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mardi 23 mars 2021

Découvrir la Bible par la musique – n°1b : Rolle, Kreutzer, l'assassin dépressif, « mais faites danser Caïn ! »


La première partie, qui couvre les mises en musique de l'épisode depuis le grégorien jusqu'à l'oratorio baroque du milieu du XVIIIe siècle, se trouve ici.

Je reproduis, pour plus de commodité, l'introduction – avec, notamment, les degrés d'éloignement de la liturgie (niveaux 1 à 7) et le texte-source.




The Bible Project

Nouvelle année, nouveau projet.

Bien que les séries «  une décennie, un disque » (1580-1830 jusqu'ici, et on inclura jusqu'à la décennie 2020 !), « les plus beaux débuts de symphonie » (déjà fait Gilse 2, Sibelius 5, Nielsen 1…) et « au secours, je n'ai pas d'aigus » ne soient pas tout à fait achevées… je conserve l'envie de débuter ce nouveau défi au (très) long cours.

L'idée de départ : proposer une découverte de la Bible à travers ses mises en musique. Le but ultime (possiblement inaccessible) serait de couvrir l'ensemble des épisodes ou poèmes bibliques jamais mis en musique. Il ne serait évidemment pas envisageable d'inclure l'ensemble des œuvres écrites pour un épisode donné, mais plutôt de proposer un parcours varié stylistiquement qui permette d'approcher ce corpus par le biais musical – et éventuellement de s'interroger sur ce que cela altère du rapport à l'original.

Quelques avantages :
    ♦ incarner certains textes ou poèmes un peu arides en les ancrant dans la musique (ce qui devrait satisfaire le lobby chrétien) ;
♦ observer différentes approches possibles de cette matière-première (pour les musiqueux).

Sur ce second point, beaucoup peut être appris :

D'une part le nécessaire équilibre entre
♦ le langage musical du temps,
♦  les formes liturgiques décidées par les autorités religieuses,
♦  la nature même de l'épisode narré.
Sur certains épisodes qui ont traversé les périodes (« Tristis est anima mea » !), il y aurait tant à dire sur l'évolution des usages formels…

D'autre part le positionnement plus ou moins distant du culte religieux :
niveau 1 → utilisé pour toutes les célébrations (l'Ordinaire des catholiques),
niveau 2 → pour certaines fêtes ou moments spécifiques de l'année liturgique (le Propre),
niveau 3 → en complément de la messe proprement dite (comme les cantates),
niveau 4 → en forme de concert sacré mais distinct du culte (les oratorios),
niveau 5 → sous forme œuvres destinées à édifier le public mais représentées dans les théâtres (oratorios hors églises ou opéras un peu révérencieux),
niveau 6 → de libres adaptations (typiquement à l'opéra, lorsque Adam, Joseph ou Moïse deviennent des héros un peu plus complexes)
niveau 7 → ou même de relectures critiques (détournements d'Abraham ou de Caïn au XXe siècle…).

À cette fin, j'ai commencé un tableau qui devrait, à terme, viser l'exhaustivité – non pas, encore une fois, des mises en musique, mais des épisodes bibliques. Il s'avère déjà que, même pour les tubes de la Genèse, certains épisodes sont très peu représentés – l'Ivresse de Noé, pourtant abondamment iconographiée, est particulièrement peu répandue dans les adaptations musicales.

Mais en plus du tableau, de petits épisodes détachés avec un peu de glose ne peuvent pas faire de mal. (Comme ils seront dans le désordre, ils pourront ensuite être recensés dans le tableau ou une notule adéquate.) Nous verrons combien je réussis à produire, et si cela revêt quelque pertinence.




Abel & Caïn
(Épisode 2)


Rappel : la source


1.     Or Adam connut Eve sa femme, laquelle conçut, et enfanta Caïn; et elle dit : J'ai acquis un homme de par l'Eternel.
2.     Elle enfanta encore Abel son frère; et Abel fut berger, et Caïn laboureur.
3.     Or il arriva, au bout de quelque temps, que Caïn offrit à l'Eternel une oblation des fruits de la terre ;
4.     Et qu'Abel aussi offrit des premiers-nés de son troupeau, et de leur graisse ; et l'Eternel eut égard à Abel, et à son oblation.
5.     Mais il n'eut point d'égard à Caïn, ni à son oblation ; et Caïn fut fort irrité, et son visage fut abattu.
6.     Et l'Eternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité ? et pourquoi ton visage est-il abattu ?
7.     Si tu fais bien, ne sera-t-il pas reçu ? mais si tu ne fais pas bien, le péché est à la porte ; or ses désirs se [rapportent] à toi, et tu as Seigneurie sur lui.
8.     Or Caïn parla avec Abel son frère, et comme ils étaient aux champs, Caïn s'éleva contre Abel son frère, et le tua.
9.     Et l'Eternel dit à Caïn : Où est Abel ton frère ? Et il lui répondit : Je ne sais, suis-je le gardien de mon frère, moi ?
10.     Et Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre à moi.
11.     Maintenant donc tu [seras] maudit, [même] de la part de la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.
12.     Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra plus son fruit, et tu seras vagabond et fugitif sur la terre.
13.     Et Caïn dit à l'Eternel : Ma peine est plus grande que je ne puis porter.
14.     Voici, tu m'as chassé aujourd'hui de cette terre-ci, et je serai caché de devant ta face, et serai vagabond et fugitif sur la terre, et il arrivera que quiconque me trouvera, me tuera.
15.     Et l'Eternel lui dit : C'est pourquoi quiconque tuera Caïn sera puni sept fois davantage. Ainsi l'Eternel mit une marque sur Caïn, afin que quiconque le trouverait, ne le tuât point.
16.     Alors Caïn sortit de devant la face de l'Eternel, et habita au pays de Nod, vers l'Orient d'Héden.
17.     Puis Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénoc ; et il bâtit une ville, et appela la ville Hénoc, du nom de son fils.

Genèse 4:1-17, traduction de Martin (1744).




Les adaptations musicales

Après avoir évoqué la mise en musique grégorienne, Resinarius, Kropstein, Lemlin, Hollander, Lassus, Carissimi, Pasquini, A. Scarlatti et Caldara, voici le moment d'aborder les transformations du mythe chez les Classiques et au delà…



1771

Johann Heinrich ROLLEDer Tod Abels


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Le sacrifice rejeté.

Musique

¶ À nouveau un oratorio qui interprète la scène suggérée par les Écritures, tout à fait dans la lignée stylistique de ce qui précède. Le langage musical, malgré la date tardive, demeure largement baroque, mais le drame prévaut, les numéros épousent volontiers l'action et les airs n'atteignent pas les longueurs extravagantes du baroque tardif de Caldara, Graun ou Jommelli. Les récitatifs restent plutôt nus mais leurs lignes mélodiques sont tournées vers l'expression, avec des intervalles assez variés, comme dans les Passions.
    Ce style conservateur explique probablement que Rolle n'ait pas atteint grande célébrité pour la postérité, mais sa vie également, échouant à se faire embaucher à Hambourg face à Telemann – qui n'a déjà pas bonne presse pour le grand public (pour d'absurdes ressentiments de nature salérienne, comme rival d'un compositeur devenu intouchable dans les siècles suivants). Sa vie musicale se déroule essentiellement à Magdebourg, où il a grandi.

Livret

¶ Le livret, comme les précédents, a ses originalités : il faut bien habiter ces très courtes et très factuelles mentions de la Genèse. Ici, Abel est le préféré de la famille. Le « Chœur des enfants d'Adam » (petits-enfants inclus ?  autres fils non nommés ?) décrit son offrande, puis l'orage qui suit celle de Caïn, dans une scène pas nécessairement très dramatique dans son traitement musical, mais qui a la force d'incarner dans un jeu en-scène / hors-scène le moment de bascule de l'épisode, au lieu de le suggérer seulement par des récits et des résumés.
    La découverte du corps d'Abel se fait hors scène, sans transition avec l'air de l'épouse de Caïn, Meala, qui dispose d'une large place dans cette version et commente le désespoir de son mari, redoutant l'accomplissement de ce qui a été annoncé – Caïn lui a confié, tout à sa frustration, « Voici le jour qui doit remplir mon vœu ». Ce sont Ève et Adam qui révèlent le crime par leur affliction, dans un simple récitatif. S'ensuit la confrontation avec Caïn et sa fuite, perclus de remords : le traitement du personnage n'est pas à charge, le librettiste présente très clairement les causes de son mal-être et l'horreur de lui-même que lui inspire son geste. Malgré son refus, femme et enfants le suivent.
    Le chœur final est un choral, invitant roses et cyprès à pousser sur la tombe d'Abel, afin de pouvoir pleurer la première victime. Il est assez intéressant, car ce ne sont manifestement plus les enfants d'Adam qui parlent ; probablement, comme c'est l'usage, le choral incarne-t-il l'assemblée des fidèles chrétiens d'aujourd'hui, mais il semble assez tard pour espérer la floraison de la tombe issue du premier meurtre… Le contour de ces locuteurs choraux reste assez flou, de même que le message, pas du tout moralisant, qui assume seulement l'affliction (ainsi qu'une pointe de tendresse ?).

Conclusions

¶ J'avais noté niveau 5, mais je ne retrouve plus les textes attestant d'une interprétation hors des temples. Possiblement niveau 4, donc. (La documentation est rare sur Rolle et je ne puis matériellement opérer une recherche complète sur chaque œuvre illustrant la série, navré.)

¶ Ce n'est clairement pas le chef-d'œuvre musical de son siècle, mais reste joliment écrit. J'avoue avoir été assez intéressé par cette approche assez compréhensive, incluant au récit la détresse de Caïn, qui ne constitue plus un repoussoir, symbole absolu du mal (comme une continuation du Serpent d'Éden), mais plutôt le témoignage d'un autre aspect de ce qu'est la souffrance humaine. Je ne dis pas que Caïn y devienne sympathique, mais il n'y est en rien un avatar de Satan, ni même le jouet de Lucifer. Autant la forme musicale reste celle de l'oratorio baroque, autant le propos du livret semble davantage placer l'homme comme mesure du drame – l'ambiance du XVIIe italien semble bien lointaine.


Une belle version en existe par Hermann Max chez Capriccio (avec notamment Mammel et van der Kamp).




1810
Rodolphe K
REUTZERLa mort d'Abel

a) Une nouvelle approche : la fiction biblique

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Adam à l'aurore du drame (Pierre-Yves Pruvot).

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¶ L'une des raisons du choix de Caïn comme premier épisode de cette série tenait dans l'étendue des propositions – non seulement dans le temps, avec des premières mises en musique dès le XVIe siècle – mais aussi dans la variété de leur nature, depuis la mise en musique littérale de la Genèse, encastrée dans la cérémonie cultuelle même (les répons de Lassus et ses contemporains) jusqu'à l'opéra profane, irrévérencieux et critique (on y viendra, avec Rudi Stephan). Avec cette Mort d'Abel, nous rencontrons un premier exemple d'œuvre de niveau 6, soit une libre adaptation fictionnelle de la matière biblique.
    Ce n'est même plus une question d'exécution à l'église ou au théâtre, c'est la conception même du rôle de l'épisode qui fait toute la différence. Ici, l'œuvre, commandée à François-Benoît Hoffmann, librettiste de renom, emprunte à la Bible comme matière thématique, mais n'entend en rien édifier ni prolonger le culte. Le mythe connu sert avant tout de support à une libre invention dramatique, conçue pour un divertissement scénique, au même titre que les matières antiques ou orientales qui avaient alors la faveur de la scène française…



b) Un peu de contexte : l'oratorio français

¶ Ce choix n'a rien d'anodin : il est le fruit d'une longue histoire et a suscité beaucoup de débats en son temps, au plus haut niveau. [Ce qui va suivre ne concerne que la France, l'évolution des genres musicaux y est spécifique.]

L'oratorio français avant 1800

    L'oratorio (action sur sujet sacré, généralement de format plus ample que la cantate – laquelle n'a pas trop cours en France dans son format sacré) s'épanouit très fort et très tôt en Italie, au cours du XVIIe siècle – notamment, on en a parlé à propos de Pasquini, comme un contournement décent de l'interdiction des spectacles lors du Carême dans les États Pontificaux.

    En France, il demeure rare (Charpentier, très influencé par l'Italie, en a laissé quelques-uns, comme sa Judith). On lui préfère la cantate à sujet sacré (en France de même format que les cantates profanes, abordant simplement un sujet biblique sous forme d'une paraphrase galante des textes sacrés, destinées au divertissement) ou le grand apparat du culte en latin.

    À partir de 1758, cependant, l'association musicale du Concert Spirituel commande une cinquantaine de courts oratorios (vers 1759, ce sont Les Fureurs de Saül de Mondonville, autre exaltation des souffrances d'un méchant) à des figures considérables de la scène lyrique du temps comme Gossec (sa jolie Nativité, dont vient justement de paraître une version discographique il y a deux semaines, fut un immense succès public), F.A.D. Philidor, Sacchini, Salieri, mais aussi Giroust (compositeur de la messe du Sacre de Louis XVI), Rigel (que nous connaissons mieux pour ses oratorios, justement, ainsi que ses symphonies) et même Cambini (dont les quatuors à cordes classiques de style « international » méritent grandement le détour). Beaucoup de ces petits oratorios sont tirés de l'Ancien Testament. Tout cela concourait à l'exploitation de la matière biblique dans une démarche de divertissement largement musical.

Le nouvel âge de l'oratorio français

    La marche suivante se franchit sous l'impulsion de la création de la… Création de Haydn à l'Opéra, le 24 décembre 1800, dans une (belle) traduction française. Le choc est incommensurable sur les contemporains, et ouvre la voie à la représentation d'actions bibliques conçues pour la scène de l'Opéra, avec pompe et décors… ainsi qu'une liberté grandissante quant au respect du texte d'origine. [Je suppose que le passage par la période révolutionnaire a pu altérer aussi les sentiments d'interdit qui auraient préalablement prévalu ?] 

    L'engouement suscite ainsi d'abord des pastiches (Saül en 1803 et la Prise de Jéricho en 1805, des pots-pourris où Kalkbrenner et Lachnith – l'arrangeur des Mystères d'Isis d'après la Flûte enchantée – empruntent beaucoup à Mozart), puis diverses expérimentations : Joseph du grand compositeur d'élans révolutionnaires Méhul (un opéra comique tout à fait sérieux, respectueux et édifiant) au Théâtre Feydeau (le futur Opéra-Comique) en 1807, puis deux évocations des premiers hommes.
    D'abord La mort d'Adam de Le Sueur, réformateur de la musique sacrée sous Napoléon, et son protégé (également grand pourvoyeur de la matière d'Ossian) – en 1809, mais en réalité composé en 1802, les cabales dans les institutions musicales faisant alterner grâces et disgrâces. De même, l'opéra de Kreutzer qui le suit en 1810, Abel (renommé La mort d'Abel à sa reprise en 1825), était dès longtemps écrit.



c) Le débat et les controverses autour d'Abel

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Espoirs d'Adam, la suite (Pruvot).

¶ Toutefois le développement des oratorios prévus pour la scène profane de l'Académie Impériale de Musique – ou, suivant comment on veut l'appeler, de la matière biblique au sein des opéras – ne se fait pas sans protestations. Elles sont intéressantes car elles ne recouvrent pas exactement ce que le citoyen du XXIe siècle pourrait imaginer.

1) Il y a bien sûr la désapprobation – inévitable, logique, légitime – des autorités ecclésiastiques et d'une partie de l'opinion conservatrice : est-il bienséant de représenter des épisodes sacrés dans un but de divertissement ?  Non pas que ça n'ait pas déjà été le cas par le passé dans les mises en musique (il n'est que de penser à l'événement mondain qu'étaient devenues les offices de Ténèbres de la Semaine Sainte sous Louis XIV, conduisant au déplacement du culte la veille au soir, afin de permettre à la bonne société de s'y rendre plus confortablement !), mais le fait de le produire à l'Opéra empêche toute excuse hypocrite, et affiche sans ambiguïté la primauté du plaisir dans la démarche.

    À cela s'ajoute bien sûr la mauvaise réputation du lieu, peuplé de ces acteurs dont la mauvaise vie n'est pas seulement une légende urbaine. Même sous l'Ancien Régime, amourettes, rapts (Sophie Arnould !), prostitution animent la gazette des théâtres.

    Surtout, le sujet, qui est pourtant la matière même de la Foi (à une époque où les libres penseurs et les fidèles non chrétiens sont en quantité assez négligeable en France), est traité comme une matière fictionnelle. Avec deux implications graves : d'abord on enjolive, ajoute, déforme, contredit le texte sacré. Ensuite on le traite avec une certaine légèreté, on l'habille de stéréotypes – en somme, on le désacralise.

    Cette opposition du clergé à l'intrusion des acteurs dans le périmètre du sacré va culminer dans les années 1840 avec la déprogrammation de plusieurs Requiem (Cherubini et même Mozart…) et l'interdiction des femmes profanes dans la musique des cérémonies à Paris, jusqu'à ce que finisse par s'imposer, sorte de compromis accepté par tous, l'oratorio d'église de la seconde moitié du XIXe siècle. (Œuvre extérieure au culte, où l'épisode biblique est enjolivé pour le rendre plus vivant ; cependant conçue pour être jouée dans un lieu de culte et en respectant globalement l'interprétation admise par l'Église. Par exemple les oratorios de Saint-Saëns et Massenet.)


2) Napoléon lui-même, averti trop tard de la mise au théâtre du sujet, laisse les répétitions aller à leur terme (mobilisant l'étonnant argument économique, à savoir que beaucoup d'argent avait déjà été investi dans la production) mais regrette explicitement, dans une instruction préfet du Palais, le choix du sujet :
« Puisque l’opéra de la Mort d’Abel est monté, je consens qu’on le joue. Désormais, j’entends qu’aucun opéra ne soit donné sans mon ordre. Si l’ancienne administration a laissé à la nouvelle mon approbation écrite, on est en règle, sinon non. Elle soumettait à mon approbation, non seulement la réception des ouvrages, mais encore le choix. En général, je n’approuve pas qu’on donne aucun ouvrage tiré de l’Écriture sainte; il faut laisser ces sujets pour l’Église. Le chambellan chargé des spectacles fera immédiatement connaître cela aux auteurs, pour qu’ils se livrent à d’autres sujets. Le ballet de Vertumne et Pomone est une froide allégorie sans goût. Le ballet de l’Enlèvement des Sabines est historique; il est plus convenable. Il ne faut donner que des ballets mythologiques et historiques, jamais d’allégorie. Je désire qu’on monte quatre ballets cette année. Si le sieur Gardel est hors d’état de le faire, cherchez d’autres personnes pour les présenter. Outre la Mort d’Abel, je désirerais un autre ballet historique plus analogue aux circonstances que l’Enlèvement des Sabines. »
Son premier objet relève clairement de la maîtrise des sujets par une censure a priori, mais y transparaît aussi son goût personnel qu'il entend imposer – pour l'« historique » et l'épique plutôt que pour le galant et le philosophique, sans grande surprise.
Son opposition à la représentation de sujets religieux n'est pas très claire : s'agit-il d'un respect religieux de principe (ça ne se fait pas) ou au contraire du désir de maintenir le clergé dans son pré carré et de ne pas le laisser se mêler de la société hors des églises ?  Peut-être est-ce même simplement le prétexte au rappel de son autorité : monter une pièce sans son aval fait courir le risque de lui déplaire.

Pour autant, les censeurs n'avaient pas laissé passé ces sujets à la légère, et pouvaient penser que l'analogie entre la noble figure d'Adam et la réalité de l'Empereur était désormais acquise. Ainsi pour La mort d'Adam de Le Sueur, l'année précédente, le rapport préalable de censure note avec satisfaction l'analogie entre l'apothéose d'Adam montant au ciel joint par Abel… et « l'âme de l'Empereur telle qu'il la suppose exister depuis six mille ans ». Il est vrai que le livret de Guillard s'en donne à cœur joie, parsemant d'accipitridés ses superlatifs astraux, qui ne laissent que peu de doute à ce sujet :
CHŒUR GÉNÉRAL
Un homme, un Dieu consolateur,
Doit rendre à l'homme un jour sa dignité première,
La foule des méchans fuira son œil vengeur,
Ils rentreront dans la poussière.
Ivres d'un vain ogueil, peuples ambitieux
Pensez-vous l'arrêter dans sa vaste carrière ?
Devant son astre radieux, que deviendra votre pâle lumière ?
Autant que l'aigle impérieux,
Plane au-dessus du séjour du tonnerre,
Autant, dans son vol glorieux,
Il domine en vainqueur sur votre tête altière.
[Ce fut le dernier livret de Guillard, au terme d'une carrière riche en œuvres qui marquèrent leur temps : Iphigénie en Tauride (Gluck), Électre (Lemoyne), Chimène (Sacchini), Les Horaces (Salieri), Proserpine (refonte de Quinault pour Paisiello.]


On rencontre cependant considérations plus inattendues que la foi, la bienséance ou la censure politique.


3) Étrangement, la critique a beaucoup réagi au sujet un peu triste : l'aspect religieux rend l'ensemble moins divertissant. De surcroît, il s'agit d'un épisode très sombre. On y regrette par exemple l'épopée plus lumineuse de Fernand Cortez de Spontini, à une époque où le goût pour l'exotisme s'incarne notamment dans le succès, la même année, des Bayadères de Catel. Peut-être faut-il y voir aussi une révérence pour le sujet sacré : contrairement à Robert le Diable, qui n'avait guère choqué (peut-être parce qu'il était davantage perçu comme un conte, ou une œuvre fantastique de pure fantaisie ?), cette Mort d'Abel a pu être prise plus au sérieux.


4) Mais le plus amusant (et le plus récurrent), qu'on trouve dans presque tous les papiers : le manque de ballets. « Oui Kreutzer a écrit une partition marquante et magnifique, mais quand même ça manque de jarret, il aurait pu mettre un peu moins d'Enfers et un peu plus de gargouillades », lit-on en substance un peu partout. (Et cela me divertit fort, tant notre goût majoritaire actuel, qui mise tout sur l'action, se situe aux antipodes de ces reproches : « drame trop fluide, on veut des temps morts qui servent à rien juste pour faire joli ».)  Le début du XIXe siècle est encore tellement XVIIIe, n'est-ce pas… foin des beaux vers, on veut des galanteries visuelles. [En réalité, Hoffmann a aussi été vertement tancé pour sa langue et sa versification, jugées trop relâchées. Mais le manque de détail sur ce point chez les critiques laisse penser que, de même qu'aujourd'hui, ils ne savaient pas forcément trop ce qu'ils racontaient…]


5) Plus anecdotique sur le fond comme dans la quantité de remarques dans la presse, la gêne visuelle (qui rejoint la réticence n°1) : le déguisement de nos ancêtres selon les textes sacrés, habillés à la mode des stéréotypes d'opéra, a plutôt provoqué scepticisme – et même, semble-t-il, sonore hilarité. Louis Nourrit, qui devient dès l'année suivante Premier Ténor de l'Opéra, y apparaît en Abel affublé d'une perruque blonde à bouclettes, ce qui paraît un cliché scénique peu adapté au contexte du sujet, et même assez incongru, assimilant cette première figure – tragique – de la victime expiatoire (et donc du Christ) à un petit Amour d'opéra-ballet.
    Ainsi, dans le Journal de l'Empire :
La frisure d'Abel qui paraît à la seconde scène a mis tout le monde en belle humeur ; de grands éclats de rire ont accueilli cette perruque blonde qui faisait un chérubin du fils d'Adam, et le rendait encore plus féminin, quoiqu'il ne soit pas de lui-même très mâle. […]
Je ne répéterai point ici ce que j'ai déjà dit sur la mauvaise figure que font nos premiers parents déguisés en héros d'opéra.
[Louis Nourrit, ancien quincailler formé à Montpellier, devient en 1811 premier ténor de l'Opéra. Ses fils, Adolphe et Auguste, firent aussi carrire de ténors. Tous les glottophiles connaissent le nom de Nourrit (surtout pour Adolphe), le grand ténor du temps (créateur de Robert, Raoul, Éléazar chez Meyerbeer et Halévy… suppléé puis remplacé par Duprez, qui apporte de Naples la technique nouvelle de l'ut de poitrine), à la fin tragique marquée par sa démission à l'arrivée de Duprez, la perte de sa voix lors de ses tournées en province, sa paranoïa (véritablement, au sens clinique), son suicide par défenestration en Italie où il connaissait à nouveau le succès.]


6) Enfin, un certain nombre d'autres polémiques (notamment l'accusation de plagiat de La mort d'Adam par Le Sueur) ont animé la réception d'Abel en 1810, puis de sa reprise en 1825 sous le titre La mort d'Abel. Elles concernent moins directement notre sujet autour de l'adaptation vétérotestamentaire et je les laisse de côté – les accusations de Le Sueur en particulier paraissent peu compatible avec la genèse séparée (et très antérieure aux représentations) des deux ouvrages. Mais quantité de papier a été noirci et d'inimitiés affirmées pendant ces débats.



d) Les choix du livret d'Abel

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Rejet des offrandes (Jean-Sébastien Bou).

Le livret de F.-B. Hoffmann présente plusieurs particularités dans le traitement de l'épisode.

L'épouse
    L'importance du rôle de son épouse Méala, qu'on avait déjà perçue comme angulaire chez Rolle, dans une esthétique toute autre, où elle avait cependant le même rôle : communiquer le point de vue de Caïn, assurer un pont compatissant entre le spectateur et l'assassin.

Les démons
    Le rôle des forces démoniaques dans ce premier crime est développé, on l'a vu dans l'épisode précédent, dès le XVIIe siècle, mais il prend ici une ampleur supplémentaire.
   
    On pourrait croire, à lecture du livret de 1823 – qui a fait l'objet d'une (splendide) version discographique – qu'en supprimant Satan / Lucifer, et le remplaçant par le démoneau Anamalec, le librettiste s'autorise une plus grande liberté de mouvement, et peut gloser dans les grandes largeurs le plan infernal de convaincre Caïn de tuer son frère.
    En réalité Anamalec – son nom, plutôt sous la forme Anamélech, est issu d'une divinité assyrienne mentionnée en 2 Rois 17:31 comme récipiendaire de sacrifices humains – n'est que l'envoyé sur terre des démons qui, au grand complet, se réunissent à l'acte II – supprimé à la reprise de 1823 car jugé trop uniforme. Hoffmann et Kreutzer font ainsi chanter Satan, Moloch, Bélial, Béelzébuth [sic] et « tous les démons ». On ne lésine pas. Et le public, comme pour Robert (cf. encadré infra), n'en fut pas très indigné – il a surtout protesté de l'uniformité musicale de cet acte « barbare » et du manque général de ballets.

    L'idée est la suivante : l'acte I voit les frères (brouillés avant le début de l'acte) se réconcilier, mais Anamalec trouble le sacrifice de Caïn (en renversant l'autel), qui se croit rejeté de Dieu. À l'acte II, le démoneau métèque vient raconter sa mésaventure à ses compagnons, qui lui mettent une ambiance d'Enfer. À l'acte III, Anamalec souffle à Caïn, déjà troublé, de mauvaises pensées, qui aboutissent au crime.

    On se trouve donc plus proche de l'esprit des Sorcières de Dido and Æneas, où les mortels vertueux sont induits en erreur par des sortilèges mesquins, que dans la grande explication du mystère de l'injustice divine et de la révolte humaine.

Caïn ou le tourment romantique
    La nouveauté la plus marquante ici est l'apparition d'un Caïn parfaitement romantique. Brouillé dès avant le rideau avec son frère, il exprime dès son entrée (après le tableau tendre entre Adam et Abel) un mal-être profond, une véritable haine de vivre, se plaint « de toute la Nature », reproche à ses parents leur préférence pour Abel ; sa femme rapporte ses nuits agitées, ses levers blessés par le soleil naissant… C'est une souffrance personnelle, liée à sa propre identité qui s'exprime, un sentiment de ne pas être bienvenu en ce monde, ni adapté aux sociétés qui l'accueillent.

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    Le drame infernal se greffe sur ce point de départ d'un détail psychologique impressionnant, se répandant en explicitations subjectives d'une souffrance dont la cause semble évanescente – chacune des dénégations tendres de sa mère, de son frère sont vécues comme de nouvelles affirmations de leur distance, de leur mépris.

    Je trouve ce point de vue assez marquant (et convaincant), une explication par l'identité de Caïn qui, cependant, ne le présente pas comme un être mauvais, mais souffrant – et attachant.

Une fin contredisant l'Écriture
    Le crime s'exécute à la massue, nous disent les didascalies, et pour la première fois, ce me semble, en scène, à la vue du public. La massue, le fragment d'arbre, est un motif couramment représenté comme moyen du crime – rien ne l'indique pourtant dans le texte d'origine, et le caillou, l'étranglement auraient pu paraître plus naturels, surtout dans un champ. (Évidemment, il existe d'autres traditions encore plus bizarres, comme la bêche ou la mâchoire de chameau, mais dans les mises en musique, quand l'instrument est précisé, j'ai surtout croisé la massue.)

    Face à sa famille, Caïn s'enfuit, défendant à quiconque de le suivre. Sa femme part cependant le retrouver, accompagnée de ses fils. Déploration générale sur Abel – et sur le sort qui attend tous les hommes, mortels.

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    Au lieu de la malédiction de Dieu sur Caïn (Genèse 4:11-12), Adam, implorant de ne pas punir davantage le coupable que son terrible remords, obtient d'un Ange la promesse de la montée bienheureuse au ciel d'Abel (pour qui l'on inaugure le Paradis) ainsi que le pardon de Caïn – les soins de son épouse et son repentir propre lui obtiendront le pardon céleste. Ce choix est cohérent avec le ton général du texte. Et très éloigné de la souffrance sans fin suggérée par la Bible hébraïque.

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    On atteint donc le sommet du processus de fictionnalisation qui, de même que pour les fins multiples qu'on essaie pour des opéras à succès, utilise la matière biblique comme une trame supposée assurer l'accueil favorable du public – le respect des Textes, et encore moins de leur message supposé, semble totalement facultatif.

    On est frappé, dans ce cadre, du débat très limité sur la question (les autorités religieuses n'étaient pas ravies, mais les journaux n'ont pas paru très outrés, tout au plus amusés de quelques incongruités dans l'apparence ou le verbe de ces Premiers Hommes).

    Ceci rejoint l'accueil uniment enthousiaste de Robert le Diable au début des années 1830, qui me laisse tellement perplexe – dans un cloître, le héros, fils d'un démon, culbute une nonne damnée sur un autel tout en dérobant la relique d'une sainte… !  Et tout ce que la presse retient, c'est la beauté des voix, le mystère de la musique, l'accomplissement de la danse, la force générale du tableau…  Je suppose que l'opéra était vraiment mis à distance comme une boîte à mythes, pour qu'il suscite aussi peu d'indignation sur des sujets par ailleurs aussi sensibles – on est alors à l'exacte époque où les femmes furent bannies des cérémonies funèbres parisiennes !  Malgré mes lectures, je n'ai jamais trouvé de réponse formelle à cette question.
    Si quelqu'un d'entre vous a un conseil de lecture pour trouver des réponses à cette perplexité, je lui en rends grâces avec transport !

Traitement personnel du sujet, donc, et le début d'une période où les adaptations feront passer au second plan la part édifiante et le lien à la cérémonie, voire à la foi !



e) La musique

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Strette du final de l'acte I (Jean-Sébastien Bou).

L'acte infernal est coupé à la reprise de 1823 (qui, seule, a fait l'objet d'une parution discographique). On lui reprochait son uniformité de caractère (vindicatif). Il faut dire qu'en y réunissant Anamélech, Satan, Moloch, Bélial, Bélzébuth et « tous les démons », le choix d'une musique dramatique pugnace s'imposait probablement.

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¶ Pour le reste, on est frappé au contraire par la grâce du début de l'œuvre, ce lever de soleil où Adam rêve à la réconciliation de ses fils, puis ménage un duo tendre avec Abel. Le personnage de Caïn, au contraire, tourmenté d'emblée, est forgé à la trempe gluckiste, s'ébrouant en récitatifs rageurs – mais tire aussi sur le romantisme naissant lorsque, seul face à la foule des premiers représentants de l'espèce, il éclate en imprécations beaucoup plus lyriques et élancées, qui contrastent avec la solennité du moment (les offrandes sacrées) et la terreur de l'assemblée.
    Cet ensemble final de l'acte I constitue peut-être le sommet de virtuosité musicale et émotionnelle de la partition. C'est aussi, dramatiquement, le terrible moment où se cristallise le futur, connu de tous les spectateurs. Dans ce grand concertato, la grammaire demeure très postgluckiste, tandis que l'usage des masses (orchestrale, chorale) et des contrastes avec les solistes, tandis que les émotions aussi, tendent clairement vers Fidelio. Saisissant.

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    Remarquables aussi, le mélodique sommeil de Caïn (bientôt troublé par les démons, à la façon d'Oreste chez Gluck), puis le duo discordant de l'acte III où Abel proclame son amour fraternel alors que Caïn l'implore de s'éloigner, tandis qu'il se sent en proie à une fureur croissante – les deux lignes s'entrelaçant simultanément.

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¶ Une très belle œuvre pour sa musique, pas toujours au même degré d'inspiration : je ne suis pas très impressionné par les interventions infernales du I et du III, qui n'atteignent pas les meilleurs modèles du genre, et refusent de se mélanger à l'action et au style musical des autres personnages. En revanche, tout le personnage de Caïn est servi par une musique électrisante, tandis que d'Adam émane une constante poésie. Réellement un jalon à découvrir.

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La version raccourcie de 1823 peut être entendue grâce à cette luxueuse parution du Palazzetto Bru Zane, riche appareil critique, et interprétation hors du commun sur instruments d'époque (Les Agrémens / van Waas), avec une équipe de chanteurs-déclamateurs exceptionnelle (Bou, Pruvot, Droy, Buet, Velletaz…).



Un peu au delà de mon sujet, je partage avec vous un peu de contexte sur les deux auteurs, figures importantes de leur temps dont la notoriété n'est peut-être pas telle qu'elle ne mérite un petit détour en ces pages.

f) Hoffmann

François-Benoît Hoffmann tire son nom (parfois graphié Hoffman) de son grand-père qui avait voulu, alors au service du duc de Lorraine, germaniser son patronyme Ébrard. Ni ascendances germaniques, ni nom d'auteur.

Renonçant à des études de droits à cause de son bégaiement, il marque un quart de siècle (1786-1810) par ses drames de natures assez variées.

Révélé par son adaptation de Phèdre pour Lemoyne (1786), ce sont en effet surtout ses grands drames à l'antique, brillant moins par un verbe particulièrement acéré que par violence crue de ses situations (Adrien puis Ariodant de Méhul, Médée de Cherubini), qui sont restés dans les esprits.
    Beaucoup de collaborations avec Méhul, dans tous les genres : la tragédie postgluckiste avec Adrien, l'opéra-comique très sérieux avec Stratonice et Ariodant, la comédie ambitieuse avec Euphronise ou le Tyran corrigé, la comédie plus légère avec Le jeune sage et le vieux fou, Bion, Lisistrata ou les Athéniennes, Le Trésor supposé ou le danger d'écouter aux portes…
    Pour Dalayrac, il adapte Radcliffe avec Léon ou le Château de Monténéro (drame lyrique) et La Boucle de cheveux (comédie en un acte mêlée d'ariettes).
    Pour Kreutzer, il écrit Le Brigand (opéra-comique en trois actes, 1795) et Grimaldi (comédie en trois actes, 1810), en plus de cet Abel dont le poème fut jugé peu gracieux par la critique.

Le garçon était réputé pour son indépendance, refusant de modifier Adrien (très favorable à la monarchie, en 1792), se retirant de la vie publique pour ne pas être influencé en écrivant ses critiques de livres à partir de 1807 (pour le Journal de l'Empire, futur Journal des Débats), et refusant de briguer l'Académie française.



g) Les accomplissements de Kreutzer

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Duo fratricide, l'avertissement (Sébastien Droy, Jean-Sébastien Bou).
Entendez la prémonition des basses agitées lorsque Caïn cherche à s'exprimer.


    Rodolphe Kreutzer (1766-1831), à ne pas confondre avec Conradin Kreutzer (compositeur d'opéras allemands, un peu plus jeune), est le fils d'un musicien (Fétis dit d'un violoniste de la chapelle royale, David Charlton – qui a sans doute raison – d'un souffleur des Gardes Suisses du duc de Choiseul, certes professeur de violon à Versailles mais pas employé à la chapelle). Violoniste prodige formé par Stamitz, il se produit au Concert Spirituel dès l'âge de treize ans, où il fait sensation. Il devient premier violon de la chapelle royale, puis en 1789 violon solo pour le Théâtre Italien.

    Sa carrière de compositeur en découle logiquement : on lui commande d'abord un concerto pour violon pour le Concert Spirituel en 1784, puis des opéras. Fétis le décrit comme un autodidacte de la composition très inspiré – et progressivement affadi, à l'époque d'Abel donc, par la science qu'il acquiert tardivement.

    Il compose ainsi sur des sujets très divers :

♦ 1790 ♦ Jeanne d'Arc à Orléans (drame historique mêlé d'ariettes, Comédie-Italienne), étonnant sujet à la fois sacré et patriotique, en 1790 (quel temps plein de surprises) ;

♦ 1791 ♦ Paul & Virginie (comédie en prose mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne), son premier succès (avant Lesueur sur le même sujet au Théâtre Feydeau en 1794) ;

♦ 1792 ♦ Charlotte & Werther (comédie en un acte, Comédie-Italienne), un Werther assez précoce donc (pas autant que Pugnani), et manifestement comique (?), que je serais bien curieux de lire ou d'entendre ;

♦ 1792 ♦ Lodoïska ou les Tartares (comédie en prose mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne), sujet (tiré du Chevalier Faublas) où s'est également illustré Cherubini l'année précédente ;

♦ 1792 ♦ Le Siège de Lille (comédie en prose mêlée de chants, Théâtre Feydeau), sur un sujet d'actualité tout frais ;
→ en effet quelques jours après Valmy, à la toute fin de septembre 1792, les troupes du Saint-Empire (à qui l'Assemblée législative, sur proposition de Louis XVI, avait déclaré guerre, en avril) mettent le siège devant Lille – qui s'achève le 5 octobre. L'opéra de Kreutzer est créé le 14 novembre !  Je n'ai pas eu accès à la partition et j'ignore si, comme dans l'opérette ultérieure de Francosi (1858), le Barbier Maes – resté célèbre pour son flegme, continuant à raser ses clients dans la rue avec l'éclat d'obus qui venait de ruiner sa maison – y joue déjà un rôle.

♦ 1792 ♦ Le franc Breton (comédie en un acte, Comédie-Italienne) ;

♦ 1792 ♦ La journée de Marathon (musique de scène) ;

♦ 1793 ♦ Le déserteur de la montagne de Ham (« fait historique », Comédie-Italienne) ;

♦ date ? ♦ La Prise de Toulon par les Français (opéra, jamais représenté) ;

♦ 1794 ♦ Encore une victoire ou Les Déserteurs liégois (impromptu en un acte, Opéra-Comique), encore une œuvre de circonstance ;

♦ 1794 ♦ Le congrès des rois (Comédie-Italienne), grande collaboration collective de 12 compositeurs, à composer en 2 jours, commandée et ordonnée par le Comité de Salut Public. Y contribuent Grétry, Devienne, Méhul, Dalayrac, Cherubini, Berton, L.-E. Jadin, Trial, mais aussi les moins illustres Blasius, Deshayes et Solié. L'argument raconte une rencontre imaginaire des rois d'Europe pour se partager la France, mais Cagliostro, envoyé du Pape, prend secrètement le parti de la France et terrorise les tyrans grâce à des jeux d'ombres (oui…) ;

♦ 1794 ♦ Le Lendemain de la bataille de Fleurus (impromptu, Théâtre Égalité) ;

♦ 1795 ♦ Le Brigand (drame en prose mêlé de musique, Opéra-Comique), une première collaboration avec F.-B. Hoffmann ;

♦ 1795 ♦ La Journée du 10 août 1792 ou La Chute du dernier tyran (opéra en quatre actes, Opéra), première commande, là encore de circonstance, pour l'Opéra ; on remarque la proximité temporelle extrême des commandes, même si un certain nombre contenaient peu de musique ;

♦ 1795 ♦ On respire (comédie mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne) ;

♦ 1796 ♦ Imogène, ou La gageure inscriète (comédie mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne) ;

Ici s'inscrit une césure (j'ignore s'il existe ici des ouvrages recensés que je n'ai pas aperçus, ou bien une raison dans sa carrière pour laquelle, par volonté personnelle ou faute de commande, rien n'a été proposée aux scènes parisiennes ni européennes).

♦ 1800 ♦ Le Petit Page ou La Prison d'État (comédie mêlée d'ariettes, Théâtre Feydeau), musique écrite en collaboration avec son ami Isouard – sur un livret de Pixerécourt, le grand maître du mélodrame (et plus tard directeur de l'Opéra-Comique dans les années 1820) ;

♦ 1801 ♦ Astianax (opéra en trois actes, Opéra), première œuvre du plus haut genre, issu de la tragédie gluckiste à l'antique ;

♦ 1801 ♦ Flaminius à Corinthe (opéra en un acte, Opéra), à nouveau partagé avec Isouard. Abel a été écrit juste après Flaminius, mais comme pour La mort d'Adam de Le Sueur, les intrigues courtisanes d'Empire ont longtemps suspendu l'exécution de ces œuvres ;

♦ 1803 ♦ Le baiser et la quittance ou Une aventure de garnison (opéra comique, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1804 ♦ Harmodius et Aristogiton (tragédie lyrique, jamais représentée), dont la partition est perdue ;

♦ 1806 ♦ Les Surprises ou L'Étourdi en voyage (Théâtre Feydeau) ;

♦ 1807 ♦ François Ier ou La fête mystérieuse (comédie mêlée d'ariettes, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1808 ♦ Jadis et aujourd'hui (opéra-bouffon, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1808 ♦ Aristippe (comédie lyrique, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1810 ♦ Abel (tragédie lyrique en trois actes, Opéra) ;

♦ 1810 ♦ Grimaldi (comédie en trois actes), à nouveau un livret dû à Hoffmann ;

♦ 1811 ♦ Le Triomphe du mois de mars (opéra-ballet en un acte, Opéra) ;

♦ 1812 ♦ L'Homme sans façon ou Les Contrariétés (comédie mêlée d'ariettes, Opéra-Comique)

♦ 1813 ♦ Le camp de Sobieski, ou Le triomphe des femmes (comédie mêlée de chants, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1813 ♦ Constance et Théodore, ou La prisonnière (opéra comique, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1815 ♦ La perruque et la redingote (opéra comique, Théâtre Feydeau), sur un livret de Scribe ;

♦ 1815 ♦ La Princesse de Babylone (opéra, Opéra) ;

♦ 1814 ♦ Le camp de Sobieski, ou Le triomphe des femmes (comédie mêlée de chants, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1814 ♦ Les Béarnais, ou Henri IV en voyage (comédie mêlée de chants, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1814 ♦ L'Oriflamme (opéra en un acte, pour l'Opéra), dont la musique est co-écrite avec Méhul, Paër et Berton ;

♦ 1816 ♦ Les dieux rivaux (opéra-ballet, Opéra), en collaboration avec Berton, Spontini et Persuis ;

♦ 1816 ♦ Le Maître et le Valet (opéra comique, Théâtre Feydeay) ;

♦ 1821 ♦ Blanche de Provence, ou La Cour des Fées (opéra en un acte, Palais des Tuileries) en collaboration avec Cherubini, Paër, Berton et Boïeldieu ;

♦ 1822 ♦ Le Paradis de Mahomet (opéra comique, Théâtre Feydeau), en collaboration avec Kreubé. Sur un livre co-écrit par Scribe et Mélesville (le librettiste de Zampa !), voilà qui rend très curieux ;

♦ 1823 ♦ La mort d'Abel, refonte d'Abel en 1823, toujours à l'Opéra, où l'acte II (entièrement infernal, ce qui fut très critiqué en son temps pour sa monotonie, quoique spectaculaire) est supprimé.

♦ 1824 ♦ Ipsiboé (opéra, Opéra) ;

♦ 1824 ♦ Pharamond (opéra, Opéra) avec Berton et Boïeldieu ;

♦ 1827 ♦ Matilde (jamais représenté).

Également plusieurs ballets-pantomimes : Paul et Virginie (1806, Théâtre Impérial de Saint-Cloud – réutilise des fragments de son opéra, et le succès est tel que l'œuvre reste 15 ans à l'affiche), Les Amours d'Antoine et Cléopâtre (1808, à l'Opéra), L'heureux retour (1815, à l'Opéra) ; La Servante justifiée ou La Fête de Mathurine (« ballet villageois » de 1818, à l'Opéra), Le Carnaval de Venise ou la Constance à l'épreuve (1816, à l'Opéra ; refonte en 1817), Clari ou la Promesse de mariage (1820, à l'Opéra).

Pièces très légères, œuvres de circonstance, productions collectives, tragédies à l'antique, comédies d'Histoire, adaptations de succès littéraires (Bernardin, Goethe…), son spectre couvre un très large éventail de sujets. Pourquoi ce tour d'horizon ?  On voit qu'il n'était en tout cas pas spécialisé dans la musique sacrée, et que son approche du livret, fût-il tiré de l'Écriture, était nécessairement marquée par son expérience de la scène la plus quotidienne et profane qui soit. Changement d'approche considérable par rapport aux compositeurs des siècles précédents, qui avaient beaucoup fourni pour l'église, et pour lesquels l'oratorio entrait dans la démarche de compléter le culte, de remplir une fonction de représentation plus vivante d'épisodes sacrés, ou dans le cas le plus osé, de divertissement édifiant. Ce n'était pas pour eux une matière autonome et indifférenciée au même titre que les événements historiques de la Grèce et du Moyen-Âge, les romans, les événements de l'actualité…



h) La notoriété de Kreutzer

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Duo fratricide, le dénouement (Droy, Bou).

    Sa postérité fut faite, étrangement, non par ses œuvres, mais par ses relations. Bien que violoniste admiré de tous, co-auteur de la Méthode de violon du Conservatoire (avec Baillot et Rode), professeur de violon au Conservatoire de Paris sous l'Empire, Maître de la chapelle du Roi sous la Restauration, directeur de la musique à l'Opéra (1824-1826), auteur d'une quarantaine d'études pour son instrument, de concertos, fournisseur prolifique de drames musicaux pour les opéras parisiens (je lis qu'on atteindrait la quarantaine de titres)… ce n'est pas ainsi que son nom est demeuré dans l'histoire, mais plutôt grâce à son bon caractère.

    Ainsi Spohr écrit-il que les frères Kreutzer sont les plus cultivés de tous les violonistes parisiens… Mais surtout, Kreutzer a la bonne idée de se rendre à Vienne dans les bagages de Bernadotte en 1798. Il y est chargé de récupérer des manuscrits de musique italienne pour les ramener à Paris.

    Parmi ses rencontres à cette occasion : Beethoven. Celui-ci écrit à son éditeur Simrock « Ce Kreutzer, est un bon cher homme ; il m'a causé beaucoup de plaisir pendant son séjour ici. Sa simplicité et son naturel me sont plus chers que tout l'extérieur sans intérêt de la plupart des virtuoses. »
    Il l'a aussi entendu jouer, et lui dédie à sa publication en 1805 sa sonate violon-piano n°9, devenue l'une de ses plus célèbres, et commercialisée ensuite sous le nom de Sonate à Kreutzer. Il est amusant de noter que ce fut manifestement fait sans le mentionner au dédicataire, qui ne joua probablement jamais l'œuvre en question – il est de retour à Paris dès 1798, et les deux hommes n'ont pas correspondu.

    À partir de là, la gloire appelle la gloire. Tolstoï fait jouer cette sonate à l'un des personnages d'un de ses romans, qui en prend le titre. À son tour, Janáček, écrivant un quatuor inspiré de Tolstoï, sous-titre son premier quatuor à cordes « Sonate à Kreutzer ».

    Quarante opéras pour être finalement célébré à travers le nom d'une sonate qu'on n'a jamais seulement lue… ainsi va la notoriété.




Je n'ai guère trouvé mon compte avec Caïn par la suite du XIXe siècle, mais il nous faudra au moins un épisode pour évoquer sa réapparition (beaucoup plus prolifique) au vingtième siècle, davantage comme symbole, on s'en doute, qu'en tant que sujet liturgique ou même édifiant.

À très bientôt, donc ! 

mardi 16 janvier 2018

Les deux Psyché de LULLY


Psyché de LULLY constitue un cas intéressant à la fois historiquement et dramaturgiquement – un peu moins musicalement, j'y viens.

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Scène de l'enclume. Travaux des Cyclopes édifiant le palais de l'Amour pour Psyché
Version de Paul O'Dette & Stephen Stubbs chez CPO.




1. Isis ou l'Apocalypse

Lorsque LULLY et Quinault présentent leur dernière création en 1677, Isis, c'est la catastrophe : l'intrigue de la persécution de l'amante (Io, devenant par la suite Isis) de Jupiter – lequel finit, en guise de dénouement heureux, par promettre de renoncer à l'amour ! – est lue à la Cour comme la transposition mythologique de l'emprise prédatrice de la Montespan sur ses rivales.

L'interprétation est si répandue que l'œuvre est interdite et le librettiste Philippe Quinault forcé à l'exil – brièvement : en 1680, il donne Proserpine, seuls deux opéras de LULLY lui auront échappé !



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2. Genèse précipitée de Psyché II

Pour le nouvel opéra, composé à la hâte pour le remplacer (en trois semaines, semble-t-il !), on fait appel à Thomas Corneille (cadet de Pierre), qui réutilise le livret de Molière pour la tragédie-ballet Psyché de 1671 (écrite avec Quinault et Pierre Corneille pour LULLY). Cette première Psyché est antérieure à la première tragédie en musique, Cadmus (1673) ; ce n'est pas encore un opéra, plutôt une musique de scène, où des tableaux musicaux alternent avec les tirades parlées.

Le but est d'écrire un livret qui lie tous les divertissements déjà écrits par LULLY (plus de la moitié de la musique finale de cette seconde Psyché), ce qui explique le caractère moins affermi du style (qui évolue beaucoup entre Cadmus et Isis, entre Isis et Amadis), l'inclusion d'un divertissement italien, l'aspect plus décoratif des différents divertissements, nourrissant moins l'intrigue qu'ils ne s'y apposent.

Ainsi, de cette genèse compliquée provient sans doute le caractère moins serré de l'intrigue, entrecoupée de nombreux divertissements plus pittoresques que dramatiques, dont ce grand lamento italien du I, un hapax dans les tragédies en musique de LULLY.

Peut-être à cause de cela, du manque de variété des situations (Psyché est passive et victime de bout en bout), on ne peut pas y écrire les mêmes élans ni les mêmes dilemmes que chez un héros actif comme Cadmus, Admète, Thésée, Atys, Bellérophon, Cérès, Persée, Phaëton, Amadis, Angélique ou Armide… Seul Isis est ainsi fondé sur la victime principale, à ceci près que ses pérégrinations apportent beaucoup plus d'animation et de pittoresque.



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Psyché ou la conspiration du fard.
Quoique les articulations de l'intrigue soient sensiblement identiques, le ton de l'opéra est complètement différent du roman de La Fontaine (et autrement sérieux), passant à côté de beaucoup des charmes du sujet.
Gravure de Raphaël Sanzio-Marc-Antoine (1939) pour le roman.



3. Synopsis

Prologue :
Cas très rare (unique dans LULLY) où le Prologue constitue non seulement une annonce directe (comme dans Atys, dont l'histoire est introduite par Melpomène en personne), mais tout de bon une partie de l'action. Flore, Vertumne et Palémon nous apprennent la jalousie de Vénus ; plus spectaculaire encore, celle-ci vient en personne annoncer son désir de se venger – seul cas que j'aie lu où un personnage du Prologue est aussi un personnage principal de l'intrigue.

Acte I :

Les sœurs de Psyché parlent du serpent qui ravage le royaume et des offrandes qu'est allé porter Psyché elle-même. On leur annonce l'oracle qui réclame le sacrifice de leur sœur. [Plainte d'un groupe en italien.] Elles se retirent sans oser l'en avertir. Malgré les plaintes de son père, Psyché se rend au sacrifice.

Acte II :

Le palais est en construction pour l'Amour qui a sauvé Psyché. Vulcain et les Cyclopes travaillent. Dispute conjugale sur la fidélité entre Vénus suspicieuse et Vulcain cornu. Psyché rencontre l'Amour, qui prend forme humaine (un chanteur ténor remplace alors la chanteuse qui chante, selon la tradition, l'Amour) tout en défendant à Psyché de chercher à le voir sous sa forme véritable.

Acte III :
Vénus tend son piège et propose la lampe fatale sous un déguisement, lampe avec laquelle Psyché, conformément au cœur du mythe, découvre l'apparence de l'Amour et le réveille par mégarde. Vénus revient se révéler et s'enorgueillir de sa victoire. Cependant, si Psyché ramène la boîte des secrets de beauté de Proserpine depuis les Enfers, elle sera pardonnée. Psyché veut se suicider dans le Fleuve, mais le dieu qui l'habite lui offre son aide pour pénétrer aux Enfers.

Acte IV :
Quoique tourmentée par démons et Furies, Psyché découvre que l'Amour a intercédé pour elle, et on lui remet le présent.

Acte V :
Psyché, soucieuse de raviver sa beauté, ouvre la boîte et s'évanouit. Vénus se moque à nouveau d'elle, mais Jupiter intervient, élevant Psyché au rang d'immortelle, ce qui satisfait soudain la déesse. Réjouissance générale.



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Persécution des Furies.



4. Implications sur le livret

Les personnages de la version de 1671 sont conservés et l'action sensiblement identique, en revanche les caractères se révèlent considérablement simplifiés ; les sœurs ne sont plus vaniteuses (ni drôles) ; le roi ne se répand plus en de nobles discours théoriques sur la douleur… tout est réduit à sa plus simple expression. On est passé du théâtre parlé au format beaucoup plus concis du livret d'opéra.

Ce caractère stéréotypé de l'expression théâtrale lyrique avait été théorisé par Quinault : il est indispensable de comprendre le texte, aussi, si un mot échappe, il faut que les expressions puisent dans des formules figées, faciles à retrouver même si la diction fait défaut.

Il est à noter que Fontenelle a ensuite, comme pour Bellérophon l'année suivante (où s'était en plus incrusté Boileau), revendiqué la paternité du livret délégué par son oncle Thomas Corneille après en avoir élaboré le plan. Il est un fait que l'œuvre n'a pas paru dans l'édition d'époque du théâtre complet de Th. Corneille, tandis que celle, plus tardive, forcément, de Fontenelle, les inclut.
[Au demeurant, ils peuvent bien se les disputer par postérité interposée : ce ne sont des livrets à la gloire ni de l'un ni de l'autre, surtout Psyché, considérant les chefs-d'œuvre qu'ils ont par ailleurs produits : Médée pour le premier, Énée & Lavinie pour le second…]



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5. Moments musicaux

Malgré l'atmosphère de plainte un peu uniforme, l'assemblage disparate des numéros musicaux (même s'il est abusif, pour le LULLY d'après Cadmus, de parler de numéros, les alternances entre récitatif et airs étant de plus en plus lissées), la qualité moindre de l'inspiration, Psyché a ses beaux moments :

► Acte I :
    ● Trio de plaintes « Pleurons » (les sœurs Aglaure & Cidippe, et Lycas, qui apporte la nouvelle), le plus bel ensemble de l'œuvre – pas le plus original de LULLY, mais très poétiquement réalisé sur une durée respectable.
    ● La longue plainte italienne (une femme affligée, et deux hommes affligés qui la rejoignent par moment). Je n'aime pas beaucoup ce passage très décoratif, mais ce fut un hit à l'époque (justement l'un des arguments de vente de Psyché tragédie en musique que cette reprise de l'un des succès de Psyché tragédie-ballet) ; par ailleurs son décalage avec la langue générale, sa durée le rendent très remarquable. Le seul import italien dans un opéra de LULLY (on en trouve plus tard – 1693 – dans Médée de Charpentier, en revanche).
    ● L'échange entre Psyché et le roi, qui lui annonce la nouvelle. À mon sens (mais les réguliers savent combien mon goût est déviant) le grand moment fort de l'œuvre, très bien écrit – la situation bien sûr, mais aussi les mots pudiques et intenses du père, le courage stoïque de Psyché –, et, également, le récitatif le plus animé, le plus mélodique de toute l'œuvre.

► Acte II :
    ● L'atelier des Cyclopes, avec ses figuralismes d'enclumes, un moment aussi unique dans le corpus que le fameux Chœur du Froid d'Isis.
    ● La scène de ménage la plus violente de LULLY : Vénus vient quereller Vulcain qui se met au service d'une autre femme, sa rivale, en lui bâtissant un palais alors qu'elle aurait dû mourir ; mais celui-ci lui jette à la figure qu'elle a beau jeu de se sentir lésée après l'avoir si souvent complaisamment cornufié. Ce dure un petit moment.
    ●● Il faut attendre les retrouvailles de Cham et de sa femme partie avec un ange déchu dans une nouvelle Sodome (!) dans Noé de Halévy & Bizet, ou le vingtième siècle, avec des situations réalistes de jalousie domestique, comme Intermezzo de R. Strauss ou Von Heute auf Morgen de Schönberg, pour rencontrer un tel emportement conjugal. [Il y a bien quelques maris vengeurs chez Martin y Soler ou Rossini, mais c'est dans un cadre plus formel de retour à l'ordre, et non pour goûter le simple plaisir de la vaisselle brisée – ici, rien n'est résolu, pur échange de noms d'oiseaux.]
    ●● Elle semble faire écho à celle d'Isis, où Mercure badine avec Iris pour la détourner de sa mission, causant tous deux à demi-mot d'amour avant de s'aviser du stratagème et d'en retourner à leurs devoirs concurrents, boudant. Néanmoins, contrairement à Isis, cette scène ne me paraît pas musicalement particulièrement marquante, ni même aussi savoureuse dans les mots.

► Acte III :
    ● De même que le monstre et le sauvetage de Psyché ont été étrangement abandonnés dans l'interstice entre les actes I et II (alors que la tragédie en musique est précisément conçue pour accueillir le merveilleux invraisemblable et le théâtre à machines !), la scène-clef de la lampe (et les doutes qui la précèdent) apparaît comme particulièrement peu spectaculaire, y compris dans son traitement musical.
    ● On retrouve cette confrontation mi-tragique mi-comique (elle existe aussi dans le dépit jaloux de Sangaride & Atys à l'acte IV d'Atys) dans la nique que fait Vénus à sa rivale, à la fin de l'acte III, avec des réponses non dénuées d'insolence chez Psyché, ce qui allège quelque peu la solennité du moment (elle tente de se suicider juste après, tout de même). Au demeurant, il ne se passe pas grand'chose musicalement ici.

► Acte IV :
    ● Le trio des Furies est très réussi, court, uniquement un numéro musical, mais écrit dans la meilleure veine des ensembles LULLYstes. LULLY a écrit une scène de ce genre infernal pour tous ses opéras, sous des formes diverses (remplacés par la malédiction de Mars à la fin du III de Cadmus). Celle-ci, à défaut d'être probante dramatiquement (collage assez maladroit d'une mission sans lien avec l'intrigue, rien que pour ménager un acte – très court d'ailleurs – dans les Enfers), se distingue musicalement.

► Acte V :
    ● Belle chaconne finale – uniquement instrumentale, mais déjà témoin du style de la maturité, non sans parenté avec celle à venir de Phaëton (1683).



psyché
Itinéraire bis suggéré par La Fontaine : au lieu du Fleuve, la barque de Charon.



6. Raisons d'une absence

On peut comprendre que, considérant qu'on ne disposait pas avant l'intégrale en cours de Rousset, culminant en 2010 par l'indispensable résurrection par Les Talens Lyriques de Bellérophon (qui n'avait pas été joué depuis 1911 à Rouen, semble-t-il !), ni avant les deux disques d'O'Dette & Stubbs (Thésée et Psyché II, donnés quelquefois, jamais gravés), de la totalité des opéras de LULLY, cette Psyché, probablement le moins bon opéra de LULLY, ait été négligée par les ensembles spécialistes. Thésée avait au moins pour lui d'être l'opéra le plus joué en France jusqu'au premier tiers du XVIIIe siècle – et de débuter de façon complètement extraordinaire (avant de devenir irrémédiablement ennuyeux pendant quatre actes, trouvé-je).

Les arguments pour monter Psyché, dans un secteur de niche où il y avait de toute façon beaucoup de chefs-d'œuvre à jouer, étaient raisonnablement moindres.

À ce jour, on n'a eu que Malgoire en 1987 à Aix (à une époque où Malgoire jouait le baroque français de façon que nous trouvons peu musicologique aujourd'hui), O'Dette & Stubbs à Boston en 2007 (d'où émane le disque CPO, avec tout de même Carolyn Sampson, Karina Gauvin, Mireille Lebel et Olivier Laquerre) et des extraits à l'église luthérienne Saint-Pierre à Paris en 2010 par l'ensemble semi-pro Les Muses s'aMusent (j'y étais !). Christie n'a joué, en 1999, que Psyché I. Il manquait donc vraiment une version complète contrairement aux Muses et un peu plus ardente qu'O'Dette & Stubbs.

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Adieux de Psyché.



7. Un projet et une représentation au CRR de Paris

Cette notule vient après avoir entendu, non pas le disque O'Dette / Stubbs (tout à fait valable et valeureux, mais assez peu incarné : déclamation peu mise en avant, voix banales, maintien raide des récitatifs, couleurs un peu grises), mais après une représentation donnée au CRR de Paris par des étudiants du CRR en chant et danse, avec un orchestre issu des CRR de Paris et Versailles, mais aussi du Pôle Supérieur de Boulogne-Billancourt et du Conservatoire Départemental d'Orsay – c'est-à-dire quelques-uns des meilleurs lieux de formation à cette musique (le CRR de Cergy et à plus petite échelle le Conservatoire d'arrondissement de Paris VIIe font aussi ce travail de spécialisation et de formation de la future élite baroque française).

Préparés par Patrick Cohën-Akenine, dirigés par Stéphane Fuget, avec mise en scène (Manuel Weber), chorégraphie (Sabine Ricou), gestuelle et prononciation restituées (Lisandro Nesis), c'était un travail très complet qui était offert. Mieux qu'un travail, une véritable représentation de niveau professionnel.

Double défi que celui de produire un travail de cette qualité, et de le mettre au service d'une œuvre par essence plus difficile. Avec les niveaux en présence, on pouvait s'assurer un succès facile avec un Giulio Cesare ou un Don Giovanni. Merci d'avoir été au bout de la démarche.



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Début du fugato de l'Ouverture – à cinq parties, caractéristique de l'écriture à la française, prévue pour les 5 familles de violon.



8. Moyens instrumentaux

Car c'est une immersion totale : les jeunes musiciens jouent sur les 24 Violons du Roy (d'où la présence capitale de Patrick Cohën-Akenine) prêtés par le CMBV, c'est-à-dire avec les 6 dessus, 4 hautes-contre, 4 tailles, 4 quintes et 6 basses de violon, tous différents des violons, altos et violoncelles actuels, avec une tenue par ailleurs plus basse de l'instrument comme des archets ; même les basses de violon voient leur prise d'archet avancée un peu plus vers le centre de la baguette. Avec cela, un continuo de 2 violes de gambe et 1 basse de violon, avec jusqu'à 4 théorbes dans les tutti (1 en temps de récitatif) et bien sûr clavecin et orgue positif.

Je n'aime pas trop ce dispositif, qui privilégie le fondu par rapport à l'instrumentarium traditionnel plus aéré, où les lignes paraissent plus indépendantes, mais ce trait n'était finalement que peu audible, eu égard à la qualité de l'exécution.



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Déploration de Lycas et des sœurs.



9. Moyens scéniques

Sur scène aussi, restitution : rhétorique gestuelle d'époque et, c'est plus frustrant, la prononciation restituée du français – autant j'aime beaucoup la discipline qu'elle implique dans la pensée de la langue parlée (je ne rechigne pas moi-même, on vous le dira, à réciter Saint-Amant en public en prononciation Louis XIII), autant dans la musique chantée, où le compositeur a déjà contraint le galbe de la parole, elle ajoute surtout à l'inintelligibilité, et conduit les voix à décentrer leur placement. Alors qu'on dispose de jeunes artistes francophones qui pourraient nous proposer un français limpide, le résultat est généralement un peu grimaçant, sauf chez quelques rares spécialistes.

Mais cette représentation est aussi l'aboutissement d'un parcours de formation : les instrumentistes pourront être amenés à jouer sur des copies d'instruments assez différents de leur cui-cui traditionnel et les chanteurs n'échapperont pas, un jour ou l'autre, à une production en restitué.

Plus gratifiant pour le public, véritable travail sur les agréments et ornements chez les chanteurs, très abouti, avec de véritables diminutions très belles et cohérentes, des accents expressifs maîtrisés comme chez les meilleurs spécialistes, bravo.
[Ayako Yukawa (Vénus) osait ainsi un chant presque parlé, représentatif de ce qu'on peut lire des écrits du temps sur la façon des Français de ne pas vraiment chanter.]



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Vulcain exhorte les Cyclopes au Palais d'Amour.



10. Quelques chanteurs

Autre point très positif : aucun chanteur médiocre (on avait un peu souffert précédemment avec des voix diversement abouties, dont un ténor pas du tout en maîtrise qui tenait les rôles exposés de haute-contre dans du Campra…), tous (issus pour la plupart des classes d'Isabelle Poulenard et Howard Crook, je suppose) maîtrisent les principes du chant, et un certain nombre que je vais saluer en particulier peuvent même espérer une très belle carrière, au moins dans ce répertoire !

        ∆ Claire-Élie Tenet (Psyché) était annoncée souffrante, et en effet, elle devait s'accommoder d'une émission voilée qui n'irradiait pas comme dans la récente Messe en si mineur de Lioncourt ; je crois néanmoins que la voix a des qualités a faire valoir dans un répertoire plus lyrique – ductile avant d'être déclamatoire. J'ai hâte de la réentendre dans son état

    ∆ Apolline Ray-Westphal (Vertumne et l'Amour), très finement focalisée, claire, sonore, bien incarnée dans le détail des mots, un régal et une voix déjà prête pour la carrière dans ce répertoire.

    ∆ Aussi remarqué Anaelle Le Goff (Cidippe, la seconde sœur), superbe halo vocal dans une tessiture pourtant très basse pour un soprano. Reste à affermir la déclamation (mais la diction est saine, en réalité, et parvenir à maintenant la liberté des voies aussi bas, chapeau).

    ∆ Je n'aime pas beaucoup l'interminable plainte italienne ; d'autant plus impressionné par la densité (du timbre, de l'expression) de Marie Théoleyre qui magnétise cette scène.

    ∆ Chez les Messieurs, trois basses assez exceptionnelles : le noble Fleuve de Guillaume Vicaire, l'Affligé et la Furie d'Antoine Amariutel (voix de basse complètement timbrée, il est prêt techniquement, on va se l'arracher, ces voix sont rares), le Roi d'Eudes Peyre, très sûr, mais avec un aigu allégé et éclairci, qui lui permet de phraser avec plus d'expression, idéal ici, dans ce récitatif – plus beau moment de tout l'opéra.
        On était loin des natures généreuses et mal domestiquées des habituels étudiants basses. Et vu la disette de ce type de voix dans ce répertoire… je me souhaite de les revoir.

    Enfin, Maxim Jermann, ténor prometteur pour ce répertoire : l'aigu, quoique facile, se pare de belles résonances pharyngées façon Auvity… Les notes (dans une tessiture haute très difficile) sont sans tension ; un véritable caractère vocal se dégage, c'est précieux (et rarissime chez les ténors).

J'espère les réentendre souvent – c'est qui est arrivé à Eugénie Lefebvre et Hasnaa Bennani peu de temps après une superbe production du Pouvoir de l'Amour (opéra-ballet de Royer) du CRR – où je les avais aussi distinguées.

Ce spectacle sera redonné à la salle des fêtes de Saint-Prix (Val d'Oise) dimanche 21 janvier. LULLYstes, allez-y.

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Adieux de Psyché.



11. Le son

Conclusion : il nous manquait une version pleinement représentative de cette œuvre non sans pièges –  que nous pouvons considérer avoir désormais (en dépit du raccourcissement de l'acte V, d'où disparaissent Mars, Mome, Silène et les Satyres !).

[C'est mal, j'en conviens mais je me suis fait une copie à fins personnelles, hors de question de ne pas pouvoir réécouter ça !]


Comme je n'ai pas eu de réponse des concernés pour diffusion d'extraits (dommage, tout à leur gloire) et que je n'aurai pas le temps avant quelques jours de les retirer et remplacer si jamais c'est le drame, ce seront des extraits du disque CPO. Il faudra donc vous déplacer pour entendre leurs voix.

Et merci à P. L. et Érik sans qui, malgré ma veille minutieuse, ce moment immanquable aurait échappé !



psyché
Chez La Fontaine, Psyché – plus futée – apaise Cerbère pour entrer aux Enfers, dont la mythologie fait finalement un véritable moulin (Orphée y part en balade, Pollux va y faire son marché, sans parler d'Alcide qui y passe son temps libre pour une raison ou une autre).



12. Sur Carnets sur sol

Je vous invite bien sûr à vous replonger dans les notules LULLY, en particulier celle qui récapitule les caractéristiques dramaturgiques, les moments forts musicaux et les versions discographiques de tous ses opéras.

Il existe aussi deux entrées consacrées à d'autres Psyché : inédit d'Ambroise Thomas et ballet de César Franck.

jeudi 4 août 2016

Diagonale : la Marseillaise, Damase, Eugène Sue et l'Eurovision


A. Jean-Michel Damase à la Fête Nationale

Nous sommes le 14 juillet. Comme chaque année, je réécoute mon hymne national fétiche, la marche des Trois Couleurs de Jean-Michel Damase, tirée de son opérette (« feuilleton musical en deux actes ») Eugène le mystérieux (1963 ; création 1964). Les autres années, j'avais proposé la Marseillaise en hongrois (2011), m'étais interrogé sur les usages de l'hymne national en concert (2012), ou sur la semi-honte qui entoure la Marseillaise (2015).

Et donc, comme à chaque fois, je me pose des questions. En réécoutant le reste de la pièce, je m'interroge encore sur cette petite soprane qui a décidément une technique très différentes des voix d'opéra qui l'entourent. On l'entend très bien : le larynx haut, les voyelles ouvertes, à l'occasion un peu de souffle entre les cordes ; par ailleurs, si le timbre est éclairci et enfantin au maximum, elle chante plutôt en voix de poitrine (la voix de tête est réservée aux aigus, contrairement à la tradition lyrique)… un style (l'expression prime sur le legato) et une technique qui évoquent davantage l'univers de la chanson. Sans doute moins sonore que ses compères, elle est aussi manifestement captée de plus près.

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(Ariette des fleurs.)

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(Quatuor de la mauvaise éducation – avec Michel Cadiou en Rodolphe et Dominique Tirmont en Chourineur.)

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(Ariette de la déveine.)

Elle chante ici Fleur-de-Marie, héroïne des Mystères de Paris d'Eugène Sue, la source de cette opérette : air de présentation, trio de l'éducation, air de la malchance. Il est assez amusant que le texte de Marcel Achard (le librettiste), tout en refusant l'onomastique proposée par Sue, prenne autant la peine d'insister sur le fait qu'elle n'est qu'une petite fleuriste tandis que les autres filles vendent leur petite fleur, puisque c'est insister précisément sur ce qu'est, à l'origine, Fleur-de-Marie :

Par une anomalie étrange, les traits de la Goualeuse offrent un de ces types angéliques et candides qui conservent leur idéalité même au milieu de la dépravation, comme si la créature était impuissante à effacer par ses vices la noble empreinte que Dieu a mise au front de quelques êtres privilégiés.

La Goualeuse avait seize ans et demi.

[...]

La Goualeuse avait reçu un autre surnom, dû sans doute à la candeur virginale de ses traits… On l’appelait encore Fleur-de-Marie, mots qui en argot signifient la Vierge.

Pourrons-nous faire comprendre au lecteur notre singulière impression, lorsqu’au milieu de ce vocabulaire infâme, où les mots qui signifient le vol, le sang, le meurtre, sont encore plus hideux et plus effrayants que les hideuses et effrayantes choses qu’ils expriment, lorsque nous avons, disons-nous, surpris cette métaphore d’une poésie si douce, si tendrement pieuse : Fleur-de-Marie ?

[...]

— j’ai rencontré l’ogresse et une des vieilles qui étaient toujours après moi depuis ma sortie de prison… Je ne savais plus comment vivre… Elles m’ont emmenée… elles m’ont fait boire de l’eau-de-vie… Et voilà…

[...]

— Les habits que je porte appartiennent à l’ogresse ; je lui dois pour mon garni et pour ma nourriture… je ne puis bouger d’ici… elle me ferait arrêter comme voleuse… Je lui appartiens… il faut que je m’acquitte…
[Chapitre IV des Mystères de Paris de Sue.]

Même sans interpréter l'allusion aussi hardiment que je le suggère (néanmoins assez logique devant le récit croissant de ses malheurs, après avoir raconté le soulagement de la prison ou comment, enfant, on lui arrache une dent pour la vendre), on voit bien que Fleur-de-Marie n'est pas du genre à se poser en parangon moral, fût-elle irréprochable. L'opérette reprend le motif mais en le renversant, pour en faire un motif d'édification dans les familles, sans le même processus de réhabilitation que dans le [long] roman.

Pour plus ample balade, plusieurs notules ont été consacrées au roman (Sue & Dumas, mutations urbanistiques, style) ou à l'opéra comique (nomenclature de l'humour musical, Woyzeck le Chourineur, Fête Nationale).



Mais qui était-elle, cette soprane, pour qu'on lui confie ainsi un rôle dans du répertoire lyrique aux côtés d'un ténor institutionnel de la Radio comme Michel Cadiou – et titulaire de grands rôles sur les scènes prestigieuses ?  Sans doute une petit gloire du temps, me suis-je dit. D'autant que le rôle, qui utilise son vocabulaire propre, semble confectionné sur mesure pour une chanteuse de ton plus populaire.



B. Jacqueline Boyer à l'Eurovision

Vous serez peut-être effrayés en découvrant que lorsque je lus Jacqueline Boyer, ma réaction fut d'aller consulter mon imam Google, et de découvrir le pot aux roses. Pour commencer, c'est la fille de Jacques Pills, vieille gloire de la chansons française, plus tard mari d'Édith Piaf, et de Lucienne Boyer, dont la voix et le visage n'ont peut-être plus la même notoriété, mais dont les grands titres sont toujours connus de tous (Parlez-moi d'amour, Que reste-t-il de nos amours, Mon cœur est un violon, Bonne nuit mon amour mon amant). Elle raconte qu'elle fait ses débuts comme chanteuse à quinze ans, en partageant la scène avec Marlene Dietrich. Bref, plutôt préparée.

Et si bien que, un an seulement après que son propre père a fini dernier à l'Eurovision (sélection pourtant pour partie calamiteuse cette année-là), à l'âge de dix-huit ans, elle remporte la compétition de 1960 avec ceci :

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Assez irrésistible illustration du goût français, cette petite chanson en trois strophes est bâtie au cordeau. Un petit récit (de Pierre Cour) sur un personnage doté d'un nom pittoresque, organisé autour de chiffres (2 châteaux / 2 secrets / 1 défaut), avec un refrain varié, de petites surprises (« n'a qu'un défaut : [...] il est charmant, il a bon cœur, il est plein de vaillance ») et la pirouette finale qui dément tout ce qui a été précédemment dit.
Le balancement musical, très simple, est assez irrésistible, avec son alternance de couplets badins piqués et de refrain varié plus lyrique. Pour maintenir la tension, chaque nouveau couplet est élevé d'un demi-ton. L'orchestration (est-elle aussi due à André Popp ?) varie considérablement et multiplie les couleurs, les atmosphères, les contrechants de façon assez raffinée (on sent que le gars a étudié son Richard Strauss, et qu'il aurait pu être un camarade de Damase sur les bancs du Conservatoire).

Mélodie simple et prégnante, historiette amusante, et tout cela servi avec beaucoup de malice par Jacqueline Boyer : la façon dont l'aigu se décroche soudain en voix de tête pour la note la plus aiguë du refrain, ou les sourires qui passent dans la voix, les petits gestes qui colorent les sous-entendus, font de l'ensemble un petit bijou fragile délicat, assez addictif.

Comment en à peine vingt ans, est-on passé de ce type de ballade en version de concert accompagné par un orchestre symphonique aux rengaines chorégraphiées sur des boîtes à rythme ?  Parce que L'Oiseau et l'Enfant, qui remporte la palme en 1977, se situe quelque part entre du sous-Joan Baez et du sous-sous-André Popp, la kitschouillerie en sus ; et on est loin de ce qui a été produit de pire dans ce concours pendant les décennies suivantes.



C. Chanter en langues


En cette année 1960, on joue des chansons à l'ancienne, accompagnées par des orchestrations ambitieuses (avec, au besoin, des éléments jazz) ;  sans vouloir jouer de l'absurde hiérarchie, la densité musicale me semble beaucoup plus ambitieuse que dans les éditions récentes où le soin est d'abord porté sur le grain du son et sur la chorégraphie.

Par ailleurs, autre contrainte, l'usage d'une des langues officielles du pays concourant. Pour une émission qui se veut une célébration de l'esprit européen, entendre défiler toutes ces couleurs locales a quelque chose de particulièrement fascinant et émouvant. Le principe a beaucoup varié au fil des périodes, et restait respecté par tous, quoique implicite, dans les premières éditions, de 1956 à 1965.

Par qui le scandale est-il arrivé ?  Par un chanteur d'opéra, forcément.

En 1965, Ingvar Wixell, le grand verdien (Rigoletto et Amonasro restés des références absolues pour tous ceux qui aiment les voix claires, les timbres morbidi-moelleux et les émissions mixées-mixtes), y chantait avec sa technique d'opéra un chanson en anglais, pour le compte de sa Suède natale. La technique de chant lyrique était habituelle, beaucoup de chanteurs à la mode d'alors y recouraient, on l'entend très bien chez les concurrents de ces années – surtout chez les hommes (les femmes chantent en général la chanson en mécanisme de poitrine, alors que la voix de tête est utilisée par défaut dans le lyrique). Son usage n'est pas identique à celui fait à l'opéra, bien sûr (les tessitures sont plus courtes et basses, pour commencer), mais les fondements techniques sont très proches. Pour prendre deux exemples emblématiques :

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Dennis Morgan est un ténor évident, parfois qualifié comme tel par les biographes, et doté d'une émission très solide, avec une homogénéité parfaite et un passage totalement domestiqué, tout à fait inaudible, comme chez les plus grands.


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Mais quelle est donc cette pianiste qui chante si bien ?

Même dans le cas de Bill Crosby (qui, favorisant son grave, serait moins audible avec orchestre et sans amplification), on entend très bien la recherche d'auto-amplification et le goût du fondu, caractéristiques de la technique lyrique – même si, évidemment, il développe aussi d'autres caractéristiques, en privilégiant la qualité du timbre sur la puissance, étant amplifié.

Même chez Lucienne Boyer, la glorieuse mère de Jacqueline, on entend très bien cette charpente particulière, commune aux deux univers.

De fait, à l'écoute, Ingvar Wixell ne frappe pas particulièrement par sa singularité vocale par rapport aux concurrents. En revanche, il y eut force débat autour du dévoiement de l'esprit du concours, la Suède ayant présenté une chanson anglophone, Absent Friends.

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Dès l'année suivante, le règlement devint explicite : seules les langues officielles du pays concerné sont autorisées. Mais il y eut beaucoup d'atermoiements et de repentirs dans cette longue histoire : en 1973, on rend possible le choix de la langue, jusqu'à ce qu'en 1976, un tiers de chansons soient exécutées en anglais. Je me figure bien que ça favorisait, l'anglais étant familier de tous, les potentialités de victoire – rendant d'une certaine façon la compétition plus juste. Mais la tendance était telle que le retour à la langue officielle fut décidé pour 1977. Jusqu'en 1999, qui ouvre notre ère décadente où il est quasiment suicidaire de ne pas proposer de chanson en anglais : les langues sont à nouveau en libre choix. 
Donc beaucoup d'allers et retours, on voit bien pourquoi : les langues rares, même si les jurys ont des traductions sous les yeux (les ont-ils seulement ?) sont un handicap pour transmettre une émotion de même qualité que les langues les pratiquées ; mais dans le même temps, autoriser le choix de la langue, c'est précisément faire de l'Eurovision une banale compétition de chanson, qui n'a plus rien du charme d'un parcours à travers différentes cultures. La musique du concours n'a jamais été très variée, chaque période reproduisant d'assez près les modes, mais la langue pouvait au moins introduire une forme de couleur locale, une incitation à utiliser des références patrimoniales dans la forme générale, le thème du texte ou même simplement les couleurs modales ou instrumentales…

Pour mémoire, en 1965, c'est France Gall qui remporte la victoire pour le Luxembourg avec un grand succès débattu (car olé-olé), Poupée de cire, poupée de son, dû à Gainsbourg. Sur la vidéo d'origine, on l'entend très nettement se reposer sur l'originalité du texte et la modernité de la musique (le grand orchestre imitant les sons de danses à la mode) : elle remporte la victoire avec une voix toute grêle… et une intonation particulièrement approximative !  Le candidat italien de 59 chantait certes bien plus mal, mais pas aussi faux !
Tout l'inverse de Wixell : technique conçue pour les micros, cherchant la proximité ou l'effet, et pas du tout la projection dans une salle – au contraire, le naturel est mis en avant, et ces défaillances techniques sont assumées, avec leur effet d'émission enfantine, qui concourt au caractère troublant de la pièce.

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Je me suis beaucoup demandé qui étaient les orchestrateurs de toutes ces chansons : je ne suis pas persuadé que les spécialistes de la chanson, comme Popp ou Gainsbourg, aient ce degré de maîtrise de l'exercice (dans cette version de Tom Pillibi, en entend passer les astuces de beaucoup de grands maîtres…). Et même plus largement des arrangeurs, parce que les contrechants ne sont pas nécessairement prévus non plus. Mais ils ne sont pas crédités, et je suppose qu'il est de l'intérêt du système de ne pas les mettre en avant, pour exalter une figure reconnaissable. Déjà qu'on nomme les chansons par leur interprète, comme s'ils les avaient écrites (pas totalement illégitimement au demeurant : dans la chanson, ce peut être l'interprète qui apporte la touche décisive rendant une musique ou un texte mémorables).

Je projette de poursuivre mon exploration du patrimoine eurovu, je suis très curieux de sentir le moment de bascule (il y a déjà quelque chose, dans cette cohabitation baroque de 1965…) vers les accompagnements amplifiés et les musiques électroniques, vers le goût pour la chorégraphie et le spectacle qui oblitère l'importance de la chanson elle-même.
… et de découvrir de nouvelles pépites.

Pour le peu que j'aie pu en juger (c'est en réalité la première fois que je regarde le concours, au delà des quelques extraits qui font surface chaque année…), c'est un observatoire assez formidable des modes musicales, vocales et capillaires que j'entends débroussailler un peu.



D. Tom Pillibi après l'Eurovision

Tom Pillibi est un très grand succès. L'album (assez peu intéressant par ailleurs, trouvé-je) s'écoule généreusement (on peut l'écouter là), mais reste dans une veine très commune, vaguement teintée de jazz très blanchi, avec des textes parfaitement transparents ; et même vocalement et expressivement, on n'entend pas le même frémissement que lors de sa première exécution à l'Eurovision (elle le rechante après sa victoire, et c'est légèrement moins bien). Les aigus, en particulier, sont un peu durcis, alors qu'elle ose le passage en voix de tête sur scène ; et puis il manque les sourires dans la voix et les petits gestes qui parachèvent le tout.

La même année, Tohama reprend la chanson en belge, avec accompagnement de saxophones (qui réutilisent largement les contrechants d'origine) et sur un beat de fox-trot. Un quatrième couplet – placé en deuxième position –, à propos d'oiseaux fantaisistes, est ajouté par rapport aux versions de Jacqueline Boyer (a-t-il été écrit par Pierre Cour dès l'origine ?  commandé pour l'occasion ?  rédigé par un autre ?).


C'est sans doute la reprise la plus réussie de la chanson, qui malgré les changements (et le tempo rapide qui ne laisse pas aussi bien le temps de conter la ballade) en conserve grandement l'espièglerie.

S'ensuivent d'innombrables reprises

Les Riff pour chœur, avec des harmonies jazz (accords enrichis), où la narration cède le pas à la musique, mais avec beaucoup de saveur ;

Les Scarlet, pour petit chœur, beaucoup plus constamment sur le temps, et avec un ossia aigu, qui fait perdre du caractère mais permet de réduire la tessiture (à peine plus d'une octave au lieu d'une octave et demie) ;
Yvette Giraud, une voix très grave, presque un ténor, avec alternance de chœurs ;
dans un esprit plus exotique, Claudine Cereda, avec rythmes nonchalants et percussions des îles. Deux couplets seulement, le premier et le dernier.



Aujourd'hui encore, il s'agit, à défaut d'un tube intersidéral connu de tous, d'un standard régulièrement repris par les amateurs de chanson française traditionnelle. Témoin ce petit bouquet informel :

● concert donné en Slovénie dans la langue et l'accompagnement d'origine, par le Gimnazija Kranj Orchestra (soirée thématique de chansons parisiennes) ;
● avec guitare folk et piano par Laetitia [[vidéo]] ;

● avec accompagnement de synthétiseur (reprenant largement l'orchestration d'origine), par Fabienne Thibeault ;
● avec une réalisation de synthétiseur plus soignée (existe-t-il des disques d'accompagnement qui l'incluent ?), par Julie Rodriguez, en 2008 ;
● le même accompagnement, cette fois par Les Chanterels (solo avec petit chœur d'accompagnement) ;
● le visuel permet de mesurer la nature des représentations, vraiment des spectacles populaires, de petits groupes de chant amateurs, qui témoignent de la rémanence de la chanson dans le le fonds commun (Cercle Orbey, avec boîte à rythme et synthé sur le vif), ici avec le couplet supplémentaire introduit chez Tohama ;

● plus raffinée, une belle version pour chœur a cappella par l'ensemble La Villanelle.





Il en existe aussi de très nombreux arrangements dans tous les styles et pour tous les formats d'orchestre, chez les orchestres de divetissement. Liste très loin de l'exhaustivité :

♫ avec sifflets (et contrechant de cor !), vibraphone, glockenspiel, cordes lyriques… le grand jeu par l'orchestre de Franck Pourcel, qui reprend largement l'orchestration d'origine (contrechants de violons lyriques, la marche du deuxième couplet…) ;
♫ doublure de xylophone, vibraphone et de pizzicati par Paul Bonneau et son orchestre ;
♫ avec guitare électrique, saxophone et orchestre, très déhanché, par Gerry Mills et son orchestre ;
♫ avec Jacky Noguez (accordéon) et son orchestre ;

♫ plus franchouillardisant encore, mais avec une touche de Donizetti en sus, Jo La-Ré-Do (accordéon) et son orchestre, glissandi et diminutions attendues, et dialogues avec piano et saxo ténor !



et des versions solo :

♫ sur un orgue de barbarie de belle facture (il y avait donc des cartes poinçonnées pour ce tube !) ;
♫ à l'accordéon ;

♫ et bien sûr, au piano.



L'attrait est tel, qu'à la suite de la victoire de l'Eurovision, la chanson est traduite et enregistrée en mainte langue européenne.

♣ En néerlandais (la chanson atteint le 14e rang sur 100 dans les classements du pays, en 1960), gravée par une autre voix enfantine, Willeke Alberti.
♦ En 1994, à un âge plus mûr que les participants habituels, elle représente son pays à l'Eurovision avec Waard is de zon (« Où est le soleil ? »), une jolie ballade pas très originale, à l'exception de la métaphore stellaire (qui ne rebat pas non plus exactement les cartes de la poésie intersidérale) – et y termine 23e sur 25. Au demeurant, la chanson qui remporte le concours, Rock 'n' roll kids (par les émissaires irlandais Harrington & McGettigan), pour piano, guitare acoustique et deux voix, est aussi une ballade (mais clairement typée folk – et autrement plus prégnante).
♦ Vous remarquerez le petit changement mélodique du deuxième couplet, et bien sûr l'usage malicieux du présentatif français « Voilà Kleinzach Tom Pillibi ! ».

♣ En danois, chantée par Raquel Rastenni,
♦ autre participante, à la compétition de 1958, où elle propose Jeg rev et blad ud af min dagbog (« J'ai déchiré une page de mon journal »), dans lequel elle incarne un alter ego d'Elle de la Voix Humaine : une serpillère qui se repend de sa jalousie et conjure son homme de lui pardonner. Musicalement mignon, parfaitement dans le goût du temps, avec son tapis de cordes au portamento systématique et généreux. Elle obtient la 8e place sur 10. Cette année-là, André Claveau remporte la victoire pour la France avec l'autre tube parfaitement d'époque Dors, mon amour (autrement poignant, il est vrai), habilement adaptable à un enfant (il s'agit manifestement plutôt d'une amante, mais le texte se prête presque totalement à la berceuse).
♦ La traduction danoise, pour autant que j'en puisse juger (je ne dispose pas de la transcription, et considérant l'écart graphie-phonie dans cette langue-là, je ne veux pas donner de fausses garanties) reste proche de l'original de Pierre Cour, quoique utilisant le deuxième couplet comme chez Tohama. On insiste peut-être un rien plus sur la dimension séduisante de Tom Pillibi, mais l'essentiel de l'intérêt demeure porté à la chimère. 

♣ Également interprétée en Espagne (où la chanson fut première au cours de l'année 1960 – en quelle langue ? –, alors qu'elle n'était que 2e en France et 4e en Belgique), et même en espagnol, dont voici une interprétation (non officielle), par Juan Aznar.
♦ La traduction reste très proche de l'original français. C'est essentiellement l'entrée en matière qui diffère, présentant Tom Pillibi de façon plus solennelle et biographique (« Tom Pillibi est parvenu à l'état d'homme puissant »), tout le reste étant très proche de l'esprit comme de la lettre.

♣ En allemand, la chanson est portée par Jacqueline Boyer elle-même ; la chanson n'atteint jamais que la 21e place dans les classements, mais le succès est suffisant pour que Boyer fasse une bonne partie de sa carrière en Allemagne, où elle rechante régulièrement Tom Pillibi jusqu'à un stade avancé de sa carrière.
♦ La traduction marque néanmoins une inflexion : le refrain évoque immédiatement le motif de l'imagination (« Denn er hat Phantasie, unser Tom Pillibi »), les couplets, tout en conservant la même structure, insistent progressivement sur sa qualité de séducteur. Le deuxième couplet le nomme ainsi « der Frauenheld » (« le héros de ces dames »), ce qui n'était qu'implicite dans la version française, où l'on pouvait se figurer qu'il était admiré presque malgré lui [encore Damase !] – Frauenheld désigne déjà une typologie.
Le dernier couplet est encore plus explicite, puisque, au lieu d'annoncer ce seul défaut (avec la liste contradictoire de qualités), il est essentiellement consacré à son talent de séducteur (« ist sehr charmant », « ist als Galant allen im Land bekannt » – « connu comme un galant dans tout le pays »), et ne dévoile le caractère d'affabulateur, déjà largement introduit par le refrain, qu'à la fin du quatrain.
L'ami qui raconte cela n'est pas nécessairement une femme ni une amante, surtout considérant la complaisance avec laquelle ses exploits sont rapportés (dès le début, la chanson avait été prévue pour Marcel Amont, donc les questions de vraisemblance sexuelle, comme pour le lied, ne constituent pas un obstacle).
♦ D'une manière générale, cette traduction-adaptation tire Pillibi vers le mauvais sujet : on raconte le portrait d'un garçon haut en couleurs, le séducteur et gentil fanfaron du canton, et on ne voit plus forcément la nécessité de raconter cette histoire (privée de la chute initiale).

♦ Je dispose aussi d'une autre version, par un homme, avec accordéon, petit ensemble et même quelque voix. (Tony Westen, Golgowsky-Quartett, Orchester Will Glahé).

♣ En anglais, chantée par Jacqueline Boyer (avec un beau naturel !) au Royaume-Uni (33e selon le UK Singles Chart de 1960) et plus célèbre dans sa reprise par Julie Andrews.
♦ Dans la traduction, il existe quatre couplets : Boyer en chante trois, Andrews deux, dont le premier en commun.
♦♦ Dans les couplets de Boyer, le décor change beaucoup : d'emblée, c'est une amante qui parle, et il est tout de suite question du potentiel de séduction de Tom Pillibi, nullement de ses occupations. Plus rien de fantasmagorique, le conte, le récit merveilleux ont disparu. Chaque quatrain, assez redondant, explore la même idée : il s'avère que ce garçon timide cache en réalité quelqu'un de plus rompu à l'art de la séduction. Et s'il ment (révélé dès le deuxième couplet, ce n'est plus une chute), c'est par fausse modestie, ou peut-être par stratégie.
♦♦ Dans le second couplet d'Andrews, on nous décrit même un maître de la manipulation des jeunes filles, feignant de demander la permission pour ce qu'il obtient d'emblée…
♦♦ En outre, dans les deux cas il est question de « sortir avec » Tom Pillibi, donc l'univers n'est plus du tout intemporel, voire médiévalisant (les vaisseaux, la fille du roi…), mais très ancré dans le quotidien du milieu du XXe siècle. Et plus encore, les temps utilisés (prétérit) suggèrent que l'histoire est finie, qu'il s'agit d'un souvenir d'expérience amoureuse légère, beaucoup plus du côté des contingences de la vie amoureuse réelle que de la petite fable française avec chute.
♦♦ La véritable chute se situe plutôt dans le refrain, qui joue avec l'expression traditionnelle « don't judge a book by its cover » (l'habit ne fait pas le moine) : So with a lover, as with a book / Don't trust the cover, or you might will be hooked (« Il en va des amants comme des livres / Ne vous fiez pas à la couverture, ne mordez pas à l'hameçon »). Pas tout à fait hilarant quand même. Beaucoup du charme d'origine est à mon avis laissé en chemin
Jacqueline Boyer s'adapte remarquablement à la langue, avec une diction traditionnelle (les « -ed » finaux sont pleinement articulés,comme pour des cantiques ou du Haendel !), et même de beaux [t] plus en arrière sur les alvéoles (le [tʰ] expiré typiquement britannique), très naturels. La voix reste au demeurant placée au même endroit qu'en français, avec la même couleur à la fois légère, franche et brillante. Très séduisant, je dois dire.

Julie Andrews adopte une posture un peu différente ; d'abord, l'accompagnement orchestral diffère (moins symphonique, plus musical theatre – et très rapide, une chansonnette qui termine en lalala plutôt qu'une ballade) ; ensuite, la voix elle-même est plus ronde et lisse, et même l'accent, malgré (et grâce à) ses origines parfaitement anglaises, est d'une certaine façon moins pur, s'américanisant délibérément (le traitement des « a » est flagrant). 

Si les traductions en langues « rares » se font assez près du texte d'origine, la version allemande infléchit la chanson du côté du (gentil) mauvais garçon, et la version anglaise, parfaitement infidèle au projet d'origine, en fait un récit de relation amoureuse – pas très éloigné, finalement, de toutes ces chansons américaines sur l'amour de vilains tatoués. C'est tirer Tom Pillibi vers Big Fat Lie – autre doudou personnel, mais pas exactement le même univers !



E. Tom Pillibi et Jacqueline Boyer

Après avoir remporté le concours, généreusement vendu l'album en Europe, enregistré une version anglaise et régulièrement chanté en allemand le titre, l'engouement s'est poursuivi, jusqu'à nos jours.

La voici par exemple en 1981 dans un festival de l'Østfold (Sud-Est de la Norvège).



Sa technique, très en bouche, moins lyrique que celle de sa mère, explique la petite tension ou déconnexion dans l'aigu dès les débuts, et peut-être aussi le déclin progressif de l'instrument, mais j'y entends surtout un changement d'époque, avec une émission, plus chaude, feulée, en phase avec l'évolution du goût de la chanson (qui n'est pas à mon gré, mais tout est possible avec l'amplification, il n'y a plus d'impératif technique, le reste est affaire de goût) – et il me semble aussi, ce qui doit être vérifiable, y déceler les effets du tabac (accolement imparfait des cordes due à une irritation chronique).
Quoi qu'il en soit, Jacqueline Boyer n'a jamais mal chanté, même dans les bandes les plus récentes où, à l'âge de 74 ans, elle fait valoir une voix certes ternie, mais en rien effondrée.



Ces deux exemples permettent de mesurer l'adaptation de la chanson, par l'artiste elle-même, à toutes les modes d'accompagnement, acceptant des transcriptions très simplifiées par rapport à l'orchestre symphonique de l'Eurovision. On sent bien que très vite, par rapport à la première soirée, une certaine routine s'installe, et que Boyer raconte moins qu'elle ne chante, mais il reste la place pour quelques variantes intéressantes, dont celle-ci, qui m'a un peu intrigué.
[Vous noterez au passage les syncopes systématiques pour faire sonner plus jazz – elles n'étaient que ponctuelles, et expressives, dansla version originale –, ainsi que l'accompagnement à l'avenant.]


C'est le plus proche, chronologiquement, de la création d'Eugène le Mystérieux, et cela s'entend : voix très étroite et franche, remarquablement calibrée pour la chanson, une espièglerie charmante. Avec la vidéo, je m'interroge précisément jusqu'où celle-ci peut aller : au moment de faire le geste d'entrain pour « il est plein de vaillance » (1'52), on la voit réprimer un sourire – croise-t-elle un regard ? est-elle amusée de la naïveté de la posture ?  ou bien perçoit-elle, l'espace d'un instant, un double sens (qui paraît en effet assez évident après « il est charmant, il a bon cœur », s'il n'était désarmé par ce geste badin), qui ne cadre pas avec le format de l'émission ?

Au demeurant, il s'agit d'une pièce difficile, il est rare que les chansons couvrent aussi une octave et demi, ce qui explique la transposition du la grave à l'octave supérieure (effet mélodique très commun, mais beaucoup plus chantable, en tout cas pour le public).



F. Rétroviseur et prémonitions

Quelle traversée, de la Fête Nationale à l'Eurovision des débuts, en passant par l'opérette et les transmutations d'un même titre… Il y avait de quoi, en continuant de dévider l'écheveau, s'amuser encore longtemps, mais je crois qu'il y a là matière à vous occuper pour quelques jours.

Si ce n'était pas le cas, vous pouvez toujours vous reporter aux autres séries de l'été de Carnets sur sol, en général (à partir de 2009 en tout cas) l'occasion d'explorer des pans de la culture populaire commune (découverte de l'eau chaude, ce peutêtre amusant) :

● 2005 : mini-série György Kurtág 0,0.75,1,2,3,4,5,6
● 2006 : le mythe de Médée (1,2,3,4) ;
● 2006 : panorama Takemitsu (biographie, économie, corpus discographique, discographie commentée, catalogue alphabétique, catalogue générique, catalogue chronologique personnel commenté, mode d'emploi)
● 2006 : théâtre chanté chinois
● 2009 : Le Moine de Lewis (le Juif errant et le Hollandais volant, adaptation d'Artaud)
● 2009 : Retour aux sources de Carmen : variantes depuis Mérimée (1,2,3,4)
● 2009 : Eugène Sue et Les Mystères de Paris : citations, citations et Damase, motivations du lecteur et Damase, le Chourineur et Woyzeck, l'hymne de Damase.
● 2009 : Vampires, de Byron à Dracula.
● 2010 : Washington Square adapté pour le théâtre (plutôt grand public) par les époux Goetz, à partir de quoi il est parti au cinéma (Wyler), mais aussi « retourné » à l'opéra (Ducreux-Damase).
● 2010 : Random Harvest, un best-seller britannique de 1941, très révélateur de l'évolution du style populaire.
● 2011 : Calamity Jane et son mythe (1).
● 2011 : Wicked, prequel réorientée du Magicien d'Oz (1,2). Je n'ai jamais parlé du roman de Maguire, parce qu'il est mauvais.
● 2012 :  Zorro et ses mythes (le roman surtout ; pas eu le temps de parler des mutations filmiques, après les avoir tous regardés tout de même, ni de parler de la formidable musique de William Lava pour la série Disney).
● 2012 : La Marquise d'O, Kleist et Rohmer.
● 2013 : Le grand roman sentimental féminin anglophone : Radcliffe, Austen (1), Brontë (1), Gaskell (1), G. Eliot, Wharton…
● 2013 : Ordalie Siegfried.
● 2014 : Pas grand'chose n'en a paru sur CSS. Plongée stakhanoviste dans les Meistersinger et Parsifal, partition au poing ; et puis pas mal de choses en fonctions d'onde / relativité / physique quantique / astrophysique, qui n'avaient pas forcément leur place ici non plus (sujets sur lesquels il y a déjà de la vulgarisation abondante, et par sensiblement plus qualifiés).
● 2015 : désolé, c'était plutôt ambiance balades.
● 2016 : Eurovision, donc. Une notule, mais beaucoup de défrichage. Quelques frayeurs et de très jolies choses, sans parler de la méditation sur l'évolution vocale, de Wixell à aujourd'hui…
● 2016 : Comics emblématiques redevenus à la mode. Là, non plus, c'est pas bon, mais la mutation des figures est intéressante, elle révèle des choses sur nous (de même, la mise à l'épreuve de mon incompréhension de l'attrait pour les superhéros). Mon éducation en la matière culminait (mais se limitait aussi largement) à Don Rosa. 

Bel été aux lecteurs fidèles et de passage ! 
aux autres aussi, je ne suis pas rancunier

dimanche 8 juillet 2012

Meilleur que le roman - I, Zorro - 1 : Mythe et méthode


Comme chaque année, l'été est l'occasion d'une petite série :


Depuis 2009, il semble que, de façon non délibérée, l'été soit propice à l'investigation autour de sujets de la culture populaire (ou du moins de la culture commune).

  • En 2009, c'était autour du Moine de Gregory Lewis, de ses relations avec les mythes populaires, de ses adaptations. La même année, il avait aussi, en matière de culture semi-populaire, le retour aux sources de la figure de Carmen.
  • En 2010, une vaste exploration autour des figures du vampire, en particulier Ruthven et Dracula.
  • En 2011, c'était la linguistique de Tolkien qui était à l'honneur. Rien ne parut sur CSS, le sujet étant déjà saturé d'exégèses en ligne, et je ne le maîtrise guère - de surcroît, je trouve le cycle The Lord of the Rings très platement écrit. En revanche, les processus de création linguistique, et la façon de les envelopper ensuite d'une mythologie cohérente, est assez fascinant - plus les articles de méthode que les récits eux-mêmes, en somme.


Cette année, je m'étais interrogé pour une série Pouchkine, mais je vais plutôt commencer par la figure de Zorro, dont j'ai exploré les emplois depuis quelques mois. Je n'ai bien sûr pas épuisé, loin s'en faut, la multitude d'adaptations (livres pour la jeunesse ou films d'action), mais en se concentrant sur un petit nombre de productions, des traits particuliers assez intéressants se révèlent.
En particulier, les raisons du succès d'un roman-feuilleton pas particulièrement brillant.

--

Simultanément, je me propose ici d'ouvrir une nouvelle série, consacrée à ces cas rares mais remarquables où les adaptations dépassent les originaux. On en a quelquefois parlé à propos de traductions ou adaptations d'opéras, plus rarement en matière romanesque, que ce soit pour la scène ou l'écran.

Ce sont des cas singulièrement fascinants, ceux où le génie semble échapper à l'auteur pour se loger ailleurs, dans la réception et la transmission de ses humbles adaptateurs, une sorte de prescience collective du potentiel de certains récits sans grande épaisseur à l'origine.

mardi 13 novembre 2007

Création de catégorie

Pour plus de commodité, l'ensemble des sujets traitant de Pelléas sont désormais réunis en une seule catégorie (accessible depuis les Chapitres de la colonne de droite).

Il faut dire que CSS, par sa forme même un modeste work in progress, avait choisi de s'organiser par type de contribution plutôt que par thématique. Le format choisi étant pour nous - lutins compris - plus déterminant dans notre approche que le sujet même. Selon le type de public visé ou le type de priorité dans la démonstration, la forme de notre propos varie sensiblement. Entre le Disque du jour qui se veut une recommandation rapide d'un enregistrement irréprochable et enthousiasmant aussi bien pour son programme que pour son exécution, et les sections Disques et représentations ou Portraits, qui tentent de proposer des approches plus commentées, notre posture ne sera pas la même - pour le même objet discographique.

Or, pour la série autour de Faust, nous avions adopté un format spécifique plutôt bref, mais qui, s'étendant sur la longue durée, risquait devenir malaisé à consulter d'un seul tenant. D'où son classement en catégorie isolée.

Etant donné que le traitement de Pelléas, avec le recul sur nos trois salves (juillet-août 2006, mars 2007, septembre 2007), ressortit assez sensiblement au même schéma dans les trois cas, on a donc adopté ce classement à la fois formel et thématique afin de faciliter la consultation pour les lecteurs et les fieffés lutins.

[On pourrait en faire de même avec Médée, lorsque nous aurons le loisir de reprendre notre route - depuis, nous avons emmagasiné beaucoup de données et traité plusieurs étapes majeures, dont l'Euripide qui nous avait tant effrayé, mais le temps fait toujours défaut, en dépit de notre témérité - qui a peur d'Euripide ?
Si vous êtes sages, on vous entretiendra peut-être même de la version de Clément.]




C'était la note de ménage, vous pouvez circuler.

samedi 11 août 2007

Quelques raccourcis d’erreur sur la tragédie lyrique

[Oui, très joli génitif hébraïque, pas ostentatoire du tout, merci.]

Sur le très sympathique carnet d'une médiathèque française, où je vais lire de temps à autre, j'ai trouvé aujourd'hui quelques imprécisions parfois récurrentes sur la tragédie en musique.

Je me suis donc attaché à les rectifier gentiment en commentaire, et je me dis, après tout, qu'elles peuvent être utiles, sait-on jamais, à certains visiteurs de passage sur CSS.

Je ne citerai pas à cette occasion le carnet en question, le but n'est surtout pas de lui causer du tort, mais d'essayer de fournir les informations les moins erronées possible. D'autant plus que la synthèse sur le genre était une excellente idée, et bien structurée. Le propos portait essentiellement sur le modèle Lully/Quinault, mais au vu des petites confusions, je me permets de préciser au delà.

Suite de la notule.

lundi 12 juin 2006

Le mythe de Médée, un parcours - II, les auteurs - 3, Hérodote

Plus original, et toujours dans une dimension positive du mythe, le rapport qu'en fait Hérodote dans ses Historiaï [1].

[...] c'était sans doute user du droit de représailles [des grecs contre les Phéniciens] ; mais la seconde injustice ne doit, selon les mêmes historiens, être imputée qu'aux Grecs. Ils disent que ceux-ci se rendirent sur un vaisseau long à Aea[2], en Colchide, sur le Phase, et qu'après avoir terminé les affaires qui leur avaient fait entreprendre ce voyage, ils enlevèrent Médée, fille du roi ;

Notes

[1] « Recherches », « Histoire » ou « Enquête », à vous de voir comment vous nommez l'unique ouvrage qui nous en est parvenu.

[2] L'île de Circé, généralement située au Sud de l'Italie et non en Crimée.

Suite de la notule.

vendredi 9 juin 2006

Le mythe de Médée, un parcours - II, les auteurs - 2, Pindare

Passons sur les Corinthiaca d'Eumélos de Corinthe, perdues. Il serait le premier auteur à avoir placé Médée en Colchide.

Passons également sur les Nostoï cycliques, qui traitenent du rajeunissement miraculeux d'Eson, père de Jason - tué par Pélias en l'absence de son fils, dans d'autres traditions. Cet épisode précède le meurtre involontaire de Pélias par ses filles. (Voir notre plan au point 5.) Il ne nous en reste que des fragments - comme de Pélias, en quelque sorte.

Arrêtons-nous à Pindare.


[...] le sage fils d'Eson apprit de Vénus l'art des prestiges enchanteurs qui devaient écarter de l'esprit de Médée la crainte de ses nobles pareils, et faire céder son coeur brûlant d'amour aux atteintes répétées que lui porterait le plus séduisant des jeunes héros de la Grèce. Cette princesse tarda peu de lui révéler le secret des épreuves que préparait son père. Elle composa d'huile et d'herbes un liniment dont la vertu rendit le corps de Jason inaccessible aux âpres douleurs. Tous deux, l'un de l'autre épris, convinrent d'unir leur sort par les doux liens de l'hymen.

Suite de la notule.

jeudi 8 juin 2006

Le mythe de Médée, un parcours - II, les auteurs - 1, Hésiode

A la découverte des auteurs ayant traité Médée. Par ordre chronologique en Grèce, puis à Rome.


Hésiode.

La glorieuse fille de l'Océan, Perseïs donna au Soleil infatigable Circé et le monarque Éétés.
Eétés, fils du Soleil qui éclaire les mortels, épousa, d'après le conseil des dieux, Idye aux belles joues, cette fille du superbe fleuve Océan, Idye, qui, domptée par ses amoureuses caresses, grâce à Vénus à la parure d'or, enfanta Médée aux pieds charmants.

Suite de la notule.

dimanche 4 juin 2006

Le mythe de Médée, un parcours - I - Le plan

Illustration : John William Waterhouse, Jason et Médée, huile sur toile, 134x107 cm (1907)

On se centre sur le parcours de Médée, en laissant de côté les très nombreuses péripéties du voyage argonautique.
Prochainement :
II - Actualisation du parcours selon les auteurs sources
III - Récapitulatif des caractéristiques des auteurs liés à Médée
IV - Tentative de synthèse.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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