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Rameau - Anacréon II (1757) et Pygmalion - Christie, Arts Florissants, Salle Pleyel


(Dimanche 6 mars 2011.)

Un mot tout de même sur ce spectacle, l'un des plus beaux de la saison korrigane. On s'y attendait, contrairement aux autres grandes soirées des lutins qui comprendraient, contre toute attente : Cendrillon de Massenet, le Trittico de Puccini et les Songs par Keenlyside ! Toutes oeuvres réellement aimées, mais sans hystérie non plus, au disque.
Et puis tout de même Bellérophon, ici aussi de façon plus prévisible.

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1. Oeuvres

Le programme comprenait deux pièces de type "acte de ballet" de Rameau. Tout d'abord son second Anacréon sur le livret de Gentil-Bernard (trois ans après celui fait sur un livret du redoutable Cahusac). L'oeuvre est très sympathique, et les airs à boire tapageurs du début se changent en un petit drame très sympathique qui culmine dans le quiproquo entre le poète bachique Anacréon et le petit Amour jeté sur le rivage par une terrible tempête. Se mêle à ce dispositif la présence continuelle, dans le livret, d'un personnage dansé, Lycoris, amante d'Anacréon. Sans page furieusement magistrale ou originale, même si l'orage est très réussi, mais d'une belle facture, très agréable.

Ensuite venait Pygmalion, qui s'ouvre sur une sublime plainte mais contient aux deux tiers des feux d'artifices de jubilation, exaltant le pouvoir de l'Amour. Le livret de Ballot de Sauvot, qui s'inspire d'Houdar de la Motte, n'est pas si indigent que l'argument très réduit peut le laisser craindre.

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2. Interprétation

Une fois de plus, les Arts Florissants font appel à une mise en espace de leur concert, sobre mais très efficace, qui permet de tirer tout le parti de l'onirisme d'une action dramatique, sans l'aspect dirigiste d'une version avec décors et costumes. Le travail de Jean-Yves Ravoux ("collaboration aux mouvements") est très réussi à ce titre.

L'orchestre, qui joue debout pendant Anacréon, se montre un petit peu lent à se chauffer, avec des sons un peu raides et de petites scories, mais à l'exception du début de Pygmalion, la chose était réglée et on a retrouvé le talent jubilatoire assez singulier de cet orchestre dans Rameau.
J'ai au passage été frappé par l'âge inhabituellement élevé des titulaires instrumentaux, pour un orchestre baroque.

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3. Chant

Côté distribution, un plaisir.

Alain Buet (Anacréon) dans la meilleure forme où je l'aie vu depuis longtemps, avec une voix beaucoup plus efficacement projetée que de coutume, et une aisance remarquable.

La voix d'Emmanuelle de Negri (La Prêtresse ; L'Amour de Pygmalion) continue son élargissement progressif et harmonieux : de la petite voix un peu étroite d'il y a encore un an dans la même salle avec le même orchestre et le même compositeur, on dispose désormais d'un instrument complètement épanoui, sans restrictions "baroques". Voilà qui augure d'une fort belle Sangaride.

Deux courtes interventions à saluer, Virginie Thomas (Céphise), choriste des Arts Florissants, dotée d'une voix dense, légèrement colorée par un petit appui pharyngé, réellement délectable. Et à nouveau Jean-Yves Ravoux, assumant avec vaillance le rôle exposé mais épisodique du Convive dans Anacréon.

Ed Lyon (Agathocle et Pygmalion), tant critiqué lors des débuts de la production à Aix, semblait radieux devant l'accueil chaleureux du public - lui qui, arrivé au faîte de ce que peut espérer un chanteur de sa catégorie, ramassait les traits incendiaires de la critique... Manifestement totalement terrifié par les enjeux d'une entrée en scène...
La voix est assez étonnante : elle est robuste, avec un mécanisme très britannique, mais totalement unidirectionnelle : lorsqu'il ne chante pas face à la partie de la salle où le spectateur se trouve, on l'entend peu et même l'aspect du timbre change (comme s'il utilisait un voix très allégée, du souffle pur, à peine paré de quelques harmoniques plus sombres). Il n'empêche que le timbre est beau, le phrasé de goût, la ligne expressive, la virtuosité aisée et l'engagement total. Encore une réussite pour le repérage et le coaching Christie...

Enfin, la révélation au public pour Hanna Bayodi-Hirt (dont c'était, semble-t-il, le premier rôle solo d'envergure). Dans Anacréon, elle tient alternativement le rôle muet de Lycoris et celui chanté de l'Amour (qui se présente comme un serviteur de Lycoris). On la voit ainsi pendant de longues minutes sur le plateau, sans se douter qu'on va aussi lui confier un rôle chanté (et on cherche vainement la danseuse dans les crédits...).
A son seul aspect, quelque chose de magnétique se dégage, une sorte de noblesse un peu sauvage et langoureuse, d'autorité légèrement malicieuse. Bref, du charisme, qui ne se limite pas à un port, mais se décline dans tous les mouvements pour habiter la scène. Aussi, lorsqu'elle ouvre la bouche, ne peut-on s'empêcher de penser : "ah, mais elle chante en plus !".
Le début de son Amour n'est pas tout à fait aussi enchanteur que sa présence scénique : l'aigu est légèrement aigre, pas très timbré. On pense au goût de Christie pour les voix un peu vertes, il y a ici quelque chose de diaphane qui évoque Sophie Daneman, mais aussi, dès le médium grave, quelque chose de plus sombre et stable, avec un assez beau tissu dans le bas de la tessiture.
Manifestement impressionnée par l'enjeu, elle se libère davantage dans la Statue de Pygmalion, où elle réunit tous les avantages avec son allure sculpturale, sa maîtrise des mouvements (l'éveil de la pierre est très réussi), sa voix d'allure un peu enfantine, mais assise... et un aigu correctement timbré.
Pas une révélation vocale - au disque, ce serait sans réelle plus-value -, mais la combinaison entre une chanteuse efficace et une actrice aussi impressionnante produit assurément des étincelles.

Enfin les Choeurs des Arts Florissants se confirment, avec ceux de la Simphonie du Marais, comme les meilleurs de la catégorie : précis, incisifs et même glorieux. Sans la raideur qu'on peut trouver parfois dans les timbres droits au disque. Ici, c'était tout simplement généreux, avec des choristes qui ont pour beaucoup d'entre eux un grand potentiel de soliste (on aura peut-être le plaisir d'entendre Marcio Soares Holanda en solo, un jour !).

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Le plaisir de la soirée ? Tout simplement d'entendre un programme naturellement jubilatoire très bien servi, si bien que l'ivresse bon enfant, contenue dans cette musique, versait sans peine son allégresse aux bienheureux spectateurs.

(On est content, quoi.)


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