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samedi 12 octobre 2013

Culture de l'excuse


Du fait que le monde tourne – c'est un fait établi dès avant Copernic, et jamais démenti depuis – autour de Paris, j'entends beaucoup parler d'Aida en ce moment.

Étrangement, même de la part de sincères admirateurs de Verdi, j'entends toujours le même argument revenir :

Aida ne se limite pas au grand Triomphe de l'acte II, à ses chœurs et à ses trompettes ; c'est en fait un drame intimiste, où la plupart des scènes se déroulent à un, deux ou trois.

Il se trouve que je ne suis pas d'accord. Pas parce que je ne suis pas d'accord, mais parce que ça n'a pas vraiment de sens – sauf pour rassurer les néophytes, qui en général aiment bien les trompettes du Triomphe de toute façon. On pourrait dire la même chose de plus ou moins 100% des opéras du XIXe siècle, qui se fondent sur une alternance entre grands ensembles ou chœurs qui plantent le décor et airs, duos et trios qui font évoluer l'intrigue amoureuse. Exactement comme dans Aida, à propos de laquelle il n'est vraiment pas nécessaire de convoquer l'ombre du Grand Opéra à la française. Certes, un égyptologue français y a collaboré ; certes, il y a un ballet ; et puis ? les autres invariants ?

Ensuite, il y a bel et bien une composante monumentale dans Aida ; pour la grande prière, par exemple, structurée exactement comme celle de la Force du Destin, on cherche clairement l'éclat et le volume sonore. Et, chose plus étonnante et raffinée, les couleurs harmoniques sont vraiment spécifiques à cet opéra, on ne les trouvera nulle part ailleurs chez Verdi ; on critique beaucoup le Triomphe, mais le ballet est pourtant d'un aspect assez unique dans l'histoire de l'opéra, je n'en ai jamais rencontré d'autres qui lui ressemblaient, même dans les œuvres françaises orientalisantes. Des danses très courtes et pittoresques, on ne peut mieux adaptées à leur sujet.
Et la scène du Triomphe est remarquablement réussie dans son ensemble, structurée comme toujours chez Verdi avec une économie dramatique extraordinaire : arrivée dans le lointain qui interrompt des affects individuels, pompe des chœurs, ballet, révélations sur les personnages et grand ensemble, reprise du chœur de départ auquel se joignent les voix tourmentées des solistes. C'est certes bruyant, et ne recherche nullement l'élégance – de façon tout à fait délibérée, il s'agit d'une épure antique fantasmée – il suffit de comparer au grand ballet des Saisons dans la brillante Sicile du Moyen-Âge (Les Vêpres Siciliennes), considérablement plus délicat.
Je conviens tout à fait que ce n'est pas le meilleur moment de la partition (loin s'en faut), mais il n'est pas plus déplacé que les scènes de foule de La Forza del Destino (considérablement moins travaillées) ou de Don Carlos (des bijoux à l'acte I, mais d'autres considérablement plus bruyantes comme à l'autodafé).

La réussite, dans Aida, tient précisément pour large part dans sa couleur locale très spécifique ; mêlée, en effet, de confidences aux atmosphères nocturnes magnifiques. Je ne vois pas l'intérêt d'opposer le bon et le mauvais côté de cette partition, alors que les deux fonctionnent de toute évidence ensemble, et que n'importe quel auditeur d'opéra romantique est complètement familier de ces alternances.

J'ai ainsi l'impression que par ces déclarations, on cherche à excuser son mauvais goût aux yeux du monde, au point de créer à partir de rien une conscience coupable – aimer un opéra à réputation pompière. Oui, c'est moins raffiné que d'aimer Janáček (et pour cause, car celui-ci est non seulement plus retors musicalement, mais aussi beaucoup moins bien bâti dramatiquement... il faut donc des qualités supplémentaires pour le supporter l'apprécier à sa juste valeur), et ça ne révèle pas les mêmes qualités d'écoute, ni même, peut-être, la même culture musicale. Mais à un moment, il faut choisir entre le plaisir d'écoute et l'image que celles-ci renvoient (à nous-mêmes ou à d'autres) de notre standing culturel.
Non pas qu'il soit illégitime de ne pas aimer l'acte II d'Aida, mais parmi la foule de verdiens confirmés qui étalent leur horreur de ce moment, j'ai peine à croire que vraiment aucun n'ait remarqué la similitude avec quantité d'autres numéros dans les œuvres les plus jouées du répertoire romantique (à ce compte-là, on n'aime pas les chœurs à boire du Faust de Gounod, les divertissements de La Traviata et de la Force du Destin, l'Appel des Vassaux du Crépuscule des Dieux). Ce n'est donc certainement pas un procès d'intention global que je fais, mais sur le nombre, je serais étonné que tous puissent à la fois mépriser le Triomphe et se réjouir des nombreux autres chœurs verdiens (pas toujours mieux écrits).

Aussi, dans le cadre d'une courageuse affirmative action, je tiens à le proclamer sans pudeur : j'aime Aida, telle qu'elle est, avec son Triomphe, et même ses trompettes et leur grossière modulation non préparée à la tierce mineure, un effet rigide parfaitement adapté à l'évocation archaïsante.


Week-end Poulenc


Pour les lecteurs qui se trouveraient dans les parages, la Maison de la Radio organise ce week-end une série de concerts de musique de chambre et de mélodies autour de Poulenc (et de ses contemporains Satie, Auric, Durey, Tailleferre, Milhaud, Wiéner, Stravinski...). Comme d'habitude à un prix ridicule – 5€ si l'on ne dispose d'aucune réduction.

Programme lisible ici (contrairement à ce que pourrait suggérer l'adresse du lien, ce n'est pas au Centquatre, mais bien au studio Sacha Guitry).

Pour ma part, j'ai (sans surprise) choisi le concert Poulenc-Durey-Honegger-Tailleferre-Milhaud-Auric du (merveilleux) spécialiste Lionel Peintre, ce dimanche à 18h.

Merci à Xavier pour le bon tuyau ; à ce degré de bonplanitude, on s'approche du pipeline.


David Le Marrec

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