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Manipulations musicales à usage politique


En visionnant une sympathique émission autour de la communication politique sur Public Sénat, les lutins ont pris la fantaisie de commenter un peu plus avant certains aspects de la dimension musicale, qui sont manifestement restés inaperçus (étonnamment) aux invités.


A 15', cette musique. Boîte à rythme convoquée, certes, mais cette mélodie et cette harmonie ne vous sont-elles pas familières ? Oh, certes, on a entendu cent fois des choses de ce genre... mais cet aigu du choeur sur le dernier "tu peux compter sur nous", c'est un peu incongru pour une musique prévue pour être chantable par tous, avec un ambitus d'habitude beaucoup plus réduit.


Mario Del Monaco (don Alvaro) et Ettore Bastianini (don Carlo di Vargas) dans l'enregistrement studio de Francesco Molinari-Pradelli (1955).

Et plus vraisemblablement :

La célèbre Ouverture pot-pourri du même opéra, par Giuseppe Sinopoli et l'Orchestre Philharmonia


Eh oui, c'est bien un remixage de Le minacce, i fieri accenti, à l'acte IV de La Forza del destino de Verdi, et la présence de ce thème dans l'Ouverture lui a assuré une certaine popularité. Quelques rythmes sont changés, mais la ligne vocale est réellement très proche, l'harmonisation, même la couleur mineure sur "France", totalement identique (alors qu'il y avait bien d'autres possibilités), et cet aigu-là n'est pas du tout en style avec une chanson populaire de type rengaine...

Et entre le compositeur et le musicologue, personne ne remarque l'emprunt - Pierre Charvet jusqu'à qualifier cette musique de "nulle". Il est d'ailleurs étonnant de voir comme son discours est lourdement normatif (Rachida Dati aurait bon goût, c'est pas bien de ne pas assez écouter de classique, Bella Ciao est un des rares hymnes supportables, la musique de cette chanson est mal composée... aurait-il dit la même chose s'il avait identifié Verdi ?). A titre personnel, je trouve ce bricolage plutôt bien fait, dans le genre musique naïve et efficace confectionnée en une nuit (on baisse la hauteur de la ligne de ténor, on utilise la boîte à rythme, on change quelques rythmes au chant pour faire plus déchanché, et on met un texte niaiseux dessus) : ça donne plutôt envie, hors les paroles sottes, de chanter et danser, donc c'est assez réussi dans la perspective des musiques psycho-actives.
D'une manière générale, cette dimension de l'émotion imposée par la musique est assez peu exploitée par les invités, alors qu'elle est centrale : on cherche, comme au cinéma, à conditionner l'électeur en le plongeant de force dans les affects associés à certains rythmes et à certaines couleurs harmoniques.

Je ne suis d'ailleurs pas d'accord avec l'interprétation de Pierre Charvet, qui dit que le choeur amoindrit les paroles ; c'est vrai acoustiquement, mais pas émotionnellement : il donne l'impression de l'adhésion d'un groupe. (Au passage, pourquoi parler de chanteur-lied et pas de soliste, surtout, qu'est-ce qu'un chanteur-lied ? L'hypothèse du refus de la complication n'est donc pas probable pour expliquer le silence collectif sur cette question.)

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On peut aussi remarquer un autre exemple où l'érudition musicale des participants semble étrangement muette, alors que les emprunts sont là aussi évidents.

A 24'55 en effet, on entend ainsi une "musique originale" qui est certes cette fois-ci réellement composée, mais transpercée d'emprunts de façon saisissante, à la manière d'un patchwork :

  • pour commencer, une sorte d'Amen (!) stéréotypé, façon choeur de Bruckner (pour la disposition large des voix) avec harmoniquement un petit côté Adagio de Barber ;
  • tout cela enfle à la façon d'une grande symphonie germanique (une septième de dominante impérieuse comme on en trouve dans la Marche Funèbre de _Siegfried_ ou dans certains moments-clefs des premières symphonies de Mahler) ;
  • qui se résout en 25'50 en mouvement dansant façon Carmina Burana ("Tanz" dans la première section) ;
  • puis se mue entre 25'55 et 26'05 en Zadok the Priest (on entend même un hautbois synthétique baroque typiquement haendelien).


Et je me permets tout de même, à 29'40, d'être gêné, non pas par les sympathiques broderies & agremens, mais par la mobilisation de deux (bonnes) chanteuses qui utilisent l'accent anglais tellement à la mode dans la technique de pop française de ces dernières décennies - pour la Marseillaise, ça ne me paraît pas tellement approprié.

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Juste quelques remarques en passant, puisque les parentés auraient mérité d'être relevées pour rendre justice aux inspirateurs, voire aux compositeurs concernés.

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... Cependant tout cela n'est rien par rapport à Robert Schumann qui a éhontément emprunté au dernier album de Carla Bruni le thème de la première pièce de ses Scènes d'enfants (Kinderszenen - n°1, "Von fremden Ländern und Menschen").


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Commentaires

1. Le vendredi 18 juin 2010 à , par lou :: site

Le casting pour la nouvelle star politique ne se fait que sur une question : "Tu connais la musique ?". C'est bien connu.

Bel épluchage du rutabaga, David !

Pour les grosses légumes, je n'ai présenté qu'un modeste hommage au lip dub de l'UMP.

A 15', la première pause que tu indiques, j'ai entendu "Maréchal, nous voilà !". Quand les associations d'idées brouillent l'écoute...

[courrier suit]

2. Le samedi 19 juin 2010 à , par DavidLeMarrec

Hou-là, effectivement, tes associations d'idées sont bien vilaines. Cela dit, pour en avoir déchiffré, certains hymnes pétainistes sont très sortables musicalement et même textuellement. J'en ai trouvé avec des paroles très républicaines (il y a juste dans un couplet un mot du type "chef" qu'il faudrait remplacer par "représentants", "nation" ou "idéal").

(C'est mon péché mignon, je lis de tout, même des damnés, musicaux comme politiques et de tous bords. Et comme ça je pouvais suivre la messe à Saint-Eloi avec un peu d'avance sur le programme de juillet.)

3. Le samedi 19 juin 2010 à , par Papageno :: site

Merci David pour ce bon moment de poilade. Il ne reste plus qu'à vous inviter sur les plateaux télé à la place de Pierre Charvet si on veut y entendre moins d'âneries !

4. Le mardi 22 juin 2010 à , par DavidLeMarrec

Oh, ce n'étaient pas des âneries, il a simplement tort de dire de si vilaines choses de Verdi (qui pour un nul, était tout de même un véritable novateur, dans le domaine assez inerte de l'opéra sérieux italien de l'époque).

Je confirme qu'on ne m'a pas invité, les vilaines gens que voilà !

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