Carnets sur sol

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Une décennie, un disque – 1600


1600


guedron coeur monodies 1600


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Bien qu'un cruel martyre…


Compositeur : Pierre GUÉDRON
Œuvre : Airs et Chansons (recueils de 1597, 1608, 1609)
Commentaire 1 : Guédron n'a pas la notoriété de Peri ou LULLY, et pourtant il occupe une place tout aussi fondamentale. Il succède à Claude Le Jeune auprès de la Cour et est celui qui, en France, impose la monodie (au lieu de la polyphonie) comme le moyen d'expression puissant et incontournable – bref, le truchement par lequel l'esthétique baroque s'installe pour de bon en France dans la musique savante.
    Il nous en reste surtout ses nombreuses chansons de cour, de tous types (de l'épique à la grivoise en passant par l'élégiaque), mais aussi des fragments de ballets pour les réjouissances royales, où le chant et l'action se mêlent à la danse, préfigurant d'assez près ce que sera la tragédie en musique – témoin le Ballet du duc de Vendoſme dit aussi Ballet d'Alcine (dont Carnets sur sol a gravé en première mondiale quelques extraits).
    Dans ces ballets, les danses sont déjà reliées par une thématique narrative, et bien qu'organisés en tableaux assez clos, ils ne diffèrent pas vraiment, structurellement, des scènes de réjouissances dans les ballets-pantomimes romantiques, où chaque personnage vient à tour de rôle exécuter sa variation, dans un contexte général dramatique. On voit ainsi des objets et des animaux danser tour à tour, figurant les prisonniers enchantés par Alcine. S'y trouvaient des chœurs et des chants solistes, également. Dans une forme moins continue que l'opéra, certes, mais déjà assujettie à une intrigue !

Interprètes : Claire Lefilliâtre (soprano), Bruno Le Levreur (contre-ténor), Serge Goubioud (ténor), Marc Mauillon (baryton) – Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre
Label : Alpha
Commentaire 2 :  Dans l'album Cœur, Vincent Dumestre a réuni des airs du premier baroque français où triomphe la monodie, dans les styles les plus variés : pamphlet ordurier, galanterie, plainte élégiaque, etc. Il a aussi la finesse d'y jouer aussi bien des monodies pures que des airs madrigalesques à quatre voix, qui coexistent jusqu'à la génération précédant LULLY, au milieu du XVIIe siècle !
   L'équipe vocale retenue (fulgurante), la saveur du français restitué (bien plus opérant ici qu'à l'Opéra), la richesse des accompagnements (on a de la contrebasse de viole, de la basse de violon, de la viole de gambe, de l'archiluth…), la variété de ton de l'album en font un sommet de la discographie de l'air de cour. Ne manquez pas les airs de Didier Le Blanc et Adrian Le Roy, en particulier (bien qu'ils datent, eux, des années 1590…).
    On peut prolonger avec l'album Le Consort des Consorts par la même équipe, qui contient le seul des trois extraits du Ballet d'Alcine jamais gravé officiellement (les autres l'ayant été officieusement par nos soins) – dans une édition (un arrangement ?) différente de celle utilisée par CSS.

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Commentaires

1. Le mercredi 22 août 2018 à , par Morloch François

et cette fois Jacopo Peri enregistre son opéra Euridice, par exemple avec Françoise Masset, Sonia de Beaufort, Isabelle Poulenard, Jean Vendassi... – dirigé par Mireille Podeur à la tête de l’ensemble Les Arts baroques. Dowland, de son côté, enchaîne sur une autre grande décennie :)

2. Le jeudi 23 août 2018 à , par DavidLeMarrec

Oh oui, quelle grande version studio menée par Peri ! On sent à quel point les stances liminaires de la Tragedia ont été écrites pour Françoise Masset. <3
Ma version de chevet reste celles des Polonais, chez DUX, que je trouve la plus vivante, mais Podeur, un peu grise côté orchestre, fonctionne remarquablement (et la distribution exceptionnelle des dames que tu cites n'y est pas étrangère).

(J'avouerai trouver Dowland très plat, je n'ai jamais été très touché, même si la qualité de ses interprètes permet toujours de passer agréablement le temps.)

3. Le jeudi 23 août 2018 à , par Morloch François

Oui, je suis d'accord sur Dowland mais c'est quand même très agréable, un peu bruit de fond c'est vrai. Dans ma perception sans doute fausse, c'est aussi le prototype de toute la musique pop anglaise: un style qui va entrer en congélation progressive après la fin de l'époque élisabéthaine et ressusciter dans les années 1960 avec les Beatles puis Radiohead et Muse. En fait, le disque de Sting c'est un traité de musicologie ^^

4. Le jeudi 23 août 2018 à , par DavidLeMarrec

Il y a en effet des traits communs entre l'air de cour et la chanson du XXe ; la divergence est plus nette avec les art songs (à partir du XIXe, mais assez tard pour les Anglais…), même lorsqu'il s'agit des chants de marin d'Ireland ou des folk songs de Britten.

5. Le vendredi 24 août 2018 à , par Morloch François

J'ai écouté les airs de cour français par Vincent Dumestre et son équipe, un répertoire que je ne connais presque pas et que j'écoute peu. La conséquence de ces écoutes épisodiques est d'être estomaqué à chaque fois par la façon dont on joue cette musique. C'est incroyable d'entendre les changements: on est parti d'enregistrements inécoutables pour arriver à cette merveille.

Pourquoi suis-le seul à bavarder sous cette discothèque idéale? Ce doit être un effet de génération dont tu parlais sur le forum de Xavier, même si j'en suis guéri, je suis encore un enfant de ces âges obscurs où les écoutes se structuraient autour de Discothèques idéales de Diapason et de numéros spéciaux de Noël de Telerama ^^

Quoi qu'il en soit te voilà arrivé en 1619 sans avoir mentionné Monteverdi, et je soupçonne déjà un biais méthodologique: tu vas choisir la musique la plus marquante de certains compositeurs en fonction de la décennie qui sera censée contenir leur chef d'œuvre, et cela quel que soit l'état de la discographie. On sait donc maintenant qu'il n'y aura donc pas de Vespro della Beata Vergine ni d'Orfeo dans la liste, le suspens devient donc insoutenable: y aura-t'il Il combattimento di Tancredi e Clorinda, L'incoronazione di Poppea ou Il ritorno d'Ulisse in patria?

Si ce n'est pas le cas, cela pourrait indiquer un autre biais, celui du choix de compositeurs ou d’œuvres moins célèbres pour développer la curiosité du lecteur... Dans ce cas, j'attends de pied ferme la décennie 1830: Auber ou Chopin? Alkan ou Berlioz? Coppola ou Donizetti? Sans parler de la décennie 1910. Je suis curieux de voir toutes ces dilemmes à venir :)



6. Le vendredi 24 août 2018 à , par DavidLeMarrec

(Airs de cour et redécouverte)

En effet, on est passé de choses toutes molles enregistrées dans des placards à ces riches arrangements plein de gouaille et de couleurs. Il existe deux types de sources pour ces airs : les éditions polyphoniques, écrites à quatre ou cinq voix, et les éditions avec accompagnement de luth (éditées avec tablatures seulement). Souvent on y trouve des fautes, comme indiqué dans les liens de la notule. De là, Dumestre et les autres peuvent ajouter à l'envi des instruments, des lignes congruentes, en tirer une version monodique ou au contraire ajouter de la polyphonie – les airs existant souvent dans les deux états, et l'écriture d'époque étant assez normée, il est possible de le faire sans trop extrapoler ni du tout trahir l'esprit des œuvres.
Hélas, ce n'est pas prévu pour Dowland : je ne sache pas (mais je suis honnêtement assez mal informé sur le début du XVIIe anglais) qu'on le pratiquait chez les Élisabethains.

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(parcours discographique) Le projet n'est pas tant une discothèque idéale qu'un panorama de curiosité, pour essayer de remettre les choses en perspective et boucher les trous. Effectivement, Lassus, Peri, Dowland, Gesualdo, Le Jeune, Monteverdi, Guédron, Schütz ont écrit dans les mêmes années, aussi étrange que cela nous paraît quand on s'est habitué aux classements stylistiques. Mais oui, passer par le disque permet de rendre la chose plus accessible, d'éviter ensuite la réponse « tu n'as pas aimé parce que tu as écouté cette version qui empêche d'apprécier tel et tel critères ».

Pourquoi es-tu seul, ce n'est pas à moi qu'il faut le demander, je trouve cela scandaleux aussi. :) C'est assez normal en août, cela dépend aussi des publics de lecteurs (certains lisent surtout les études synoptiques, comparatifs en tout genres ; d'autres plutôt les comptes-rendus de concert, ou au contraire les discographies ; d'autres enfin guettent les notules pédagogiques ou glottologiques… donc cela qui est présent et ce qui est publié, ça fluctue) ; en outre, je note un vrai frémissement statistique depuis le début de cette série, ces notules semblent plus vites lues que les dernières.

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(méthodologie)

C'est toute la difficulté de l'exercice, il faut choisir. En 1610, ça va encore : (au disque, car dans la réalité évidemment il en va autrement) il y a surtout de la musique vocale profane italienne, quasiment pas de musique de chambre, pas de musique symphonique, peu d'autres pays généreusement représentés.
Mais quand on va arriver au XIXe, en effet, où il faut choisir entre une symphonie russe, un quatuor allemand, une cantate française et un opéra tchèque, comment faire ?

Mon postulat est donc le suivant :
¶ J'essaie de varier les origines, les genres, les approches. Ce n'est pas trop visible pour l'instant, avec mes deux disques de madrigal interprétés par le même ensemble chez le même label (!), et avec une prochaine étape qui sera à nouveau italienne, mais ensuite, je tâche au maximum de faire voir du pays.
¶ Je ne prends que des œuvres que j'aime, que je suis prêt à défendre – je n'irai pas mentionner l'Art de la Fugue ou les Diabelli, que tout le monde connaît, dont l'importance historique est très bien documentée, mais sur lesquels je n'aurais pas forcément d'angle personnel à apporter (pour moi ce sont des jalons historiques considérables plus que des moments de joie musicale).
¶ Comme tu l'as deviné, quand j'ai le choix, je donne la prime à ce qui est moins couru. Attention, le but est de faire un panorama à un disque, donc je ne cherche pas l'interlope, mais si je peux trouver quelque chose qui représente bien la décennie et qui ne soit pas déjà connu de tous, j'essaie. Ou alors s'il y a vraiment un disque que je trouve singulier (je pourrais proposer l'Art de la Fugue par Tribukait, par exemple).

Cela a deux implications :
♦ Comme tu l'as pressenti, pas de Monteverdi. J'aurais alors dû proposer Orfeo par Harnoncourt 68… Certes un incontournable, mais CSS n'étant que peu lu par de vrais débutants (même si j'aimerais…), et considérant de toute façon qu'on trouve la référence chez tout le monde… Il fallait par ailleurs essayer de placer à la fois du madrigal, de la musique sacrée, du répertoire français, du répertoire allemand, puis de la musique instrumentale… de 1580 à 1670, un seul opéra (le prochain épisode). Pour obtenir l'équilibre, il fallait que je me précipite sur le madrigal et la chanson début XVIIe, parce qu'ensuite, les années 1620 à 1660 sont fragmentairement documentées par le disque, et comme je n'aime pas Cavalli (par ailleurs souvent pas bien servi au disque), et que même les bons opéras du temps de Landi ou Rossi ne sont pas très faciles d'accès (fulgurances mais tunnels); si je voulais placer un bel opéra, il me fallait réserver la décennie 1620, et comme après je dois placer un peu de musique allemande… Tu vois un peu les contraintes, qui excèdent ma seule fantaisie d'inclure ou non Monteverdi. Évidemment, cela s'appelle « une décennie, un disque » et pas discothèque idéale ou le disque indispensable de chaque période, car dans l'absolu, il serait incongru de ne pas citer Monteverdi – cela dit, tu voudrais que j'élimine qui, hein, avec Lassus, Guédron, Gesualdo et celui qui représentera les années 1630, je n'ai pas fait non plus dans le mineur dispensable.
♦ Second corollaire, je me réserve le droit si ça m'amuse toujours de refaire un ou plusieurs tous de manège, j'ai déjà des listes de ce que je n'ai pas mis…

En tout cas, pour la première édition, j'ai en tout cas tout sélectionné jusqu'en 1800, puis de 1950 à aujourd'hui. C'est effectivement dans la période intermédiaire qu'il va falloir jongler avec beaucoup de contraintes pour essayer de donner un aperçu de tout le monde !

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David Le Marrec

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