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La langue originale

Je croyais être un puriste.

Lorsqu'on donne un (bon) opéra, il est impensable de ne pas respecter le texte d'origine, puisque le compositeur malmène souvent l'invention musicale au profit de la prosodie et de la dramaturgie, que le poids donné à la musique sur les mots est précis et capital, et aussi que chaque langue attache ses connotations propres à un terme, une tournure. Sans parler de la rythmique faussée !

Ecoutez donc Faust (Gounod) ou Boris en italien : toute la richesse vocalique se perd, sans compter la guignolité des textes adaptés selon une misérable standardisation de l'esprit.

Bref, j'étais farouchement pour les langues originales, et puis c'est fascinant, tout ça à découvrir !



Mais. Je me dis aussi. Lorsqu'on joue un opéra en tchèque, ou même en allemand, ou même en italien (ou même en français, mais c'est un autre problème, de composition ou d'interprétation), quel est le pourcentage de spectateurs dans la salle qui comprennent quelque chose de précis à ce qui est dit ? Qui remarquera sur quelle syllabe de quel mot tombe l'accent, et le sens profond - s'il y en a un - de tout cela ?

Et puis, cette barrière linguistique, ne participe-t-elle pas de la sélection sociale qui s'effectue à l'entrée de l'opéra ? Le grand public écoute de la variété dans sa langue, parce qu'elle lui dit quelque chose, justement. L'opéra ne dit rien. Et l'opéra qui ne dit rien, c'est de la mauvaise musique symphonique avec quelques braillards dessus.

Les surtitrages, on le sait, ne sont pas visibles de partout et ne pallient pas à une bonne connaissance du texte.

Bref, je m'interroge. Et, en somme, j'aimerais tellement entendre le Ring, Thora ou la Khovanchina en français, ce serait tellement plus direct par moments, mais surtout... tellement différent ! On donnerait aussi à chacun la possibilité de saisir vraiment ce qui est dit dans une oeuvre qui ne serait plus l'originale, mais qui aurait ses particularités propres, et serait entièrement intelligible en tant que telle.



Bien sûr, je ne demande surtout pas à ce que le français redevienne la norme.
Mais je me disais : si les théâtres au cours de leur saison programmaient plusieurs/quelques oeuvres dans la langue vernaculaire, ou alors organisaient pour une seule oeuvre une alternance, quitte à faire une reprise dans l'autre langue dans quelques années, au lieu de la réaliser dans la même ? C'est pas idiot, non ?



Je suis déçu. Je me pensais plus puriste que ça. Décidément, la vie n'est pas simple.

David - SeptièmeNain


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Commentaires

1. Le lundi 12 décembre 2005 à , par kfigaro :: site

Tentative de débat passionnante (comme toujours avec toi !) :), moi aussi j'avoue que je reverrais pouvoir "saisir" les mots du "Ring", de "Boris" ou des "3 soeurs" à la volée (mais comme je ne comprend pas un traitre mot d'allemand et de russe, je suis mal...)

voilà c'est dit, tu n'es pas le seul, David !

2. Le lundi 12 décembre 2005 à , par DavidLeMarrec

Pour ma part, j'ai abandonné mon apprentissage du russe et quasiment l'opéra russe, faute de livrets en cyrillique. On ne peut pas travailler sur leurs infâmes translittérations !

Quant à l'allemand, je le travaille depuis quelques années, spécialement à cet effet. C'est très accessible grammaticalement parlant. Avec une traduction en face, on peut tout comprendre. Après, reste le vocabulaire pour lire spontanément, et ça ça vient petit à petit.
Les poèmes de Wagner ont beau être mauvais, ça n'a pas grand intérêt d'écouter ça sans en avoir une connaissance minimum.
L'extraordinaire site d'Eduardo Amalgro est là pour nous aider : www.supercable.es/~ealmag... (bilingue espagnol). Et aussi www.rwagner.net/ , qui propose les livrets de Wagner "de la maturité" en bilingue italien et anglais.


Sinon, j'ai depuis prolongé ma réflexion. Je postais ceci sur un autre site, Vocalises.net . En somme, je me dis que sans troupe, désormais, ce sera très difficile à réaliser pour un effort qu'après tout les spectateurs peuvent faire.
Au demeurant, j'aimerais que ça puisse être possible...

__La langue du spectacle populaire.__
Pour ce qui est du spectacle populaire, il faut se souvenirqu’au XVIIe-XVIIIe, le public populaire se pressait voir les Italiens de la Commedia dell’arte en italien. Comme à l’opéra, il y avait suffisamment de codes pour se repérer.

Par amour des langues, par souci du sens (une traduction modifie souvent éhontément l’original), par préoccupation prosodique (l’accentuation d’une musique dépend de la langue employée), j’ai longtemps été défavorable aux traductions dans la langue locale.

__Des spectacles traduits ?__
Pourtant, le temps passant, je finis par me dire qu’il serait agréable pour une part du public novice de mieux comprendre ; ou que la couleur spécifique d’une traduction, d’une langue, serait bienvenue, pour renouveler l’écoute ; ou qu’il serait plus confortable d’aborder des langues peu diffusées en France avec une traduction plutôt que des surtitres.
Bref, pour certaines oeuvres, il serait bien de les donner dans la langue du lieu, avant une reprise dans la langue originale, pour mieux en comprendre les saveurs. (Il faudra, dans ce cas précis, que l’adaptation soit fidèles pour que les repères soient justes à la reprise.)
Et là se pose un autre problème. Depuis la dissolution de la troupe de l’Opéra de Paris par Rolf Liebermann, qui parmi les chanteurs français est capable de faire comprendre tout son texte ? Pas tant que ça, et comme ils ne sont pas en troupe, on ne peut pas les réunir à volonté. Mon souhait est donc à peu près irréalisable, et dans ce cas, mieux vaut chanter dans la langue originale, quitte à ne pas comprendre.

__Un exemple.__
Autre chose. Je me suis penché, il y a quelque temps, sur le Rigoletto d’Etcheverry, en français donc. On y trouve des différences très importantes dans les personnages et l’action. Il est intéressant de noter une réelle réappropriation du texte initial, au-delà de ce que les choix ont d’appauvrissant vis-à-vis de Hugo, toujours plus loin... Certains points sont stéréotypés, mais ils révèlent beaucoup sur la réception française de ces oeuvres à une certaine époque et, à ce titre, sont très précieux (voir par exemple la place de la religion).

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