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Bonis-Koechlin-Hahn-Poulenc-Daunais-Landry : Récital & miracle (Hélène Guilmette)


Découvrir deux compositeurs (très inspirés) dans un seul récital, plus quelques raretés chez d'autres compositeurs plus célèbres. Partons à la rencontre de ces oeuvres.


Fantaisie dans tous les tons de Lionel Daunais, par Hélène Guilmette et Martin Dubé.


Les risques

Quelquefois, le fait de donner un récital dans une salle permet des libertés supplémentaires : l'impératif fédérateur du disque, la nécessité d'une carte de visite ne s'y imposent pas aussi fortement, et il est possible de donner à entendre autre chose.

Le récital d'Hélène Guilmette et Martin Dubé, à l'amphithéâtre Bastille, prenait ce pari. Le nom encore assez peu célèbre de la chanteuse (même si les amateurs de tragédie en musique l'avaient entendue un an auparavant pour Amadis de Gaule de Johann Christian Bach à l'Opéra-Comique, pas sûr que cela ait suffi à faire retenir son nom) n'avait rien pour faire déplacer le public, qui avait cette saison des célébrités à l'amphithéâtre (Lemieux, Trekel, Iveri, et à l'accompagnement Leonskaja) ou des habitués de l'Opéra de Paris (Pisaroni, Selig, Merberth). Par ailleurs le programme a été annoncé très tardivement dans la saison - si bien que je n'en avais pas tenu compte pour faire mes réservations, et que je suis vraiment aller voir ce qui était prévu que pour vérifier que je ne ratais rien d'exceptionnel. Beaucoup de spectateurs ont dû simplement s'en tenir à la brochure de saison : une semi-inconnue qui n'annonce pas son programme, quelle raison a-t-on d'y revenir ? Enfin les compositeurs assez peu populaires (les plus engageants étant sans doute Hahn et Poulenc, tout de même courants dans les récitals de mélodie française) n'allaient pas soudain attirer les foules.

Aussi, dans l'amphithéâtre habituellement plein, seuls quatre gradins sur six étaient occupés. Dommage, mais la faute en incombe d'abord à l'organisation et à la promotion du récital.

Car il aurait pu être présenté comme la présentation exceptionnelle de figures historiques (Koechlin-midinette, Bonis-compositrice) et d'inédits contemporains très accessibles et passionnants (Landry, Daunais).

En effet les oeuvres ont été choisies avec soin et, chose rare dans un récital, elles étaient toutes de haute qualité, à commencer par les oeuvres (très) rares, de véritables révélations me concernant - alors que j'ai plutôt tendance, depuis pas mal d'années, à me jeter sur les noms inconnus en la matière.

Mel Bonis (1858-1937)

Compositrice au destin brisé (par le mariage), et néanmoins à la tête d'un catalogue très conséquent, Mélanie Bonis, au même titre que Louise Farrenc ou Amy Beach, a fait les beaux jours des résurrections "genrées". Contrairement à Clara Wieck-Schumann et surtout Alma Schindler-Mahler, ce n'est sans doute pas une compositrice (je veux dire un compositeur) majeure, mais son assimilation des qualités du temps est remarquable, ainsi qu'en témoignent ces Trois mélodies Op.91 sur des poèmes de Maurice Bouchoir, où les figures pianistiques variées et les belles couleurs harmoniques évoquent çà et là le Ropartz des Odelettes ou le Cras des Fontaines.

Reynaldo Hahn (1874-1947)

Le choix des mélodies de Reynaldo Hahn s'inscrivait dans la tradition, avec deux de ses plus célèbres (et très réussies) mélodies, « A Chloris » et « Trois jours de vendanges », mais aussi du côté de bijoux moins pratiqués, dont deux Théodore de Banville (« L'énamourée » et « Le printemps ») et surtout un superbe petit Charles d'Orléans (« Quand je fus pris au pavillon »).

On y retrouve le goût de la grande simplicité de Hahn - mais une épure qui doit tout à la maîtrise, un peu comme chez Dubois (il suffit d'écouter sa musique de chambre, et plus encore le grand cycle pour piano de deux heures Le Rossignol éperdu, pour se convaincre de son potentiel technique).

Charles Koechlin (1867-1950)

Déjà signalé par deux fois ici comme un aboutissement particulièrement original chez Koechlin, le cycle des Sept chansons pour Gladys Op.151 frappe par la liberté de ses courbes mélodiques, à la fois prégnantes et secondant sans cesse le texte, à la limite du récitatif ou de la scène de déclamation - le piano se contentant parfois d'accompagner d'une seule note de loin en loin. Ses belles harmonies inhabituelles et son ton paisiblement espiègle leur donne beaucoup de charme.

La seule véritable réserve tient dans les textes, écrits par Koechlin lui-même au plus fort de sa fanitude midinettisante pour Lilian Harvey : dans un mélange d'élégance et de prosaïsme, les sept poèmes tournent largement en rond autour du noeud de Calais-Douvres (où Harvey tient le personnage de Gladys O'Halloran), se redisant beaucoup, soulignant trop leurs traits d'esprit... ce sont les poèmes d'amour secrets d'un ado cinquantenaire, assez attendrissants au demeurant, plus que des objets littéraires en tant que tels. Grand compositeur, grand pédagogue, grand photographe... Koechlin ne pouvait pas non plus avoir tous les talents, c'eût été injuste.

Néanmoins, si on les écoute comme les miniatures rafraîchissantes qu'elles sont, on ne peut qu'être frappé par la qualité d'évocation musicale, qui excède de très loin les textes-supports.

Francis Poulenc (1899-1963)

Peu à dire ici, un standard du répertoire de mélodies, avec les deux Aragon célébrissimes, trois Vilmorin (le cycle Métamorphoses), et un plus rare Robert Tatry (« Nos souvenirs qui chantent »). De très beaux choix évidemment, et sans doutes les rares oeuvres déjà entendues par une bonne partie du public, avec les deux Hahn fameux.

Lionel Daunais (1901-1982)

Daunais constituait la grande surprise de la soirée. Lui-même chanteur, mais aussi metteur en scène, il écrit à la fois texte et musique. Inconnu en France, on découvre ce soir un caractère remarquable : les textes sont remarquablement écrits (et, chose rarissime pour ce répertoire, réellement drôles), remplis d'esprit... et la musique change totalement de couleur pour chaque caractère de la Fantaisie dans tous les tons (rose, jaune, noir, vert, brun et mauve).

Il faut impérativement remplacer tous les bis d'hommage à Offenbach, Yvonne Printemps, Yvette Guilbert ou Jacques Brel par ça !

Jeanne Landry (1922-2011)

Le grand coup de coeur de la soirée était pour Jeanne Landry, découverte absolue. Elève de Nadia Boulanger, elle a manifestement surtout été entendue au Canada, et comme pianiste interprète, en particulier dans le domaine du vingtième siècle (premières auditions canadiennes de Bartók et Boulez).

Le langage en paraît assez consonant, mais avec des harmonies raffinées ; surtout, le résultat sonne avec beaucoup de liberté et d'éloquence - manifestement très bien écrit pour la voix. Les poèmes de Landry, qui ne paraissent pas forcément majeurs à la seule lecture, se révèlent idéaux par leur densité (groupes de sens très ramassés, un peu comme on écrirait de la poésie allemande) pour une mise en musique, et la compositrice à son tour sert à merveille la poétesse.

Les interprètes

Outre que le public de ce soir-là leur sera longuement débiteur pour ces découvertes toutes remarquables (et qui le sont, j'insiste, au delà des « amateurs de raretés »), il y a surtout du bien à dire de l'exécution qui est proposée.

Peu à dire sur l'accompagnement de Martin Dubé, qui accomplit idéalement sa tâche d'une certaine façon : discret, mais bien timbré et phrasé avec goût, toujours très attentif à la chanteuse.

Quant à Hélène Guilmette, on retrouve son joli soprano lyrique léger. Il faut seulement s'habituer à un placement plus en arrière, dû à ses habitudes canadiennes - on est habitué à entendre dans ce répertoire les francophones (d'Europe) parler beaucoup plus « en avant », et ce « recul » du son semble de prime abord un peu terne, ce qu'il n'est pas tout à fait en réalité. De ce fait, les pièces les plus agiles, comme « Fêtes Galantes » d'Aragon, ne surpassent pas la concurrence (sans démériter le moins du monde), mais la qualité du galbe frappe, jusque dans les pièces comiques de Daunais.

Hélène Guilmette prend très souvent la parole au cours du récital pour commenter de façon tout à fait informelle avec le public. Peut-être un peu trop (au milieu des parties, cela rompt un peu le charme), surtout considérant qu'il ne s'agit pas vraiment de présentation des pièces, plutôt une forme de communication directe avec le public. Mais force est d'admettre que la chaleur qu'elle met à défendre ce répertoire, en parlant longuement (sans micro, au cours d'un récital assez vaste) et en chantant avisément, attire toute la sympathie du public.

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Evénement majeur de la saison, qui mérite autant de louanges que possible aux interprètes qui ont osé un programme aussi original - et surtout aussi bon !


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