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vendredi 26 février 2010

Le Combattimento de Monteverdi et sa parodie : La Fiera di Farfa à l'Opéra-Comique (Vincent Dumestre)


Evénement très attendu des lutins, ce concert présentait, outre quelques standards monteverdiens, une parodie de la foire italienne de 1639.

On connaît bien la Foire française (Foire Saint-Laurent et Foire Saint-Germain essentiellement), mais on entend moins deviser, du moins en France, autour de la Foire italienne. Il est vrai que de la Foire française a donné naissance, en parodiant l'opéra, à un genre autonome qui mettra 150 ans à refusionner avec lui : l'opéra-comique (voir aussi).

Cette soirée du Poème Harmonique donnait pour la première fois (au sens large, puisque la tournée a débuté en octobre à Besançon) à entendre la musique de ces foires italiennes. Enfin, pas au sens strict. Il s'agit en réalité d'un intermède comique (destiné à séparer les actes d'un opéra) qui décrit les bruits de foire, mais utilise des procédés, précisément, qui seront ceux du théâtre de la Foire (et probablement commandé pour le Carnaval de 1639)... Avec de l'humour facile, des parodies bien vues, et une musique diversement inspirée.

Bien entendu, comme pour l'ensemble de ces recréations par les ensembles pionniers, il est difficile (sauf lorsqu'un livret documente les détails de la restitution, et Dumestre le fait habituellement chez Alpha, mais il est douteux que cette Fiera paraisse au disque) de distinguer ce qui tient de l'écriture originale, ce qui tient de la restitution fidèle des modes de jeu, et ce qui est propre à l'imagination féconde et heureuse des interprètes 'restituteurs'.

On reviendra aussi sur l'instrumentarium original.

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La soirée débutait donc par du Monteverdi.

Il faut d'abord signaler que le programme de salle comprenait, selon les endroits, soit la distribution, soit le texte, mais pas toujours les deux. J'ai eu le bonheur d'avoir le texte, ce qui m'empêche cependant de donner avec exactitude les répartitions (je donne donc juste ceux dont j'ai reconnu le visage ou la voix).

Hor che'l ciel e la terra était interprété par cinq chanteurs (soprano, mezzo, ténor, baryton, basse), notamment, pour ceux identifiés : Claire Lefilliâtre, Isabelle Druet, Marc Mauillon et Benoît Arnould. Ce madrigal, comme du reste celui donné en bis (Sì, ch'io vorrei morire, un extrait du Quatrième Livre étrangement annoncé - ai-je bien entendu ? - comme du Cinquième), souffrait d'une certaine monotonie feutrée, presque indolente ; sans mollesse, mais sans grand relief, malgré la qualité de l'articulation des chanteurs.
Il faut dire que l'interprétation de ces pièces par une collection de solistes est forcément moins commode qu'avec un ensemble spécialiste constitué de façon permanente.

Un problème récurrent pendant toute la soirée sera l'effectif retenu par Vincent Dumestre : deux violons, viole de gambe, lirone, violoncelle, contrebasse, clavecin, archiluth et théorbe (de type chitarrone, apparemment). [Pour les définitions illustrées des instruments à cordes grattées, voir ici, et pour ceux à cordes pincées, .]
Outre que le claveciniste arpégeait peu, ce qui produisait des sons durs (avec la couleur pas très chaleureuse de l'instrument présent), des entrées brutales de son, la présence de quatre instruments d'accompagnement à cordes frottées produisait un trop-plein harmonique, quelque chose d'épais et de lourd dans le grave. Par ailleurs, la viole de gambe et surtout le lirone (sorte de viole de gambe qui comporte beaucoup plus de cordes, pour faire vite) étant un peu lourds à manoeuvrer (l'archet se tient à l'envers, de façon plus souple mais moins incisive que pour le violoncelle, et le son est en lui-même peu propice aux attaques nettes), les ajouter produisait une sorte de mollesse élégiaque pas toujours adaptée aux situations, et en particulier aux madrigaux déjà bien remplis par les parties vocales, ainsi qu'aux élans concitati du Combattimento...

A noter : on entendait merveilleusement la différence entre l'archiluth (à l'aigu clair et tranchant) et le théorbe (au son plus moelleux et sombre).

Le Lamento della Ninfa était, lui, assez bondissant, à la limite du parodique, très habité. Vraiment réussi.
Claire Lefilliâtre se révèle en salle assez sonore (par rapport à ce qu'on imagine au disque), bien projetée mais très engorgée, loin du charme qu'elle peut répandre en studio, peut-être ici contrainte par l'enjeu sérieux et l'italien ?

Le Combattimento di Tancredi e Clorinda laissait des sentiments plus mitigés. Quelques décalages (étonnants de la part d'ensembles spécialistes qui opèrent des tournées de six mois), et surtout un flottement persistant pendant toute la première moitié de la pièce, une sorte de fébrilité prudente qui se ressentait un peu. Rien de honteux cependant.
La couleur choisie était la plus funèbre possible (avec même un beau postlude instrumental en guise de Requiem pour Clorinde, au passage totalement hors de l'esprit de ce qui se faisait alors - fins brèves et abruptes), avec beaucoup d'effets : grosses ruptures entre parties, au contraire fondu très poussé entre d'autres, accélérations nombreuses. Pas forcément ostentatoire comme l'Orfeo gravé récemment par Rinaldo Alessandrini, mais la justification de tout cela, la cohérence d'ensemble, à part de faire personnel, n'était pas toujours évidente, pour moi du moins.
Et ici, évidemment, la lourdeur du continuo de sept instrumentistes amollisait un peu l'ensemble, le rendait moins urgent.

La Clorinde d'Isabelle Druet était une très belle découverte, pour ainsi dire une référence. Son succès habituel me laisse très perplexe (on a parfois l'impression qu'on ne peut plus entendre un concert baroque sans elle) : la voix est dure (ancienne comédienne qui a gravi tous les échelons depuis le Conservatoire jusqu'à la célébrité en peu d'années, elle garde ses appuis parlés dans son chant), le timbre assez moche (dur, un peu mégère, avec quelques furtives nasalités acides qui permettent à la voix de mieux passer), et l'expression pas toujours si extraordinaire. Néanmoins, sa Clorinde réussit, en peu de mot, à donner une épaisseur tout à la fois farouche et extatique à son personnage, d'une façon assez impressionnante à vrai dire.

Son Tancrède (à identifier...) était tout à fait réussi.

Le Testo était interprété par Marc Mauillon. La voix est toujours aussi étrange. Pour reprendre un sujet de conversation d'après-spectacle, on peut distinguer, dans le chant lyrique, trois façons de se faire entendre :

  • La puissance est le volume sonore de la voix, mesurable en décibels, on parle aussi de largeur. Elle est liée à la nature de la voix et à la technique adoptée.
  • La projection est la concentration du faisceau sonore, qui permet à de petites voix de se faire très bien entendre.
  • Les harmoniques enfin permettent, soit parce qu'elles sont aiguës (cas des sopranos légers), soit parce qu'elles sont denses et concentrées dans une zone de fréquences que reçoit très bien l'oreille humaine (le fameux formant du chanteur) de passer un orchestre et de se faire entendre sans peine et sans forcer.

La plupart des chanteurs utilisent plusieurs de ces ressorts, mais Marc Mauillon semble n'utiliser que le dernier, ce qui donne cette voix étrange, râpeuse, métallique, peu sonore... mais pas du tout désagréable et toujours audible !

Une vraie bizarrerie, mais par ailleurs l'italien est bon : une petite erreur dans les ellisions poétiques, mais l'accentuation est bonne, le texte très audible aussi. Sa technique d'émission, assez en arrière, lui cause un petit moment de solitude dans le grand sillabando central, où il ne peut, physiquement, atteindre le tempo, mais l'ensemble est très habité, et très rapidement, la musicalité de ce texte suscite de grandes émotions. Je ne parle que du texte, parce qu'il s'agit quand même du premier intérêt du Combattimento, dont la musique fade n'a d'intérêt que parce qu'elle l'exalte ; et ce n'est en rien une hétérodoxie que de le prétendre, puisque c'est l'exact projet de la seconde Camerata d'où est né le genre opéra...

Moment enthousiasmant, donc, malgré tous les désaccords et toutes les réserves qu'on pourrait présenter.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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