'interprète (et même, implicitement, sur son
étendue vocale), mais on ne désinforme pas le public.
Après, on croise des gens dans les allées qui affirment « oui, mais
Carmen est un rôle très aigu ». Et qui nettoie après vous, hein ?
--
[Au demeurant, malgré toutes mes préventions, très agréable surprise
que cette première Carmen de Lemieux, pas du tout outrée ni
tempêtueuse, français soigné, personnage nuancé, presque élégant, mais
vivant, voix bien tenue ; pas de poitrinés ni d'effets de manche
d'aucune sorte. Seuls les aigus n'étaient pas bien aboutis, mais on
s'en moque un peu des aigus, surtout pour Carmen.]
Je n'avais pas prévu de parler d'Operalia cette année, mais devant la
qualité extraordinaire de la distribution de la finale diffusée par
Medici.tv, je me suis proposé d'introduire l'exécution de chaque
candidat, avec l'extrait sonore ou vidéo afférent.
Nouveauté, donc : comme les extraits ne seront pas disponibles
éternellement (et nécessitent au minimum une inscription sur
Medici.tv), j'ai moi-même effectué un repiquage de ce que je commente –
qualité médiocre, mais suffisant pour illustrer de quoi l'on parle.
Pour la finale complète et en haute définition, reportez-vous à la
page de Medici encore valide.
Les finalistes. De gauche à droite, en haut puis en bas : Sehoon
Moon, Elsa Dreisig, Keon-Woo Kim, J'nai Bridges, Brenton Ryan, Marina
Costa-Jackson, Elena Stikhina, Nicholas Brownlee, Olga Kulchynska, Ramë
Lahaj, Aviva Fortunata, Bogdan Volkov.
J'avais déjà commenté le concours de 2014 en posant quelques questions et en
mentionnant quelques candidats particulièrement exaltants, et celui de 2015,
en présentant tous les artistes et en récriminant plutôt sur les
tendances vocales privilégiées par les recruteurs – pas les plus
efficaces en salle, à mon avis.
Je redonne quelques précisions sur mes motivations, outre entendre de
belles voix (cette année, dans un répertoire un peu plus plus varié),
et discuter glottologie sur CSS :
Les concours, et en particulier lorsqu'ils sont aussi
emblématiques et influents qu'Operalia (innervant ensuite beaucoup de
premiers rôles dans de grandes maisons), permettent de faire le point
non seulement sur les types de profils vocaux et artistiques les plus
pratiqués, mais aussi et surtout sur ceux qui ont la faveur des
programmateurs. Et, étrangement, ce ne sont pas forcément les
techniques les plus efficaces / sonores / souples qui sont les plus
valorisées. D'où l'intérêt d'observer.
Il convient néanmoins de bien préciser qu'Operalia ne documente que les
voix de type « premier rôle dans un opéra romantique », et
que Verdi est son absolu stylistique, ce qui ne constitue qu'une partie
du répertoire réellement donné dans le monde. Ce concours ne nous
renseigne pas sur les tendances dans le baroque, dans Mozart, dans
l'oratorio, et plus généralement dans les opéras de toutes époques qui
requièrent des formats plus légers que les catégories verdiennes.
2. Jury et règlement
Là encore, l'occasion de citer une notule antérieure :
Operalia est un concours un peu particulier puisqu'il ne
récompense que des artistes qui disposent déjà d'une carrière très
établie. Tous les concours prestigieux sont un peu sujets à ce type de
détournement (rien que les conservatoires, en première année,
recrutent en général des musiciens déjà formés dans les disciplines et
villes les plus demandées !), mais Operalia ne contribue pas au passage
d'un début de carrière discret à des engagements réguliers ou d'un
niveau supérieur : ce concours consacre le passage d'une
véritable carrière vers la staritude, tout de bon.
Et ça fonctionne plutôt bien en général : José Cura, Elizabeth
Futral, Rolando Villazón, Stéphane Degout, Nina Stemme, Hui He, Joseph
Calleja, Erwin Schrott, Sonya Yoncheva, parmi d'autres, sont d'anciens
lauréats. Et beaucoup d'autres font une belle carrière. Il est
difficile de choisir entre la poule et l'œuf : ont-ils été
starisés – ce qui, contrairement à une carrière de haut niveau, n'a
plus de lien de proportionnalité direct avec la qualité – grâce à
l'exposition d'Operalia, ou étaient-ils déjà dans une spirale de
carrière fortement ascendante, que le concours n'a fait que
sanctionner ?
C'est d'autant plus difficile à déterminer que les engagements ont plu,
pour un certain nombre d'entre eux (en tout cas vrai pour Villazón,
Degout, Calleja, Schrott ou Yoncheva), dans les mois qui ont suivi. Et
que presque immédiatement (qu'on sache ou non qu'ils étaient passés par
là), ils étaient à l'affiche des plus grandes maisons et surtout, pas
supplémentaire, sur les couvertures des magazines.
Et concernant Operalia, la proportion de trains qui arrivent à l'heure
est assez considérable (on trouve quasiment pour chaque cession une à
deux très grandes carrières rien que parmi les finalistes).
Rien qu'en regardant les listes des
finalistes récompensés
(ne parlons même pas des finalistes en général, et encore moins des
présélectionnés), je vois successivement: Inva
Mula, Nina Stemme, Kwangchul Youn, Brian Azawa, José Cura, Elizabeth
Futral, Dimitra Theodossiou, Carmen Oprisanu, Ana María Martínez, John
Osborn, Aquiles Machado, Erwin Schrott, Joce DiDonato, Ludovic Tézier,
Orlin Anastassov, Giuseppe Filianoti, Rolando Villazón (amusant de
noter que ces deux-là ont été récompensés l'année où Joseph Calleja n'a
reçu que le prix Culturarte !), Vitalij Kowaljow, Joseph Calleja,
Daniil Shtoda, Hui he, Elena Manistina, Carmen Giannattasio, Stéphane
Degout, Kate Aldrich, Giuseppe Gipali, Jennifer Check, Vitaly Bilyy,
Dmitry Korchak, Mikhaïl Petrenko, Irina Lungu, Joseph Kaiser, Arturo
Chacón Cruz, Ailyn Pérez, Sébastien Guèze, Olga Peretyatko, David
Bižić, Dmytro Popov, Rachele Gilmore, Carine Séchaye, Julia Novikova,
Sonya Yoncheva, Rosa Feola, Pretty Yende, René Barbera, Guanqun Yu,
Roman Burdenko, Aida Garifullina, Julie Fuchs, Simone Piazzola, Joshua
Guerrero, Anaïs Constans, et donc Elsa Dreisig…
Ça fait beaucoup sur moins de 10 noms par an sur 24 ans – et je suppose
que ceux dont je n'entends pas parler se « contentent » d'une carrière
plus locale (beaucoup d'états-uniens, ukrainiens et russes, qui peuvent
faire de grandes carrières dans leur aire d'influence sans qu'on en
entende parler en Europe), leur planning Operabase et leurs traces sur
YouTube sont en général très respectables quant au niveau de notoriété
qu'ils révèlent.
En qualité aussi, c'est impressionnant (beaucoup sont célèbres, ou font
autorité dans leur domaine, ou ont enregistré des disques, ou sont,
simplement, excellents… on voit un peu défiler ceux qui font la une des
magazines, ou ceux qui ont compté artistiquement dans le grand
répertoire ces dernières années) ; le coup de pouce donné par le
concours
semble assez décisif pour faire entendre des talents en eux-mêmes assez
irrésistibles, n'attendant que l'exposition nécessaire pour être portés
aux nues.
Il faut dire que le jury d'Operalia est tourné vers
l'efficacité plus que vers l'évaluation artistique (mieux vaut se
tourner vers les diplômes d'institutions ou les concours spécialisés
pour cela) : on y rencontre essentiellement des
directeurs de théâtre ou des chefs du recrutement, plus un
journaliste… et Mme Domingo, chargée je suppose d'incarner
officiellement le bon goût du parrain.
Considérant que les directeurs de théâtre n'ont pas forcément la main
sur les distributions (dire qu'on veut tel ou tel grand nom pour le
rôle-titre, certes, mais les détails sont souvent confiés à un adjoint
spécialisé – ou, dans certains cas, au chef d'orchestre), la
composition du jury révèle sans ambiguïté l'intention non pas d'établir
des certificats de vertu, mais d'assurer un réseau très avantageux pour
les gens primés ou même simplement appréciés par les uns ou les autres.
Cette année ne déroge pas à la règle :
♠ Marta
Domingo, metteur en scène
♠ F. Paul Driscoll, Editor in
Chief d'Opera News (je ne
traduis pas, je ne suis plus sûr du sens exact, directeur de la
publication ou rédacteur en chef…)
♠ Anthony Freud, Directeur de
l'Opéra de Chicago
♠ Jonathan Friend,
Administrateur artistique du Met
♠ Jean-Louis Grinda, Directeur
de l'Opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d'Orange
♠ Peter Katona, Directeur du
recrutement artistique à Covent Garden
♠ Joan Matabosch, Directeur
artistique au Teatro Real de Madrid
♠ Marco Parisotto, Directeur
musical du Philharmonique de Jalisco (Mexique) et du Philharmonique
d'Ontario
♠ Andrés Rodríguez, Consultant
artistique
♠ Ilias Tzempetonidis,
Directeur du recrutement artistique à l'Opéra de Paris
Et, si le règlement n'a pas changé :
Les épreuves manifestent le même principe d'aller à
l'essentiel : autant le choix de deux airs (sur
quatre proposés) avec piano en quart de finale
s'explique, autant un seul air avec piano en
demi-finale et à nouveau un seul avec
orchestre en finale (court pour faire une émission
diffusable ?), c'est excessivement peu pour juger.
Je n'ai aucun élément sur le sujet, mais je me demande en conséquence quel
est le poids du CV dans les discussions : préparer un air
pendant deux ans et le chanter très bien ne réclame pas du tout les
mêmes compétences qu'étudier en quelques semaines et chanter un opéra
en entier sur scène, avec toutes les contraintes de solfège,
d'expression et d'endurance afférentes. Si l'on voulait réellement être
efficace, on devrait donner un opéra (dont il n'existe aucun
enregistrement, pas de tricherie !) à étudier en deux à quatre mois, et
les évaluer, en plus des airs, sur des extraits de récitatifs et
d'ensembles, un peu comme pour les traits d'orchestre
réclamés aux instrumentistes. Manière qu'on puisse les juger sur autre
chose que sur un air bien léché.
C'est pourquoi, avec si peu de matière, on peut présumer que les juges
se fondent sur un peu de littérature extérieure pour évualuer leurs
futurs protégés.
Autre caractéristique du concours, plus attirante, le déroulement en
parallèle d'un concours de zarzuela, qui met en
valeur ce répertoire très peu pratiqué (marginal sur les grandes scènes
même en Espagne, un peu comme le Grand Opéra en France – et de plus en
plus l'opérette).
3.
Les finalistes de 2016
Petit parcours (exhaustif) parmi le bouquet de cette année.
[[]]
¶ Le kosovar Ramë Lahaj (ténor
grand lyrique) dans la scène
finale de Lucia di
Lammermoor de Donizetti.
Très enflammé, le timbre et la technique évoquent beaucoup les
meilleurs aspects de Domingo : la gaine métallique (ce doit être
robuste et solide en salle), la petite nasalité qui conserve
l'antériorité du son, mais avec la patine de mâles résonances plus
arrières (quelques sons droits évoquent agréablement le jeune Villazón
d'avant les mauvaises heures).
Surtout, l'artiste est complètement survolté (une note surélevée, plus
typée « vériste », lui aura peut-être valu des inimitiés parmi le
jury), dans une scène où la tradition est celle de la déploration : un
Edgardo rempli de ressentiment plus que de remords, très
impressionnant. Dans la pléthore de version, il est facile de
l'entendre encore mieux chanté, mais rarement aussi habité.
[Au passage, le prénom a été privé de son diacritique dans la
littérature et les projections du concours, ce qui, sauf volonté de sa
part, me paraît un brin désinvolte.]
[[]]
¶ L'ukrainienne Olga Kulchynska (soprano lyrique léger) dans la
valse de Juliette de Gounod.
Superbe matériau, beaucoup de grâce et d'intensité dans le médium pour
ce type de voix aiguë. L'effet est assez similaire à l'Olga Peretyatko
des débuts (mais en plus capiteux et acéré, ce qui laisse présager un
effet moins préjudiciable de l'élargissement des rôles). Le choix de
l'air me surprend un peu, puisque l'agilité fait à plusieurs reprises
blanchir le timbre… moi je m'en moque, l'agilité ça sert à rien pour
dire le texte, mais dans un concours international, à mon avis, ce fait
une différence lorsqu'on expose ainsi ses limites. Surtout dans cette
tessiture (la plus commune et où la concurrence d'agilité est le plus
féroce).
[[]]
Il semble que la vidéo, pour une raison inconnue, ne s'active
pas. En voici la version sonore si vous rencontrez la même difficulté :
[[]]
¶ Le russe Bogdan Volkov
(ténor lyrique) dans le poème
d'adieu de Lenski (Onéguine de Tchaïkovski).
Voix parfaitement équilibrée, mixte
sur toute la tessiture, à peine un petit durcissement dans l'aigu
(moins mixé), dans la plus grande tradition russe, qui s'étend de
Kozlovsky à Dunaev. Le texte est articulé avec une précision et une
puissance d'évocation tout à fait hors du commun, chaque mot tombe,
selon le vœu des frères Tchaïkovski, avec une résignation poignante –
dans l'Onéguinede Pouchkine,
le poème, repris ici mot pour mot, est parodique, le legs d'un jeune
homme au style emprunté et désordonné. La transfiguration du burlesque
en sommet de représentation de la déréliction est accomplie, de façon
bouleversante, ici – ce qui est particulièrement rare avec un seul air
détaché, dans un concours.
Il faut dire que Bogdan Volkov n'est pas un perdreau de l'année, il
chantait récemment Lenski au Bolshoï (où il a intégré la troupe) dans
la mise en scène de Tcherniakov (sa meilleure réalisation, d'ailleurs,
assez juste et fascinante) qui a tourné en Europe (avec Andrej Dunaev
notamment – l'un des plus grands ténors en activité, à mon sens). Cette
compétition lui ouvre sans doute des portes internationales plus
facilement, mais ce n'est pas un jeunot à peine sorti du conservatoire
qui crèvera de faim s'il n'est pas remarqué, son avenir semble déjà
bien assuré.
[Au passage, fait étrange, Volkov est né en Ukraine, et était jusqu'ici
mentionné comme ukrainien dans les biographies, mais le concours le
mentionne comme russe. Vu sa carrière moscovite, il est peut-être tout
simplement naturalisé. Mais par les temps qui courent, afficher
officiellement cette nationalité plutôt que l'autre, quelle
responsabilité écrasante aux yeux du monde ! Enfin, des
rares habitants du monde qui s'amusent à prendre Operalia comme sujet
de lecture…]
[[]]
¶ La russe Elena Stikhina
(soprano lyrico-dramatique) dans le premier air (cantilène et
cabalette) de Leonora du Trovatore de Verdi.
C'est un type rare, surtout aussi jeune, et ici d'une maîtrise
complète, dans un air réputé parmi les plus difficiles du répertoire :
longueur de souffle et legato
de la cantilène, agilité des notes piquées de la cabalette. Avec une
technique marquée par son école d'origine (la Russie, toujours un peu à
part, reste le seul pôle aussi typé dans le monde), mais le fondu et la
résonance pharyngée n'empêchent pas une très belle concentration du son
à l'avant. Ce n'est pas un placement italien pour deux sous, mais la
plus-value du galbe et du fondu (agilité parfaite !) sont très
appréciables.
Le timbre, sans être tout à fait sublime, ne marque aucune irrégularité
sur toute la tessiture, ce qui est particulièrement rare et difficile
dans ce rôle – a fortiori
pour de jeunes chanteuses. Futur dramatique de haute volée.
On mesure mieux l'impact de la voix dans un théâtre à l'italienne vide,
avec piano, où se déroulait la première partie du concours :
[[]]
[[]]
¶ L'états-unien Nicholas Brownlee
(baryton-basse) dans la grande scène d'Aleko de Rachmaninov.
Il est toujours très difficile de juger d'une voix grave en
retransmission, parce que le halo
propre à ces voix est souvent trompeur (celles qui paraissent sèches
peuvent être très résonantes, et celles qui paraissent résonantes
peuvent se révéler étroite et peu projetées…). Ce que j'entends en
retransmission, donc, avec toutes les limites de l'exercice, révèle un
très bon chanteur, mais qui ne se met pas forcément en valeur avec un
air qui requiert le fondu d'une voix slave (sa diction du russe est
d'ailleurs fort peu moelleuse) et la résonance d'une voix plus mûre
(voire plus sombre).
C'est néanmoins superbement chanté et bien incarné (en plus d'être un
beau choix), avec un aspect plus franc, moins surligné que les
habituels russophones, rafrîchissant – il n'y a donc rien à
redire si ce n'est qu'à ce niveau de sélectivité, il se mettait
peut-être en danger. Mais peu importe, de toute façon les voix graves
ne gagnent jamais à Operalia.
[[]]
¶ L'états-unienne J'nai Bridges (mezzo-soprano
grand lyrique) dans les
stances de Sapho qui achèvent l'opéra de Gounod.
Le français n'est pas très bon, évidemment. Tout concourt à
l'impression d'une recherche consciente du modèle Bumbry (voire
Verrett), au prix de sons émis de façon un peu hétéroclite (peut-être
justement la conséquence d'une maîtrise trop mince du système français,
avec ses très nombreuses voyelles). Les sons purs sont très beaux, mais
le vibrato
paraît un peu forcé, et très prononcé, ce qui n'est pas rassurant à ce
stade de la carrière – les exigences des grandes salles, du chant soir
après soir, indépendamment du confort et de la fatigue de l'instrument,
tendent toujours à dérégler les voix, si bien que la plupart des
chanteurs sont très nettement meilleurs juste avant le moment où ils
deviennent célèbres… Dans les répertoires les plus éprouvants
(Wagner-Strauss en particulier, mais c'est parfois valable pour Verdi),
une voix peut perdre les qualités qui la rendaient supérieure à toutes
les autres en l'espace de deux ans.
En l'état, la voix est capiteuse et belle, et ses Stances ne manquent
pas de panache malgré l'état du français, mais il y a fort à redouter
que l'aspect Uria-Monzon ne prenne vite le pas sur l'aspect Verrett…
L'aigu final fait sentir encore plus nettement la fragilité de ce type
d'émission assez en arrière, fondée sur la liberté de la gorge plus que
sur la résonance antérieure du son : le moindre obstacle peut obstruer
l'émission saine. Le conseil serait d'aller très doucement dans
l'adoption de rôles amples.
[[]]
¶ Le coréen Sehoon Moon (ténor
lyrique) dans la cantilène
(sans la cabalette) du duc de Mantoue en ouverture de l'acte II de Rigoletto de Verdi.
Voix surprenante pour un coréen : il reste très peu de la gutturalité
naturelle liée à sa langue, et cela ne fait que colorer agréablement
une émission par ailleurs efficacement métallique et franche sans être
aigrelette, pour un résultat qui reste proche du lyrique léger, mais
avec une chaleur supplémentaire, jamais d'étroitesse. Maîtrise complète
d'une voix qui pourrait paraître limitée naturellement, mais à laquelle
il procure une aisance, une couleur et une régularité sur tout le
spectre, remarquables.
Bel instinct musical également : le détail du texte, comme souvent,
n'est pas exalté, mais le sentiment général, en particulier celui qui
accompagne le flux musical, est très soigné et prégnant.
[[]]
¶ La canadienne Aviva Fortunata (soprano
grand lyrique) dans l'air
d'Elsa à l'acte I de Lohengrin
de Wagner.
Technique robuste (typiquement américaine : tout le son se façonne au
même endroit, ce qui produit une stabilité d'émission parfaite et un
très joli fondu ambré), mais dans un air qui ne recèle pas de
difficulté technique particulière, je ne suis pas frappé par la
personnalité du timbre ou de l'expression : toutes les voyelles se
ressemblent, le phrasé se déroule comme un fil, imperturbable, mais le
verbe ou le drame ne sont guère saillants.
Avec l'image, c'est différent : visage très intense où se lisent avec
vigueur les émotions successives de l'air, et là, l'émotion passe –
mais pas sûr que ça passe la rampe dans les grandes salles. Je serais
davantage intéressé d'éprouver sa résistance dans les grandes formats
wagnéro-straussiens, pour voir si cette maîtrise lui permet, justement,
une musicalité, voire une expression, supérieures.
[[]]
¶ Le coréen Keon-Woo Kim (ténor lyrique) dans la grande scène d'Arnold (« Asile
héréditaire ») du Guillaume Tell
de Rossini.
La voix, très atypique pour l'Extrême-Orient, nasale, assez blanche,
fondue et très chargée en harmoniques dans l'aigu, semble être fondée
sur le modèle de Marcello Giordani (ou du Kunde de fin de carrière),
illustre défenseur de ce répertoire du grand opéra à la française, où
il faut à la fois robustesse et extension aiguë, tout en conservant
souplesse et style.
Incontestablement, Keon-Woo Kim a tout cela, tessiture facile dans
toutes les configurations, sur le passage, dans les aigus… sa maîtrise
de cet air réputé quasiment inchantable lui a sans doute valu le
concours par rapport aux autres artistes que je trouve plus séduisants,
mais qui n'ont pas forcément démontré ce degré de virtuosité. Car
personnellement, je trouve tout de même que c'est l'un des profils les
moins intéressants du concours, le timbre n'est pas très jolie, la voix
très égale mais l'expression pas très détaillée – il n'empêche qu'une
voix comme cela, on va se l'arracher dans ce répertoire, pour sûr.
[Quel désavantage de s'appeler Kim tout de même… on ne compte plus les
grands ténors coréens (ou d'origine – mon chouchou, c'est Daniel Kim,
un liedersänger allemand) avec ce patronyme… Rien que pour Operalia, on
compte 4 vainqueurs nommés
ainsi, dont 3 ténors après 2000…
Enfin, c'est ça ou Lee, ça permet toujours de ne pas être confondu avec
des chinois par-dessus le marché. Et les translittérations
imprononçables (et très loin du son d'origine) n'aident vraiment pas le
public à stariser ces chanteurs (qui sont, pour la plupart, de toute
façon un peu en retrait du fait de la langue, mais les très grands
subissent aussi ce défaut de notoriété !).]
[[]]
¶ L'italo-américaine Marina
Costa-Jackson (soprano grand lyrique) dans l'arioso (en réalité un air) de
l'acte III de la Dame de Pique de Tchaïkovski.
La voix sonne très mûre pour son âge, avec un vibrato très audible, le
russe ne ressemble à rien (ni intelligible, ni correctement articulé),
et dans les récitatifs dramatiques, la voix blanchit complètement – les
aigus ressemblent à Scotto en fin de carrière ou à (ou aux suraigus de
Callas), avec un vibrato à très large amplitude de ton comme de battement. En revanche,
le cantabile
central est superbement tenu, mais sans texte, c'est un peu mince. Il
faudrait sans doute qu'elle veille à ne pas trop pousser sa voix dans
des éclats qui lui font plutôt prendre de mauvaises postures. Ça reste
très agréable à entendre, mais le contraste est vif avec le niveau de
la concurrence de cette année.
(En revanche, en zarzuela, les défauts s'exaltent avec un mauvais goût
assez redoutable…)
[[]]
¶ L'états-unien Brenton Ryan (ténor lyrique)dans l'air du Ver (et son
refrain « Long live the Worm ! ») chanté par le vilain irlandais
Bégearss dans The Ghosts of
Versailles de
Corigliano (d'après la Mère
coupable de Beaumarchais).
L'arrangement m'en a un peu étonné : outre la disparition des sons
électroniques (bienvenue à mon gré, ils brouillaient des choses
joliment écrites à l'orchestre), j'ai l'impression d'une partition
simplifiée, clairement tonale, là où l'original est plus brouillé. Et
il me semble que ça excède le simple effet de la très belle exécution
lyrique de Domingo – peut-être une version révisée de l'œuvre dont je
n'ai pas entendu parler ? Ou alors une simplification pour les
besoins du concours, avec la suppression de parties qui auraient
réclamé plus de musiciens (et décontenancé le public) ?
Je dois avouer que j'aime davantage cette version épurée et très
lisible.
Brenton Ryan à présent. Technique typiquement américaine, mais très
retenue à l'intérieur du corps, ce qui impose une forme de strain
(tension négative) à l'instrument au lieu de libérer le son de façon
plus sonore et détendue – suivant comment on l'écoute, on peut être
séduit par la tension ou gêné par cet aspect constamment poussé.
Au demeurant, belle maîtrise, avec une rondeur typique de ces formats
semi-légers, calibrés pour l'oratorio (il serait très beau dans le Messie
ou dans une bonne partie du répertoire contemporain), le voilà qui
affronte crânement les écarts, les tensions et les effets de cet air
jamais donné lors de concours. Sans parler de la présence scénique assez magnétique (et de la voix jeune pour un rôle souvent distribué à des ténors de caractère, pas toujours en forme).
[[]]
¶ La française Elsa Dreisig
(soprano lyrique léger) dans l'air
du poison de Juliette chez Gounod.
J'ai relayé depuis plusieurs années (1,2,3)
mon admiration pour la liedersängerin
hors du commun (et ce, dans pas mal de langues !), mais je dois avouer
que je ne suis pas ébloui, en bonne logique d'ailleurs, par son travail
à l'opéra (c'était déjà le cas pour les concours de Clermont-Ferrand,
Neue Stimmen, ou les Victoires de la Musique). On entend en permanence
que le timbre force un peu : la
franchise qui la caractérise dans les tessitures centrales de la
mélodie se dilue dans une couverture un peu globale, et une définition
des notes que je trouve désagréablement floue. La diction aussi devient
assez lâche, quand elle est peut-être l'interprète la plus expressive
que j'aie entendue en disposition chant-piano ! Même son
abattage, irrésistible en petit format, devient très banal (voire
inexistant) dans ces rôles dramatiques.
[Pour situer, voici ce qu'une jeune lauréate – Clémence Barrabé, issue du Concours de Marseille – produisait dans
le même air
; la focalisation du son, la qualité de la diction, et même l'autorité
générale n'ont rien de comparable. Je ne mets plus la main sur la
version avec orchestre, mais ça passait parfaitement.]
Bref, je veux bien donner un prix à Elsa Dreisig, et même celui de plus
grande chanteuse de tous les temps si elle veut, elle le mérite ; mais
pas pour chanter des rôles de sopranos lyriques en volapük avec des
aigus savonnés. Voyez plutôt un échantillon de son savoir-faire
chambriste (bandes de 2013 et 2015) :
[[]]
« Green » des Ariettes
oubliées de Debussy. Diction franche, timbre limpide.
[[]]
« Im Frühling » des Vier
Letzte Lieder de Richard Strauss. Les effets de timbre, les
reflets moirés se succèdent, la dynamique est souverainement
expressive… très différent des voix larges qu'on y entend d'ordinaire.
Et comme ça palpite !
[[]]
Dans des lieder, dont certains largement dévolus aux hommes :
♦ la « Frühlingsnacht » finale du
Liederkreis Op.39 (Schumann)
qui s'épanche en fraîcheurs généreuses ;
♦ Hexenlied de Mendelssohn avec
beaucoup de facétie (et d'abattage, avec le visuel, c'était renversant)
;
♦ Im Frühling de Schubert ;
♦ « Frühlingstraum » du Winterreise de Schubert, d'une
présence extraordinaire (les versions féminines étant, pour des raisons
de texte comme d'écriture, souvent plus contemplatives, poussées vers
les marges…), et d'une conduction du son exemplaire.
[[]]
Cabaret et jazz où la voix devient droite, où l'expression
s'encanaille… une sorte de belting glorieux,
une façon de chanter le cabaret dans un style parfait mais avec une
voix qui remplit l'espace… Entre la métamorphose vocale et le jeu
scénique – qui la quitte totalement pour l'opéra ou les concours,
manifestement –, absolument irrésistible en vrai.
Je trouve qu'on entend très bien dans ces extraits (en plus de son
talent fou) ce qui fait son attrait spécifique : une façon de mixer la voix de tête, standard chez les femmes
dans le répertoire lyrique avec la voix de poitrine (plus
caractéristique des répertoires populaires, même s'il existe une
infinie variété de postures vocales en la matière). C'est ce que font
certaines mezzos aux timbres riches et capiteux (Brigitte Fassbaender,
Doris Soffel), ce qui leur procure une résonance beaucoup plus complète
et sonore.
Ce permet à Elsa Dreisig de disposer d'une meilleure assise pour dire
le texte, pour projeter sa voix de lyrique léger dans les partitions
très centrales du lied et de la mélodie.
Cela explique aussi pourquoi ces qualités (liées à des résonances d'un
registre du bas de la tessiture) ne peuvent pas se reporter,
mécaniquement, dans la partie supérieure de la voix, où son répertoire
lyrique naturel l'amène, et où elle ne peut donc pas tirer profit de sa
singularité. Au contraire, même, elle manque de la franchise des
attaques et de la clarté des sopranes qui se bâtissent « par le haut »
– on l'entend très bien chez Clémence Barrabé (ou Mady Mesplé, ou
Ghyslaine Raphanel…), la voix reste toujours étroite, très focalisée,
avec des résonances aiguës, même dans le grave (ce qui leur permet
d'être tout aussi intelligibles en bas et de monter avec les mêmes
qualités).
Je crains donc que cette limite ne soit pas liée à l'émotion des
concours, ni même au répertoire – sauf à ne chanter que de la musique
de chambre ou des tessitures de mezzo (elle a déjà donné la Séguédille
de Carmen en public, très convaincante…), mais on ne la laissera jamais
faire une carrière de la sorte, surtout pas à ce niveau, le système
fonctionne avec des cases relativement étanches, et on ne laisse pas
les sopranos légers chanter des rôles centraux (même s'ils y excellent
souvent, si la voix est bien placée ce n'est vraiment pas un obstacle
!).
Non, il semble que la limite vienne de la nature de la technique
elle-même, avec des appuis bas qui sont parfaits pour les tessitures
proches de la voix parlée ou les pièces légères, mais peu adaptées pour
les grands aigus et l'expression dramatique plus large de l'opéra.
À suivre (et puisse-t-elle me démentir).
[[]]
¶ Dans le concours de Zarzuela, on trouve aussi un artiste qui n'a pas
été retenu pour la finale, le mexicain Juan
Carlos Heredia
(baryton grand lyrique) qui délivre une interprétation d'une chaleur
incroyable, dans un fondu de velours soutenu par un petit vibrato
rapide très élégant. Peut-être que ce fondu limite sa puissance, mais
cette égalité de timbre, cette aisance et cette générosité sont
suffisamment marquants pour qu'on s'interroge sur son absence lors de
la finale.
4.
Palmarès
Le prix est donné sous forme de podium bipartite, l'un féminin, l'autre
masculin. Sur le même principe s'ajoutent un prix de zarzuela, un prix
Birgit Nilsson pour récompenser le répertoire wagnéro-straussien, un
prix du public (une Rolex) et un prix Culturarte (je ne me suis pas
renseigné sur ce que c'était).
DAMES
♦ Premier prix : Elsa Dreisig
(Juliette)
♦ Deuxième prix : Marina Costa-Jackson
(Lisa)
♦ Troisième prix : Olga Kulchynska
(Juliette)
♦ Prix du public : Elena Stikhina
(Leonora)
♦ Prix de zarzuela : Maria
Costa-Jackson
♦ Prix Birgit Nilsson : néant
♦ Prix Culturarte : Elena Stikhina
(Leonora)
MESSIEURS
♦ Premier prix : Keon-Woo Kim (Arnold)
♦ Deuxième prix : Bogdan Volkov (Lenski)
♦ Troisième prix : Ramë Lahaj
(Edgardo)
♦ Prix du public : Keon-Woo Kim (Arnold)
♦ Prix de zarzuela : Juan Carlos
Heredia & Nicholas Brownlee
♦ Prix Birgit Nilsson : Brenton Ryan
Si on m'avait jamais demandé mon avis, j'aurais sans doute été tenté
d'intercéder en faveur de Ramë Lahaj
(la personnalité vocale et le tempérament à la fois !), Bogdan Volkov (mais comment se
tire-t-il des autres répertoires ?), mais aussi de Juan Carlos Heredia, éliminé en
demi-finale(ce fondu, cette
chaleur !), Schoon Moon (très
intéressant élargissement chromatique d'une voix lyrique qui aurait dû
être un peu étroite).
Par ailleurs, je serais très curieux de suivre l'évolution d'Elena Stikhina, Olga Kulchynska, Nicholas Brownlee et Aviva Fortunata, dont le potentiel
paraît encore vaste.
[Au passage, je suis étonné que Benjamin
Bernheim, présent en demi-finale, n'ait pas été retenu au bout
du chemin : s'il y a bien un ténor irrésistible en ce moment, capable de toutes les
configurations vocales à la fois…]
Keon-Woo Kim fera sans
doute de très bonnes choses, on a besoin de ténors de ce format ;
simplement, il ne m'a pas séduit intimement comme les autres. Brenton Ryan
est très bien aussi, avec un abattage qui lui servira grandement sur
scène. En matière d'interprétation, c'était même le grand vainqueur, livrant une version de référence pour son air. Non, les seuls sur lesquels j'aie des réserves sont J'nai
Bridges (un peu fragile techniquement pour un concours de ce niveau),
Elsa Dreisig (qui m'a paru très commune dans ce type d'emploi) et
surtout Marina Costa-Jackson
(trop instable, trop mal prononcée, sonnant comme si la voix déclinait
déjà… inégal dans Tchaïkovski et redoutable en zarzuela).
Côté zarzuela,
c'est comme chaque année un peu le musée des horreurs (qui n'épargne
pas les hispanisants généralement, témoin Maria
Teresa Alberola Banuls en 2005) ; Schoon Moon s'en
sort bien en imitant le timbre de Domingo (et en trouvant donc des
sonorités qui, quelque part, ont un lien secret avec l'espagnol), mais
c'est Juan Carlos Heredia qui
s'empare comme il sied du style, et le seul à y mettre à la fois la
science esthétique et l'enthousiasme. Les autres paraissent un peu à la
rue en comparaison – et, de fait, ça ne ressemble pas à grand'chose, en
particulier Maria Costa-Jackson d'ailleurs, sauf à récompenser un prix
de rôle de caractère déclinant et grimaçant…
Il faut bien sûr entendre les voix en vrai pour pouvoir confronter son
opinion, et avoir le recul du directeur de théâtre (ce n'est pas une
remise de prix distribuée par des chanteurs, des professeurs, des chefs
ou des agents, c'est vraiment un parterre de décideurs, d'employeurs)
pour pouvoir débattre de l'attribution, mais l'écart est étonnant,
considérant le niveau exceptionnel de la finale – et le fait que les
seuls qui me paraissent plus fragiles soient davantage primés !
5. Autres
éléments
Cette année, j'ai retrouvé les qualités de chef de Domingo,
pas approximatif comme en 2014, et dispensant au contraire un élan
lyrique remarquable à chaque pièce – cette sensation de poussée
permanente est vraiment le point fort de ses bonnes soirées à la
baguette, ce qui m'impressionne toujours pour un (semi-)dilettante.
Fischer-Dieskau n'a pas eu les mêmes succès, n'est-ce pas.
Et pourtant, ce n'était pas
l'orchestre de l'Opéra de Los Ángeles, cette fois-ci, mais le
Philharmonique de Jalisco…
Comme toujours, c'est le triomphe des voix aiguës
: avec si peu d'airs, les capacités techniques sont mises en évidence
plus aisément sur les voix des frontières… Pourtant, si les ténors
vaillants sont rares, les basses charismatiques sont rarissimes, mais
ce type de concours met moins en valeur ce qui fait leur qualité – la
présence vocale instantanée, l'autorité d'un récitatif, d'une empreinte
sonore, plus que l'agilité technique de suraigus ou de coloratures.
Rien que dans leur représentation
sur scène : où sont les mezzos ? les véritables basses ?
même pas de baryton lyrique finaliste cette année, espèce pourtant
particulièrement courante où grouillent les profils de valeur.
Les morceaux
présentés
sont toujours les mêmes : la compétition ne s'occupant pas du
répertoire avant 1800 (Mozart étant probablement toléré) ni de celui
qui s'émancipe complètement de la forme à numéros (il faut bien tirer
un air) ou de la tonalité, on retrouve non seulement les mêmes styles,
mais aussi les mêmes compositeurs et les mêmes extraits. Toujours les
quelques mêmes Donizetti, Verdi pas trop lourds (idem pour Wagner,
c'est Elisabeth ou Elsa) et Gounod. Certains jouent la cantilène et la
cabalette, d'autres seulement la cantilène, une question de durée, je
suppose (mais pour l'air du duc de Mantoue à l'acte II, il y aurait eu
le temps…).
Mais le concours de zarzuela afférent,
bien que dispensant aussi les airs-rois du répertoire (et par des
non-spécialistes souvent assez paumés dans la langue et le style,
surtout désireux d'accrocher la retransmission de la finale même s'ils
échouent au concours principal…), permet d'entendre des choses
inhabituelles pour le public international.
Cette année, pas mal de surprises
néanmoins : la scène d'Arnold, l'entrée d'Elsa, l'air du poison,
l'arioso de Lisa, la cavatine d'Aleko sont peu donnés en concours. The Ghosts of Versailles
n'est jamais donné en séparé, et pas si souvent sur scène, même s'il
s'agit d'un des opéras contemporains les plus populaires (ce qui veut
dire qu'on ne l'entend vraiment pas souvent quand même…).
En tout cas, cette fois-ci, il y a tout
lieu d'étaler son admiration, et pas seulement sur quelques-uns, que de
très grands chanteurs – et contrairement à d'autres années, je ne les
ai pas vus sur mes radars (souvent, ils ont déjà participé à beaucoup
de finales de concours auparavant, et disposent déjà d'une solide
carrière solo, au moins sur leur territoire. Profitons-en pour nous en
réjouir ouvertement !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Glottologie a suscité :
Il y avait longtemps que je n'avais pas réécouté Maria Callas,
peut-être même un an ou deux. Il faut dire qu'en dehors de quelques
enregistrements à contre-courant où je l'aime assez (Elvira des Puritains, Abigaille, Amelia du Bal Masqué,
Carmen, Turandot…), je n'ai jamais été très touché par sa manière, et
tout particulièrement dans les rôles qui ont fait sa réputation (Norma,
Traviata, Tosca).
Je me suis aussi toujours demandé si la remise au goût du jour du belcanto romantique par des voix
plus « authentiques » et l'exécution de partitions de ce répertoire hors du petit nombre
encore à l'affiche lui devaient autant qu'on le dit. Pour sûr, elle y a
contribué, mais qui choisissait les titres ? Était-ce réellement
la
chanteuse, qui lisait des partitions oubliées sur son temps libre pour
les sélectionner et les proposer ensuite ? Les directeurs de
théâtre
et les chefs d'orchestre n'ont-ils pas eu un rôle plus déterminant
?
Dans ces matières, on tend souvent à donner le mérite à la célébrité la
plus proche du dossier. (Par ailleurs, à mon sens, la véritable
renaissance a lieu plus tard, quand on se pose des questions sur
l'exécution, qu'on enregistre des intégrales complètes, plutôt avec
Bonynge donc – qui était un véritable musicologue.)
Ce n'a aucune importance pour ce que je vais raconter, mais ce
participe du mythe.
La Fosse, Le Triomphe de
Maria Callas célébré par le Tölzer Knabenchor
Vers 1675. Musée des Beaux-Arts de Nancy.
Donc. En revenant à ces disques avec le recul, les oreilles un peu
reposées de mes préjugés et de ceux des autres, je conserve le même
relatif scepticisme. Grande chanteuse, bien sûr, et je me figure que sa
réputation procédait grandement de son implication scénique, rare à
l'époque, et encore plus chez les dames, donc je passe nécessairement à
côté de la vérité de ses mérites – mais ni plus ni moins que ceux qui
l'adulent, puisque notre matériel est le même.
Pourquoi ne suis-je pas totalement convaincu ?
¶ Le son hypertrophié, façon
bajoues, n'est pas très sympathique, et limite en tout cas la
pertinence des incarnations d'ingénues – dans Traviata, comment croire à la
phtisie avec cette voix épaisse et ronronnante ? Même en
admettant la convention, c'est difficile. (je viens d'écouter
Tomowa-Sintow engloutir Nimsgern dans l'acte du Nil Aida, même genre d'effet, on dirait
que c'est le roi d'Éthiopie qui se fait salement tancer)
¶ Les portamenti
(ports de voix pour lier une note à l'autre) toujours très lourdement appuyés : il s'agit
de créer de la fluidité, pas d'insister sur la transition elle-même, en
principe. Pour un modèle de belcanto,
c'est un peu frustrant (là encore, à replacer dans son temps moins
rigoureux, mais ce relativise son image de vérité indépassable).
¶ J'aime beaucoup les poitrinés
(une notule viendra là-dessus), je ne suis pas du tout dérangé (je
trouve d'ailleurs les voix de femme toujours plus belles quand elles
n'utilisent pas exclusivement le registre de tête, donc surtout les bas de
tessiture à l'opéra !), mais ils ne sont pas particulièrement gracieux,
c'est vrai. La propension à nasaliser
pour faire méchant est aussi assez discutable.
¶ Par-dessus tout, c'est l'expression dont on fait tant de cas qui me
dérange. Chez Callas, prévaut la
manière stabilo
: en général, pour faire passer une émotion, soit on sélectionne une
couleur vocale et un style adéquats (attaquées piquées pour la joie ou
l'humour, grands portamenti
pour les implorations et déplorations…), soit on choisit des mots, sur
lesquels on place du relief, pour donner une crédibilité à l'affect.
Mais pour elle, c'est simple : on met toute la gomme sur le mot le plus
explicite de tout le passage (crier, maudire, détester…) ; ça
fonctionne, mais le résultat est tellement redondant et grossier que je
peine à être touché. A fortiori lorsque
ce ne sont pas des personnages véhéments (en Violetta, c'est quand même
bien étrange) – mais même pour Médée, je demeure sceptique devant ce goût du pléonasme.
S'il y a une émotion, elle ne se manifeste pas forcément principalement
par le mot qui l'exprime, elle affleure sur les autres mots alentour,
alors que chez Callas, le soulignement
se fait exclusivement sur l'explicite
(où il n'est pas nécessaire, précisément puisque le texte l'explicite).
Je ne crois pas avoir jamais croisé chez elle une expression
inattendue, qui serait en décalage avec la lettre du texte.
Voilà qui est tout sauf rédhibitoire, et ce sont toujours de belles
interprétations, mais considérant la typicité du timbre et le peu de
grâce de la manière, je reste étonné qu'on la considère toujours comme l'horizon indépassable
du chant (au moins du côté romantique italien). On n'a pas d'équivalent
au phénomène Callas dans les autres tessitures et dans les autres
répertoires, où certains font assez bien l'unanimité (Popp, Corelli, Hotter…), mais où personne n'est considéré
comme l'absolu indiscutable.
Or, à la réécoute un peu distanciée, j'entends toujours les mêmes
choix, tout à fait défendables, mais pas particulièrement
recommandables non plus : une excellente chanteuse certes immédiatement
identifiable, sans doute très impressionnante sur scène pour son époque
(même si les vidéos ne sont pas forcément plus vertigineuses que les
partenaires qui y figurent), pas exactement le sommet sur tous les
critères. Plus que la qualité propre des interprétations, c'est l'écart
entre la réputation et ce qu'on entend (charismatique, typé, inégal,
imparfait) qui surprend : comment cela peut-il mettre tout le monde
d'accord ? Car, il faut bien l'admettre, je suis un peu seul. (je
veux parmi les amateurs de ce répertoire-là, sinon les autres la
méprisent passablement) Mais je l'aime toujours beaucoup
en mezzo.
Je trouve qu'on entend assez bien les limites que je ressens, à
l'écoute, dans sesmasterclasses à
la Juilliard School (celle-ci, sur « Eri tu » du Ballo,
par exemple) : comme elle y chante au moins aussi longtemps que ses
élèves, les partis pris y sont très sensibles. Et on y retrouve ce legato un peu outré (même lorsqu'il
n'est pas écrit) ; elle explique même (de façon tout à fait
péremptoire) qu'il faut faire du rubato
aux fins de phrase pour appuyer l'expression – et, de fait, elle met à
plusieurs reprises le pianiste dans le décor… Le fait d'enseigner ses
particularités comme un système opérant (l'expression, on la met où on
la veut, pas forcément avec du rubato
ni
sur ce mot-là – forcément, elle sélectionne le mot « empoisonner », en
nasalisant luette au vent) permet de mettre le doigt sur ce qui est
dispensable dans son univers esthétique.
Deux notules consécutives de glottologie (un peu) négative, promis, une
autre est en préparation pour réhabiliter un nom et dispenser un peu
d'enthousiasme.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Glottologie a suscité :
Contrairement aux apparences peut-être, non, ce n'est pas un titre ironique.
Un brin hyperbolique peut-être, mais pas ironique.
Dans cette courageuse investigation, extraits à l'appui, nous combattrons les préjugés et feront triompher les lumières de la Raison des ténèbres de la généralité fallacieuse.
1. L'image de Donizetti
Il est d'usage, chez les mélomanes ou musiciens « purs » — ceux qui ne sont pas particulièrement amateurs de voix, disons, et qui ne se laissent pas abuser sur les qualités d'une partition par un joli timbre ou quelques contre-notes —, de mépriser ouvertement le belcanto romantique. Bien que n'étant pas suspect de glotto-indifférence, je dois admettre sacrifier souvent à ce petit plaisir – sans m'abstenir d'écouter avec grand plaisir certains de ces ouvrages par des glottes illustres ou obscures.
Donizetti est souvent l'étendard de ce type de musique. Pour une raison très simple : la plupart des compositeurs concernés (pré-verdiens, disons – même si Verdi est lui-même l'objet de sarcasmes à mon sens très injustifiés) restent très obscurs (et la plupart pas très bons). Or, Rossini — dont le legs sérieux est peut-être le plus caricatural de tous en matière de virtuosité vocale, d'harmonie sommaire et d'orchestration négligée — reste davantage célèbre pour ses œuvres bouffes, et Bellini a tout de même tendance à rechercher de petites couleurs (par exemple des notes étrangères sur le temps fort avant d'aller vers sont accord parfait), certes très modestes, mais qui le mettent à part du tout-venant des compositeurs belcantistes.
Reste donc Donizetti, qui a beaucoup écrit, et pas toujours des choses de premier plan. Même dans ses œuvres célèbres, on rencontre souvent des simplicités qui évoquent réellement le prétexte à exposer un timbre (harmonie minimale, rythmes identiques, même pas de mélodie saillante…).
2. La bonne blague de Bolena
Prenons Anna Bolena, mieux diffusée que d'autres (il existe une version Callas, coupée et pas bonne, mais ça aide toujours beaucoup…), et qui connaît un réel retour en grâce ces dernières années dans les théâtres du monde. Rien que depuis 2013, on a pu assister à des productions scéniques à Vienne (avec reprise en 2015), Zürich, Cologne, Catane, Cardiff, Buenos Aires, Chicago, Bordeaux, Toulon, Łódź, Ostrava et même une version de concert à Tenerife.
Pourtant, si l'on ouvre la partition (ou simplement ses oreilles), on ne peut qu'être frappé par le caractère sommaire de la composition :
« Non v'ha sguardo » (Anna). Leyla Gencer accompagnée par Gavazzeni.
La suite se complifie un peu, mais cela reste très représentatif de la manière de Donizetti (et belcantiste en général) :
¶ rythmes parfaitement réguliers et uniformes (une basse sur les temps forts et du remplissage de cordes sur l'accord, tout en croches) ;
¶ les rares effets d'orchestration (ici clarinette et cor, ça alterne tout de même) sont redondants avec la voix ;
¶ mélodie constituée presque exclusivement des trois ou quatre notes de l'accord – même les notes de passage qui les relient (pourtant tout à fait courantes dans les langages baroques ou classique) sont réduites au strict minimum –, ce qui cause de grands sauts d'intervalle non seulement plats, mais assez peu mélodiques (qu'on verra alors comme un test pour le chanteur) ;
¶ l'harmonie est embryonnaire, essentiellement deux accords (dominante pour la tension, tonique pour la résolution), parfois un troisième et de très rares emprunts extérieurs. Même les appoggiatures, procédé tout à fait banal de faire précéder une (ou plusieurs) note de l'accord parfait d'une note étrangère, pour donner un peu de relief, sont assez exceptionnelles (Bellini en fait déjà un peu plus usage).
Bref, essentiellement un écrin à voix, avec les grandes lignes et toutes les agilités qu'il faut pour mettre en valeur un timbre — la plupart des chanteuses disent d'ailleurs que c'est agréable à chanter, et les profs donnent ça presque systématiquement à leurs étudiants, parce que c'est « bon pour la voix ». [Ce avec quoi je ne suis que partiellement en accord, d'ailleurs : ça expose aussi les défauts chez les jeunes chanteurs ou les amateurs, et, surtout ça induit des biais stylistiques, en favorisant le nivellement des sons, voire un type d'émission flottant qui n'est pas forcément le plus opérant ni le plus intéressant (et peu exportable). Mais effectivement, chanter Donizetti, c'est comme faire une vocalise, ça chauffe bien. Il est seulement dommage qu'on ne propose pas un Wagner ou un Ravel une fois que l'opéra est fini, manière que l'échauffement serve à quelque chose.]
Il arrive même, lorsqu'il s'agit de présenter une chanson dans l'opéra (le personnage est supposer chanter dans la vraie vie), que Donizetti se parodie lui-même. Cette romance entière (« Deh, non voler costringere », chantée par Smeton dans le même opéra) ne contient que trois accords (essentiellement deux : tonique, dominante, et exceptionnellement la dominante de la dominante).
À l'échelle de l'harmonie occidentale, cette atrophie est quasiment de l'ordre du gag.
« Deh, non voler stringere » (Smeton). Bernadette Manca di Nissa accompagnée par Bonynge.
(J'ai mis la réduction piano pour gagner de la place, en version orchestrale la plaisanterie s'étend sur des pages entières.)
Voilà pourquoi l'on peut (et l'on doit !) se moquer de Donizetti.
Toutefois, outre le fait qu'on peut aussi aimer cette forme de minimalisme, ou tout simplement aimer l'écouter comme Donizetti l'a conçu, comme un prétexte à belles voix… notre homme est aussi l'auteur de bijoux beaucoup plus délicats. En particulier Il Diluvio Universale (harmoniquement sa partition la plus raffinée) ou Les Martyrs (assez différents de son style ordinaire), mais aussi…
3. Les merveilles de L'Élixir – ou du Philtre ?
Alors même qu'il fut composé en six semaines (on lit même souvent, même chez des auteurs sérieux, quatorze, dont sept pour le livret — comment est-ce donc seulement possible, rien qu'en recopiant mécaniquement toutes les parties des ensembles et de l'orchestration ?), L'Elisir d'amore est d'assez loin l'opéra de Donizetti qui cumule le plus de qualités.
¶ Est-ce l'abandon à son propre génie que suppose une telle hâte — ne cherchant plus les schémas simples pour plaire ou public ou mettre en valeur les chanteurs, mais laissant parler son métier de musicien ?
¶ Est-ce la nécessité d'un coup de pouce à de mauvais créateurs ? L'épouse du librettiste a rapporté cet avertissement célèbre que Donizetti aurait glissé à Romani :
Bada bene, amico mio, che abbiamo una prima donna tedesca, un tenore che balbetta, un buffo che ha la voce da capretto, un basso che val poco. Eppure dobbiamo farci onore.
Prenez garde, mon ami, que nous avons une prima donna tudesque, un ténor bègue, une basse bouffe à la voix de chèvre, et une basse qui ne vaut pas grand'chose. Et pourtant, nous devons tenir notre rang.
Il aurait alors dû écrire une musique qui suscite elle-même l'intérêt, au lieu de s'en reposer sur les chanteurs. Et limiter la virtuosité au profit de belles mélodies — quand on voit l'agilité extrême de la grande cabalette finale d'Adina, on reste dubitatif sur ce dernier point.
Il s'agissait peut-être de goût personnel, mais plus sûrement d'une façon de conjurer le sort, car le public apprécia fort la distribution, qui fut pareillement couverte d'éloges par la presse. Dès la création, la « gazzetta teatrale » de lEco'' de Milan décerne des prix d'incarnation vocale et théâtrale à l'ensemble de la distribution. Et l'œuvre connaît 32 représentations dans l'année de la création (à partir de mi-mai 1832).
¶ Est-ce le sujet ? Faute de temps, Felice Romani s'est tourné vers une valeur sûre : Eugène Scribe, qui venait d'écrire un Philtre pour l'Académie Royale de Musique.
Le synopsis de L'Elisir opère d'ailleurs un joli va-et-vient ultramontain : Il Filtro de Silvio Malaperta, adapté en français en 1830 par Stendhal pour la Revue de Paris, est transformé en opéra comique par Scribe pour Auber, qui le donne à Paris en 1831.
Pris dans l'urgence, Romani se contente quasiment de transcrire la pièce en italien. Même les noms sont des décalques : à part Térézine [sic] et Guillaume, Jeannette devient Giannetta, Fontanarose Dulcamara, et le sergent Jolicœur il sargente Belcore… Les traits d'humour sont exactement les mêmes : le philtre d'Iseult (« pourquoi faut-il que la recette en soit perdue » devient « que n'en sais-je la recette »), le prix exorbitant (trois pièces d'or ou un sequin, toute la fortune de Guillaume-Nemorino), la fuite du charlatan (« un jour entier – le temps de partir d'ici »), le vin du faux élixir (là aussi, plaisant échange : le Lacryma Christi de la version française devient du Bordeaux chez Romani), la chanson de Zanetto le gondolier, « Grand dieux ! / À mon rival je rends les honneurs militaires ! »…
En réalité, la traduction de Romani fait quasiment du réplique à réplique dans les récitatifs, et n'aménage les numéros qu'à la marge, selon les besoins musicaux italiens. Il existe néanmoins quelques différences (pas forcément mineures) :
Les références au Pays Basque sont gommées (« Habitants du bord de l'Adour, / Vous savez que sur ce rivage / On parle toujours sans détour ; / Du Pays Basque c'est l'usage ! »).
La scène de cour inversée faite par les demoiselles du village, à la fin de l'opéra, est plus licencieuse chez Scribe, où elles se l'arrachent littéralement. Jeannette a davantage d'épaisseur ici, puisqu'elle sort du rang pour consoler Guillaume au début de l'opéra – et finalement se moquer de lui.
Au passage, Frank Dunlop (le metteur en scène, à Lyon, dans la production avec Pidò, Gheorghiu, Alagna…) a manifestement lu l'original, puisqu'il traite non seulement le chœur de femmes avec le même abandon que chez Scribe, mais de surcroît, l'affrontement « Esulti pur la barbara » (où Nemorino défie la coquette, Adina piquée au vif) s'y passe à table, élément de décor explicitement indiqué dans les didascalies de Scribe (« Il va se rasseoir, et continue son repas »).
Toute la dimension mélancolique de Nemorino est due à Romani, ce sont même quasiment les seuls ajouts au livret d'origine (dont presque rien n'est retranché) :
la réplique à l'air d'inconstance d'Adina (plus développé chez Scribe, mais sans réponse) « Chiedi al rio perché gemente » ;
la cantilène désespérée qui romp soudain le grand ensemble où Adina se donne à Belcore pour faire enrager Nemorino « Adina, credimi, te ne scongiuro… » – Guillaume est seulement affolé, mais ne tente pas d'arrêter pas Adina par une telle supplique ;
et bien sûr « Una furtiva lagrima », l'air ineffable où se mélangent l'adieu à celle qu'il aime, partant pour la guerre, et la satisfaction de se sentir enfin aimé.
La situation est déjà présente dans le duo du recrutement, Romani n'ayant fait que traduire :
Oui, je sais que la vie
Demain peut m'être ravie,
Mais je dirai : pendant un jour,
Pendant un jour, j'eus son amour !
par :
Ai perigli della guerra
Io so ben che esposto sono [...]
Ma so pur che, fuor di questa,
altra strada a me non resta
per poter del cor d'Adina
un sol giorno trionfar.
(c'est-à-dire :)
Aux périls de la guerre
Je me sais exposé ;
Mais je sais aussi
Qu'il ne me reste pas d'autre voie
Pour pouvoir, du cœur d'Adina,
Triompher en un seul jour.
Mais le duo n'expose que fugacement cette couleur au sein d'un numéro globalement gai, porté par les forfanteries de Joli-Cœur (« Et les amours qui d'ordinaire / Suivent toujours le militaire »), tandis que l'air la développe à l'inverse sur un mode mélancolique qui n'est éclairé qu'un instant sur ces mots paradoxalement lumineux : « Cielo ! Si può morir… di più non chiedo » (« Mon Dieu, je puis mourir… je suis satisfait »).
La spectaculaire modulation majeure d' « Una furtiva lagrima » (Domingo, Covent Garden, Pritchard).
Cette dimension semisérieuse se retrouve dans le sous-titre donné par Felice Romani à son livret : melodramma giocoso. En Italie, les genres bouffes constituent une masse disparate face aux véritables œuvres élevées et sérieuses (où brillent d'ailleurs les meilleurs interprètes) ; on y trouve aussi bien de véritables farces (les opéras bouffes – opere buffe) que des œuvres aux caractères plus mêlés (Don Giovanni en est l'archétype : dramma giocoso, c'est-à-dire drame joyeux, alors qu'il comporte tout de même des facettes sombres et qui nous paraissent, dans notre regard actuel, même très majoritaires). Giocoso précise que ce n'est pas un sujet pleinement sérieux, mais dramma laisse entendre une forme d'épaisseur psychologique, voire des moments de tristesse ou de mélancolie (melodramma plaçant plutôt l'œuvre dans un cadre quotidien).
Il ne faut pas donner à ces catégories (très perméables) plus de sens qu'elles n'en ont, mais en l'occurrence, la petite nuance apportée par Romani en (disons le mot) recopiant Scribe est vraiment contenue dans ce sous-titre.
Ces circonstances, cette provenance des meilleurs maîtres et ces qualités littéraires ont concouru à produire cette œuvre fortement roborative et pas aussi superficielle qu'elle l'aurait dû… néanmoins, notre sujet était d'explorer la musique de Donizetti sur le plan pratique. Nous y voici.
4. Donizetti, génie de l'orchestration
Pourquoi l'Élixir est-il si différent du reste de la production de Donizetti ? Parce que l'opéra non-serio est plus libre, sans doute, mais il est aussi très supérieur aux autres opéras bouffes du temps, à commencer par ceux (très plats musicalement) qu'il a lui-même écrits.
J'ai déjà évoqué la mobilité harmonique, beaucoup plus grande que dans ses autres ouvrages (Diluvio universale excepté), et donc les changements de couleurs qui adviennent… mais ce ne serait pas très spectaculaire à montrer, dans la mesure où ce n'est impressionnant qu'en comparaison de la norme du lieu et du temps. À côté du Freischütz ou de Robert le Diable, ça reste très… gentil.
Allons donc voir d'un côté qu'on se figure (non sans fondement) comme tout à fait négligé par les compositeurs italiens, l'orchestration.
J'ai pris pour exemple le grand final du I, qui comporte quelques petites mystifications très adroites.
À la fin du grand ensemble de jalousie de Nemorino et Belcore, la troupe des militaires est évoquée, très logiquement, par des rythmes pointés, dans un orchestre prodigue en doublures, mais contenant cors et trompettes. Très traditionnel.
Et puis voilà, ils sont interrompus, le chœur des militaires arrive et annonce la nouvelle de l'ordre du départ, qui va précipiter le mariage et rendre le philtre inopérant.
Dans ces 15 secondes, on remarque donc quatre strates principales (et simultanées).
Deux motifs « techniques » :
¶ Les triolets chromatiques qui trompent un peu la gamme et descendent en pirouettes (aux violons I et parfois II, puis aux flûtes et piccolo), donnant le sentiment de précipitation tournoyante de la scène — sans doute de la musique subjective, la fanfare telle qu'ouïe par Nemorino. Tout se brouille.
¶ Les contrebasses seules (chose rare, surtout pour un motif entier et non des ploum-ploums) qui jouent un motif à contretemps (appuyé sur les temps faibles de la mesure), et qui donnent à la fois un rythme resserré (les deux triples croches) et une façon de rebond dégingandé. Figurant la précipitation générale ou le ressenti de Nemorino, je suppose.
Un cinquième motif utilise aussi ces accentuations inversées (en indigo sur la partition).
Et deux motifs « thématiques », en lien avec l'action :
¶ Les altos et les violoncelles jouent un tétracorde montant (une demi-gamme, quoi) qui évoque beaucoup ce que dira le chœur une fois sur scène, comme un écho des paroles des militaires encore en coulisses. Lorsque le chœur s'y met, le basson entre aussi dans la danse les mêmes rythmes.
¶ Enfin, et c'est peut-être l'astuce la plus adroite, au lieu de figurer directement la fanfare par un instrument cuivré, l'arrivée imminente de la troupe est évoquée simplement par le rythme pointé (vu précédemment), aux bassons — et il est vrai que le basson peut sonner comme une trompe étouffée, pour donner une impression de lointain je suppose, et en tout cas pour faire bruisser discrètement l'identité de ceux qui vont arriver (car, dans le livret, c'est la babillarde Giannetta qui entre d'abord pour annoncer que quelque chose se passe).
Le premier hautbois, dont le timbre peut aussi évoquer, dans cette tessiture, une trompette douce ou lointaine, prend ensuite le relais, et ce n'est qu'une fois que le chœur des militaires a commencé à parler que Donizetti s'autorise à employer franchement les cors.
Tout cela se passe en 15 secondes, et à un moment où l'on est en principe à la fois tétanisé par la beauté du grand trio qui a précédé (voire couvert par les applaudissements du public!), et captivé par le coup de théâtre dramatique qui se déroule… Donizetti aurait aussi bien pu écrire de grands aplats… Mais précisément, c'est cette superposition de procédés (pas exceptionnels pris individuellement, mais plutôt subtils) qui créent à la fois cette urgence, ce climat, cette impression d'avoir déjà entendu les militaires… on n'a pas le temps de le penser, mais on le sent.
Et c'est bien cela qui peut créer une forme de vertige musical : nous sommes assaillis d'informations que nous ne pouvons traiter rationnellement, mais dont nous percevons confusément la signification.
5. Ce dont on peut déduire que…
Ce n'est pas grand'chose en termes de technique de composition, mais être capable de les convoquer de cette façon, avec cette circulation rapide (et expressive) des instruments, rien que pour évoquer un hors-scène qui était de toute façon visuellement évident (on aurait aussi pu mettre une petite trompette en coulisse), c'est sans doute ce qui fait la différence d'avec les opéras plus lisses et attendus du même auteur…
D'ailleurs Donizetti poursuit l'instillation du procédé lorsque le mariage vient d'être décidé : les triolets et la basse décalée reprennent, Adina reprend le tétracorde militaire en chantant, et la clarinette joue les pointés (là aussi, comme un écho dégradé de la fanfare). Subtilement persuasif.
Toute l'œuvre regorge de petites délicatesses dans le genre – sans même mentionner la simple beauté mélodique des contrepoints dans les ensembles vocaux.
Pour un étronneur de cabalettes, on peut y trouver des finesses inattendues, et ainsi nuancer son jugement : Donizetti, c'est souvent mauvais, mais quand même, ça dépend.
Puisse cette sentence profonde vous accompagner longtemps.
Sous ses apparences anecdotiques, l'impossibilité de Stéphane Lissner (voir la vidéo là, le questionnaire débute à 13'13) à nommer les opéras les plus célèbres du répertoire en entendant « Ebben, ne andrò lontana », l'ouverture de La Forza del destino, « Vissi d'arte », « Un bel dì vedremo » et péniblement Carmen avec « Les tringles des sistres tintaient », permet de poser de vraies questions.
Être directeur d'une grande institution culturelle passe d'abord par un savoir-faire administratif (et dans la mesure du possible communicationnel), et s'il est bien entouré (comme la qualité des distributions semble l'attester), sa culture personnelle n'est pas le premier sujet. Évidemment, pour un amateur de lyrique du rang, cette impossibilité de retrouver les titres les plus fameux du répertoire est particulièrement spectaculaire, mais à bien y regarder, s'il n'aime pas le répertoire italien et n'écoute pas de récitals, pas forcément si facile de retrouver La Wally ou Butterfly). Plus étonnante est son hésitation pour identifier le timbre de Callas, mais il avoue ses lacunes franchement et se tire assez adroitement de chacune de ses hésitations avec des anecdotes livresques ou des considérations discographiques (sur des œuvres qu'il n'écoute manifestement pas tous les ans !) : à défaut d'être un grand mélomane, la culture reste indispensable.
Une chose est sûre en tout cas : ce n'est pas lui qui fait les distributions !
Je ne trouve pas cela scandaleux personnellement, mais il est sûr que pour un homme qui a passé sa carrière à diriger des institutions lyriques (pourquoi pas des théâtres ou la Caisse des Dépôts, alors ?), cette séquence est assez impressionnante — surtout après l'annonce de saison tellement bien calibrée pour les médias, où l'on nous parle de redécouvrir le lyrique à travers des choix supposément audacieux.
Manifestement, pour certains, le découvrir constituera déjà un significatif premier pas.
Avec Lissner, on va pouvoir s'amuser… et ça fait aussi partie du plaisir, de pouvoir prendre le thé en disant du mal du directeur de l'Opéra.
En cherchant des informations précises sur la politique culturelle et la programmation péninsulaire des années 50, je tombe sur ceci.
Magda Olivero (Saluzzo 1910) constituì invece una rara avis ai suoi tempi et preparò il terreno per la Callas.
Tiré de Le stelle della lirica : i grandi cantanti della storia dell'opera, par Enrico Stinchelli (Gremese).
Magda Olivero (née à Saluzzo en 1910) fut au contraire un oiseau rare en son temps, et prépara le terrain pour la Callas.
Certes, il s'agit d'un livre destiné au grand public, et compilant un grand nombre de noms en peu de temps, essayant de les enchaîner agréablement entre de nombreuses photos… il ne faut pas y voir une analyse détaillée où chaque mot est pesé… Pourtant voilà qui est très révélateur du fantasme que Callas aurait commencé quelque chose. Quasiment inventé le chant moderne.
Qu'elle ait participé à la remise à l'honneur d'opéras belcantistes qu'on jouait peu, je ne l'ai pas précisément vérifié, mais c'est présenté partout comme vrai ; mais elle n'a pas non plus découvert Donizetti ni Bellini, et ce n'est certainement pas elle qui a décidé ce qu'on jouerait : elle a accepté les rôles que les directeurs de théâtre et les chefs lui demandaient d'assurer.
Visuel de la collection Benedictus Live d'EMI.
Cette hagiographie Callas me dépasse complètement, à vrai dire — sans doute parce que je ne perçois pas bien sa spécificité. Une très bonne chanteuse de son temps, avec des particularités fortes, comme d'autres de ses contemporaines dans les mêmes rôles… Pourquoi un point de départ, cela reste mystérieux. Peut-être que sa vie privée a joué un rôle important dans l'accession au grand public (ce qui permet d'en faire des films), mais pourquoi dans les milieux autorisés du belcanto romantique la présente-t-on toujours comme le modèle inatteignable — tout en admettant qu'elle n'était pas la plus grande technicienne possible —, cela reste un mystère pour moi. On a bien tenté de me l'expliquer, mais je n'ai jusqu'ici pas vu la lumière.
Mais j'aime assez Callas, qu'on ne se méprenne pas — simplement pas partout, et surtout pas particulièrement plus que plein d'autres.
En l'occurrence, considérer que Magda Olivero, dans le grand dessein secret de l'Histoire, aurait préparé avec treize ans d'avance les oreilles au trésor incommensurable qu'est la voix de Callas… est sacrément téléologique.
Plus prosaïquement, j'y vois surtout des convergences techniques qui montrent que Callas n'est pas non plus complètement sortie de nulle part, malgré son timbre atypique.
Simplement un mot après avoir lu le plus grand bien des remasterisations des intégrales Callas chez EMI par Warner : on peut lire çà et là que reportés trop hâtivement sur CD au début des supports numériques, ils avaient été traités un peu maladroitement, et trop systématiquement filtrés.
Son duo avec Vendula Urbanová dans les mélodies de Martinů et Kapralová a déjà été élu spectacle de l'année la saison passée. Dagmar Šašková revient au Centre Culturel Tchèque pour deux concerts : le prochain (et dernier du grand cycle de cinq concerts donnés au CCT) sera le 4 novembre, consacré à ce jazz des compositeurs décadents d'Europe centrale. Je suis pris par Circé, Scylla et Glaucus ce soir-là, mais nul doute que ce sera, une fois de plus, grand (j'hésite carrément à me débarrasser de ma place versaillaise).
Samedi soir, donc, cycles de chants populaires tchèques mis en musique par des romantiques : Mélodies tziganes de Karel Bendl (1838-1897), Chants populaires slovaques et Ballade des montagnes de Vítězslav Novák (1870-1949), puis les deux plus célèbres cycles d'inspiration populaire d'Antonín Dvořák (1841-1904) : Mélodies tziganes Op.55 et Dans le ton national Op.73. À cela s'ajoute une pièce pour piano de Smetana, très belle et virtuose (comme d'habitude), tirée de ses danses de salon mais étonnamment agile, contrastée et narrative.
« Když mne stará matka », quatrième des Mélodies tziganes de Dvořák, lent tournoiement évocateur de l'apprentissage de la danse. Le texte d'Adolf Heyduk est aussi utilisé dans le cycle du même nom de Bendl.
Les Bendl et plus encore les Novák n'ont, il faut le dire, pas un intérêt majeur : il se passe peu de choses musicalement, et le texte palpite bien peu, même dans la Ballade des montagnes (où l'on assiste à une suite de coups de théâtre, dont un miracle) où se succèdent tout au plus des atmosphères, sans que le détail soit finement expressif.
En revanche, les Dvořák ne sont pas déplaisants, même s'il ne s'agit pas du témoignage le plus riche de son art. Et culminent dans la pièce mise en extrait ci-dessus. La prise de son (qui dissocie bizarrement les parties de la voix) ne rend absolument pas justice à présence fulgurante de Dagmar Šašková en vrai : le timbre, doux, se termine très en avant, à la limite d'une légère stridence ; chaque note est ainsi à la fois suave et très présente physiquement, avec beaucoup d'angles, de détail (même si j'ai trouvé la diction un rien plus paresseuse cette fois), d'expression… et, toujours, comme parcourue d'un petit sourire primesautier.
Il est vrai que je suis très sensible à l'esthétique vocale tchèque, à la fois claire, antérieure et très naturellement projetée — une figue s'achevant sur une pointe de citron ; mais le disque nous a surtout laissé la trace d'instruments dramatiques d'un tranchant parfois aux limites de l'ingratitude (comme Děpoltová, mais aussi d'autres assez fascinantes comme Kniplová et Červinková). L'ascendance de Šašková est davantage à chercher du côté de Šubrtová, mais d'un format moins lyrique (presque baroqueux), et sans ce petit confort un peu moelleux gentil — Šašková irradie plus qu'elle n'est gentille.
Bref, comme à chaque fois : vous avez vraiment eu tort de ne pas venir. Dans soixante ans, on vous demandera si vous avez vu Šašková chanter les airs de cour et mélodies comme on vous demande aujourd'hui si vous avez vu Callas dans la Traviata de Visconti. (Vraisemblablement pas, mais on aura tort en tout cas.)
En tant que spectateur, on a sans doute tendance à faire trop confiance à ses goûts : j'étais déçu de la saison de l'Opéra de Paris (je vais même probablement faire le voyage à Lyon pour voir Rusalka, plutôt que la production locale !), mais en fin de compte, il y a tellement à faire qu'on est bien content que toutes les salles ne proposent pas la même densité que Versailles en chefs-d'œuvres incontournables ou que l'Athénée en dispositifs intrigants.
On se retrouve d'ailleurs face au choix d'explorer à fond un domaine qui nous plaît — dans ce cas, en voyageant un tout petit peu, rien qu'en France, on peut être comblé ! — ou de varier les plaisirs (dans ce cas, le temps manque rien qu'à Paris). Je suis plutôt dans la seconde perspective (il y aura donc Decaux, Menotti, Uthal, Amendoeira et Bobby & Sue), mais pour ceux qui souhaitent plutôt approfondir la première, voici de quoi vous occuper un peu l'année prochaine.
Comme l'an passé, en gras les œuvres peu données et particulièrement intéressantes, en souligné les distributions très alléchantes.
Beaucoup d'extraits commencent à circuler... et confirment deux axiomes.
1) En matière de mise en scène, prohiber les lignes droites – ça fait kermesse de salle des fêtes. Comme les meubles strictement orthogonaux au public dans Werther (même dans une vraie pièce, ce serait oppressant, d'autant qu'il n'y en a bien sûr aucun du côté ouvert de la scène), nous retrouvons les lits et mobiliers intérieurs uniquement et irréprochablement disposés contre le mur parallèle à la scène, les chœurs soigneusement alignés (et immobiles, bien sûr)...
À cela s'ajoute une littéralité navrante, qui contraste avec l'effort d'échos picturaux qui maintenait à flot la poésie de son Werther.
Autant l'expérimentation de la Tosca cinématographique de Benoît Jacquot m'avait paru apporter de véritables solutions au problème (fondamental) du film d'opéra, autant les visuels entr'aperçus font craindre un résultat assez peu professionnel. [En voici par exemple quelques-uns à la fin du journal d'Arte de ce soir.]
2) Chanter plus large que sa voix n'est jamais une bonne chose – en tout cas si, pour ce faire, on la modifie pour s'approcher de l'image fantasmée d'une voix qu'on n'a pas. CSS a déjà consacré une notule complète aux problèmes posés par ces déformations.
Entendons-nous bien, je ne suis pas le moins du monde attaché à une typologie des origines, illusoire et pas forcément meilleure ; et je suis même très partisan de la distribution, autant que possible, à des formats plus légers que théoriquement nécessaire (pour des raisons d'articulation, de clarté, et souvent de qualité de timbre), en tout cas en partant du principe qu'il n'existe que très peu de chanteurs dramatiques réellement gracieux ou fulgurants. Mais cela ne vaut que si le chanteur respecte son format d'origine : Stich-Randall en Traviata, c'est parfait pour moi, justement parce qu'elle apporte ses qualités propres, et ne cherche surtout pas à évoluer vers Ponselle ou Callas, ce qui combinerait les désavantages de son format réel, des contraintes de son nouveau format, et des expédients plus ou moins laids pour passer de l'un à l'autre.
Eh bien, Diana Damrau, l'une des plus extraordinaires chanteuses de tous les temps dans son répertoire de colorature, qu'elle avait ouvert avec bonheur aux lyriques légers, voire aux purs lyriques, prouve depuis quelques années les dangers du souhait de forcer l'élargissement de la voix. Oui, elle est célèbre ; oui, elle veut sans doute pouvoir briller à son tours dans les plus grands rôles, qu'elle mériterait d'un point de vue « moral ». Seulement, en chantant les rôles de grands lyriques (voire lyrico-dramatiques) italiens : %
¶ elle rend son répertoire (passionnant : Salieri, Mozart, Meyerbeer, Maazel...) sensiblement plus banal, se confrontant à d'autres figures plus adaptées qu'elle à ce répertoire ;
¶ elle perd la focalisation très nette de son timbre, la précision des attaques, la belle couleur, souple et radieuse, de son timbre ;
¶ elle perd aussi son impact, dirigeant sa voix vers une sorte de grisaille visqueuse (et pas très joliment vibrée, lentement et avec amplitude – alors que son vibrato serré était un enchantement) ;
¶ il lui manque l'assise d'une voix plus centrale et la fermeté de ligne d'une belcantiste romantique, tandis que ses piani flottent en permanence (ce qui est joli pour un aigu seul, mais devient trop instable pour les fréquentes longues lignes) ;
¶ et elle perd ses autres avantages comparatifs : dictions allemande et française souveraines, tandis que son italien est complètement mou et apatride, notamment à cause des contraintes vocales nouvelles qu'elle s'impose.
Bref, en cinq ans, la voix en a pris trente. À l'exception du souhait bien compréhensible, quand on est une célébrité, de faire ce qu'on veut, et en particulier d'aborder des rôles dont on rêve et qu'on croyait inaccessibles, je ne m'explique vraiment pas comme une artiste capable de bâtir une voix et des interprétations de ce calibre peut accepter de se dégrader à ce point, volontairement de surcroît.
Avant :
Après :
On le voit, on est loin d'un naufrage immonde, mais quel dommage d'être passé d'une des chanteuses importante de l'histoire lyrique, à un bon mais second choix, et pas seulement à cause de la concurrence : la qualité même du placement vocal s'est altérée. Peut-être pas durablement (une grossesse est forcément une épreuve pour une voix), et pas encore irréversiblement à mon avis. Mais considérant la façon dont se construit une carrière aujourd'hui, je vois mal comment elle pourrait radicalement changer son orientation ou avoir le temps d'adapter plus finement sa technique à son nouveau répertoire – car en l'occurrence, elle a largement renoncé au placement avant du son pour « assombrir » artificiellement, avec pour résultat des attaques plus floues et un aigu moins sonore et assuré, plus étranglé dans la gorge (avec cette opacité un peu acide qui peut vite dégénérer en syndrome « vieille chanteuse », même très jeune).
Physiologiquement, cela se compare à un relâchement de la rigueur du placement du son, qui peut permettre d'apporter plus de douceur ou de varier les couleurs, et qui est possible sans tout mettre à bas, chez une chanteuse de son niveau technique, mais qui ne doit surtout pas être, comme ça semble le cas ici, le viatique pour « changer de voix » : comment chanter un répertoire plus exigeant par l'expédient d'abîmer sa technique, sous prétexte que son centre de gravité est plus bas ?
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Pardon, je suis râleur aujourd'hui. Mais pour me rendre justice, ce n'est pas tant pour le plaisir de récriminer (je n'ai pas pris de place de toute façon, ayant déjà entendu Traviata sur scène et n'aimant pas beaucoup Damrau dans ce répertoire) que pour l'occasion de soulever quelques enjeux intéressants, qui affleurent souvent dans les commentaires (« pas la voix du rôle », « pas italienne », ou au contraire « belcantiste idéale »), sans qu'il y ait toujours formulation des raisons de ces appréciations. J'ai essayé de le faire – d'un point de vue plutôt négatif, j'en conviens, mais j'ai vraiment le sentiment qu'en plus de gâcher son talent, elle ne rend pas service au belcanto italien qui pourrait être plus adéquatement servi. [Toutes proportions gardées. Évidemment.]
En revanche, la bonne nouvelle, c'est que pour la reprise en septembre, il y aura deux dates avec Venera Gimadieva qui, dans le genre Traviata large et débordant de santé, est particulièrement décoiffante. Je suis assez tenté, je dois dire (en plus, c'est en duo avec un Alfredo étroit mais éloquent et trompettant, en la personne d'Ismael Jordi).
Il m'a pris la fantaisie de me promener dans la discographie disponible. Malgré un désintérêt progressif et continu pour Dvořák au fil des ans, je reviens sans cesse à une poignée d'œuvres : le second Concerto pour violoncelle, un peu d'opéra, et ce Requiem... des bijoux indispensables. Il s'agit d'une partition de maturité (numéro de catalogue B. 517), composée en 1890, à l'intention du Birmingham Triennial Musical Festival de l'année suivant, où Dvořák dirigea lui-même son œuvre. [Il s'agit, au passage, du Festival de musique classique dont l'existence fut la plus longue, de 1768 à 1912, à intervalles réguliers depuis 1784.]
On sera plutôt surpris de constater, dans notre ère d'opulence discographique, la dimension assez réduite du corpus. Pourtant, on peut considérer à bon droit ce Requiem comme l'un des plus beaux de tout le répertoire (à titre personnel, c'est même celui qui me touche le plus, avec Ropartz et le premier de Cherubini), et admirer sa façon de balayer toute la gamme des expressions sacrées, du grand théâtre de la Séquence au recueillement des Offertorium et Agnus Dei, ménageant aussi bien les soli vocaux et tempêtueux que les chœurs extatiques, mêlant Fauré et Verdi dans une même poussée continue.
L'œuvre n'est par ailleurs pas obscure, et généralement appréciée des mélomanes, ce qui s'explique facilement par la très belle veine mélodique. Pour ne rien gâcher, Dvořák se montre particulièrement sensible à la prosodie de la messe : malgré son soin de la ligne mélodique, toute la musique semble découler naturellement des accentuations du texte latin.
À ces questions qualitatives, s'ajoute une absence de difficulté technique majeure, pour l'orchestre, pour le chœur, pour les solistes, chacun étant tout de même très bien servi avec des moments de fort caractère. Il faut de bons musiciens, mais pas besoin de virtuoses particulièrement extraordinaires comme pour Berlioz (orchestre et chœur) ou Verdi (tout le monde).
Et pourtant, après avoir fouillé les catalogues de bibliothèques, les bases de données centralisées, les sites de vente en ligne... il ne doit plus en manquer : 13 versions, dont 3 chez des majors (DG, Decca, Erato) et 3 sur des labels vraiment confidentiels (ClassicO, ArcoDiva, voire carrément insolite, comme Massimo La Guardia).
Ou plutôt, il en manque forcément, mais vraisemblablement plutôt du côté des vinyles non réédités, des éditeurs pirates non légalisés, des labels d'interprètes ou à compte d'auteur...
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Pour accompagner votre lecture :
Extrait d'un concert inédit, donné le 19 août 1989 à Lübeck, lors du Festival Musical du Schleswig-Holstein : le Graduale dirigé par Krzysztof Penderecki. Avec les beaux graves de Lucia Popp, mais aussi Kathleen Kuhlmann, Josef Protschka, Siegfried Lorenz, la NDR, dont les chœurs sont renforcés de ceux de la Radio Bavaroise.
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2. Distributions et commentaires
Dans la mesure du possible, figurent les dates d'enregistrement et non de publication (le plus souvent, les disques sont enregistrés l'année qui précède leur diffusion, mais quelquefois, l'écart peut être supérieure).
(Mise à jour du 24 novembre 2015 : Ajout des deux versions les plus récentes, Wit et Herreweghe, et quelques ajustements des conseils en conséquence.)
1959 Karel ANČERL – Philharmonie Tchèque – (Supraphon & DG)
Maria Stader, Sieglinde Wagner, Ernst Häfliger, Kim Borg – Chœur Philharmonique de Prague
¶ La version la plus célèbre, et une belle référence.
Atouts : beaucoup d'allant, une sensibilité à la prosodie et aux climats, un beau plateau.
Réserves : le chœur sonne étroitement chez les femmes, et j'ai personnellement de la peine à m'attacher à la voix presque droite et au vibrato irrégulier de Stader.
(Attention à la réédition Ančerl Gold, qui massacre totalement la bande à coups de filtres sauvages.)
1964 Karel ANČERL – Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin (de l'Est) – (Forlane)
Elisabeth Rose, Gertraud Prenzlow, Peter Schreier, Theo Adam – Chœurs de la Radio de Berlin (Est)
¶ Version plus fruste en apparence sans doute, tendue comme un arc, parcourue d'une ferveur qui n'a rien de concertant, avec en particulier un Offertoire d'une poésie extraordinaire. Le Rundfunkchor Berlin est évidemment d'une plasticité et d'une beauté extatique idéales pour ce type de répertoire (et les autres). Combien les femmes semblent plus jeunes ici, sans les voix boursouflées et instables qui peuplent d'ordinaire les grands chœurs symphoniques – de véritables qualités d'oratorio, comme souvent pour les chœurs de radio allemands. Solistes pas forcément jolis, mais très charismatiques. Et une urgence, une évidence de tous les instants. Celle à laquelle je reviens inlassablement, en tout cas.
Ecoute intégrale, gratuite et légale possible en ligne en cliquant sur la pochette. De quoi accompagner la lecture de la notule.
1. Concept
Je n'ai jamais fait mystère de mon intérêt pour les voix minces surdistribuées dans des rôles dramatiques - tout simplement parce qu'elles sont généralement moins sombres et couvertes, et que la couleur, la tension et la diction sont supérieures de ce fait. Ce n'est évidemment pas possible partout, mais dans les petites salles, avec des effectifs allégés ou encore en studio, il n'y a pas de raison de se priver.
J'attendais donc avec curiosité la version à paraître, dirigée par Giovanni Antonini - directeur musical historique du Giardino Armonico, explorant le XIXe siècle ces dernières années, avec notamment une intégrale des symphonies de Beethoven avec l'Orchestre de Chambre de Bâle (sur instruments d'époque). Le Casta diva de studio de Cecilia Bartoli était d'ailleurs prometteur : pur produit de studio, baissé et murmuré, mais avec beaucoup d'intensité et d'original - non plus tour de force, mais prière murmurée.
Cette intégrale, dans cette perspective, tient ses promesses. En un sens, elle ressemble assez (le style en plus !) aux intégrales faites autour d'Andrea Bocelli par Decca : la première star de la distribution (peut-on encore parler de prima donna ?) voit son volume vocal confidentiel élargi par le potentiomètre, sans changer sa voix, tandis que les partenaires sont rejetés un peu en arrière, dans la zone de réverbération (même dans une cathédrale, on n'obtient pas un son aussi ample, on se croirait dans une immense carrière de marbre). Rien de tout cela n'est une injure dans ma bouche : il s'agit d'un produit assez grand public, qui tient à son confort sonore, et dont l'objectif n'est pas de rendre de compte fidèlement de ce qui se produirait sur scène - et de fait, le résultat est très différent du final de Norma déjà entendu il y a quelques années par Bartoli et Osborn.
Et en effet, on a de la nouveauté (vraiment quelque chose de neuf à entendre dans une oeuvre aussi courue, ce n'est pas tous les jours), de l'éclat, de la virtuosité vocale, du drame... A tout point de vue on peut estimer qu'on a une vraie Norma, ainsi qu'un produit différent. On peut ensuite discuter le détail.
2. « L'orchestre de Bellini »
L'argument de vente, outre Bartoli, se fonde sur le fait qu'on entendrait, plus ou moins pour la première fois (Fabio Biondi ayant déjà procédé à des expérimentations sur instruments anciens), des équilibres d'orchestre différents, conformes à la volonté du compositeur et à ce qui se produisait à l'époque.
Carnets sur sol regorge de considérations critiques à propos de la notion d'authenticité, en général davantage le fait des éditeurs que des artistes, plus lucides sur ce point, je ne reviens donc pas sur l'impossibilité de se fier aux seuls mots (parviendrait-on à donner une image fidèle d'un chanteur d'aujourd'hui rien qu'avec des mots), aux témoignages d'époque (souvent de qualité très médiocre), et par-dessus tout au ressenti de gens qui étaient nourris de latin et n'avaient pas encore entendu le Sacre du Printemps ni vu le dernier Tarantino - on comprend mieux, dans cette perspective, qu'on ait tant pu pleurer aux créations des deux Iphigénie de Gluck... On pourrait ajouter à cela l'écart déjà immense qui nous sépare du début du XXe en termes de technique vocale parlée ou chantée, rendant tout simplement inconcevable l'aspect des voix du premier XIXe siècle... et la discussion de l'intérêt de limiter la portée d'une composition à ses premiers interprètes.
En plus de tout cela, je trouve que le résultat sonore apparaît vraiment très « années 2000 », conforme au son à la mode dans les ensembles baroques : très tranchant, presque percussif, marqué par la génération des Biondi, Alessandrini, Spinosi & Sardelli. Pas très étonnant, dans la mesure où Antonini a été l'un de ceux qui sont allés le plus loin dans l'exploration des possibles des concertos de Vivaldi - écoutez par exemple l'Hiver de ses Quatre Saisons, au moins aussi fort que Biondi dans le figuralisme, et en plus de cela sans jamais rien céder à la musicalité pure. Cette vision de l'interprète qui réinvente la partition outrepasse vraisemblablement la part improvisée prévue dans ses musiques, où le compositeur ne prenait pas la peine de tout noter pas tant pour en faire une oeuvre ouverte que parce que les interprètes pouvaient très bien compléter seuls des schémas familiers.
C'est pourquoi je me garde d'autant plus de formuler une opinion sur le caractère proche ou non des origines. Que l'orchestre de Bellini soit plus malingre que les lectures post-brucknériennes qu'on en a fait tout au long du XXe siècle, je n'en doute pas une seconde. Qu'il ait eu cette chaleur, ce tranchant et cette virtuosité, j'en suis moins certain, surtout si l'on observe le niveau des orchestres italiens au début du XXe siècle - à une époque où il avaient pourtant sûrement progressé pour pouvoir jouer Wagner et Puccini !
Je me contente donc d'émettre un avis sur ce que j'entends. Globalement des tempi très rapides, qui resserrent le drame et sortent pour partie Norma de son atmosphère nocturne habituelle. Comme pour les Parsifal de Boulez, je trouve que cela apporte une forme d'urgence et surtout d'évidence ; on évite ainsi les grands aplats harmoniques immobiles, qui peuvent ennuyer les moins glottophiles d'entre nous (je veux dire les gens bizarres qui écoutent un peu la musique quand ils écoutent de l'opéra). Cet opéra qui tirait beaucoup sur l'oratorio dramatique se replace ainsi beaucoup mieux dans sa généalogie et son économie dramatique.
Je ne suis pas très convaincu par les sections les plus sonores, où cymbales et cuivres résonnent avec une agressivité qui change le pompiérisme habituel plutôt qu'elle ne le résout. Il est vrai que l'orchestration le veut, mais la tendance à peu près systématique à accélérer sensiblement le tempo à la fin de chaque section ou à chaque fois que le volume sonore augmente ne s'apparente pas exactement au meilleur goût.
En revanche, dans tous les moments suspendus ou délicats (de loin les plus nombreux), les cordes ne sonnent pas malingres, et surtout, on entend des vents d'une beauté à couper le souffle, fortement caractérisés - et un gros travail du chef perceptible sur l'éloquence de chaque solo. La clarté des plans sonores rend aussi plus sensible l'élan motorique, mais sans accentuer chaque temps comme le font souvent les chefs dans ce répertoire... au contraire, l'orchestre s'efface doucement dans une bienheureuse régularité, sans jamais battre la mayonnaise.
Pour ma part, donc, très convaincu, pour ne pas dire enthousiaste. Il faut dire que la concurrence n'est pas sévère, mais d'ordinaire les grandes bonnes directions sont celles qui secondent le mieux l'élan dramatique, sans être pour autant tapageuses. Ici, on assiste à un véritable travail de chef, passionnant en tant que tel alors qu'il ne s'agit que d'accompagnements - comme pour les lieder de Schubert, on a quelquefois l'impression qu'on pourrait accéder au ravissement même sans les voix.
3. Cecilia Bartoli avant Norma
Précisons, pour plus d'honnêteté, où je me situe vis-à-vis de Bartoli.
Parce qu'on a tous envie de se laisser dégouliner de temps à autre, de s'érabliser avec délices dans une mer de sucres visqueux... un petit concerto pour violoncelle d'Elgar ne fait pas de mal. Ce n'est pas virtuosement orchestré (tutti patauds), c'est plus rhapsodique que cérébral, mais ça fonctionne très bien lorsque l'humeur concorde avec la grandiloquence sans subtilité.
Personnellement en tout cas, je suis très client, et j'en ai fréquenté de plus baroqueux ou de plus rigoristes que moi qui aimaient à s'abandonner à ce concerto où triomphent à la fois le mauvais goût post-romantique anglais (trois tares simultanées) et une forme d'émotion assez naïve, qu'on pourrait rapprocher de l'exaltation devant les grands espaces d'une vallée boisée, ou l'inquiétude grisante du vaisseau perdu au creux de la mer par temps gris.
Comme beaucoup aussi, j'ai longtemps cru, sans vraiment le vérifier, que la version Du Pré / LSO / Barbirolli (qui n'était pas ma première, je précise) réglait d'une certaine façon la question, tant l'emphase coutumière de la soliste convenait si parfaitement à cet univers-là. Et plus que dans l'importe laquelle de ses autres versions avec d'autres chefs.
Et puis, parce qu'on gagne toujours à chercher un peu autour de ce qui est indépassable, manière de bousculer ses certitudes et de percer d'autres voies, j'ai découvert qu'il en allait autrement.
A ce jour, peut-être la plus belle soirée de la saison. L'occasion de présenter l'oeuvre.
Tiré de l'acte II de la partition de 1958, dans le studio de Mitropoulos la même année. Successivement : Regina Resnik, Rosalind Elias, Eleanor Steber, Nicolaï Gedda, Giorgio Tozzi.
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1. L'espérance d'une entrée durable au répertoire
Je tiens Vanessa pour l'un des plus beaux opéras du répertoire, et singulièrement dans le second vingtième (1958). Dans une esthétique similaire (avec un langage essentiellement tonal, un orchestre "atmosphérique" assez rond, une prosodie un peu vaporeuse, un livret "psychologique" soigné), il mériterait une place très régulière au répertoire, et même davantage que les opéras de Britten.
Car la réussite de Vanessa ne peut se comparer qu'à très peu de pairs : ils sont rares, ces opéras qui séduisent simultanément pour la qualité de leur musique, la prégnance de leur atmosphère, les vertus littéraires de leur livret et, concernant les amateurs de voix, l'exaltation glossolalique. C'est cette rencontre singulière entre une couleur musicale et une couleur dramatique qui a bâti le succès d'opéras comme Don Giovanni ou Tosca. Malgré un sujet un peu moins grand public, il n'y aurait pourtant pas grande raison, vu la sociologie des salles d'Opéra (plus portées vers la littérature contemplative que la moyenne des consommateurs culturels), pour que l'oeuvre ne trouve pas sa place durablement sur les scènes.
Comme, néanmoins, on ne l'entend pas très souvent, et que la seule version couramment disponible chez les disquaires vient d'être rééditée par RCA sans livret, un mot sur son intrigue.
Eleanor Steber en 1937, créatrice du rôle-titre en 1958.
Pour information, le studio de Mitropoulos se trouve en libre écoute sur MusicMe.com (flux légal), et le livret se existe en ligne sur le site de la RAI (donc en principe avec des droits acquittés) ou sinon, de façon moins assurément en règle, avec ce bilingue français chez livretpartition.com.
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2. Synopsis
Il est recommandé de ne pas lire cette section si l'on souhaite découvrir l'oeuvre prochainement, certains coups de théâtre méritent d'être découverts au fil de l'écoute.
Trois personnages féminins, de trois générations différentes, vivent dans un château servi par de nombreux domestiques : la vieille baronne, sa fille Vanessa, et la nièce de celle-ci, Erika. Il est question de vingt ans d'attente pour le retour d'Anatol, mais le livret indique que Vanessa n'est que in her late thirties.
Cinq sections, chacune de longueur assez équivalente, mais réparties en trois actes dans la version de 1964 jouée à Herblay - à l'origine, c'était quatre actes. Notre librettiste Gian Carlo Menotti, dans cette création originale assez aboutie, a tout de même, en accord avec le compositeur, revendiqué l'inspiration des atmosphères des Sept Contes Gothiques d'Isak Dinesen (Karen Blixen).
I,1 : Vanessa attend fiévreusement le retour d'Anatol, qu'elle a aimé mais qui s'est marié au loin, et qu'elle a attendu vingt ans. Anatol arrive, mais il se révèle le fils du premier. Vanessa quitte la pièce et Erika fait la conversation à Anatol qui fait très vite sentir ses prétentions.
I,2 : Un mois plus tard. Erika raconte à sa grand-mère comment elle s'est donnée à Anatol, mais quelle lucidité elle a sur son absence de désintéressement. Elle le voit rire avec Vanessa qui s'éprend de toute évidence de lui, et repousse l'offre de mariage qu'il lui fait discrètement mais froidement.
Dans la version originale, ce tableau constitue l'acte II.
II : Le bal de fiançailles de Vanessa. Erika refuse de descendre pour entendre l'annonce. Lorsqu'elle arrive enfin, elle s'évanouit dans l'escalier, puis prend la fuite dans la neige.
III,1 : La chambre d'Erika, à l'aube. Vanessa se tourmente de la disparition de sa nièce, finalement rapportée. Elle est sauve, mais elle révèle à sa grand-mère que son enfant ne naîtra pas.
III,2 : Départ de Vanessa, qui part avec Anatol s'installer à Paris. Quintette moralisateur sur l'impermanence et les jeux de rôles de la destinée. Erika prend désormais la place de Vanessa, seule en charge de la vieille baronne qui ne lui parle plus non plus.
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3. Structure
La construction de l'oeuvre, aussi bien dramaturgiquement que musicalement, s'appuie sur des visions subtiles et mouvantes. Le sujet, déjà, est en décalage avec son titre : Vanessa n'est pas la jeune première, mais une quasi-quadragénaire qui conserve l'idéal des jeunes filles. En réalité, le personnage central et le plus touchant du drame est sa nièce Erika, qui est au contraire d'une grande lucidité, empreinte de dureté quelquefois comme lorsque de son refus de la demande en mariage d'Anatol, sur des motifs trop exacts pour une femme amoureuse.
Toute l'oeuvre laisse planer diverses interrogations sur la nature du sentiment amoureux et de sa construction, de la projection illusoire faite par Vanessa (Anatol Jr serait la même âme que son père à son âge) à l'évidence violente mais solennelle ressentie par Erika (se livrant sans résistance mais sans illusions au séducteur), deux postures distinctes de la légèreté (voire à l'intérêt) d'Anatol ou de la grivoiserie du Docteur. Cela se mêle à la question de l'impermanence de l'identité, et évidemment de l'âge, de la (pré)destination.
Une qualités majeures du livret réside dans son amoralité, alors que tout y est question de morale : impossible de décider qui a raison. A chaque relecture, à chaque réécoute, d'autres considérations semblent se glisser dans les interstices du texte. Anatol, l'usurpateur, le chercheur, par certains aspects, semble plus franc que ses amantes éprises d'absolu, si bien qu'on peut s'interroger sur l'égoïsme, en miroir, des deux femmes. Puis on en revient au sens plus immédiat du livret, et les responsabilités tournent à l'infini, un peu comme dans un Così fan tutte non archétypal.
La musique elle aussi communique ce trouble : assez peu mélodique, aux angles arrondis, aussi bien les lignes vocales que les atmosphères orchestrales ont quelque chose de vaporeux, alors même que leur langage reste assez concrètement tonal - les fréquentes ponctuations de vents évoquent avec insistance Britten, mais un Britten plus ferme, plus éloquent. Malgré son intrigue très réaliste, l'oeuvre semble fonctionner sur la poétique de l'évocation, et ses personnages, pourtant aptes à s'épancher en théorisation, ne produisent jamais un métadiscours clair. Pas d'archétypes, pas de propos auctorial lisible, même dans le quintette assez largement démenti par ce qui le précède et le suit.
Et cependant, le galbe prosodique demeure ferme, et la parole d'Erika en particulier possède une réelle force déclamatoire, « à l'ancienne » pourrait-on dire.
Rosalind Elias (ici en Olga d'Eugène Onéguine), créatrice du rôle d'Erika en 1958.
Dans le même ordre d'idée, la chanson Under the Willow Tree, pensée comme une sorte de tube, parcourt malicieusement l'oeuvre sous toutes formes de couleurs et d'émotions.
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4. Représentation
Dans une telle soirée, on attendait trois choses :
1) entendre l'oeuvre en action, condition forcément accomplie ;
2) une mise en scène opérante, pas trop naïve (éviter les ors inutiles), pas trop statique, ce qui était très bien réussi par Bérénice Collet dans la scénographie de Christophe Ouvrard ;
3) une Erika capable de ne pas paraître immédiatement fade face à l'ombre de Rosalind Elias.
Il faut préciser ici l'anecdote célèbre : Maria Callas fut d'abord approchée pour le rôle de Vanessa, mais déclina. Considérant ses goûts et son style vocal, j'y vois surtout le fait qu'elle n'avait pas d'affinités pour les musiques complexes (ses Wagner étant déjà extrêmement linéaires et "vocaux"), et n'aimait probablement pas particulièrement la musique de Barber. Mais on a surtout avancé le fait, sans doute exact aussi, que Vanessa n'était finalement pas, en dépit de quelques traits brillants, le rôle principal de l'opéra, et que la diva craignait de rester dans l'ombre lors de ses représentations (elle qui n'hésitait pas à recommander aux chefs, contrat à l'appui, de couper dans les parties de ses collègues récalcitrants...).
La création par Mitropoulos (ainsi que les représentations de Vienne qui suivirent et le studio) devait se faire avec une autre étoile de la scène européenne, Sena Jurinac, remplacée par Eleanor Steber - qui aurait été un premier choix évident, ne fût-ce que pour la qualité de langue. A ses côtés, la jeune Rosalind Elias en Erika, dont l'intensité du timbre et la profondeur de ton saisissent d'emblée, avec pour sommet les brefs extraits parlés de l'acte II. Il était donc périlleux de reprendre le flambeau sans pâlir.
Portrait officiel de Diana Axentii, Erika au théâtre Roger Barat d'Herblay.
Diana Axentii surpassait les espérances en la matière : sa voix dense et épanouie avait la fermeté de ligne et l'inspiration de verbe pour accomplir très-dignement les grandes interventions de son personnage. De surcroît, l'actrice combine très à propos une aisance scénique capitale pour soutenir le spectacle et une forme de pudeur, de gaucherie gracieuse qui sied parfaitement à ce personnage de jeune débutante confrontée à la fausseté de ses rêves.
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5. Orchestre OstinatO & Conservatoire d'Herblay
Commentaires pour la représentation du 26 mai 2012.
Il est très difficile, au rythme actuel des parutions chez de petits labels, de tenir un compte précis des parutions dans le domaine des grands cycles de lieder - part dans le cas d'entreprises de recensement aussi rigoureuses que celle de la Schubert Society, mais elle n'a pas d'équivalent pour Schumann par exemple.
Toutefois, tenter une discographie peut être intéressant pour Dichterliebe, dans la mesure où quelques versions très peu célèbres se révèlent tout à fait extraordinaires.
Aussi, je m'en tiendrai aux versions que j'ai écoutées (un début de trentaine). Il en manque donc (quelque chose entre la même quantité et le double...), que j'ai écartées faute d'envie ou que je n'ai pas encore eu l'occasion d'écouter.
Il est inutile de répéter que la discographie, plus encore que tout exercice, est intimement liée à la subjectivité de celui qui la produit - il s'agit surtout de mettre en lumière des versions moins célèbres, voire des interprètes qu'on peut suivre avec confiance dans le domaine du lied.
A cette mise en garde s'ajoute une seconde : mes goûts sont généralement assez différents des choix dits "de référence", et on s'expose d'autant plus à être surpris si on suit mes avis trop imprudemment. (D'où l'intérêt d'une description version par version, pour essayer de situer le caractère de chacune, au lieu de se reposer sur ma seule hiérarchie.)
En l'occurrence cependant, je crois que mon choix, à quelques exceptions près, sera très présentable en termes de consensus - plus que Delunsch / Le Texier / Kerdoncuff que je place au sommet pour Duparc, par exemple... Malgré les raretés proposées...
Voici la liste des versions commentées ci-dessous :
Un extrait musical est fourni pour deux versions "rares" particulièrement appréciées.
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2. Résultats
Evidemment, chez les dames, vu le nombre de participantes, Brigitte Fassbaender s'impose de très loin comme la grande lecture du cycle, une des plus originales toutes catégories confondues et aussi, à mon avis, son plus grand témoignage dans le domaine du lied. Non seulement la voix est plus belle que pour ses cycles schubertiens (ou son Liederkreis Op.39), mais de surcroît elle apporte ici une ironie mordante parfaitement en accord avec les poèmes de Heine - là où beaucoup de chanteurs ne la rendent que discrètement, ou laissent texte et musique s'en charger.
Enregistrement très largement révéré, pas de surprise.
Je suis surtout surpris de retrouver les quelques liedersänger dont je recherche systématiquement la compagnie concrètement dans les sommets : il sont toujours passionnants, mais pas les plus convaincants dans tous les corpus. Or, ici, je retrouve Olaf Bär, Gérard Souzay, Jorma Hynninen et Christian Gerhaher parmi les lectures les plus impressionnantes, et l'on rencontrera également Stephan Loges, Thomas Bauer et Tom Krause, autres chanteurs de lied suivis de très près par les lutins, mais dont la discographie est moins abondante.
La surprise, c'est plutôt l'intérêt moindre de Matthias Goerne, qui pour des raisons quasiment physiologiques n'a jamais été (même plus tard en concert avec Helmut Deutsch) complètement à son niveau habituel dans ce cycle.
Et, à l'inverse, la très belle réussite de Wolfgang Holzmair, qui s'explique assez bien (voir ci-dessous).
Ce qui était prévisible, c'est que les jeunes chanteurs de lied aujourd'hui, très inspirés et plus souvent captés qu'autrefois (avant les années 80, on n'enregistrait quasiment que des vieilles gloire de l'opéra...), livrent les lectures les plus intéressantes.
Voici donc le commentaire détaillé, dans un ordre approximatif du plus exaltant au plus dubitativisant. Pardon, je ne commenterai pas toujours les pianistes, il est difficile d'aborder tous les paramètres et le rôle du chanteur (qui porte à la fois le timbre et le texte) reste à la fois premier et multiple - ce n'est pas du tout pour négliger les accompagnateurs, qui sont extrêmement importants dans la préparation et peuvent transfigurer une bonne interprétation vocale.
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3. La sélection des lutins
Stephan LOGES / Alexander SCHMALCZ (Athene Records, 2004)
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Stephan Loges est une énigme en soi : ne l'ayant jamais entendu en salle, je suis fasciné par ce halo très audible via les micros, alors que je suis persuadé que la voix n'est particulièrement puissante - ce médium grave extraordinaire ne fait probablement pas vibrer les murs. En tout cas, l'objet radiophonique ou discographique est toujours magnifique... et très charismatique.
Diseur hors pair, détaillant avec gourmandise chaque syllabe (même DFD est battu !), il se situe quelque part entre la précision voluptueuse de Souzay et l'hédonisme éloquent de Bär... avec une voix plus sombre, moins "amoureuse". Saisissant.
Le piano d'Alexander Schmalcz est agréablement timbré, mais manque d'esprit dans la vivacité et l'excès requis par les derniers lieder.
Thomas BAUER / Uta HIELSCHER (Naxos, 2006)
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Une version originale, qui partage les qualités d'éloquence de Loges : toutes les autres versions, sauf Bluth et van Egmond, mais considérablement, sont bien plus "vocales". Et pourtant, la voix de Thomas Bauer est celle d'un vrai baryton, d'une belle clarté et cependant pourvue de beaux graves (sans parler d'aigus dignes d'un ténor), admirablement souple, toujours attentive au détail du texte... Et la plasticité du piano d'Uta Hielscher est particulièrement mise à profit (et bien captée !), toujours à propos. Ce n'est pas du tout une version "particulière", ni spectaculaire, elle est simplement, dans sa modestie non feinte, l'une des plus fouillées et des plus respectueuses.
Vous pouvez retrouver Thomas Bauer au même degré d'excellence dans les volumes 19 et 22 de l'intégrale des lieder de Schubert chez Naxos.
Christian GERHAHER / Gerold HUBER (RCA, 2004)
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Je ne suis pas un admirateur inconditionnel de Gerhaher, et j'ai mis assez longtemps à apprécier ses singularités : voix un peu dure, très concentrée, assez opératique, beaucoup de non-vibrato. Mais ici, sa façon très directe de dire, sa rage perceptible sont vraiment les outils idéaux pour ce cycle... et la matière vocale se révèle particulièrement belle ce jour-là.
Le plus beau disque de Gerhaher avec sa Meunière, de mon point de vue.
Cette notule a été préparée avant de s'apercevoir qu'il existait déjà une entrée sur un sujet similaire. Aussi, pour les attaques par en-dessous et leur différenciation d'avec le port de voix, on renvoie à la notule de novembre 2007.
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1. Définition et catégories
Le port de voix (ou portamento) désigne le fait, pour un chanteur, de lier une note à la suivante en opérant un glissement. Comme un legato un peu insistant, c'est-à-dire que les deux notes seront solidement liées l'une à l'autre.
Il existe deux types de port de voix, selon les écoles de chant.
a) Ce peut être fait simplement en annonçant la note suivante tout en conservant la voyelle précédente. (Type Freni.)
b) Ce peut être fait comme un glissando, en passant par les notes intermédiaires. (Type Tebaldi / Callas : école italienne plus ancienne.)
Vous pouvez écouter ces interprètes pour vous en faire une idée.
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2. Exemple
Prenons un mot fréquent, "volons", qu'on va chanter sur l'intervalle ascendant do - fa.
Exécution normale : vo (do) - lons (fa).
Port de voix de type a) : vo (do) - o (fa) - lons (fa).
Port de voix de type b) : vo (do) - ooooooooo (montée jusqu'au fa) - lons (fa).
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3. Avec le son
Et voici la version sonore :
Quatre essais :
1) Un beau legato, préparé, fondé sur les consonnes constrictives ([v] puis [l]). On sent le mouvement dès la première syllabe.
2) Legato standard.
3) Portamento a), on prépare la note suivante.
4) Portamento b), on glisse vers la note suivante (généralement plutôt utilisé en descente).
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4. Homonymie
Le "port-de-voix" (ou "tour-de-gosier") est aussi à l'époque baroque française un agrément qui s'apparente au gruppetto (une ornementation qui fait le tour de la note écrite), mais c'est une autre histoire.
Cela provient tout d'abord de la difficulté intrinsèque qu'il y a à construire une voix de ténor : c'est une voix haut placée, souvent peu naturelle (au sens b). Les "ténors naturels" se font d'autant plus rares que les dernières générations produisent des individus plus grands, donc avec des cordes vocales plus longues et des résonateurs plus vastes, ce qui implique généralement des voix plus graves (donc plus de barytons, à tout le moins).
Pour le dire plus simplement : le ténor est sans doute la tessiture d'opéra la plus difficile à construire techniquement.
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2. L'usage du "nez"
Or, les fosses nasales ont une double caractéristique.
La première est qu'elles se situent dans la région où l'on produit le "formant du chanteur", c'est-à-dire les harmoniques denses qui permettent de rendre la voix sonore dans une grande salle et de chanter par-dessus un orchestre sans se fatiguer. On utilise souvent l'image d' "accrocher le masque", parce qu'il faut mettre en vibration les os de la face. On se situe donc près du nez, et on entend souvent, chez les voix où ce "formant" est très vigoureux, une nasalité légèrement plus forte que l'équilibre idéal.
Par exemple dans une voix comme celle de Juan Diego Flórez. On entend distinctement dans ses [a] et [i] que la luette libère le passage vers le nasopharynx (les cavités nasales), comme si le son au lieu de sortir simplement à l'horizontale par la bouche, pénétrait verticalement derrière le nez. Pourtant, sa voix est techniquement parfaitement placée, mais les harmoniques qu'il va chercher dans les os faciaux l'amènent à provoquer un peu de cette nasalité (aussi inhérente, il faut bien le dire, à l'usage de la langue italienne).
Le phénomène s'entend très bien dans ce très bref extrait :
En Arturo d'I Puritani de Bellini, au Teatro Cuyas de Las Palmas en 2004 (air d'entrée "A te, o cara").
La seconde caractéristique des fosses nasales est qu'elles facilitent la montée dans les aigus, lorsqu'elles sont abusivement utilisées et qu'on y place abondamment le son.
C'est le cas de beaucoup de ténors qui doivent s'aider du nez (lorsque leur technique les y prédispose) pour continuer à monter lorsque l'instrument se raidit avec la fatigue et le passage du temps. Jon Vickers en est un exemple impressionnant : dans les années 50 et au début des années 60, la voix était très belle et assez bien équilibrée, jusqu'à finir dans les années 70 et 80 par ne plus être qu'un nez sur pattes. Quelqu'un de méchant aurait bien pu lui suggérer qu'il était finalement capable de tout chanter bouche fermée.
En Giasone de la version italienne de Médée de Cherubini, en 1959, on entend déjà que les [i] sont entièrement dans le nez [1], mais le reste de la voix est glorieux, bien timbré et beaucoup plus équilibré.
Duo de l'acte II avec Maria Callas, direction Nicola Rescigno, à Covent Garden.
En revanche, dans le Voyage d'Hiver au début des années 80, on entend bien que toutes les voyelles sont systématiquement et intégralement envoyées dans les cavités nasales.
"Frühlingstraum" ("Rêve de printemps") tiré de Die Winterreise de Franz Schubert, version de studio avec Geoffrey Parsons.
La voix vieillissant, la technique se facilite la tâche en développant cette nasalité assez laide (et totalement antinaturelle), mais efficace pour contourner la difficulté de rebâtir ou même de maintenir une voix équilibrée.
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3. Conséquences pratiques
Pour pallier les difficultés propres à la construction d'une voix de ténor, il peut donc être tentant, en même temps qu'on accroche le masque, de solliciter les fosses nasales toutes proches pour faciliter la montée dans ses aigus.
Donc non seulement la technique italienne saine (dont tout le monde se revendique, y compris sans aucun fondement) produit une légère nasalité, mais de surcroît les chanteurs ont tendance à s'aider d'une nasalité plus franche et forcée pour atteindre plus aisément le haut de la tessiture.
Si vous voulez l'entendre, il suffit d'aller écouter un grand nombre de voix américaines récentes ou actuelles, où la nasalité "déviante" est extrêmement répandue. Certaines sont saines (comme Thomas Stewart l'était chez les barytons, par exemple), et ne doivent leur nasalité qu'à un reste d'articulation de leur propre langue, d'autres sont beaucoup plus forcées et se servent de cette béquille pour compléter une technique incomplète. On pourrait mettre dans cette case des chanteurs aussi prestigieux (et valeureux, il ne s'agit pas de porter un jugement négatif global !) que Ben Heppner.
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Voilà pour la rapide explication de cette petite curiosité !
Notes
[1] Il y aurait de toute façon matière à faire une notule entière sur les émissions des [i] et même [é] selon les nations et les techniques. On en a déjà touché très particiellement un mot dans la partie "interprétation" de cette notule.
Ayant moi-même dû apprendre seul les notions d'engorgement et de nasalité, j'ai pu remarquer par la suite qu'un certain nombre d'amateurs d'opéra, y compris acharnément glottophilisants, n'avaient pas les idées claires sur la question. En quelques mots simples et quelques exemples clairs, on va donc tenter de clarifier tout cela de façon indubitable.
Une fois encore, le format web permet d'intégrer des illustrations sonores qui rendent le propos plus parlant.
C'est par ailleurs le début d'une série prévue sur les équilibres vocaux.
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0. Echantillon
L'idéal, pour ne pas se tromper de paramètre lorsqu'on compare plusieurs voix, est d'observer ces altérations sur une même voix. Faute d'autre cobaye plus ragoûtant, je me suis contenté de moi. Certains des lecteurs de CSS m'auront déjà entendu, pour les autres, je donne l'équilibre standard de ma voix (il n'est pas usuel, assez fortement mixé).
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Malgré cet usage d'une voix mixte, vous entendez ici un équilibre à peu près correct. Elle se trouve cependant plus proche de l'engorgement que de la nasalité (un peu en arrière et peu d'harmoniques : un son plus proche de la clarinette que du hautbois si l'on veut).
Je me fonde sur les premières mesures du lied Auf einer Burg Op.39 n°7 (ici chantées a cappella pour le plus de clarté possible dans ce petit exposé) de Schumann.
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1. Engorgement
L'engorgement est l'usage de la résonance au niveau de la gorge.
On le rencontre plutôt chez les voix graves, qui cherchent à grossir leur son ; c'est d'ailleurs ce que font souvent les gens qui veulent imiter les chanteurs d'opéra pour rire : ils engorgent au maximum. Je l'ai fait de façon peu subtile pour que ce soit audible : on entend bien que tout repose sur la gorge, avec une pression pas très saine au fond de la bouche. On parle aussi, même si ce n'est pas tout à fait la même chose, d'émission laryngée lorsqu'on appuie trop sur la gorge pour pousser le son.
L'engorgement est uniquement une résonance (et non une émission forcée), et la voix qui l'émet peut tout de même être saine, sans forcément appuyer articiellement comme je le fais ici pour forcer le trait.
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L'engorgement est très mal vu pour plusieurs raisons :
il est disgracieux, sonne assez empoté et artificiel ;
il peut entraîner un forçage laryngé et par conséquent de la fatigue vocale ;
il empêche les aigus de sortir ;
et surtout, du point de vue des professeurs de chant qui préparent leurs élèves à la carrière, il fait résonner la voix au mauvais endroit et lui fait manquer les résonateurs faciaux, les os du crâne qui font toute la vigueur du son et lui permettent de passer l'orchestre sur d'autres harmoniques (on parle du masque à cause du lieu de résonance, et il sert à obtenir ces harmoniques appelées formant du chanteur).
Il est néanmoins possible de chanter de façon belle et sonore, comme les grands chanteurs qu'on va tout de suite vous proposer, qui peuvent avoir au demeurant un grand impact vocal (attesté au moins pour Goerne et Borodina).
Les voix slaves orientales (russe et bulgare en particulier), du fait de leur émission parlée naturelle, ont d'ailleurs une nette tendance à l'engorgement, qui n'empêche pas des voix très sonores et tout à fait saines. Mais leur articulation se fait très en arrière, et leur résonance aussi. Chez les Danois en revanche, la langue la plus engorgée d'Europe, cela affecte souvent la qualité du placement du chant.
1.1. Observations pratiques
Matthias Goerne, une voix à la fois glorieuse et très engorgée. Il parvient cependant, plus que dans le masque, à faire résonner sa voix dans tout le corps, ce qui produit un effet assez étonnant de rayonnement dans toute la salle.
;; Franz SCHUBERT - Lob der Tränen D.711 - Matthias Goerne, Graham Johnson (Hyperion)
Hermann Prey, autre baryton très apprécié, une voix bien équilibrée mais légèrement engorgée (on entend des appuis un peu pâteux sur la gorge).
;; Hugo WOLF - Auf ein altes Bild - Hermann Prey, Leonard Hokanson (DGG)
Olga Borodina, superbe mezzo-soprano dont la technique russe arrondit considérablement les sons en jouant sur la gorge, particulièrement pour épaissir les graves. On remarque d'ailleurs que les piani filés, dans cet extrait (en studio, donc avec plusieurs prises si nécessaire), sont plus difficiles à obtenir, ce qui est tout à fait logique, on l'a dit.
;; Giuseppe VERDI - Aida, début de l'acte III - Olga Borodina, Arnold Schönberg Chor, Nikolaus Harnoncourt, Wiener Staatsoper (Teldec)
Ce ne sont au demeurant pas des voix dont on puisse dire qu'elles soient épouvantables, bien au contraire. Mais elles sont objectivement engorgées (autrement dit déséquilibrées dans leur résonance).
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2. Nasalité
La nasalité est l'autre repoussoir, en miroir de l'engorgement. Il s'agit de l'usage d'une résonance dans le nez.
Pour le chant lyrique, on la rencontre de façon assez logique parce qu'en cherchant à 'accrocher le masque', c'est-à-dire à faire vibrer les os de la face (ce qui procure le son intense qui fait passer l'orchestre), on fait facilement résonner les cavités nasales qui se situent avant.
Par ailleurs, l'usage du 'nez' facilite la montée dans les aigus, et c'est pourquoi ce déséquilibre peut s'accentuer chez certaines voix vieillissantes qui perdent de leur ambitus. On les entend en particulier chez les ténors et certains sopranos légers.
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L'émission nasale est beaucoup employée pour camper des rôles grotesques ou des méchants caricaturaux. Elle est aussi récurrente dans certaines écoles : les italiens sont toujours légèrement (mais agréablement) nasals (leur langue l'est aussi), ce qui procure un léger brillant à leur voix, certaines vieilles écoles allemandes peuvent l'être (rarement bellement), et bien sûr pour l'école nord-américaine, où elle est très présente, quasiment la technique de base pour accrocher le masque, chez les ténors.
Il existe beaucoup plus de chanteurs nasals que de chanteurs engorgés parmi les professionnels célèbres, tout simplement parce que la nasalité fait mieux rayonner une voix. Elle est mal vue, mais tout de même recherchée avec parcimonie dans les écoles les plus prestigieuses.
D'une manière générale, les chanteurs d'avant 1950 avaient une émission plus haute qui s'appuyait sur un usage raisonné du nez (c'est vrai aussi des orateurs). L'apparition du micro (peut-être via le cinéma) a permis l'exaltation de voix plus rauques et plus engorgées, en particulier chez les hommes.
2.1. Observations pratiques
Le plus célèbre des nez, qui a d'ailleurs récemment incarné Cyrano :
L'amateur d'opéra sérieux qui cherche à s'informer lira, dans force notices, résumés, présentations, ouvrages « de référence » et de synthèse sur l'Opéra que Carmen était, dans la nouvelle originale de Prosper Mérimée, dont les librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy se sont inspirés, une prostituée. Chose si inconvenante sur scène - on se souvient qu'un critique de la création avait classé Carmen comme « opéra pornographique » [1] - que le compositeur et ses sbires, par saine prudence, avaient choisi de la faire cigarière, sans changer totalement ses manières libérées.
Passionnant, assurément. Le seul problème demeure que... c'est faux.
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Le 19 décembre 2006 à Covent Garden, onze jours après sa prise de rôle, Jonas Kaufmann (Don José) en compagnie d'Anna-Caterina Antonacci (Carmen), dirigés par Antonio Pappano. Pappano réussit des couleurs proprement inouïes et un relief incomparable dans l'articulation de l'orchestre ; et de son côté Antonacci propose sans nul doute le plus beau portrait vocal et dramatique de Carmen : rien de vulgaire chez elle (dans cette veine, Callas a réussi tout ce qu'on pouvait, avec un rare bonheur), une fascination quasiment intellectuelle pour cette femme qui dégage une force charismatique assez étonnante dans ses aspirations à la liberté et ses caprices. Elle utilise la voix chantée populaire de façon extraordinaire lorsque l'orchestre la met à découvert, comme vous pouvez l'entendre dans cet extrait... Vraiment unique.
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Carnets sur sol a enquêté - pas fort ingénieusement du reste : il a suffi de lire les quelques paginettes de la nouvelle. On en profite pour étudier la façon dont les librettistes on redistribué la matière textuelle de Mérimée.
[1] Il faut dire que Bizet venait d'écrire Djamileh, une délicieuse fantaisie orientale, et que ni Flammen de Schulhoff, ni Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch n'avaient encore été conçus.
A l'heure où la Commission Européenne se prépare sérieusement à prolonger les droits voisins (donc des interprètes), c'est-à-dire à rendre inaccessible tout le patrimoine discographique d'après 1958, il est temps de proposer une petite mise à jour de notre synthèse sur le sujet, notre bréviaire pour la constitution d'une bibliothèque d'enregistrements libres de droits - qui mériterait peut-être la constitution d'un projet comme IMSLP.
Le nouveau réside dans le chapitre 2.2 et dans l'ajout du chapitre 9.
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Un mot sur ce qui se prépare : contrairement à ce qui s'est fait en France, en incluant les années de guerre dans les 70 ans de protection post-mortem (pour protéger la veuve et les enfants, qui ont en effet tout leur temps...), il se pourrait ici que la décision soit rétroactive.
Sophie Arnould doit aussi sa célébrité à son esprit, dont les traits ont pu fasciner ses contemporains. On trouve même trace d'un étrange ouvrage dont l'objet était de recenser les pointes attribuées à la brillante Demoiselle de l'Opéra. En 1813, plus de dix années après la mort de l'actrice, paraît ainsi de façon semi-anonyme (par l'auteur du Biévriana, qu'on identifie aisément comme Albéric Deville) un volume intitulé Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporains, catalogue plus ou moins habile d'anecdotes piquantes, de réparties et de bons mots.
Evidemment, sorties de leur contexte, ces fulgurances restent assez peu amusantes, mais semblent porter la mémoire d'un esprit d'une vivacité qu'on a peine à laisser se flétrir avec l'oubli.
Que le genre en lui-même du recueil de saillies - qui ne prennent sens qu'en contexte - soit facilement un peu plat et superficiel, l'auteur en a conscience, le fait savoir en avant-propos, et surtout le compense avec une notice assez complète sur l'Opéra et surtout sur la vie de Sophie Arnould, qui est l'une des sources du travail biographique des Goncourt.
Le compilateur retient surtout beaucoup de remarques lestes : à propos d'Albaneze [sic], castrat napolitain, elle aurait répondu ainsi à une dame qui en était éprise : "Il est vrai, dit Sophie, que son organe est ravissant ; mais ne sentez-vous pas qu'il y manque quelque chose ?". Ou encore Mlle Beaumenard, recevant d'un fermier général une rivière de diamants qui descendait fort bas : "C'est quelle retourne à sa source", observa Sophie.
Et même de plus explicitement grivoises : une actrice de l'Opéra [1] vivait avec un joueur qui lui mangeait tout ce qu'elle gagnait. Sophie, la voyant souvent recourir aux emprunts, lui dit : - Ton amant de ruine, comment peut-tu rester avec lui ? - Cela est vrai, mais c'est un si bon diable ! "Je ne m'étonne plus, reprit sa camarade, si tu t'amuses à tirer le diable par la queue."
Le recueil est-il vraiment à sa gloire, c'est autre chose... Il joue aussi du stéréotype de l'actrice dépravée, ce que sa biographie confirme d'une certaine façon, entourée de nombreux soupirants et amants, vivant de façon un peu plus constante une liaison orageuse avec le premier à la perdre et à la mener dans le monde, Monsieur de Lauragais.
Pour les questions plus spécifiquement liées au legato et aux types de portamento, on peut se référer à cette notule ultérieure, également pourvue d'extraits sonores.
Aujourd'hui, une question a été posée (loin, hors de la coulisse même) concernant deux aspects d'une même question, à savoir le portamento et l'attaque par en-dessous. Comme ces termes peuvent se rencontrer régulièrement sur Carnets sur sol, on en transcrit ici le point d'étape.
Une découverte tellurique. CSS ne peut pas vous proposer la prise sur le vif, non publiée, du Met, qui n’est pas libre de droits (années soixante-dix, et le Met est particulièrement jaloux de son patrimoine). Le Trouvère verdien s’y trouve à un degré de feu même pas approché ailleurs. Zubin Mehta, dans ses jeunes années, se jette à corps perdu, avec des tempi vif, dans le drame secondé par des chanteur tous aux sommets de leurs moyens et de leur engagement. Martina Arroyo loin de sa sagesse habituelle, dont tous les moyens sont tendus, électrique ; Shirlet Verrett brûlante et troublante en mère juvénile, envoûtante ; Richard Tucker, toujours prêt à donner de sa personne, malgré un timbre très personnel ; enfin Mario Sereni, immuablement souverain dans le mordant et la noblesse du propos.
Mais nous avons mis la main sur un témoignage encore plus original et au moins aussi palpitant. Car ici, outre un plateau déchaîné (et un rien moins arrogant vocalement, il est vrai), nous disposons d'un orchestre de premier ordre, qui transfigure totalement la partition. De quoi mettre les couleurs inédites de Muti en 2001, particulièrement fascinantes dans D'amor sull'ali rosee, au rang de sympathiques finitions.
Et, comme l'indique le titre, nous aurons quelques gâteries supplémentaires. Voilà qui pourrait convaincre des réfractaires à Verdi, tant tout cela sonne différent.
Car ce Verdi-là est joué avec la subtilité des articulations qu'on placerait dans Dálibor...
Ce soir, diffusion du récital Prina/Dantone/Vivaldi. Sonia Prina toujours avec cet aplomb formidable, cette présence véritablement magnétique, avec cette voix enflée qui donne en scène une idée du type de sensations que pouvait fournir une voix comme Callas.[1]
Et une très belle réalisation, avec cette vocalisation effleurée, toujours sur le fil.
Mais nous avions surtout la participation en guest star du d'Olivier Bernager. Qui nous a proposé un complément judicieux :
Notes
[1] On signale tout de suite que cette comparaison porte sur l'hypothèse d'un ordre d'idée de l'impact physique de la voix, et n'est en rien une comparaison du type de voix, des moyens, du volume...
Il en avait été question dans les longues discussions consécutives au compte-rendu de Sylvie Eusèbe sur la Messe en si par Minkowski. Aussi, si ce peut être utile à des lecteurs de passage, en voici le récapitulatif, légèrement étoffé.
Côté chant, on parle de voix naturelle pour une voix :
a) Qui n'est pas travaillée, telle qu'elle est initialement placée (bien ou mal). C'est de cela qu'il est question lorsqu'on parle d'avoir une jolie ou une vilaine voix.
OU
b) Qui a naturellement un bon placement. On note avec ravissement qu'il "a une voix naturelle", un avantage certain.
OU
c) Pour une voix qui n'emploie pas le formant du chanteur*, ce réseau d'harmoniques qui permet de passer l'orchestre. Une voix de chant populaire et pas de chant lyrique. Cela n'inclut pas du tout, dans ce cas, que la voix n'est pas travaillée ou mal travaillée !
.* N.B. : Le formant est ce qui sonne si métallique, parfois "gros" ou "impersonnel" dans les voix d'opéra ; ce qui rebute si souvent les novices. Ecoutez par exemple Mario Del Monaco dans les années soixante, et vous n'entendrez plus que le formant, le timbre ayant en grande partie disparu. Ces harmoniques spécifiques ne sont pas contenues dans l'orchestre traditionnel, et donnent la possibilité de se faire entendre sans forcer et durablement.
Une technique similaire semble utilisée par les chanteurs du Kunqu, mais elle demeure l'exception : dans la plupart des pratiques musicales, la voix n'est sollicitée que pour un auditoire restreint et avec un environnement instrumental limité, ou encore ne doit être sonore qu'un très court instant (les muezzins n'utilisent pas le formant, l'effort à produire étant bref).
Dans le domaine classique occidental, il est possible de ne pas utiliser cette technique, dans deux cas principaux. D'abord avec les voix aiguës, qui peuvent passer au dessus des harmoniques orchestrales - c'est parfois le cas de sopranos très légers. Ensuite avec des instruments d'époque, dont les propriétés harmoniques d'instruments naturels permettent la lisibilité des strates sonores, et ne couvrent pas, ainsi, la voix. Je faisais état de l'exemple d'une voix naturelle chantant l' Agnus Dei de la Messe en si (Koopman en février 2006 à Bordeaux), pourtant dans une grande salle, ce qui est envisageable avec le silence absolu, la discrétion de l'accompagnement et l'emploi d'instruments d'époque.
Certains lieder pas trop difficiles pourraient être interprétés par des voix naturelles, mais c'est rarement le cas à ma connaissance. Erlkönig existe tout de même en version cabaret allemand, et les Songs de Dowland ont été chantés par l'interprète de pop Sting.
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Mise à jour du 6 février 2008 :
Sur demande, quelques compléments à la question sur la différence de technique entre voix de musique populaire, ici la variété avec les exemples suggérés de Céline Dion, de Whitney Houston ou de Mariah Carey. Comme cela peut éventuellement intéresser les lecteurs de l'article, ajoutons.
Oui, il y a déjà quelques réponses sur la différence entre une voix naturelle (au sens 3 ci-dessus) et une voix lyrique.
La technique de base est la même, c'est le souffle qui fait tout le job. Ensuite, les chanteurs lyriques vont d'une certaine façon plus loin, puisqu'il faut solliciter tous les résonateurs pour pallier le défaut d'amplification.
La différence principale réside dans l'utilisation du "formant du chanteur", c'est-à-dire d'un réseau d'harmoniques qui permet de passer un orchestre sans fatiguer et longtemps - des harmoniques qui ne sont pas dans le son d'un orchestre. C'est ce qui sonne métallique.
Avec des instruments naturels, le problème est tout différent, puisque les spectres sonores sont suffisamment différenciés, ce qui explique qu'on puisse y distribuer de petites voix.
Il y a aussi des nécessités de "connexion" entre le souffle et le son.
A l'inverse, en musique populaire, on peut laisser filtrer du souffle - c'est même un choix expressif, eventuellement - puisqu'il n'y a pas d'impératifs de puissance ou de durée. Ces voix ont donc une extension moins grande. Les aigus ne sont pas "couverts", ce qui fait que la voix se tend et fatigue plus vite.
En revanche, comme l'arsenal est moins lourd, une voix de musique populaire sonne plus proche de la voix parlée, plus directe, le timbre est moins sophistiqué, plus naturel, plus directement séduisant, plus personnel la plupart du temps. D'où la gêne de beaucoup de gens avec le chant lyrique, du moins au début.
Ces voix se chantent toujours plus bas, en réalité, et c'est bien cela aussi qui les rapproche de la voix parlée et les rend moins forcées d'apparence et plus intelligibles. [Car les harmoniques aiguës altèrent les voyelles et masquent les consonnes, d'où les problèmes à se faire comprendre pour les sopranes les plus aiguës.]
Il faut savoir aussi que même si l'on ne l'entend jamais, il est tout à fait loisible à un chanteur lyrique de chanter en voix naturelle. Ce qu'ils devraient faire lorsqu'ils se piquent de chanter de la chanson avec une voix pensée pour écraser cent vingt musiciens...
De ce point de vue, il y a une suprématie qui n'est pas esthétique, mais technique de l'un sur l'autre.
Mariah Carey est sans égale, puisqu'elle tient vaillamment ses huit octaves (soit à peu près trois Callas).
Plus sérieusement, même si je ne les ai jamais écoutées que fort incidemment, ce sont des exemples de bonne technique, qui se sont d'ailleurs illustrés dans un domaine de chanson relativement lyrique, "à voix", et non pas en chantonnant sur sa voix parlée.
Les voix sont bien placées, bien timbrées, tout à fait adéquates pour ce qui leur est demandé. Il est d'ailleurs amusant de voir l'effet vertigineux que produisent les aigus dans My heart will go on, alors même que ce serait grave pour un mezzo...
Houston, autant qu'il m'en souvienne, dispose d'une voix assez gonflée qui fait qu'elle pourrait chanter sans micro devant un petit auditoire. Une technique féminine qui rappelle assez le gospel : sans formant, mais puissant. C'est aussi le cas du muezzin, mais lui peut en raison de sa tâche fort courte.
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Mise à jour du 7 février 2008 :
Plus esthétisée, la voix lyrique recherche une certaine pureté technique, et un son riche, au contraire de la voix populaire, qui cherche plutôt un grain personnel - et un son pur.
La voix lyrique a aussi un impact physique qui n'est pas du tout comparable.
Enfin, l'émission lyrique permet une plus grande étendue, et place naturellement la voix chantée nettement plus faut que la voix parlée. C'est, au moins autant que le caractère robuste et travaillé de la voix d'opéra, cette différence d'avec les timbres que nous entendons au quotidien qui rend la voix lyrique plus abstraite, plus étrangère, moins identifiable.
Encore une fois, c'est sur
demande que j'ai produit cette introduction informelle à l'oeuvre
française de Verdi. Présentation très succincte des oeuvres, et rapide
présentation discographique, ce qui explique le ton un peu pressé, un
peu à l'emporte-pièce. Je le produis néanmoins ici, à titre indicatif.
Pour la petite
histoire, Verdi est le compositeur le plus enregistré, devant Wagner,
Mozart & Puccini (ex aequo), Donizetti (!), Richard Strauss,
Haendel, Bellini.
Etait posée la question des opéras français (à mon humble avis les
meilleurs) de Verdi. Très meyerbeeriens, et d'ailleurs Les Vêpres ont
été écrites par Scribe, et Don
Carlos en partie par Du Locle (également
librettiste du Sigurd de
Reyer, oeuvre que les habitués de CSSconnaissent
bien).
1. Les trois oeuvres françaises de Verdi
Jérusalemest un rifacimento (une
refonte) d'I Lombardi alla prima crocciata, avec toute la
musique de circonstance et les grandes scènes dramatiques réclamés par
le genre du Grand Opéra à la française. Persistent les airs à
cabalette, mais le style n'est plus du tout donizettien, on regarde
plus vers Halévy, disons. [Mais du bon Halévy.]
Les Vêpres siciliennes, titre déjà
ironique,
sont dans la veine du meilleur Scribe (texte d'Eugène Scribe sur une
révolte historique, à la façon des Huguenots
ou du Prophète), avec un
équilibre dramatique
parfait. Verdi tire tout le nécessaire de la succession de Meyerbeer
quant à l'économie dramatique au sein de chaque acte, économie
d'habitude bien plus transversale pour travailler sur le drame dans son
ensemble, et non sous forme d'actes-miniatures. De l'excellente musique
aussi.
Don Carlos, bien évidemment, mérite
le détour.
Sur un livret de Camille du Locle et Joseph Méry, d'après Schiller.
L'original français dispose d'une introduction (choeur des bûcherons et
grand ensemble, avec superposition du choeur des chasseurs qui ouvre
les versions italiennes en cinq actes) et d'un grand ballet (où Eboli
échange son costume avec la Reine, au III). Sans parler de la
déploration sur le choeur de Posa, qui reprend le merveilleux Lacrymosa
du Requiem. Le duo Philippe/Posa, modifié en son milieu, moins
chromatique et moins vocal, se fonde plus profondément sur le dialogue,
le protocole, que sur les violentes réclamations politiques de Posa. La
fin débouche pianissimo dans
le choeur des moines.
Les Vêpres siciliennes et Don Carlos sont les deux seules
oeuvres à
avoir initialement été écrites pour la scène française (Jérusalem
répondait à une commande de "la grande boutique", mais n'est
qu'une
refonte).
Il existe aussi des versions françaises des opéras les plus célèbres de
Verdi. On en trouve volontiers des partitions, plus infidèles au texte
que les Wagner, souvent revus avec une petite connotation moralisante,
voire bigote (Rigoletto, Traviata sous le titre de Violetta...). Certaines sont
contemporaines de
Verdi. Celle du Trouvère par
exemple, avec des danses ajoutées, comme
ce fut le cas pour Macbeth.
On trouve au disque le Trouvère (Dynamic,
mal chanté et mal capté) et un très beau Rigoletto (J. Etcheverry,
Massard, Vanzo, Doria).
Mireille Delunsch a un statut étrange dans le panorama lyrique contemporain.
Après de longs débuts dans un univers purement local, elle se représente à présent sur les plus grandes scènes françaises - sans toutefois chercher à "se vendre" à l'étranger. Son ascension a été vertigineuse, depuis quelques disques de Gluck jusqu'aux scènes d'Aix et de Paris dans des rôles où la concurrence est, au moins historiquement, la plus dure (les tubes verdiens et mozartiens). La critique lui est favorable, et a suivi sans broncher ces remarquables promotions.
Les lyricomanes anonymes sont souvent plus réservés, lui reprochant une faible projection et des carences techniques. Tout le débat a fini par se cristalliser autour de sa Traviata aixoise (2003 interrompue, et repise en 2004).
C'est pourquoi je me propose d'en faire l'écho autour de l'étude de la fin de l'acte I.
Cet aimable bac à sable accueille divers badinages :
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ou de voix...
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