À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.
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Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis
à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de laquelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1872
(150 ans du décès)
Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne,
considéré comme le compositeur
emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski
et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique
d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure
majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres
très passionnantes.
→
→ Straszny
dwór(« Le Manoir hanté ») est un opéra comique
manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très
grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement
dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues
fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet).
→ → Halkaest tout l'inverse : une
hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus,
de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans
l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout
finit très mal. C'est un peu Jenůfa,
avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et
une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt
convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une
musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce
n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens
exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment
rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui
se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort
sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
→ → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à
sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour
s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus
marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus
célébrés chez lui :
●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont
ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań
dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation
polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et
doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci
très vivement !
●● la Messe en laet des motets (album « Sacred Music » chez
DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment
personnels mais réellement agréables
au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque,
consacré aux Messes polonaises
et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins
bon niveau) ;
●● le Premier Quatuor, également d'un beau
romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement
emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son
Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le
trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une
série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le
Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent
toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et
haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette
série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour,
au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance
mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il
en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres
volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont
été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous
êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en
qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé
qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non
polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !
On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki
qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et
puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le
remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la
Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique /
pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la
Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les
opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce
que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de
même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński,
Nowowiejski, Różycki ou Penderecki ! Ceux-là pourrait remporter
un véritables succès – en plus du Roi
Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une
production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).
Michele Carafa.
→ Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29
opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans
et La Belle au bois dormant
!
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto »vol.2 chez Opera Rara), un air deLe Nozze di Lamermoordans le récital « Stelle di Napoli
» de Joyce DiDonato,
et deux scènes de Gabriella
di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford
(atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené
avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !)
qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de
Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes
formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en
particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un
peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en
puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en
particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À
l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où
l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la
cantate d'Ollone
(plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr
l'oratorio d'Honegger,
voire l'opéra de Verdi
? Un petit partenariat entre salles parisiennes ? Versailles et
TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et
reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce
qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ? Ce serait
parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur
président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien,
mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera
certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour
lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa
fierté, on célèbre Jeanne ! (et on joue plein d'opéras russes,
cf. supra – de toute
façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde
s'effondre)
Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.
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Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Alors là, 1872, c'est l'année de folie ! J'essaie de classer en
commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !
Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin,
occupe de hautes responsabilités,
professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne,
directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin…
et aussi membre de la Ligue de
combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti
nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer…
il devient particulièrement joué à
partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de
tous les dégénérés dans le
style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est
favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti,
il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il
participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa
musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif
polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se
renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout
naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender
pour réintégrer les nazis qui
ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment
Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne
demandaient rien. Pas évident à brander
pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers
l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus
ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de
sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près
de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique
sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand
sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être
devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras
et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de
Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un
lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents
notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et
un autre par Prey (Der Rock,
aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne »
reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je
serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914)
ou Der Prinz von Homburg
(1935). Il a aussi commis un Friedemann
Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure
d'artiste comme celle de Johnny
spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne
trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé
assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu
de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique
que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez
Jube Classics par exemple), Die
Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une
ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le
Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre
peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre
volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant
traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec
beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De
belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui
de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce
n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur
« Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème
symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle
étourdissante), Échos
du Royaume de Pan(son
œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des
formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec
des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et
ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz
Eugen ».
Variations
sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter »
(« Le Prince Eugène, ce noble
chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège
de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717
(première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans
l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire
musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre :
discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes
(augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors
!), fugato pépiant inspiré
des Maîtres Chanteurs
(l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de
la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur
caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une
variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément
identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au
lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une
transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande
symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et
jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai
de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon
assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano,
Danses suédoises, Divertimento,
une autre Sinfonietta. Des
œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour
violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est
vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas
le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis
en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la
mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il
échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas
toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi
d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie
CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ? Clairement, pour du
symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les
sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la
protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes
probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui
avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que
les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la
personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce
indirectement.
Néanmoins, les Variations sur «
Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le
contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela
galvaniserait l'auditoire ! (Après tout ça ne semble poser de
problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou
Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina
Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle
appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par
extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne
toucheront pas un sou…)
Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien
croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans,
comme chef notamment, puis
s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a
été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la
joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies.
La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez
ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén
plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas
celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa
fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même,
splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très
bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère
direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent
aussi le détour, comme Gustaf II
Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa
musique chorale est très simple et très belle, et fait partie
des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des
anthologies (le merveilleux Sköna Maj
des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén »
(OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a
dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de
profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui
habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra
! Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le
Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de
jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des
références folkloriques dans la Troisième,
avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un
personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une
pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement
convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu
dans ses propres œuvres !
Quant à la Quatrième, très
cursive (on croirait qu'il dirige Don
Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la
participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul ! Le
folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si
on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou
Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement,
avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un
rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour
plaire au public mahléro-sibélien ! Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup
de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné
! Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le
monde aura terminé de s'effondrer ? L'accroche est facile en
plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents »,
faites-le avec des projections
de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce
pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de
Paris ?
1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre
compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques
autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von
Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan
Williams… !
Prenez soin de vous. Carnets sur sol
prend soin de vos oreilles.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
(Pseudo) portrait de Franchinus
Gaffurius (par Léonard), puis portraits de Claude Goudimel, Ercole
Bernabei,
Denis Gaultier, Heinrich Schütz, Georg Caspar Schürmann,
Antoine Forqueray, Johann Kuhnau, Jan Adam Reincken.
Lettre ouverte
Chers programmateurs,
Veuillez trouver ci-après une liste
sélective de quelques compositeurs que vous pourriezmettre en avant pour l'année à venir, en
profitant de leurs anniversaires de vie et de mort.
Ne vous privez surtout pas de piller toutes idées à votre gré dans
cette liste.
Éthique de l'anniversaire
Je commence tout de suite par me disculper : je ne suis pas favorable
au principe de l'anniversaire.
Dans l'idéal, on devrait jouer les œuvres qui valent par leurs qualités intrinsèques
ou qui entrent dans un dialogue cohérent avec d'autres, documentent des
périodes ou des genres… pas les choisir parce que leur compositeur est
né il y a deux cents ans (quel choix particulièrement arbitraire,
extra-musical, et sans aucune plus-value !), était noir, était femme –
dans ces deux cas, le volontarisme permet cependant d'exhumer des fonds
qui restent autrement négligés –, était cycliste du dimanche amoureux
des platanes ou champion régional
du point-de-croix.
L'autre réserve tient à une simple question statistique : le génie
n'est pas obligatoirement réparti de
façon égale
selon les dates. Cela signifie qu'on ne jouera peut-être pas tel
compositeur de grand talent parce qu'il est mort une année trop riche,
et qu'on jouera tel autre un peu moins intéressant parce que néà une
date moins faste…
J'avoue que cette pensée me gêne toujours assez fortement – me dire que
notre connaissance du répertoire est bridée ou déformée par des
contraintes externes que nous
nous imposons, sans grand lien avec la
musique elle-même.
Pour autant je ne suis pas tout à fait naïf : pour remplir des salles
et vendre des disques (ce qui, même hors de l'argument économique,
reste le but de tout concert : être entendu !), avec des compositeurs
moins célèbres, il faut bien raconter
quelque chose.
Idéalement, un véritable récit
(le concert des Lunaisiens hier proposait « comment la chanson a-t-elle
nourri la légende napoléonienne ? »), quelque chose qui ait rapport avec la musique, soit par sonprogramme (les représentations de
la nature et de l'industrie dans la musique, on pourrait jouer du Knecht, du Mariotte et du Meisel ; ou les contes de Perrault & Grimm ?),
soit concernant la musique elle-même –
je rêve d'un cycle de concerts épousant le principe d' « Une décennie, un disque », permettant un parcours
express de l'histoire de la musique dans un genre donné (le quatuor à
cordes viennois, la musique a
cappella russe, la tragédie en musique française ou que
sais-je…). J'avais fait quelques suggestions dans cette notule.
Même si ce n'est pas l'angle le plus intéressant (ni, assurément, le
plus inventif !), l'anniversaire
reste un outil qui fonctionne. Notre espèce semble sensible aux
symboles de la récursivité du temps, et les pratiques de fêtes à date
fixe, de décompte des ans, quel que soit le sujet, paraissent partagées
par la plupart des cultures et sur des sujets aussi différents que les
créations d'entreprise ou les batailles du temps jadis.
Aussi, je m'y glisse pour suggérer par ce truchement ●quelques idées d'écoutes● aux
mélomanes – et qui sait, ■quelques
idées de répertoire■ marketing
inclusaux
artistes. En vert les
compositeurs que je présente (je suis obligé de
faire des choix, il va sans dire !), en rouge ceux qui me paraissent
fortement indiqués pour cette année 2022. Les grandes salles ont
bouclé
leur saison 2022 depuis
fort longtemps, mais les petits ensembles itinérants ont peut-être
encore un peu d'espace pour glisser un peu de Goudimel, de Certon, de
Reincken ou de Perne.
L'an 2022
En relevant 250 noms à partir
des centenaires et cinquantenaires de naissance et de décès, je croise
quelques très grands noms très bien documentés (Schütz, Franck,
Scriabine, Ralph Vaughan Williams…), mais pas de superstar susceptible
de toucher le grand public comme
Bach-Vivaldi-Mozart-Beethoven-Chopin-Liszt-Brahms-Ravel.
Aussi, il est probable que tout le monde laisse un peu tomber l'idée de
l'anniversaire, celui-ci volant en général au secours de la victoire et
servant à programmer et vendre encore plus de symphonies de Beethoven
(et même pas de ses mélodies irlandaises, ni même de ses sonates avec
violoncelle…).
À moins que ces brigands ne tentent l'astuce de compter en quarts de
siècle, pour les 125 ans de la mort de Brahms, les 175 de celle
de Mendelssohn ou les 225 de la naissance de Schubert et Donizetti !
La voie étant donc à peu près libre, voici ma sélection (évidemment
très incomplète) de compositeurs dont on pourra fêter un anniversaire
en 100 ou 50. (Je commence bien sûr, chaque année, par les morts,
puisqu'ils sont plus âgés par définition que ceux qui y naissent.) Je
tâche de préciser un peu qui ils sont, quels disques écouter, quelles
œuvres programmer.
Quoi qu'il en soit, qu'on se rassure : à la Philharmonie de Paris on
fêtera bel et bien les 162 ans de la naissance de Gustav Mahler !
Mort en 1222
(800 ans du décès)
Heinrich von Morungen.
→ Auteur et compositeur de Minnelieder. Il sera un peu difficile de lui
rendre justice : si les textes subsistent partiellement dans le Codex
Manesse, toutes les mélodies ont été perdues. (Un objectif pour
musicologue / arrangeur / compositeur contemporain ?) Certes, sa
faible notoriété dans le grand public rendra le concept invendable,
mais fêter le plus vieil anniversaire de l'année, quel panache !
Mort en 1272
(750 ans du décès)
Jehan Bretel.
Gautier d'Épinal (1272 est en réalité la date à laquelle on sait qu'il
était déjà mort).
Mort en 1372
(650 ans du décès)
Lorenzo da Firenze (peut-être mort en 1373).
Né en 1372
(650 ans de la naissance)
Johannes Cuvelier (aussi connu sous le nom de Jacquemart le Cuvelier,
date de naissance approximative)
Mort en 1422
(600 ans du décès)
Henry V d'Angleterre.
Mort en 1522
(500 ans du décès)
Jean Mouton (ou Jehan
Mouton – Jean de Hollingue de son vrai nom).
→ Ami de Josquin, compositeur également de grandes pièces sacrées. Sa
renommée est telle qu'il est régulièrement cité par les auteurs du
temps – jusque dans le prologue du Quart
Livre de
Rabelais ! Il a pour lui une fluidité très particulière, un sens
de la consonance verticale en même temps que de la polyphonie qui le
rendent particulièrement marquant – à mon sens.
→ À ne pas confondre avec Charles Mouton, luthiste important du XVIIe
siècle.
● Fabuleux disque (motets et Messe Dictes
moy toutes voz pensées),
très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012), très loin de leurs
approches autrefois plus désincarnées – basses rugissantes,
contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis en valeur.
■ Comme pour Goudimel ci-après, plutôt destiné aux ensembles
spécialistes, qu'on aimerait beaucoup entendre s'emparer de ce
répertoire ! (Organum, Doulce Mémoire, Les Meslanges…)
Franchinus Gaffurius.
→ Compositeur, mais avant tout théoricien.
Mort en 1572
(450 ans du décès)
Claude Goudimel.
→ Grand compositeur dePsaumes
dans leur traduction française, à l'intention des Réformés. Dans une
langue musicale simple, plutôt homorythmique, très dépouillée et
poétique.
● Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz
en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au
temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la
chose. (Couplé avec sa messe,
très intéressante également.)
■ Au concert, un ensemble spécialiste pourrait coupler quelques Psaumes
(ou toute messe) avec du Janequin ou du Josquin plus couramment
programmés. (Mais même un chœur traditionnel pourrait très bien s'en
charger. Sans doute pas trop difficile à mettre en place, et très
immédiatement beau.)
Pierre Certon.
→ Auteur de chansons.
● Le disque de la Boston Camerata a un peu vieilli, mais permet de
bénéficier de l'une des rares monographies.
■ Plus difficile à intégrer dans des programmes hors ensemble
spécialiste qui ferait un programme de chansons Renaissance. Mais
l'occasion pour eux de le faire !
Robert Parsons.
Christopher Tye.
Francisco Leontaritis (grec).
Né en 1572
(450 ans de la naissance)
Robert Ballard II
(possiblement né en 1575).
→ De la dynastie qui des fameux éditeurs, Robert Ballard laisse une
œuvre considérable pour le luth – à la vérité, mon corpus préféré ! –,
remarquable par sa prégnance mélodique. Il faut dire que ses Suites contiennent surtout des airs
de ballets transcrits (chants des ballets des contre-faits d'amour, ou des Insencez, ou encore de M. le Daufin),
des courantes, des gaillardes, bransles de la cornemuse et bransles de
village, pièces moins formelles que ce qui prévaut à l'ère Louis XIV…
● Formidable disque de Richard Kolb chez Centaur, très éloquent, capté
de près sans réverbération parasite. Sélection de pièces de premier
choix.
■ On peut espérer que les luthistes s'empareront de cette occasion pour
diversifier leur répertoire !
Thomas Tomkins.
Melchior Borchgrevinck.
Johannes Vodnianus Campanus (dont c'est le double anniversaire, étant
mort en 1622 !).
Moritz von Hessen-Kassel.
Edward Johnson.
Erasmus Widmann.
Daniel Bacheler.
Martin Peerson (peut-être le même que Martin Pearson).
Girolamo Conversi (date approximative de naissance).
Mort en 1622
(400 ans du décès)
Alfonso Fontanelli.
Giovanni Paolo Cima.
William Leighton.
Scipione Stella.
Giovanni Battista Grillo.
Johannes Vodnianus Campanus.
Salvatore Sacco.
Né en 1622
(400 ans de la naissance)
Ercole Bernabei.
Gaspar de Verlit.
Alba Trissina.
Jacques Lacquemant (DuBuisson, date approximative).
Mort en 1672
(350 ans du décès)
Orazio Benevolo (ou Benevoli).
→ Fils de Robert Bénevot, pâtissier français installé à Rome, il
fréquente Saint-Louis-des-Français et finit par composer pour la
Cappella Giulia (pour les offices publics de Saint-Pierre, par
opposition à Cappella Sistina pour les offices privés du pape). Il
pratique couramment les motets et messes à multiples chœurs et
nombreuses voix réelles – l'un de ses Magnificat atteint ainsi 16 voix réparties dans quatre chœurs (qui étaient
spatialisés, manière de pimenter le chose). De même pour la Messe « Si
Deus pro nobis ».
→ Ce n'est pas nécessairement le compositeur polychoral que j'aime le
plus – Legrenzi, Beretta, Merula et plus tard D. Scarlatti ont produit
des œuvres plus immédiatements éloquentes et mélodiques –, mais ce
serait l'occasion de l'exhumer un peu. Ou de le panacher, comme avait
fait Daucé pour ses concerts et son disque autour des motets &
messes à quatrechœurs.
● Essentiellement trois disques monographiques à ma connaissance : les deux Niquet (Missa Azzolina, Dixit
Dominus et Magnificat chez Naxos
; puis Magnificat et la grande Missa « Si Deus pro nobis » chez Alpha),
le second étant mieux capté et plus organiquement exécuté, avec de très
belles voix de véritables solistes (Boudet, Wattiez, Marcq, Favier…).
Et un disque de Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma
dirigée par Vincenzo di Betta
(chez Tactus),
consacré à la Messe « In angustia pestilentiæ » (messe des tourments de
la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu laborieusement
exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très claire, rythmes
très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du XVe…).
■ Pas évident à remonter vu les forces en présence, mais un peu de neuf
ne serait pas de refus. Pourquoi pas un petit programme sur les Messes
polychorales, à spatialiser à la Philharmonie ou dans une prestigieuse
église de l'hypercentre parisien ? À tisser avec d'autres
compositeurs plus fascinants (Legrenzi !), voire avec du contemporain
(ou du Nono…), il faudrait juste le vendre comme l'événement vocal
spatialisé du moment, chanté dans la pénombre, quelque chose qui fasse
ressortir l'expérience sensorielle (de fait saisissante).
Denis Gaultier.
→ Cousin parisien d'Ennemond Gaultier de Lyon (qui était souvent appelé
Vieux-Gaultier), il est lui aussi luthiste, et leurs partitions étaient
parfois publiées avec le seul nom de famille, ce qui a mené à bien des
confusions dans les attributions, même de leur vivant. Autant j'aime
beaucoup Ennemond (et ses contemporains Gallot, Dufaut, Ch. Mouton…),
autant je n'ai pas été très ému de ce que j'ai entendu de Denis.
● Très belle monographie de Hopkinson Smith, toujours engagé et
poétique, même si le matériau ne me convainc pas ici.
■
Aisé à inclure dans un récital de luth solo, à supposer qu'on en
fasse beaucoup, ou dans un intermède instrumental de concert baroque –
si toutefois les interprètes veulent bien condescendre à laisser de
côté Kapsberger, Piccinini et Bach… Pas du tout urgent à réentendre, à
mon sens, comme Robert Ballard II (ou les autres noms cités).
Jacques Champion de Chambonnières.
→ Grand représentant du style Louis XIII de la suite pour clavecin, en
quelque sorte le grand ancêtre de toutes les superstars
louisquartoziennes. Le style en reste un peu rigide et sévère.
→ Outre les danses auxquelles on est acoutumé (allemandes, courantes,
sarabandes, gigues), on y rencontre une gaillarde et deux pavanes
! Intéressant pour sa généalogie plus que pour sa musique – on
est souvent frappé de la pauvreté du langage de la musique
instrumentale du règne de Louis XIII.
● Kenneth Gilbert chez Orion a vieilli (et n'existe qu'en volumes
séparés, difficiles à trouver), je recommande donc le double disque de
Franz Silvestri, de très bonne facture et bien capté, chez Brilliant
Classics.
■ Pour débuter en douceur un récital de clavecin français, en le
replaçant dans sa généalogie ?
Heinrich Schütz.
→ L'un des quelques grands noms de cette année, mais comme les autres,
sans doute insuffisamment starisé pour remplir sans un peu d'effort les
salles de spectacle. Il est l'auteur du premier opéra en allemand, Dafne
(1627), perdu, comme à peu près tout son legs profane, hormis ses
madrigaux (très italianisants, mais plutôt dans le sens de la joliesse
un peu plate que de la richesse chromatique) et quelques airs.
→ De nombreux motets subsistent, ainsi que plusieurs Passion. Son style s'étend de la
monodie néo-grégorienne (Passion selon
Matthieu !) et la modalité post-Renaissance (où l'harmonie n'est que le
produit quasiment accidentel de la polyphonie) jusqu'à la rhétorique
baroque, certes encore polyphonique, mais davantage fondée sur la
progression verbale et harmonique.
● Dans l'immensité de son œuvre, entièrement (et plusieurs fois)
enregistrée, deux propositions.
●● Le Musikalische
Exequien,
son chef-d'œuvre à mon sens, suite de tuilages d'une densité admirable,
et d'une poésie intense, vraiment à cheval entre le monde de Lassus et
celui de Buxtehude (avec un aspect plus avenant que les deux, façon
Louis Le Prince plutôt que Frémart ou Formé…). Kuijken (chez Accent), en tout petit
comité, est une merveille absolue. Mais les American Bach Soloists, Rademann,
Akadêmia-Lasserre sont
remarquables, Vox Luminis, Laplénie, Corboz, l'Asfelder Vocal Ensemble
(Naxos) s'écoutent très bien. Herreweghe et The Sixteen m'ont déçu à la
réécoute, une certaine mollesse tout de même par rapport à la tenue de
la concurrence !
●● Côté Passion, je suis surtout familier de celle
selon Matthieu, enregistrée
avec des options très diverses (j'ai dû à peu près toutes les écouter).
L'Ars Nova Copenhagen
(København) chez Da Capo est la plus finement pensée et réalisée, au
cordeau, pleine de vérité verbale et d'atmosphères. Celle de l'Opéra de Stuttgart
(Kurz), parue chez divers labels économiques (Classica Licorne, Bella
Musica…) offre un Évangéliste assez extraordinaire de moelleux et de
présence, dans une acoustique sèche très troublante, comme extirpé de
l'atmosphère terrestre.
■ On ne fera pas venir les foules avec un programme tout Schütz,
musique assez exigeante – bien que la Philharmonie ait déjà proposé un
programme scénique autour de
Lassus, assez bien rempli d'ailleurs ! –, mais la demi-heure de l'Exequien ferait du bien auprès de
motets de Bach, par exemple. Même les ensembles amateurs pourraient
oser des choses. (Et les Passion,
très nues, pourraient quasiment être programmées par les paroisses avec
les moyens du bord.)
Nicolaus Hasse (pas le compositeur de seria
!).
Né en 1672
(350 ans de la naissance)
Georg Caspar Schürmann (ou 1673).
→ Compositeur de Basse-Saxe et de Thuringe, auteur de plusieurs opéras
en langue allemande et de quantité de musique sacrée.
● On trouve Die getreue Alceste chez
CPO, du seria écrit
comme de la cantate sacrée à l'allemande, augmentée de quelques chœurs
dans le style français. J'aime bien davantage ses cantates (par les
Bremen Weser-Renaissance, chez CPO à nouveau), dans une esthétique
proche de Bach, et surtout sa Suite
tirée de l'opéra Ludovicus Piùs,
écrite dans un goût haendelien, mais avec une charpente musicale encore
plus ambitieuse, pour un résultat assez jubilatoire et très nourrissant
(Akademie für alte Musik Berlin chez Harmonia Mundi) !
■ Encore beaucoup de choses à découvrir, mais les ensembles baroques
pourraient au moins glisser une petite cantate dans leurs programmes
Bach : ça ne ferait pas un contraste très violent, et permettrait de
voir un peu ailleurs. (J'aime davantage que la plupart des cantates de
Bach, pour ma part, mais je ne dois certainement pas servir de
mètre-étalon en la matière !)
Antoine Forqueray.
→ Grand gambiste de son temps, considéré par Daquin comme l'égal de
Marais. Son œuvre nous est parvenue par une double publication de son
fils : comme pièces de violes et comme transcriptions pour clavecin –
possiblement avec des ajouts voire quelques compositions de sa main.
→ Sa vie (et celle de sa famille) fut assez animée :
sa femme, claveciniste, avait porté plainte à de multiples reprises
pour violences conjugales, et lancé une procédure pour vivre hors du
domicile, tandis que lui finit par l'accuser publiquement d'adultère…
et par faire emprisonner leur fils à la prison de Bicêtre – qui en est
libéré faute de fondement à la requête paternelle. Bref, un autre sale
type qui compose, on a l'habitude – coucou Jean-Baptiste, coucou
Richard.
● Grand classique, on croule sous les propositions des meilleurs
interprètes.
●● À la viole de gambe, Vittorio Ghielmi
chez Passacaille (très français,
très engagé), Pandolfo & Friends chez Glossa (intégrale ; grande
variété de textures et de couleurs), Ben-David & Baucher chez Alpha
(très enrichi, sans aucune lourdeur, un véritable sens stylsitique,
couplé avec du Couperin très réussi), Lucile Boulanger…
[Duftschmidt est un cran en-dessous, et Mattila (chez Alba) assez
sec, je n'ai pas trop aimé.]
●● Au clavecin, Le Gaillard
(superbe équilibre, altier, chantant et
âpre, mais publié chez Mandala et donc introuvable), Rannou (captée de
trop près, très orné et un peu arrangé, toujours d'une invraisemblable
richesse), Borgstede chez Brilliant (riche son comme toujours, un peu
régulier peut-être), Leonhardt, Beauséjour chez Naxos, Taylor chez
Alpha…
■ Une mission pour le Festival Marin Marais et quelques concerts
Philippe Maillard ? Ou d'ensembles chambristes épars, d'ailleurs.
Francesco Mancini.
Mort en 1722
(300 ans du décès)
Johann Kuhnau.
→ Romancier, traducteur, juriste, théoricien de la musique et surtout
compositeur, Kuhnau fut formé à Dresde puis à Leipzig, où il occupe le
poste de Thomaskantor comme prédécesseur de Bach. Musique sacrée
évidemment, mais aussi musique pour les claviers, et même des opéras –
hélas je ne sache pas qu'aucun d'entre eux ait jamais été capté.
→ Ses cantates sont écrites
dans le goût du temps, avec un véritable savoir-faire, et des sonorités
parfois plus archaïsantes, mêlant un peu de Monteverdi (l'harmonie) et
Purcell (le type de virtuosité vocale) à ses autres aspects davantage
Buxtehude et Haendel.On y rencontre aussi de très beaux ensembles dans
le goût de Steffani et Pfleger.
→ Son bijou le plus singulier réside dans ses étonnantes Sonates bibliques,
qui évoquent à l'orgue seul, en
plusieurs mouvements comme une cantate,
des épisodes épiques de l'Ancien Testament : « Combat de David &
Goliath », « Saül mélancolique et apaisé par le truchement de la
Musique », « Ézéchias agonisant et revenu à la santé », « La tombe de
Jacob »… Épisodes très animés, mélodiques et débordant de vie – ces
longues réjouissances à la fin de la sonate de David !
● Il existe une intégrale des œuvres sacrées chantées chez CPO (Opella
Musica & Camerata Lipsiensis, avec des couleurs particulièrement
douces et chaudes) et une intégrale de l'orgue chez Brilliant Classics
(Stefano Molardi, sur un bel orgue bien capté et très bien registré).
Jan Adam Reincken (ou Johann) (ou Reinken).
→ Clavériste et gambiste, cofondateur de l'Opéra de Hambourg (petite
enclave où l'on jouait non seulement de l'opéra allemand, mais même
multilingue !), c'est un grand représentant du stylus phantasticus
en vogue au Nord de l'Allemagne – même si, à l'écoute de l'auditeur
d'aujourd'hui, on est surtout frappé par la concentration formelle et
harmonique de ses œuvres, où l'abstraction et l'exigence l'emportent
plutôt sur les traits virtuoses ou figuratifs (qui ne sont certes pas
absents de son œuvre).
→ En 1705, Bach fait le voyage à Hambourg pour l'entendre, et manifeste
son admiration ; il est considéré comme l'une de ses influences
importantes.
● Si vous le trouvez, le disque de Clément Geoffroy (chez L'Encelade)
est une merveille d'intelligence discursive. À défaut, on trouve
facilement l'intégrale de Simone Stella (clavecin et orgue, en séparé
chez OnClassical puis réédité en coffret chez Brilliant Classics)). Je
n'ai écouté que la partie clavecin, sur un instrument pas très beau et
capté d'un peu trop près. Autre œuvre importante : Hortus musicus, des sonates pour 2
violons, viole de gambe et clavecin qui se trouve en diverses versions.
■ Là aussi, assez aisé pour les solistes (ou les chambristes baroques)
d'en glisser un peu lors d'un concert. La densité et le caractère peu
souriant de l'ensemble ne plaident pas nécessairement pour un concert
tout-Reincken (j'ai déjà testé, le fonds est suffisamment varié pour
s'y prêter très bien), mais en panachant avec du Bach à la sauce phantastica, l'astuce est toute
trouvée.
Francesc Guerau (ou 1717).
Ruggiero Fedeli.
Jean-Conrad Baustetter.
Maria Frances Parke.
… le temps passé à rédiger les notices étant assez considérable… je
vous donne donc rendez-vous pour la suite de la liste, jusqu'en 1972,
pour les prochaines livraisons, que je tâche de réaliser au plus tôt !
Le temps aussi pour vous, studieux lecteurs, de commencer à écluser les
univers qui se déversent incontinent sur vous.
Nous ferons ensuite, si vous le voulez bien, un petit bilan de la
moisson – ce que ça révèle (aléatoirement, comme soulevé précédemment…)
des pans enfouis de l'histoire de la musique, et ce qu'on peut
peut-être en tirer pour une programmation 2022.
À très bientôt, estimés lecteurs. Puissiez-vous, dans l'intervalle,
survivre aux frimas, aux covidages nouveaux et aux remugles vichyssois
fantaisistes. Le slalom, c'est la santé.
Seconde livraison
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.
Né en 1722
(300 ans de la naissance)
Jiří Antonín Benda.
→
Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha,
Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des
sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une
trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour
alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion)
– au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique.
Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée),
ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un
accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en
numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu
criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la
déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les
deux volumes de Christian Benda
(avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas
du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant
laissé à l'appréciation de l'interprète ! Il suffit de traduire
par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué
! Je rêve d'un couplage entre Ariane
ou Médée d'une part,
la Cassandre de Jarrell
d'autre part.
Johann Ernst Bach II.
(1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un
cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas
être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils
du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le
savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour
partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque,
et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du
tout de l'oratorio marqué par le seria
en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces
disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par
Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien
capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant
chez lui sont ses Fantaisie
& Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend
dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de
la Toccata & Fugue en
ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement
liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue
en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus
(comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style
n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois,
cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé
presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout
les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus
appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion
(1764) gravé par Hermann Max (chez
Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de
compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick,
Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment.
Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que
je m'y risquerais (remplissage) ! Mais pourquoi pas, dans un
concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !
Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à
la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées
d'ariettes » (Le mariage d'Antonio
; Toinette et Louis – lequel
est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une
piste de sa main.
Sebastián Ramón de Albero y Añaños.
Pierto Nardini.
John Garth.
Mort en 1772
(250 ans du décès)
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet
à la mode Louis XV
(17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement
admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les
cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit,
la marche liminaire d'In exitu Israel,
la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit
tabernaculum suum » dans Cœli enarrant gloriam
Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la
période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2
ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour
les trois déjà enregistrés (Isbé,
Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos),
pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de
surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée,
1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je
ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques
extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour
Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des
couleurs chez Coin pour Cœli
enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes
possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une
thématique (Babylone avec Dominus
regnavit ? fuite d'Égype avec In exitu Israel
?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect
immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël,
description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut
s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est
extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).
Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La
Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était
en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle
Royale… Daquin est une figure majeure
des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin
(qui contient le fameux Coucou,
quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls,
qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À
la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un
Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un
certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais
perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution,
c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui
n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de
son legs, à savoir les noëls,
je vous recommande très vivement Adriano
Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer
sur les flûtes et anches très françaises,
particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque
(Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez
variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui
n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait
du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa
notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles
baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ? Il y aurait un
petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient
parmi les classiques favoris.
Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu
trouver aucune piste musicale incluant sa musique.
Francesco Barsanti.
Johann Peter Kellner.
Georg Reutter le Jeune.
Né en 1772
(250 ans de la naissance)
Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue
allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à
Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne
et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien
Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un
musicien majeur de son temps. Ses 3
concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement
les meilleurs de la période classique et romantique,
très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un
sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore,
l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument
être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors
clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium
Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors
avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument
merveilleuse ;
●● deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore)
où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering
chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda,
Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style
classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes
/ beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la
version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en
musique par Schubert,
auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri
évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette
répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel
comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge
Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous
les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen
Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette
composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette
clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec
ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne
pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette
et plus encore la Première Symphonie
feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et
jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un
concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un
compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à
jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les
œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos
qui
n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font
saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!),
hautbois-basson-cor ! Quelle fête ce pourrait être !
Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en
octuor à vent – particulièrement Don
Giovanni et quelquefois la Clémence
de Titus, les arrangements des Noces
et le plus souvent de la Clemenza
étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così,
c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de
l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres
œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2
clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie
n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments
tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se
piacer mi vuoi »,
clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano
», « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto,
ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »),
respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un
résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et
ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut
écouter l'Oslo Kammerakademi
dans La Clemenza di Tito
(chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et
vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du
Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de
timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour
Don Giovanni
(Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de
surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe
siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection
très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor,
utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle
relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal »,
et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a
aussi bien enregistré des extraits de
Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins
jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des
soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de
premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de
Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les
arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un
voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces
musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de
compte, des traditions d'époque.
François-Louis Perne
(1772–1832).
→
D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris,
Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris («
inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de
déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et
essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un
certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme
antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie
en Tauride de
Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique,
les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité
de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il
laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens
(fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint
archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien
et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois
pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de
Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y
entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise
contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en
soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de
Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi
entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et
fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro,
mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en
faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La
bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ».
Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un
pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)
Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au
front), mais aussi un pianiste
considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son
monumental L'Art de varier,
très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment
pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous
recommanderais plutôt le Quatuor
scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est
aussi le dédicataire du Troisième
Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios
piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et
orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois
volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en
dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor
se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la
convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre
assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non
plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées
compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme
d'abord de la grande musique oubliée.
Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).
Thomas Byström.
Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double
anniversaire cette année !
Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve
énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ;
mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un
petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les
arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de
surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous
égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon,
certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.
Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou
vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine
livraison – la septième va vous
étonner !
1822 – Dupuy, Davaux, Hoffmann… :
la perte des Reines du Nord, l'inventeur véritable du métronome,
l'auteur de génie qui compose…
Troisième livraison
Nos héros morts ou nés en cette année 2022 :
Dupuy au centre, puis de haut en bas Raff, Davaux, Hoffmann, Franck.
[[]]
Premier mouvement du Concerto pour basson en ut mineur d'Édouard
Dupuy.
Sambeek, Chambre de Suède, Ogrintchouk (BIS 2019).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de la quelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1822
(200 ans du décès)
1822 Édouard Dupuy
(1770–1822) (ou du Puy, ou Du Puy…)
→ Quel gaillard que ce Dupuy ! Il naît en Romandie, canton de Neuchâtel, élevé par un
oncle musicien. De là, accrochez-vous : il part à Paris
étudier le piano avec Dussek et le violon avec Chabran. Il est aussi un
excellent chanteur, se produisant sur scène en Don Giovanni, un baryton
assez léger pouvant tout de même tenir au besoin les rôles de ténor et
de basse, voire chanter des parties en falsetto !
→
→ Il rencontre le frère de Frédéric de Prusse
et c'est le début d'un tour d'Europe : le voilà musicien, puis chanteur
au service de la chapelle du Prince. Mais il séduit, après les
actrices, trop de dames de l'aristocratie – et il se présente à
l'office du dimanche sans descendre de monture (non, je ne
parle pas des duchesses, tenez-vous enfin !) –, si bien qu'il
est expulsé du pays.
→ → Qu'à cela ne tienne, tournées
en Pologne, en Allemagne, et notre bougre
devient violoniste à l'orchestre de la Cour royale de Suède
; il y rencontre aussi un vif succès en chantant dans les opéras
comiques traduits de Grétry et Gaveaux, alors très en vogue dans le
pays – son accent français étant considéré comme un atout
supplémentaire. Mais il fréquente de trop près (i.e. soulève)
Sophie Hagman, la maîtresse royale officielle du prince Frederick
Adolf, et chante des airs à la gloire du Premier Consul, assez peu
goûtés en monarchie. Bannissement.
→ → Il faut bien se contenter du Danemark (où il se marie,
mais qui s'en soucie ?), où il atteint la gloire à de multiples titres
: succès retentissant pour son Ungdom
og Galskab (« Jeunesse et folie »), opéra comique appuyé sur un
livret de Bouilly pour Méhul ; triomphe dans le rôle-titre de Don Giovanni
; coqueluche des cercles mondains (ayant ses propres réceptions) ;
carrière d'officier militaire dans les Chasseurs Danois, où il mène une
résistance admirée face aux Anglais en 1807 ; enfin le dernier titre de
notoriété, celui que vous attendiez, il est pris en flagrant délit de
gros bisous avec la princesse héritière Charlotte Frederikke qui avait
sollicité ses leçons de chant !
→ → Mais entre temps… le prince
suédois est renversé et remplacé par Bernadotte, Dupuy peut retourner
en Suède comme rien
de moins que chef (sévère) de l'orchestre de la
Cour. On pense même qu'il enseigna au jeune Berwald.
● Peu de choses au disque, mais beaucoup de marquantes. Voici par quoi
commencer :
●● Le Concerto pour basson en ut
mineur, retrouvé par Bram van Sambeek – l'histoire de sa
résurrection est saisissante : le bassonniste avait demandé une copie
du Quintette (basson & quatuor à cordes) en la mineur, qui existe
aussi sous forme de concerto – ce quintette est sa seule œuvre un peu
jouée et enregistrée avec le Concerto pour flûte n°1 et l'Ouverture d'Ungdom og Galskab. Il avait reçu
par erreur ce concerto dont il ignorait l'existence ! L'univers
sonore en est très dramatique (certaines mélodies sont peut-être
empruntées à des opéras), on sent l'influence du drame d'école
cherubinienne dans ses tournures à l'éclat farouche et sombre. Le thème
B du premier mouvement est absolument ineffable, et son introduction
très originale : le thème A est joué seulement à l'orchestre, pendant
près de deux minutes, et le basson fait son entrée sur ce véritable
thème B… mais caché sous la clarinette qui chante la ligne supérieure
du thème ! Possiblement un clin d'œil du compositeur, puisque le
beau-frère du commanditaire était Crusell, le grand clarinettiste de
ces années, qui officiait dans lui aussi dans l'Orchestre de la Cour de
Suède… leur entrée était ainsi commune. Cette liberté formelle et ce
sent du contraste m'évoque beaucoup le premier mouvement du Concerto
l'Empereur de Beethoven, pour rester dans les menus compliments…
Splendide disque disponible chez BIS, parution de 2019 ou 2020, et l'un
de ceux que j'ai le plus écoutés cette année toutes catégories
confondues…
●● Son opéra comique à succès Ungdom og Galskab(d'après un livret pour Méhul par
Bouilly, l'auteur de Léonore
qui a servi à Gaveaux puis Beethoven) a été remarquablement enregistré
chez Dacapo (la branche danoise de Naxos, très richement pourvue en
raretés de qualité exceptionnelles, de Kunzen à Ruders en passant par
Hamerik), avec notamment les superstars vocales et artistes de premier
plan Elming, Cold et Schønwandt ! En bonus, le Concerto pour
flûte n°1, lui aussi assez dramatique, qui reprend des tèmes de
l'opéra.
■ Je peux comprendre que l'on ne représente pas d'opéras en danois (et
je ne vais pas revenir dans cette notule sur l'intérêt majeur dans ce
cas d'une version traduite…), mais les concertos remporteraient un vif
succès auprès du public.
On pourrait imaginer, au choix :
■■ Une soirée « Dupuy le séducteur » avec un récitant qui raconte de
façon plaisante ses aventures : Pauline Long des Clavières, Roger
Cotte, Gorm Busk, Vincent Alettaz ont mené des recherches assez
précises pour pouvoir soutenir une heure et demie de spectacle
entrecoupée de musiques, pour peu qu'une plume un peu adroite le
présente un peu savoureusement. Ce n'est pas mon idéal de spectacles,
mais on a pu vendre du Saint-George avec ce concept, je ne vois pas
pourquoi on ne pourrait pas vendre de la bonne musique avec la même
idée !
■■ Une soirée « Concertos classiques / premiers romantiques pour vents
», avec la flûte de Dupuy, le hautbois de Mozart (pour rassurer les
gens), la clarinette de Cartellieri (ou Crusell, ou Krommer…), le
basson de Hummel… On pourrait vraiment proposer un concept original,
intriguant, délicieux et convaincant. (Pendant ce temps la Philharmonie
invite La Scala pour jouer Pétrouchka et Oslo pour jouer Mahler…)
Jean-Baptiste Davaux (ou
d'Avaux)
→ Figure tout à fait considérable et pourtant quasiment pas représentée
au disque ni dans l'imaginaire collectif. Il se considérait lui-même
comme amateur, mais a laissé des opéras comiques à succès, des
symphonies très bien accueillies, et beaucoup de concertos et
symphonies concertantes, souvent programmées au Concert Spirituel et largement
fêtées par le public et la presse dans les années 1770-1790.
→
→ Venu étudier le violon à Paris, Davaux fréquente les cercles
littéraires, musicaux (notamment Martini et Saint-George), est membre
de la loge maçonnique des Neuf Sœurs (celle de Voltaire et Franklin )…
un garçon très inséré, et qui est aussi l'inventeur d'un « chronomètre » réalisé par Bréguet
lui-même, en réalité un métronome visuel. On sélectionnait le nombre de
temps par mesure, la vitesse de chaque temps avec la petite aiguille,
et la grande indiquait alors la pulsation. On est trente ans environs
avant Maelzel – qui, certes, est réputé avoir volé son propre système.
Un honnête homme complet, donc.
● Pour autant, à ma connaissance, une seule œuvre est actuellement
disponible au disque, la Symphonie concertante
mêlée d’airs patriotiques pour deux violons principaux (1794).
Dans deux excellentes versions couplées avec d'autres œuvres de la
période, celle du Concerto Köln de 1989 (qui n'a pas du tout vieilli)
et celle toute récente du Concert de la Loge Olympique, deux ensembles
qui se sont illustrés parmi les meilleurs interprètes des compositeurs
français de cette génération. On y entend, dans une veine
primesautière, des citations d'airs patriotiques, à peine ornées de
variations, qui ont l'avantage d'être aussi ceux que nous connaissons :
La Marseillaise dans le
premier mouvement, « Vous, qui d’amoureuse aventure » de Dalayrac (très
populaire sous la Révolution et recyclé ensuite en « Veillons au salut
de l'Empire ») dans l'adagio, la Carmagnole
et Ça ira dans le final… Très
réjouissant, aurait un énorme succès en concert, exactement comme à
l'époque où ces thèmes connus garantissaient par avance la sympathie du
public.
■ Sans même explorer plus avant le fonds du catalogue Davaux, imaginez
un concert « patriotique » au
moment judicieux, où l'on jouerait la Marseillaise
de Berlioz, Hermann & Dorothée
de Schumann (il existe aussi une version orchestrale des Deux Grenadiers), 1812 de Tchaïkovski, Feux d'artifice de Debussy, La nouvelle Babylone de
Chostakovitch (une BO)… et bien sûr, si l'on veut, le 25e Concerto pour
piano de Mozart… Cette symphonie concertante s'y glisserait avec
beaucoup de succès, et nul doute qu'un 14 juillet ou un week-end
d'élections, cela pourrait motiver un public beaucoup plus vaste que
l'ordinaire.
E.T.A. Hoffmann (en
réalité E.T.W. Hoffmann)
→ On présente souvent Hoffmann comme un écrivain, à l'instar de
Nietzsche ou Adorno, qui écrivait aussi un peu de musique. En réalité,
une grande partie de sa vie, y compris professionnelle, y a été
consacrée ! Il écrit au moins 13 œuvres pour la scène (et qui
sont jouées), des
cantates, de la musique sacrée, de la musique symphonique et
chambriste,
et il est même, à la fin des années 1800, chef d'orchestre au théâtre
de Bamberg !
→
→ Tout les commentateurs sont frappés par la sagesse de sa musique, en
opposition avec son imagination fantastique
dans ses écrits. Il admire Mozart, mais compose vraiment comme la
génération d'après, d'un romantisme évident, et qui conserve cependant
une partie de sa grammaire classique. Je concorde : même ses opéras
sont assez paisibles.
● Il m'a fallu beaucoup de patience, et notamment à l'occasion de cette
notule, pour rencontrer des œuvres qui méritent vraiment d'être
entendues pour des raisons purement musicales, et non par seule et
légitime curiosité d'entendre la musique pensée par le grand écrivain :
la plupart de son catalogue ménage très peu de surprises, de la jolie
musique du rang, bien faite, mais sans saillance qui traduise la
singularité d'un esprit. Presque des devoirs d'étudiant, qui cherche à
réutiliser habilement les tournures autorisées, et qui se fait
progressivement un métier en imitant ses pairs et en respectant les
règles.
●● Jolie Symphonie en mi bémol,
plusieurs fois enregistrée,
très bien réalisée par M.A. Willens chez CPO (très vivant)… mais la
comparaison avec
celle de Witt proposée en couplage (qui n'est pourtant pas la meilleure
de sa génération) est cruelle : dans l'une, tout est à sa place, d'un
bel équilibre, écrit en toute correction, tandis que l'autre propose
des gestes plus singuliers, la marque d'un compositeur qui réfléchit
sur la substance musicale et ne se contente pas de reproduire des
formules préexistantes. Pour autant, la symphonie d'Hoffmann, ainsi
jouée, mérite l'écoute.
●● Les opéras (ou le mélodrame Dirna) et la musique de chambre, qui figurent
désormais assez largement au disque, m'ont paru moins marquants,
vraiment la musique du rang de son temps : pas déshonorant, et même
impressionnant pour quelqu'un d'aussi talentueux par ailleurs, mais
assez peu de saillances pour justifier d'y passer beaucoup de temps
alors que le disque offre tant de choix plus exaltants.
●● C'est sans doute la musique
sacrée qui est la plus intéressante, la Messe et surtout le Miserere (plutôt la version
Bamberg-Beck chez Koch/DGG que R.Cologne-R.Huber chez CPO). Le disque
Beck permet de surcroît de disposer d'une bonne version de la
symphonie, c'est-à-dire de faire le tour de l'essentiel en un disque.
Mais je ne doute pas que vous ne soyez suffisamment curieux pour
essayer les opéras tout de même…
■ Le nom d'Hoffmann étant lui-même vendeur, on peut imaginer tous les
formats !
■■ Le concert-lecture bien sûr, par exemple avec sa musique de chambre
entre ses écrits. Mais attention au contraste entre la précision
évocatrice, les situations saisissantes de ses fictions, et la
conformité un peu lisse de ses compositions.
■■ L'écho, par exemple sa Messe
ou son Miserere en regards de bouts des Contes d'Hoffmann ou bien sûr de Don Giovanni.
■■ Un concert consacré aux
écrivains célèbres qui étaient également compositeurs, il y en a
quelques-uns (Nietzsche est tout à fait intéressant, Adorno pas
vraiment).
■■ D'une manière générale, il ne
serait pas très compliqué de glisser une piécette pour pimenter un
programme de l'époque, suscité la curiosité du public « oh, un truc
d'Hoffmann ».
Et aussi :
William Herschel (1738–1822).
Gaetano Valeri (1760–1822).
Maria Brizzi Giorgi.
Maria Frances Parke, dont c'est deux fois l'anniversaire cette année
(1772-1822).
Maria Hester Park (1775–1822).
Né en 1822
(200 ans de la naissance)
César Franck
→ J'irai vite sur Franck également : figure majeure de la musique (de
langue) française, le pont entre son auditoire parisien et le
chromatisme wagnérien qu'il fait infuser sur toute une génération de
compositeurs français dont les audaces nous fascinent ensuite. Je
trouve frappant qu'on entende chez Franck à quel point c'est aussi un
homme du monde qui a précédé : on entend ses années de formation dans
certaines de ses œuvres, je veux dire par là qu'on entend qu'il n'a pas
été, lui, éduqué par Franck, et que le socle de son art repose sur des
formules plus simples que celles qu'il a adoptées et diffusées par la
suite. Jusque dans les œuvres de maturité, il reste quelque chose d'un
peu stable et nu quelquefois.
● Son catalogue est amplement servi, quelques pistes si vous êtes
perdus.
●● Le plus décanté, dense et abouti,
représentatif de sa pensée chromatique aux extérieurs simples, réside
sans doute dans ses 3 Chorals
pour orgue. Énormément de versions, parmi lesquelles j'aime beaucoup
Guillou chez Dorian (la registration variée favorise la progression),
M.-C. Alain 1976 chez Erato / Apex (registration peu éclatant, mais
poussée constante), Latry (son brillant, respiration ample mais
toujours tendu).
●● Dans le même goût, mais plus ouvertement retors et sinueux,
bifurquant sans cesse entre les tonalités, que réellement décanté, le Quatuor en ré. Par exemple par les
Petersen chez Phoenix (si l'on aime le son un peu pincé et le vibrato
généreux) ou par les Danel chez CPO (si l'on veut avant tout de la
lisibilité et du mouvement plutôt que de la couleur).
●● La Symphonieen ré mineur est incontournable,
mais attention aux versions lourdes et germanisées que l'on rencontre
le plus souvent, y compris avec des orchestres français (Mikko Franck)
ou même des chefs français (Monteux). On perd alors beaucoup de
lisibilité et surtout d'intelligibilité… L'urgence de Cantelli, la
transparence d'Otterloo, la franchise très française de Gendille (quel
style !), la filiation française de Lombard et Langrée, ou plus
germanique mais très réussi, la rondeur tendue d'Arming ou l'élan
cursif de Neuhold… ce sont de bonnes adresses.
●● Pour disposer d'une idée de ce que produit l'éducation musicale de
Franck, il faut plutôt se tourner vers l'opéra… Je n'ai pas vérifié si Stradella avait
été publié en DVD, mais c'est un opéra qui donne à entendre tout un
versant italien, beaucoup plus nu et méconnu, de Franck, et assez
réussi. (Tandis que Hulda,
enregistrée récemment et bientôt donnée par Bru Zane, me paraît receler
assez peu de merveilles à la lecture comme à l'écoute…)
●● Peut-être plus abouti dans le genre du Franck-tradi, on peut aller
écouter ses mélodies et ses chœurs,
sacrés ou profanes. Par exemple avec le bel album paru l'année passée De l'autel au salon (Chœur de
chambre de Namur, Lenaerts, Musiques en Wallonie), qui fait entendre
des œuvres à la fois simples et manifestant une maîtrise précise des
moyens musicaux.
■ La musique vocale, mélodies et musique chorale, est sans doute ce que
l'on connaît le moins de lui. Ce serait l'occasion d'en mettre un peu
au programme. Cette saison, Bru Zane va déjà nous offrir Hulda dans les meilleures
conditions sonores imaginables (distribution et orchestre). Un petit
concert plus chambriste serait très bienvenu aussi.
Josef Joachim Raff.
→ Je connais mal Raff, et ce que j'en connais ne m'a que modérément
donné envie d'approfondir. Romantisme allemand assez épais, qui essaie
d'échapper au formalisme par des programmes, mais auquel il manque à
mon gré le sens de la surprise, du contraste, de l'orchestration, de la
mélodie aussi. Tout ronronne bien joliment et je n'ai à ce jour pas été
ébloui, en particulier par les symphonies, qui jouissent de la
meilleure réputation. Le catalogue étant vaste et bien documenté, il
m'aurait fallu plus de temps que je n'en ai pour chercher les pépites,
dans un goût qui me passionne moins que les autres individus dont j'ai
parlé ici.
→ Ce serait justement la tâche de l'anniversaire que de compter sur des
musiciens qui auraient déniché la pépite, comme le font Héloïse Luzzati
ou Francis Paraïso, et de leur laisser la place le temps d'une soirée
thématique où ils sauraient sléectionner le meilleur !
Luigi Arditi.
Faustina Hasse Hodges.
Betty Boije
Vous le verrez, 1872 est encore plus concentré en grands noms – ou noms
de moindre renommée mais au catalogue ébouriffant ! C'est 1922
qui est un peu décevant, alors que 1972 tient très bien son rang
!
Mais si vous ne connaissez pas Dupuy et Davaux, ou si vous êtes un peu
curieux des aspects méconnus d'Hoffmann et Franck, vous devriez avoir
déjà de quoi vous émerveiller un peu, en attendant.
Quatrième livraison
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.
[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis
à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de laquelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1872
(150 ans du décès)
Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne,
considéré comme le compositeur
emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski
et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique
d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure
majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres
très passionnantes.
→
→ Straszny
dwór(« Le Manoir hanté ») est un opéra comique
manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très
grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement
dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues
fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet).
→ → Halkaest tout l'inverse : une
hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus,
de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans
l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout
finit très mal. C'est un peu Jenůfa,
avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et
une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt
convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une
musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce
n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens
exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment
rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui
se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort
sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
→ → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à
sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour
s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus
marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus
célébrés chez lui :
●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont
ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań
dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation
polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et
doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci
très vivement !
●● la Messe en laet des motets (album « Sacred Music » chez
DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment
personnels mais réellement agréables
au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque,
consacré aux Messes polonaises
et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins
bon niveau) ;
●● le Premier Quatuor, également d'un beau
romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement
emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son
Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le
trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une
série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le
Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent
toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et
haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette
série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour,
au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance
mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il
en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres
volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont
été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous
êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en
qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé
qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non
polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !
On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki
qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et
puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le
remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la
Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique /
pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la
Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les
opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce
que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de
même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński,
Nowowiejski, Różycki ou Penderecki ! Ceux-là pourrait remporter
un véritables succès – en plus du Roi
Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une
production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).
Michele Carafa.
→ Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29
opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans
et La Belle au bois dormant
!
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto »vol.2 chez Opera Rara), un air deLe Nozze di Lamermoordans le récital « Stelle di Napoli
» de Joyce DiDonato,
et deux scènes de Gabriella
di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford
(atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené
avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !)
qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de
Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes
formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en
particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un
peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en
puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en
particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À
l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où
l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la
cantate d'Ollone
(plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr
l'oratorio d'Honegger,
voire l'opéra de Verdi
? Un petit partenariat entre salles parisiennes ? Versailles et
TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et
reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce
qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ? Ce serait
parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur
président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien,
mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera
certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour
lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa
fierté, on célèbre Jeanne ! (et on joue plein d'opéras russes,
cf. supra – de toute
façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde
s'effondre)
Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.
[[]]
Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Alors là, 1872, c'est l'année de folie ! J'essaie de classer en
commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !
Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin,
occupe de hautes responsabilités,
professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne,
directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin…
et aussi membre de la Ligue de
combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti
nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer…
il devient particulièrement joué à
partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de
tous les dégénérés dans le
style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est
favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti,
il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il
participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa
musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif
polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se
renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout
naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender
pour réintégrer les nazis qui
ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment
Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne
demandaient rien. Pas évident à brander
pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers
l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus
ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de
sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près
de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique
sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand
sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être
devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras
et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de
Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un
lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents
notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et
un autre par Prey (Der Rock,
aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne »
reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je
serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914)
ou Der Prinz von Homburg
(1935). Il a aussi commis un Friedemann
Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure
d'artiste comme celle de Johnny
spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne
trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé
assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu
de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique
que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez
Jube Classics par exemple), Die
Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une
ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le
Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre
peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre
volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant
traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec
beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De
belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui
de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce
n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur
« Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème
symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle
étourdissante), Échos
du Royaume de Pan(son
œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des
formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec
des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et
ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz
Eugen ».
Variations
sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter »
(« Le Prince Eugène, ce noble
chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège
de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717
(première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans
l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire
musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre :
discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes
(augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors
!), fugato pépiant inspiré
des Maîtres Chanteurs
(l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de
la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur
caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une
variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément
identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au
lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une
transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande
symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et
jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai
de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon
assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano,
Danses suédoises, Divertimento,
une autre Sinfonietta. Des
œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour
violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est
vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas
le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis
en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la
mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il
échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas
toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi
d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie
CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ? Clairement, pour du
symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les
sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la
protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes
probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui
avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que
les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la
personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce
indirectement.
Néanmoins, les Variations sur «
Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le
contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela
galvaniserait l'auditoire ! (Après tout ça ne semble poser de
problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou
Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina
Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle
appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par
extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne
toucheront pas un sou…)
Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien
croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans,
comme chef notamment, puis
s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a
été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la
joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies.
La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez
ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén
plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas
celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa
fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même,
splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très
bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère
direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent
aussi le détour, comme Gustaf II
Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa
musique chorale est très simple et très belle, et fait partie
des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des
anthologies (le merveilleux Sköna Maj
des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén »
(OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a
dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de
profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui
habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra
! Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le
Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de
jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des
références folkloriques dans la Troisième,
avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un
personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une
pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement
convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu
dans ses propres œuvres !
Quant à la Quatrième, très
cursive (on croirait qu'il dirige Don
Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la
participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul ! Le
folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si
on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou
Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement,
avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un
rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour
plaire au public mahléro-sibélien ! Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup
de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné
! Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le
monde aura terminé de s'effondrer ? L'accroche est facile en
plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents »,
faites-le avec des projections
de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce
pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de
Paris ?
1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre
compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques
autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von
Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan
Williams… !
Prenez soin de vous. Carnets sur sol
prend soin de vos oreilles.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Alors que vient de paraître Dimitri sous l'égide du Palazzetto Bru Zane, un mot sur la symphonie de Victorin de Joncières, jouée dès avril 2011 et qui doit être publiée ultérieurement. Et quelques indications sur les prochains projets lyriques de la Fondation Bru Zane.
1. La « Symphonie Romantique » (1873)
Joncières est avant tout un critique musical (sous le nom de Jennius dans le journal La Liberté, pendant tout le dernier quart du XIXe siècle), wagnérien et franckiste, musicien amateur mais sérieusement formé. Ses œuvres scéniques (de l'opérette au grand opéra), quoique discutées, ont été plutôt bien accueillies en son temps.
Aujourd'hui, comme contemporain (1839-1903) de Bizet, Brahms et Tchaïkovski, il n'appartient pas à la phalange des compositeurs majeurs, mais Bru Zane l'a sélectionné, parmi tant d'autres choix possibles (dont beaucoup m'auraient paru plus judicieux) ; concernant la Symphonie Romantique, toutefois, cela s'explique assez bien : c'est un objet assez étrange, différent de ce qui s'écrivait à l'époque, très loin de tout style national.
Les deux derniers mouvements (scherzo et final) de la Symphonie romantique de Victorin de Joncières. Hervé Niquet et le Brussels Philharmonic en avril 2011 à la Scuola Drande di San Rocco.
Il faudra peut-être le réenregistrer pour le disque, parce que l'orchestre, capable pourtant de très belles choses dans un répertoire ultérieur plus exigeant techniquement, était en petite forme ce jour-là : bois très ternes, cordes pas très juste (manque d'habitude du non-vibrato ?). Le son et l'articulation évoquent davantage les formations de cacheton qu'une grande phalange européenne... avec une seconde session, le résultat pourrait avoir une tout autre allure. (Je retirerai la bande à ce moment-là... mais faute d'alternative, il est déjà merveilleux de pouvoir l'entendre !)
On y remarque le goût de Joncières pour les alliages, avec beaucoup de soli, d'essais de couleur (pas forcément fulgurants, mais la partition regorge de tentatives assez originales), de courts motifs très individualisés. L'œuvre ne constitue pas un monument incommensurable, mais les deux derniers mouvements sont intéressants, avec un scherzo d'atmosphère fantastique qui évoque Weber (danses du Freischütz), Czerny (Première Symphonie) et Mendelssohn (Songe d'une Nuit d'Été), qui culmine dans un climax orageux assez paroxystique, qui a peu d'équivalents. Le final est étonnant également, entièrement fondé sur un choral de vents accompagné par des descendes de cordes en trémolo, clairement inspiré de la procession de Tannhäuser (et, dans une moindre mesure, du final du Vaisseau Fantôme) ; musicalement, la substance du mouvement est simple, mais l'affirmation de sa simplicité diatonique et ses moyens d'orchestration amples le rendent très persuasifs.
À entendre, au moins une fois.
2. Les opéras
Outre quelques opérettes, l'ambition de ses titres sérieux ne laisse pas d'impressionner : musique de scène pour Hamlet, opéras sur Sardanapale, La Reine Berthe, Les Derniers Jours de Pompéi, Dimitri, son plus grand succès qui offre une autre vision de l'histoire de Boris Godounov et Grichka Otrepiev, et même un Lancelot du Lac, personnage finalement rare à l'opéra, toujours dans l'ombre d'Arthur. Un Lancelot composé par un critique wagnérien, créé (1900 !) exactement entre Fervaal de Vincent d'Indy (1897) et l'Arthus de Chausson (1903), même si les librettistes sont plus conventionnels (Louis Gallet et Édouard Blau, auteurs respectivement de Thaïs et Werther de Massenet), voilà qui intrigue.
Le 8 avril, on jouera à la Cité de la Musique des extraits du Dernier Jour de Pompéi. Couplage avec quelques-uns d'Herculanum de Félicien David, qui vient d'être joué à Versailles, où je ne l'ai pas entendu – mais la lecture de la partition ne m'avait vraiment pas ébloui, pas plus que l'écoute de la parution récente de Lalla-Roukh (Ryan Brown / Opera Lafayette) ni que ses œuvres plus célèbres de musique symphonique ou de chambre (même sans considérer qu'il s'agit de musique des années 1860, on ne peut pas dire que le manque d'audace soit compensé par une veine mélodique hors du commun).
Joncières est plus intrigant, mais à la lecture de la partition, les carrures rythmiques répétées à l'infini (et pas exactement sophistiquées, du type croche-croche-croche-croche) m'inquiètent un peu. Harmoniquement, la partition semble plus savoureuse que Dimitri qui ne m'a pas paru très aventureux. Mais je n'ai pas fini de lire l'un et l'autre, donc je réserve mon jugement après une lecture complète... et a fortiori après une écoute en action de ces musiques. Cela ressemble à du grand opéra pas très exaltant, mais parfaitement honnête, tout à fait de quoi se satisfaire lorsqu'on aime déjà le genre.
Dimitri, plus varié, semble aussi moins raffiné dans les couleurs. Mais j'en parlerai lorsque je l'aurai essayé au disque, dans les prochains jours.
3. Prospective et souhaits
Ce qui m'intéresserait le plus sort un peu des attributions romantiques de Bru Zane : pour en rester à ce que j'ai lu ou joué, Frédégonde de Saint-Saëns, La Dame de Monsoreau de Salvayre, les Bruneau inédits, Le Retour de Max d'Ollone, Hernani de Hirchmann, des Février, Ivan Le Terrible de Gunsbourg, L'Aigle de Nouguès...
Cependant il reste tout de même les premiers Reyer, Le Tribut de Zamora de Gounod (partition riche et trépidante, vraiment le bon côté de son auteur, et qui n'existe que sous le manteau avec accompagnement piano), Françoise de Rimini de Thomas (jouée à Metz il y a peu, mais qui mérite un enregistrement), Jeanne d'Arc de Mermet, Patrie ! de Paladilhe, et pas mal d'autres choses auxquelles je rêve... ou encore mieux, celles que je ne soupçonne même pas !
Je suppose que cela dépend aussi de compromis passés avec Hervé Niquet, qui est quasiment le seul collaborateur lyrique de leur entreprise.
À la lecture des partitions, ça ne me paraissait (de loin) pas le plus urgent, donc, mais je ne vais certainement pas cracher sur une véritable découverte en première mondiale.
Successivement Herminie d'Arriaga (absente de l'album discographique) et Ariodant de Méhul (pour la maîtrise suprême de l'instrument).
Ebloui par le premier volume qui reprenait les moments-cultes de la tragédie lyrique (les monologues d'Armide, "Tristes apprêts", la fin du III de Scylla & Glaucus...), très favorable au deuxième (dont le programme beaucoup plus rare était aussi structurellement moins intéressant, le classicisme ayant livré des tragédies plus lisses, aussi bien pour la musique que pour le livret), je suis sous l'emprise persistante de ce troisième volet, le plus virtuose de tous. Il s'agit, je crois, du plus beau récital d'opéra que j'aie jamais pu trouver au disque.
Une fois qu'on a posé cela, on peut regarder de plus près, en s'appuyant aussi bien sur le disque que sur les représentations de Lucerne (le 14 août 2011, avant la parution du disque) et de l'Opéra-Comique (10 avril 2012). [Je n'ai pas pu entendre les soirées d'Aix, Venise, Toulouse et Metz.]
On souhaite souvent, sur Carnets sur sol, que des raretés soient jouées. Mais de quoi parlez-vous, à la fin ?
Voici une petite liste de souhaits, limitée au domaine de l'opéra (sinon, c'était la mort du petit cheval) ; loin d'être exhaustive évidemment, mais elle peut donner une idée de certains pans totalement négligés du répertoire, alors même qu'on ne joue que quelques titres dans une période ou un style.
Les lutins locaux sont évidemment tout disposés à préciser la raison de leurs choix aux habitués comme aux visiteurs de passage.
LEGENDE :
| * : disponible au disque
| ** : il existe des enregistrements, hors commerce, auxquels j'ai eu accès
| *** : je n'ai aucun enregistrement, mais j'ai lu ou joué la partition
| **** : totalement indisponible, bandes sonores comme partitions (j'ai en revanche pu lire le livret dans certains cas)
Evidemment, il est toujours possible que la disponibilité d'enregistrements nous ait échappé... On peut opportunément nous le préciser en commentaire ou par courriel.
(Par erreur, je n'ai pas mis en ligne la même version que celle présente dans la précédente notule.)
Reprenons à 4'10.
Récit de combats et retour à la brume
THIERRY
Ruisselant de sa fauve lumière,
J'ai combattu là-bas,
Dans la mêlée où flambaient les armures,
Je n'étais sous l'acier qu'une flamme de plus !
Le soleil ! Le soleil !
Notre baron revit en sa mémoire la probable croisade, avec toujours la même expression imagée, baignée de cette luminosité radieuse. La musique, pendant ce temps-là, épouse des rebonds vaillants et assez dansants (rythmiquement très proches du ballet des walkyries à l'acte III de Die Walküre), avec une belle harmonie épique.
Puis le retour de l'invocation au soleil, qui contrairement à la séquence précédente, s'affaisse au lieu de s'amplifier.
Ici la brume. Une éternelle brume.
Quelle tristesse de suaire !
Retour des figuralismes évoquant la brume et par moment les sonneries du couvre-feu, ports de voix lassés sur la seconde phrase, avec une harmonie qui progresse douloureusement.
A ce moment, de doux arpèges introduisent une seconde évocation, liée non plus au jour, mais au soir :
Et la fraîcheur aussi de l'ombre parfumée
Où dans des mimosas roucoule une palombe,
Et le soir qui se berce au murmure des palmes...
Le texte conserve les mêmes rondeurs délicates, mais la douceur des harmonies contraste avec la froideur du brouillard et des appels, et avec l'élan exalté de la bataille.
On aboutit sur un cinquième motif, assez mélodique, un embryon de thème :
Et là, sous le grand cèdre,
Une double jacinthe à l'ombre de ses tempes...
La volupté m'offrant la pourpre de sa bouche...
Djamina ! Djamina ! L'Orient...
Des arpèges accompagnent des lignes assez lyriques à l'orchestre, tandis que le texte, feignant de poursuivre la description de la flore, se révèle progressivement l'évocation de félicités plus humaines.
Dans ces sinuosités, l'énigme de Djamina se résout dans ces fiévreux appels.
Musicalement, "L'Orient !" marque une cadence V-I très définitive, mais l'orchestre poursuit son chemin avec le motif oriental, cette fois comprenant des accords complets.
Retour du cinquième motif.
BLANCHEFLEUR
Messire...
(La réplique ne figure pas dans la version vidéo, antérieure à l'autre. Elle se situe en théorie juste avant les bruits de pas.)
L'épouse de Thierry est entrée, elle l'appelle doucement. Bruits de pas discrets, puis plus soutenus. Il ne l'a pas aperçue, et un discret lyrisme aux suspensions assez tristaniennes s'éteint doucement.
(La suite a été lue, mais pas encore jouée par les lutins. Il faudra donc patienter...)
--
4. Quelle organisation générale ?
On trouve dans ces dix minutes pas moins de cinq motifs structurants, sans toutefois que la progression de la scène soit conditionnée par un développement d'ordre musical.
On pourrait découper le texte ainsi :
Prélude
Récitatif rêveur
Evocation du paysage
Evocation de la bataille
Récitatif rêveur
Evocation de la flore et de Djamina
Et les motifs ainsi :
Motif 1 : bancs de brume.
Motif 2 : sonneries du couvre-feu.
Motif 3 : mélisme oriental.
Motif 4 : les combats.
Motif 5 : la paix voluptueuse.
Qui apparaissent dans cet ordre : 1-2-1-2-3-3-4-3-1-2-5-5-3-5, donc de façon plutôt cursive, mais non sans intrication.
On parle beaucoup du sujet sur CSS, mais finalement, on n'a pas encore dressé de point de vue surplombant pour reclasser tous ces gens dans leur époque et leur style.
Voici donc une très rapide nomenclature, proposée sur un site voisin, avec un ton un peu informel.
Auguste Mermet (Bruxelles 1810 - Paris 1889) est typiquement le genre de compositeur qu'on ne remontera jamais. Et pour des raisons sans doutes plus pragmatiques que pour Meyerbeer.
Frontispice de la réduction pour piano / chant de Roland à Roncevaux, le principal succès d'Auguste Mermet.
C'est tout d'abord un compositeur qui n'a jamais connu le succès brillant de son vivant. Un opéra-comique, trois grands opéras et un ballet attestent de son passage, avec son écriture de quelques parodies mondaines des titres à l'affiche (pour les journaux). Son style lui-même appartient à un certain académisme, non pas qu'il soit sans personnalité, mais sans réelle originalité, disons - et pas dépourvu de faiblesses sérieuses d'écriture.
Portrait d'Auguste Mermet en 1876, l'année de Jeanne d'Arc.
A notre époque où l'originalité est le premier critère du génie, on imagine bien qu'il est hors de remonter un ouvrage coûteux qui n'ait pas une place dans l'Histoire, et qui de surcroît est d'une qualité discutable même pour les amateurs du genre (ses maladresses lui étaient reprochées dès son époque). Bref, vous ne l'entendrez jamais.
2. La mission de Carnets sur sol
C'est néanmoins un compositeur assez attachant, dont le style est à rapprocher de Gounod : un sens du rythme discutable (toutefois un peu plus abouti que Gounod), quelques beautés harmoniques (mais aussi des maladresses chez Mermet), une sincérité de ton assez sympathique, le tout dans un cocon assez moelleux. C'est typiquement une esthétique du confort Second Empire, et on verra qu'il était précisément apprécié de l'empereur.
Ainsi, il est tout de même intéressant de se confronter à ce compositeur, à plusieurs titres :
témoignage de la production standard d'une époque, hors des oeuvres qui constituent des aboutissements ou des ruptures ;
qualité intrinsèque de l'oeuvre, secondaire mais pas non plus vaine.
Bref, à titre de curiosité, nous vous invitons chez Auguste Mermet.
3. Ce que l'on sait de Mermet
Très jeune intronisé à Versailles avec l'opéra-comique La Bannière du Roi (1825), il est surtout célèbre (façon de parler) pour ses trois autres opéras.
Pour Le Roi David (1846), Mermet démarche le dramaturge Alexandre Soumet afin qu'il adapte sa pièce Saül pour l'opéra.
Le lieutenant-colonel Auguste de Peellaert rapporte son opiniâtreté à refuser toute autre solution dans ses
Cinquante ans de souvenirs (1867, peu après le succès de Mermet pour Roland). A la fin de son deuxième chapitre, il indique ainsi :
Je vais parler pour la première fois de M. Auguste Mermet, mon ami et parent qui habitait Paris depuis nombre d'années, en s'occupant de musique.
Fort bien accueilli chez M. Soumet, auteur de plusieurs tragédies, jouées avec succès, il avait obtenu de lui qu'il arrangeât, pour l'Opéra, la tragédie de Saül, sous le titre de : Le Roi David. Comme M. Soumet était retenu au lit par la maladie, M. Mermet allait le plus souvent possible exciter la verve lyrique de l'auleur et rentrait chez lui chargé d'une scène, de quelques récitatifs ou d'airs, et enfin, après un nombre infini de courses et de fatigues, il avait emporté un ouvrage entier.
A chaque voyage que je fesais [sic] à Paris, mon parent recevait ma première visite et j'écoutais la musique du compositeur qui réclamait mes bons avis et conseils.
Le poème de David avait tellement plu au directeur de l'Opéra, qu'il avait prié M. Mermet de le lui abandonner, en lui promettant un autre poème d'opéra, qui serait mis en scène aussitôt la musique achevée ; mais avec une ténacité sans pareille, dont il donna de nouvelles preuves par la suite, M. Mermet tint bon et refusa toute proposition.
Enfin, le Roi David fut joué le 3 juin 1846 et n'obtint que peu de représentations, quoique Mme Stolz y remplissait [sic] avec talent le rôle de David. La musique parut originale, mais d'un auteur tout à fait inexpérimenté ; quelques airs de danses y furent ajoutés par un de ses amis, musicien de l'orchestre. Il put à peine assister aux répétitions parce que l'ouvrage n'était pas entièrement orchestré, et delà, mille bruits sur le compte de l'auteur tendant à faire croire qu'il n'avait pas seul composé cet opéra.
La pièce n'a en effet pas rencontré le succès lors de ses représentations de l'Opéra.
Toujours préoccupé de ses livrets, Mermet confectionne lui-même ceux de ses deux derniers opéras. C'est grâce à l'intercession de Napoléon III que Roland à Roncevaux est joué à l'Opéra en 1864, et y réussit assez bien.
Enfin vient Jeanne d'Arc en 1876 dans le même lieu, un échec.
4. Jeanne d'Arc
C'est sur cette partition que l'on s'est penché. Pas de relecture critique historisante façon Scribe, ici Jeanne entend bel et bien de fort jolies voix qui s'expriment en choeur de façon assez récitative au besoin. Le style, on l'a dit, est à rapprocher de Gounod, avec de belles intuitions personnelles, mais pas sans faiblesses.
En voici l'enregistrement des forces de Carnets sur sol au grand complet :
Il est tout d'abord nécessaire, et plus que d'habitude, d'énoncer les réserves d'usage. Il ne s'agit pas d'un 'produit fini' mais d'un document, destiné à donner une idée de la chose aux lecteurs de CSS. Réalisant seul simultanément piano et chant, il est rare que je propose des extraits léchés, mais c'est ici encore plus criant qu'à l'accoutumée, tout simplement parce que d'une part l'air est assez hors tessiture (il réclame une basse), ce qui entraîne des détimbrages ; d'autre part et surtout parce que vu l'intérêt musical limité de l'oeuvre, on est moins enclin à la remettre sur le piano, et cette captation est donc le fruit de tentatives en nombre... limité.
Cela dit, malgré les pains, on entend plus ou moins ce qui figure sur la partition.
On se situe ici à la charnière des actes I et II. Les voix interpellent Jeanne de façon assez exaltante, avec une harmonie relativement mouvante et de drôles d'hésitations entre majeur et mineur pour la ligne vocale de Jeanne, traduisant son indécision ("Je n'ai plus force ni valeur !").
LES VOIX
Jeanne, reprends la France !
JEANNE
Je n'ai plus force ni valeur !
LES VOIX
Le sang coule à torrents, le temps presse !
JEANNE
O douleur ! Oui, la pitié... mon coeur...
La voix du Ciel l'ordonne !
LES VOIX
Partir est un devoir sacré !
JEANNE
La pitié, la pitié m'entraîne !
LES VOIX
Va, Dieu le veut !
JEANNE
Eh bien, eh bien... j'irai !
L'acte II s'enchaîne avec un interlude décidé, d'assez belle facture, et débute sur une jolie modulation qui en reprend le rythme, mais avec des nuances dynamiques plus discrètes.
Entrée de Richard, chevalier à la cour de Charles VI - roi acoquiné avec une Agnès qui rappelle facilement au grand public l'image de la maîtresse de... son successeur.
Le récitatif est très réussi, d'une prosodie douce et mélodique, avec quelques effets dramatiques traditionnels (trémolos de cordes pour l'évocation du danger "quand le navire sombre"), qui jouent efficacement du contraste entre absence et présence de l'orchestre.
D'un point de vue plus formel, la teneur de l'air est également annoncée : en un quatrain le personnage désabusé et sans scrupules est présenté au spectateur, et l'air ne fera que développer ses sentiments, avec quelques informations "historiques" supplémentaires.
RICHARD
Caché dans on palais, le roi n'est plus qu'une ombre,
Et son palais s'écroule au milieu des affronts ;
Ici, chacun pour soi : quand le navire sombre,
Pour se sauver tous les moyens sont bons.
L'air lui-même débute par une très brève ritournelle d'une formule typiquement italienne, avec dédoublement de la première valeur de la mesure : ces doubles croches à la basse en début d'une mesure constituée de croches, comme pour une polonaise ou un boléro, sont typiques des cabalettes belcantistes et post-belcantistes (jusqu'à ce que Verdi impose progressivement d'autres standards plus libres et variés à partir des années 1850).
On est en si mineur, une tonalité associée à la solitude et à la tristesse profonde.
RICHARD
Pays gorgé de sang, ton aspect m'importune :
On transforme en enfer ton riant paradis.
Allons chercher ailleurs la gloire et la fortune,
Et laissons la France aux maudits !
Air de facture très classique, avec son refrain très identifiable, ici combattif et sombre. Deux procédés principaux : d'une part les ponctuations orchestrales brèves (souvent dans l'aigu, probablement prévues pour les flûtes), comme des éclairs qui zèbrent le ciel, de façon assez réussie (il est rare qu'un air soit si peu soutenu par l'orchestre), et d'autre part des unissons avec le chanteur ("Allons chercher ailleurs") qui sonnent plus maladroitement, du moins en réduction piano - mais je doute que cela se montre furieusement génial à l'orchestre.
J'aurais livré mon âme au diable -
De moi Satan n'a pas voulu.
Dame Isabeau se montra plus traitable :
Entre nous et l'anglais, c'est entre nous marché conclu.
Le couplet en ré majeur (modulation très traditionnelle) est assez intéressant, avec sa ligne lyrique un peu sarcastique, où le personnage étale paisiblement une terrible lucidité sur son propre cynisme. Et l'on retrouve le goût français pour le bon mot, avec Isabeau de Bavière en diablotin de seconde catégorie - mais plus efficace que l'original.
Le vers lui-même n'est pas très robuste : la langue paraît souvent un peu triviale, et pour des raisons musicales, on se retrouve avec des répétitions. Par "palais" dans le récitatif, alors qu'il était pourtant simple à remplacer ; ou encore "entre nous", de plus assorti d'une grosse cheville puisque ce vers fait treize syllabes pour suivre le rythme musical. Ces distorsions sont choses courantes, mais d'habitude, le livret original est correct, alors qu'ici il présente des imperfections que n'aurait pas laisser imprimer un littérateur.
Qu'importe, le poème fonctionne plutôt bien, et étale moins de niaiseries et de poncifs que beaucoup de ses équivalents : sa fréquentation reste agréable, comme la musique, même si l'on trouve des faiblesses techniques ici et là.
Le roi n'a plus ni sou ni maille :
Dans les bombances de la Cour
Le merle a remplacé la caille.
Le roi n'a plus ni sou ni maille :
Belle France, adieu pour toujours !
Outre l'impureté des rimes (puisqu'il est encore grandement l'usage dans les livrets de respecter ce qui n'est plus qu'une "rime pour l'oeil", et que la liaison supposée pour "Cour / toujours" diffère), on remarque du remplissage musical assez faible, avec ces mélodies fades pas très bien appuyées sur la prosodie (premier vers), et surtout ces gammes en alternance avec une note obstinée, qui est surtout une figure instrumentale, abandonnée depuis la fin du XVIIIe siècle en raison de sa banalité. Bref, rien de très expressif ne se crée ni par la musique, ni par le rapport entre cette musique et le texte.
Néanmoins, cela éclaire un peu plus le personnage qui se présentait comme opportuniste dans le récitatif.
Les deux derniers vers sont peu originaux, mais nettement plus expressifs, quoique finalement sans rapport avec ce qui précède. C'est bien le problème de cette section et plus généralement de cet air : l'impression de patchwork, d'une suite d'effets sans réelle unité musicale. Lesdits effets n'étant pas toujours originaux ni géniaux, cela représente évidemment une faiblesse qui n'ennuie pas l'auditeur, mais le rend défiant et critique sur la qualité d'ensemble.
Reprise du refrain :
Pays gorgé de sang, ton aspect m'importune :
On transforme en enfer ton riant paradis.
Allons chercher ailleurs la gloire et la fortune,
Et laissons la France aux maudits !
Comme très souvent, surtout dans les opéras français de l'époque, l'air n'a pas grand intérêt hors contexte, d'où l'intérêt d'enregistrer l'ensemble de la scène, voire les transitions, comme les lutins de CSS le font.
Ici le récitatif de Richard qui introduit la scène suivante, le duo entre le roi et sa jeune bien-aimée, est véritablement délicieux par son contraste. La mélodie devient assez naturelle et savoureuse, et le texte rend aussi le personnage plus sympathique et compatissant.
Avec la belle Agnès le roi Charles s'avance :
Un bandeau sur les yeux, quand il court au trépas,
De son rêve d'amour ne le réveillons pas.
Plus gaiement peut-on perdre un royaume de France !
On aboutit après une cadence (de toute évidence prévue pour la flûte) sur un accord de ré bémol, véritablement éloigné du si mineur une page plus haut... et cela s'entend dans le climat pastoral délicieux qui s'installe avec ces couleurs bémolisées bien rondes. On entend aussi de belles notes étrangères dans les accords, qui donnent plus de relief à cet ce nouvel épisode qui reste très consonant. Ici, au contraire de ce qui précédait, ce sont les aplats orchestraux et non les ponctuations vigoureuses qui constitueront l'essentiel de l'accompagnement.
5. En conclusion
Imparfait mais pas dépourvu de charme ni d'intérêt, c'est à une page de patrimoine que CSS vous a convié en sa compagnie, en espérant avoir fourni une balade malgré les imperfections du compositeur-librettiste... et évidemment de ses interprètes.
Songez bien que vous n'entendrez peut-être plus jamais rien d'Auguste Mermet, tout de même joué à l'Opéra de Paris au milieu du XIXe siècle. Et mesurez votre chance (suspecte).
(Cette notule comprend des illustrations musicales inédites.)
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1. Un symbole
Emile Paladilhe (1844-1926) fait partie de ces compositeurs français de premier plan en leur temps précipités dans l'oubli par la prédominance mondiale des oeuvres germaniques (ou italiennes pour l'opéra), et des esthétiques qui leur son attenantes. Aussi, le 'goût français', pour le romantisme (et surtout pour la période suivante d'une puissance imaginative et qualitative qui n'a que peu d'équivalents), est-il désormais peu intégré par les musiciens et les auditeurs, qui les jouent et les jugent souvent à l'aune des canons germaniques.
On juge cette musique invertébrée formellement, on juge son goût du figuralisme et du 'programme' vulgaire. C'est évidemment se méprendre comme juger un opéra de Lully à l'audace harmonique ou un opéra de Verdi à la complexité orchestrale.
On l'a déjà abordé à propos du répertoire de piano français, totalement absent des salles de concert (à l'exception de Gaspard de la Nuit de Ravel et des Préludes et Images de Debussy - et encore, de façon assez peu fréquente) : la musique germanique privilégie la structure, l'invention purement musicale ; la musique italienne est d'abord sensible à l'évidence de la mélodie et la gloire des lignes vocales ; la musique française, elle, privilégie avant tout l'évocation et les climats. Il s'agit donc de suggérer des images poétiques, sans chercher nécessairement la cohérence, l'innovation ou la 'pureté'.
C'est aussi dans cette perspective qu'il faut considérer les opéras français, où le texte a souvent plus d'importance qu'ailleurs, jouant d'égal à égal avec la musique. Parce qu'on en attend des inventions musicales structurelles (il y en a pourtant, mais à un niveau de détail et moins dans la macrostructure peut-être) ou de l'osentation vocale, on peut en être déçu. Et le public qui n'a plus l'occasion d'y être exposé ne peut de toute façon que s'en détourner.
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2. Qui ?
Emile Paladilhe, à peu près oublié, dont il n'existe à peu près rien au disque (l'oratorio des Saintes-Maries de la Mer doit être à peu près la seule mono(disco)graphie consacrée à ce compositeur, réduit à une piste ici ou là) était pourtant une figure centrale de la musique française du dernier quart du XIXe siècle. Inité très tôt à l'orgue à Montpellier dont il était originaire, il se rend dès neuf ans à Paris et obtient (personne ne fit mieux) le Premier Prix de Rome à seize ans. On le signale aussi comme ami de Bizet. Tout cela trace le portrait, en dépit de tout ce que l'auditeur déconnecté des exigences stylistiques qui prévalaient alors pourra dire, d'un grand technicien de la composition.
Il est inutile de se répandre en détails superflus sur un catalogue qu'on ne peut de toute façon écouter. Signalons simplement qu'en tant que compositeur de prestige, Paladilhe composait essentiellement de la musique lyrique : opéras, oratorios, mélodies (dans des genres assez variés). Il a bien entendu écrit aussi de grands poèmes symphoniques et de la musique de chambre surtout destinée à l'exécution brillante en concours.
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3. Patrie !
Patrie (avec ou sans point d'exclamation) est l'oeuvre la plus célèbre de Paladilhe, la seule, à dire vrai, qui ait conservé un rien de présence dans l'esprit de la postérité. Ce fut son plus grand succès, un des opéras les plus populaires en France jusque pendant la première moitié du vingtième siècle. Créée en 1886 à l'Opéra de Paris, elle utilise le livret de deux grands littérateurs dramatiques de l'époque, Victorien Sardou (père premier de Tosca) et Louis Gallet (qui a bien réussi et bien raté, selon les cas [1]).
Dans Patrie, tout se fonde sur le modèle du Grand Opéra à la française : cinq actes, contexte historique, personnages nombreux, scènes de foule, numéros obligés, récitatifs très soignés créant une douce continuité entre des "numéros" très intégrés (souvent entrecoupés de récitatifs, peu isolables ou moins mémorables mélodiquement que les récitatifs), présence d'humour, etc. C'est un Grand Opéra moins malicieux, moins vocal, plus solennel que celui de Meyerbeer - on se situe à l'époque de Mermet, Salvayre et Reyer. Les ballets à cette époque sont aussi sensiblement réduits à néant.
Le sujet lui-même ne doit pas être pour rien dans le succès. Il conte à front renversé par rapport au Don Carlos de Schiller, du Locle, Méry et Verdi l'histoire de l'insurrection des Flandres espagnoles : cette fois-ci non vu depuis la puissance dominante (même si cette révolte était exaltée), mais de l'intérieur. Un groupe de gentilshommes flamands décide de restaurer une République pour les sauver de la cruauté de la loi martiale des reîtres d'Ibérie. Ils se réunissent dans l'ancien Hôtel de Ville, chez le sonneur Jonas (basse bouffe), sous l'impulsion du noble Rysoor (baryton héroïque), plein d'idéaux et de désintéressement (une sorte de Posa à l'âge mûr), incarnation du sublime et moteur de l'action tout à la fois.
Il découvre cependant que sa bien-aimée le trahit avec son compagnon d'armes Karloo (ténor lyrico-dramatique). Lors de la grande réunion de l'acte IV où ils font sonner les cloches, ils sont tous pris par le gouverneur (le duc d'Albe, basse noble), trahis par la seule qui savait. Rysoor fait alors jurer vengeance à Karloo (sauvé par la fille du gouverneur) qui a contracté cette immense dette morale à son égard.
Et tout ce que je puis préciser, c'est que Karloo est un garçon bien obéissant, qui nous procurera un final dans le goût du Trouvère, où l'exécution de ses amis concorde avec celle, hors de la place publique, de la femme traîtresse.
Après la défaite de 70, on peut imaginer quelles émotions pouvaient susciter à Paris la représentation d'une tentative d'affranchissement malheureuse.
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4. Extraits
Les gloires du chant du début du vingtième siècle ont cependant, comme pour Reyer, laissé quelques extraits fameux : l'air patriotique de Rysoor (extrait de la scène de préparation de la révolte, au début de l'acte IV), et la bénédiction du corps de Jonas par Rysoor à la fin du même acte, une fois tous prisonniers et voués à la mort.
Dans les extraits maison que je propose ici, on entendra la scène patriotique dans son entier (avec l'introduction orchestrale, les échanges entre personnages puis le grand arioso patriotique qui lance la révolte), ce qui est une première mondiale en enregistrement. Et on commence avec un extrait de l'acte I, lui aussi jamais enregistré, et même jamais rejoué depuis la dernière représentation de Patrie, il y a désormais... longtemps.
Le langage de Paladilhe est simple, il se caractérise par des lignes assez épurées, à la fois mélodiques et sobres, sans rengaines ostentatoires, et sans recherche de complexité. Le soin apporté au récitatif est constant, et les airs sont plutôt des ariosos fondus dans la continuité dramatique. Orchestralement, on imagine quelque chose de pas toujours délicat, mais les harmonies simples et expressives, et parfois discrètement raffinées, font vraiment du beau travail pour susciter l'adhésion (témoin le choral sans doute aux cuivres qui débute la scène patriotique présentée ci-après).
Comme de coutume, j'inclus un extrait de ce qui précède pour nous mettre dans l'atmosphère et ne pas créer l'illusion de "numéros fermés", même si cette scène a une cohérence propre.
Un ténor de caractère, La Trémoille, un français bien pimpant (dans le même registre d'autocaricature que ce qu'on trouve dans Le Roi malgré lui de Chabrier) est en visite aux Pays-Bas espagnols, à l'occasion du carnaval. (On entend un extrait de la fin de son air.) Il rencontre son ami Rysoor (baryton héroïque), noble néerlandais et patriote. Celui-ci lui propose alors un récit dont la parenté, aussi bien thématique (dans le texte) que musicale, est frappante avec la grande description de Rodrigue de Posa dans Don Carlos. Avant plus ample commentaire, en voici le texte :
RYSOOR
Oui, c'est le Carnaval ! Cette place où naguère
Retentissaient les chants joyeux, le choc des verres,
Est pleine de bandits - sûrs de l'impunité,
Et tels que des corbeaux dévorant la Cité !
Oui, l'Espagne triomphante,
Rorte des maux qu'elle enfante,
Prend racine à notre seuil,
On nous tue, on nous fusille,
Il n'est pas de famille
Que l'on n'ait mise en deuil.
Pour affirmer sa puissance,
La ruine est partout - et partout le gibet !
Tout soldat est bourreau, certain de la sentence :
Pourvu qu'il tue, il peut tuer comme il lui plaît !
Voilà la sanglante tuerie
Que promènent sur notre sol
Les oppresseurs de la patrie !
Voilà le Carnaval que nous fait l'Espagnol !
LA TREMOILLE
Quelle horreur !
Nous sommes ici au tout début de l'acte I (qui débute d'ailleurs sans Ouverture), et on repère d'emblée certaines références évidentes à Don Carlos. Rodrigue dit ainsi :
Cette paix ! La paix du cimetière ! ...
Est-ce la paix que vous donnez au monde ?
Vos présents sont l'effroi, l'horreur profonde !
Tout prêtre est un bourreau, tout soldat un bandit !
Le peuple expire, il gémit en silence,
Et votre empire est un désert immense
Où le nom de Philippe est maudit ! Oui, maudit !
On décrit la même région (et Patrie est le côté "application pratique" de l'affaire), et on est presque littéralement dans les mêmes termes. Musicalement aussi, on retrouve le tumulte suggestif à l'orchestre, un peu moins moderne chez Paladilhe que dans la refonte du duo par Verdi après l'échec napolitain de 1871. Plus encore, le chromatisme descendant et ascendant est presque totalement identique, avec les trémolos en plus, au moment du bannissement d'Eboli par Elisabeth de Valois, à l'acte IV.
Par ailleurs, sur le langage de Paladilhe lui-même, voyez avec quel naturel de l'affirmation presque badine "Oui, c'est le Carnaval" on progresse vers les paroxysmes (avec des fa#3 [2] qui 'claquent' à répétition) - à la fois la montée de l'horreur de l'évocation et l'augmentation de l'indignation patriote de Rysoor. La déclamation respire toujours amplement, jusque dans les séquences les plus oppressantes, et l'éclat conserve toujours une certaine noblesse d'expression, quelque chose de presque hiératique. On est loin de l'expression très expansive et mélodique des Italiens, assurément. D'autant plus que l'orchestre ne fait pas qu'accompagner, mais ponctue vraiment de façon personnelle, colore aussi. Et l'harmonie change au fil des émotions : sans être révolutionnaire du tout, elle ne se laisse pas deviner, si bien que le tableau dressé par Rysoor laisse toujours en haleine. Un large récitatif qui est tout autant un morceau de bravoure que pourrait l'être un air.
Et tout l'opéra se tient à ce niveau.
Qu'on se rassure, on y rencontre aussi du cantabile[3], mais clairement pas autant que de la déclamation.
Notre séquence suivante est témoin de tout cela.
=>
Ici, avant la révolte (manquée), Rysoor rêve, en haut du beffroi où ils vont sonner l'heure fatale, au monde qui s'ouvre à eux. C'est le véritable héros de l'opéra puisque le ténor (Karloo) est terni par ses penchants séducteurs qui vont précisément trahir Rysoor - et les perdre tous deux à leur tour.
Après le choral énoncé dans le médium grave par les cuivres (et repris dans le médium aigu par les flûtes) - à en juger par l'écriture de la particelle (au piano seul, donc des déductions) -, les conspirateurs entrent sur une monodie [4], conduits par le sonneur Jonas, qui leur montre les lieux, et notamment la salle du Conseil où les figures de pierre de leurs aïeux ont été décapitées. Karloo survient, annonçant les derniers préparatifs ; Rysoor invite chacun à prendre courage, et contemplant les lieux, rêve au glorieux passé qui va se réveiller, avec pour signal les cloches : Cette cloche qui sonne, c'est l'appel déchirant d'une mère à ses fils !
La scène se clôt avec la dispersion feutrée et l'encouragement doucement protecteur de Rysoor, s'achevant sur la reprise du choral, sans doute s'éteignant aux cordes.
Un des très beaux moments de l'opéra.
En voici tout de suite le texte :
JONAS
Par ici ! Doucement !
UN NOBLE CONSPIRATEUR
. . . . . . . . . . . . Où sommes-nous ?
JONAS
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chez moi !
Chez mes cloches ! Ici, l'escalier du beffroi ;
Là-haut, la salle où nos seigneurs de la commune
S'assemblaient autrefois. Sous ce rayon de lune,
Les voilà tous, voyez, là, couchés sur le sol -
Décapités par l'infâme espagnol !
CHOEUR DE CONSPIRATEURS
Quel abandon ! Quel funèbre silence !
RYSOOR
Mes amis, patience !
Un nouveau soleil va resplendir sur nos fronts !
Dormez, morts glorieux, dormez - nous vous éveillerons !
KARLOO
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tout va bien. Dans Bruxelles
Dix mille hommes armés attendent notre appel.
J'ai prévenu Kornelis, Bakerseel.
Plus de chaînes, partout j'ai fait libre passage !
RYSOOR
Ainsi donc, l'heure est proche ! Ah, mes amis - courage !
[Récitatif introductif]
C'est ici le berceau de notre liberté ! [5]
Ici, nos pères ont fondé ces lois,
Que nous allons défendre !
Je crois les voir toujours et je crois les entendre
Dans ces lieux où battait le coeur de la cité.
[Arioso]
Plus sinistre est la nuit, plus joyeuse est l'aurore -
Oui, malgré l'espagnol, ce coeur palpite encore,
Ce cadavre est vivant aux créneaux du beffroi,
Spectre vengeur de la patrie, aux coups du tocsin [6]
Qui se dresse et crie : "O peuple flamand, lève-toi !"
Et vois : le peuple vient,
Sa grande âme frissonne,
Il vient, bravant tous les défis.
Il sait pour qui lutter : cette cloche qui sonne,
C'est l'appel déchirant d'une mère à ses fils !
CHOEUR DE CONSPIRATEURS
Aucun ne tremble !
RYSOOR
. . . . . . . . . . . . . . . Aucun ne tremble. [7]
Eh bien, allez, et debout tous :
Prévenez nos amis, et revenez ensemble,
Que pas un seul ne manque au rendez-vous.
Seul l'arioso avec son court récitatif introductif a été enregistré (il se trouve même dans des éditions modernes en séparé), de même que le court arioso Martyr obscur du même personnage au même acte. Tout ce qui précède C'est ici le berceau de notre liberté est donc un inédit absolu, qui permet de replacer cet air dans un contexte esthétique et dramatique - ce qui est toujours très précieux à mon avis.
Par ailleurs, je trouve, d'une façon plus personnelle, le style des enregistrements existants, pourtant par de très grands chanteurs que j'admire beaucoup (Arthur Endrèze, Ernest Blanc...), tout en force, pas très séduisants par rapport au personnage héroïque mais élégant de Rysoor. [Je concède tout à fait cependant que ma typologie vocale tire le rôle vers quelque chose de presque galant qui crée un déséquilibre dans l'autre sens, on pourra me le reprocher à bon droit - trop français, en quelque sorte.]
On voit d'emblée et d'un coup d'oeil la disymétrie très hétéroclite des vers utilisés, mais à la lecture, leur découpage en milieu de phrase et surtout leur rythme sont vraiment sujets à caution (certains ne riment avec rien, d'autres sont constitués de la répétition du même membre, d'autres enfin ont une syllabe de trop - on l'a indiqué en note lorsque nécessaire). Et dans le même temps, on respecte scrupuleusement ce qui n'était alors plus qu'une "rime pour l'oeil" (la concordance de la liaison supposée, même non prononcée, en fin de vers).
Il est probable que Paladilhe en ait retouché certains par commodité, mais au point de mutiler la régularité, cela est rare ; et quoi qu'il en soit, la maîtrise technique de la versification reste assez rudimentaire ici.
Par ailleurs, le résultat n'est pas vilain si on le considère comme de la prose, loin s'en faut - plutôt touchant, même. Et l'ensemble de l'oeuvre a beaucoup de rythme. Mais nous avons plus affaire à des spécialistes de la macrostructure dramaturgique qu'à des orfèvres du verbe...
Musicalement, le récitatif suspendu de la scène qui précède, où celui plus solennel, mais toujours doux, qui ouvre l'air, sont souverains, délicatement ciselés, chargés de climat mais avec une certaine distance presque optimiste ; quant à l'arioso avec son accompagnement plus agité, il remplit parfaitement sa fonction incantatoire, et son extinction murmurée à la voix plus aux cordes est un grand moment. Vraiment une très belle réussite.
Quant à l'interprétation, je rappelle simplement aux visiteurs de passage qu'il s'agit d'un enregistrement qui ne prétend pas fournir une version sérieuse de la partition ; c'est simplement une prise faite pendant un moment de loisir, où je dois tenir à la fois piano et chant (prise de son maison également), ce qui ne laisse pas la possibilité de fournir la finition d'un enregistrement du commerce. C'est simplement à titre indicatif, la possibilité offerte de découvrir une musique autrement inaccessible, et l'invitation pour ceux qui peuvent à ouvrir les partitions.
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5. Des conclusions ?
On espère tout d'abord que la balade a été à votre gré.
Ensuite, le résumé de cette petite exploration est simple : Patrie ! est quelque chose de bien chouette qui mériterait d'être remonté et enregistré. Son ton à la fois héroïque et badin pourrait tout à fait séduire, de même que les meilleurs Meyerbeer, le grand public, également les amateurs de Verdi et de Gounod, et peut-être plus généralement d'opéra français. C'est un ouvrage fort long, certes, et avec force personnages, mais il n'est pas si difficile techniquement pour orchestre et chanteurs. On ne se gêne pas à couper un tiers d'un acte des Gezeichneten pour économiser des salaires et assurer la liaison avec les derniers métros, quitte à saboter le propos esthétique de l'ouvrage entiers ; alors on peut tout à fait rogner un peu sur Patrie' qui n'aurait pas sa chance autrement.
Le reste de la production de Paladilhe n'est pas forcément du même intérêt : les mélodies sont assez aimables (comme chez Reyer en somme) et son oratorio des Saintes-Maries, également sur un poème dramatique de Louis Gallet, présente assez peu d'aspects saillants, tout dans une consonance agréable mais un peu molle qui ne me le fait pas vraiment recommander. Dans ce goût, Lazare et le Requiem de Bruneau, ou bien Marie-Magdeleine de Massenet (du même librettiste) touchent quand même occasionnellement (et même fréquemment pour le dernier exemple) à une forme de grâce qui me paraît plutôt absente de ce Paladilhe-là.
Dommage, puisqu'il s'agit de la seule intégrale disponible au disque et jouée de loin en loin... Mais en ce qui concerne les lutins, tant qu'à inviter à l'aventure, autant ne pas conseiller de la marchandise de seconde catégorie. Aussi en avons-nous fourni de la première à vos oreilles (bienheureusement, on l'espère) ébaubies.
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6. Poursuivre les explorations
En ce qui concerne le répertoire français, vous pouvez (notamment) consulter :
La catégorie consacrée aux concerts physiques ou virtuels de CSS. Vous y trouverez notamment du Wagner en français, du Reyer (Sigurd et Salammbô), du Cras et la Radio Farfadets.
Ingrédients et invariants du Grand Opéra à la française.
Autour deSigurd et Salammbô de Reyer : première mondiale d'un duo inédit de Sigurd, présentation de Salammbô et extrait en première mondiale (avant la recréation marseillaise).
Les différents (et très nombreux) états de la partition du Don Carlos de Verdi (commande parisienne en français - voir les autres Verdi sur le même patron).
Transmutation du Shakespeare en métal français : série sur Hamlet d'Ambroise Thomas (livret Jules Barbier & Michel Carré).
[1] Le Roi de Lahore et Thaïs du côté des réussites, Le Cid et Le Rêve (Bruneau pour ce dernier) de l'autre côté. Mais il a aussi collaboré à beaucoup de Saint-Saëns : Le Déluge, La Princesse jaune, Etienne Marcel, Proserpine, Déjanire ; et aussi avec Gounod (Cinq-Mars) et Bizet (Djamileh).
[2] On ne peut pas exiger du baryton d'aller au delà du sol3, donc on se trouve bien en bout de tessiture, avec un effet de tension évident (et de volume sonore).
[3] Caractère de ce qui est lyrique, très conjoint et legato (lié) : typiquement la manière d'écrire et de chanter des Italiens dans les sections lentes.
[5] Oui, la versification est bien étrange dans ces deux premiers vers... Est-ce de la prose, ou bien > Paladilhe a-t-il procédé à des modifications ? Des mètres irréguliers, pas de rimes...
Né en 1847 à Toulouse, et mort dans ses environs en 1916. Egalement chef de choeur, chef d'orchestre et critique musical (notamment dans Gil Blas), Gaston Salvayre est l'auteur d'une dizaine d'oeuvres scéniques, largement concentrées dans le dernier quart du XIXe siècle.
Parmi elles, quatre ballets :
Les Amours du diable, 1874
Le Fandango, 1877 - sur un argument du couple Henri Meilhac / Ludovic Halévy
La Fontaine des fées, 1899
L'Odalisque, 1905
Et côté opéra :
Un opéra comique : Solange, 1909
Trois oeuvres de format Grand Opéra à la française :
Le Bravo, 1877, sur un livret d'Emile Blavet en quatre acte
Riccardo III, créé à Saint-Pétersbourg en 1883, sur un livret de Ludovic Halévy
La Dame de Monsoreau, sur laquelle nous allons nous attarder
Deux oeuvres lyriques moins conventionnelles :
un drame lyrique en quatre actes d'après Goethe, Egmont (1886, livret d'Albert Wolff et Albert Millaud)
Sainte Geneviève, une « fresque musicale » créé à Monte-Carlo en 1919.
La dédicace de l'opéra Le Bravo. Source : MusiMem.com.
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Le compositeur
A notre connaissance, aucune oeuvre de Gaston Salvayre, fût-ce par extraits, n'a été gravée sur support sonore. Pour la petite histoire, il est repéré par Ambroise Thomas au conservatoire municipal de Toulouse, et part étudier à Paris, jusqu'à l'obtention du Grand Prix de Rome en 1872 avec sa cantate Calypso.
Son activité de compositeur, peut-être en raison d'inimités avivées par une carrière de critique pas toujours diplomatique, a été critiquée dès son vivant. Alors qu'il maîtrisait le piano (il avait même travaillé avec Liszt à la Villa Médicis), l'orgue et la direction d'orchestre et de choeur, il était perçu comme un laborieux.
Il est désormais considéré comme un académique, et si le jugement se conçoit en comparaison avec ses contemporains Debussy ou Koechlin, il se dément totalement à la lecture des partitions - mais encore faut-il les trouver et ne pas renâcler devant la confrontation, assis au piano, avec le texte musical lui-même.
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L'oeuvre
La Dame de Monsoreau se situe à la fin de sa période d'activité majeure dans le domaine scénique - elle fut créée le 30 janvier 1888 à Paris. Il s'agit explicitement d'un Grand Opéra en cinq actes. En effet, la durée doit en approcher les quatre heures, si nous en jugeons par notre déchiffrage de la première moitié de l'acte I (qui fait une généreuse demi-heure, certes en comprenant l'Ouverture...).
Le livret d'Auguste Macquet est constitué à partir de la pièce co-écrite par Alexandre Dumas et Auguste Macquet, sur la matière du roman historique du premier.
Après déchiffrage du début de l'oeuvre, nous pouvons en tirer quelques remarques. On découvre une oeuvre d'une assez grande richesse musicale, qui trace une filiation directe avec Meyerbeer (légèrement modernisé évidemment), extrêmement modulante, très mobile dramatiquement. Les numéros [1] disparaissent de plus en plus, et on se permet d'inverser les tessitures masculines habituelles [2], mais on retrouve les ingrédients obligés du Grand Opéra, avec beaucoup plus de fidélité que chez Thomas ou Reyer.
Ainsi cette première scène de l'acte I [3], d'emblée dans la tourmente de l'action la plus noire (et totalement ancrée historiquement), comprend en son centre un équivalent de la romance initiale habituelle au genre, mais ici extrêmement narrative, avec beaucoup de mobilité musicale, absolument pas une forme fixe.
Les ensembles s'enchaînent à une vitesse folle, avec beaucoup de scènes de caractère, comme le trio d'effroi (qui n'est pas sans rappeler celui du troisième acte de Don Carlos) qui entend la chasse du Duc se rapproche. Les nombreux seconds rôles grouillent, plus ou moins incarnés, mais tous pourvus d'une psychologie.
Le livret se montre d'une efficacité extrême (avec un suspense parfait), et musicalement Salvayre excelle à déployer des figures psychologiquement très opérationnelles, variées, et travaillées harmoniquement. Il s'en dégage tout à la fois la pesanteur du drame et la souplesse extrême de la manière. Dès la première lecture, il est incontestable qu'on se trouve ici en présence d'une oeuvre du niveau du meilleur Meyerbeer, mais de son temps, avec un enrichissement harmonique accru et une segmentation en numéros réduite - l'orchestre épousant sans doute un peu plus le texte et un peu moins la forme musicale.
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Premières impressions
L'oeuvre, finalement, lorgne plus vers Henri Hirchmann (même si Wagner et Debussy ne sont pas encore passés par là) que vers ses contemporains Ambroise Thomas, Ernest Reyer et Jules Massenet, bien plus stables dans la structure musicale à numéros et l'harmonie assez sages. Alors que, paradoxalement, Gaston Salvayre hérite avec beaucoup plus de minutie du format Grand Opéra.
Une réussite éclatante qui demande à être confirmée par la suite du déchiffrage, et qui dépasse de loin, en tout cas, les autres grands formats méconnus comme la Jeanne d'Arc de Mermet ou Patrie de Paladilhé. A vrai dire, nous nous attendions plus à ce dépouillement musical presque indigent. Rien que l'acte d'ouvrir la partition, de ce point de vue, représentait une surprise.
Si nous avons le loisir de les préparer correctement, on pourrait, pourquoi pas, proposer des extraits de la réduction piano, puisque cette fois-ci, l'Opéra de Marseille ne répondra pas nécessairement à nos voeux la saison prochaine. (L'oeuvre paraît bien plus intéressante de Salammbô, au demeurant, qui a surtout le mérite de permettre de prolonger la connaissance de l'auteur du Sigurd, qui intrigue à juste titre.)
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Mise à jour du 6 août 2008 : seconde scène du premier acte
La seconde scène du premier acte présente un riche mariage, redoutant la venue d'hommes terribles (de vrais Zampa !). La danse renaissante conçue avec des imitations majestueuses sur une harmonie simple, tantôt baroquisante, tantôt tout de bon classique (avec l'utilisation de l'accord de septième de dominante dont la quinte demeure tenue pour aboutir sur l'accord de tonique, typique des résolutions de mouvements lents classiques). En réalité, cette danse enjouée sur laquelle se greffent les dialogues, à la manière de l'Henry VIII de Saint-Saëns, se montre terriblement proche du bref ballet des Huguenots (première scène de l'acte V), ce qui atteste une fois de plus d'une filiation meyerbeerienne très attentive - mais ici, sa charge dramatique est encore supérieure, puisqu'en plus de l'effet d'attente de la catastrophe, le livret n'indique pas au juste la nature des événements à venir, et les dialogues inquiets des époux contrastent avec la joie ambiante (on peut aussi penser, très immédiatement antérieur à la période d'exercice de Salvayre, au premier acte du Don Carlos de Verdi).
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Anecdotes
On peut ajouter à l'attention de nos lecteurs quelques amusettes.
[1] Le numéro est une entité musicale indépendante, hérité de l'opéra seria. Des récitatifs destinés à faire avancer l'action encadrent des passages isolés plus lyriques pour soliste, ensemble de solistes ou choeur : des morceaux de bravoure musicale qu'on nomme "numéros" parce qu'ils étaient numérotés par les éditeurs. Et souvent distribués en feuillets séparés à l'usage des amateurs - qui avaient alors une très large place dans la vie musicale active.
[2] Le ténor est aussi judicieusement l'opposant dans l'Hernani d'Henri Hirchmann, entrant sans le savoir dans la filiation de Francoeur & Rebel. C'est plus troublant que la soprane à suraigus, diabolique, d'Isabeau de Bavière dans Charles VI d'Halévy - qui est à l'époque une configuration héritée du seria, donc datée : qu'on pense à Rinaldo, Europa Riconosciuta, Zauberflöte...
[3] Scène au sens opératique, c'est-à-dire le premier tableau de l'acte I, le second imposant un changement de décor. Une sorte de prologue, ici, en fin de compte, mais ce format n'est pas usuel dans le Grand Opéra.
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