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Claude DEBUSSY – Pelléas et Mélisande – Haitink, ONF – Kožená, Lapointe, Naouri (TCE, 16 juin 2007)

L'équipe de CSS vient de réécouter la captation de ce Pelléas... et gît à nouveau au sol. Si vous êtes lutin infirmier, appuyez ici pour nous remettre en ordre de marche.

C’est décidément l’un des plus beaux Pelléas que nous ayons jamais entendus. D’abord par la distribution sans faille, mais aussi par la lecture remarquable de Bernard Haitink, sans le moindre rapport avec sa direction molle et floue du même orchestre en 2000.[1] Il faut dire qu’entre-temps, il l’a bien sûr dirigé, son Pelléas – notamment à Boston en 2003 (avec Hunt-Lieberson/Keenlyside/Finley), une version qui était meilleure, tout à fait valable d’ailleurs, mais restait assez standard, encore assez peu de détail.




Haitink creuse le son de façon stupéfiante, en privilégiant une vision sombre de ce drame, comme je n’en avais pas entendu depuis Desormière – mais, contrairement à celui-ci, demeurant avant tout onirique, jamais oppressant.

L’Orchestre National de France est complètement transfiguré : on entend mille détails soigneusement choisis, et malgré des attaques toujours un rien molles, tout respire la précision d’une pensée limpide. La fin du IV a déjà claqué bien plus efficacement – chez Dutoit, chez Rattle… mais on est indéniablement cueilli, et sans les maniérismes présents chez d’autres.
Tout au plus on pourra noter, particulièrement en cette fin du IV, une façon étrange de césurer les éléments mélodiques, comme si leur interruption par Debussy n’était pas comprise. Mais parallèlement, tellement de discrets élans ineffables qui nous sont ménagés, jusque dans les duos entre Golaud et Mélisande…




Côté distribution, c’est l’enchantement à tous les niveaux.

Le moins intéressant est sans doute l’Arkel de Gregory Reinhardt, pas totalement à son aise en français par rapport à ses partenaires, son et incarnation un peu tassées par rapport à ses partenaires rayonnants, mais amplement satisfaisant. L’aisance vocale est réelle, en tout cas, et on sait combien en salle le timbre est riche est beau.

On échappe à l’Yniold enfant avec le choix assez évident d’Amel Brahim-Djelloul, ce qui fait perdre la détresse du III et l’empathie avec Golaud (en somme, on finit par y tenir, à cet avorton insupportable), mais s’avère payant pour habiter le solo du IV. Peut-être une voix naturellement trop ronde et un manque d’audace dans les options, mais le pari est amplement réussi, et on connaît la musicalité de cette interprète.

Le Pelléas de Jean-François Lapointe est tout à la fois une bonne surprise et une surprise tout court. Bonne surprise, parce que les poses vocales de ce chanteur assez engorgé ne sont pas toujours des plus élégantes, d'ordinaire. Et surprise devant sa conception originale du rôle de Pelléas. Ici, seule Mélisande est hors du monde. Pelléas n’est pas cet être évanescent, impossible à caractériser ; ici, nous rencontrons indubitablement un être viril, désirant ardemment – il faut l’entendre brâmer « je t’aime » ou brailler « donne ! donne ! ». Et bien qu’on puisse préférer une lecture plus énigmatique, plus singulière, comme celles de Didier Henry ou de François Le Roux ; ou plus éthérée, comme le frais Charles Panzera (dans les extraits gravés par Piero Coppola dans les années vingt), il faut bien reconnaître que cette conception est pleinement menée de bout en bout. Et c’est là sans doute un choix avisé, car Jean-François Lapointe risquait fort de sombrer dans le maniéré ou le disgracieux à vouloir camper ce que n’est ni la nature de sa voix, ni son tempérament dramatique.
Un choix qui a le mérite du courage, en s’affrontant à une tradition de Pelléas languide sans guère d’exceptions (à part dans les représentations ratées, comme ce fut le cas pour Thomas Allen pris dans de terribles représentations de Covent Garden). Nécessairement, cela bouscule notre imaginaire, et le personnage n’y gagne pas non plus en complexité, mais force est de constater que cet effort de relecture fonctionne pleinement. Nous apprécions.

Depuis sa prise de rôle enregistrée lors du concert de 2000, marquée par une étonnante placidité expressive pour le personnage, imputable aussi bien à son manque de pratique qu’à sa pratique du chant d’alors, bien plus uniformément vocale qu’aujourd’hui, Laurent Naouri avait pu approfondir sa conception de Golaud, notamment à Berlin en 2003 (Marc Albrecht/Véronique Gens/Richard Croft), où l’on avait déjà pu noter un sérieux épaississement de sa composition.
Ici, c’est d’ores et déjà une véritable leçon que nous dispense Naouri. Tout en assurant sans faiblir sa partie, voici qu’il nous propose un grand nombre de formules aux confins de la parole, qui constituent de véritables intonations connues de nos oreilles, qui rattachent cette prosodie de Debussy, fantasmatique, reconstituée, à un sens familier. Un grand nombre d’émotions directes, d’explicitations de paroles sont ainsi transmises, avec une grande simplicité.
Ici aussi, on peut préférer un Golaud plus noble (je suis personnellement attaché à la composante « grand seigneur »), ou plus opaque, ou plus terrifiant. Mais Naouri parvient à maintenir très habilement les composantes ensemble, sans que l’une ne gagne démesurément sur l’autre, tout en fournissant un nombre considérable d’ « informations » nouvelles – plus dans une perspective concrète que symbolique, il est vrai.
Cette dimension très parlée, ce personnage tout de proximité permettent bien évidemment de faire plus que jamais de Golaud l’étalon du drame, l’être auquel le spectateur peut s’identifier le plus aisément afin de tenter de ce repérer dans cet Allemonde étrange. Son potentiel menaçant n’est pas, au demeurant, diminué par cette approche, car on sent fort bien tout le caractère profondément affectif et intensément épidermique de Golaud, attendri à pleurer devant les mains fines de Mélisande, et tout aussi aisé à aiguillonner vers la bête féroce. Nous n'avions jamais entendu Golaud avoir ces paroles d’époux, avançant encore tendrement « Où est l’anneau que je t’avais donné ? ». Ce sera bien cet époux gentiment prudent qui avertira fermement Pelléas, et qui, fou d’amour ou de désespoir devant la trahison qui fait basculer son univers, commettra le meurtre que l’on sait.
Véritablement intéressant, donc, et pleinement réussi. Et ici, l’on ne peut pas dire que ce soit en sacrifiant une approche plus traditionnelle, comme le fait Lapointe ; à titre personnel, je trouve peut-être la voix dotée de beaucoup d’autorité et de noirceur pour le rôle, mais on ne peut pas dire qu’il manque véritablement d’éléments à cette lecture. Et à défaut de noblesse, la tendresse, jusque sous le balcon, rend Golaud bien humain.

Enfin, la Mélisande de Magdalena Kožená. Ce n’est un secret pour personne, depuis sa découverte dans le rôle en 2002 (Minkowski/Bou/Le Roux), elle est notre référence personnelle en Mélisande. Si, peut-être étourdi par le souvenir – mais rien n’est plus variable qu’une interprétation de Mélisande, même chez les mêmes interprètes dans les mêmes années –, on a trouvé ici son traitement du personnage plus vocal, plus global aussi, et peut-être par comparaison avec Angelika Kirchschlager que nous avions entendue à son meilleur en 2006 à Salzbourg (Rattle/Berlin/Keenlyside/van Dam), il n’empêche cependant que cette interprétation demeure de premier ordre.
Ce vibrato serré délicieux, cette ambiguïté permanente entre la timidité du ton et ce timbre brûlant comme la chaux, ce rayonnement permanent, toutes choses qui, en ces soirées de juin, semblent en effet émaner de la voix plus que du texte où Kirchschlager a pu sonner plus précise – mais qui nous renversent. Mélisande idéalement équidistante de l’enfant apeurée et de la séductrice aussi ingénue qu’habile.
Quant à la maîtrise du français malgré sa nationalité tchèque – pas la moindre demie-erreur d'aperture ou d'accentuation expressive –, elle est bien entendu confondante, ce ne sera une nouvelle pour personne.




En somme, ces personnages lumineux et attachants, très incarnés, évoluent ici dans un écrin orchestral à la fois profond, élancé et marqué dans son son crépusculaire par l’idée que la finitude est toujours le terme promis.

Vraiment un sommet dans l’interprétation de Pelléas.

Notes

[1] L'enregistrement avait étrangement été vanté comme le seul égal de l' insurpassable Desormière par les membres des organismes mêmes qui avaient participé à sa sortie - et ensuite l'on s'interrogera ici ou là sur la crédibilité de la critique professionnelle... Surtout que la discographie de Pelléas contient objectivement des trésors bien plus aboutis que cette première version de concert avec prises de rôles.


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Commentaires

1. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Quelques précisions.

=> Ce texte a été initialement prévu de façon informelle, aussi il subsiste ici et là quelques tournures un peu oralisantes.

=> TCE est l'abréviation commode pour le Théâtre des Champs-Elysées à Paris.

=> On peut se plonger plus à loisir dans Pelléas sur CSS, dix épisodes ont déjà été consacrés à cette oeuvre majeure. Vous pouvez les retrouver ici.

2. Le samedi 25 août 2007 à , par Laurent :: site

“elle est bien entendu confondante, ce ne sera une nouvelle pour personne”

Apparemment, c’en sera une pour le critique de Diapason, François Laurent, qui écrit : “ […] la Mélisande inintelligible et bêcheuse de Magdalena Kozena (plus Carmen tu meurs) […] ”. Il y a aussi quelques gentillesses sur Lapointe.

Dommage, j’avais pris une place mais j’ai été empêché…

3. Le samedi 25 août 2007 à , par Caroline

ARTE devrait diffuser cela très bientôt.

4. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Exactement Caroline, c'est prévu mi-septembre, je crois. Mais comme je me refuse à voir Pelléas, je risque ne pas en faire état. Tu raconteras, si tu regardes ? Ce serait chouette, d'autant plus que ton compte-rendu poétique d'Era la Notte m'a laissé sur les ailes du songe.
(Et à propos, toi qui sais tout, pas de trace de l'Ulysse de Rebel depuis la date de diffusion prévue du 1er juillet, et aucune réponse de France Musique[s ].Tu aurais des informations sur le sujet ? Je trépigne un peu.)

*

Effectivement, Laurent, la plupart des présents ont trouvé sa diction difficile en salle. En tout cas, à la radio, c'était parfait. Déjà, pas la moindre déformation dans le français, c'est particulièrement difficile en Mélisande et ça ne pardonne pas pour la réussite du rôle. Même Kirchschlager, cette année à Covent Garden, était un peu en roue libre sur ce point.
Mais tout de même, inintelligible, il ne faut pas pousser...

Concernant l'attitude carmenisée, je ne suis bien évidemment pas le moins du monde d'accord (aujourd'hui, Kirchschlager, Delunsch et surtout Gens, oui, ont des conceptions très féminines), l'équilibre est véritablement total. Mais n'ayant pas vu la mise en scène, il est tout à fait possible que d'autres choses aient filtré lors des représentations.

Après, les critiques des magazines spécialisés, avec leurs épigrammes ridicules qui assènent les certitudes du rédacteur sans jamais en expliciter les critères, je n'y attache en effet aucune importance. Surtout avec cette complaisance dans la méchanceté.

5. Le samedi 25 août 2007 à , par licida :: site

L'Ulysse de Rebel sortira en cd en novembre chez "Musique à la Chabotterie", quel joli nom de maison de disque! http://www.simphonie-du-marais.org/spip.php?rubrique14

Sinon je n'ai absolument pas vu de Carmen dans la Mélisande de Kozena, surtout avec une mise-en-scène aussi esthétisante et fine! Ce critique a une bien étrange idée de Carmen! Il ne confonderait pas avec Micaëla? :o)

6. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Merci Licida !

A propos, tu as été à ce concert Rebel ?

J'espérais la radiodiffusion du concert, parce qu'un studio (ou même, sans doute, la captation à la Chabotterie) peut modifier sensiblement les choix et les bonnes formes, comme pour le disque de Callirhoé, assez nettement moins convaincant, et que j'ai finalement acheté pour sa documentation.

Je ne sais pas ce que tu en as pensé, mais outre Auvity en forme un peu moindre, j'ai trouvé D'Oustrac et Fernandes bien moins nuancés que Staskiewicz et Buet. L'une dans la plainte permanente, comme on pouvait le redouter, ce qui a valu, il est vrai, un très bel acte IV ; l'autre avec un aigu étrangement inculte (tout dur) et une lecture un peu ogresque de Corésus. Un peu à Corésus ce que George London est à Golaud... Les tempi de Niquet y sont plus retenus et plus variés, aussi, mais sans l'urgence que j'avais trouvé au concert.
Mais il faut dire que je m'en suis tellement imprégné, en dix-huit mois, c'est devenu l'une des oeuvres que j'ai au total le plus écoutées, toutes catégories confondues...

Et ça laisse des séquelles, puisque comme pour Pelléas, on ne peut plus guère me dire certaines phrases sans que le fil se déroule à nouveau...

Et toi, ta Stéphanie et ton João, quel effet ?


Merci encore pour la bonne nouvelle ! Tu reviens quand tu veux m'en annoncer des comme ça.

7. Le samedi 25 août 2007 à , par Caroline

Trépigne si tu veux, mais je ne sais rien de plus... désolée.

8. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Tanto peggio ! Merci Caroline.

Je suis fatigué de trépigner, ce n'est plus de mon âge (semi-)canonique. <]:o)

9. Le samedi 25 août 2007 à , par licida :: site

Non j'avais du renoncer au concert Rebel faut de sousous dans la popoche :(

Moi j'aime beaucoup le disque de Callirohé, je préfère aussi Staskiewicz à d'Oustrac qui est plus maniérée et moins immédiatement émouvante mais j'adore Fernandes, c'est moins nuancé que Buet mais il se dégage une virilité, une assurance de sa voix qui me chavire à chaque fois (même dans Les Paladins, c'est dire!), je le trouve plus présent que Buet (qui patissait de la prise de son réverbérée de Beaune faut dire). Pour l'aigu et la vocalise, Aladin m'avait expliqué en termes techniques que cela tenait à sa diction surexposée, sans doute voulue par Niquet, mais qui risquait aussi de bousiller la voix; je serai malheureusement incapable de réexpliquer cela en détail mais je peux te retrouver ça si tu veux.

10. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Oh. :-( Mais c'est pas très cher, la Cité de la Musique. :-(


Moi j'aime beaucoup le disque de Callirohé, je préfère aussi Staskiewicz


DAVISTO
- Jugé !
LE CHOEUR DES LUTINS
- Sauvééééééééééé !


mais j'adore Fernandes, c'est moins nuancé que Buet mais il se dégage une virilité, une assurance de sa voix qui me chavire à chaque fois (même dans Les Paladins, c'est dire!), je le trouve plus présent que Buet (qui patissait de la prise de son réverbérée de Beaune faut dire).

Ah, indéniablement, la présence vocale n'est pas comparable. A l'époque, j'avais même regretté qu'on nous donne si souvent des basses un peu sèches et tassées dans ce répertoire, mais je m'en repends aujourd'hui, devant l'accomplissement interprétatif de Buet et le naturel de son émission. J'ai aussi depuis entendu Deletré en salle, et il y a un charme particulier...

Fernandes, c'est surtout les nuances un peu rares et la lecture très sombre, plus que ne le demande le personnage à mon sens - d'où mon parallèle avec London en Golaud. Le texte n'est pas investi de façon bouleversante, alors que c'est tout de même un rôle en or !
Et, pour finir, sans doute aussi que je préfère un baryton dans ce type d'emploi qu'une basse trop riche.


Pour l'aigu et la vocalise, Aladin m'avait expliqué en termes techniques que cela tenait à sa diction surexposée, sans doute voulue par Niquet, mais qui risquait aussi de bousiller la voix; je serai malheureusement incapable de réexpliquer cela en détail mais je peux te retrouver ça si tu veux.

Je veux bien, mais je crois comprendre.
Oui, il prononce très en avant, du coup ça peut durcir certaines voix suivant leur technique de départ. Pour Buet, évidemment, c'est parfait.

Ca s'entend encore plus chez Jourdan, avec des voix qui se durcissent à cause des exigences de diction et de "r" uvulaires.


Merci pour tes impressions et précisions. :)

11. Le samedi 25 août 2007 à , par licida :: site

[caviardé sur demande]
J'adore la Callirhoé par Niquet, je trouve Fernandes stupéfiant là dedans, je n'y connais fichtre rien sur la technique mais moi ça me donne le frisson, les vocalises en escalier me semblent assez représentatifs des voix de l'époque pas agiles pour un sou, et dans le live avec Staskiewicz, Buet faisait déjà ça, donc tu as raison, je pense que c'est Niquet qui le demande. Je trouve que le disque entier est un chef d'oeuvre, même Perruche réussit à être intéressante, seule la prise de son qui noit un peu les choeurs me gene.

Quant au Fernandes lui même je suis de plus en plus fan, déjà son Pluton dans la Proserpine de Lully était impérial, son Orcan dans les Paladins presque trop beau. J'espère donc vraiment que sa voix tiendra le coup!

[...] mais alors au XVII et XVIIIème dans les tragédies lyriques, ils articulaient comme l'exige Niquet ou bien dans les tessitures extrèmes ils "protegeaient" les notes à ton avis? s'ils faisaient comme le fait Fernandes dans ce disque, cela pourrait donc expliquer leurs carrières assez courtes en comparaison des carrières des chanteurs de style italien, non?

12. Le samedi 25 août 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Merci beaucoup Licida.

Ca me semble d'une vérité parfaite, le français est une langue difficile à chanter, il est placé très en avant, et ça applatit facilement les voyelles. L'anglais est bien entendu idéalement confortable.
Son explication rend très bien compte d'une des causes de ces braillements célèbres chez les chanteurs français du XVIIIe.

En revanche, je reste très circonspect sur l'excuse de la couverture (sur laquelle il a tout à fait raison, mais qui sert souvent d'échappatoire et de priorité absolue chez les chanteurs...). L'essentiel reste tout de même l'intelligibilité, l'adéquation stylistique. Au chanteur ensuite de la réaliser en ménageant son organe. En posant le préalable inverse, comme trop souvent (dans tous les autres répertoires, en fait...), on fait produire des glottes sans grand intérêt.
Je ne comprends toujours pas comment Sutherland ou Nilsson, sans jamais avoir dit un mot entier de leur carrière, peuvent être vécues comme des références. Autant ne chanter que des "a", c'est meilleur pour la voix...


Mais pour Fernandes, oui, il est possible que ces attaques dures et comme incultes (ce qui corrobore la thèse de la couverture insuffisante) dans l'aigu soient dues au placement très en avant réclamé par Niquet. Sans avoir le placement instinctif qu'a un français comme Buet (qui ne force pas, lui), ce peut être préjudiciable, oui.


(Au passage, je rapprocherais plutôt Chuberre, vocalement, de Jérôme Corréas ou de Thomas Dolié.)


Merci encore pour cet échange très intéressant !

13. Le mercredi 12 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Je réécoute la Mélisande de 2002 pour le centenaire de Pelléas, à l'Opéra-Comique (Marc Minkowski, Mahler Chamber Orchestra, Magdalena Kožená, Nathalie Stutzmann, Sébastien Bou, François Le Roux, Jérôme Varnier).

Etonnant comme elle se montre beaucoup plus extravertie. Le timbre rayonne infiniment, la diction est meilleure, l'expression beaucoup plus précise - et très variée.

Dommage que la direction de Minkowski ne parvienne à faire entendre que les cordes, et un peu mollement ; pas de changements de textures, ni de tension dramatique. L'ouvrage est difficile à diriger, et à l'époque, il manquait de métier dans sa relation aux formations traditionnelles avec séances de répétitions brèves.
Ici, on se trouve un peu dans l'esthétique très postromantique de Baudo, mais sans la maîtrise incontestable que celui-ci affichait dans ce registre.

Depuis (c'était aussi l'époque de ses Brahms soporifiques, Second concerto pour piano à la Roque d'Anthéron et Première Symphonie avec l'ONF), Minkowski a fait de très grands progrès dans la direction d'orchestres modernes, comme en atteste par exemple son magistral Oberon de Weber à Anvers.

14. Le jeudi 13 septembre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

"Etonnant comme elle se montre beaucoup plus extravertie", "elle" qui ? Comme nous discutons ailleurs de M. Kozena, je suppose qu'il s'agit de sa Mélisande, oui ? Vous avez l'art du mystère ;-) !
Quant à la direction de Minkowski dans les oeuvres romantiques ou modernes, je manque de références, pourtant je ne sais plus quelle symphonie du XIXe j'ai entendue sous sa direction (ce n'était pas du Brahms) et ce n'est pas très bon signe !

15. Le jeudi 13 septembre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

"Etonnant comme elle se montre beaucoup plus extravertie", "elle" qui ? Comme nous discutons ailleurs de M. Kozena, je suppose qu'il s'agit de sa Mélisande, oui ? Vous avez l'art du mystère ;-) !
Quant à la direction de Minkowski dans les oeuvres romantiques ou modernes, je manque de références, pourtant je ne sais plus quelle symphonie du XIXe j'ai entendue sous sa direction (ce n'était pas du Brahms) et ce n'est pas très bon signe !

16. Le jeudi 13 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

"Etonnant comme elle se montre beaucoup plus extravertie", "elle" qui ?


=> "Je réécoute la Mélisande de 2002 pour le centenaire de Pelléas, à l'Opéra-Comique (Marc Minkowski, Mahler Chamber Orchestra, Magdalena Kožená, Nathalie Stutzmann, Sébastien Bou, François Le Roux, Jérôme Varnier)."

:-))


Quant à la direction de Minkowski dans les oeuvres romantiques ou modernes, je manque de références, pourtant je ne sais plus quelle symphonie du XIXe j'ai entendue sous sa direction (ce n'était pas du Brahms) et ce n'est pas très bon signe !

Mais il y a vraiment du mieux. Cela dit, les orchestres trop amples ne sont pas encore trop maîtrisés par lui :), mieux vaut l'entendre dans du premier romantisme. Son Meyerbeer est assez bon, mais j'aimerais beaucoup l'entendre dans Marschner !

17. Le jeudi 13 septembre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Compris et merci :] !

18. Le mercredi 19 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

A noter, samedi soir sur Arte, la diffusion du spectacle.

19. Le mardi 25 septembre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Bonjour David !
Hum, je dois avouer tout de suite que je n’ai pas tenu très longtemps devant le Pelléas de samedi soir, et je le regrette d’autant plus que je l’écoutais et le regardais –ne vous en déplaise ;-)- avec assez de plaisir… J’ai été stupide de ne pas l’enregistrer car je pensais que cela m’ennuierait assez vite… aaah ces aprioris !
Cependant j’en ai vu assez pour apprécier votre article ci-dessus et bien sûr, émettre quelques opinions parfaitement simplistes !

Je vais commencer par cette Mélisande que vous aimez tant.
J’ai moi aussi trouvé que sa prononciation française était proche de la perfection, j’ai juste noté quelques « i » pas assez marqués à mon goût et parfois, ici ou là, une phrase peu intelligible. Je ne suis pas arrivée à savoir si c’est à cause de sa prononciation ou de la musique qui rend naturellement difficile la compréhension. Mais fait rare et marquant, des sous-titres étaient proposés, et d’habitude même pour du chant français je m’en sers, et là je n’en ai presque pas eu besoin, quelque soit le chanteur d’ailleurs. C’est dire leur excellente prononciation à tous. Pour revenir à M. Kozena, je la préfère dans de la musique baroque parce que je trouve que son timbre peut y être plus personnel qu’ici, mais c’est vraiment une affaire de goût. Là où je l’ai un peu moins appréciée, c’est dans son jeu d’actrice. Je reconnais que ce personnage de Mélisande, si différent des autres, doit faire percevoir ses particularités par son comportement. Et M. Kozena est bien arrivée à signifier cette différence, mais je n’ai pas trop aimé sa façon de le faire. Je n’arrive pas à prendre au sérieux ces airs hallucinés, les yeux presque exorbités comme dans le cinéma muet (qui là avaient leur raison d’être), ces regards dans le vague, ces pauses molles, légèrement langoureuses, rêveuses et éthérées. Pourtant le jeu de M. Kozena est restée sobre, elle a toujours été à la limite, plus c’eut été maniéré et ridicule, et elle a su alterner ces courts moments où Mélisande est « en dehors » avec d’autres où elle semble plus proche de la réalité de ses interlocuteurs. Finalement, ce n’était « pas mal » (et soyez-en certain, elle n'a été ni "bêcheuse", ni "Carmen"), dans la lignée du jeu expressionniste « traditionnel » pour une œuvre du début du XXe siècle, mais tempéré par la sobriété d’aujourd’hui (enfin quand on a du goût), malgré que cela soit peut être encore un peu caricatural ou convenu dans les moyens expressifs.

Je m’étonne que vous ne disiez pas un mot de la Geneviève de Marie-Nicole Lemieux. Peut-être qu’après avoir lu ce que je vais en dire, vous penserez que j’aurais dû faire de même ;-) ! De toute façon, j’ai peu à dire sur cette « contralto ». Entre « … » parce que vraiment je ne comprends pas pourquoi on la « classe » dans cette catégorie, mais enfin passons là-dessus. Je la connais encore assez peu mais ce que j’ai écouté (quelques mélodies, un petit rôle dans Lucia, et cette Geneviève) ne m’a pas impressionnée : je n’entends rien de très personnel dans sa voix et comme vous connaissez mes goûts en matière de contralto, vous comprenez sans doute ce que je veux dire ! En écoutant M.-N. Lemieux, je m’étonne qu’elle semble avoir le vent en poupe, mais c’est le mieux pour elle ;-). Coté actrice, sa Geneviève était agréable, d’apparence sensée et réservée sans être froide, et c’est un rôle bien court pour émettre une opinion plus développée.

J’ai beaucoup moins à dire au sujet des chanteurs.
Je n’ai pas tenu jusqu’à la première intervention d’Yniold et le Arkel de Gregory Reinhardt ne m’a pas frappée. Je confirme que son Français était moins naturel que chez les autres chanteurs. Vous n’avez pas vu son apparence de François-Joseph âgé ; je me suis demandée sans succès si c’était fait exprès et si oui, quel rapport il pouvait y avoir avec le royaume d’Arkel et celui divisé et finissant du vieil empereur…

J’ai bien apprécié J.-F. Lapointe en Pelléas. Il donnait un peu de dynamisme et de fougue sans paraître naïf, son jeu comme son chant m’ont semblé simples (c’est un compliment) et naturels. J’avais déjà vu et entendu une fois Laurent Naouri (dans Platée). J’ai trouvé que son Golaud du début était assez « léger », presque insouciant (je m’attendais à plus d’inquiétude dans la première scène), mais cela dédramatisait agréablement la rencontre avec Mélisande. Côté chant, je ne le connais pas assez pour en dire quelque chose.

Costumes et décors, sobres et sombres pour ce que j’en ai vu, m’ont semblé bien aller avec l’opéra, juste ce qu’il fallait pour l’évocation et laisser l’imagination libre. Mise en scène discrète et de bon goût. Encore une fois, c’est bien dommage que le samedi soir Morphée me kidnappe sans ma permission !


20. Le vendredi 28 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

J’ai moi aussi trouvé que sa prononciation française était proche de la perfection, j’ai juste noté quelques « i » pas assez marqués à mon goût

Je vois très bien ce que vous voulez dire, ses "i" sont plus ronds, moins acides - c'est un reste de "i" slave, arrondi comme le "u". Et précisément vous aimez chez Nathalie ces "i" saturés en harmoniques, un peu acides, en tout cas pas doux comme ceux-ci... Les "i" de Magda sont en effet plus homogènes par rapport aux autres voyelles, c'est tout à fait exact. (je les trouve magnifiques, vous vous en doutez)


et parfois, ici ou là, une phrase peu intelligible. Je ne suis pas arrivée à savoir si c’est à cause de sa prononciation ou de la musique qui rend naturellement difficile la compréhension.

Ce peut arriver, elle est tout de même morave...


Pour revenir à M. Kozena, je la préfère dans de la musique baroque parce que je trouve que son timbre peut y être plus personnel qu’ici, mais c’est vraiment une affaire de goût.

Je pense l'inverse personnellement, dans certaines (je dis bien certaines) pièces, justement, il y a un côté un peu propre du timbre, du style. En tout cas, moins original qu'ici. [Mais elle est souveraine aussi dans ce répertoire, il faut que j'ajoute son Scherza infida dans l'entrée adéquate.]

Je regrette beaucoup qu'elle n'ait pas été distribuée dans des rôles de premier plan de tragédie lyrique, mais tant qu'on a Blandine et Guillemette, on ne se plaindra pas !
Je ne sais pas si elle aurait toujours l'intensité et la clarté requises, mais pour les jeunes premières, elle ferait tout aussi bien qu'Anna-Maria Panzarella, je crois. (compliment [i]inside
)
Enfin, il faudrait déjà qu'on en donne à Véronique Gens, de ces rôles, alors...


Là où je l’ai un peu moins appréciée, c’est dans son jeu d’actrice. Je reconnais que ce personnage de Mélisande, si différent des autres, doit faire percevoir ses particularités par son comportement. Et M. Kozena est bien arrivée à signifier cette différence, mais je n’ai pas trop aimé sa façon de le faire. Je n’arrive pas à prendre au sérieux ces airs hallucinés, les yeux presque exorbités comme dans le cinéma muet (qui là avaient leur raison d’être), ces regards dans le vague, ces pauses molles, légèrement langoureuses, rêveuses et éthérées. Pourtant le jeu de M. Kozena est restée sobre, elle a toujours été à la limite, plus c’eut été maniéré et ridicule, et elle a su alterner ces courts moments où Mélisande est « en dehors » avec d’autres où elle semble plus proche de la réalité de ses interlocuteurs. Finalement, ce n’était « pas mal » (et soyez-en certain, elle n'a été ni "bêcheuse", ni "Carmen"), dans la lignée du jeu expressionniste « traditionnel » pour une œuvre du début du XXe siècle, mais tempéré par la sobriété d’aujourd’hui (enfin quand on a du goût), malgré que cela soit peut être encore un peu caricatural ou convenu dans les moyens expressifs.

J'ai eu des échos très contrastés sur cet aspect (du réussi à l'insupportable), et je suis bien content d'avoir votre avis. Je suis en revanche incapable de rebondir, n'ayant vu la production.

Le reste du rebond suit. :-)

21. Le dimanche 30 septembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Je m’étonne que vous ne disiez pas un mot de la Geneviève de Marie-Nicole Lemieux.

Le rôle suscite le plus souvent peu de commentaires ; difficile à rater, mais rarement magnétique. Je vois les exceptions notables de l’éloquence profonde de Nadine Denize, ou du rayonnement vocal d’Yvonne Minton, mais guère plus.

Peut-être qu’après avoir lu ce que je vais en dire, vous penserez que j’aurais dû faire de même ;-) ! De toute façon, j’ai peu à dire sur cette « contralto ». Entre « … » parce que vraiment je ne comprends pas pourquoi on la « classe » dans cette catégorie, mais enfin passons là-dessus.

Comme j’ai pu le dire, la catégorie de contralto est tellement rare qu’elle peut être considérée comme plus ou moins fictive. (Nat’ gagne des points, je le concède, dans cette Atenaide qu’on m’a généreusement prêtée.)
Marie-Nicole Lemieux ne l’est pas plus que d’autres, mais certainement pas moins non plus. Il s’agit d’un très beau mezzo avec un beau tempérament, doté d’un très bon médium grave. Ca fait amplement l’affaire pour l’immense majorité des rôles de contralto, même si les amateurs les plus raffinés de seria trouveront à bon droit que ce n’est pas la voix exate de ces rôles.


Je la connais encore assez peu mais ce que j’ai écouté (quelques mélodies, un petit rôle dans Lucia, et cette Geneviève) ne m’a pas impressionnée : je n’entends rien de très personnel dans sa voix et comme vous connaissez mes goûts en matière de contralto, vous comprenez sans doute ce que je veux dire !

Son disque de mélodies est, je dois le dire, un échec assez cuisant. Voix ronde jusqu’à l’opacité, diction inexistante, et aucune conception, originale ou pas, ne filtre. En revanche, dans le seria et préparée par Spinosi, les résultats sont détonnants.


En écoutant M.-N. Lemieux, je m’étonne qu’elle semble avoir le vent en poupe, mais c’est le mieux pour elle ;-).

C’est plus pour le versant « baroque » de sa carrière, je vous rassure.

Vous n’avez pas vu son apparence de François-Joseph âgé ; je me suis demandée sans succès si c’était fait exprès et si oui, quel rapport il pouvait y avoir avec le royaume d’Arkel et celui divisé et finissant du vieil empereur…

Peut-être que Martinoty a remarqué, lui aussi, que les prophéties d’Arkel qui sonnent si creux ne se réalisent jamais… Une sorte de majesté vide. Ce n’est pas forcément absurde.
Ensuite, placer une référence aussi précise dans Allemonde, ce serait visuellement difficile pour moi ; aussi bien j’endure sans déplaisir le Ring de Stuttgart, aussi bien dans Pelléas, je me sentirais sans doute un peu gêné, même pour une vétille de ce genre.


J’ai bien apprécié J.-F. Lapointe en Pelléas. Il donnait un peu de dynamisme et de fougue sans paraître naïf, son jeu comme son chant m’ont semblé simples (c’est un compliment) et naturels.

Sans apprêts est le mot. (pour le meilleur et pour le pire) Une conception originale bienvenue, même si je préfère des Pelléas plus « hors du monde », pour des raisons de réception personnelle de la pièce.


J’avais déjà vu et entendu une fois Laurent Naouri (dans Platée). J’ai trouvé que son Golaud du début était assez « léger », presque insouciant (je m’attendais à plus d’inquiétude dans la première scène), mais cela dédramatisait agréablement la rencontre avec Mélisande. Côté chant, je ne le connais pas assez pour en dire quelque chose.

Le naturel de la déclamation, tout de même, de pair avec le respect, pourtant, du texte musical. Vraiment une liberté déconcertante. Et un Golaud extrêmement « proche » en effet.


Costumes et décors, sobres et sombres pour ce que j’en ai vu, m’ont semblé bien aller avec l’opéra, juste ce qu’il fallait pour l’évocation et laisser l’imagination libre. Mise en scène discrète et de bon goût.



Encore une fois, c’est bien dommage que le samedi soir Morphée me kidnappe sans ma permission !

Je viens de bannir son IP, il ne vous importunera plus. <|8o|]

22. Le lundi 8 octobre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Bonjour David !
Je suis contente de retrouver votre gazette ;-) ! Merci pour votre commentaire ci-dessus, c'est toujours très enrichissant pour moi d'avoir votre avis.
Je m'occupe en ce moment d'Atenaïde, je vous déposerai sous peu mon commentaire car je n'ai plus beaucoup de temps pour le terminer : mercredi je vais écouter une version concert de Motezuma au TCE (abréviation parisienne ;-) ) avec M. Mijanovic. J'espère que l'inspiration me permettra de vous en toucher un mot (de remerciement parce que c'est à vous que je dois d'avoir découvert ce magnifique opéra :-) ) !
A très bientôt, Sylvie.

23. Le lundi 8 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonjour Sylvie !

J'attends tout cela avec impatience ! Je tâcherai, en écho, de remettre le commentaire sur le Motezuma sur le métier, mais cela risque prendre quelque temps.

Bonnes réjouissances parisiennes ! ;)

24. Le mercredi 10 octobre 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Chose promise, chose *** (en minuscules) ;-) !

C’est avec beaucoup de curiosité que je viens enfin de découvrir ce « nouvel » opéra de Vivaldi : Atenaide. Je tiens à dire haut et fort que mon attente n’a pas été déçue, et que tant du point de vue musical que du point de vue de l’interprétation, cet enregistrement est magnifique.

Je distingue particulièrement Romina Basso qui m’avait déjà attiré l’oreille dans Motezuma. Sa voix de « mezzo-grave » franche et chaleureuse est capable de beaux accents originaux, la ligne à la fois ferme et élégante de son chant est très impressionnante. Je n’insiste pas mais sa voix me plait énormément.
Je me doute bien que les sopranos Sandrine Piau et Vivica Genaux ont de nombreux admirateurs, mais hélas pour moi elles ont des timbres dont je n’entends pas bien les particularités, je peux juste souligner les aigus très pures de Sandrine Piau. Décidément je n’ai toujours pas d’affinités avec cette tessiture que je trouve peu expressive, et j’ai été très étonné que certains de leurs airs me fassent penser par moments à ceux de Rossini… Voici une filiation dont je ne me serais pas doutée !
J’ai aussi retrouvé Stephano Ferrari entendu dans le Tempo de « Il trionfo » de Haendel à Pleyel début avril 2007. Il est ici plus à l’aise que lors de ce concert, il est bien expressif dans les récitatifs, mais parfois pas très juste dans les airs bien que je reconnaisse que son rôle est particulièrement virtuose.
Paul Agnew (dont je garde un grand souvenir en Platée) est toujours très reconnaissable grâce à son vibrato qui commence agréablement mais devient tremblant dès qu’il se termine par un fortissimo même léger.
Il me semble que Guillemette Laurens est ici moins émouvante que dans la Vérità, mais je suppose que cela est dû à la musique. Elle chante un air qui commence par des violons qui font tout doucement « tacatacatacata » pour finir en tempête, superbe Vivaldi (Acte II, air de Pulcheria : « Sorge l’irato nembo ») !
A propos de violons, l’orchestre Modo Antiquo dirigé par Federico Maria Sardelli est admirable. Les musiciens et leur chef ont trouvé l’équilibre parfait entre vivacité, légèreté et grandeur sans recourir à la moindre agressivité. Je pense ici évidemment à la direction de J.-C. Spinosi dont la Verità est exceptionnellement déchaînée. Avec cette Atenaide, on a une vision plus beaucoup douce sans être fade, qui a un caractère et un souffle propres sans se démarquer avec une brusquerie voyante, même si cela est agréable quand c’est bien fait. C’est du très grand art, et je tiens vraiment à souligner la magnifique sonorité des violons, à la fois « classique » mais avec quelque chose en plus que je n’arrive pas à définir, quelque chose d’extrêmement réjouissant et enthousiasmant !
La seule petite remarque un peu « critique » que j’ose faire ici est à propos des tempi choisis pour les airs. Beaucoup d’entre eux (presque tous en fait) sont des airs de colère et leur succession me paraît de ce fait un peu « monotone ». Il n’y a guère dans Atenaide une alternance d’airs furieux ou guerriers avec des airs tendres ou désespérés, comme dans la Verità ou Motezuma, par exemple. Alors, peut-être que pour de simples mélomanes comme moi, une variation plus nette des tempi aurait permis de mieux soutenir l’intérêt auditif, d’autant plus que ces rythmes tous très rapides rapprochent parfois les chanteurs de leurs limites…

Les fidèles lecteurs de CSS ont compris que j’ai bien sûr gardé pour la fin mon commentaire détaillé sur Nathalie Stutzmann ! Elle chante ici le rôle de Marziano (un général byzantin) qui est à mon avis celui qui offre le plus de possibilités d’expression puisque sur quatre airs, les deux premiers sont rapides et les deux autres si magnifiquement lents qu’ils contiennent les douleurs du monde et consolent en même temps de ses peines.

La contralto est ici logiquement plus retenue qu’avec J.-C. Spinosi dans « La Verità in cimento », et ce que son chant perd en fougue, il le gagne en pureté. Un sentiment de noblesse absolue se dégage de sa voix calme et posée, son chant audacieux et imperturbable instaure une rassurante tranquillité proche de la sérénité. Elle est toujours aussi généreuse en accentuations, ses notes étirées s’envolent souvent avec une rêverie toute nouvelle, ses pianissimi sont d’une beauté bouleversante, sa ligne musicale extrêmement souple lui permet de souligner et même d’inventer de magnifiques écarts de notes. Ces changements de registres se font si naturellement que j’en suis émerveillée !

Les deux airs de Marziano à l’acte I sont difficiles à cause de leurs longues et rapides vocalises et paradoxalement moins spectaculaires que ses deux airs suivants. Cela laisse moins de possibilités à la chanteuse pour s’exprimer, elle y est cependant prodigieuse de vitalité.
L’aria « Al valore che prode ti preggi » est brillant et chatoyant, les violons ont de petits traits « glissés » très enthousiasmants et N. Stutzmann descend sur les « a » en fin de vers sur ses graves si profonds, mais ses aigus forte rendent son timbre moins attirant.
Dans le second aria « Di novi allori adorno », le ton est digne, le chant fluide tout en restant fier et martial (Marziano va se battre). J’admire la virtuosité de l’invention et la virtuosité tout court qui entrainent les syllabes de « E a pié del soglio avvinta » d’un extrême à l’autre (ou presque) de la gamme. Stupéfiant !

Parmi les récitatifs de Marziano, je distingue cette réplique à la fin de la scène 3 du premier acte : « Ti basti / Che sia reo il mio silenzio » (Mon silence coupable hélas t’en dit assez). Le « e » de « reo » s’allonge et ralentit déjà le tempo. Puis vient « Lascia penar con innocenza il core, / E interpreta per zel anche l’amore » (Laisse mon cœur innocemment souffrir, Et vois dans mon amour un effet de mon zèle). Ces deux vers sont chantés presque a capela, le tempo est encore plus retenu, un saisissant effet de pureté et de solitude se dégage de la prière de Marziano à sa bien-aimée.

A l’acte II, accompagné de deux flûtes, le magnifique aria « Bel piacer di fido core » offre à l’inspiration créatrice de Nathalie Stutzmann les nombreuses reprises de « Per te peno per te moro » (Pour toi je souffre, pour toi je meurs) : le « e » de « peno » est étiré de tant de façons différentes ! La note la plus délicieuse est sur « o » de ce « peno ». Il s’envole comme jamais la chanteuse ne l’a fait auparavant puis il disparait dans un enchantement inconnu ! L’espace d’un instant, le temps s’est arrêté.

Dans l’aria « Cor mio che prigion sei » de l’acte III, le chant de la musicienne souligné par le basson est si léger ! Presque à mi-voix, il s’appuie sur les pizzicati des violons et nous berce doucement. La chanteuse vocalise délicatement sur les voyelles, intensifie brièvement certains traits, rebondit souplement sur d’autres, puis s’évade vers des hauteurs inconnues. Mais déjà son chant retient l’envolée et vient se reposer gravement. Une élégance majestueuse termine cette tendre berceuse d’un cœur prisonnier, le dernier pianissimo s’évanouit comme un rêve.

Inutile que je précise la joie et l’excitation toujours aussi fortes que m’apporte un nouvel enregistrement de Nathalie Stutzmann, n’est-ce pas ? Je suis fascinée par sa capacité à renouveler la virtuosité musicale de son interprétation tout en restant dans la continuité de son « style ». Bravo.


25. Le mercredi 10 octobre 2007 à , par Morloch

Dans l'ensemble, je suis du même avis et en particulier sur la direction de Sardelli.

Vivica Genaux est mezzo, et même à la limite du contralto, elle chante le rôle de Polinesso dans l'Ariodante de Haendel. Son timbre n'est pas très séduisant mais je trouve qu'elle donne une personnalité propre aux rôles qu'elle aborde, et quel charisme !

Je tenais à réparer une horrible injustice :)

26. Le mercredi 10 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Merci Sylvie ! Je "m'occupe de vous" dès que j'ai un moment un peu plus vaste.

*

Sinon, Morloch, Vivica Genaux est une mezzo pur sucre, même si elle tient des rôles de contralto avec un brio extraordinaire. Son Rinaldo est une grande leçon, elle m'a même fait oublier Watkinson, et pourtant, c'était très loin d'être gagné...

Je trouve son timbre absolument enchanteur, pour ma part, même si dans le genre, j'ai un faible pour le mordant un peu nasal de Della Jones et surtout Maria José Trullu. :)

Merci pour ces abondants commentaires !

27. Le vendredi 12 octobre 2007 à , par Morloch

Oui, c'est dans le Rinaldo avec René Jacobs. Là aussi elle est extraordinaire, comme toujours. Ah ! Vivica...

28. Le vendredi 12 octobre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Je ris tout seul d'imaginer ce que ce fil suggèrerait comme réaction chez un despote (sanguinaire) de notre connaissance.

(Inutile de faire des hypothèses, j'ai moi aussi trouvé la réponse.)

29. Le mercredi 26 décembre 2007 à , par Lou :: site

Je me glisse dans votre conversation, ayant manqué cette production de Pelléas et Mélisande, et sa diffusion audio comme vidéo (Arte), je me demandais si vous en aviez une trace qu'il vous serait possible de m'en faire une copie (CD ou DVD)... en cette période de noël plus que jamais, il est permis de rêver... d'avance merci.

Lou T.

30. Le mercredi 26 décembre 2007 à , par Lou :: site

PS : "trace qu'il vous serait possible de m'en faire une copie ..." euh... pardon pour ce petit chinois !

31. Le mercredi 26 décembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonjour Lou,

Avant toute chose, veuillez m'excuser si je me montre désagréable, ce n'est pas mon intention - mais le sujet est sensible.

Je m'étonne un peu de votre requête, accompagnée de ce lien ; malheureuse, ignorez-vous donc en quel antre sinistre vous vous trouvez ? (Réplique tirée de la célèbre tragédie lyrique Don José.)

Tout d'abord, pour une raison bien concrète, je vais vous décevoir, la législation ne m'y autorise pas, je viens d'en faire état il y a deux jours. Le droit à la copie, en France, est strictement encadré, et se limite à l'usage privé (et au cercle familial restreint pour la diffusion). J'ai bien conscience que les pratiques sont très souvent autres, néanmoins si je fais de ce site une plaque tournante d'échange (ou même de don), je m'expose à des poursuites lourdes pour contrefaçon (et à bon droit).
Ce qui fait que malheureusement, malgré votre bon goût et mon désir de partager ces moments extraordinaires, je ne suis pas autorisé à le faire.

Secondement, je suis - comment dire - un peu saisi de cette demande avec ce lien, qui ne me rappelle pas que des souvenirs délicieux. Je suis un peu étonné que vos fonctions ne vous aient pas donné à connaître mes mésaventures, qui ont pourtant longuement occupé les affaires de ce site (jusqu'à l'éditorial...).

Pour les lecteurs de CSS qui n'en seraient pas informés, je précise simplement qu'il y a à présent deux ans, j'avais pris en charge dans des circonstances difficiles un groupe de mélomanes (grâce aux outils techniques préexistants de CSS, d'ailleurs). La direction du site que vous placez en lien craignant, je ne sais si c'est à tort ou à raison, une concurrence quelconque, m'avait envoyé des offres pour que je leur cède l'ensemble clefs en mains, ce que j'ai refusé bien entendu, on ne livre pas un groupe humain comme cela.
Ce refus m'a exposé à une série de peaux de bananes (désinformation volontaire, par exemple), qui a tout de même culminé avec les déclaration publiques postulant que j'étais rien de moins qu'antisémite, révisionniste, négationniste et nazi (dessins diffamatoires à l'appui, et dossier d'huissier faisant foi). Le tout appuyé exclusivement sur des propos inventés que ses auteurs seraient bien en peine de sourcer - on s'en rend vite compte si on lit CSS, de toute façon.
Régulièrement, on me signale que le forum qui est attaché à ce site ouvre des sujets à mon nom pour y répandre des "informations" comme quoi je vénèrerais Pétain, Brazillach, Himmler et autres joyeusetés.
Ca m'a valu au demeurant de me fâcher avec pas mal de monde (et de démissionner du groupe en question, en fin de compte), puisque j'ai fort peu goûté qu'on me reproche d'être suspect car pas assez virulemment indigné de ce qu'on me reprochait - je devais, me disait-on, m'indigner contre les potentiels nazis survivants, pas contre ceux qui m'accusaient d'en être.

Ayant mieux à faire, je n'ai pas entrepris de poursuites, contrairement à ce que m'a conseillé mon avocat, mais vous comprenez aisément, je crois, que la mention de ce site, ou les attitudes passives de ceux qui y participent (car je ne suis pas, loin s'en faut, le seul à avoir fait les frais de la perversité complaisante de ce gens...), suscite en moi un enthousiasme modéré, pour méprisable que ce soit.

Je sais bien que vous n'êtes pas mêlée activement à cette affaire ; mais je suis un peu gêné, précisément, par la vitrine (inégale mais parfois intéressante, et en tout cas, depuis le temps, bien référencée) que donne ce site à des agissements de ce type dont, encore une fois, je ne suis pas le plus gravement touché.
Car cette mésaventure m'est arrivée, précisément, parce que je me suis mêlé de défendre quelqu'un qui essuyait de leur part ce genre d'accusations infondées.


J'espère que vous me pardonnerez ces développements fastidieux, qui ne se veulent pas accusatoires, mais vous traduiront avec exactitude, j'espère, le malaise où je me trouve - partagé entre l'envie réelle de vous contenter, et les difficultés que je soulevais.

32. Le dimanche 30 décembre 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Silence radio.

On a beau essayer de rester aimable, ce n'est pas très efficace...

Pourtant, la requête venait directement d'un moteur de recherche, c'est-à-dire pas d'une lecture de CSS en connaissant son auteur. Et on a essayé de mettre les formes.

Soit les svastikas putatives sentent décidément trop fort, soit on est bien maladroit.


Sic transeut commercia Davidi.

33. Le samedi 5 janvier 2008 à , par Lou

Cher David, ne vous étonnez pas de mon silence, je découvre seulement aujourd'hui votre réponse !

Je comprends votre malaise, je le respecte, pas de souci.

Je n'ai qu'un vague souvenir des querelles qui vous ont opposé à FO, querelles auxquelles je n'ai pas participé, comme je me tiens à distance de toutes les querelles qui émergent régulièrement... Et j'ai affiché le site pour ne pas avoir l'impression d'avancer masquée, sans aucune provocation non plus...

Je partage votre intérêt pour Kozena, dont le dernier "Ah mio cor !"tourne en boucle chez moi depuis deux mois, j'ai manqué sa dernière Mélisande, google m'a conduite ici et naïvement je me demandais si..

Mais donc aucun souci si ce n'est pas possible, ni permis...

Lou

34. Le samedi 5 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonsoir Lou,

Je ne sais comment vous répondre. Je vais éviter de le faire point à point comme je l'avais initialement entrepris, je crains que mes mots, bien que choisis autant que je le puis, soient sentis comme autant de litotes assassines, ce que je ne souhaite pas. Je ne perçois que trop la rudesse de ce que j'ai pu écrire précédemment.

Passons sur tout ce qui concerne FO, auquel je n'ai pas été opposé par des querelles - qui s'est fort bien accommodé, sans réponse de ma part, de me quereller tout seul. C'est de l'histoire ancienne qui, bien que remise régulièrement au goût du jour par les services du site et du forum, ne m'intéresse plus guère.

Le problème, comme je vous le disais, est d'abord légal, je ne peux accorder ce genre de faveur à personne via mon site personnel, sans quoi je m'expose à des poursuites. Et sachant les charmants amis que j'ai, je ne serais pas étonné de bénéficier de dénonciations plus qu'un autre...

En revanche, il me semble qu'une parution en DVD est prévue, ce qui mettrait fin à votre tourment. C'est en tout cas ce qu'on supposait en haut lieu en juin et septembre.

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