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mercredi 6 mai 2015

Marscher-Wohlbrück – Der Vampyr : Le récit de Ruthven en version (chantable) française



1. Choix

La vaste tirade de Lord Ruthven (le vampire de l'histoire, emprunté à Byron-Polidori) représente l'un des moments les plus saisissants de tout l'opéra romantique, un de ces moments de liberté qui ne se limitent pas à la souplesse du récitatif, et font vraiment fusionner texte et musique. Le monologue du Hollandais chez Wagner (composé plus d'une décennie plus tard : Der Vampyr est créé en 1828, Der Fliegende Holländer est composé en 1840), qui, comme l'Ouverture, est clairement issu du modèle du Vampire, paraît en comparaison beaucoup plus formel (récitatif, cantilène dramatique, cabalette, avec une petite prière insérée), avec des sections souples mias bien identifiées, là où Marschner propose le flux d'une série de vignettes expressives, très bien concaténées mais pas du tout réductibles à une forme générale.

Musicalement aussi, sans que le langage soit totalement neuf, Marschner utilise les moyens à la pointe de son temps dans cette section, naviguant entre les tonalités et les caractères au gré de ses besoins.
Surtout, au moins aussi important tout cela, la situation et le contenu du texte (servis par une prosodie musicale quasiment sans exemple !) sont tout à fait saisissants : le vampire rapporte à son ancien ami qui veut révéler sa véritable nature (pour éviter que sa bien-aimée ne se fasse dévorer) ce qu'il adviendra de lui s'il se parjure, et ce que c'est que d'être vampire. Et les détails sont bien plus terrifiants que ce que colportent les plus célèbres récits de chiroptères humanoïdes.

C'est un des rares moments de récitatifs suffisamment longs pour fournir matière à un air autonome, et l'un des plus beaux de tous les temps pour ne rien gâcher. Aussi, comme il n'en existe à ma connaissance aucune version française, en voici une réalisée par nos soins, à destination des chanteurs francophones et du public non-germanophone.


2. Méthode & objectifs

Le principe est donc de fournir une version traduite :

  • qui respecte dans le détail le sens et les inflexions du texte allemand (du fait de l'intérêt du contenu d'origine, précisément) ;
  • qui fonctionne avec le plus de naturel possible en français (vocabulaire, prosodie…).


C'est ce qui a été fait : le sens est très proche de l'original, et la place même des mots assez comparable, de façon à ne pas trahir les accents et les effets voulus par Marschner.

Le choix des vers et de leur nature a déjà été détaillé à de très nombreuses reprises dans la section consacrée au projet lied français : la musique prend déjà en charge le rythme, et déforme nécessairement celui imposé par la métrique du vers – s'imposer un mètre précis n'a pas d'efficacité. Sans parler de l'impossibilité de s'adapter à un texte en prose, ou dont les vers seraient écrits selon un système à accents, comme l'anglais ou allemand, où le nombre de syllabes peut varier au sein d'un même mètre. Si l'on veut rester proche de l'original, c'est vraiment s'imposer une rigidité superflue.
Les repères rimiques en revanche (alliés dans le reste du « vers » à un vocabulaire adéquat, surtout pas trop précieux, technique ou abstrait) fournissent un repère « timbral » très utile, permettant de délimiter le vers et donc les unités d'idée et de mise en musique. Ce n'est donc pas un texte conçu pour être lu (mettre des rimes sur des vers libres, c'est plutôt du mirlitonnage), mais bien pour être chanté et entendu.

Vous remarquerez l'absence de rimes en certains points : la traduction étant issue d'une commande (qui devait être réalisée en une semaine), j'ai manqué de temps pour résoudre certaines difficultés. Mais, en y revenant pour publier cette notule, j'ai fait le choix de privilégier (a fortiori pour du récitatif) l'exactitude du lexique et de l'intention : l'emportement général et la force du propos suppléent très bien quelques vers orphelins, glutôt que de gauchir l'ensemble pour privilégier la rime. Par exemple, « Qui plus que tous t'aimaient et t'honoraient » (mesure 68) est musicalement mis à nu, sans accompagnement, sans résolution, une parole jetée seule et glaçante… on se passe très bien de rime dans ce cadre. Dans la mesure où le texte est conçu pour être entendu, sa régularité n'est pas capitale comme elle le serait pour une traduction destinée à la lecture.
Pour la même raison de précipitation initiale, les couples de rimes n'ont pas suivi le schéma de Marschner. D'ordinaire, c'est un effort que je fais, mais en l'occurrence, je ne suis pas persuadé que ce soit une distorsion très grave, vu où se porte l'attention de la scène – ce serait de la poésie, ce serait déjà différent.

En quelques endroits, il n'était pas possible de respecter la prosodie française (par exemple mesure 105 « Sie lallet » est non seulement très court, mais en plus différemment accentué). Selon chaque cas particulier, j'ai pu faire le choix :
¶ de conserver une petite étrangeté qui n'était pas incompatible avec le caractère d'origine (« épargnée », mesure 8, accentué sur l'avant-dernière syllabe, pour éviter l'exagération de la séparation d'avec le [ə] caduc ; « t'honoraient », mesure 68, accentué sur l'avant-dernière syllabe mais s'achevant sur la syllabe forte, dans un endroit où l'agitation extrême rend possible des accentuations secondaires) ;
¶ ou à l'inverse d'adapter la ligne musicale,
¶¶ par exemple en modifiant une durée étrange en français (« serment », mesure 71, à l'origine deux noires do sib, ce qui créait un accent très long sur la première syllabe, tranformé en trois croches do do-sib avec port de voix, en déplaçant donc la tension de l'appoggiature sur la syllabe finale forte),
¶¶ ou en ajustant quelques rythmes ou hauteurs pour conserver le galbe propre au français (mesure 24, ajout d'une anacrouse pour attaquer correctement la note principale ; mesures 99 et suivantes, tout n'est pas exactement au même endroit, tout en respectant les symétries rythmiques suggérées par Marschner, de façon ne pas rendre bancale la mélodie, par exemple en 112-113),
¶¶ ou encore en travaillant avec les appoggiatures pour donner du ressort à la prosodie (mesure 110, extension de celle prévue par Marschner, afin d'éviter l'aplatissement de la ligne, à cause du relief moins vif des syllabes faibles du français – le seul détail où je sois un peu intervenu dans la composition proprement dite).

Sans fausse pudeur, j'avouerai aussi des expédients moins glorieux : « Et babille » (mesure 116) est une bonne traduction, mais elle s'insère avec un naturel discutable dans la mesure, quel qu'en soit l'ajustement rythmique ; les triolets (mesures 37 et 130) ne sont pas impossibles dans la grammaire marschnerienne, et fonctionnent à mon sens très bien pour le rythme français, mais demeurent des aveux implicite d'impuissance (insérer un triolet, c'est faire une mise en valeur, ici plus contrainte que délibérée) ; en revanche, à la révision (ce que vous n'entendrez pas sur la version audio, antérieure), les rythmes récurrents blanche+croche liée ont été respectés, de façon à reproduire les équilibres de l'original et à ne pas créer de soudaine impression bancale (mesure 27 par exemple, la croche liée avait été exploitée pour gagner une syllabe, ce qui causait un déséquilibre désagréable).

Mais il y a aussi les cas où les valeurs écrites laissent entrer le français avec une facilité déconcertante (mesures 131-133, mesure 137 !).


Vous remarquerez que j'ai explicité en plusieurs endroits l'articulation des [ə] caducs (mesures 52, 55, 57, 140) : il ne faut pas voir les rythmes écrits comme une prescription exacte… ils sont là pour bien rappeler (aux francophones du Nord) que ces syllabes en « e » doivent être clairement prononcées ; la valeur exacte du rythme obéira surtout au naturel (on peut penser l'ensemble des deux syllabes finales comme une seule croche, tant qu'on les entend). Dans le cas de la mesure 140, néanmoins, j'ai le sentiment le rythme pointé donne de l'élan à cette fin, et peut être articulé comme tel.

Ce n'est donc pas une version définitive ou parfaite… Mais il me semble que sa prise en compte de ces contraintes la rend exploitable – et, à l'usage, elle m'a paru un reflet plutôt honnête de l'aspect de la version allemande, en tout cas suffisamment pour la proposer à un public non germanophone, et lui permettre d'approcher de façon plus complète la beauté furieuse de cette page.
Je l'espère en tout cas, et les regards affûtés des nos aimables lecteurs devraient relever en un rien de temps tout ce qui y ferait obstacle.

3. Partition, son et texte bilingue

Suite de la notule.

dimanche 1 février 2015

D'où vient l'émotion ? — Pourquoi Mozart est-il aussi différent / génial ? — La preuve par l'exemple


Cette notule, bien que comportant des extraits de partitions, se veut accessible pour tous… n'hésitez pas à faire des remarques s'il reste des points d'obscurité. (En l'occurrence, pour utiliser l'image, il suffit d'être conscient qu'une partition se déroule chronologiquement de gauche à droite, et de suivre les entrées des instruments. À défaut, l'extrait sonore devrait de toute façon se montrer suffisant.)


1. Ce que tout le monde se demande sur Mozart

La question est souvent posée : qu'est-ce que Mozart a de si différent ? Et, de fait, elle n'est pas injustifiée : après tout, on trouve personnalités fortes et audaces chez certains de ses contemporains, au cœur de la période la plus homogène de l'histoire de la musique (le classicisme du second XVIIIe). Pas seulement les facéties de Haydn, qui sont assez subtiles et demandent quelques notions d'analyse musicale, mais rien que la mélodie continue de Tarare (un flux semi-mélodique aboutissant à des sortes d'ariosos, comme le fera Wagner pour le style romantique) ou les Variations sur la Follia de Salieri (l'invention de l'orchestration !), ou le déjà romantique Oberon de Pavel Vranický (du vrai Weber de premier choix… en 1780).
Et bien sûr Mozart lui-même : les gammes modales (différentes « versions » qui s'éloignent de la gamme standard) dans la scène du Commandeur, l'orchestre dégingandé où les mesures se superposent dans le final du premier acte de Don Giovanni (« invention » de la « musique subjective », représentant sa propre perception déformée), les tournures mélancoliques dans les opéras gais (Così fan tutte, bouffonnerie déchirante), le fugato échevelé qui clôt la 41e Symphonie en en mêlant tous les motifs simultanément…

Évidemment, la réponse magique sur la Grâce reçue de Dieu ou de l'Esprit de la Musique n'est pas très convaincante, et tout n'est certes pas du même tonneau chez Mozart — même si, comme pour Schubert, les dernières années ne contiennent quasiment que de très hauts chefs-d'œuvre. À l'inverse, ce n'est tout de même pas pour rien (comme chaque compositeur devenu et resté célèbre) qu'il tant admiré chez les érudits et immédiatement séduisant pour l'ingénu.

C'est en réalité la même chose qui les intéresse, comme on va le voir.

2. En musique, d'où vient l'émotion ?

D'une manière plus générale, on se dit quelquefois, tellement la nuance entre l'ennui et l'extase paraît insaisissable, que l'émotion dégagée d'une musique dépend plus ou moins d'une fibre personnelle, de l'énergie des interprètes… C'est vrai pour partie : personne ne reçoit les mêmes sons de la même façon, selon son vécu, sa norme sonore, sa perception purement physique ; de même, une corde mise en vibration avec enthousiaste s'entend comme telle.

Néanmoins, il existe tout de même des faits objectifs qui peuvent être identifiés, dans une partition. C'est l'exemple qu'on va tenter ici, répondant à la fois à la singularité de Mozart et à la naissance de l'émotion.

3. La preuve par l'exemple

Nous sommes dans la Clémence de Titus. Au début de l'acte II, son ami Sextus (Sesto) est arrêté pour avoir participé au complot contre sa vie, par amour pour Vitellia (mais ça, personne ne le sait). La réplique de Sextus qui débute l'extrait (le passage inscrit sur la partition débute à partir de 0'24) insiste sur son sacrifice pour Vitellia : il va mourir, et personne ne saura qu'elle était l'instigatrice du complot. Suit la réplique de Vitellia en aparté : « Il marche à la mort pour moi, / Où puis-je me cacher ? ».
Le but va être de montrer que Mozart ne fait pas qu'accompagner de jolies mélodies, mais suggère des émotions par des procédés qui peuvent passer d'abord inaperçus.


Kate Lindsey (Sesto), Karina Gauvin (Vitellia), le Cercle de l'Harmonie et Jérémie Rhorer dans la version captée en décembre 2014 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris. Choisie pour sa lisibilité, on perçoit particulièrement bien les événements orchestraux dans ce passage.



Il y aurait déjà beaucoup à dire sur la qualité de la réplique de Sextus, et par exemple les rythmes plaintifs et un peu déhanchés qui l'accompagnent : la basse fait note-silence-note, comme pour une marche implacable, tandis que les violons font silence-note-note, davantage comme une plainte, les deux se superposant. En marron sur la partition.

Sextus vient donc de faire ses adieux.

1 – Sur la dernière note, les violons passent en doubles croches (deux fois plus vite) : changement de caractère, qui traduit l'agitation.
1 – L'accompagnement est plus bref que la note chantée, mais celle-ci est doublée par les cors. La note tenue donne un sentiment d'attente, fait naître la tension.

2 – Les cors font un accent dramatique qui préparent la couleur de la réplique de Vitellia.
2 – La basse (violoncelles et contrebasses) est altérée et annonce une modulation : on va changer de tonalité, de couleur et d'univers sonore.
2 – Entrée du premier basson qui renforce la même note tenue par les violons et les cor. Le basson, outre qu'il va colorer de façon plus sombre la pâte orchestrale, est aussi l'instrument funèbre par excellence depuis très longtemps — seul instrument des requiems espagnols de la Renaissance, doublant la ligne de basse, ou utilisé pour les Enfers et les déplorations (« Scherza, infida » dans Ariodante, « Tristes apprêts » dans Castor & Pollux !).

3 – Entrée de Vitellia. En anacrouse, c'est-à-dire avant la mesure principale, de façon à donner de l'élan. Le procédé est très commun (on segmente très souvent les mélodies en mélodies avec anacrouse et mélodies sans anacrouse, un peu comme les vers avec ou sans Auftakt en allemand. Ici, cela permet aussi à Mozart d'éviter de submerger l'auditeur sous les informations, et ménage de l'espace pour l'effet 4, le point culminant de ce moment.

4 – Le second basson entre à son tour sur le premier appui fort des mots de Vitellia. Il entre avec douceur, mais sur une note étrangère à l'accord, qui dissone (sur un accord de mi bémol mineur, déjà assez rare et considéré comme particulièrement désespéré).
C'est le point culminant de l'extrait : tout ce qui était avant faisait monter la tension… ici, elle est à son comble, parce qu'au lieu de débuter une nouvelle mélodie normalement, elle reste chargée de la tension qui précède, à cause de cette note étrangère assez inhabituelle dans la littérature classique. Nous ressentons cette fêlure, mais pour les oreilles d'alors qui n'avaient pas encore entendu le Sacre du Printemps (ni même les symphonies de Schumann !), ce devait être particulièrement spectaculaire.
Comble du raffinement, sur quel mot tombe cet effet de discordance, où les deux bassons, contrairement à ce qui est attendu, se disjoignent et « frottent » au lieu de se fondre l'un dans l'autre ? Sur le mot « moi », bien sûr. La musique figure littéralement le déchirement de Vitellia, déchirée entre son intérêt personnel et le désir de faire justice à Sextus, se blâmant de sa lâcheté, de séparant d'elle-même.

Suite de la notule.

mercredi 9 janvier 2013

La Nuit Transfigurée d'Oskar FRIED


Une réjouissante découverte dont je veux parler depuis quelques années : la première parution au disque d'oeuvres d'Oskar Fried (dont les partitions étaient alors complètement introuvables : aujourd'hui encore, aucune bibliothèque française ne semble en posséder d'exemplaire, mais il est désormais possible de commander La Nuit Transfigurée en partition d'orchestre chez l'éditeur).


La vision du poème par Oskar Fried ; interprétation Matthias Foremny (Capriccio, voir ci-après).


1. Oskar Fried compositeur

Oskar Fried est un chef d'orchestre réputé dont les gravures du répertoire allemand (Beethoven, Weber, Liszt, Wagner), en particulier Mahler dans les années dix à trente, ont conservé quelque notoriété.

Mais c'est aussi un compositeur. Nos aimables lecteurs sont ainsi invités à lier connaissance avec sa version du célèbre poème de Dehmel tiré de Weib und Welt : "Die Verklärte Nacht" - "La Nuit Transfigurée".

Un récent disque chez Capriccio, la première monographie Fried au disque, la propose, accompagnée d'oeuvres d'intérêt divers :

  • Praeludium und Doppelfuge, une architecture sévère et rigoureuse, typiquement germanique, dans le goût de Reger, de certains Hindemith - très réussi, mais pas à proprement parler amusant ;
  • un pot-pourri sur des thèmes de Hänsel und Gretel de Humperdinck, très roboratif, et toutefois tellement proche de l'original, jusque dans l'orchestration, que l'intérêt d'une oeuvre intensément délectable mais aussi peu personnelle... échappe quelque peu dans le premier disque-portrait consacré à ce compositeur ;
  • un vaste mélodrame de vingt minutes, âpre et incisif, assez original, Die Auswanderer (Les Emigrants), sur la traduction par Stephan Zweig du poème "Le Départ", dans Les Campagnes Hallucinées d'Emile Verhaeren.


L'achat est chaleureusement recommandé, ne serait-ce que pour les dix minutes de Die Verklärte Nacht... mais mérite aussi le détour pour le singulier Die Auswanderer. Par ailleurs, personnellement, je trouve extrêmement agréable la paraphrase de Humperdinck, malgré son intérêt compositionnel limité. Pas mal de bonheur en perspective.

2. La Nuit Transfigurée de Richard Dehmel

Les poèmes de Dehmel ont leur propre fortune littéraire, et ont été très abondamment sollicités par les compositeurs du temps, d'Alma Schindler-Mahler à Webern, mais ce poème-ci dispose d'une célébrité particulière, puisqu'il est le support de l'une des oeuvres les plus connues et appréciées de Schönberg - le sextuor qui porte le titre du poème, et qui en épouse la structure.

Voici le texte, accompagné de la traduction de Pierre Mahé proposée sur le site d'Emily Ezust.

J'ai apporté quelques modifications typographiques au texte allemand présent chez Emily Ezust (majuscules en particulier, qui figuraient irrégulièrement en début de vers, alors qu'elles ne se trouvent chez Dehmel que pour les débuts de phrase ou pour "Du").

Texte de Dehmel et traduction de Pierre Mahé :

Zwei Menschen gehn durch kahlen, kalten Hain ; / Deux personnes vont dans le bois nu et froid,
der Mond läuft mit, sie schaun hinein. / la lune les accompagne, ils regardent,
Der Mond läuft über hohe Eichen ; / La lune court au-dessus des grands chênes ;
kein Wölkchen trübt das Himmelslicht, / pas le plus petit nuage ne trouble la lumière du ciel
In das die schwarzen Zacken reichen. / vers laquelle tendent les noires cimes.
Die Stimme eines Weibes spricht : / Une voix de femme dit :

Ich trag ein Kind, und nit von Dir / Je porte un enfant, et il n'est pas de toi,
ich geh in Sünde neben Dir. / je marche à côté de toi, dans le péché,
Ich hab mich schwer an mir vergangen. / J'ai gravement péché contre moi.
Ich glaubte nicht mehr an ein Glück / Je ne croyais plus au bonheur
und hatte doch ein schwer Verlangen / et pourtant je désirais ardemment
nach Lebensinhalt, nach Mutterglück / une vie accomplie, le bonheur d'être mère
und Pflicht ; da hab ich mich erfrecht, / et obéir à mes devoirs ; et puis je me suis dévergondée,
Da liess ich schaudernd mein Geschlecht / et frissonnante j'ai laissé mon sexe
von einem fremden Mann umfangen, / être étreint par un étranger,
und hab mich noch dafür gesegnet. / et je m'en suis pourtant absoute.
Nun hat das Leben sich gerächt : / Maintenant la vie se venge :
nun bin ich Dir, o Dir begegnet. / Maintenant toi, ô toi, je t'ai rencontré.

Sie geht mit ungelenkem Schritt. / Elle va d'un pas gauche.
Sie schaut empor, der Mond läuft mit. / Elle regarde en l'air, La lune l'accompagne.
Ihr dunkler Blick ertrinkt in Licht. / Son regard sombre se noie dans la lumière.
Die Stimme eines Mannes spricht : / Une voix d'homme dit :

Das Kind, das Du empfangen hast, / L'enfant que tu as conçu
sei Deiner Seele keine Last, / ne dois pas être un fardeau pour ton âme,
o sieh, wie klar das Weltall schimmert ! / vois comme le monde entier resplendit !
Es ist ein Glanz um Alles her, / Il y a une clarté qui baigne tout ici ;
Du treibst mit mir auf kaltem Meer, / Tu flottes avec moi sur une froide mer,
Doch eine eigne Wärme flimmert / et pourtant une chaleur particulière vibre
von Dir in mich, von mir in Dich. / de toi à moi et de moi à toi.
Die wird das fremde Kind verklären / Elle va transfigurer le fils de l'étranger,
Du wirst es mir, von mir gebären ; / Tu enfanteras pour moi, comme s'il venait de moi,
Du hast den Glanz in mich gebracht, / Tu as mis du soleil en moi,
Du hast mich selbst zum Kind gemacht. / Tu as fait de moi-même un enfant.

Er fasst sie um die starken Hüften. / Il étreint ses fortes hanches.
Ihr Atem küsst sich in den Lüften. / Le souffle de leur baiser s'échappe dans les airs.
Zwei Menschen gehn durch hohe, helle Nacht. / Deux êtres vont dans la nuit claire et vaste.

Ce poème, dont le sens est diaphane, me laisse toujours suspendu : le sujet est beau, mais en même temps qu'il expose le pardon, il laisse percevoir une telle charge de culpabilité (que dirait-on de cette femme si elle n'avait pas reçu l'absolution magnanime) qu'un peu de malaise demeure. Néanmoins, je crois que j'aime beaucoup cette naïveté de la résolution, cette jubilation insolite après un début vénéneux aux saveurs plus décadentes et tourmentées.

L'oeuvre instrumentale de Schönberg respecte les cinq parties du poème, avec des changements explicites de tempo et de caractère : description de la forêt nocturne, confession de la femme, attitude de la femme, réponse de l'homme, épilogue transfiguré.

Mais l'oeuvre de Fried est un poème symphonique au sens le plus complet du terme, puisqu'il s'agit d'un lied avec orchestre (à deux voix, tantôt dialoguant, tantôt se mêlant), et la structure y est d'autant plus sensible.

3. Structure de l'oeuvre de Fried

Suite de la notule.

samedi 22 septembre 2012

Les plus belles oeuvres de KURTÁG György par le Quatuor Keller


Les oeuvres

L'oeuvre de Kurtág constitue un univers de miniatures assez fascinant, dont on a déjà évoqué (par touches, comme il se doit), quelques aspects :


Si l'univers de Kurtág est toujours fascinant (sauf, en ce qui me concerne, pour la musique orchestrale, où il perd beaucoup de la précision et de la densité qui font tout son charme), son caractère éparpillé rend difficile la distinction de pièces particulières : on l'entend toujours par grappes. C'est sans doute pourquoi les ensembles constitués par le compositeur lui-même sont ceux qui ont le plus de force.

Quatre de ses oeuvres me paraissent planer assez haut au-dessus du reste du corpus : le Premier Quatuor Op.1, rarement donné, et trois oeuvres relativement célèbres, les Douze Microludes Op.13 (son deuxième quatuor), Hommage à R. Sch. Op.15d (trio pour clarinette, alto et piano) et Officium breve in memoriam Andreae Szervánszky Op.28 (troisième quatuor). Que des petits cycles de musique de chambre.

Or, la Cité de la Musique programmait, en une soirée, les meilleurs défenseurs au disque de la musique de Kurtág dans deux de ces oeuvres majeures. L'oeuvre de Kurtág, toute de micro-événements, de références évocatrices au folklore ou à la musique de ses prédécesseurs ou amis, mais extrêmement fugaces et déformées, demande d'être pleinement réceptif au moment de l'exécution : un instant d'inattention, et on rate un « mouvement » entier. Sans le support visuel, l'atmosphère et l'impact physique du concert, ces oeuvres perdent beaucoup de leur pouvoir de suggestion, on les admire (au disque), mais on peut plus difficilement revivre l'émotion très particulière qui s'en dégage.
Comme il y avait dix ans que je n'avais pas entendu Officium breve en concert, et un peu moins pour Microludes, inutile d'exprimer mon entrain, d'autant que de nombreuses pièces isolées pour quatuor, certes relativement mineures à part Aus der Ferne V (d'après un poème de la Tour de Hölderlin, dont l'univers à cette période est particulièrement congruant avec l'esprit de Kurtág), étaient programmées, si bien que la proportion Kurtág devait être un peu supérieure à celle de Bach.

Entendre la confrontation de ces deux « grands » cycles était particulièrement éloquent : à l'aphorisme absolu, très webernien, des Microludes, sorte de collection de gestes et de pensées fugaces, s'opposent les sections très homophoniques et évocatrices (qui du folklore, qui des prédécesseurs) d'Officium breve. Le premier s'apparente à une suggestion de points, assez visuelle, alors que le second a quelque chose de plus rémanent, comme une odeur ou une saveur qui se change en souvenir.

Le compagnonnage Kurtág-Keller(-DLM)

Suite de la notule.

jeudi 30 juin 2011

Les plus beaux récitatifs - I - Récit d'Aronte (Armide de Lully)


Liste indicative. Extrait sonore. Commentaire.

(Pour une introduction à l'histoire du récitatif, voir au préalable.)

Suite de la notule.

mercredi 23 mars 2011

Le lied en français - VII - Schubert, Salut du matin ("Morgengruss")


On poursuit notre aventure éditoriale.

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Voici donc le huitième lied du cycle La Belle Meunière (Die Schöne Müllerin) de Schubert, très fidèle à la publication de Wilhelm Müller.

La traduction que je propose reste, comme, précédemment, proche des originaux.

Elle est versifiée, mais essentiellement par la rime : comme le vers allemand est un vers accentuel et non syllabique, il ne conserve pas systématiquement le même nombre de syllabes d'un vers de même mesure à l'autre. (En effet un groupe accentuel peut contenir deux à trois syllabes.)
Il est possible d'opérer une adaptation dans un vers français rigoureux, mais cela impose, au choix, de sacrifier la prosodie en accentuant des syllabes faibles ou inexpressives, ou bien de s'éloigner considérablement du sens du poème original.

Si je trouve des solutions plus performantes qui permettent d'assurer, sans abîmer le texte ni la prosodie, une plus grande propreté du poème français (mètres réguliers, pureté des rimes...), je ne manquerai pas de fournir une seconde édition aux lecteurs de CSS... Cela me paraît tout simplement assez improbable à établir.

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"Morgengruss" / "Salut du matin"

Guten Morgen, schöne Müllerin ! / Bonjour, belle meunière !
Wo steckst du gleich das Köpfchen hin, / Pourquoi, en hâte sous tes volets
Als wär dir was geschehen ? / Cacher ton âme altière ?
Verdrießt dich denn mein Gruß so schwer ? / Jugeas-tu mon salut hardi ?
Verstört dich denn mein Blick so sehr ? / Mon regard de peur t'a-t-il engourdie ?
So muß ich wieder gehen. / En route pour mes forêts !

O laß mich nur von ferne stehn, / Oh, laisse-moi rester au loin,
Nach deinem lieben Fenster sehn, / A ta fenêtre porter mes soins !
Von ferne, ganz von ferne ! / De loin, derrière tes voiles !
Du blondes Köpfchen, komm hervor ! / Ô blonde mine, dont l'accuei l
Hervor aus eurem runden Tor, / Paraît à mes yeux sur ton seuil,
Ihr blauen Morgensterne ! / Du matin sembles l'étoile !

Ihr schlummertrunknen Äugelein, / Paupière dans le sommeil immergée,
Ihr taubetrübten Blümelein, / Ta fleur est chargée par la rosée ;
Was scheuet ihr die Sonne ? / Pourquoi le soleil éclaire ?
Hat es die Nacht so gut gemeint, / La nuit vous révèle si bien,
Daß ihr euch schließt und bückt und weint / Dans vos pleurs, votre joie, mille riens ;
Nach ihrer stillen Wonne ? / Quel jour plus vous ferait plaire ?

Nun schüttelt ab der Träume Flor / Secoue ce rêve du matin,
Und hebt euch frisch und frei empor / Et fais sonner ton ris argentin
In Gottes hellen Morgen ! / Au crépuscule charmant
Die Lerche wirbelt in der Luft, / L'alouette vole dans les airs
Und aus dem tiefen Herzen ruft / Et crie à notre humaine chair
Die Liebe Leid und Sorgen. / D'amour les doux tourments.

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Partitions :

Suite de la notule.

jeudi 28 octobre 2010

Paul Hindemith - Das Marienleben, La Vie de Marie - Oeuvre, discographie, concert Soile Isokoski


Dans le très beau cadre froid du théâtre semi-circulaire de l'ampthithéâtre de Bastille, une oeuvre minimale, d'une pureté qui tient du vitrail, qui s'y prêtait très bien. L'occasion de présenter ce cycle majeur du vingtième siècle, voilà longtemps qu'on n'avait parlé de lied ici.


Illustrations de Heinrich Vogeler pour Le Fantôme de Canterville d'Oscar Wilde.


1. Un texte

Paul Hindemith met en musique le cycle de Rainer Maria Rilke, Das Marienleben ("La vie de Marie"). Ce recueil de poèmes, conçu pour illustrer les gravures de son ami Heinrich Vogeler (à qui il refuse finalement de livrer son travail), ne se limite pas, bien entendu, à une série de vignettes pieuses. Il était déjà dans la tradition allemande, luthéranisme aidant, d'effectuer des relectures actualisées de la mythologie religieuse, dans lesquelles on place les affects de son temps - témoin par exemple Auf ein altes Bild d'Eduard Mörike.

Rilke va assez loin dans ce sens, puisqu'il propose un parcours très subjectiviste du mythe : il fait régulièrement parler la Vierge (et même l'Etoile aux bergers...), explore ses pensées secrètes, ses incohérences, ses doutes, et jusqu'à ses amertumes presque blasphématoires - sans bien sûr altérer la figure sacrée. Les trois ultimes poèmes consacrés à la mort de Marie rapportent même des épisodes qui ne figurent pas dans le canon. La figure tutélaire de la pureté nous devient familière, elle agit en femme simple, certes douée de qualités à un haut degré, mais toujours humaine, très proche de nous. Certaines introspections sont très belles, comme l'assimilation de la petite fille à la structure du temple qu'elle parcourt, ou encore le raisonnement a posteriori qui fait de Cana le premier pas de la Passion : en priant son fils de résoudre le problème de la pénurie lors de ce mariage, elle hâte sa révélation comme faiseur de miracles et précipite donc son enfant vers le sacrifice qui l'attend :

Und dann tat er's. Sie verstand es später, / Et il fit ensuite ce qu'elle avait dit. Elle prit plus tard conscience
wie sie ihn in seinen Weg gedrängt : / à quel point elle l'avait poussé sur sa voie :
den jetzt war er wirklich Wundertäter, / car il était à présent devenu un véritable faiseur de miracles,
und das ganze Opfer war verhängt. / et le sacrifice était tout à fait annoncé.


Les poèmes sont réalisés dans une versification dotée de rimes très rigoureuses (sans utiliser les licences prévues par la tradition allemande), mais dans un style assez rhétorique, construisant des phrases complexes, longues et balancées, dans l'ordre de la parole, plutôt que cherchant l'allusion poétique. Il y a là quelque chose du style de démonstration philosophique présent dans certains poèmes de Hölderlin. Cependant chez Rilke, la construction est à la fois sophistiquée et très directe, car ses propos sont psychologiquement concrets, organisés sans inversions poétiques, dans un flux de parole assez explicite.

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2. Une musique

A l'image de ce cycle poétique, l'oeuvre qu'en tire Hindemith est très singulière. Toute la progression semble être d'une traite, sur le même ton, avec une prosodie un peu plate, presque psalmodiante (on pourrait rapprocher ça de la manière Poulenc, voire spécifiquement de Dialogues des Carmélites), où la voix se trouve très à découvert tandis que le piano, assez indépendant, ménage de petits contrepoints discrets (souvent une note par main, parfois même à l'unisson l'une de l'autre). Cette sorte de flux peu paraître très monotone, et une partie non négligeable du public - la salle était quasiment pleine - a quitté les lieux à l'occasion de la seconde pause. Mais c'est aussi un très beau flux de parole qui épouse la logique du poème de Rilke, dans un bavardage très solennel et épuré, de forme très linéaire, qui se poursuit à l'infini comme une divine logorrhées.

On nous donnait ce dimanche la version de 1948, puisque Hindemith a renié la version originale de 1923 qu'il jugeait comme une collection décousue de lieder. Aussi, en termes de structure, il emploie dans cette refonte les tonalités selon les thématiques qu'il veut évoquer : ut pour l'Infini, ré pour la Foi, mi pour le Christ, fa pour la faute, sol pour la Douceur, si pour la Vierge.

Musicalement, on y trouve les caractéristiques du Hindemith pourvu de la plus mauvaise réputation : à la fois très contrapuntique, assez austère, et usant de nombreux accords de quatre sons, qui sonnent très jazz, mais d'un jazz qui sonne aujourd'hui très gentil - plus le jazz chopinisant de Yaron Herman que les expérimentations de Coltrane.

Et pourtant, le tout a quelque chose de la pureté d'un vitrail, à la fois simple et regorgeant de finesses, une sorte de Via Crucis décadent - et qui cadre si bien avec la froideur intimiste de cette salle.

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3. Des moments

Ce cycle peut donc faire naître des sentiments ambivalents, à la fois très onirique, d'une grande modestie de moyens et d'une réelle beauté ; mais aussi ménager des moments de lassitude lorsque l'ensemble du cycle est enchaîné en raison de sa relative uniformité.

Néanmoins, distinguons quelques moments particulièrement saisissants, pour qui voudrait se promener au disque dans ces pages. (La partition mérite aussi d'être lue : elle n'est pas dure, et ménage des choses très plaisantes à la lecture, dont on ne sent pas toujours le - très respectueux - sel à la seule audition.)

Dans "Die Darstellung Mariä im Tempel" (2 - "La Présentation de Marie au Temple"), au milieu de motifs au rapport assez lâche avec le texte - c'est effectivement ce qui étonne le plus, la musique, sans être spécialement mélodique, reste assez indépendante de l'expression du texte -, la flamme des vasques qui irradie la jeune Marie miroite de façon assez remarquable, en particulier dans l'accompagnement qui trouve là son plus beau moment.

Pour l'Annonciation (3 - "Mariä Verkündigung"), puis pour la Nativité (7 - "Geburt Christi"), on entend des harmonies pentatoniques (et du mode de fa) très à la mode chez les français au tournant du siècle, par exemple dans la Villanelle pour cor et piano de Dukas ou dans le dernier mouvement de la Sonate pour violon et piano ainsi que du Quintette pour piano et cordes, chez Koechlin. Quelque chose d'un peu naïf et éthéré, propice à la danse (pas ici), à une joie candide.

Au début de la Pietà (11), l'évocation de la figure mariale qui se se fige en pierre, étant simultanément ce qu'elle vit et ce qu'elle deviendra pour la postérité, se fait au moyen d'un assez joli ostinato, peut-être pas aussi solennel qu'on l'aurait imaginé, mais suffisant pour frapper l'esprit de l'auditeur en un moment si fort - et un texte particulièrement réussi. A la fin de ce même lied, on entend des accords un peu dissonants et tout à fait déchirants qui ont eux aussi leur pouvoir, comme on va le voir.

Car Hindemith, en plus du certain détachement qu'on a dit, toujours distant et stylisé, ménage aussi volontiers des distorsions d'avec le texte qu'il met en musique. Témoin à la fin de la Nativité (7 - "Geburt Christi") :

Aber du wirst sehehn : Er erfreut. / Mais tu verras ceci : Il donne la joie.

A ce moment, la musique fait entendre des accords déchirants qui contredisent radicalement ce que profère le texte. Cette joie, celle de la maternité, celle aussi d'une Gloire à travers les peuples et les siècles... qu'est-elle face à la souffrance de la mère qui voit son fils interminablement traîné au supplice ? (Ici aussi, comme on le signalait en début de notule, le contraste entre la joie primesautière de l'enfance et l'avenir funeste rejoint assez ce qu'on essayé d'autres poètes, dont Mörike dans Auf ein altes Bild) Hindemith pousse donc encore plus loin, en ce point, le point de vue psychologisant de Rilke sur ce récit de la Vie de Marie.

Dans la même perspective, lors de l'apparition du Corps Glorieux à Marie (12 - "Stillung Mariä mit dem Auferstandenen", soit "Consolation de Marie auprès du Ressuscité"), sur les mots :

[...] Wie waren sie da / Ils étaient là,
unaussprechlich in Heilung. / indiciblement guéris.

Dans ces deux vers où Rilke place des fins et débuts de phrase en milieu de vers, comme dans l'ensemble du cycle, contribuant à son aspect de parole informelle (alors qu'il est techniquement suprêmement maîtrisé), Hindemith intervient aussi. Pour cette "Heilung", il appose des accords très étranges, qui ne ressemblent à rien d'autre dans cette oeuvre ; comme pour figurer ce que cette guérison a d'exceptionnel, de contre nature. Ici encore, le compositeur ajoute une strate de sens supplémentaire.

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4. Discographie

Suite de la notule.

jeudi 5 novembre 2009

Wagner littéraire


Wagner a écrit absolument tous ses textes, seul. Ce processus fait évidemment partie intégrante de son ambition totalisante (la fameuse « oeuvre d’art total », le Gesamtkunstwerk).

Pour le Ring, Wagner a écrit son poème dramatique dans le sens inverse de la chronologie. Cela explique sans doute que Götterdämmerung soit franchement bancal, au moins dans les proportions et la progression, avec ce premier acte immense et fragmenté, chaque acte allant raccourcissant. Il a ensuite composé la musique, longuement, dans le sens chronologique que l'on sait, de l'Or au Crépuscule.

Aspect

D'un point de vue purement littéraire, il y a débat. On a affaire à du vers allitératif archaïque (censé évoquer la matière telle que notée au Moyen-Age), et il est par conséquent difficile de le rapprocher de la poésie romantique allemande (et du théâtre attenant) : on n'y trouvera ni les standards expressifs du romantisme, ni les aspirations archaïsantes vers la Grèce Antique à la façon des poèmes de Hölderlin ou Mayrhofer, ou de la spectaculaire et profonde Fiancée de Messine de Schiller. Encore que, dans ce dernier cas, la relecture des mythes (Oedipe en l'occurrence) et la profondeur de l'introspection sur des problématiques prépsychanalytiques puisse être considérée comme un précédent, en dépit de la fondamentale disparité stylistique entre les deux auteurs. [Qui, clairement, ne joue pas dans la même cour.]

Déjà, cet exotisme de la forme déroute, et rend le jugement plus complexe à formuler.

Fonctionnement

Les wagnerolâtres considèrent que le résultat est inspiré et génial. Ce qui l'est indubitablement, c'est que malgré des visées assez dogmatiques pour nous communiquer sa vision du monde, Wagner a laissé une kyrielle d'infractuosités dans le sens, qui fait qu'on peut s'y glisser à l'infini. Et habiter le texte d'une façon très personnelle et subjective. Contrairement aux opéras de (Richard) Strauss par exemple, qui sont extrêmement fins dans leur propos, plus littéraires, des portraits psychologiques merveilleusement détaillés (Arabella), des réflexions abouties sur l'art (Capriccio), Wagner a réussi quelque chose d'un peu mal dégrossi, à la façon des maladresses des mythes. Mais qui ont précisément leur universalité.

Du point de vue des prétentions littéraires en revanche, ça ressasse beaucoup : au lieu d'observer les facettes d'une idée, Wagner la rabâche sans cesse sous le même angle. C'est flagrant en particulier dans Tristan : sur une durée aussi longue, avec autant de texte, on pourrait attendre un brassage assez efficaces des grandes problématiques du mythe, par exemple la question de l'avilissement et de la désocialisation. Au lieu de cela, le duo d'amour de l'acte II (l'une des plus grandes pages de musique jamais écrites, au demeurant) se complaît dans une espèce d'exultation végétative, qui est certes tout à fait pertinente, mais un peu longuette pendant trois quarts d'heure.

Par ailleurs, la langue n'est pas spécialement belle, un peu épaisse dans ses martèlements très étudiés. Autrement dit, sans musique, ce serait à la fois inreprésentable et illisible, et pour tout dire sans intérêt.

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Un verdict ?

Suite de la notule.

jeudi 8 octobre 2009

[podcast] Une tentative d'Histoire de la mélodie française



(Télécharger le son.
[Les sons ont aujourd'hui été désactivés, la transcription figure ci-dessous.])


Voici une petite improvisation qui était destinée à être distribuée sous forme de 'podcast', pour faire patienter les lecteurs de CSS durant la vacance du pouvoir lutinal (à la mi-août). Il se trouve que le son très mauvais (c'était juste un test, qui s'est révélé plutôt adéquat sur le contenu, mais le micro était trop mal placé, sous la table de travail près du ventilateur de la machine...) m'a dissuadé de le publier tel quel. En voici donc le réenregistrement ci-dessus et la retranscription ci-après.

J'ai ajouté les titres pour se repérer dans le flux verbal oral, et j'ai retouché une ou deux structures bancales. Je mets à disposition l'original, pour entendre l'improvisation (mais il est presque inaudible d'un point de vue technique), et la nouvelle version, où je lis cette fois les présentes notes.
On remarquera que je m'appuie beaucoup sur le parallèle entre les deux genres. On pourra se reporter aux propos sur l'histoire du lied pour mieux en profiter.

Il faut bien concevoir qu'il s'agit d'un petit parcours informel, sur le mode de la conversation : il y a donc un certain nombre de glissements, voire de digressions ; de répétitions, voire de martèlements, qui à l'oral servent à développer, à illustrer, mais qui fonctionnent nettement moins à l'écrit où l'on préfèrera des choses plus compartimentées et mieux délimitées. On se proposera peut-être de le faire prochainement. Dans l'attente, on pourra toujours suivre quelques-uns des nombreux liens ajoutés à la retranscription ci-après.

Qu'importe, c'est toujours un peu de matière.

Suite de la notule.

dimanche 5 avril 2009

Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - I - Le livret

[Lien sur la série 'lesfeesdewagner'.]


La troupe joyeuse des lutins, entre deux moments d'inconscience, a fait le déplacement dans la capitale passée et à venir du monde musical, et du monde tout court, pour l'événement : la meilleure oeuvre une très belle oeuvre négligée de Wagner dans une interprétation qui avait tout pour être réjouissante.

Elle ne fut pas déçue. Et elle ira même jusqu'à lever les préventions lues ici ou là et dont nous démontrerons, la plume hors du fourreau, qu'elles doivent plus à la méconnaissance des choses qu'aux hautes exigences de la lucidité.

Tremblez, glottophiles pénibles et wagnéropathes monomaniaquisants, le pouvoir de Gromarrec vous confondra !

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1. L'oeuvre

Il y a déjà longtemps (trois ans et demi), alors que Minkowski tenait encore en ses petites mains potelées son biberon basson et ignorait peut-être encore tout des Fées non grimmiques, CSS attirait déjà l'attention des amis des lutins sur cet ouvrage. Nous en discutions hier en précieuse compagnie, nous ne le dirions sans doute plus en ces termes (en particulier cette médisance énigmatique sur l'ouverture), mais certains traits de l'oeuvre sont déjà esquissés. C'était l'époque bénie et reculée où une notule était quelque chose de court.

Il est temps d'ajouter quelques précisions sur ce sujet, d'autant qu'il reste encore une représentation, le 9 avril.

Les lecteurs désireront peut-être se reporter au livret ou à la partition disponible sur IMSLP au cours de notre causerie.

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1.1. Le livret

1.1.1. Le livret et le conte

Suite de la notule.

lundi 18 août 2008

Appétits (suite)

Suite des appétits de la saison, à l'international, publiée ici en commentaire, sous l'article dédié à la France :

Suite de la notule.

dimanche 24 février 2008

Anton WEBERN - Tief von Fern (poème de Richard DEHMEL)

Traduction, présentation, extrait sonore.

Il est temps d'en revenir aux choses sérieuses.

Suite de la notule.

dimanche 25 mars 2007

Friedrich HÖLDERLIN - Heimkunft I - Episode 4 - Brève conclusion

... et mises en musique.

Episodes précédents :
 
            Ce texte d'un aspect peu commun nous a été l'heureux prétexte freudiges dichtend si l'on ose dire d'approcher certaines des spécificités de l'écriture de Hölderlin, qui le placent assez clairement hors de son temps, en adoptant les sujets et certaines préoccupations philosophiques de la poésie de son temps, mais en en refusant les stéréotypes métriques, lexicaux, syntaxiques et symboliques.
            Même, si, au besoin, le poète ne répugne pas à réutiliser les préoccupations les plus philosophiques des poètes contemporains, par exemple le sujet – très grec – de la place de l'homme : Was ist der Menschen Leben et Da ich ein Knabe war l’évoquent sur le mode des deux maximes delphiques, tel que Goethe avait pu le faire dans Grenzen der Menschheit [14]. La tournure même Da ich ein Knabe war, son sujet, ne peuvent qu’évoquer précisément le monologue final de l’ébauche du Prométhée goethéen : « Da ich ein Kind war » [15]. Et de même, le regard se tourne vers un père soleil supposé bienveillant – trait également à l’œuvre, dans une moindre  mesure, chez le Mayrhofer d’Heliopolis [16]. Cependant, le ton en est souvent distinct, assombri, l’humanité plus lointaine, témoin d’un temps antique et révolu ; ainsi la lecture de Ganymed, infiniment plus contingente, et dont l’élan ne possède pas la vitalité printanière du modèle goethéen [17].

Suite de la notule.

jeudi 22 mars 2007

Friedrich HÖLDERLIN - Heimkunft I - Episode 3 - La phrase de Hölderlin

Hölderlin CSS Une poétique sinueuse tentée par l'organisation argumentative de la philosophie.

Rappelons les épisodes précédents :
Et voyons à présent l'incarnation de ces éléments dans la phrase 'philosophomorphe' de Hölderlin.

Drin in den Alpen ists noch helle Nacht und die Wolke,
   Freudiges dichtend, sie deckt drinnen das gähnende Tal.
Dahin, dorthin toset und stürzt die scherzende Bergluft,
  Schroff durch Tannen herab glänzet und schwindet ein Strahl.
Langsam eilt und kämpft das freudigschauernde Chaos,
   Jung an Gestalt, doch stark, feiert es liebenden Streit
Unter den Felsen, es gärt und wankt in den ewigen Schranken,
   Denn bacchantischer zieht drinnen der Morgen herauf.
Denn es wächst unendlicher dort das Jahr und die heilgen
   Stunden, die Tage, sie sind kühner geordnet, gemischt.
Dennoch merket die Zeit der Gewittervogel und zwischen
   Bergen, hoch in der Luft weilt er und rufet den Tag.
Jetzt auch wachet und schaut in der Tiefe drinnen das Dörflein
   Furchtlos, Hohem vertraut, unter den Gipfeln hinauf.
Wachstum ahnend, denn schon, wie Blitze, fallen die alten
   Wasserquellen, der Grund unter den Stürzenden dampft,
Echo tonet umher, und die unermeßliche Werkstatt
   Reget bei Tag und Nacht, Gaben versendend, den Arm.
Là dans les Alpes, c’est encore nuit claire et le nuage,
    Poétisant du joyeux, il couvre au-dedans la vallée béante.
Deçà, delà, tempête et s’abat le vent de la montage, le bondissant,
    Abrupt par les sapins vers le bas scintille et se perd un rayon.
Lentement se hâte et lutte le Chaos qui frissonne joyeusement,
    Jeune de stature, et pourtant fort, il fête un amoureux différend
Entre les rocs, il fermente et vacille dans les barrières éternelles,
    Car plus bachique s’étire au-dedans le matin vers le haut.
Car elle croît plus infiniment là-bas l’année et les saintes
    Heures, les jours, sont plus audacieusement ordonnées, mêlés.
Et pourtant il marque le temps, l’oiseau de tempête, et entre
    Monts, haut dans les airs, il séjourne et appelle le jour.
A présent aussi s’éveille et regarde dans les profondeurs, au-dedans, le village
    Sans crainte, familier de ce qui est haut, entre les pics amont.
Pressentant croissance, car déjà, comme des éclairs, tombent les vieilles
    Cascades, leur fond sous les chutes s’élève en vapeurs,
L’écho résonne alentour, et l’atelier immense
     Lève jour et nuit, distribuant présents, le bras.


(Trad. François Fédier)



            Il est en effet récurrent chez Hölderlin – et cette première section de Heimkunft ne fait pas exception à la règle – que le propos soit structuré selon des articulations logiques, certes floues, mais qui évoquent la démonstration philosophique plus que l'esquisse poétique. Le plus évident est l'usage causal et parallèle des deux « denn », en début de vers (v.8-9), raisonnement par induction assez rare en poésie, surtout de façon aussi ordonnée, comme un souci d'explication méthodique de ce réel – fût-il poétique. Dans le même ordre, deux « und » du texte (v.1, v.9), ceux qui coordonnent deux propositions, semblent investis eux aussi d'une valeur logique, consacrant à chaque fois deux plans de représentation, le second se superposant au premier. Sans revêtir la forme argumentative, qui se méfie de l'addition simple, on trouve pourtant ici une association qui dépasse le simple ajout linéaire : une hiérarchie de représentation, un ordre est signifié par cet emploi singulier de la coordination. « Dennoch » (v.11) exploite, lui, une forme quasiment concessive, accordant au paysage un caractère plus tourmenté que ne pourrait le laisser entendre la description abstraite, paisible et hardie des monts. Ailleurs, il pourrait être entendu comme une relance narrative (c'est dans cet esprit que le traduit François Garrigue), mais sa succession aux éléments logiques de la phrase précédente laisse entendre une poursuite du raisonnement, où les précédentes assertions se nuancent et se complexifient.
            Car c'est presque une forme dialectique qu'emprunte le poème autour de cette figure du Gewittervogel qui assombrit le tableau lumineux initial pour, lorsqu'il rufet den Tag, ouvrir sur une nature large et généreuse – Wachstum ahnend, gaben versendend...Cette allure philosophique du texte n'est pas étrangère, bien entendu, à cette certaine abstraction du paysage, comme happé par les concepts.

Suite de la notule.

mercredi 7 mars 2007

A la découverte de Pelléas & Mélisande de Debussy/Maeterlinck - VIII - Sortie des souterrains (III,3) - b - les jardins, la tour, Geneviève

Après nous être attardé(s) sur la présence de la mer à travers tout Pelléas, poursuivons notre scène.

Suite de la notule.

lundi 12 février 2007

Friedrich HÖLDERLIN - Heimkunft I - Episode 2 - La densité de l'expression

Le texte et ses traductions figurent aussi dans l'Episode 0.

2. Force de l'expression très ramassée, des néologismes


Lire la suite.

Suite de la notule.

mercredi 7 février 2007

Friedrich HÖLDERLIN - Heimkunft I - Episode 1 - Le sujet et la versification

Rappel : Le texte et ses traductions figurent dans l'Episode 0.

1. Traitement spécifique du sujet, de la versification


Lire la suite.

Suite de la notule.

mardi 9 janvier 2007

Index thématique

Chocs esthétiques, Emerveillements et langue, Oeuvres et genres (Opéra), Oeuvres et traductions (Lied), Oeuvres (Musique intstrumentale), Oeuvres (Littérature), Oeuvres (Pictural), Portraits (Compositeurs), Portraits (Interprètes), Discographie, Comptes-rendus, etc.

On peut également se reporter à l'index alphabétique.

Complété petit à petit. N'est donc pas constamment à jour.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
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