Carnets sur sol

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Portamento et attaques par en-dessous

Pour les questions plus spécifiquement liées au legato et aux types de portamento, on peut se référer à cette notule ultérieure, également pourvue d'extraits sonores.

Aujourd'hui, une question a été posée (loin, hors de la coulisse même) concernant deux aspects d'une même question, à savoir le portamento et l'attaque par en-dessous. Comme ces termes peuvent se rencontrer régulièrement sur Carnets sur sol, on en transcrit ici le point d'étape.

Définitions et illustrations par CSS.


On désigne tout simplement par attaque par le bas la situation où le chanteur (mais plus fréquemment la chanteuse [1]) attaque ses notes, particulièrement dans l'aigu, en commençant par une hauteur légèrement inférieure à celle à atteindre, et en glissant jusqu'à la note écrite. On parle aussi, dans certains cas, de fading.

Parmi les exemples célèbres, on peut citer Martha Mödl ou Renée Fleming. Chez Martha Mödl, on dirait presque une appoggiature sous la note concernée ; chez Renée Fleming, ce serait plutôt un long glissement indéterminé (souvent avec crescendo audible).

Martha Mödl en Isolde (intégrale libre de droits disponible sur CSS). Vous entendez distinctement sur les deux aigus de l'extrait qu'une première note précède subrepticement la note écrite à atteindre. La seconde est même un peu ratée, et se rétablit parfaitement, cependant, sur la note d'arrivée. Il s'agit d'une forme de préparation, où l'énergie phonatoire est dispensée en deux temps.

Renée Fleming dans les Sieben Frühe-Lieder d'Alban Berg (direction Abbado). Ici, la note n'est pas attaquée en deux fois, mais commence légèrement trop bas, plutôt piano ; en même temps que le volume sonore atteint la nuance écrite sur la partition, la voix s'élève jusqu'à la hauteur prescrite.

Il ne faut pas confondre, cependant, l'attaque par en-dessous avec la technique italienne bien connue qui consiste à reprendre la note qui précède pour "sauter" jusqu'à la note à atteindre, afin, précisément, d'assurer le passage d'un grand intervalle proprement. Ce n'est pas considéré ici comme un défaut - même s'il existe un vif débat sur le bon goût de cette méthode, lorsqu'elle est omniprésente. (Mirella Freni fait beaucoup cela.) Et cette technique est précisément un cas particulier de l'usage du portamento.




Le portamento, donc, n'est autre que le port de voix (mais sonne plus joliment à l'écrire). Au lieu de chanter deux notes détachées, on les lie en faisant couvrir à la voix l'étendue du spectre sonore qui sépare lesdites notes.
Ce peut être une question de style, notamment ancien (ce n'est plus du tout à la mode aujourd'hui), une question de sûreté vocale (éviter de se faire mal en attaquant à cru - aussi bien chez les grands qui lissent leur ligne vocale que chez les prudents qui n'osent pas) ou une question expressive (pour exprimer le pathétique).
Pour un exemple parlant, écouter la fin d'une cabalette [2] par Callas où elle ne réalise pas de contre-note (c'est-à-dire [3] où elle "redescend" à la toute fin), et il sera aisé de repérer cette "dégringolade" très appuyée.

Bien entendu, il existe toutes sortes de portamenti : les pesants, les discrets, ceux qui se conçoivent note à note, ceux qui dégoulinent de façon un peu plus aléatoire, ceux qui ralentissent et se densifient au début ou à la fin... Y compris chez le même interprète, il existe des variations sensibles selon les répertoires et les effets recherchés. [Voir cette notule pour une distinction plus claire.]

Il faut savoir que tous les chanteurs connaissent cette technique, qui représente en quelque sorte une extension du legato (de la ligature entre deux notes successives, donc - un savoir-faire de base du chant lyrique). Mais plus personne ne l'utilise systématiquement, et son usage appuyé est mal vu désormais.

Renata Tebaldi dans le récitatif qui précède l'Addio del passato de Traviata. On entend très distinctement cette descente dévalée entre les deux notes - elle fait même ici une pause avant d'attaquer la seconde, ce qui pose la question de la légitimité de ce geste vocal, en l'occurrence. Chez les Italiens des années cinquante, il s'agit bien sûr d'une habitude stylistique, comme nous le prouve ici le choix surprenant de Tebaldi.
Il s'agit ici d'un portamento à la fois appuyé et plutôt global dans sa pensée et sa réalisation (les notes par lesquelles la chanteuse passe sont pour certaines parfaitement étrangères à la gamme - pour ne pas dire fausses, en réalité).




La rédaction de CSS et ses lutins sont bien entendu tout disposés à détailler ou répondre aux questions de l'assistance.

Notes

[1] Presque toujours une chanteuse, en réalité. Ce tic vocal concerne essentiellement les sopranes, si on y regarde de près.

[2] La seconde partie, rapide, d'un air dans le belcanto romantique - avec une reprise écrite (et entrecoupée d'un bref dialogue ou choeur), reprise souvent omise à la scène.

[3] CSS réserve résolument i.e. pour les cuistres. Non aux abréviations, non aux latinismes gratuits.


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Commentaires

1. Le dimanche 18 novembre 2007 à , par Morloch

Et voilà, pffffff, on cherche un exemple de mauvais goût et vers qui se tourne t'on spontanément ? Renée Fleming, évidemment.

Mécréant.

2. Le dimanche 18 novembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Oui, parce que Martha, ça a du panache, ses appoggiatures, pas comme ces attaques informes qui glissent comme du saindoux. Pouah.

3. Le lundi 19 novembre 2007 à , par Vartan

On dirait, chez Mödl, un choix renforçant le caractère déchiré, expressionniste, dissonant de l'émotion présente. Tout à fait dans le ton. Chez Fleming c'est plus élégant comme intention, comme une ornementation XVIII°, une appoggiature. Ne serait sa prononciation étrange ça me conviendrait tout à fait.

4. Le lundi 19 novembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Tout à fait d'accord pour Mödl, il y a un côté « rugissement » qui me semble admirable dans la perspective de son Isolde-Impératrice.

Pour Fleming, je trouve surtout ça précieux et même d'un goût franchement douteux. Ce n'est pas une appoggiature, ce n'est ni propre ni identifiable. Ca commence comme une messa di voce ratée.
Quant à l'ornementation XVIIIe dans du Berg, passons.


Merci, par charité pour ma tendresse cachée pour Tebaldi, de vous être tus sur ce chapitre. :-)

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David Le Marrec

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