Jusqu'à la fin des années 1770, les opéras de LULLY sont
régulièrement repris, les remettant au goût du
jour (en conservant les récitatif et les scènes les plus emblématiques,
mais en récrivant les danses et une large part des airs). Armide avait plutôt bien résisté à
la fougue des arrangeurs (on retouchait essentiellement les danses et
chœurs), jusqu'à 1777 où Gluck propose sa version entièrement récrite –
quoique de toute évidence très marquée, dans les caractères des
épisodes et jusque dans la musique, par l'empreinte de l'original.
Condamné au tribnunal de l'opinion publique pour détournement de
Quinault, il faut alors éteindre l'incendie (ou nourrir la controverse
pour vendre des places, comme on voudra), et Louis-Joseph Francœur
(neveu du compositeur François Francœur, ancien directeur de l'Opéra…)
est chargé d'actualiser la partition de LULLY, sans la
dénaturer de semblable façon. La partition, inachevée, n'a cependant
jamais été donnée.
J'aurais aimé produire une notule avec un peu de perspective
historique, des extraits sonores, mais mon agenda me laisse peu de
temps ces jours-ci pour CSS. Je me contente donc de ce petit résumé et
de quelques impressions, en espérant avoir l'occasion d'y revenir pour
la diffusion radio, le disque, ou simplement ma fantaisie…
--
Surprise, le pari est réussi : il s'agissait de faire mieux que l'Armide de Gluck, plus fidèle à LULLY,
sans pour autant endormir un public plus très réceptif au vieux style
du XVIIe siècle. Et, en effet, le résultat est bien plus passionnant
que l'Armide un peu rigide et
militaire du Germain.
Contrairement aux arrangements d'usage (récriture des airs et
divertissements qui ont « vieilli »), quasiment toutes les lignes
vocales de LULLY sont conservées (très peu d'exceptions, et souvent
simplement par touches, comme le chœur de la Suite de la Haine plus
développé, mais partiellement identique), avec un accompagnement
totalement renouvelé (aprèges brisés primesautiers et trémolos furieux
remplacent la basse continue avec clavecin – qui vient de disparaître
de la fosse de l'Opéra).
Une trahison manifeste de l'esprit (la représentation du Théâtre
des Champs-Élysées a manqué de peu d'être interrompue par
l'intervention d'un groupe LULLYste, manifestement
radicalisé sur Internet), mais tellement amusant / rafraîchissant /
revigorant ! Plutôt que d'écouter mille fois la même chose et de
comparer qui joue mieux… on renouvelle ainsi l'écoute et continue de
découvrir, au sein de la même œuvre.
Orchestre très fourni, avec des vents par deux (flûtes, hautbois,
clarinettes [!], bassons, cors, trompettes), certes relativement peu
sollicités, mais de façon au besoin spectaculaire, comme les
formidables solos de clarinette (dans du LULLY !) pour
le ballet guerrier du I.
L'occasion de profiter de quelques merveilles, comme la réécriture du
chœur Haineux dans une veine plus expansive et dramatique, moins
aimable, plus tendue (et plus longue), ou la vivacité de l'exploration
des chevaliers au début de l'acte IV.
Bien sûr, il faut aussi supporter la fête villageoise qui remplace le
chœur d'enchantement a cappella
du II (ça pique), la destruction de la symétrie au IV (une seule fausse
amante, mais close dans une longue scène totalement déconnectée de
l'action), ainsi que la misérable passacaille ramiste tout à fait
décadente. On se console alors avec la conservation du solo de l'Amant
fortuné et son très touchant contrechant de flûte ajouté !
Il faut ce qu'il faut.
Le style navigue entre danses ramistes (ou gossecquisantes par
anticipation – on songe même par endroit aux réjouissances
finales du Triomphe de la République
!) et accompagnement postgluckiste
(arpèges brisés sautillants comme dans L'Amant Jaloux de Grétry ou Tarare de Salieri,
trémolos partout pour faire méchant
comme dans Phèdre de Lemoyne).
Cela crée des décalages étonnant avec les mélodies (qui, quelques
étranges suppressions d'aigus mises à part, sont la plupart du temps
exactement conformes), souvent dans des tons majeurs assez lumineux,
tandis que l'orchestre s'enrage à essayer de crééer de l'agitation tout
autour – tel l'air de Renaud « Le repos me fait violence », petite
ritournelle galante changé en évocation épique comme un grand
récitatif-arioso de bravoure (soutenu par des trémolos haletants).
Dur de le déterminer avec certitude en première écoute et sans avoir lu
partition, mais le soupçon que certaines harmonies ont été changées ;
en tout cas la couleur est par endroit véritablement tout autre.
ll faut en effet s'adapter à ce traitement frénétique, une musique sans
cesse pleine, toujours agitée, tendue vers l'avant – et pourtant,
l'original ne se complaisait pas dans la contemplation statique !
Par endroit, on a un peu de peine pour les silences pensés par Quinault
et LULLY : dans « Enfin, il est en ma puissance », nulle
respiration dans ces hésitations, cette bascule d'une destinée ; on y
sent plutôt le bouillonnement invasif d'affects désordonnés. Par
forcément au niveau de la pensée de ses auteurs originaux, mais cela
fonctionne vraiment bien partout ailleurs que dans cette scène
(séduisante tout de même, mais sans doute la plus évidemment en deçà du
modèle).
Une Armide-cavalcade, où l'on
a l'ivresse de retrouver les mélodies de LULLY,
totalement rhabillées sous le manteau de la nouvelle esthétique
classique, son drame exacerbé, ses lignes droites qui dédaignent
volutes et courbes d'antan.
--
Ces aspects étaient sans doute accentués par les idiosyncrasies d'Hervé
Niquet : tendu de bout en bout, chevauchant vers l'avant de façon
irrésistible. Corollaire inévitable : tout est un peu sur le même plan,
peu de contrastes et encore moins de respirations que ce qui est prévu…
alliance de deux pensées pressées qui a désarçonné certains
spectateurs. Pour ma part, tout en sentant ce qu'on abandonnait
peut-être en variété et en couleurs, je me suis volontiers laissé grisé
par le Short Ride in a Fast Machine.
1er
avril 2019 Théâtre des Champs-Élysées
Véronique Gens : Armide Reinoud Van Mechelen : Renaud Tassis Christoyannis : Hidraot /
la Haine Chantal Santon-Jeffery : Phénice /
Lucinde Katherine Watson : Sidonie / une
Naïade / un Plaisir (ex-Amant fortuné) Philippe-Nicolas Martin : Aronte /
Artémidore / Ubalde Zachary Wilder : le Chevalier
Danois
Chœur et orchestre du Concert
Spirituel Hervé Niquet
Plaisir de constater, après Issé,
que Chantal Santon a bossé dur et, après ces dernières années où la
voix semblait en voix de varnaÿsation (vibrato incontrolé, attaques
laides), a recouvré la pleine maîtrise de sa voix comme il y a dix ans.
Considérant la quantité de ses engagements dans ce répertoire (et sa
précieuse maîtrise du style), c'est une excellente nouvelle pour tous
les amateurs du genre. [C'est impressionnant, car avec la pression de
la carrière, très peu de chanteurs arrivent à rééquilibrer leur voix
lorsqu'elle commence à dysfonctionner.]
Particulièrement impressionné par Philippe-Nicolas Martin, dont la
voix, que je trouvais encore récemment un peu sèche, rayonne de façon
impressionnante, fendant l'espace avec facilité et ampleur, sans céder
à l'épate vocale ni naviguer vers le hors-style. Quelle belle évolution
!
--
Ce n'est donc peut-être pas aussi bien que du vrai LULLY,
mais plutôt que de réécouter des versions multiples de la même œuvre,
voilà qui permettra de varier les plaisirs ! Sans parler de la
documentation passionnante du changement des goûts, de l'exercice
fascinant de faire autre chose
avec la même matière !
Tradition de toujours. Bilan du mois écoulé. Et quelques
recommandations pour ne pas manquer tous ces beaux concerts cachés
d'avril.
Cette fois encore, pour des raisons de praticité, je me
limite à une
petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel,
donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite
pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de
la plupart des théâtres de la région – en musique en tout cas, puisque
l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à
indiquer quelques-unes de mes marottes.
Diagonale de putti dans les
loges de l'Oratoire du Louvre, sous les tribunes.
1.
Les combats
de mars
Quelques aventures sont encore prévues pour la dernière semaine du
mois, mais il faut bien effectuer un bilan avant le 1er avril pour
annoncer les concerts dignes d'intérêt…
Les renoncements sont toujours inévitables, et j'ai dû abandonner, pour
raisons tantôt personnelles, tantôt professionnelles (tantôt envie de
faire autre chose que des concerts, aussi…) :
– Le
jeune Sage et le vieux Foude Méhul (certes un de ses opéras
comiques un peu légers) à la BNF (tellement bien annoncé que je l'ai
découvert une heure avant le concert), étant déjà accompagné pour la Tragédie de Saloméintégrale de Florent Schmitt (ce qui est au
demeurant un choix très défendable) ;
– leRetour d'Ulysse
de Monteverdi dans une
fulgurante distribution ;
– le Boccanegra
luxueux en diable de Monte-Carlo (Radvanovsky, Vargas, Tézier,
Kowaljow…) ;
– le concert Copland-Barber-Bernstein
de l'ONDIF, que j'irai plutôt voir à Montereau (qu'il est beau de voyager, dit-on
dans cet opéra) ;
– enfin et surtout, la grande
rétrospective de la création contemporaine officielle depuis 50 ans,
à la Cité de la Musique (avec de très beaux choix de programme par
l'EIC) ; mais le même soir que la Jehanne
de Tchaïkovski, je n'avais guère de choix en réalité.
Ne croyez donc pas que je les aie boudés par mépris.
Par ailleurs, il y avait déjà de quoi s'occuper, avec 11 soirées rien
qu'entre le 2 et le 25 mars.
♣ Pas toujours des inédits mondiaux, mais des
choses qui ne passent que très exceptionnellement en France (voire dans
le monde…) :
♣♣ La
Pucelle d'OrléansdeTchaïkovski.
Par le Bolchoï
de surcroît : orchestre, chœur et troupe de solistes ! L'opéra
n'est à
peu près jamais donné hors de Russie (où il n'est pas exactement un
standard non plus), et le disque n'en documente que deux versions,
assez anciennes (la plus récente date des années 70). C'est une
étrangeté, puisque composée juste après Onéguine, elle marque, comme Mazeppa écrit juste après (et
contrairement à l'Enchanteresse,
à la Dame de Pique et à Iolanta
qui achèvent sa carrière lyrique), une sorte de retour vers un genre
plus formel du grand opéra historique, même musicalement. Les
récitatifs y sont en effet assez rigides, les airs et numéros assez
longs, pas du tout effleurés comme dans Onéguine
(où Tchaïkovski a vraiment épousé au plus près son sujet !). Néanmoins,
plusieurs grands moments de grâce, en particulier les grands ensembles
et les scènes de foule, et surtout les préludes de chaque tableau, où
l'on retrouve toute la virtuosité purement musicale (harmonie,
orchestrtion) de Tchaïkovski.
♣♣♣♣
L'opéra s'écarte
évidemment
des sources historiques, puisque Jehanne y vit une histoire d'amour
qui, dans une lecture assez mystique (façon Samson) et décadente,
consume ses forces et lui fait perdre sa légitimité. C'est à Chinon,
lors de la présentation de Jeanne, qu'on annonce le siège compromis
d'Orléans, et c'est son propre père qui la maudit ; marchant
ensuite à
peu près seule (avec son semi-amant) dans le forêt, elle se fait
capturer par les Anglais. Chaque acte développe un lieu différent de
façon assez habile : Domrémy, Chinon, Reims, Rouen.
♣♣♣♣
L'Orchestre du Bolchoï n'est
plus
très typé (hors les
remarquables cors translucides assez caractéristiques), la différence
passe, à tout prendre, plutôt par le style du portamento (ports de voix) des
violons dans les phrasés lyriques. Le
Chœur,
lui, est à couper le souffle : n'importe quel choriste pourrait chanter
à Bastille demain – les volumes et la perfection des voix, sans jamais
sembler désagréablement écrasants comme d'autres chœurs de
quasi-solistes (Chœur de Radio-France, la plupart des chœurs d'opéra de
France et d'Italie…). Côté troupe,
Anna Smirnova révèle
à quel point la tessiture très centrale du rôle-titre, recouverte par
l'orchestre, doit être un problème insurmontable pour le distribuer à
tout autre qu'elle ; Bogdan Volkov
(Raymond, son soupirant de Domrémy) comme toujours très élégant, Oleg Dolgov (Charles VII), autre
ténor limpide et élancé à la russe (toujours ces dégradés de couleurs),
superbe Anna Nechaeva (Agnès
Sorel), très charismatique dans un rôle très court… et par-dessus tout Stanislav Trofimov
(l'Archevêque), une voix quelque part entre Kurt Moll et Martti
Talvela, à la fois noire et lumineuse, profonde et pure, grave et très
aisée dans l'aigu. Mon chouchou personnel, l'Ange de Marta Danusevich
: une voix de soprano dont le timbre très fruité paraît celui d'un
mezzo lyrique, avec une richesse de coloris rare chez les voix hautes.
Et qui surmonte le chœur sans la moindre peine.
♣♣ LaDeuxième Symphonie de Nielsen(voir présentation)
par l'ONF et le spécialiste
(parmi la poignée des tout meilleurs) John
Storgårds.
L'une des plus belles symphonies de tout les temps, aussi considérable
que la Quatrième à mon sens (quoique moins complexe). En tout cas dans
mon TOP 5 du premier vingtième (il y aurait aussi van
Gilse 2, Schmidt 2, Sibelius 7, Walton
1 – pour le top 10, Atterberg 1, Alfvén
4
et Madetoja 2, assurément). Chaque mouvement est à la fois fascinant et
exaltant, culminant dans la reprise en climax du thème du mouvement
lent…
♣♣♣♣ Ce soir-là,
le grain naturel et tranchant des cordes de l'ONF des grands jours en faisait le
meilleur orchestre du monde. Et pour ne rien gâcher, nous eûmes le
plaisir d'entendre en vrai Fanny
Clamagirand
que j'admire depuis longtemps – pas un gros son, mais une beauté de
timbre et un goût parfaits. La création d'Édith Canat de Chizy n'était
pas pénible que son ordinaire, à défaut d'imprimer le moindre début de
sentiment de nécessité – la suite d'effets traditionnels, sans propos
thématique / structurel / climatique identifiable. En n'essayant pas
trop de s'intéresser au propos fuyant, le temps passe sans douleur. En
bis, une splendide sarabande de Bach (comme après chaque concerto pour
violon, certes).
♣♣♣♣ Accueil
toujours aussi catastrophique à Radio-France : sécurité
peu respectueuse (tout le contenu du sac retourné sans ménagement et
sans demander l'autorisation – en principe, on enseigne l'inverse aux
agents), replacement de force du public, même si les places d'arrivée
sont moins bonnes (alors qu'en principe, on propose
ce genre de chose). Toujours l'impression, donc, d'être à peine toléré
alors qu'on a payé sa place et qu'on voudrait juste ne pas être traité
comme un délinquant pour vouloir entrer dans la salle puis s'asseoir à
sa place.
♣♣♣♣ Salle
remplie au quart (uniquement les parties de face, et pas en
entier, sur deux étages des trois) : entre les artistes formidables
mais peu célèbres, Nielsen 2 qui n'est pas encore dans les habitudes du
public symphonique, et la création de Canat de Chizy, trop bien connue,
il est vrai qu'on avait cumulé les paramètres de désaffection (il
aurait fallu un concerto de Tchaïkovski avec Jansen en première partie,
et mettre Clamagirand-Chizy dans un concert avec Mahler 4 ou Beethoven
5 en seconde partie…).
♣♣ La Tragédie de Saloméde Florent Schmitt,
dans sa version originelle et intégrale pour petit orchestre (bois par
1). Un superbe cadeau d'Alain Altinoglu pour sa classe de direction
d'orchestre au CNSM… Présentation de l'œuvre (et éloge des musiciens)
faite tout
récemment.
♪ D'autres raretés, peut-être pas majeures, mais très intéressantes.
♫Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa,
un opéra bouffe sur sujet domestique, succès immense et emblématique à
son époque – dès la création, bien avant la vénération bruyante de
Stendhal. Il m'est difficile, je l'avoue, de m'immerger totalement dans
une œuvre théâtrale aussi fragmentée (discontinuité maximale entre de
jolis airs très mélodiques qui évoluent peu, et les récitatifs secs), et les
coupures réalisées par Patrick Davin,
pour une fois, se défendent – sans quoi le spectacle aurait été très
long, et pas forcément plus riche (ce n'est pas comme couper
du Richard Strauss d'une heure et demie). Surtout, Cécile Roussat et Julien Lubek, une fois encore
(témoin leur Dido and Æneas de Rouen) montrent qu'ils sont les
metteurs en scène actuels les plus capables d'animer une scène, même
conçue comme immobile. Quoi qu'on pense de la musique et du livret (de
Giovanni Bertati, celui qui invente la mort liminaire du Commandeur
dans les multiples refontes de Don
Juan), le résultat était un grand moment de théâtre. La
principale réserve tient au style de l'Orchestre du CNSM, que Patrick
Davin fait sonner comme le studio Sanzogno… donc peu sensible aux «
nouveaux » apports musicologiques des soixante dernières années, disons.
♫♫ Les jeunes chanteurs,
bien connus de nos services, sont remarquables, en particulier Harmonie Deschamps, Marie Perbost (mainte fois louées en
ces lieux), et par-dessus tout Jean-Christophe
Lanièce qui révèle, en plus de ses talents connus de chanteur et
diseur, un charisme d'acteur phénoménal. Par ailleurs, la voix paraît
différente en italien, moins centrée sur la couleur et davantage sur
l'éclat, s'adaptant ainsi idéalement au répertoire.
♫ Les
Saisons de Haydn dans
la version (en français)
de leur création française (selon le vœu d'adaptation vernaculaire de
Haydn). Musiciens du Palais-Royal dirigés
par Jean-Philippe Sarcos dans
la salle néo-égyptienne de l'antique Conservatoire de Paris. Il y a
quelque chose de particulier à entendre cette musique dans la salle où
l'on joua pour la première fois les Symphonies parisiennes de Haydn, la
Fantastique de Berlioz, et où l'on donna pour la première fois
Beethoven en France… de quoi méditer sur le son des origines
(acoustique assez sèche, lieu d'où l'on entend bien partout, atmosphère
assez intime, et même une certaine promiscuité dans les loges).
♫♫ Pour le reste, je ne
suis pas un inconditionnel des oratorios de Haydn : de très belles
choses, mais l'ensemble me touche peu. La plus-value du français
n'était pas aussi bien mise en valeur que pour la Création, si bien que mon intérêt
s'est un peu émoussé, je dois l'avouer, sans que l'œuvre soit en cause.
♫♫ J'ai trouvé le français des interprètes (même Clémence Barrabé !) et du chœur très correct, mais assez peu
généreux vu le projet (Sébastien
Obrecht, ayant travaillé la partition en 48h, étant plus
expansif que ses compères). Alors que pour la Création, la limpidité du chœur
(mais il n'était pas constitué des mêmes personnes, quoique portant le
même nom…) et les couleurs de l'orchestre
m'avaient ravi, j'ai trouvé cette fois l'orchestre plus limité
(par rapport à la concurrence superlative en tout cas) et le chœur plus
indifférent au paramètre linguistique. Pour finir, Aimery Lefèvre devrait vraiment
s'interroger : en chantant aussi engorgé, il est inintelligible, la
voix ne porte pas du tout, et ses aigus sont difficiles (ce qui, pour
un baryton aussi jeune, est quand même peu rassurant). C'était déjà une
tendance dans David et Jonathas
il y a trois ou quatre ans, mais la voix commence vraiment à en
souffrir désormais.
♥ Des tubes personnels :
♥♥ In
Taverna avec l'ensemble Il
Festino – et Dagmar Šašková,
la meilleure chanteuse du monde. Programme entendu en septembre 2009, et que je cherchais absolument à
entendre : des airs à boire de
Moulinié et LULLY,
entrecoupés de déclamation en prononciation restituée (par le virtuose Julien Cigana) d'extraits d'éloges
du jus de la treille par La Fontaine, Rabelais, Saint-Amant ou Scarron
!
De quoi se mettre en train le dimanche à 10h du matin. L'heure a sans
doute un peu brouillé les cordes de la chanteuse, moins à son faîte que
de coutume, mais ce programme est simplement grisant, à tout point de
vue, l'une de mes grandes expériences de spectateur. (Il fallait pour
cela se déplacer au Conservatoire de Puteaux un dimanche matin assez
tôt, mais qui peut mettre un prix sur le bonheur ?)
♥♥ Le Concerto
pour la Nuit de Noël deCorelli
(par Karajan ou par les meilleurs baroqueux, toujours bouleversant, là
où tout le reste de Corelli paraît tellement plus décoratif…), une Suite tirée d'Atys deLULLY. Et
puis des extraits des Vêpres de la Vierge de Monteverdi
et la musique pour les Soupers du comte d'Artois de
Francœur. C'était le concert d'inauguration de la section
musique ancienne du tout récent OJIF
(Orchestre des Jeunes d'Île-de-France), censé être une formation de
haut niveau auto-professionnalisante, créée au printemps dernier. Très
bien exécuté (plein d'éloges et de petites réserves à émettre, bien
sûr), mais les conditions climatiques extrêmes laissaient peu le loisir
d'être ému : la porte largement ouverte sur la rue a vidé l'Oratoire du
Louvre de toute sa chaleur… un concert assis immobile à 10°C, c'est
plus pénible qu'exaltant, clairement. Un peu comme écouter Mozart
pendant qu'on vous arrache les ongles. Ou comme écouter du Glass dans
un jacuzzi avec une authentique glace italienne à la main sous le
soleil toscan. Difficile de se départir de la douleur.
♠ Oserai-je le confesser ? J'ai aussi assisté à des concerts d'un
conformisme vertigineux – et passé un excellent moment.
♠♠Symphonie n°38 de Mozartpar l'Orchestre de Paris à la
Philharmonie. (Certes, parce que je n'ai pas réussi à revendre ma
place, je croyais que c'était la seule œuvre au programme, et que
Zacharias dirigeait…) Inséré au sein d'un bizarre spectacle racontant
vaguement la relation de W.A. avec Leopold.
♠♠♠♠ Outre que la
(magnifique) symphonie était assez bien jouée (je l'aime avec plus de
tranchant, mais ce n'était nullement mou) et que le tarif était
ridiculement attractif (20€ pour toutes les places), expérience très
intéressante pour observer un public vraiment
différent. Les gens ont systématiquement applaudi entre les mouvements,
et personne ne leur a dit chut !
– voilà une excellente preuve qu'il ne s'agit pas d'initiés. Et ils ont
hésité en réclamant le bis, je crois qu'ils attendaient une conclusion
(moi aussi, à vrai dire), puisque Mozart et son père s'asseoient pour
regarder la symphonie (et le tout durait à peine plus d'une heure), on
pourrait attendre une petite fin théâtrale… Le violon solo Philippe
Aïche, dans son élégance habituelle, se lève alors et entraîne
l'orchestre avec un geste qui semble dire vous avez pas assez applaudi, tant pis
pour vous – on dit toujours qu'on veut s'ouvrir, mais on préfère
quand même traiter avec ses semblables, pas avec les bouseux qui
découvrent le concert.
♠♠♠♠ J'essaierai de produire une notule pour explorer
cette question des codes du concert et plus largement de la
compréhension de la musique classique – y a-t-il des limites à ce qu'on
peut faire aimer à un auditeur occasionnel ? Perçoit-on
réellement l'essence des œuvres quand on n'est pas musicien / mélomane
aguerri ? Sujet passionnant (et inconfortable).
♠♠ Symphonies
1, 4 et 7 de Beethoven
par l'Orchestre des Champs-Élysées
et Herreweghe. Enfin pu
entendre la Première en vrai… du niveau des plus grandes. Et la
dernière notule traite justement de la Quatrième.
Herreweghe ne cherche pas l'effet, tout est joué avec simplicité, une
sorte d'exécution-type sur instruments anciens, et cette musique est
déjà si forte que c'est assez parfait – en tout cas ce que je cherchais
ce soir-là. Étrangement, la 7 (pourtant à peine plus entendue que la 1
sur ma platine…) m'a moins fortement touché – peut-être parce que
j'entendais la 1 pour la première fois (la 7 que pour la seconde, cela
dit, et à 15 ans d'intervalle…), et que je me convertissais enfin
résolument à la 4.
♠♠ Les
Nuits d'Été de Berlioz
dans sa version (originale) pour baryton, par Christian Gerhaher… la franchise du
texte (il ose de ces sons ouverts !) est exceptionnelle, et le
caractère plus « parlé » d'un timbre de baryton tire l'œuvre hors des
évocations vaporeuses habituelles vers du texte brut – Théophile
Gautier en paraît presque sauvage et échevelé ! Par ailleurs les Piècesopus 16 de Schönberg,
que j'aime beaucoup, mais qui en concert manquent justement de
direction, de propos continu. D'éphémères belles associations de
timbre. Et pour finir, la Deuxième
Symphonie de Schumanndirigée par Daniel Harding : le public a trouvé
le Mahler Jugendesorchester formidable,
et il l'est d'ordinaire… pourtant, je lui ai (i.e. nous lui avons, un
contributeur de CSS y était aussi…) trouvé un petit manque de
tranchant, une superposition des timbres pas toujours parfaite,
quelques flottements (et même un trait de violons vilainement raté) :
les moments les plus rapides leur imposaient la performance, et ils
étaient alors remarquables, mais le reste du temps, il manquait un rien
d'abandon ou d'intensité, difficile à définir. Considérant leur âge
visiblement très tendre, c'est probablement le début d'une session, et
on entendait surtout la différence avec les orchestres permanents qui
jouent ensemble depuis des décennies.
♠♠♠♠ En tout cas,
contrairement à ce qu'on peut supposer (le Jugendesorchester, parrainé
par Abbado, à sélection internationale, multi-enregistré), les élèves
du CNSM, entendus en janvier dans la même œuvre, était deux coudées
au-dessus (au niveau des plus grands), aussi bien en matière de
précision que d'enthousiasme palpable.
♠♠♠♠ Il faudra bientôt
songer à imposer des quotas paritaires dans les cordes : trois hommes (dont le violoncelle
solo, certes, et deux dernières
chaises en violon). Tout le reste constitué de jeunes filles (toutes
blanches, ouf, on peut encore travailler à diversifier le recrutement).
♦ Pour finir, du théâtre :
♦♦ Suddenly
Last Summer de Tennessee Williams,
à l'Odéon. Braunschweig y
retrouve les lents
dévoilements des pièces d'Ibsen,
tout étant centré autour du récit du souvenir indicible de la mort de
celui dont tout le monde parle… à la différence que le dévoilement est
ici souhaité (et clôt la pièce, en sauvant peut-être les personnages),
et non vu avec effroi comme inévitable et destructeur. Belle pièce
néanmoins, plutôt bien dite, dans un jardin en plastique pas très
élégant et une mise en scène pas très mobile mais fluide, où l'on ne
retrouve pas les tropismes de Braunschweig pour les pull gris et les
murs en noir et blanc.
♦♦♦♦ Les comédiens sont
lourdement sonorisés, mais peut-il en aller autrement dans la salle de
1819, très vaste, et en tout cas très haute ? Pourtant, c'était
le siège du Second Théâtre-Français, là où Berlioz connut ses émois
shakespeariens, là où Sarah Bernhardt jouait Racine… Voilà qui
repose grandement la question de notre acceptation du son qui n'immerge
pas, ou, plus grave, de la technique vocale des comédiens d'aujourd'hui.
Vastes sujets.
Il est temps à présent d'interroger avril.
Putti-atlantes dans la salle de 1819 de l'Odéon, sous le regard
du mascaron.
2. La pelote d'Avril
Les vacances scolaires de la zone C font toujours décroître (pour une
raison inconnue) l'offre francilienne. Il y a néanmoins de quoi
s'occuper. Parmi tout ce qu'on peut voir, quelques soirées dont vous
avez peut-être raté l'annonce.
(Organisé plus ou moins par ordre de composition à l'intérieur par
catégorie.)
► Lieder et autres monodies vocales :
■ Le 29, Hôtel de Soubise, Eva Zaïcik
chante Léandre et Héro de
Clérambault, la Deuxième Leçon
de Ténèbres de Couperin et une cantate pastorale de
Montéclair. Générosité et grande expression au programme avec elle !
■ À la Cité de la Musique, Lehmkuhl
et Barbeyrac chantent des lieder de Schubert orchestrés. Avec
Accentus et Insula Orchestra, le 27.
■ Lieder de Clara & Robert
Schumann, de Brahms aussi, le 20 midi par Adèle Charvet (Orsay
ou Petit-Palais).
■ Lieder de Liszt, Wagner, Brahms,
Weill, Stolz, Zeira… et Viardot, par la mezzo Hagar Sharvit, aux
Abbesses le 23.
■ Pot-pourri des Lunaisiens
avec Isabelle Druet, salle Turenne le 21.
► Opéra :
■ Je signale en passant qu'à Rennes, le
6, l'ensemble Azur donnera des chœurs
tirés des Noces
de Thétis et Péléede Collasse,
l'un des ouvrages les
plus repris de la tragédie en musique, et qui attend toujours
d'être intégralement remonté de nos jours.
■ Bien sûr Alcyonede Maraisà l'Opéra-Comique ) : à partir du 26, Jordi Savall y rejoue
l'œuvre qu'on n'a guère dû entendre depuis l'ère disque Minkowski, au
début des années 1990. Je ne trouve pas tout à fait mon compte dans les
opéras de Marais, plus un musicien sophistiqué qu'un maître du
récitatif et de l'expression verbale fine, mais il faut admettre qu'Alcyone, malgré le risible livret
du redoutable Houdar de La Motte, a ses moments spectaculaires, dont la
tempête dont le figuralisme et les moyens nouveaux (pour partie italiens,
mais pas seulement) firent date. Même si Savall m'a plutôt effrayé
lorsque je l'ai entendu (il y a près de quinze ans) en jouer la Suite
de danses (que c'était sec !), l'équipe dont il s'entoure plaide pour
le sérieux de l'entreprise (quelle distribution vertigineuse !).
■ La
Fille des Neiges deRimski-Korsakov
à Bastille, évidemment, même si la relecture sexu(alis)ée de
Tcherniakov ne sera pas forcément propice à la découverte candide,
disons.
■ Une opérette mal connue de Maurice
Yvain, Gosse de riche, au Théâtre
Trévise (L'inverse par les Frivolités
Parisiennes, les 12 et 19 ; de la musique légère, mais qui sera
encore une fois servie au plus haut niveau, jouée avec la rigueur d'un
Wagner mais l'entrain de jeunes passionnés. d'un ballet joué par
l'Orchestre de l'Opéra, donc.)
■ Des extraits de Licht, le
méga-opéra de Stockhausen
présentés pour tous publics à 10h et 14h dans la semaine du 24, à
l'Opéra-Comique. Cela reprend aussi en septembre. Très intriguant
(d'autant qu'il y a vraiment de tout
dans cet opéra, du récitatif de musical
jusqu'aux œuvres instrumentales les plus expérimentales…).
■ The
Lighthousede Peter Maxwell
Davies à l'Athénée à partir du 21, un opéra-thriller assez
terrifiant, dans le goût du Tour
d'écrou : les marins d'un bateau de ravitaillement pénètrent
dans un phare dont les gardiens semblent avoir disparu. Musicalement
pas toujours séduisant (mais accessible et en rien rebutant, simplement
une forme de Britten atonal, quelques jolis effets instruments de type
cors bouchés en sus), mais très prenant, et ce doit être encore plus
fort sur scène !
■ Trompe-la-mort de
Francesconi se joue toujours à
Garnier. Je ne l'ai pas encore vu, mais de ce que je peux déduire de la
musique habituelle de Francesconi, il y aura de belles couleurs et de
belles textures ; leur adaptation à une structure dramatique et aux
contraintes d'une claire prosodie me laissent plus réservé, il faut
tester – j'ai lu tout et son contraire à ce sujet, excepté sur la mise
en scène de Guy Cassiers qui semble être partout louée.
► Sacré & oratorio :
■ Odes
de Purcell par Niquet
à Massy le 22.
■ Un office musical à Paris en 1675,
sur la musique de Charpentier,
par Le Vaisseau d'or(Sainte-Élisabeth-de-Hongrie,
le 1er, libre participation).
■ Leçons de
Ténèbres de Charpentier (plus
austères que les fameuses Couperin) par les excellents Ambassadeurs de
Kossenko, avec la basse Stephan MacLeod, probablement l'homme au monde
a avoir le plus chanté ces œuvres… Oratoire du Louvre, le 5.
■ Leçons de
Ténèbres de Couperin par
l'Ensemble Desmarest, Maïlys de Villoutreys et Anaïs Bertrand, rien que
d'excellents spécialistes (et une de nos protégées du CNSM, qui a déjà
de très beaux engagements).
■ Une Passion de Telemann à
la Cité de la Musique le 15 à 16h30… je n'ai pas vérifié laquelle, il
en a écrit quelques dizaines (je n'exagère pas), et dans des styles
assez divers, italianisantes ou plus ambitieuses musicalement, dont
certaines valent bien les Bach – et d'autres pas grand'chose. C'est
assez tentant néanmoins, on n'en entend jamais, toujours les Bach – et
quelquefois Keiser, sans doute parce qu'on l'a d'abord attribué par
erreur à son collègue lipsien.
■ Le Repas des
Apôtres de Wagner, sorte de longue choucroute
homophonique qui ressemblerait à du Bruckner sans aucune inspiration –
le Wagner de Rienzi, en somme. Mais c'est très rare (et pour cause).
Peut-être qu'en vrai, on en sent mieux la nécessité ? Couplé avec
le Second Concerto pour piano de Brahms et la Symphonie en ut de Bizet,
joués par la Garde Républicaine… amateurs de cohérence programmatique
et de belles notes d'intention s'abstenir.
■ Les Sept
Dernières Paroles, un des chefs-d'œuvre du spécialiste de
musique chorale sacré James MacMillan.
Couplé avec celles de Haydn,
d'abord écrites sans voix puis, devant le succès, réadaptées en
oratorio. Par l'Orchestre de Chambre de Paris à la Cité de la Musique,
le 15.
► Symphonique :
■ Un héros d'avril a dit : « ce que tu
as à faire, fais-le vite ». C'est
étrange, je vais lui obéir (a dit un autre
héros de séans). Je me contente donc de signaler la Quatrième Symphonie de Bruckner, pas du tout rare, mais
l'association Eliahu
Inbal-Philharmonique de Radio-France
produit toujorus de très grands moments de musique – et
particulièrement concernant Bruckner, j'attends toujours de trouver
l'équivalent de leurs Deuxième et Neuvième, entendues à Pleyel et à la
Philharmonie.
► Chambrismes :
■ Les dimanches à 17h, au club du 38
Riv', si vous aimez la viole de gambe
solo ou avec clavecin, il y aura trois concerts qui parcourront
assez bien ce répertoire. Je ne garantis pas l'excellence, ça dépend
des soirs pour l'Association Caix d'Hervelois qui les organise…
■ LesSept Dernières Paroles
de Haydn pour quatuor, avec
texte déclamé, à l'Amphi de la Cité de la Musique, le 14.
■ Nos chouchous duTrio
Zadig joueront Tchaïkovski
et Chostakovitch n°2 à l'Hôtel
de Soubise le 22.
■ Œuvres et arrangements pour harpe
à l'Hôtel de Soubise le 8 : Villa-Lobos
(études), Fauré (impromptu), Mendelssohn (romances), Bach (fantaisie
Chromatique), Schüker.Par
Pauline Haas. ■Piano original le
midi au Musée d'Orsay le 25 : Mompou, Takemitsu, Granados, Satie, et parce qu'il
faut bien vivre, Chopin, Debussy et Ravel, par Guillaume Coppola.
■ L'Octuor de Mendelssohn, la Seconde Symphonie de chambre de Schönberg
et la Sinfonietta de Poulenc
seront données au CRR de Boulogne-Billancourt et au Centre Événementiel
de Courbevoie les 13 et 14. Gratuit.
■ Extraits des quatuors de Walton (final)
et Bowen (mouvement lent), Phantasy pour hautbois et trio à cordes de
Britten, ses Métamorphoses
pour hautbois solo, Lachrimæ de Dowland, création d'un élève du CNSM…
Salle Cortot, le 1er, à 15h.
■ Menotti pour deux
violoncelles, et puis Bruch (Kol Nidrei), Tchaïkovski et
Schubert (Arpeggione) à
l'Auditorium du Louvre, le 28.
■ À Herblay, les Percussions clavier
de Lyon, le 28.
■ Pour finir, des cours publics du Quatuor Ébènedans les salles les plus intimes du CNSM, une expérience
extraordinaire de se mêler aux étudiants en plein travail, la dernière
fois, nous étions seuls, la partition sur les genoux, en train de
suivre l'évolution du Trio de Chausson. Magique. 10h à 19h les 26 et
27, si vous le pouvez. C'est gratuit.
► Théâtre, ce que j'ai prévu pour ma conso personnelle, rien que du
patrimoine pas très original :
■ Marivaux – L'Épreuve – Théâtre Essaion
■ Marivaux – Le Petit-Maître corrigé – salle Richelieu
■ Kleist – La Cruche cassée – salle Richelieu
■ Odéon – Soudain l'été dernier – Odéon. Fait pour ma part (cf.
commentaire supra).
■ d'après Zweig – La Peur – Théâtre Michel
■ d'après Renoir – La Règle du jeu – salle Richelieu
Dans la salle de l'ancien
Conservatoire, au centre des médaillons des grands dramaturges et
musiciens figurent, sur le même plan, Eschyle et… Orphée.
3. L'avenir de l'agenda de CSS
J'avoue éprouver une relative lassitude dans la confection de ces
programmes. Ils prennent pas mal de temps à élaborer, tandis que
j'aurais plutôt envie de parler de choses plus précisément étayées et
plus généralement musicales, moins liées à l'offre francilienne : des
bouts d'œuvre avec des extraits, des questions de structure musicale ou
de technique vocale, plutôt que d'empiler les commentaires sur des
concerts qui n'ont pas encore eu lieu, avant le premier du mois suivant…
Ces notules ne paraissent par ailleurs pas spécifiquement plus lues que
les autres – je laisse de côté les cas, hors concours, où je parle de
Callas, Carmen, des fuites dans les saisons parisiennes, ou des
quelques occurrences où je suis en tête de Google (opéra contemporain,
conseils aux jeunes chanteurs). Je me sens un peu le responsabilité,
puisque cette base de données existe, de promouvoir les ensembles qui
font l'effort et prennent le risque de proposer un répertoire
renouvelé, mais ce n'est pas un office particulièrement exaltant à
réaliser.
D'où cette question : y trouvez-vous un intérêt ? Vous en
servez-vous ?
Si cette notule reçoit moins d'une centaine d'éloges éloquents dans les
commentaires ci-dessous, je ne suis pas sûr de poursuivre ce format-ci
dans l'avenir. Du temps supplémentaire pour des notules de fond – il y
a La Tempête, musique de
scène de Chausson écrite pour marionnettes, un opéra d'un Prix de Rome
où Georges Thill tenait le rôle d'une grenouille amoureuse, et quelques
autres sujets qui sont, comme vous pouvez vous le figurer, un peu plus
amusants à préparer qu'un relevé fastidieux.
Quoi qu'il en soit,
les bons soirs, vous pourrez toujours effleurer la réverbération de ma
voix cristalline dans les coursives étroites des salles louches cachées
au fond des impasses borgnes.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
Je n'avais pas prévu de parler d'Operalia cette année, mais devant la
qualité extraordinaire de la distribution de la finale diffusée par
Medici.tv, je me suis proposé d'introduire l'exécution de chaque
candidat, avec l'extrait sonore ou vidéo afférent.
Nouveauté, donc : comme les extraits ne seront pas disponibles
éternellement (et nécessitent au minimum une inscription sur
Medici.tv), j'ai moi-même effectué un repiquage de ce que je commente –
qualité médiocre, mais suffisant pour illustrer de quoi l'on parle.
Pour la finale complète et en haute définition, reportez-vous à la
page de Medici encore valide.
Les finalistes. De gauche à droite, en haut puis en bas : Sehoon
Moon, Elsa Dreisig, Keon-Woo Kim, J'nai Bridges, Brenton Ryan, Marina
Costa-Jackson, Elena Stikhina, Nicholas Brownlee, Olga Kulchynska, Ramë
Lahaj, Aviva Fortunata, Bogdan Volkov.
J'avais déjà commenté le concours de 2014 en posant quelques questions et en
mentionnant quelques candidats particulièrement exaltants, et celui de 2015,
en présentant tous les artistes et en récriminant plutôt sur les
tendances vocales privilégiées par les recruteurs – pas les plus
efficaces en salle, à mon avis.
Je redonne quelques précisions sur mes motivations, outre entendre de
belles voix (cette année, dans un répertoire un peu plus plus varié),
et discuter glottologie sur CSS :
Les concours, et en particulier lorsqu'ils sont aussi
emblématiques et influents qu'Operalia (innervant ensuite beaucoup de
premiers rôles dans de grandes maisons), permettent de faire le point
non seulement sur les types de profils vocaux et artistiques les plus
pratiqués, mais aussi et surtout sur ceux qui ont la faveur des
programmateurs. Et, étrangement, ce ne sont pas forcément les
techniques les plus efficaces / sonores / souples qui sont les plus
valorisées. D'où l'intérêt d'observer.
Il convient néanmoins de bien préciser qu'Operalia ne documente que les
voix de type « premier rôle dans un opéra romantique », et
que Verdi est son absolu stylistique, ce qui ne constitue qu'une partie
du répertoire réellement donné dans le monde. Ce concours ne nous
renseigne pas sur les tendances dans le baroque, dans Mozart, dans
l'oratorio, et plus généralement dans les opéras de toutes époques qui
requièrent des formats plus légers que les catégories verdiennes.
2. Jury et règlement
Là encore, l'occasion de citer une notule antérieure :
Operalia est un concours un peu particulier puisqu'il ne
récompense que des artistes qui disposent déjà d'une carrière très
établie. Tous les concours prestigieux sont un peu sujets à ce type de
détournement (rien que les conservatoires, en première année,
recrutent en général des musiciens déjà formés dans les disciplines et
villes les plus demandées !), mais Operalia ne contribue pas au passage
d'un début de carrière discret à des engagements réguliers ou d'un
niveau supérieur : ce concours consacre le passage d'une
véritable carrière vers la staritude, tout de bon.
Et ça fonctionne plutôt bien en général : José Cura, Elizabeth
Futral, Rolando Villazón, Stéphane Degout, Nina Stemme, Hui He, Joseph
Calleja, Erwin Schrott, Sonya Yoncheva, parmi d'autres, sont d'anciens
lauréats. Et beaucoup d'autres font une belle carrière. Il est
difficile de choisir entre la poule et l'œuf : ont-ils été
starisés – ce qui, contrairement à une carrière de haut niveau, n'a
plus de lien de proportionnalité direct avec la qualité – grâce à
l'exposition d'Operalia, ou étaient-ils déjà dans une spirale de
carrière fortement ascendante, que le concours n'a fait que
sanctionner ?
C'est d'autant plus difficile à déterminer que les engagements ont plu,
pour un certain nombre d'entre eux (en tout cas vrai pour Villazón,
Degout, Calleja, Schrott ou Yoncheva), dans les mois qui ont suivi. Et
que presque immédiatement (qu'on sache ou non qu'ils étaient passés par
là), ils étaient à l'affiche des plus grandes maisons et surtout, pas
supplémentaire, sur les couvertures des magazines.
Et concernant Operalia, la proportion de trains qui arrivent à l'heure
est assez considérable (on trouve quasiment pour chaque cession une à
deux très grandes carrières rien que parmi les finalistes).
Rien qu'en regardant les listes des
finalistes récompensés
(ne parlons même pas des finalistes en général, et encore moins des
présélectionnés), je vois successivement: Inva
Mula, Nina Stemme, Kwangchul Youn, Brian Azawa, José Cura, Elizabeth
Futral, Dimitra Theodossiou, Carmen Oprisanu, Ana María Martínez, John
Osborn, Aquiles Machado, Erwin Schrott, Joce DiDonato, Ludovic Tézier,
Orlin Anastassov, Giuseppe Filianoti, Rolando Villazón (amusant de
noter que ces deux-là ont été récompensés l'année où Joseph Calleja n'a
reçu que le prix Culturarte !), Vitalij Kowaljow, Joseph Calleja,
Daniil Shtoda, Hui he, Elena Manistina, Carmen Giannattasio, Stéphane
Degout, Kate Aldrich, Giuseppe Gipali, Jennifer Check, Vitaly Bilyy,
Dmitry Korchak, Mikhaïl Petrenko, Irina Lungu, Joseph Kaiser, Arturo
Chacón Cruz, Ailyn Pérez, Sébastien Guèze, Olga Peretyatko, David
Bižić, Dmytro Popov, Rachele Gilmore, Carine Séchaye, Julia Novikova,
Sonya Yoncheva, Rosa Feola, Pretty Yende, René Barbera, Guanqun Yu,
Roman Burdenko, Aida Garifullina, Julie Fuchs, Simone Piazzola, Joshua
Guerrero, Anaïs Constans, et donc Elsa Dreisig…
Ça fait beaucoup sur moins de 10 noms par an sur 24 ans – et je suppose
que ceux dont je n'entends pas parler se « contentent » d'une carrière
plus locale (beaucoup d'états-uniens, ukrainiens et russes, qui peuvent
faire de grandes carrières dans leur aire d'influence sans qu'on en
entende parler en Europe), leur planning Operabase et leurs traces sur
YouTube sont en général très respectables quant au niveau de notoriété
qu'ils révèlent.
En qualité aussi, c'est impressionnant (beaucoup sont célèbres, ou font
autorité dans leur domaine, ou ont enregistré des disques, ou sont,
simplement, excellents… on voit un peu défiler ceux qui font la une des
magazines, ou ceux qui ont compté artistiquement dans le grand
répertoire ces dernières années) ; le coup de pouce donné par le
concours
semble assez décisif pour faire entendre des talents en eux-mêmes assez
irrésistibles, n'attendant que l'exposition nécessaire pour être portés
aux nues.
Il faut dire que le jury d'Operalia est tourné vers
l'efficacité plus que vers l'évaluation artistique (mieux vaut se
tourner vers les diplômes d'institutions ou les concours spécialisés
pour cela) : on y rencontre essentiellement des
directeurs de théâtre ou des chefs du recrutement, plus un
journaliste… et Mme Domingo, chargée je suppose d'incarner
officiellement le bon goût du parrain.
Considérant que les directeurs de théâtre n'ont pas forcément la main
sur les distributions (dire qu'on veut tel ou tel grand nom pour le
rôle-titre, certes, mais les détails sont souvent confiés à un adjoint
spécialisé – ou, dans certains cas, au chef d'orchestre), la
composition du jury révèle sans ambiguïté l'intention non pas d'établir
des certificats de vertu, mais d'assurer un réseau très avantageux pour
les gens primés ou même simplement appréciés par les uns ou les autres.
Cette année ne déroge pas à la règle :
♠ Marta
Domingo, metteur en scène
♠ F. Paul Driscoll, Editor in
Chief d'Opera News (je ne
traduis pas, je ne suis plus sûr du sens exact, directeur de la
publication ou rédacteur en chef…)
♠ Anthony Freud, Directeur de
l'Opéra de Chicago
♠ Jonathan Friend,
Administrateur artistique du Met
♠ Jean-Louis Grinda, Directeur
de l'Opéra de Monte-Carlo et des Chorégies d'Orange
♠ Peter Katona, Directeur du
recrutement artistique à Covent Garden
♠ Joan Matabosch, Directeur
artistique au Teatro Real de Madrid
♠ Marco Parisotto, Directeur
musical du Philharmonique de Jalisco (Mexique) et du Philharmonique
d'Ontario
♠ Andrés Rodríguez, Consultant
artistique
♠ Ilias Tzempetonidis,
Directeur du recrutement artistique à l'Opéra de Paris
Et, si le règlement n'a pas changé :
Les épreuves manifestent le même principe d'aller à
l'essentiel : autant le choix de deux airs (sur
quatre proposés) avec piano en quart de finale
s'explique, autant un seul air avec piano en
demi-finale et à nouveau un seul avec
orchestre en finale (court pour faire une émission
diffusable ?), c'est excessivement peu pour juger.
Je n'ai aucun élément sur le sujet, mais je me demande en conséquence quel
est le poids du CV dans les discussions : préparer un air
pendant deux ans et le chanter très bien ne réclame pas du tout les
mêmes compétences qu'étudier en quelques semaines et chanter un opéra
en entier sur scène, avec toutes les contraintes de solfège,
d'expression et d'endurance afférentes. Si l'on voulait réellement être
efficace, on devrait donner un opéra (dont il n'existe aucun
enregistrement, pas de tricherie !) à étudier en deux à quatre mois, et
les évaluer, en plus des airs, sur des extraits de récitatifs et
d'ensembles, un peu comme pour les traits d'orchestre
réclamés aux instrumentistes. Manière qu'on puisse les juger sur autre
chose que sur un air bien léché.
C'est pourquoi, avec si peu de matière, on peut présumer que les juges
se fondent sur un peu de littérature extérieure pour évualuer leurs
futurs protégés.
Autre caractéristique du concours, plus attirante, le déroulement en
parallèle d'un concours de zarzuela, qui met en
valeur ce répertoire très peu pratiqué (marginal sur les grandes scènes
même en Espagne, un peu comme le Grand Opéra en France – et de plus en
plus l'opérette).
3.
Les finalistes de 2016
Petit parcours (exhaustif) parmi le bouquet de cette année.
[[]]
¶ Le kosovar Ramë Lahaj (ténor
grand lyrique) dans la scène
finale de Lucia di
Lammermoor de Donizetti.
Très enflammé, le timbre et la technique évoquent beaucoup les
meilleurs aspects de Domingo : la gaine métallique (ce doit être
robuste et solide en salle), la petite nasalité qui conserve
l'antériorité du son, mais avec la patine de mâles résonances plus
arrières (quelques sons droits évoquent agréablement le jeune Villazón
d'avant les mauvaises heures).
Surtout, l'artiste est complètement survolté (une note surélevée, plus
typée « vériste », lui aura peut-être valu des inimitiés parmi le
jury), dans une scène où la tradition est celle de la déploration : un
Edgardo rempli de ressentiment plus que de remords, très
impressionnant. Dans la pléthore de version, il est facile de
l'entendre encore mieux chanté, mais rarement aussi habité.
[Au passage, le prénom a été privé de son diacritique dans la
littérature et les projections du concours, ce qui, sauf volonté de sa
part, me paraît un brin désinvolte.]
[[]]
¶ L'ukrainienne Olga Kulchynska (soprano lyrique léger) dans la
valse de Juliette de Gounod.
Superbe matériau, beaucoup de grâce et d'intensité dans le médium pour
ce type de voix aiguë. L'effet est assez similaire à l'Olga Peretyatko
des débuts (mais en plus capiteux et acéré, ce qui laisse présager un
effet moins préjudiciable de l'élargissement des rôles). Le choix de
l'air me surprend un peu, puisque l'agilité fait à plusieurs reprises
blanchir le timbre… moi je m'en moque, l'agilité ça sert à rien pour
dire le texte, mais dans un concours international, à mon avis, ce fait
une différence lorsqu'on expose ainsi ses limites. Surtout dans cette
tessiture (la plus commune et où la concurrence d'agilité est le plus
féroce).
[[]]
Il semble que la vidéo, pour une raison inconnue, ne s'active
pas. En voici la version sonore si vous rencontrez la même difficulté :
[[]]
¶ Le russe Bogdan Volkov
(ténor lyrique) dans le poème
d'adieu de Lenski (Onéguine de Tchaïkovski).
Voix parfaitement équilibrée, mixte
sur toute la tessiture, à peine un petit durcissement dans l'aigu
(moins mixé), dans la plus grande tradition russe, qui s'étend de
Kozlovsky à Dunaev. Le texte est articulé avec une précision et une
puissance d'évocation tout à fait hors du commun, chaque mot tombe,
selon le vœu des frères Tchaïkovski, avec une résignation poignante –
dans l'Onéguinede Pouchkine,
le poème, repris ici mot pour mot, est parodique, le legs d'un jeune
homme au style emprunté et désordonné. La transfiguration du burlesque
en sommet de représentation de la déréliction est accomplie, de façon
bouleversante, ici – ce qui est particulièrement rare avec un seul air
détaché, dans un concours.
Il faut dire que Bogdan Volkov n'est pas un perdreau de l'année, il
chantait récemment Lenski au Bolshoï (où il a intégré la troupe) dans
la mise en scène de Tcherniakov (sa meilleure réalisation, d'ailleurs,
assez juste et fascinante) qui a tourné en Europe (avec Andrej Dunaev
notamment – l'un des plus grands ténors en activité, à mon sens). Cette
compétition lui ouvre sans doute des portes internationales plus
facilement, mais ce n'est pas un jeunot à peine sorti du conservatoire
qui crèvera de faim s'il n'est pas remarqué, son avenir semble déjà
bien assuré.
[Au passage, fait étrange, Volkov est né en Ukraine, et était jusqu'ici
mentionné comme ukrainien dans les biographies, mais le concours le
mentionne comme russe. Vu sa carrière moscovite, il est peut-être tout
simplement naturalisé. Mais par les temps qui courent, afficher
officiellement cette nationalité plutôt que l'autre, quelle
responsabilité écrasante aux yeux du monde ! Enfin, des
rares habitants du monde qui s'amusent à prendre Operalia comme sujet
de lecture…]
[[]]
¶ La russe Elena Stikhina
(soprano lyrico-dramatique) dans le premier air (cantilène et
cabalette) de Leonora du Trovatore de Verdi.
C'est un type rare, surtout aussi jeune, et ici d'une maîtrise
complète, dans un air réputé parmi les plus difficiles du répertoire :
longueur de souffle et legato
de la cantilène, agilité des notes piquées de la cabalette. Avec une
technique marquée par son école d'origine (la Russie, toujours un peu à
part, reste le seul pôle aussi typé dans le monde), mais le fondu et la
résonance pharyngée n'empêchent pas une très belle concentration du son
à l'avant. Ce n'est pas un placement italien pour deux sous, mais la
plus-value du galbe et du fondu (agilité parfaite !) sont très
appréciables.
Le timbre, sans être tout à fait sublime, ne marque aucune irrégularité
sur toute la tessiture, ce qui est particulièrement rare et difficile
dans ce rôle – a fortiori
pour de jeunes chanteuses. Futur dramatique de haute volée.
On mesure mieux l'impact de la voix dans un théâtre à l'italienne vide,
avec piano, où se déroulait la première partie du concours :
[[]]
[[]]
¶ L'états-unien Nicholas Brownlee
(baryton-basse) dans la grande scène d'Aleko de Rachmaninov.
Il est toujours très difficile de juger d'une voix grave en
retransmission, parce que le halo
propre à ces voix est souvent trompeur (celles qui paraissent sèches
peuvent être très résonantes, et celles qui paraissent résonantes
peuvent se révéler étroite et peu projetées…). Ce que j'entends en
retransmission, donc, avec toutes les limites de l'exercice, révèle un
très bon chanteur, mais qui ne se met pas forcément en valeur avec un
air qui requiert le fondu d'une voix slave (sa diction du russe est
d'ailleurs fort peu moelleuse) et la résonance d'une voix plus mûre
(voire plus sombre).
C'est néanmoins superbement chanté et bien incarné (en plus d'être un
beau choix), avec un aspect plus franc, moins surligné que les
habituels russophones, rafrîchissant – il n'y a donc rien à
redire si ce n'est qu'à ce niveau de sélectivité, il se mettait
peut-être en danger. Mais peu importe, de toute façon les voix graves
ne gagnent jamais à Operalia.
[[]]
¶ L'états-unienne J'nai Bridges (mezzo-soprano
grand lyrique) dans les
stances de Sapho qui achèvent l'opéra de Gounod.
Le français n'est pas très bon, évidemment. Tout concourt à
l'impression d'une recherche consciente du modèle Bumbry (voire
Verrett), au prix de sons émis de façon un peu hétéroclite (peut-être
justement la conséquence d'une maîtrise trop mince du système français,
avec ses très nombreuses voyelles). Les sons purs sont très beaux, mais
le vibrato
paraît un peu forcé, et très prononcé, ce qui n'est pas rassurant à ce
stade de la carrière – les exigences des grandes salles, du chant soir
après soir, indépendamment du confort et de la fatigue de l'instrument,
tendent toujours à dérégler les voix, si bien que la plupart des
chanteurs sont très nettement meilleurs juste avant le moment où ils
deviennent célèbres… Dans les répertoires les plus éprouvants
(Wagner-Strauss en particulier, mais c'est parfois valable pour Verdi),
une voix peut perdre les qualités qui la rendaient supérieure à toutes
les autres en l'espace de deux ans.
En l'état, la voix est capiteuse et belle, et ses Stances ne manquent
pas de panache malgré l'état du français, mais il y a fort à redouter
que l'aspect Uria-Monzon ne prenne vite le pas sur l'aspect Verrett…
L'aigu final fait sentir encore plus nettement la fragilité de ce type
d'émission assez en arrière, fondée sur la liberté de la gorge plus que
sur la résonance antérieure du son : le moindre obstacle peut obstruer
l'émission saine. Le conseil serait d'aller très doucement dans
l'adoption de rôles amples.
[[]]
¶ Le coréen Sehoon Moon (ténor
lyrique) dans la cantilène
(sans la cabalette) du duc de Mantoue en ouverture de l'acte II de Rigoletto de Verdi.
Voix surprenante pour un coréen : il reste très peu de la gutturalité
naturelle liée à sa langue, et cela ne fait que colorer agréablement
une émission par ailleurs efficacement métallique et franche sans être
aigrelette, pour un résultat qui reste proche du lyrique léger, mais
avec une chaleur supplémentaire, jamais d'étroitesse. Maîtrise complète
d'une voix qui pourrait paraître limitée naturellement, mais à laquelle
il procure une aisance, une couleur et une régularité sur tout le
spectre, remarquables.
Bel instinct musical également : le détail du texte, comme souvent,
n'est pas exalté, mais le sentiment général, en particulier celui qui
accompagne le flux musical, est très soigné et prégnant.
[[]]
¶ La canadienne Aviva Fortunata (soprano
grand lyrique) dans l'air
d'Elsa à l'acte I de Lohengrin
de Wagner.
Technique robuste (typiquement américaine : tout le son se façonne au
même endroit, ce qui produit une stabilité d'émission parfaite et un
très joli fondu ambré), mais dans un air qui ne recèle pas de
difficulté technique particulière, je ne suis pas frappé par la
personnalité du timbre ou de l'expression : toutes les voyelles se
ressemblent, le phrasé se déroule comme un fil, imperturbable, mais le
verbe ou le drame ne sont guère saillants.
Avec l'image, c'est différent : visage très intense où se lisent avec
vigueur les émotions successives de l'air, et là, l'émotion passe –
mais pas sûr que ça passe la rampe dans les grandes salles. Je serais
davantage intéressé d'éprouver sa résistance dans les grandes formats
wagnéro-straussiens, pour voir si cette maîtrise lui permet, justement,
une musicalité, voire une expression, supérieures.
[[]]
¶ Le coréen Keon-Woo Kim (ténor lyrique) dans la grande scène d'Arnold (« Asile
héréditaire ») du Guillaume Tell
de Rossini.
La voix, très atypique pour l'Extrême-Orient, nasale, assez blanche,
fondue et très chargée en harmoniques dans l'aigu, semble être fondée
sur le modèle de Marcello Giordani (ou du Kunde de fin de carrière),
illustre défenseur de ce répertoire du grand opéra à la française, où
il faut à la fois robustesse et extension aiguë, tout en conservant
souplesse et style.
Incontestablement, Keon-Woo Kim a tout cela, tessiture facile dans
toutes les configurations, sur le passage, dans les aigus… sa maîtrise
de cet air réputé quasiment inchantable lui a sans doute valu le
concours par rapport aux autres artistes que je trouve plus séduisants,
mais qui n'ont pas forcément démontré ce degré de virtuosité. Car
personnellement, je trouve tout de même que c'est l'un des profils les
moins intéressants du concours, le timbre n'est pas très jolie, la voix
très égale mais l'expression pas très détaillée – il n'empêche qu'une
voix comme cela, on va se l'arracher dans ce répertoire, pour sûr.
[Quel désavantage de s'appeler Kim tout de même… on ne compte plus les
grands ténors coréens (ou d'origine – mon chouchou, c'est Daniel Kim,
un liedersänger allemand) avec ce patronyme… Rien que pour Operalia, on
compte 4 vainqueurs nommés
ainsi, dont 3 ténors après 2000…
Enfin, c'est ça ou Lee, ça permet toujours de ne pas être confondu avec
des chinois par-dessus le marché. Et les translittérations
imprononçables (et très loin du son d'origine) n'aident vraiment pas le
public à stariser ces chanteurs (qui sont, pour la plupart, de toute
façon un peu en retrait du fait de la langue, mais les très grands
subissent aussi ce défaut de notoriété !).]
[[]]
¶ L'italo-américaine Marina
Costa-Jackson (soprano grand lyrique) dans l'arioso (en réalité un air) de
l'acte III de la Dame de Pique de Tchaïkovski.
La voix sonne très mûre pour son âge, avec un vibrato très audible, le
russe ne ressemble à rien (ni intelligible, ni correctement articulé),
et dans les récitatifs dramatiques, la voix blanchit complètement – les
aigus ressemblent à Scotto en fin de carrière ou à (ou aux suraigus de
Callas), avec un vibrato à très large amplitude de ton comme de battement. En revanche,
le cantabile
central est superbement tenu, mais sans texte, c'est un peu mince. Il
faudrait sans doute qu'elle veille à ne pas trop pousser sa voix dans
des éclats qui lui font plutôt prendre de mauvaises postures. Ça reste
très agréable à entendre, mais le contraste est vif avec le niveau de
la concurrence de cette année.
(En revanche, en zarzuela, les défauts s'exaltent avec un mauvais goût
assez redoutable…)
[[]]
¶ L'états-unien Brenton Ryan (ténor lyrique)dans l'air du Ver (et son
refrain « Long live the Worm ! ») chanté par le vilain irlandais
Bégearss dans The Ghosts of
Versailles de
Corigliano (d'après la Mère
coupable de Beaumarchais).
L'arrangement m'en a un peu étonné : outre la disparition des sons
électroniques (bienvenue à mon gré, ils brouillaient des choses
joliment écrites à l'orchestre), j'ai l'impression d'une partition
simplifiée, clairement tonale, là où l'original est plus brouillé. Et
il me semble que ça excède le simple effet de la très belle exécution
lyrique de Domingo – peut-être une version révisée de l'œuvre dont je
n'ai pas entendu parler ? Ou alors une simplification pour les
besoins du concours, avec la suppression de parties qui auraient
réclamé plus de musiciens (et décontenancé le public) ?
Je dois avouer que j'aime davantage cette version épurée et très
lisible.
Brenton Ryan à présent. Technique typiquement américaine, mais très
retenue à l'intérieur du corps, ce qui impose une forme de strain
(tension négative) à l'instrument au lieu de libérer le son de façon
plus sonore et détendue – suivant comment on l'écoute, on peut être
séduit par la tension ou gêné par cet aspect constamment poussé.
Au demeurant, belle maîtrise, avec une rondeur typique de ces formats
semi-légers, calibrés pour l'oratorio (il serait très beau dans le Messie
ou dans une bonne partie du répertoire contemporain), le voilà qui
affronte crânement les écarts, les tensions et les effets de cet air
jamais donné lors de concours. Sans parler de la présence scénique assez magnétique (et de la voix jeune pour un rôle souvent distribué à des ténors de caractère, pas toujours en forme).
[[]]
¶ La française Elsa Dreisig
(soprano lyrique léger) dans l'air
du poison de Juliette chez Gounod.
J'ai relayé depuis plusieurs années (1,2,3)
mon admiration pour la liedersängerin
hors du commun (et ce, dans pas mal de langues !), mais je dois avouer
que je ne suis pas ébloui, en bonne logique d'ailleurs, par son travail
à l'opéra (c'était déjà le cas pour les concours de Clermont-Ferrand,
Neue Stimmen, ou les Victoires de la Musique). On entend en permanence
que le timbre force un peu : la
franchise qui la caractérise dans les tessitures centrales de la
mélodie se dilue dans une couverture un peu globale, et une définition
des notes que je trouve désagréablement floue. La diction aussi devient
assez lâche, quand elle est peut-être l'interprète la plus expressive
que j'aie entendue en disposition chant-piano ! Même son
abattage, irrésistible en petit format, devient très banal (voire
inexistant) dans ces rôles dramatiques.
[Pour situer, voici ce qu'une jeune lauréate – Clémence Barrabé, issue du Concours de Marseille – produisait dans
le même air
; la focalisation du son, la qualité de la diction, et même l'autorité
générale n'ont rien de comparable. Je ne mets plus la main sur la
version avec orchestre, mais ça passait parfaitement.]
Bref, je veux bien donner un prix à Elsa Dreisig, et même celui de plus
grande chanteuse de tous les temps si elle veut, elle le mérite ; mais
pas pour chanter des rôles de sopranos lyriques en volapük avec des
aigus savonnés. Voyez plutôt un échantillon de son savoir-faire
chambriste (bandes de 2013 et 2015) :
[[]]
« Green » des Ariettes
oubliées de Debussy. Diction franche, timbre limpide.
[[]]
« Im Frühling » des Vier
Letzte Lieder de Richard Strauss. Les effets de timbre, les
reflets moirés se succèdent, la dynamique est souverainement
expressive… très différent des voix larges qu'on y entend d'ordinaire.
Et comme ça palpite !
[[]]
Dans des lieder, dont certains largement dévolus aux hommes :
♦ la « Frühlingsnacht » finale du
Liederkreis Op.39 (Schumann)
qui s'épanche en fraîcheurs généreuses ;
♦ Hexenlied de Mendelssohn avec
beaucoup de facétie (et d'abattage, avec le visuel, c'était renversant)
;
♦ Im Frühling de Schubert ;
♦ « Frühlingstraum » du Winterreise de Schubert, d'une
présence extraordinaire (les versions féminines étant, pour des raisons
de texte comme d'écriture, souvent plus contemplatives, poussées vers
les marges…), et d'une conduction du son exemplaire.
[[]]
Cabaret et jazz où la voix devient droite, où l'expression
s'encanaille… une sorte de belting glorieux,
une façon de chanter le cabaret dans un style parfait mais avec une
voix qui remplit l'espace… Entre la métamorphose vocale et le jeu
scénique – qui la quitte totalement pour l'opéra ou les concours,
manifestement –, absolument irrésistible en vrai.
Je trouve qu'on entend très bien dans ces extraits (en plus de son
talent fou) ce qui fait son attrait spécifique : une façon de mixer la voix de tête, standard chez les femmes
dans le répertoire lyrique avec la voix de poitrine (plus
caractéristique des répertoires populaires, même s'il existe une
infinie variété de postures vocales en la matière). C'est ce que font
certaines mezzos aux timbres riches et capiteux (Brigitte Fassbaender,
Doris Soffel), ce qui leur procure une résonance beaucoup plus complète
et sonore.
Ce permet à Elsa Dreisig de disposer d'une meilleure assise pour dire
le texte, pour projeter sa voix de lyrique léger dans les partitions
très centrales du lied et de la mélodie.
Cela explique aussi pourquoi ces qualités (liées à des résonances d'un
registre du bas de la tessiture) ne peuvent pas se reporter,
mécaniquement, dans la partie supérieure de la voix, où son répertoire
lyrique naturel l'amène, et où elle ne peut donc pas tirer profit de sa
singularité. Au contraire, même, elle manque de la franchise des
attaques et de la clarté des sopranes qui se bâtissent « par le haut »
– on l'entend très bien chez Clémence Barrabé (ou Mady Mesplé, ou
Ghyslaine Raphanel…), la voix reste toujours étroite, très focalisée,
avec des résonances aiguës, même dans le grave (ce qui leur permet
d'être tout aussi intelligibles en bas et de monter avec les mêmes
qualités).
Je crains donc que cette limite ne soit pas liée à l'émotion des
concours, ni même au répertoire – sauf à ne chanter que de la musique
de chambre ou des tessitures de mezzo (elle a déjà donné la Séguédille
de Carmen en public, très convaincante…), mais on ne la laissera jamais
faire une carrière de la sorte, surtout pas à ce niveau, le système
fonctionne avec des cases relativement étanches, et on ne laisse pas
les sopranos légers chanter des rôles centraux (même s'ils y excellent
souvent, si la voix est bien placée ce n'est vraiment pas un obstacle
!).
Non, il semble que la limite vienne de la nature de la technique
elle-même, avec des appuis bas qui sont parfaits pour les tessitures
proches de la voix parlée ou les pièces légères, mais peu adaptées pour
les grands aigus et l'expression dramatique plus large de l'opéra.
À suivre (et puisse-t-elle me démentir).
[[]]
¶ Dans le concours de Zarzuela, on trouve aussi un artiste qui n'a pas
été retenu pour la finale, le mexicain Juan
Carlos Heredia
(baryton grand lyrique) qui délivre une interprétation d'une chaleur
incroyable, dans un fondu de velours soutenu par un petit vibrato
rapide très élégant. Peut-être que ce fondu limite sa puissance, mais
cette égalité de timbre, cette aisance et cette générosité sont
suffisamment marquants pour qu'on s'interroge sur son absence lors de
la finale.
4.
Palmarès
Le prix est donné sous forme de podium bipartite, l'un féminin, l'autre
masculin. Sur le même principe s'ajoutent un prix de zarzuela, un prix
Birgit Nilsson pour récompenser le répertoire wagnéro-straussien, un
prix du public (une Rolex) et un prix Culturarte (je ne me suis pas
renseigné sur ce que c'était).
DAMES
♦ Premier prix : Elsa Dreisig
(Juliette)
♦ Deuxième prix : Marina Costa-Jackson
(Lisa)
♦ Troisième prix : Olga Kulchynska
(Juliette)
♦ Prix du public : Elena Stikhina
(Leonora)
♦ Prix de zarzuela : Maria
Costa-Jackson
♦ Prix Birgit Nilsson : néant
♦ Prix Culturarte : Elena Stikhina
(Leonora)
MESSIEURS
♦ Premier prix : Keon-Woo Kim (Arnold)
♦ Deuxième prix : Bogdan Volkov (Lenski)
♦ Troisième prix : Ramë Lahaj
(Edgardo)
♦ Prix du public : Keon-Woo Kim (Arnold)
♦ Prix de zarzuela : Juan Carlos
Heredia & Nicholas Brownlee
♦ Prix Birgit Nilsson : Brenton Ryan
Si on m'avait jamais demandé mon avis, j'aurais sans doute été tenté
d'intercéder en faveur de Ramë Lahaj
(la personnalité vocale et le tempérament à la fois !), Bogdan Volkov (mais comment se
tire-t-il des autres répertoires ?), mais aussi de Juan Carlos Heredia, éliminé en
demi-finale(ce fondu, cette
chaleur !), Schoon Moon (très
intéressant élargissement chromatique d'une voix lyrique qui aurait dû
être un peu étroite).
Par ailleurs, je serais très curieux de suivre l'évolution d'Elena Stikhina, Olga Kulchynska, Nicholas Brownlee et Aviva Fortunata, dont le potentiel
paraît encore vaste.
[Au passage, je suis étonné que Benjamin
Bernheim, présent en demi-finale, n'ait pas été retenu au bout
du chemin : s'il y a bien un ténor irrésistible en ce moment, capable de toutes les
configurations vocales à la fois…]
Keon-Woo Kim fera sans
doute de très bonnes choses, on a besoin de ténors de ce format ;
simplement, il ne m'a pas séduit intimement comme les autres. Brenton Ryan
est très bien aussi, avec un abattage qui lui servira grandement sur
scène. En matière d'interprétation, c'était même le grand vainqueur, livrant une version de référence pour son air. Non, les seuls sur lesquels j'aie des réserves sont J'nai
Bridges (un peu fragile techniquement pour un concours de ce niveau),
Elsa Dreisig (qui m'a paru très commune dans ce type d'emploi) et
surtout Marina Costa-Jackson
(trop instable, trop mal prononcée, sonnant comme si la voix déclinait
déjà… inégal dans Tchaïkovski et redoutable en zarzuela).
Côté zarzuela,
c'est comme chaque année un peu le musée des horreurs (qui n'épargne
pas les hispanisants généralement, témoin Maria
Teresa Alberola Banuls en 2005) ; Schoon Moon s'en
sort bien en imitant le timbre de Domingo (et en trouvant donc des
sonorités qui, quelque part, ont un lien secret avec l'espagnol), mais
c'est Juan Carlos Heredia qui
s'empare comme il sied du style, et le seul à y mettre à la fois la
science esthétique et l'enthousiasme. Les autres paraissent un peu à la
rue en comparaison – et, de fait, ça ne ressemble pas à grand'chose, en
particulier Maria Costa-Jackson d'ailleurs, sauf à récompenser un prix
de rôle de caractère déclinant et grimaçant…
Il faut bien sûr entendre les voix en vrai pour pouvoir confronter son
opinion, et avoir le recul du directeur de théâtre (ce n'est pas une
remise de prix distribuée par des chanteurs, des professeurs, des chefs
ou des agents, c'est vraiment un parterre de décideurs, d'employeurs)
pour pouvoir débattre de l'attribution, mais l'écart est étonnant,
considérant le niveau exceptionnel de la finale – et le fait que les
seuls qui me paraissent plus fragiles soient davantage primés !
5. Autres
éléments
Cette année, j'ai retrouvé les qualités de chef de Domingo,
pas approximatif comme en 2014, et dispensant au contraire un élan
lyrique remarquable à chaque pièce – cette sensation de poussée
permanente est vraiment le point fort de ses bonnes soirées à la
baguette, ce qui m'impressionne toujours pour un (semi-)dilettante.
Fischer-Dieskau n'a pas eu les mêmes succès, n'est-ce pas.
Et pourtant, ce n'était pas
l'orchestre de l'Opéra de Los Ángeles, cette fois-ci, mais le
Philharmonique de Jalisco…
Comme toujours, c'est le triomphe des voix aiguës
: avec si peu d'airs, les capacités techniques sont mises en évidence
plus aisément sur les voix des frontières… Pourtant, si les ténors
vaillants sont rares, les basses charismatiques sont rarissimes, mais
ce type de concours met moins en valeur ce qui fait leur qualité – la
présence vocale instantanée, l'autorité d'un récitatif, d'une empreinte
sonore, plus que l'agilité technique de suraigus ou de coloratures.
Rien que dans leur représentation
sur scène : où sont les mezzos ? les véritables basses ?
même pas de baryton lyrique finaliste cette année, espèce pourtant
particulièrement courante où grouillent les profils de valeur.
Les morceaux
présentés
sont toujours les mêmes : la compétition ne s'occupant pas du
répertoire avant 1800 (Mozart étant probablement toléré) ni de celui
qui s'émancipe complètement de la forme à numéros (il faut bien tirer
un air) ou de la tonalité, on retrouve non seulement les mêmes styles,
mais aussi les mêmes compositeurs et les mêmes extraits. Toujours les
quelques mêmes Donizetti, Verdi pas trop lourds (idem pour Wagner,
c'est Elisabeth ou Elsa) et Gounod. Certains jouent la cantilène et la
cabalette, d'autres seulement la cantilène, une question de durée, je
suppose (mais pour l'air du duc de Mantoue à l'acte II, il y aurait eu
le temps…).
Mais le concours de zarzuela afférent,
bien que dispensant aussi les airs-rois du répertoire (et par des
non-spécialistes souvent assez paumés dans la langue et le style,
surtout désireux d'accrocher la retransmission de la finale même s'ils
échouent au concours principal…), permet d'entendre des choses
inhabituelles pour le public international.
Cette année, pas mal de surprises
néanmoins : la scène d'Arnold, l'entrée d'Elsa, l'air du poison,
l'arioso de Lisa, la cavatine d'Aleko sont peu donnés en concours. The Ghosts of Versailles
n'est jamais donné en séparé, et pas si souvent sur scène, même s'il
s'agit d'un des opéras contemporains les plus populaires (ce qui veut
dire qu'on ne l'entend vraiment pas souvent quand même…).
En tout cas, cette fois-ci, il y a tout
lieu d'étaler son admiration, et pas seulement sur quelques-uns, que de
très grands chanteurs – et contrairement à d'autres années, je ne les
ai pas vus sur mes radars (souvent, ils ont déjà participé à beaucoup
de finales de concours auparavant, et disposent déjà d'une solide
carrière solo, au moins sur leur territoire. Profitons-en pour nous en
réjouir ouvertement !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Glottologie a suscité :
Poignée de précisions (peut-être) utiles autour de la manifestation.
¶ Contrairement aux habitudes, où les Révélations sont en général de
jeunes chanteurs très confirmés, s'étant déjà produits sur toutes les
plus grandes scènes, cette année, nous avions de véritables
« débutants », au sens où les chanteurs nommés venaient bel
et bien de terminer leurs études.
Pour tous ceux intéressés par Elsa Dreisig (suivie
depuis 2014 par nos soins), quelques étapes dans son parcours, comme liedersängerin
ou dans les concours
(Neue Stimmen, Clermont-Ferrand, Victoires de la Musique…), suivez le
guide sur CSS.
Les franciliens pourront l'entendre sur scène dans un rôle majeur avec
Pamina de la Flûte enchantée, la saison prochaine.
Totalement fulgurante dans le lied et la mélodie (qualités
linguistiques, naturel d'émission, brillant, variété des postures
vocales, abattage exceptionnel), je me demande ce que peut faire d'elle
une carrière lyrique, où elle n'aura accès, considérant sa voix, qu'à
des rôles très légers, pas forcément intéressants dramatiquement –
surtout considérant que le vaste répertoire français pour lyrique léger
n'est que très peu exploré, hors très petites scènes (mais elle aspire
évidemment à davantage). Les extraits d'opéras entendus jusqu'ici me
font craindre le risque d'essayer d'élargir le son en poussant, et donc
d'aigrir l'instrument, de lui faire perdre son superbe squillo (éclat, résonances aiguës
trompettantes). Ne nous l'abîmez pas, de grâce.
J'avais entendu quelques échos sur son caractère un peu extraverti /
fantasque, mais je puis tout de suite vous rassurer : moi non plus, je
n'ai rien compris à son discours. J'ai lu çà et là qu'elle faisait
courir un risque à sa carrière, mais pour cela, encore faudrait-il que
le message soit passé. On peut supposer qu'elle répondait par là à des
remarques faites par des professeurs ou des jurys, qui ne concernaient
qu'elle et n'avaient donc pas grand sens dans un discours public,
toutefois, comme on n'est pas embauché sur sa capacité discursive… Par
ailleurs, les carrières de Kathleen Battle, Angela Gheorghiu ou Sonya
Yoncheva, sur lesquelles courent nombre d'anecdotes révélant un
comportement pas toujours gracieux, sont là pour prouver que, passé un
certain degré de compétence, le caractère n'est pas décisif pour une
belle carrière – je n'ai pas l'impression que ce soit le même type de
profil, de toute façon (elle me paraît plus extravertie que
capricieuse).
¶ On se plaint toujours du programme convenu, mais cette fois, le long
air de Balkis dans La Reine de Sabade Gounod
constituait un petit événement. Je ne suis pas sûr qu'il ait servi la
cause, cela dit, avec Karine Deshayes plus opaque qu'à son habitude, un
air un peu solennel hors contexte, et chanté de façon assez peu
intelligible… plutôt de quoi faire tordre le nez à ceux qui sont gênés
par les Carméén jeu t'émeuh.
L'œuvre mérite vraiment l'écoute, ne vous arrêtez pas là.
Je me dis qu'un extrait des cantates romantiques qu'elle a superbement
enregistrées, beaucoup plus vifs et accessibles, auraient mieux flatté
tout le monde, la musique française, la chanteuse et le public.
Néanmoins, effort apprécié.
¶ Pour le reste, toujours assez amusé par l'acharnement à mettre la musique contemporaine à l'honneur
tout en l'occultant le plus possible. Hommage à Boulez sans en faire
entendre une note. Faire jouer le vainqueur l'année suite, quel
non-sens ! On pourrait tout à fait, pour ne pas les faire
travailler inutilement, révéler le vainqueur à l'orchestre en amont, de
façon à pouvoir jouer le vainqueur l'année de sa Victoire. Vous me
direz, comme ce sont toujours les quatre mêmes (Tanguy, Escaich,
Hersant, Connesson… et puis ?) qui sont nommés, ce n'est pas comme si
on allait de révélation en révélation.
Comment nommer le « compositeur de l'année » de toute façon, quel sens
cela peut-il avoir, quel critière à part « c'est mon copain » ou « il
enregistre chez Naïve » ?
Au demeurant, contrairement à beaucoup de camarades mélomanes, cette
émission me met toujours de bonne humeur : c'est bancal, et justement,
il y a un côté touchant, qui évoque l'époque où avoir de la musique
filmée relevait de l'événement, si bien que ces Victoires
représentaient une respiration incroyable pendant l'année musicale.
Imparfait, mais cela reste de la bonne musique par de bons interprètes,
mélangés dans une pochette surprise, difficile de ne pas prendre un peu
de plaisir à survoler la soirée.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Carnet d'écoutes a suscité :
Tout a (déjà) été dit sur la nouvelle saison de l'Opéra de Paris, avant
même la présentation officielle, du fait de l'ouverture antérieure des
abonnements (personne n'a encore déchiffré pourquoi : affoler le public
pour faciliter les impulsions d'achat ?).
Aussi je me contenterai de quelques questions et conseils éventuels.
Guido RENI, L'Ouverture des Réservations à l'Académie Royale de Musique. Vers 1625. Palazzo Doria Pamphilj, Rome.
¶ Toujours le même problème de confiscation
de la fréquentation. Les franciliens, les riches, les fans.
Considérant que les places les moins chères sont prises par
abonnement avant même l'ouverture des réservations individuelles, les provinciaux, qui contribuent
pourtant au financement de la maison par l'impôt, sont obligés de payer
très cher ou de renoncer, ce qui est injuste et largement secondé par
la politique d'ouverture des réservations.
Les tarifs continuent, année après année, d'augmenter.
Il existait, il y a dix ans, un contingent de places à 10€ de
face, à Bastille, qui correspond à peu près à celui à 35€ aujourd'hui ;
par ailleurs, lesdites places, toujours moins nombreuses, peuvent
désormais régulièrement atteindre 39, voire 42€ (s'il s'agit d'une
première, d'une date commode ou d'une représentation avec Netrebko ou
Kaufmann). Quand le siège le moins cher à Garnier est à 50, voir 60€,
un certain seuil d'acceptabilité du risque (que constitue le fait de
prendre une place de concert, entre l'œuvre, l'alchimie des interprètes
et les voisins) devient problématique pour tous ceux pour qui cette
somme n'est pas dérisoire.
Et, tout en haut, on continue de crever des plafonds, ce doit
être peu ou prou le théâtre le plus cher du monde. Considérant que
c'est aussi l'un des plus subventionnés, je suis tenté de demander à
quoi sert la subvention, si les prix interdisent finalement à la
plupart des contribuables de s'y rendre ? L'Opéra de Paris ose ainsi la démocratisation…
censitaire.
La demande est telle que seuls
les acharnés, et parmi eux uniquement ceux qui peuvent une
demi-journée de congé, ou disposer d'un bureau individuel et d'horaires
souples, peuvent se connecter au bon moment pour obtenir les rares
places abordables, lors des réservations.
Sur ce point, ce n'est pas la faute de l'Opéra, la demande est
structurellement énorme, et sauf à multiplier les représentations (mais
sur quelles dates ? on joue déjà Carmen sur quatre mois !), ce
seront toujours les plus motivés, donc pas les spectateurs
occasionnels, qui se jetteront sur les places disponibles. Il n'existe
pas de solution évidente : ouvrir l'Opéra Bastille a permis de proposer
une offre plus ouverte, au moins en nombre de sièges (et de titres,
avec les possibilités techniques d'alternance des productions), mais
étant lui-même saturé malgré les tarifs vertigineux…
¶ Très belle saison variée (même
s'il y a en définitive peu de raretés : Eliogabalo, Snegourotchka, Sancta Susanna et la création de
Francesconi), et cette fois-ci, contrairement à l'ère Joel, les
vedettes y sont distribuées avisément, selon leurs compétences réelles,
et pas lourdement lâchées sur des répertoires où d'autres feraient
mieux. Par ailleurs, les distributions moins prestigieuses sont
réalisées avec grand soin (témoin cette double distribution de Così fan tutte particulièrement
exaltante).
Un Cavalli inédit par García-Alarcón, l'un des spécialistes les plus
imaginatifs du répertoire lyrique du XVIIe siècle (et une belle
distribution), un Cosìfan tutte
chorégraphique (association étrange pour une œuvre aussi discursive, on
aurait plutôt vu Don Giovanni,
La Flûte ou La Clémence pour ce type de
stylisation, non ?) avec de jeunes chanteurs épatants (même si Ida
Falk-Winland est particulièrement remarquable dans la distribution B,
la A avec Jacquelyn Wagner, Michèle Losier, Frédéric Antoun, Philippe Sly et Paulo Szot tente encore davantage
!), Onéguine
avec Mattei et au choix Černoch (avec Netrebko) ou Yoncheva et dirigé par l'ardent Gardner (superlatif dans Tchaïkovski comme
Walton), Lohengrin dans deux
distributions superlatives, Sancta Susannade Hindemith avec
Antonacci, Carmen
sur quatre mois avec quantité d'excellents titulaires (à défaut de
Garanča, prévue pour une seule date, je conseillerais Abrahamyan pour
éviter les gros tubages de Margaine et Rachvelishvili), Iphigénie en
Tauride avec Billy, Gens et Barbeyrac, Les Contes
d'Hoffmann avec Beuron jouant les valets, un Rimski-Korsakov rare (et,
considérant la nullité du livret, Tcherniakov peut davantage lui faire
du bien que du mal !), une Zauberflöte
également très joliment distribuée (Breslik ou Barbeyrac, Devieilhe,
Volle, Pape, et au choix, tiens, tiens, l'aplomb de Kate Royal ou bien Elsa Dreisig, il y a un an étudiante, et désormais
multi-lauréate, nommée aux Révélations des Victoires de la Musique,
embauchée dans un rôle de premier plan à l'Opéra de Paris ! – qu'elle
ne s'abîme pas en ayant autant à assumer aussi vite !), une création
assez attirante de Francesconi
à partir de Balzac (là aussi généreusement servi), les sujets de
réjouissance sans mélange ne manquent pas, si on laisse la question de
la disponibilité et des prix de côté.
Il y a tout de même quelques réserves à formuler, mais plutôt
marginales. Aucun opéra
français un peu moins couru que les ultra-classiques, uniquement
les tubes qu'on peut entendre partout ailleurs ; et vu comment est
traité Samson
et Dalila, pas sûr d'avoir à le regretter – ce sera un concours
de volapük vociférant assez terrifiant. Quel dommage, alors que
Saint-Saëns est un compositeur si passionnant, de s'acharner à donner
surtout les œuvres qui donnent une piètre image de son art, comme ce Samson entre le grand opéra allégé
et le simili-wagnérien, qui n'est pleinement réussi sur aucun des
aspects ; à tout prendre, autant lui laisser l'opportunité de séduire
un public francophone avec des dictions un peu plus soignées et des
chanteurs un rien plus sensibles au style. Sans pousser jusqu'à Beuron
(pourtant, dans son état actuel, ce serait parfait) & d'Oustrac, on
pourrait envisager des chanteurs au minimum un peu francophones.
Le problème est différent pour Les Feſtes d'Hébé
et Owen
Wingrave : ce sont de bons choix, mais considérant les profils
vocaux recrutés par l'Atelier Lyrique (voix puissantes mais peu
articulées, opaques, grises, et ça semble pareil chaque année – en
somme, l'esthétique du chœur de la maison), je ne suis guère enclin à
recommander d'endurer leur Rameau. Même dans Britten, à en juger par
leur mortifère Lucretia,
je ne suis vraiment pas tenté.
Enfin, je me demande une fois de plus pourquoi, lorsqu'on distribue un
opéra dans une langue qui n'est pas couramment étudiée par les
chanteurs (autre que l'italien, l'allemand, le français ou l'anglais,
donc), on ne recourt pas à des natifs ou à des spécialistes ; ce n'est
pas qu'une question d'exactitude linguistique, cela affecte aussi le placement, la santé, la couleur
des voix. Et, pour un opéra russe comme Snegourotchka,
le vivier de chanteurs compétents est immense, à coût fort raisonnable
de surcroît.
Je suis enchanté de retrouver Serafin, D'Intino, Vargas, Mayer, et je
n'ai vraiment aucune prévention contre Carole Wilson ou Hawlata, mais
je crains que ces noms épars ne soient pas aptes à faire déplacer le
public qui viendrait seulement pour des vedettes, et qu'il en résulte
une petite frustration quant au naturel du résultat, même si la Fée
Printemps de D'Intino, par exemple, va tout renverser, exactement dans
ses bonnes notes !
En somme, pas beaucoup de réserves artistiques à formuler. Peut-être
sur les metteurs en scène, beaucoup de choses radicales ou de concepts,
pas évident pour une partie conservatrice du public ni pour le public
occasionnel – même si, à Paris, cela motive en général les amateurs de
théâtre et les jeunes.
C'est surtout sur le miroir aux alouettes de la démocratisation, en
réalité, qu'il y aurait beaucoup à redire.
Flûte, je n'ai pas mentionné le ballet : dominante écrasante des petites entrées abstraites de néo-classiques américains (sur de la musique de qualité variable ; chouette pour le Quinzième Quatuor de 15 ou même James Blake, moins quand on a du Glass et des trucs ad hoc diversement prometteurs). Pour ma part, je suis enchanté de voir le Songe d'une Nuit d'Été de Balanchine, qui n'a rien de révolutionnaire, mais qui réussit remarquablement la mise en drame et en danse de l'Ouverture (le reste moins, mais il faut dire qu'il y a aussi moins de musique).
Côté récitals, toujours pareil, on est censé acheter sans avoir de programme. J'ai quand même misé sur Anja Harteros, en espérant qu'elle nous fasse, vu la clientèle captive, une première partie Rudi Stephan (ce qui est un espoir plutôt aventureux, considérant son audace habituelle en matière de répertoire), avant une inévitable seconde Strauss (je veux Frühlingsfeier, dans ce cas, taillé pour elle !).
Mais en réalité, je parie secrètement sur son forfait et son remplacement par Michaela Kaune dans un diptyque Pfitzner-Zeisl. Ne faites pas cette mine perplexe, je suis sûr que c'est possible, ne détruisez pas mes rêves, bande de sans-cœurs !
Reconduction des week-ends chambristes variés, originaux et appétissants, c'est chouette.
L'intégrale proposée sur son site par la Cité de la Musique a de multiples avantages :
=> Elle est réalisée intégralement en vidéo, et assez bien filmée (on voit les doigts et les instruments, de façon mobile mais pas trop hystérique).
=> Elle réunit bon nombre des meilleurs clavecinistes vivants : Béatrice Martin, Benjamin Alard, Jean-Luc Ho, Olivier Baumont, Pierre Hantaï, Blandine Rannou, Bob van Asperen... Les autres, que j'aime moins, ont leur célébrité aussi (Staier, Frisch, Cochard qui a tellement progressé, le pionnier Moroney...). J'aurais dû choisir des noms, je n'aurais certainement pas mieux fait.
=> Elle utilise les instruments historiques (ou reconstitués) du Musée de la Musique, ce qui nous vaut par exemple d'entendre la projection très franche d'un clavicythérium (§ 5.1) dans le concert de Jean-Luc Ho. Les rares reconstructions étant peu probantes, c'est là un exemple précieux. Par ailleurs, les clavecins empruntés au Musée sont en général de magnifiques instruments, parmi les plus beaux qu'on puisse trouver ; et comme pour l'orgue, cela a une influence décisive pour un instrument dont l'interprète ne maîtrise pas les dynamiques et ne peut créer le timbre !
Le lieu a enfin ouvert, après des années de retard - certaines utiles, comme l'ouverture au public de cette bribe de quartier romain au moment de l'établissement des fondations, qui laisse augurer des vestiges qu'on pourrait retrouver en rasant le centre-ville (pas de l'ordre de Pompéi, mais sans doute un ensemble d'une richesse comparable à Ostie, par exemple). Et ouverture, alors qu'il n'était pas correctement terminé, témoin le parquet pas encore verni et abîmé lors de l'inauguration.
L'horrible Palais des Sports, une des pires acoustiques de la planète - un lieu entièrement gris et bétonné, peuplé de sièges en plastiques, et où le son s'évanouit dès les premiers rangs, devenant une sorte de bruit tout aussi puissant que la source, mais complètement diffus -, peut donc enfin être relégué à l'endroit qui sied parmi les instruments de torture antiques, aux côtés du lit de Procuste et de la chaise à clous.
Cliché de Thomas Sanson pour la Mairie de Bordeaux.
Fait assez rare pour être relevé, la salle reçoit son nom d'un compositeur vivant - Henri Dutilleux. Au train où allaient les choses, je devine que quelques-uns auront craint une ouverture posthume - et son âge n'est pas en cause !
L'événement ne peut être correctement commenté qu'après avoir éprouvé les qualités du nouvel espace, dans différentes condigurations. C'est pourquoi il est temps à présent. Après avoir entendu divers échos pas toujours concordants, Carnets sur sol a humblement prié un témoin privilégié de nous faire part de son sentiment, après avoir assisté aux premiers opéras, ainsi qu'aux premiers récitals symphoniques et baroques.
Voici ce qu'Olivier Lalorette, auteur du très-clairvoyant site de conseils discographiques Discopathe Anonyme, nous écrit. Nous ne saurions trop le remercier pour avoir assumé cette mission périlleuse malgré ses exigeantes activités :
Voilà quelques années que je n'ai plus trop l'occasion d'entendre l'Orchestre National Bordeaux Aquitaine. J'ai toujours eu le sentiment d'un orchestre irrégulier, et un peu paresseux (quand dans une symphonie de Beethoven certains violons poussent alors que d'autres tirent, et que certains vibrent beaucoup, d'autres peu, d'autres pas du tout...). Effectivement, en l'entendant en retransmission dans le cadre familier des Victoires de la Musique Classique (visible sur Pluzz.fr pour quelque temps), je retrouve de façon "objective", après un temps d'éloignement, toutes les caractériques qui m'avaient frappé lorsqu'il était le seul orchestre que j'entendais régulièrement : sorte de mollesse (presque une indifférence), vents ternes (et ce soir-là, en plus pas très justes, ce que je n'avais jamais remarqué), disjonction entre pupitres (dans Rhapsody in Blue, on entend des bouts du spectre sonore de façon aléatoire, par exemple des figures d'accompagnement aux cuivres qui prennent la partie mélodique), accentuations maladroites (comme s'ils jouaient solfégiquement, sans se préoccuper de l'appui réel des phrasés)... Une sorte de caricature de l'orchestre de province français (il y en pourtant a de tout à fait bons, même si on reste très loin des standards germaniques et scandinaves : le National de Lorraine, le Régional de Tours, le National de Lille, l'Opéra de Lyon...).
Manifestement, les musiciens n'étaient pas très enthousiasmés par cette soirée, parce qu'ils sont capables de produire des choses remarquables lorsqu'un chef les motive (pas forcément de grands noms d'ailleurs, plutôt les excellents kapellmeister : plus inspirés avec George Cleve, Günter Neuhold, Max Pommer ou Klaus Weise qu'avec Kazushi Ono, Yutaka Sado ou Hans Graf) ; alors qu'ils sont généralement très convaincants dans le répertoire français des XIXe et XXe, le Boléro de Ravel et même Thaïs de Massenet (un de leurs meilleurs compositeurs) sonnaient avec une rare platitude, comme une réserve volontaire (ou une indifférence affichée).
Kwamé Ryan est manifestement trop gentil, j'ai toujours eu le sentiment que, comme Graf, il demandait finalement peu à ses musiciens, même lorsqu'il s'agit simplement de faire quelques remarques sur le fondu. Pour l'avoir entendu faire des éloges hors de proportion en jouant le Young Persons's Guide de Britten lors d'une conférence-concert, je crois qu'il se satisfait d'un résultat qui pourrait être très vite amélioré avec un tout petit peu de soin de détail - car individuellement, ce sont des musiciens avec un vrai niveau, et capables de très belles choses. Pas de faux musiciens planqués dans un orchestre où ils auraient été secrètement cooptés.
D'autant plus déçu que j'avais trouvé leur Neuvième de Schubert au disque (peu après l'arrivée du chef) excellente, quasiment une référence. Et que j'écoute toujours avec beaucoup de satisfaction leur Daphnis avec Petitgirard.
Pour le reste, je suis toujours amusé par cette émission qui invite systématiquement les dix mêmes artistes, même chez les compositeurs (Karol Beffa nommé pour la cinquième fois, alors qu'il n'est tout de même pas le plus présent ni le plus réputé dans les salles françaises). Certes, cela donne l'impression de se retrouver en famille, on peut comme lorsqu'on regarde à l'approche des fêtes Autant en emporte le vent ou Le Père Noël est une ordure, retrouvant les mêmes acteurs et les mêmes situations alors que nous, nous vieillissons.
C'est chouette qu'elle existe, mais quel prisme remarquablement déformant !
N'allons pas par quatre chemins : cette soirée était la plus attendue de la saison francilienne, et elle a tenu toutes ses promesses.
Ayant déjà beaucoup développé les enjeux de la « quatrième école » de tragédie en musique à propos d'Amadis de Gaule de Bach, d'Andromaque de Grétry et, très récemment, d'Atys de Piccinni, je ferai plus bref cette fois, ayant projet d'aborder d'autres sujets. D'autant que, s'il fallait énoncer toutes les beautés de ce Thésée, il y aurait fort à faire.
Début de l'acte I le soir du 13 novembre : transition avec l'Ouverture et premiers ensembles. Merci à mon fournisseur ! Bien que cela soit à mon sens tout à la gloire du compositeur et des interprètes, s'il y a objection à cette publication sauvage (les démarches étant un peu longues et complexes pour obtenir une autorisation formelle), elle sera retirée instamment.
1. Attentes
Pourquoi la plus attendue de la saison ?
D'abord, Gossec, il suffit d'en juger par ses oeuvres déjà disponibles, est un maître de l'écriture musicale pure. Ses symphonies et sa musique sacrée (Te Deum en particulier) font preuve d'une science du contrepoint permanent dont je ne vois pas vraiment d'équivalent dans la période classique.
Par ailleurs, comme le laissait déjà entendre sa musique vocale profane (Le Triomphe de la République a été publié depuis pas mal d'années à présent), son don pour l'écriture déclamatoire n'est pas moindre que celle de ses plus glorieux contemporains.
Il faut ajouter à cela que Guy van Waas avait déjà donné en concert, il y a six ou sept ans, un extrait de l'oeuvre (début de l'acte V, déjà proposé sur CSS : air de Médée et duo homicide avec Thésée), qui était extraordinairement appétissant, et faisait présager (n'ayant pas pu mettre la main sur la partition) une oeuvre majeure.
Par ailleurs, la distribution musicale était assez hallucinante : Virginie Pochon (un des plus beaux français du marché), Jennifer Borghi (voix délicate qui n'a rien de la furie bûcheronne, et spécialiste de ce style musical), Frédéric Antoun (un des plus grands maîtres actuels de la voix mixte), Tassis Christoyannis (voix glorieuse mais toujours nettement dite) et dans les petits rôles, des spécialistes parmi les meilleures de leur génération, Katia Velletaz, Caroline Weynants, Mélodie Ruvio.
Quant au Choeur de Chambre de Namur, l'un des tout meilleurs pour la tragédie lyrique, et aux Agrémens de Guy van Waas, ce sont précisément des spécialistes aguerris de cette esthétique de la quatrième école, les plus grands défricheurs en la matière.
Bref, tous les paramètres étaient au vert, si bien qu'on aurait pu se déplacer de la même façon si l'oeuvre était chantée par des étudiants, ou à l'inverse si les mêmes interprètes avaient donné Così fan tutte...
On avait déjà entrepris un projet semblable par le passé, en regroupant par compositeur et en commentant les enregistrements existants. L'écueil étant que le choix entre tragédie lyrique stricto sensu et ballets ou comédies d'importance n'était pas toujours très facile à justifier.
Cette fois, c'est une liste chronologique, qui indique la totalité (ou peu s'en faut) des tragédies lyriques (j'y ai inclus aussi certaines comédies ambitieuses ou ballets importants, et à la fin de la période certaines oeuvres de même style mais avec dialogues parlés) publiées au disque à ce jour. S'y trouvent aussi quelques oeuvres jamais redonnées mais importantes (comme la fondatrice Pomone, ou des succès considérables comme Issé de Destouches & La Motte, Thétis et Pélée de Collasse & Fontenelle et Les Festes Vénitiennes de Campra & Danchet), et d'autres qui sont simplement appétissantes.
Le but ? Pouvoir évaluer ce que l'on peut écouter pour ceux qui n'ont pas encore épuisé l'offre discographique ; pour les autres, mesurer l'exploration respective des différentes périodes.
Il s'avère que le résultat est moins déséquilibré en faveur du premier siècle de tragédie lyrique (avant 1780, donc) que je l'aurais cru - évidemment, il en va tout autrement si l'on compte le nombre de versions.
LÉGENDE :
|*** : commercialisé
|** : bande radio ou vidéo
|* : lu en partition
Entre parenthèses figurent le nombre d'enregistrements commerciaux, puis de représentations captées, enfin de représentations vues. Je n'ai pris en compte dans ces deux dernières catégories que ce à quoi j'ai pu accéder moi-même, sans quoi la liste serait bien plus longue sans que je puisse répondre à d'éventuelles sollicitations...
A l'occasion des Victoires de la Musique Classique et des commentaires qui ont suivi la soirée, Patrick Loiseleur se récrie (non sans raison, même s'il y a quelques dommages collatéraux) contre la condescendance facile et le rejet massif qui frappe le compositeur vivant, forcément veule et laid.
Veule ? Car servilement soumis à une idéologie. Laid ? Car bling blang blong.
Je crois que crois que cela tient beaucoup à une forme de lien social (paraît-il typiquement français) : on râle pour créer une forme de connivence, de sujet de conversation. De même qu'on râle contre les Victoires de la Musique Classique tous les ans, et que tous les ans, alors qu'on sait que ça ne va pas nous plaire, on regarde, pour pouvoir ensuite dire à quel point c'était affreux (pas la bonne heure, pas les bonnes personnes, pas le bon ton).
Il y a même des circonstances dans la vie quotidienne où ne pas râler avec les autres peut vous faire passer pour... ronchon.
Je concorde donc tout à fait avec le billet de Patrick Loiseleur, qui trouve cela un peu facile et mesquin, surtout quand c'est pour se limiter à des sobriquets stériles, utilisés par des gens qui n'ont jamais cherché à vérifier ce qu'ils recouvrent :
On a même inventé des néologismes pour mieux les rabaisser: "néo-tonals", "(post-)sériels", "minimalistes", "répétitifs", "bruitistes"... quel que soit leur style, une chose est sûre: ils ne trouveront pas grâce [...]
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2. Les causes
Mais, comme il est tout de même amusant d'avoir mauvais esprit, on peut se demander s'ils ne l'ont pas un peu cherché. A mon (humble) avis, il y a de toute façon quelques raisons structurelles pour lesquelles les compositeurs contemporains sont des cibles évidentes (faciles, et d'une certaine manière légitimes) :
Mais Ophélie Gaillard, et elle a omis de le préciser, a la particularité d'être une violoniste à gros biniou.
On vous le disait, tout confirme la faillite du système éducatif français. Le retour aux fondamentaux de la lecture s'impose d'urgence, puisque le niveau baisse vertigineusement, comme le soulignait Euclide dans sa correspondance avec Lao-Tseu.
Il est souvent question, sur Carnets sur sol, mais aussi dans de nombreuses autres circonstances , y compris professionnelles ou quotidiennes, de la qualité de la langue parlée. Pas seulement de la grammaire, mais aussi de la prononciation.
Or, on confond très souvent les critères, et on peut mélanger des choses différentes à l'importance très contrastée.
Le moment est venu pour nous d'opérer un tri pour plus de clarté pour nos lecteurs, en espérant qu'il ne se trouve pas dans nos notules endroits où, suivant une idée précise, nous n'avons pas respecté cette nomenclature a posteriori. Car les mots sont flous en la matière, et ce que nous proposons sont plus des entrées conceptuelles que des mots de vocabulaire, qui sont les nôtres et qu'on pourrait intervertir, sans doute, avec d'autres.
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Pour la qualité d'une langue parlée ou chantée, nous percevons quatre critères différents, du plus essentiel au moins essentiel (mais parallèlement du plus facile au plus difficile !). Les deux premiers concourent à l'intelligibilité, c'est-à-dire au caractère compréhensible de la parole, le deuxième et le troisième à l'idiomatisme, c'est-à-dire au respect de la langue, le quatrième étant plus de l'ordre de la coquetterie, falcultatif.
Pour plus de clarté dans nos explications, nous avons privilégié les textes en français, mais c'est évidemment valable pour toutes les langues - et au premier chef, à l'Opéra, pour l'italien, sévèrement massacré en tous lieux du monde.
Avec exemples précis et sonores, comportant comme invités : Joan Sutherland, Barbara Hendricks, Lorraine Hunt-Lieberson, Mireille Delunsch, Anna Netrebko, Charles Panzéra, Boris Christoff, Thomas Allen, Simon Keenlyside et Philip Addis.
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1. L'articulation
C'est-à-dire la clarté d'élocution. Toutes les voyelles et toutes les consonnes sont reconnaissables, ou du moins articulées de façon à ce que chacune soit identifiable au bout du compte.
C'est le plus important : être clair.
[On parle souvent d'intelligibilité sur CSS pour dire articulation, ce qui est peut-être un abus de langage, puisque l'intelligibilité dépend aussi grandement de l'accentuation. (Sinon même les Américains ne se comprendraient pas.)]
A l'Opéra, les voix placées en avant sont plus intelligibles (ce qui ne favorise pas toujours les francophones par rapport aux anglophones, mais c'est une autre histoire). On rencontre aussi des interprètes qui se font une spécialité de l'expressivité des consonnes détachées (particulièrement dans le lied), et, plus fort encore, des voyelles (Dietrich Fischer-Dieskau et Jérôme Corréas).
Bon point :
- Charles Panzéra, avec sa voix claire et placée très en avant, assez mixée aussi, représente un modèle absolu d'articulation.
Invocation des follets chez Berlioz (Damnation de Faust).
Mauvais point :
- Lorraine Hunt-Lieberson, californienne, dispose d'une prononciation située très en arrière, ce qui rend, malgré une qualité de langue tout à fait honorable, un résultat très peu compréhensible. On ne reconnaît pas bien les consonnes et les voyelles qui se succèdent.
Menaces à l'acte I de la Médée de Charpentier.
- Joan Sutherland, australienne. Ici aussi, mollesse des consonnes, mais le désir de posséder une voix égale, un legato parfait, une couleur homogène (jusqu'à la monochromie chez elle) tend à gommer les qualités propres de chaque timbre dans la langue d'origine. On lit d'ailleurs chez certains théoriciens du chant (la référence Miller, pour ne pas la nommer) qu'il faut procurer au [i] la quantité du [a]. Ce n'est pas forcément faux (dans une perspective issue de l'école italienne), mais le but de la manoeuvre, exercice à l'appui, est de faire sonner et résonner le [i], de façon puissante et agréable - alors qu'il est naturellement petit (tout le temps) et laid (chanté). Certains chanteurs cependant poussent la fantaisie jusqu'à émettre de façon très identiques les voyelles. On recommander aussi d'émettre un [o] dans l'aigu pour le [a], afin de ne pas ouvrir le son et de ne pas se fatiguer. Bref, autant de petits arrangements qui, appliqués avec parcimonie, peuvent débloquer des difficultés physiques, mais qui systématisés sans esprit de perspective, peuvent produire une bouillie linguistique assez rebutante pour qui n'est pas glottovore certifié.
Le Tribut de Zamora de Gounod : « Ce sarrasin disait... »
Contrôle surprise : Que racontait la dame ?
[Sachant que c'est pire en italien.]
A force de rechercher la rondeur et la plénitude de timbre, l'individualité des couleurs naturelles de la langue disparaît, jusqu'à brouiller le message.
Marc-Antoine Charpentier n'a jamais occupé la place de rival malheureux de Lully que la légende lui prête souvent.
Certes, comparativement à son génie, il a été maintenu dans une ombre relative, et la place centrale de Lully dans la distribution politique de l'organisation musicale laissait peu de latitude à l'épanouissement au sommet de la pyramide des genres. [1]
Cependant, il n'a jamais eu l'occasion de s'affronter en quoi que ce soit à Lully, qui le connaissait sans doute à peine, et n'avait nul lieu de se sentir jaloux ou menacé.
Dans le grand genre de la tragédie en musique, Charpentier n'a laissé qu'une Médée qui reste un jalon majeur de l'histoire de la musique du XVIIe siècle.
Il est également l'auteur d'autres musiques dramatiques, notamment sur les oeuvres de Pierre (Andromède) et Thomas Corneille (Cicé, L'Inconnu, La Pierre Philosophale, Le Triomphe des dames), mais jamais d'autre tragédie lyrique : il s'agit soit de tragédies parlées comportant des sections musicales (Andromède et Circé appartiennent au type des « pièces à machines »), soit de divertissements musicaux qui n'ont pas le statut du grand genre tragique lyrique.
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2. Le choix des Stances
Dans cette oeuvre vocale assez riche et très diversifiée, Charpentier nous laisse en particulier une très précieuse mise en musique des Stances de Rodrigue dans le Cid, isolée de son contexte.
Il est vrai que si la rondeur régulière et un peu indolente de l'alexandrin se prête peu à la mise en musique, ces stances [2], avec des vers de mètres différents, se prête très précisément à la mise en musique - la variété des mètres est l'une des caractéristiques des tragédies destinées à la mise en musique, pour permettre en quelque sorte de varier les carrures et rendre le discours toujours mobile.
Le texte que Charpentier exalte ici n'est pas à proprement parler une pièce de théâtre (contrairement à la musique de scène pour la reprise d'Andromède). C'est à partir de la réédition dans le Mercure de France'', en 1681, de ce qui est devenu une oeuvre emblématique, qu'il habille les trois premières strophes de ces Stances - celles où se sentent le plus nettement la douleur amoureuse et l'hésitation, les deux dernières apportant la résolution.
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3. Texte et musique
Paul Agnew chante accompagné par les Arts Florissants dirigés par William Christie.
DON DIEGUE
Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir,
Je le remets au tien pour venger et punir.
Va contre un arrogant éprouver ton courage :
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ;
Meurs, ou tue. Au surplus, pour ne te point flatter,
Je te donne à combattre un homme à redouter ;
Je l’ai vu, tout couvert de sang et de poussière,
Porter partout l’effroi dans une armée entière.
J’ai vu par sa valeur cent escadrons rompus ;
Et pour t’en dire encor quelque chose de plus,
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine,
C’est…
DON RODRIGUE
. . . . . . . De grâce, achevez.
DON DIEGUE
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le père de Chimène.
DON RODRIGUE
Le...
DON DIEGUE
. . . . . . Ne réplique point, je connais ton amour,
Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour ;
Plus l’offenseur est cher, et plus grande est l’offense.
Enfin tu sais l’affront, et tu tiens la vengeance :
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi ;
Montre-toi digne fils d’un père tel que moi.
Accablé des malheurs où le destin me range,
Je vais les déplorer. Va, cours, vole, et nous venge.
Scène VI - Don Rodrigue
DON RODRIGUE
Percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d’une juste querelle,
Et malheureux objet d’une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue [3] 5
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
O Dieu ! l’étrange peine !
En cet affront mon père est l’offensé,
Et l’offenseur le père de Chimène ! 10
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse ;
L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.
Réduit au triste choix, ou de trahir ma flamme, 15
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
O Dieu ! l’étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ? 20
Père, maîtresse, honneur, amour,
Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie :
L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour.
Cher et cruel espoir d’une âme généreuse, 25
Mais ensemble amoureuse,
Digne ennemi de mon plus grand bonheur,
Fer, qui causes ma peine,
M’es-tu donné pour venger mon honneur ?
M’es-tu donné pour perdre ma Chimène ? 30
Il vaut mieux courir au trépas ;
Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père :
J’attire en me vengeant sa haine et sa colère,
J’attire ses mépris en ne me vengeant pas.
A mon plus doux espoir l’un me rend infidèle, 35
Et l’autre indigne d’elle ;
Mon mal augmente à le vouloir guérir,
Tout redouble ma peine :
Allons, mon âme, et puisqu’il faut mourir,
Mourons du moins sans offenser Chimène. 40
Mourir sans tirer ma raison !
Rechercher un trépas si mortel à ma gloire !
Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire
D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison !
Respecter un amour dont mon âme égarée 45
Voit la perte assurée !
N’écoutons plus ce penser suborneur
Qui ne sert qu’à ma peine :
Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur,
Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. 50
Oui, mon esprit s’était déçu :
Je dois tout à mon père avant qu’à ma maîtresse ;
Que je meure au combat, ou meure de tristesse,
Je rendrai mon sang pur, comme je l’ai reçu.
Je m’accuse déjà de trop de négligence. 55
Courons à la vengeance,
Et, tout honteux d’avoir tant balancé,
Ne soyons plus en peine,
Puisqu’aujourd’hui mon père est offensé,
Si l’offenseur est père de Chimène ! 60
[Fin de l'acte I.]
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4. Structure
Chaque stance est traitée individuellement, selon un modèle d'air de tragédie ou un mouvement de cantate, mais de façon très continue et libre. La voix est seulement soutenue par le continuo, y compris dans la partie la plus proche de l'air, de façon à ne jamais concurrencer le texte.
La première (sans doute la plus belle) s'organise comme un récitatif, très mobile et expressif, fortement calqué sur le mouvement expressif du texte, parcouru de contradictions, de silences. Seul la seconde moitié du dernier quatrain est répétée, selon une habitude propre aux airs de la tragédie lyrique.
De façon très intégrée, à la française, la deuxième stance tient lieu d'air. Les répétitions de mots sont plus nombreuses, les lignes avant tout musicales - bien que très respectueuses du texte, imposant des accentuations qui ne sont pas dans le vers initial. Surtout, la tessiture devient beaucoup plus aiguë, une marque alors conventionnelle de l'héroïsme et du caractère exceptionnel, presque surnaturel des héros. La tension s'en accroît, ne serait-ce que par l'effet physique sur l'auditeur de la constriction des cordes vocales - cette tessiture-là n'est pas naturelle, y compris pour un ténor aigu.
La troisième revient à une forme moins mélodique, à nouveau entrecoupée d'hésitations, mais toujours haut placée, parcourue d'élans désespérés vers l'aigu. Elle retournant progressivement vers des hauteurs plus proches de la voix parlée, jusqu'à l'extinction de la délibération - sans réponse.
L'ensemble constitue un bijou à la fois sur le plan prosodique - extrêmement respectueux du texte, mais apportant de nouvelles informations - et sur le plan formel, une intégration parfaite d'un propos musical à un propos théâtral, avec des pointes qui favorisent tour à tour musique et théâtre, progressant vers l'une, régressant vers l'autre.
[1] De ce point de vue, la musique répondait à une logique similaire à l'art pictural.
[2] Le terme a plusieurs sens, et peut aussi bien désigner un ensemble de vers « fermé » qu'un texte destiné à être chanté - ici, les rimes croisées interdisent la linéarité des rimes suivies propres au théâtre, suspendent en quelque sorte le cours du drame dans un univers plus poétique. Faute de temps, on n'a pas vérifié si le Cid disposait, dès 1636, de parties musicales, mais quelque savant lecteur nous renseignera à coup sûr sur ce point. En tout état de cause, il ne s'agissait pas de Marc-Antoine Charpentier (qui n'avait alors même pas vu la lumière du jour).
[3] La version discographique observe une autre leçon pour cet hémistiche : et ma force abattue.
Derrière une toile translucide à la manière de Gellée, les personnages s'effacent, dans les poses tragiques où la fin de leur réplique les a tenus.
Comme toujours chez Kokkos, un univers schématique, presque géométrique, à la gestuelle souple et expressive. Côté jardin, une galerie de palais, sombre, avec l'ébauche du bas d'une colonne dont on ne peut apercevoir le chapiteau (à la manière du dispositif central de son Titus, repris récemment à Genève). Au centre, des degrés qui descendent, vers le devant de la scène, jusqu'à un triangle vermillon (la couleur était omniprésente pour Phaedra), où trois marches évoquent le lieu du pouvoir.
Ce lieu où Didon débute son parcours sera celui d'où Enée recevra la fausse apparition au III, puis d'où il se précipitera, s'embrouillant dans ses piètres excuses au IV, vers la reine.
Le choeur, vêtu de robes pourpres à fraises blanches, évite à tout moment l'écueil du statisme de la littéralité. Point d'esprit de sérieux : il semble demeurer conscient à tout moment qu'il est au fond étranger aux malheurs tout personnels de sa reine, et ses gestes expressifs, sans rechercher la drolerie, ne paraissent pas pleinement sérieux.
Didon, quittant son déshabillé blanc pour une courte traîne royale de même couleur, ne conserve que sa robe, toujours visible, toujours pourpre, lors de la dernière scène. Sans aucune ostentation, Kokkos prolonge ainsi la symbolique de la passion qui brûle la veuve de Sychée - après avoir proclamé sa vertu devant son peuple. L'opposition des couleurs fait ainsi sens très simplement sur les éléments qui ne sont pas repris explicitement par Tate. Et très discrètement.
Tout le travail de Kokkos évolue dans ce registre de finesse. A la fin de chaque acte, la toile picturale initiale reprend de l'épaisseur, enveloppe les protagonistes restants, figés dans leur pose, peu à peu désintégrés, puis rejoignant lentement les coulisses, à peine visibles et demeurant dans cet état fixe où nous les avons laissés.
Le génie d'actrice de Mireille Delunsch trouve ici une terre d'élection. A l'acte I, d'un port souverain, mais comme accablée ; à l'acte III, d'un abandon très mesuré, reposant sur Enée tel Renaud sur Armide, de façon à ce que chacun puisse se contempler - mais, ici, avec une ferme tenue qui autorise sans rougir la présence du public ; enfin, à l'acte IV, succombant lentement, titubant sur ses genoux, s'étendant avec pathétique et noblesse pour le dernier voyage.
Le dernier air, il est vrai, se montre pensé de façon un peu romantique, et tant de merveilles y ont été entendues qu'on n'y trouvera pas d'originalité ni d'intensité véritablement supérieure à la moyenne. [1]
En revanche, chaque réplique témoigne de cette alchimie si particulière chez elle - et qui, même au DVD, se communique mal -, qui rend sa présence si prégnante sur scène. Cette acidité, cette imperfection de timbre, ce souffle portent quelque chose d'électrique - qui n'a rien de l'excitation purement vocale : Mireille semble déverser son âme dans les nôtres à chaque parole, avec un art de la pudeur consommé. La moindre redite textuelle ou musicale, le moindre segment de vocalisation révèle un nouveau mouvement de ses affects, un nouvel aspect de son esprit.
Sans moyens techniques impressionnants, elle triomphe instantanément, dépasse absolument toutes les considérations comparatives. A cet instant, son art souverain nous conquiert, et il n'est plus possible de songer à qui nous préférons : elle est seule présente.
Une discussion avec le noble ZeVrai en est venue à aborder la question de la distribution d'Yniold à une voix d'enfant. On renvoie à cette conversation pour les réserves de CSS sur l'emploi en règle générale de ce type de voix, qu'on peut cependant résumer comme suit :
Notule juste pour la plaisanterie : on ne va pas s'étendre, ce qui était intéressant, c'était précisément, au delà du prisme déformant de la manifestation, de présenter un peu les artistes présents, de s'interroger sur les ressorts de la manifestation.
Petite ironie du sort : la grève a pu être contournée par des moyens privés - autrement dit les fonds privés ont sauvé la culture sur le service public. On aurait voulu servir du paradoxe qu'on ne s'y serait pas pris autrement.
Le décompte de la lutte à mort entre Virgin Classics et Naïve suit, avec quelques farfadetteries habituelles.
Cette catégorie, ici plus encore qu'ailleurs, semble totalement détenue par une seule école. Une école de réaction par rapport au sérialisme qui a longtemps étouffé toute opposition dans le système institutionnel.
Autant le sérialisme systématique pouvait être abscons et dépourvu d'esprit, autant le résultat chez ces néos peut être, à son tour, assez fade.
Sans doute par volonté de ne pas brusquer le public, ou par relations, on ne peut donc avoir le choix, chaque année, qu'entre les compositeurs suivants : Thierry Escaich, Eric Tanguy, Philippe Hersant. Ou quelques autres dans le même esprit.
Dommage, parce que dans le style posttonal lui-même, ce ne sont pas forcément les plus intéressants. Pas forcément de mauvais compositeurs, mais le résultat paraît souvent bien tiède. Chez Thierry Escaich, on retiendra surtout les concertos pour orgue ou pour trompettes ; de Philippe Hersant, son opéra Le Château des Carpathes, très appétissant pour les extraits que l'on en a entendu.
Il est un peu dommage de présenter une image déformée de la musique contemporaine, alors qu'il existe tant d'écoles différentes. En convenant de la condition absurde de la nécessité d'être français, et sans chercher à imposer notre chouchou Bruno Mantovani, dont les raffinements un peu abstraits pourraient effrayer le spectateur ingénu, que fait-on des chatoyances miraculeuses de Thierry Pécou, de l'imaginaire de Bernard Cavanna, ou même de l'ultratonalité ingénue d'Isabelle Aboulker ? Et avec cela, on demeure dans du contemporain très facile d'accès, quasiment sans atonalité, mais qui ne se limite pas à une seule chapelle.
Ces révélations n'en sont jamais pour les observateurs attentifs, avec de belles carrières d'une dizaine d'années parfois ainsi récompensées, mais il est indéniable que l'impulsion donnée à une carrière est réelle.
Il vaudrait mieux lire : "jeune soliste instrumental de l'année".
La manifestation est généralement très décriée, avec un bonheur partagé, disons. On ne peut pas attendre d'une manifestation grand public la rigueur d'une audition officielle ou l'équité de vraies épreuves (existe-t-elle, d'ailleurs ?). Il est exact cependant que la présence quasiment exclusive de quelques noms-phares d'EMI-Virgin et Naïve laisse songeur sur les ressorts de la manifestation.
Peu importe, au moins pour les jeunes gens, ce sera l'occasion, pour nous, de proposer quelques remises en perspective sur les présents, qui ne sont pas dépourvus d'intérêt, loin s'en faut. Surtout que les extraits fournis gracieusement par les organisateurs sont, comme c'est la tradition, fort mal choisis...
Petite balade dans le palmarès, et suggestions éventuelles. Un bon prétexte pour apporter quelques éclairages au buzz.
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