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Michelangelo FALVETTI, Le Déluge universel : l'esthétique intermédiaire du baroque italien


A l'occasion de la réécoute, cette fois en salle, du fascinant oratorio exhumé en septembre 2010 par la Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón, l'envie d'évoquer cette étape du style italien encore très parcellairement documentée par le disque.


Vidéodiffusion de la RTBF, mise en ligne par Fernando Guimarães - l'interprète de Noé.


1. Style général

L'oeuvre est écrite en 1682 pour Messine, bien postérieurement à la naissance du genre opéra, et sensiblement avant que la fascination pour la voix humaine ne fasse totalement changer de face l'histoire du genre.

Si l'on doit rapidement situer :

Dans la première moitié du XVIIe siècle,

différents styles coexistent, mais quel que soit leur degré de lyrisme et d'ornementation, ils se caractérisent tous par le souci de renforcer la déclamation. Bien que les livrets soient déjà moins profonds, plus divertissants que les pièces parlées « sérieuses », la musique a avant tout pour tâche d'en seconder le sens et d'en souligner les effets. Cela s'entend tout particulièrement chez Peri, dans les Monteverdi baroques (Le Retour d'Ulysse et Le Couronnement de Poppée), et bien sûr chez Cavalli.
Les "airs" proprement dits sont ponctuels, destinés à laisser s'épancher un sentiment précis.

Au XVIIIe siècle au contraire,

l'intérêt du public pour la voix (ainsi que le développement technique des chanteurs, vraisemblablement) a conduit les compositeurs à écrire des oeuvres toujours plus virtuoses, où les ornements engloutissent tout entier un texte de plus en plus prétexte. Il suffit de comparer, dans cet âge de l'opéra belcantiste baroque (celui que nous nommons usuellement opera seria), l'ambition de panache et de couleur locale des titres (antiques mythologiques, antiques historiques, médiévaux...), et leurs trames, toutes semblables, et plus encore leur vocabulaire, complètement identique. Les même situations de quiproquos amoureux soi-disant tragiques (mais avec lieto fine obligé), les mêmes métaphores des yeux-lumières et de l'âme-tourmentée-bateau-dans-la-tempête se trouvent partout, et sans variation véritable.

Ces oeuvres se structurent par ailleurs, contrairement à la déclamation libre du siècle précédent, dans un carcan très serré : alternance entre récitatifs (« secs », c'est-à-dire accompagnés par la seule basse continue) et airs (exceptionnellement des duos, des choeurs ou des ensembles). Les récitatifs restent presque toujours sans grand intérêt musical, même chez les grands compositeurs souverainement dotés, et servent à faire progresser l'action. Tout l'intérêt de ce théâtre se situe dans les airs, qui expriment des sentiments stéréotypés, mais avec une grande agilité et quelquefois un effort de couleur (harmonique) pour dépeindre les affetti.

La seconde moitié du XVIIe siècle

est en réalité très peu documentée par le disque - et les partitions ne sont pas rééditées, ni toujours trouvables, même à travers le monde ! Le Festival de Schwetzingen a monté, en 2007, une production d'Il Giustino de Giovanni Legrenzi qui était un des rares actes de réapparition au grand jour de cette période de la musique italienne (dans d'excellentes conditions musicales : Hengelbrock, Balthasar-Neumann-Ensemble, Kulman, Nigl, Wey, Galou...). Radiodiffusée à travers l'Europe, cette recréation n'a en revanche jamais été publiée en disque. Je ne puis pas garantir que ce soit absolument le point de départ, mais ce le fut en tout cas pour l'opéra.

On pouvait y entendre un langage étonnant, où les finesses harmoniques du premier baroque se mêlaient à une écriture plus vaillante et virtuose (en particulier du côté des voix), sans renoncer à l'importance de la déclamation. Depuis, un nombre important de publications Legrenzi ont suivi (oratorios, musique cultuelle, musique de chambre...).

Michelangelo Falvetti appartient à cette période, et Il Diluvio universale représente également une révélation importante.


Dessin d'Henri Gissey à l'encre brune et à l'aquarelle (1670), vraisemblablement le dessin préparatoire pour une embarcation sur le Grand Canal de Versailles.


2. Il Diluvio universale - Structures

Le genre de l'oratorio (surtout dramatique) est en lui-même une forme un plus récente par rapport à l'opéra et bien sûr à la musique liturgique - il en existe néanmoins dès le début du XVIIe siècle, même si son apparition est postérieure à celle de l'opéra (dont elle suit pour partie les modèles). L'oratorio a un sujet sacré, mais au contraire de la musique liturgique, il est le plus souvent d'essence dramatique (parfois "romancé"), et destiné à être joué (certes à fin d'édification) en dehors du culte. Une sorte de célébration profane, dont il n'est pas toujours aisé de démêler la part de mondanité hédoniste de l'enthousiasme mystique.

La constitution du Déluge de Falvetti est particulièrement remarquable (et simple) ; chaque "entrée" comprend ainsi :

  • des dialogues (accompagnés par tout l'orchestre, pas de recitativi secchi), destinés à faire avancer les idées, et souvent dotés d'un caractère un peu dialectique ;
  • un air (orné, mais dans un style plus proche du premier XVIIe que que premier XVIIIe), la plupart du temps sur un motif cyclique et obstiné à la basse continue ;
  • un choeur final (en réalité un ensemble prévu pour cinq chanteurs, davantage de type madrigal) ; ces "choeurs" constituent à chaque fois un sommet musical à la fois très varié d'une section à l'autre, et très impressionnant en termes de qualité et d'audace.


Le livret lui-même, dû à Vincenzo Giattini, est vraiment étonnant : les Eléments y devisent sur le sort de l'humanité, Noé y dispute avec Dieu (et y incarne davantage la voix de la tempérance et de la raison que son Interlocuteur !), la Mort y danse la tarentelle, un choeur entier périt sous les eaux et la Nature Humaine sombre dans l'abîme !

3. Grands moments

Leonardo García Alarcón a l'honnêteté (rare pour ce genre de découverte) de rendre précisément hommage à l'auteur de la découverte (Vincenzo Di Betta, choriste ténor dans l'ensemble vocal Antonio il Verso, lors d'une répétition à Palerme, en 2002), et raconte comment il a été avant tout intrigué par l'air de victoire de la Mort, écrit très joyeusement en majeur sur un rythme endiablé de tarentelle.
Ce n'est néanmoins pas le moment le plus nourrissant musicalement, et même pas le plus bel air de la partition, mais il est vrai que dans la logique du livret, voir la Mort descendre se vanter plaisamment de l'extinction de l'humanité, et voler la vedette au message moral du Déluge (pour ne pas dire à Dieu lui-même !) a quelque chose de puissamment incongru - presque dérangeant. Le genre de fantaisie que n'autorisent pas, en principe, les grands sujets édifiants des oratorios.

En réalité, si l'on passe sur de superbes trouvailles (touchant et long duo entre Noé et sa femme, brillant colloque des Eléments, grandiose leçon de la Justice Divine en guise de Prologue...), les moments les plus intenses se trouvent systématiquement au moment des ensembles à la fin de chaque séquence :

  • l'ensemble de la Justice Divine et des Eléments, dans une veine assez figurative et très spectaculaire, au terme d'une scène qui utilise le style concitato (la colère monteverdienne, celle de Tancrède et Clorinde) à cinq voix ;
  • le duo extatique (en réalité fondé sur une imploration) des époux Noé ;
  • le choeur (divisé) du Déluge proprement dit ;
  • le choeur d'agonie des Hommes, extrêmement saisissant, qui se termine sur une phrase inachevée (là aussi, un procédé très inhabituel avant les romantiques !), ingoio la Mor... (« j'avale la Mo... ») ;
  • le choeur de déploration sur le Monde et la Nature engloutis (un madrigal à cinq voix magnifique) ;
  • le choeur de jubilation de la fin de la montée des eaux ;
  • le choeur en beaux tuilages de l'arc-en-ciel ;
  • le choeur d'action de grâce final, une sorte de Schlußchor avec l'exaltation du Messie de Haendel (Worthy the Lamb...), mais un langage qui évoque largement L'Orfeo de Monteverdi.


Ces différents épisodes, tous à la fois originaux et remarquablement aboutis musicalement, font tout le prix de cette oeuvre, qui serait sans cela avant tout une plaisante bizarrerie. Mais la quantité d'excellente musique y est en fin de compte assez considérable.

L'oeuvre a en outre le mérite de la brièveté, élaborée en une seule grande partie et des sections très resserrées, ce qui procure une impression de densité assez délectable - sans l'impression de redondance librettistique ou musicale qui advient très régulièrement dans les opéras du baroque italien, quelle qu'en soit l'époque. [1]

4. La part du XXIe siècle

Si l'on veut être tout à fait lucide, Giattini et Falvetti ne sont pas les seuls à féliciter.

L'orchestration n'étant selon toute vraisemblance pas indiquée sur la partition originale, il faut en créditer le chef (ou son équipe). Elle n'a rien d'exceptionnel : outre les cordes frottées, on y trouve les cornets à bouquin (instruments en perte de vitesse à cette date - choix un peu archaïsant vu l'audace de la partition !) et les sacqueboutes (là aussi, on pourrait discuter leur grande intégration à l'orchestre) ; et au continuo, deux théorbes (je n'ai pas pu vérifier l'accord, plus aigus, aigrelets et mélodiques, n'étaient-il pas plutôt des archiluths ?) [2], une harpe (là aussi, choix un peu Renaissance), deux violes de gambe, un violoncelle, une contrebasse et un positif.

L'organisation des chanteurs aussi était un choix du chef, avec des effets de groupe très réussis : au sein d'un même "numéro", pour éviter le sentiment de redite, les choeurs venaient renforcer certains solistes, puis se retiraient, ce qui procurait un certain relief (y compris dramatique) à des pièces qui auraient pu être plus statiques.
A l'origine, il s'agissait même d'un dialogue (genre caractéristique de la musique sacrée, en particulier italienne, très en vogue au XVIIe siècle) pour cinq voix - donc vraisemblablement sans choeur.

Mais surtout, les parties récrites, en particulier au continuo (Thomas Dunford et Francisco Juan Gato s'en sont donné à coeur joie !), étaient extrêmement importantes. Non pas des improvisations, mais un travail de co-compositeur avec Falvetti, à quelques siècles de distance. Quantité de mélodies non écrites, de contrechants, de figures d'accompagnement s'ajoutaient ainsi. Souvent avec bonheur, comme cette lente esquisse de l'apparition de la pluie (absolument pas évoquée dans la musique réellement écrite qui suit), ou comme ces émergences du silence ; parfois de façon un peu excessive, comme ces ritournelles qui évoquent davantage Santiago de Murcia ou Gaspar Sanz que l'Italie du second XVIIe, et certainement pas l'atmosphère d'un oratorio, même un peu loufoque !
La quantité de musique écrite pour l'occasion est en réalité assez considérable : en dehors des choeurs, où toutes les parties vocales doivent être écrites, il y a beaucoup des continuistes et du chef dans la partition jouée !


Dessin à la plume, à l'encre brune, à la pierre noire et au lavis gris (traces de sanguine), attribué à Pierre Lepautre et représentant un lit en forme de nef. Réalisé entre 1680 et 1705, d'après Jean Berain.


5. Authenticité ?

J'ai déjà eu l'occasion de dire, à de multiples reprises, ma défiance vis-à-vis de ce concept (voir par exemple : 1,2,3), mais on se pose quand même légitimement la question : avec tous ces ajouts, entend-on réellement l'oeuvre, ou une distorsion infidèle d'icelle ?

Lire la suite.

Notes

[1] Cette affirmation gratuite demanderait à être explicitée avec des faits plus précis, mais vu la quantité de remises en contexte déjà nécessaires pour cette notule, on y reviendra plus tard si l'occasion s'en présente - ou bien dans les commentaires, si des contestations se font jour. Ceci simplement pour signaler que cela procède certes d'une évaluation personnelle de ce qui est long ou non, mais se fonde tout de même sur quelques caractéristiques qu'il est possible de nommer.

[2] Après vérification sur le programme, il est question de "luths", ce qui corroborerait cette impression. Mais ce sont essentiellement les notes de l'accord et son organisation rentrante ou non qui font la différence, difficile à dire sans l'avoir vérifié soi-même...

En réalité, beaucoup d'éléments sont agencés dans le but de séduire le public ou, plus noblement peut-être, de renforcer l'intérêt de la pièce. Ainsi les spatialisations des solistes et des choeurs, les parties de continuo souvent un peu trop mélodiques eu égard à ce qu'on peut supposer de la tradition, l'orchestration très chatoyantes, les divers effets (par exemple les glissandi descendants des humains mourants dans le choeur interrompu), et bien sûr l'ajout de percussions iraniennes.

Le cas de l'ajout des percussions est particulièrement emblématique de la position d'Alarcón sur cette partition : ces instruments ne sont bien sûr pas du tout prévus par Falvetti, les rythmes utilisés ne figurent pas du tout dans les lignes de basse beaucoup plus plus dépouillées et "carrées". Néanmoins, cela procure du relief rythmique à la partition, de nouvelles couleurs (discrètes, vu le petit volume sonore), et permet une jolie évocation des lieux où le Déluge est supposé avoir eu lieu (plutôt la Mer Noire, en fait), et où l'on a trouvé les plus anciens récits (d'origine sumérienne) d'un ensevelissement aquatique du monde, dont seul Ziusudra, averti par les dieux, a pu réchapper.
Bref, il s'agit d'une fantaisie sans fondement musicologique, mais séduisante pour le public, et surtout musicalement opérante. Il faut dire que tout cela est réalisé, dans le détail, avec énormément de talent et de métier.

On pourrait classer Leonardo García Alarcón, pour cette oeuvre comme pour les autres enregistrements qu'il a commis depuis, dans le registre transversal de Christina Pluhar : une maîtrise incontestable de la grammaire stylistique baroque, le goût pour l'exploration, mais une liberté totale dans la réalisation et les arrangements... ainsi qu'un grand sens de la communication.

Cela se percevait non seulement dans la musique et la scénographie, mais aussi dans l'organisation des bis : cinq bis (pour combler un temps de concert court), sans ordre logique qui aurait rendu les quatre répétitions de ce qui avait précédé prévisibles, qui mettaient en valeur la partition (je n'ai pas de goût particulier pour les bis d'ordinaire, mais réentendre les plus belles pages d'une oeuvre aussi rare et forte était un pur bonheur) et ravissait le public (en particulier la danse comique de la Mort, moins marquante musicalement). Et sans scrupules, au milieu, on nous proposa la fugue finale de Falstaff (oui, celui de Verdi). Cinq bis, et cinq petits événements, au besoins présentés habilement par le chef tandis que la musique recommençait - on sentait le talent de communication.

Je n'ai pas d'avis moral particulier sur l'infidélité ou le cross-over, mais en l'occurrence, pour la résurrection d'une partition d'une telle qualité, et aussi avisément mise en valeur, je ne compte pas cacher mon ravissement.

6. Interprètes

Vu le temps passé sur (n'ayons pas peur des mots) l'essentiel, quelques mots seulement. On pouvait retrouver nombre d'interprètes familiers, même dans la Cappella Mediterranea - dont je m'interroge sur la permanence, vu le nombre de musiciens appartenant à d'autres ensembles déjà très sollicités (et rien de moins que Margaux Blanchard ou Thomas Dunford, deux princes de leur génération...).

Le Choeur de chambre de Namur était présent à travers une disposition en 8/8 (femmes/hommes), avec notamment Caroline Weynants et Thibaut Lenaerts, illustres titulaires, également solistes ce soir-là - comme souvent. L'ensemble était très bon, mais sans la qualité de fondu et de rondeur qui les caractérise dans le répertoire français, et qui a mainte fois été salué sur CSS (Phaëton de Lully, Céphale et Procris de Grétry Thésée de Gossec...).

Le continuo était particulièrement sollicité, et Thomas Dunford et Francisco Juan Gato ont prodigué une variété et une inventivité assez débridées sur leurs archiluths, les jouant battuto, comme sur une guitare baroque, en accompagnement comme un théorbe, mélodiquement comme un luth, façonnant de véritables intermèdes et pièces parallèles...
Dans une catégorie un peu intermédiaire, Keyvan Chemirani usait des percussions iraniennes (zarb, oud, daf et tambourin) avec beaucoup de goût, innervant finement l'orchestre de ses propres figures rythmiques.

Côté chant, peu de grands noms - les plus familiers du public français étant les membres du Choeur de chambre de Namur, souvent sollicités comme solistes pour des seconds rôles dans les productions de baroque français. En tout étant de cause, tous manifestaient un très bon niveau, avec des voix modérément sonores, à trois exceptions près.

Fabián Schofrin tout d'abord : débutant (brièvement) dans un registre de baryton, où il semble sonner très naturellement, il interprète la Mort dans un registre de contre-ténor alto, mais assez fragile techniquement. La voix n'est pas réellement projetée, il s'agit d'un simple fausset amolli, audible dans une petite salle, mais déjà fluette et peu sûre, comme ballottée au fil de la ligne vocale, jamais envoyée dans les "vrais" résonateurs (faciaux). Cela dit, tout cela paraît finalement véniel au regard de la vis comica parfaitement assumée, qui emporte l'adhésion de tous.

Mariana Flores (Rad) est de loin la voix la plus sonore du plateau, avec un volume important malgré l'émission méticuleusement droite. Beaucoup d'aplomb, aussi bien scénique que vocal - ce n'est pas la plus gracieuse du plateau, mais clairement l'une des plus impressionnantes techniquement.

Enfin Evelyn Ramírez Muñoz (la Justice divine), contralto éclatant, mordant, triomphant, dont le son est à la fois d'une franchise et d'une profondeur admirables. Tellement loin de ce qui se fait d'ordinaire dans cette tessiture (engorgement, "tubage", propreté terne). On peut lui prédire une très, très belle carrière dans le seria du XVIIIe, du niveau de Prina, Hallenberg ou Basso - et dans des tessitures plus basses que toutes celles-là !

7. En salle

Cette découverte du Festival d'Ambronay 2010 se jouait désormais à l'Opéra-Comique, ce mercredi 3 avril.

Contrairement à mes craintes (version de concert d'un compositeur peu ou prou inconnu, et dont la remise à l'honneur a quitté l'actualité récente...), l'Opéra-Comique était très respectablement rempli - et le public de plus en plus chaleureux. Le programme Esprit Musique de la Caisse d'Epargne, qui a offert un grand nombre de billets (très joli choix, original, accessible... et occupant beaucoup de places qui n'auraient jamais été réservées !) a sans doute une part de responsabilité là-dedans, à en juger par la queue gigantesque à son "guichet" dans le vestibule...

Seul étonnement désagréable : l'absence de surtitrages, dans une grande salle parisienne, en 2013, pour un ouvrage en langue étrangère. Je ne crois pas être un consommateur occasionnel de musique, et je n'avais jamais vu cela ! (sauf à aller voir un ouvrage en langue française dans certains théâtres, ou à remonter vers des époques déjà reculées...)

Le concert de septembre 2010 a été radio- et vidéodiffusé, et un disque a paru en septembre 2011 - on peut donc profiter de ce petit bijou. Le récent Nabucco de Falvetti par les mêmes devrait aussi sortir en septembre prochain, en bonne logique. Je conseillerais un peu moins les autres disques d'Alarcón, qui sentent un peu plus (studio aidant) le concept transculturel.

Très curieux en tout cas d'observer son évolution dans les prochaines années (en espérant qu'il ne s'enferme pas dans sa propre niche comme Pluhar qui promettait tant...).



Cinq ans plus tard… Compléments du 12 octobre 2018

Quelques années ont passé ; García-Alarcón a certes commis quelques concerts plus cross-over (assez réussis d'ailleurs), mais reste aussi un grand spécialiste informé et sensible de ce répertoire, dans les grands standards (son Dido and Æneas est, je crois, le plus beau que j'aie pu écouter !) comme dans les exhumations (ses nombreux Cavalli ont été accueillis avec enthousiasme ; n'aimant pas Cavalli, je m'en rends sans doute moins compte).

La série Une décennie, un disque est l'occasion de revenir sur Falvetti, et ce Déluge en particulier. Je n'y fais qu'un résumé, et je fais le choix d'apporter plutôt de nouvelles informations dans cette notule, qui détaillait déjà d'assez près la structure proprement musicale. Un peu de contexte, donc.

Éléments de biographie
Falvetti est calabrais de naissance, mais les traces de son exercice musical se trouvent en Sicile : à Palerme d'abord, où il assure, comme Buonaventura Rubino, la musique de quelques réjouissances étranges (Abel figure de l'Agneau eucharistique, composé pour le Carnaval !), puis à Messine. Ce Déluge est la grande pièce qui suit sa nomination, en 1682.

Genre
Comme Falvetti est également prêtre, son legs consiste essentiellement en des oratorios (4 pour Palerme, 3 pour Messine dont les 2 gravés par García-Alarcón).
Le sens du pittoresque de ce Diluvio (l'édition originale ne dit pas universale) en fait un exemple particulièrement vivant des extraversions de la Contre-Réforme :
dans In Cielo, la Justice Divine appelle les Éléments à punir l'impiété des hommes ;
dans In Terra, Noé et Dieu disputent âprement, débouchant deux airs, dont un à coloratures (!) du Créateur ;
dans Il Diluvio proprement dit, outre les figuralismes aquatiques évidents de l'eau qui tombe en s'accélérant, c'est la Mort qui vient chanter son triomphe sur une tarentelle ;
dans In l'arca ni Noé, le chœur à cinq voix chante l'apparition de l'arc-en-ciel de l'Alliance, avec de savantes entrées en imitation assises sur un allègre mouvement de danse !
Bien que le frontispice de la première édition indique con licenza de' Superiori, c'est-à-dire avec l'autorisation des autorités ecclésiastiques, on constate combien ces oratorios, dans le but d'intéresser et d'édifier les fidèles, prennent au besoin quelques licences avec l'orthodoxie, et c'est particulièrement spectaculaire ici – les liens entre Jutice Divine, le Déluge, la Mort et Dieu ne sont pas toujours très cohréents ; pour ne rien dire de cette Mort autonome, ravie et comique, qui vole totalement la vedette au propos édifiant de la punition des impies !

Orchestration
    Je posais, dans cette notule de 2013, la question de l'orchestration écrite, et de la part de fantaisie. Il se trouve qu'en cherchant un peu, peut en avoir une image assez nette.
    La partition indique six portées, sans précision d'instrumentation : deux clefs de sol (1 ou 2, je n'ai pas vérifié), une clef d'ut 3 (pour un alto), une clef d'ut 4 (pour viole ténor ou viole de gambe), deux clefs de fa (une ligne de basse mélodique + une ligne pour la basse continue).
    Il se trouve cependant que nous connaissons grâce aux registres la composition exacte des musiciens disponibles à Messine (du moins les permanents, je suppose) : 4 violonistes, 4 violisti (joueurs de viole, ou cela peut-il inlclure également des altistes ?), un archiluth (seulement), un trombone, 4 organistes (mais qui ne devaient pas jouer tous les quatre évidemment, se partageant la tribune au fil des offices qui avaient lieu plusieurs fois par jour !). Je suppose que les cordes graves sont incluses dans les violistes (avec des gambistes).
    On a donc tout à fait de quoi jouer cet oratorio, dans un effectif qui était tout sauf pléthorique (cela suppose du un ou deux par partie), très loin de la démesure – jubilatoire – de l'orchestre à cordes fourni de la Cappella Mediterranea, de ses cornets à bouquin, de sa section complète de sacqueboutes, de sa harpe et de ses deux théorbes !
    De toute façon, hors théorbes, ces instruments étaient soit désuets (le cornet à bouquin, passé la moitié du XVIIe siècle, même si c'est furieusement injuste, ne semble plus guère en usage) soit douteusement utilisés de façon aussi expansives (les mélodies de sacqueboute accompagnée, voire les usages en soutien des chœurs, façon Mendelssohn ou Bruckner, dans le Déluge proprement dit !). Pour autant, le résultat est d'une variété et d'une puissance jubilatoire extraordinaire, ce qui demeure l'essentiel : que cette musique nous parle, que ce soit avec des moyens d'hier ou d'aujourd'hui. En fin de compte, les études musicologiques ont plus pour utilité de nous permettre de comprendre les forces de ces musiques (si on joue Monteverdi avec des aplats de cordes comme une sérénade de Tchaïkovski, ça ne fonctionne pas !) que d'imposer une exécution authentique, si on peut faire plus convaincant ou tout simplement plus conforme à notre goût. Je peux me rallier à cette proposition – même si la curiosité de l'exactitude et le frisson de l'Histoire ont aussi leurs charmes.

Nomenclature chorale
Dans la partition, le chœur n'est pas qu'une entité globale, en réalité le projet (figuralismes pas si audibles pour moi ; costumes peut-être ?) est d'attribuer un Élément à chaque pupitre : Eau (soprano I), Air (soprano II – ne me demandez pas pourquoi l'Eau monte plus haut que l'Air !), le Feu (ténor), la Terre (basse). Dans l'ensemble de l'Arc-en-ciel, s'ajoute une ligne de contralto entre le soprano II et le ténor.

Ces quelques éléments complètent – je l'espère – utilement les quelques interrogations laissées dans la notule de 2013, plus descriptive de la musique et du livret, en lui procurant un peu de contexte historique sur les traditions musicales siciliennes (à nouveau, allez lire cette notule pour plus de bizarreries sur le sujet) et sur les effectifs réellement disponibles, le projet de Falvetti.
Ils me permettent surtout, en réalité, d'alléger la notule de la série Une décennie, un disque, qui s'annonçait trop touffue pour son objet.



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Commentaires

1. Le vendredi 5 avril 2013 à , par François

C'est toujours pareil, ça sonne tellement bien, c'est dynamique et vivant, on se dit que ça a forcément été écrit pour être joué de cette façon. Est-ce l'effet de l'authenticité ou d'une adaptation à notre perception contemporaine de la musique ? Mystère.

En tout cas, merci de partager !

2. Le dimanche 7 avril 2013 à , par David Le Marrec

Il y a les deux, en fait : information sur les modes de jeux... et adaptation de tout ça à la séduction du public d'aujourd'hui. Personne n'a poussé l'authenticité jusqu'à jouer le même soir Fidelio, deux symphonies et un concerto de Beethoven...

3. Le mardi 9 avril 2013 à , par ana

Margaux Blanchard ou Thomas Dunford, deux princes de leur génération...


Non, frère David : sachez à l'avenir que Margaux est une (Sainte-)Colombe.

(Diable, soyez indulgent : je suis fatiguée :))

4. Le mercredi 10 avril 2013 à , par David Le Marrec

Alors disons que Margaux est une reine, et n'en parlons plus.

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