Parlons Lied III - Waldesgespräch
Par DavidLeMarrec, mardi 31 janvier 2006 à :: Poésie, lied & lieder - Oeuvres - Projet lied français :: #144 :: rss
Présentation de ce lied fameux de Schumann/Eichendorff, extrait des Liederkreis Op.39.
LIEDER NARRATIFS
Waldesgespräch ("Conversation en forêt", Schumann, Eichendorff)
1) Présentation
Un des lieder les plus diffusés de Schumann, puisqu'il s'agit du troisième du cycle des Liederkreis Op.39, le plus joué avec ceux du Dichterliebe.
Le texte d'Eichendorff se constitue de quatre quatrains d'octosyllabes, avec en alternance le personnage masculin principal et la jeune femme qu'il rencontre - et à qui revient la conclusion. J'admire beaucoup la simplicité de ce romantisme assez optimiste d'Eichendorff dans tout le cycle, et Schumann y a écrit des merveilles de dépouillement éloquent – Auf einer Burg, par exemple. (presque le modèle du Via Crucis de Liszt, quand on y pense)
2) Texte, traduction et partition
[traduction personnelle, donc sujette à caution]
Es ist schon spät, es ist schon kalt, / Il est déjà tard, il fait déjà froid,
Was reitest du einsam durch den Wald? / Pourquoi chevauches-tu seule à travers les bois ?
Der Wald ist lang, du bist allein, / Les bois sont vastes, tu es seule,
Du schöne Braut! Ich führ dich heim! / Belle fiancée, je te conduis à la maison !
"Groß ist der Männer Trug und List, / Les appétits et la malice des hommes sont infinis,
Vor Schmerz mein Herz gebrochen ist, / Mon coeur est brisé par la peine
Wohl irrt das Waldhorn her und hin, / Le cor s'éloigne ici et là,
O flieh! Du weißt nicht, wer ich bin. / Oh fuis ! Tu ignores qui je suis. "
So reich geschmückt ist Roß und Weib, / Si richement parés sont le cheval, la femme,
So wunderschön der junge Leib, / Si splendide le jeune corps
Jetzt kenn ich dich - Gott steht mir bei! / Je te connais - Dieu me vienne en aide !
Du bist die Hexe Lorelei. - / Tu es Loreleï - l'enchanteresse.
"Du kennst mich wohl - vom hohen Stein / Tu me connais bien - depuis les hauts rochers Schaut still mein Schloß tief in den Rhein. / Mon château contemple, silencieux, les profondeurs du Rhin Es ist schon spät, es schon kalt, / Il est déjà tard, il fait déjà froid, Kommst nimmermehr aus diesem Wald./ Plus jamais tu ne quitteras cette forêt."
3) Version arrangée en français par mes soins :
http://piloris.free.fr/waldes_fr.mp3 (lien temporairement inactivé).
Non versifiée, pour coller au maximum à l'ordre des mots allemands. Le but n'en est pas un très improbable résultat esthétique, mais une aide au repérage.
Il est bien tard, il fait bien froid ;
Pourquoi chevaucher seule dans le bois ?
Le bois est grand, tu es bien seule,
Belle épousée, je te reconduis.
– Grande est la malice des hommes,
De peine mon coeur fut brisé,
Entends-tu le cor ici et là ?
Ah fuis ! Tu ne sais qui je suis.
Si richement paré l'équipage
Et sublime le jeune corps...
– Je te connais ! Dieu me soutienne !
Tu es l'enchanteresse Loreleï.
– Tu me connais, certes tu me connais, de leur rocher
Tous mes Etats contemplent le Rhin,
Il est bien tard, il fait bien froid,
Plus jamais ne sortiras de la forêt, plus jamais, de la forêt.
Il à présent temps d'écouter la version allemande (en ré) : http://piloris.free.fr/waldes_de.mp3 (lien temporairement inactivé).
4) Bref commentaire du lied :
De même que le texte fait alterner ses personnages, de même le compositeur fait alterner la caractérisation musicale. Initialement, le personnage masculin est accompagné par les traditionnelles tierces, quintes et sixtes (sur les degrés 2, 5, 1 au lieu des cadences plagales habituelles en 2, 4, 1) qui figurent les symphonies de cors de chasse et identifient clairement le locuteur. La suite de son discours est soutenue par des harmonies plus tendues, des accords enflammés, le tout culminant avec un trille au piano, dans une tessiture barytonnante, épousant les palpitations grandissantes devant la découverte de la charmante apparition féminine.
La proposition qu'il lui fait est ambiguë, Golaud avant l'heure : quelle est la part de la sollicitude, quelle est la part de la concupiscence ?
Première réponse de la jeune femme, sur une brusque modulation, au son aérien d'une harpe dissimulée, son surnaturel dans cette circonstance. Sous forme de proverbe, puis de confidence, elle s'adresse à l'homme. "Les appétits et la malice des hommes sont infinis / Mon coeur est brisé par la peine." La première sentence semble être la déduction de la seconde et sa cause : une jeune femme qui se défie de la proposition bien avenante d'un étranger.
En réalité, la première phrase est déjà la sentence qui se matérialisera par le dernier vers, et la seconde est l'indice qui permet à son interlocuteur
de le comprendre.
Les deux derniers vers du quatrain quittent le chant suave pour imiter narquoisement l'embasement du premier quatrain - une très belle trouvaille de Schumann, qui tout en préservant l'homogénéité musicale de son lied, crée du sens, et cela en rejoignant le procédé d'Eichendorff lui-même, qui fait reprendre in fine les paroles du séducteur par la Loreleï. Le quatrain s'achève dans une douce attente harmonique.
Reprise de parole par l'homme. Sur le thème du cor, mais plus désarticulé, l'accompagnement cesse au milieu du quatrain dans un récitatif épouvanté, entrecoupé de silences essoufflés, à peine scandé par quelques accords d'une sécheresse sans appel.
Seconde réponse de la Loreleï, qui confirme l'intuition du promeneur, sur le même motif que la première fois, plus aigu, jusqu'au cri, mais toujours paré des mêmes absurdes broderies. L'ironie mordante de la réponse culmine lors de la répétition prévue par Eichendorff du premiers vers du poème, initialement attribué à l'homme. Le postlude, chargé de sens comme toujours chez Schumann, fait entendre l'extinction du cor, seul lien qui demeurait avec le monde des vivants et des humains.
Au total, quelque chose de très homogène, doté d'un élan très impressionnant. Comme souvent chez Schumann, on a ici un minidrame d'une concision et d'une justesse extrêmes - un opéra de trois minutes pour cadres dynamiques pressés, avec optimisation du rapport action / temps d'écoute.
DavidLeMarrec – lyricmanager
5) Discographie :
Si vous avez survécu aux extraits proposés, et bien que ce ne soit pas une preuve sûre de votre bon goût musical au vu de l'interprétation proposée, il ne vous reste plus qu'à vous procurer un enregistrement de la chose.
Quelques suggestions dans une discographie de grande qualité :
- Margaret Price / Graham Johnson, HYPERION. Pour la pertinence absolue de la caractérisation
- Matthias Goerne / Eric Schneider, DECCA. Pour le soin du vers, la capacité de Goerne à envelopper entièrement l'auditeur, et la musicalité extrême de Schneider.
Felicity Lott (dans une optique similaire à M. Price), Sebastian Bluth (meilleur diseur que chanteur), Ian Bostridge / Julius Drake valent également le détour.
Le jeune Fischer-Dieskau est un tout petit peu décevant à mon goût.
Version (peu ou prou) html de cette page disponible et téléchargeable ici : http://davidlemarrec.ifrance.com/waldes.mht .
Commentaires
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