Messiaen et la messe
Par DavidLeMarrec, mercredi 18 mai 2011 à :: Musicontempo - Discourir - Domaine chambriste - Musiques du vingtième siècle - Domaine religieux et ecclésiastique - Bons tuyaux et grandes orgues :: #1724 :: rss
1. Messiaen et la foi
On lit souvent que Messiaen est indissociable de sa vocation spirituelle. C'est à la fois vrai - comment saisir la portée de ses oeuvres sans leur programme et même plus, leur méthode ? De la même façon que les chants d'oiseaux (qui dialoguent également avec la foi de Messiaen) constituent une structure signifiante pour une partie considérable de son oeuvre. ... et à la fois inexact, puisque son oeuvre a des charmes en musique pure dans la plupart des cas.
Mais je voulais poser la question d'un point de vue plus pratique : est-ce réellement une musique spirituelle ? Dans sa conception, le doute n'est pas permis. Mais sous un jour plus fonctionnel, je ne suis pas convaincu.
Messiaen, et plus généralement l'orgue chargé harmoniquement, est la plupart du temps ressenti comme une bizarrerie par les fidèles ; souvent de façon négative - on perçoit les dissonances surtout, qui contrastent avec le désir d'harmonie recherché en se rendant au culte.
2. Messiaen et les contraintes de l'orgue
Il faut dire que l'orgue est particulièrement violent dans ses dissonances, puisque les notes d'un accord conservent toute leur intensité de l'attaque à l'extinction (cas unique dans les familles d'instruments), si bien que tout frottement dure. Par ailleurs, il n'est pas possible de maîtriser la nuance dynamique des touches individuellement (au plus une pédale d'expression qui vaut pour un clavier ou l'orgue entier), ce qui rend toutes les notes égales, et les chocs d'autant plus rugueux.
Par ailleurs, pour la majorité des fidèles comme pour la majorité de la population, et cela ne saurait leur être reproché puisque la religion chrétienne fait l'éloge des simples d'esprits et des humbles, un accord qui n'est pas parfait majeur ou mineur est forcément agressif. Alors les enrichissements de Messiaen !
3. Messiaen et moi
Pour ma part, j'entends systématiquement au début de mon écoute ces frottements très vigoureux. Je parviens cependant (grâce à une longue fréquentation de la musique du second vingtième ?) à me plonger avec délices dans la logique sonore de Messiaen, que je ne trouve plus alors dissonante ou agressive, qui a sa propre couleur riche, mais pas du tout menaçante, pessimiste ou violente. Au contraire, intensément lumineuse.
Pourtant, j'y ressens un plaisir hédoniste qui est totalement détaché de toute spiritualité, et même incompatible. Ca s'apparente plus, chez moi, au plaisir que je peux prendre - pardon - à écouter les oeuvres sirupeuses d'Elgar, qu'au Via Crucis de Liszt ou à la Missa Solemnis de Beethoven, qui me mènent sensiblement plus loin dans la méditation (sans forcément appeler au mysticisme, d'ailleurs).
C'est une jouissance infraverbale, infrasignifiante, la beauté de se fondre tout entier dans ces sons. A cet instant, je cesse en partie de développer une pensée verbale, si bien que les émotions mystiques, qui sont tout de même en partie narratives (les religions nous racontent avant tout des histoires), en sont tout à fait bannies.
Je dirais même qu'il y a là quelque chose de très égoïste, aussi bien pour le compositeur qui creuse son univers sonore sans vraiment s'inquiéter de la possibilité du fidèle moyen pour l'appréhender, que pour l'auditeur qui se noie avec délices dans un univers de musique pure, déconnecté du monde et de ses semblables et prochains.
4. Messiaen et les fidèles
Dans le cadre d'une messe, ses oeuvres (et plus que tout son Livre d'orgue qui rebute jusqu'aux plus ardents messiaenistes) me paraissent donc d'un usage discutable : on est tellement moins parasité par un petit baroque sautillant haendelien, par une mignardise postromantique de Théodore Dubois, ou par une des innombrables discrètes pièces sur les jeux de fonds dans l'Orgue Mystique de Tournemire (dans ce derniers cas, pas fascinant en tant que tel, mais très fonctionnel)...
Car la musique de Messiaen est réellement exclusive : elle agresse si l'on reste en-dehors, elle accapare si on s'élève vers son monde.
A l'appui de tout cela, je pourrais citer une expérience personnelle : c'était la première oeuvre de Messiaen que j'entendais. Jouée au moment de la communion, elle fit se retourner brusquement les fidèles, inquiets sur l'état de l'orgue et des doigts de l'organiste. Rapidement rassurés, ils se mirent en procession avec de petits rictus interloqués ou douloureux, comme indisposés - sans jamais oser rien dire, par déférence envers le lieu.
Cette intervention musicale, par son exotisme, semblait avoir complètement parasité le déroulement de la messe, déjà sensiblement moins dramatique depuis Vatican II (ayant perdu en intensité dramatique et mystique ce qu'elle a gagné en ouverture et humanité) : tout le monde était en train de se poser des questions de légitimité artistique... et s'interroger sur la complexité et la relativité de valeurs esthétiques et morales, ce n'est pas très en phase avec la pensée qu'on attend d'un fidèle venu pour célébrer son culte...
Moi-même, qui n'étais pas alors suffisamment familier de la musique du second vingtième siècle, j'avais été assez physiquement indisposé par ces agrégats étrangers qui pénétraient dans tout mon corps, au lieu de goûter un moment de sérénité que le silence des fidèles et le règne de la musique devaient rendre particulièrement agréable.
Pourtant, il s'agissait des "Deux Murailles d'Eau", tirées du Livre du saint Sacrement, donc un choix particulièrement appropriée au moment, en théorie. Mais la rencontre avec le public ne s'est pas faite. Pas avec ce public-là (cathédrale d'une métropole française de province), pas à ce moment-là .
Aujourd'hui encore, où la musique de Messiaen m'est bien plus familière et en tout cas avenante, je ne la perçois pas du tout, structurellement, comme compatible avec l'adhésion spontanée que réclament les démarches de foi.
5. Messiaen et le catalogue
J'en profite pour quelques recommandations si quelques lecteurs encore profanes en messiaeneries souhaitent aborder son versant organistique. C'est d'autant plus commode que mes goûts me poussent d'abord vers des oeuvres de jeunesse, ses plus accessibles :
- L'Ascension, sans hésiter, bien plus enthousiasmante que pour orchestre.
- L'Apparition de l'Eglise éternelle, une petite pièce sur un ostinato à l'effet assez grandiose.
- Le Banquet Céleste, autre petite pièce, très apaisée et discrète, l'une des plus consonantes de son catalogue.
Il y a par ailleurs de très belles choses, plus chargées, dans La Nativité du Seigneur et même les Méditations sur le Mystère de la sainte Trinité.
Je suis plus circonspect sur l'ascétisme plus webernien du Livre d'orgue, qui sonne assez mal de mon point de vue, ou sur le caractère un peu trop pesant des Corps glorieux, particulièrement riches et presque angoissants à force de collisions.
C'est cependant purement un avis personnel : tout le monde est d'accord pour vanter L'Ascension et la plupart pour ne pas trop adhérer au Livre d'orgue, mais dans l'intervalle, toutes les positions sont possibles...
6. Messiaen et la discographie
Je vais tâcher, pour une fois, de faire simple. Ce sera d'autant mieux que l'offre est vaste.
Vous estimez Thiry, et c'est avec justice : l'intégrale de Louis Thiry est une grande réussite. Mais il me semble qu'elle n'est plus aisément disponible à la vente.
Personnellement, je reviens très régulièrement à celle de Hans-Ola Ericsson chez BIS, avec un orgue riche et limpide, comme il sied, une exécution très éloquente et une captation d'une grande netteté.
Et je signale, alors que je suis habituellement très séduit par ses réalisations, qu'Olivier Latry est dans son intégrale en deçà de ses standards.
--
Ainsi parés, que La Nativité du Seigneur soit avec vous.
Commentaires
1. Le mercredi 18 mai 2011 à , par Didier Goux
2. Le jeudi 19 mai 2011 à , par aymeric (ne commente plus beaucoup mais lit toujours) :: site
3. Le vendredi 20 mai 2011 à , par DavidLeMarrec
4. Le vendredi 20 mai 2011 à , par Papageno :: site
5. Le vendredi 20 mai 2011 à , par DavidLeMarrec
6. Le lundi 25 juin 2012 à , par Cololi
7. Le lundi 25 juin 2012 à , par Cololi
8. Le lundi 25 juin 2012 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire