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Die Winterreise - Stutzmann, Södergren - le retour (octobre 2006)

Un compte-rendu de Sylvie Eusèbe.


Paris, Cité de la Musique, Grande Salle, vendredi 13 octobre 2006, 20h.
Récital, Franz Schubert : ''Die Winterreise'' (le Voyage d’Hiver) D. 911
Nathalie Stutzmann : contralto ; Inger Södergren : piano

En 1827, un an avant la fin de sa courte vie, Franz Schubert compose les 24 lieder du Winterreise sur des poèmes de Wilhelm Müller. Chaque lied est un monde en soi, avec son histoire et son ambiance propres, et l’ensemble du cycle, dans la succession ordonnée des lieder, trace aussi un cheminement. L’histoire n’est pas racontée dans tous ses détails, des morceaux manquent et il y a des redites d’épisodes identiques qui ne sont pourtant pas strictement les mêmes. Une personne a aimé, aime encore, et s’en va du lieu où reste cet amour, où a été cet amour. De la réminiscence des moments de bonheur à la profonde mélancolie, de l’isolement parmi ses semblables à la solitude totale, de la fatigue au courage, de l’envie de la mort au dépassement de soi, le voyageur se libère de son humanité sensible, et selon l’état d’esprit de l’auditeur, entre tristement dans la mort, ou atteint avec sérénité l’infini.

Ce sont les images et les métaphores romantiques dans lesquelles la nature tient la première place que Müller convie pour exprimer l’état d’esprit du voyageur. L’arbre console et protège, à la chute de la dernière feuille est attaché le dernier espoir, l’eau des ruisseaux est porteuse de messages et se met à bouillonner en passant devant la maison de l’être aimé ; les animaux apparaissent sous forme de traces dans la neige, souvenir de ce qui a été à cet endroit mais qui n’y est plus, seuls corneilles et corbeaux accompagnent le voyageur et attendent son cadavre, la glace et le gel sont perçus comme figeant les sentiments et les corps dans une immobilité encore plus désirable que le dégel avec qui viendra l’oubli… Le solitaire trouve compréhension et apaisement dans la nature : vents, orages, feux follets et soleils se glissent dans le monde des humains, où poteau indicateur, malle-poste, auberge et village le rejettent.


La Cité de la Musique à Paris est un ensemble de bâtiments relativement récent puisqu’il date de 1995. La grande salle des concerts est contenue dans un cylindre ovale aux lignes simples. L’ambiance est feutrée, la lumière douce, la décoration très sobre : un parquet clair au sol, des fauteuils confortables en bois et velours bleu, des murs gris-vert foncé, un vaste orchestre, un balcon de forme rectangulaire s’inscrivant harmonieusement dans l’ovale du plan et derrière lequel de hauts caissons en bois sont éclairés d’une lumière bleue, au-dessus, une série de « loges » s’ouvrant sur la salle, et au plafond, un ensemble noir de passerelles métalliques, de poutrelles, de câbles et de rails de spots. L’arrière de la scène en bois est fermée sur toute sa largeur par un paravent, également en bois, décrivant une ample courbe derrière le piano Steinway noir au couvercle très rabattu. Plusieurs micros sont disposés pour le piano et la chanteuse : le récital est enregistré par France Musique qui le diffusera le mardi 21 novembre prochain à 15h. Bien au-dessus de la scène, un écran rectangulaire indique que le récital est surtitré.

Le public a autour de 60 ans et est majoritairement composé des « bo-bo » (bourgeois- bohême) parisiens. Pourtant quelques étrangers anglophones et quelques jeunes gens viennent apporter un peu de diversité. Remarquons que l’on ne « s’habille » pas pour un récital de lieder à la Cité de la Musique, cette « tradition » qui est encore un peu sensible à Paris dans les salles plus anciennes ou à l’Opéra, n’est pas appliquée ici.

La lumière baisse, il est 20h10, les deux musiciennes montent sur scène par la gauche, et se présentent devant la salle dont les 950 places sont toutes occupées. Pendant qu’elles saluent rapidement et sourient discrètement, de courts mais forts applaudissements les accueillent. Puis très vite, c’est le silence.

Nathalie Stutzmann est vêtue d’une belle redingote violette sur une chemise et un pantalon noirs. Taillée sur mesure, cet habit lui va très bien, et convient parfaitement au programme musical de ce soir.
Inger Södergren est quant à elle vêtue d’une robe noire aux manches d’organza. Elle se plonge dans la partition et entame énergiquement les premières notes du Gute Nacht.

Accrochée de sa main droite au piano, appuyée sur la jambe droite et la gauche un peu fléchie tel un marcheur arrêté dans son élan, la contralto chante sans partition « Fremd bin ich eingezogen, Fremd zieh ich wieder aus » (Etranger je suis venu, Etranger je repars). Le visage a une expression assez neutre et les yeux sont clos pendant presque tout ce premier lied. La voix si familière descend lentement en rebondissant légèrement sur les premières syllabes, le « s » de « aus » glisse doucement. Très concentrée en elle-même, adossée au piano, la chanteuse étend progressivement sa voix, l’envoie au devant du public, s’avance imperceptiblement vers lui. Elle ouvre les yeux sur un regard intense, et sourit aux images poétiques liées à la nature.

C’est avec confiance que je m’abandonne à cette voix sûre d’elle-même, c’est avec délice que j’en savoure l’extrême variété des nuances, c’est avec émerveillement que je détaille l’adéquation de la musique et de l’expression avec le sens des mots. Nathalie Stutzmann est particulièrement talentueuse dans le domaine de la narration et de l’expressivité, aussi le surtitrage en Français permet enfin de profiter pleinement de son art.

C’est la première fois que j’assiste à un récital surtitré, et je me demande pourquoi cette idée simple n’a pas semblé plus tôt évidente aux organisateurs. Cela est maintenant courant pour les opéras, et je trouve vraiment nécessaire que l’on fasse cet investissement pour les concerts et plus particulièrement pour les récitals de lieder ou de mélodies. Ce genre a la réputation d’être « difficile » : c’est un bon moyen d’attirer les spectateurs, cela met en valeur le travail des interprètes et sert totalement la musique en la rendant plus accessible puisque moins abstraite, directement reliée à l’histoire concrète qui nous est racontée avec l’expression des sentiments qu’elle suscite.

Le cycle se déroule lentement, et je retrouve avec grand plaisir la ligne musicale si souple de la chanteuse. L’agilité vocale se manifeste particulièrement dans des vers comme ceux de Die Krähe (la Corneille) où la facilité des changements de registres est impressionnante, ou bien encore dans Irrlicht (Feu follet) et Mut ! (Courage !) où malgré le dynamisme et la rapidité, la prononciation reste parfaite.

Les accents particuliers et si personnels à Nathalie Stutzmann sont répartis avec intelligence dans chaque lied. Je remarque que les forte dans les aigus (Wasserflut (le Dégel)) ne me donnent plus l’impression d’être un peu agressifs : les notes sont bien posées et entièrement pleines, les fréquences obtenues provoquent des frissons !
Les voyelles tenues filent longuement, elles « traînent » fascinantes, et le crescendo ou le decrescendo qui les accompagnent donnent le vertige (Die Wetterfahne (la Girouette)), le « ü » de « müd’ » dans Rast (Repos) qui s’envole léger.

Des consonnes toutes seules sonnent avec pureté : le premier « n » » de « Nun » au début de la dernière strophe de der Lindenbaum (le Tilleul), ou se détachent avec netteté : le « b » de « Grab » à la toute fin de Irrlicht (Feu follet), le « k » final du « zurük » de der Wegweiser (le poteau indicateur).

Certains mots sont chantés ou dits d’une manière remarquable : dans Auf dem Flusse (Au bord de la rivière), le « Bache » avec un « ch » pas trop dur qui amène le « e » à la fois retenu et coupé court, et les premières lettres des deux mots « dein Bild », accentuées, scandées, pour donner tout le poids nécessaire à « l’image » dramatique de ce cœur. Dans das Wirtshaus (l’Auberge), le dernier vers « Mein treuer Wanderstab ! » (Mon fidèle bâton de pèlerin !) est particulièrement appuyé, lourd à porter.

L’extrême élégance de certaines mélodies fait naître du phrasé une « beauté plastique » véritablement palpable. Cela est très net dans les derniers vers de Frühlingstraum (Rêve de printemps) ou dans le séduisant Täuschung (Illusion).

Inger Södergren elle aussi chante, et parfois un peu fort, si bien que de ma très bonne place au premier rang de l’orchestre, légèrement sur la droite, je l’entends parfaitement ! Elle chante ce qu’elle joue, et ses lèvres bougent au gré des accords de son piano.
Ainsi « attablée » devant son instrument, elle est toute à son art. Son jeu réagit immédiatement aux plus infimes variations de la chanteuse. L’introduction au piano seul des lieder est souvent forte et décidée. Inger Södergren passe en un éclair au mezzo-piano pour ne pas couvrir l’entrée de la voix. Son piano prend lui aussi des intonations qui soulignent le sens du texte : je n’avais jamais remarqué dans Gefrorne Tränen (Larmes gelées) comme les notes du piano tombent littéralement comme des gouttes.
Tantôt percussion, tantôt souple et mélodique, le piano d’Inger Södergren a aussi sa vie propre, et pourtant il se mélange au chant avec poésie et précision. J’ai vraiment admiré plus que les fois précédentes la parfaite concordance entre les deux musiciennes. Cela est particulièrement frappant lors des très nombreux ralentis, à mon avis plus marqués que lors du récital de Bordeaux en novembre 2005, ou que sur le CD. La contralto renforce ainsi le contraste, relance la mélodie et accentue les sentiments (Gefrorne Tränen (Larmes gelées), Rast (Repos), Täuschung (Illusion)).

Certains lieder sont rapidement enchaînés, mais lorsque cela n’est pas le cas, pendant les quelques secondes de silence, ou pendant la pause un peu plus longue que les musiciennes marquent après Einsamkeit, je constate avec déplaisir que le public parisien est un des plus bruyant qui soit ! Que l’on tousse sèchement ou grassement, on ne le fait pas discrètement, et on se mouche même fort grossièrement… Pourtant ce public, qui semble bien connaître l’œuvre et ses interprètes, est très attentif, et bien sûr pendant la musique, il ne fait heureusement pas un bruit.

Lorsqu’elle chante, Nathalie Stutzmann bouge assez peu, néanmoins toute son attitude souligne ce qu’elle dit. Pendant le cycle, son apparence se modifie rapidement au gré du propos. Aux évocations les plus vives et joyeuses, elle accompagne la musique de mouvements brefs du buste ou de la tête. Le lied le plus « dynamique » de ce point de vue est sans doute der stürmische Morgen, ce matin orageux est très vivant, il entraîne une grande agitation, mais sans excès dramatique, puisqu’il est chanté sur un ton entre sérieux et plaisanterie.

Lors des traits plus mélancoliques, la contralto se rapproche un peu du public, le buste en avant, et souligne les mots d’une main ouverte vers le haut, le regard soucieux, mais avec un dramatisme toujours retenu.

Et enfin, les lieder qui demandent la plus grande intériorisation sont chantés presque sans mouvements. Nathalie Stutzmann se redresse et bien droite contre le piano, les yeux souvent fermés, chante sobrement. Elle marque par cette attitude la distance de plus en plus grande qui sépare le voyageur de l’agitation du monde. C’est le cas dès Einsamkeit (Solitude), ce douzième lied qui marque la moitié du cycle et annonce déjà sa fin. Malgré le calme, on sent ici une résignation qui ne se retrouvera plus après, même pas dans das Wirtshaus (l’Auberge), où la sérénité apparaît nettement avant de laisser la place à une fermeté et à une force renouvelée. Et puis, bien sûr pour finir, il y a ce Leiermann (le Joueur de vielle), détaché de tout. La chanteuse, le visage reposé et les yeux fermés, recouvre l’espace de cette musique lancinante. Elle se matérialise presque et plane, immobile comme la brume.

La ritournelle du joueur de vielle s’interrompt sans qu’on n’y prenne garde, elle est conclue par le « e » tenu de « dreh’n », ce son plein et hypnotique balaye la salle en un magnifique crescendo-decrescendo.

Le public applaudit très vite et éclate dans une belle ovation ! Nathalie Stutzmann a visiblement besoin de quelques secondes pour quitter le monde où elle vient de nous emmener ; Inger Södergren lui sourit légèrement et la regarde presque avec inquiétude. Mais les spectateurs ne leur laissent guère le temps de se reprendre, de très nombreux bravos fusent avec force de tous côtés, des applaudissements extrêmement nourris assaillent les deux artistes. L’air un peu timide, elles échangent quelques mots et saluent simplement. Le public les rappelle trois ou quatre fois, il les remercie avec des applaudissements et des bravos toujours aussi enthousiastes. Elles sourient et saluent modestement.

A ma connaissance, c’est le premier Winterreise que ces deux artistes donnent à Paris. Bien qu’elles le jouent en public, à l’étranger et en France, depuis déjà 3 ou 4 ans, et qu’elles l’aient enregistré en 2003, à l’émotion de Nathalie Stutzmann, j’ai senti qu’il était important pour elles que l’accueil parisien soit très chaleureux. Elles peuvent être rassurées et heureuses, cela a été le cas.

Leur vision de ce Winterreise m’a semblée très sereine, calme et sans aucune violence. Leur grande énergie, leur investissement, leur volonté, traduisent la force et le dramatisme aussi bien que l’introspection et le retirement en soi-même. Mais aucun accent de la contralto, aucun accord de la pianiste ne permettent de sentir l’impatience, l’énervement, le combat ou la colère. Elles n’ont plus rien à prouver, ni à se prouver ; la musique de Schubert se diffuse en nous, pure et libre.

Sylvie Eusèbe, 14-15 octobre 2006.

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Commentaires

1. Le vendredi 20 octobre 2006 à , par Faust

Je n'avais pu aller à ce récital. En lisant ce magnifique compte-rendu, j'ai presque l'impression d'y être un peu !

2. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

N'est-ce pas ?

Sylvie est une dangereuse multirécidiviste (voir le premier commentaire).

3. Le samedi 21 octobre 2006 à , par Faust

La description du public parisien est savoureuse !

Le surtitrage en concert me semble une (excellente) idée de Laurent Bayle qui le pratique aussi à Pleyel. Mais, il y a encore des résistances ... Radio France a fait très fort hier soir ! Pour la scène finale de Capriccio avec Soile Isokoski, pas de surtitrage et pas même (comme ils font pourtant d'habitude) le texte dans le programme !

4. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

C'est dommage, et il ne faut pas s'étonner que les gens s'ennuient et désertent les récitals.
Cela dit, on ne profite pleinement de ce genre de liederabend que lorsqu'on possède pleinement les textes, et le surtitrage ne doit pas dispenser, lorsque c'est possible, d'une petite plongée dans l'univers poétique de ces mélodies avant le concert.
Pour autant, tout le monde n'a pas le loisir ni l'envie de le faire, et le surtitrage est plus que bienvenu, y compris pour les "habitués" qui ne connaissent pas tous les textes ou en oublient des morceaux.

5. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Sylvie !


Sur le Winterreise

Très belle présentation du cycle !

En 1827, un an avant la fin de sa courte vie, Franz Schubert compose les 24 lieder du Winterreise sur des poèmes de Wilhelm Müller. Chaque lied est un monde en soi, avec son histoire et son ambiance propres, et l’ensemble du cycle, dans la succession ordonnée des lieder, trace aussi un cheminement. L’histoire n’est pas racontée dans tous ses détails, des morceaux manquent et il y a des redites d’épisodes identiques qui ne sont pourtant pas strictement les mêmes.

C'est tout à fait exact, un parcours fragmenté, avec ses ressassements (qui ne sont pas toujours sans rapport avec une forme de lieu commun poétique), ses discontinuités, ses allusions impossibles à reconstituer pleinement.


Une personne a aimé, aime encore, et s’en va du lieu où reste cet amour, où a été cet amour. De la réminiscence des moments de bonheur à la profonde mélancolie, de l’isolement parmi ses semblables à la solitude totale, de la fatigue au courage, de l’envie de la mort au dépassement de soi,

Le dépassement de soi est tout de même inscrit dans une démesure un peu grotesque, qui ne peut que retomber dans l'espace béant entre deux lieder. Je pense par exemple à Mut !, qui voisine avec l'abattement amer des Nebensonnen : Sind wir selber Götter ! ("Soyons nous-mêmes des dieux" !) n'est absolument pas crédible dans ce parcours.
On ne peut relier ce désir à aucune pensée exprimée précédemment. On ne se trouve pas exclusivement dans le désir ravageur d'un nihilisme intégral, qui me semblerait une interprétation un peu osée de Müller. Il s'agit plutôt d'une tentative - vaine - de tirer parti de cette solitude intégrale, évoquée par les éléments contraires (Fliegt der Schnee mir ins Gesicht) : chaque homme règne, seul et sans partage, sur sa solitude. Le silence entre Mut et Die Nebensonnen contient donc implicitement la désillusion : ce n'est pas un règne mais une condamnation.
En cela, la progression instaurée par l'ordre choisi et la musique de Schubert est absolument phénoménale, et ce n'est pas pour rien que le Winterreise fascine autant - sans commune mesure avec les trois autres cycles (Abendrote, Müllerin, Schwan) -, indépendamment de ses qualités mélodiques évidentes.

Par ailleurs, la ritournelle infinie de Mut ! confirme cette impression de grotesque (il faut entendre Naum Grubert là-dedans, absolument).


le voyageur se libère de son humanité sensible, et selon l’état d’esprit de l’auditeur, entre tristement dans la mort, ou atteint avec sérénité l’infini.

J'ai bel et bien l'impression qu'on accoste au port d'où nul ne revient, terrassé par la fatigue, mais sans tristesse. Ce vieillard joueur de vielle, image de la mort, est aussi celui qui met en musique le parcours, celui qui rend le cycle comme infini.


Ce sont les images et les métaphores romantiques dans lesquelles la nature tient la première place que Müller convie pour exprimer l’état d’esprit du voyageur. L’arbre console et protège, à la chute de la dernière feuille est attaché le dernier espoir, l’eau des ruisseaux est porteuse de messages et se met à bouillonner en passant devant la maison de l’être aimé ; les animaux apparaissent sous forme de traces dans la neige, souvenir de ce qui a été à cet endroit mais qui n’y est plus, seuls corneilles et corbeaux accompagnent le voyageur et attendent son cadavre, la glace et le gel sont perçus comme figeant les sentiments et les corps dans une immobilité encore plus désirable que le dégel avec qui viendra l’oubli… Le solitaire trouve compréhension et apaisement dans la nature : vents, orages, feux follets et soleils se glissent dans le monde des humains, où poteau indicateur, malle-poste, auberge et village le rejettent.

Très, très bien vu.

(Attention, toutefois : il n'y a pas d'auberge, mais un cimetière au titre ironique. C'est pire encore : même le cimetière ne l'accepte pas parmi les hommes. On retourne au Wildes Tritt.)

6. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Sur les conditions du concert

La Cité de la Musique à Paris est un ensemble de bâtiments relativement récent puisqu’il date de 1995.

Et assez excentré pour les malheureux parisiens qu'on ne plaindra jamais assez.


La grande salle des concerts est contenue dans un cylindre ovale aux lignes simples. L’ambiance est feutrée, la lumière douce, la décoration très sobre : un parquet clair au sol, des fauteuils confortables en bois et velours bleu, des murs gris-vert foncé, un vaste orchestre, un balcon de forme rectangulaire s’inscrivant harmonieusement dans l’ovale du plan et derrière lequel de hauts caissons en bois sont éclairés d’une lumière bleue, au-dessus, une série de « loges » s’ouvrant sur la salle, et au plafond, un ensemble noir de passerelles métalliques, de poutrelles, de câbles et de rails de spots. L’arrière de la scène en bois est fermée sur toute sa largeur par un paravent, également en bois, décrivant une ample courbe derrière le piano Steinway noir au couvercle très rabattu.

Très rabattu ? C'est-à-dire juste entrebâillé, comme pour beaucoup de récitals de lied ?


[quoe]Plusieurs micros sont disposés pour le piano et la chanteuse : le récital est enregistré par France Musique qui le diffusera le mardi 21 novembre prochain à 15h. Bien au-dessus de la scène, un écran rectangulaire indique que le récital est surtitré.Voir les commentaires précédents. Une bonne idée, assurément.


Le public a autour de 60 ans et est majoritairement composé des « bo-bo » (bourgeois- bohême) parisiens.

C'est-à-dire ? On met un peu tout autour de cette dénomination.
C'est du genre à déverser doctement des bêtises à l'entracte et à ronfler pendant le concert ? :-)


Pourtant quelques étrangers anglophones et quelques jeunes gens viennent apporter un peu de diversité. Remarquons que l’on ne « s’habille » pas pour un récital de lieder à la Cité de la Musique, cette « tradition » qui est encore un peu sensible à Paris dans les salles plus anciennes ou à l’Opéra, n’est pas appliquée ici.

Et alors en province... :D Moi-même, j'estime que le concert est avant tout un service offert, et que le tenue du public ne gêne pas la tenue musicale et visuelle du concert. Surtout, il m'est souvent bien plus pratique d'accourir directement sans devoir mettre une cravate qui me contraindrait pendant le concert.

Pour le dernier récital Bartoli (Salieri/Freiburger), nous avions eu une invitation de comité d'entreprise, pour des gens qui n'avaient pas mis les pieds à l'opéra depuis au moins quinze ans... tous en noeud papillon. Ils avaient l'air ridiculement endimanchés, tellement chacun vient désormais dans sa tenue habituelle.
Je me souviens d'un T-shirt "Superman", de sandales diverses, etc.

Et c'est très bien comme cela, la musique n'a nul besoin de cérémonies superflues, surtout dans la salle.


La lumière baisse, il est 20h10, les deux musiciennes montent sur scène par la gauche, et se présentent devant la salle dont les 950 places sont toutes occupées.

C'est pas juste, il paraît qu'il n'y avait personne aux Frauenliebe de Goerne !

7. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Contenu du concert

Accrochée de sa main droite au piano, appuyée sur la jambe droite et la gauche un peu fléchie tel un marcheur arrêté dans son élan, la contralto chante sans partition

Encore heureux ! A ce niveau, le support de la partition est rare. Je n'ai rien contre, au demeurant, et moi-même, je tiens trop au contact avec le texte pour m'en séparer, mais, à l'usage, on se rend compte que leur formation les incite au par coeur, ce qui implique que la présence de la partition indique avec certitude une pièce moins bien sue.
Il peut y avoir des merveilles avec (les poèmes de l'Intermezzo de Ropartz par Nicolas Testé), ou des catastrophes. Souvenir pénible des Chabrier de Victor Torres, en état de déchiffrage avancé, précautionneux, détimbrés, la partition sur les genoux, dans laquelle il s'abîmait comme pour cacher sa honte.


« Fremd bin ich eingezogen, Fremd zieh ich wieder aus » (Etranger je suis venu, Etranger je repars). Le visage a une expression assez neutre et les yeux sont clos pendant presque tout ce premier lied. La voix si familière descend lentement en rebondissant légèrement sur les premières syllabes, le « s » de « aus » glisse doucement. Très concentrée en elle-même, adossée au piano, la chanteuse étend progressivement sa voix, l’envoie au devant du public, s’avance imperceptiblement vers lui. Elle ouvre les yeux sur un regard intense, et sourit aux images poétiques liées à la nature.

Ce doit être une épreuve de chanter devant vous... Pas intérêt à manger une moitié de consonne !

C’est avec confiance que je m’abandonne à cette voix sûre d’elle-même, c’est avec délice que j’en savoure l’extrême variété des nuances,

[grommellement] Bonne nouvelle, car il s'agit bien là de nouveau. :-)

C’est la première fois que j’assiste à un récital surtitré, et je me demande pourquoi cette idée simple n’a pas semblé plus tôt évidente aux organisateurs. Cela est maintenant courant pour les opéras, et je trouve vraiment nécessaire que l’on fasse cet investissement pour les concerts et plus particulièrement pour les récitals de lieder ou de mélodies. Ce genre a la réputation d’être « difficile » : c’est un bon moyen d’attirer les spectateurs, cela met en valeur le travail des interprètes et sert totalement la musique en la rendant plus accessible puisque moins abstraite, directement reliée à l’histoire concrète qui nous est racontée avec l’expression des sentiments qu’elle suscite.

Tout à fait exact, j'approuve sans autre réserve que l'encouragement à se plonger aussi dans les textes avant le récital. Mais on n'a pas forcément la liste précise, on n'a pas forcément le temps ni l'envie, on ne le sait pas nécessairement, et le surtitrage ne cause de préjudice à personne, bien au contraire.
A la rigueur pourrait-on plaider une perte de sobriété, mais pour combien de happy few !

Il faudrait déjà que certains théâtres surtitrent les opéras en français (oui, je sais, c'est bien triste) avant qu'ils osent penser aux récitals...

Une chose intéressante à faire serait de l'indiquer sur les publicités : "opéra/récital surtitré en français", ce pourrait inciter des publics à découvrir. Et pourquoi pas des avant-concert d'une demi-heure réservés au néophytes, petites conférences gratuites de jeunes diplômés en musicologie bénévoles ? [oui, je sais, ce cursus ne forme pas nécessairement des jeunes gens volontaires et brillants]
De façon à ce que chacun ose pousser la porte sans avoir peur d'être perdu. On ne martèlera jamais assez que l'opéra n'est réservé à personne - et ce n'est jamais dit, y compris dans l'affichage publicitaire parfaitement inoffensif...


Le cycle se déroule lentement, et je retrouve avec grand plaisir la ligne musicale si souple de la chanteuse.

No comment. :-)

Les accents particuliers et si personnels à Nathalie Stutzmann sont répartis avec intelligence dans chaque lied.

C'était un peu l'impression que j'avais eue : saupoudrage d'effets un peu partout...


Les voyelles tenues filent longuement, elles « traînent » fascinantes, et le crescendo ou le decrescendo qui les accompagnent donnent le vertige (Die Wetterfahne (la Girouette)), le « ü » de « müd’ » dans Rast (Repos) qui s’envole léger.

J'aime mieux la traduction "Pause", qu'on rencontre parfois. Moins exacte, mais plus proche des connotations, il me semble. Puisqu'ici, il ne s'agit pas de mort, mais d'interruption.


ou se détachent avec netteté : le « b » de « Grab »

Qui est un

. <]:o)

L’extrême élégance de certaines mélodies fait naître du phrasé une « beauté plastique » véritablement palpable.

M-m-m-m, m-m-m-m, m-m-m-m, m-m-m-m. Comme dirait Papageno.

Inger Södergren elle aussi chante, et parfois un peu fort, si bien que de ma très bonne place au premier rang de l’orchestre,

Ailleurs, vous risqueriez le lynchage, il paraît qu'on ne peut pas rendre compte d'un concert si près. Pour ma part, si je préfère être un poil derrière, je trouve que c'est de l'ergotage et que subir les déformations de la salle n'est pas forcément mieux.
[mode vieilles blessures on]Mais peut-être est-ce parce que j'ai fréquenté des lieux et revues où règnent quelques mal embouchés.[off]

D'ailleurs, je suis toujours très amusé lorsque des carnetistes me trouvent la dent dure, parce que, tout en m'efforçant de toujours argumenter et nuancer mes réserves, je sais que je passe pour le "ravi de la crèche" de service dans certains endroits infréquentables. :-) Tout est si relatif, nous sommes si peu de chose, Dieu nous juge, il n'y a plus de saisons, ma bonne dame.

légèrement sur la droite, je l’entends parfaitement ! Elle chante ce qu’elle joue, et ses lèvres bougent au gré des accords de son piano.
Ainsi « attablée » devant son instrument, elle est toute à son art. Son jeu réagit immédiatement aux plus infimes variations de la chanteuse. L’introduction au piano seul des lieder est souvent forte et décidée. Inger Södergren passe en un éclair au mezzo-piano pour ne pas couvrir l’entrée de la voix. Son piano prend lui aussi des intonations qui soulignent le sens du texte : je n’avais jamais remarqué dans Gefrorne Tränen (Larmes gelées) comme les notes du piano tombent littéralement comme des gouttes.

Oui, elle a une approche pas toujours musicalement parfaite, mais diablement originale. C'est assez vivifiant.

Certains lieder sont rapidement enchaînés, mais lorsque cela n’est pas le cas, pendant les quelques secondes de silence, ou pendant la pause un peu plus longue que les musiciennes marquent après Einsamkeit, je constate avec déplaisir que le public parisien est un des plus bruyant qui soit ! Que l’on tousse sèchement ou grassement, on ne le fait pas discrètement, et on se mouche même fort grossièrement…

Il faut venir à Bordeaux : les spectateurs bruyants sont morts depuis longtemps, si j'en crois la salle clairsemée et le silence quasi funèbre. :-)

Lorsqu’elle chante, Nathalie Stutzmann bouge assez peu, néanmoins toute son attitude souligne ce qu’elle dit.

Je n'avais pas été très enthousiaste par ce jeu, qui est en décalage avec le caractère poétique, et non dramatique, du lied, qui me semble superflu. Toutefois, c'est fait avec justesse, pas envahissant, et ne gêne en rien.

et souligne les mots d’une main ouverte vers le haut, le regard soucieux, mais avec un dramatisme toujours retenu.

C'est exactement cela. C'est pour le moins spécial.

Pendant le cycle, son apparence se modifie rapidement au gré du propos. Aux évocations les plus vives et joyeuses, elle accompagne la musique de mouvements brefs du buste ou de la tête. Le lied le plus « dynamique » de ce point de vue est sans doute der stürmische Morgen, ce matin orageux est très vivant, il entraîne une grande agitation, mais sans excès dramatique, puisqu’il est chanté sur un ton entre sérieux et plaisanterie.

Oui, il est vrai qu'il y a cela, souvent des contrepieds d'avec la tradition sur l'ambivalence ironie-sérieux. Einsamkeit totalement premier degré, et à d'autres moments, des morsures imprévues. C'est l'aspect le plus réussi de son travail à mon sens.

C’est le cas dès Einsamkeit (Solitude), ce douzième lied qui marque la moitié du cycle et annonce déjà sa fin.

La grande réussite de son Winterreise, incontestablement, que ce douzième.


La ritournelle du joueur de vielle s’interrompt sans qu’on n’y prenne garde, elle est conclue par le « e » tenu de « dreh’n », ce son plein et hypnotique balaye la salle en un magnifique crescendo-decrescendo.

Une messa di voce ! Mazette, elle a fait de gros progrès, si elle en est là.

Le public applaudit très vite

Qu'en avez-vous conclu ? La corde, ou la roue ?

et éclate dans une belle ovation ! Nathalie Stutzmann a visiblement besoin de quelques secondes pour quitter le monde où elle vient de nous emmener ; Inger Södergren lui sourit légèrement et la regarde presque avec inquiétude. Mais les spectateurs ne leur laissent guère le temps de se reprendre, de très nombreux bravos fusent avec force de tous côtés, des applaudissements extrêmement nourris assaillent les deux artistes. L’air un peu timide, elles échangent quelques mots et saluent simplement. Le public les rappelle trois ou quatre fois, il les remercie avec des applaudissements et des bravos toujours aussi enthousiastes. Elles sourient et saluent modestement.

Oui, public assez expansif que celui de Paris. On est prompt aux hourras (ce qui est une bonne chose) ou aux conspuations hors de propos (ce qui en est une nettement moins bonne).


la musique de Schubert se diffuse en nous, pure et libre.

Heureux de constater, à vous lire, qu'elle a desserré l'étreinte qui la contraignait.


Merci pour ce très beau compte-rendu, toujours aussi prodigue, précis, pédagogique et stimulant !

8. Le samedi 21 octobre 2006 à , par Bajazet

C'est un plaisir de lire le compte rendu et les commentaires en réponse. Merci.

Souvenir désolé d'un des derniers récitals de lied par Margaret Price à Gaveau (programme Goethe : Mendelssohn, Schubert, Schumann). Avec ses partitions, et pas très concentrée, d'où fautes fréquentes. :-(

Quant au climat funèbre des récitals de lied au Grand-Théâtre… ;-)
Mais quand l'Opéra de Bordeaux montera-t-il La Ville morte ? 8-)

9. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Souvenir désolé d'un des derniers récitals de lied par Margaret Price à Gaveau (programme Goethe : Mendelssohn, Schubert, Schumann). Avec ses partitions, et pas très concentrée, d'où fautes fréquentes. :-(

En revanche, quelques très beaux Rückert, le nez dans la partition, mais avec quelle grâce ! Un peu flou côté diction, peut-être, mais très incarné.

Quant au climat funèbre des récitals de lied au Grand-Théâtre… ;-)

M'en fiche, tant qu'il y a des places. Et puis les souvenirs de très beaux moments de Goerne, Kirchschlager, Testé ; sans compter le concert du Choeur de Chambre de la radio lettone, avec des pièces épatantes de Vasks, Dzenitis et Tormis, tenu devant à peine plus d'une cinquantaine de personnes (le seul concert exaltant de l'année avec le Testé, soit dit en passant).

Cette année, on a Dame Felicity dans un beau programme, alors on ne se plaint pas, même si l'Empereur Ouf1er nous a mis en garde contre son état vocal actuel - qui n'a pas jusque là transparu dans ses derniers récitals radiodiffusés. Notamment le grand trafic avec Graham Johnson, le panachage narratif Frauenliebe/Wolf.


Mais quand l'Opéra de Bordeaux montera-t-il La Ville morte ? 8-)

Lorsqu'il y aura de l'ombre (et plus du tout de vent) à Toulouse. [Je n'ai rien vu venir à ce propos, pas de compte-rendu en perspective ? Si c'est par peur de bouziller la ligne éditoriale de Licida, tu as un hébergement tout trouvé. <]8-) ]

10. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Après vérification, je n'ai rien dit. :-)

11. Le samedi 21 octobre 2006 à , par Bajazet

Au fait, je viendrai m'enquiller le spectacle Delunsch…
ossia : Cléopâtre au téléphone

"C'en est donc fait ! ma ligne est saturé-euh…

Allô ? allô ! Mademoiselle, nous sommes plusieurs momies sur la ligne !"

12. Le samedi 21 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Bell... qui sauva ses jours...

Parfait !

Comme tu me l'avais laissé plus ou moins penser et que je ne savais pas si tu serais rentré pour la dernière, je me suis dispensé du déplacement pour la Frosch. Je l'entendrai sur FM.

13. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par Faust

La conférence gratuite avant le spectacle est parfois pratiquée ! C'est un peu ce que fait Gérard Mortier avec ses Pleins Feux la veille de la première d'un opéra ou d'un ballet. Le metteur en scène ou le chorégraphe y est invité ainsi que le chef ou un musicologue. Cela dure une bonne heure et attire, je pense, 200-250 personnes. Mais, il me semble que ce sont plutôt des habitués et passionnés d'opéra qui viennent. Assez curieusement, la réservation sur le net est vite complète alors qu'il y a toujours des places disponibles.

Elargir le public d'opéra ou de concert n'est pas facile. Même s'il y a des raisons "culturelles", je pense tout de même que le prix des places constitue un frein très important. Le coût pour un couple avec plusieurs enfants n'est pas loin d'être prohibitif !

14. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par Bajazet

"Même s'il y a des raisons "culturelles", je pense tout de même que le prix des places constitue un frein très important. Le coût pour un couple avec plusieurs enfants n'est pas loin d'être prohibitif !"

C'est aussi mon avis. Vu récemment aux caisses du Capitole un jeune couple (manifestement novice pour l'opéra) déconfit quand on leur a annoncé le prix des rares places disponibles : 93 et 73 euros (sachant que le paradis était à 34 euros et l'amphithéâtre à 45)

15. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Faust :
La conférence gratuite avant le spectacle est parfois pratiquée ! C'est un peu ce que fait Gérard Mortier avec ses Pleins Feux la veille de la première d'un opéra ou d'un ballet. Le metteur en scène ou le chorégraphe y est invité ainsi que le chef ou un musicologue. Cela dure une bonne heure et attire, je pense, 200-250 personnes. Mais, il me semble que ce sont plutôt des habitués et passionnés d'opéra qui viennent.

Oui, c'est exactement le problème de ce genre de manifestations, et les habitués n'en sont, de ce fait, pas toujours satisfaits.
Je pensais à une petite présentation une demie-heure avant le spectacle (pas besoin de se déplacer exprès), explicitement prévue pour décomplexer ceux qui n'y encadrent rien. :-)

Et puis franchement, la publicité avec le nom de l'opéra, parfois des interprètes... à part des passionnés, qui voulez-vous que ça attire ?
Il faudrait mettre des choses du genre "machin, spécialiste international du lied chez Zemlinsky, se trouve à Bordeaux, chance unique, très belle voix, il faut l'entendre une fois dans sa vie, tout le monde peut y avoir droit", je ne sais pas, moi, des choses qui donnent l'impression qu'il y a une occasion à saisir, et que tout le monde peut le faire. Je trouve les publicités pour steak haché chez Leclerc infiniment plus motivantes...
Evidemment, on ne touchera qu'un public déjà sensible à l'argument culturel, on ne peut pas promettre la ligne gratuite (autre que la ligne 8) à l'entrée.


Elargir le public d'opéra ou de concert n'est pas facile. Même s'il y a des raisons "culturelles", je pense tout de même que le prix des places constitue un frein très important. Le coût pour un couple avec plusieurs enfants n'est pas loin d'être prohibitif !

Tout dépend dans quelle ville, pour quel programme, à quelle fréquence, et pour quel effectif. Mettons un couple (les enfants, on les confie à l'entrée du théâtre, ou à défaut à la belle-mère, et hop) pour un opéra. Il est possible d'obtenir, dans la plupart des théâtres, des places à prix raisonnable.
Prenons le paradis à Toulouse : on y entend très bien. On est un peu loin, c'est vrai, mais rien de rédhibitoire. Le tarif est tout à fait abordable, si on compare à une entrée en boîte de nuit par semaine, ou à un concert de Madonna. Evidemment, y aller toutes les semaines au parterre, c'est plus compliqué.

Si on potasse un peu les brochures, on peut trouver des combines pour s'en sortir à prix raisonnable. Vu l'ampleur du spectacle, c'est tout à fait proportionné.

Ensuite, on peut en effet réfléchir s'il ne faudrait pas en passer encore un peu plus dans les impôts et un peu moins dans le prix des billets, mais c'est un autre débat.

Je crois que le problème central est qu'on n'a pas l'idée que l'opéra est une chose accessible. Que c'est un groupe fermé, auquel on n'a pas le droit d'appartenir.
C'est le cas d'à peu près tous les gens que je connais. On ne se pose même pas la question de ce que c'est ; c'est ailleurs. Des gens par ailleurs cultivés ou curieux, mais l'idée même que ce puisse être accessible... non.
C'était aussi mon cas avant que je me mette à l'opéra. C'était abstrait, incompréhensible, vague, compliqué, inaccessible, inconnu, oui, sans doute. Mais surtout, on n'y pensait même pas. Je suis tombé dans la soupe par le plus grand des hasards, en achetant un disque (d'extraits) du Messie, parce que j'avais lu le nom quelque part, sans trop me souvenir où. Ce n'était pas cher, j'ai essayé, par pure curiosité et dans l'idée qu'après une écoute, je pourrais le ranger au fond d'un placard avec la tranquillité de connaître.


Bajazet :
C'est aussi mon avis. Vu récemment aux caisses du Capitole un jeune couple (manifestement novice pour l'opéra) déconfit quand on leur a annoncé le prix des rares places disponibles : 93 et 73 euros (sachant que le paradis était à 34 euros et l'amphithéâtre à 45)

S'il ne se décourage pas, il peut, la prochaine fois, s'y prendre à l'avance et obtenir des tarifs plus raisonnables. C'est bien une question d'investissement, et c'est pour cela que l'opéra est difficile d'accès. Il n'y a pas que les méandres des tarifs dont il faut sortir vainqueur, mais aussi de la "manière lyrique" des voix, des différents styles, de la langue, des conventions, de la longueur...
Je crois plus à l'obstacle culturel qu'à autre chose. Les récitals d'opéra de Callas sont infiniment moins chers que ceux de Zazie... comment expliquez-vous, si c'est d'abord le prix qui fait obstacle, et pas la méconnaissance ou la peur, qu'ils ne se vendent pas mieux ?

16. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par Faust

Vaste débat ! Le prix est bien un obstacle ! Il y a quelques jours je signale à une personne avec qui je travaille la reprise des Paladins que le Châtelet brade à moitié prix, mais tout de même à 60 euros sur Lastminute (son mari pratique le violon en amateur et leurs deux petites filles suivent des cours de violon). Réponse : 240 euros, vous y allez fort ! Je n'ai pas su quoi répondre ! Le nombre de places à prix raisonnables n'est pas non plus illimité.

Pourquoi y a-t-il autant de retraités dans les concerts ? Ils ont le temps et, pour certains, les moyens. Le public du Winterreise est sans doute un peu différent, plus "choisi" et puis La Villette opère une autre sélection par le trajet ... ce qui conduit aussi à des salles peu remplies (les Haydn de Brüggen récemment).

Radio France donne depuis quelques années des concerts où les enfants peuvent venir accompagnés de leurs parents pour un prix très modeste. Chung en est l'initiateur. Les oeuvres sont présentées et c'est bien le chef qui donnera ensuite le concert public qui dirige et non un assistant. Je n'ai jamais compris pourquoi on ouvrait pas plus facilement l'accès aux répétitions des orchestres !

La saison passée, Mortier a fait une publicité effrénée pour Cardillac ! Il a effectivement rempli Bastille. Je me demande quand même si Hindemith est la meilleure voie d'accès à l'opéra !

Mais, je ne nie point les obstacles culturels qui sont bien réels. J'ai moi-même mis quelques temps avant d'oser me risquer, il y a bien longtemps, à Garnier pour la demi-tétralogie de Liebermann !

La grande question c'est d'attirer. Après, je suis d'accord, si on aime vraiment, on trouvera généralement les moyens pour y aller !

17. Le dimanche 22 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Vaste débat ! Le prix est bien un obstacle ! Il y a quelques jours je signale à une personne avec qui je travaille la reprise des Paladins que le Châtelet brade à moitié prix, mais tout de même à 60 euros sur Lastminute (son mari pratique le violon en amateur et leurs deux petites filles suivent des cours de violon). Réponse : 240 euros, vous y allez fort ! Je n'ai pas su quoi répondre !

Je n'ai pas dit que le prix n'était pas un obstacle. Je dis qu'il est un obstacle très secondaire à l'ouverture de l'opéra sur d'autres publics. Le prix est une limite de quantité pour ceux qui aiment déjà, surtout.


Le nombre de places à prix raisonnables n'est pas non plus illimité.

A Paris, c'est sans doute un réel problème, et pour le coup, on n'a pas nécessairement besoin de faire trop de rabattage - ou alors il faut employer la méthode Mortier, virer les vieux abonnés pour laisser de la place aux nouveaux publics. Dans d'autres villes, le remplissage n'est pas toujours facile.
On m'avait dit qu'il restait pas mal de places pour Frosch à Toulouse. Et à Bordeaux, à part pour le baroque, Traviata et Don Giovanni, rien ne se remplit. Même pour Roméo & Juliette ou Così fan tutte, il reste des places le soir même.


Radio France donne depuis quelques années des concerts où les enfants peuvent venir accompagnés de leurs parents pour un prix très modeste. Chung en est l'initiateur. Les oeuvres sont présentées et c'est bien le chef qui donnera ensuite le concert public qui dirige et non un assistant. Je n'ai jamais compris pourquoi on ouvrait pas plus facilement l'accès aux répétitions des orchestres !

Parce qu'on a peur de voir comment ils travaillent, et de montrer pourquoi les cornistes qui font des pains agressent les abonnés qui le font remarquer ?


La saison passée, Mortier a fait une publicité effrénée pour Cardillac ! Il a effectivement rempli Bastille. Je me demande quand même si Hindemith est la meilleure voie d'accès à l'opéra !

C'est encore une autre affaire... Tout dépend pour quel public. Selon d'où l'on vient, on reçoit plus ou moins bien tel ou tel genre.
Pour les amateurs de rock alternatif, Le Grand Macabre est plus accessible que Rodelinda.


La grande question c'est d'attirer. Après, je suis d'accord, si on aime vraiment, on trouvera généralement les moyens pour y aller !

Et c'est le moment de poser la question qui tue : est-il vraiment nécessaire d'inciter les gens à aller à l'opéra ? Je veux dire par là qu'on rêve de faire du prosélytisme, mais que les gens sont tout à fait libres de passer leur temps à autre chose.
Dieu merci, le monde n'est pas constitué que de songe-creux qui rêvassent à la façon d'aborder le terrible monologue du premier acte d'Elektra.

18. Le lundi 23 octobre 2006 à , par Faust

Pour moi l'opéra relève du mythe, du sacré. C'est la violence et le sacré sur scène au sens où l'entend René Girard. Callas l'incarnait au plus haut point. De cela, tout le monde a besoin, à l'opéra ou ailleurs, peu importe !

S'agissant des répétitions publiques, je pense que les orchestres n'ont pas envie de montrer des répétitions avec des chefs qu'ils méprisent. Sinon, voir un bon chef faire travailler un orchestre est toujours un exercice passionnant. Ceci étant, j'aurais donné cher pour voir une répétition de Toscanini !

Merci de ne pas insister sur les cornistes ! J'aurais bien étranglé ceux des Talens lyriques lundi dernier dans Jules César, surtout le cor solo qui a complètement détruit le Va tacito ! Je présume qu'il avait l'excuse de l'emploi d'un cor naturel, mais le résultat était catastrophique. Le lendemain, ceux des Arts Flo étaient souvent en difficulté dans les Paladins !

19. Le lundi 23 octobre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Un grand merci à David, Faust et Bajazet pour toutes leurs appréciations :-) ! Elles me font venir à l'esprit beaucoup de remarques. Alors j'y réfléchis, j'ordonne tout ça et je vous en parle !
A bientôt donc. S

20. Le lundi 23 octobre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Merci à Faust d’avoir eu « presque l’impression d’y être un peu » : c’est un très beau compliment que vous me faites :-) ! Quant au surtitrage, je crois que nous sommes tous d’accord sur son intérêt. Mais voici aussitôt un inconvénient : pour ce récital à la Cité de la Musique, les organisateurs ont pensé que ce surtitrage (uniquement en Français) remplaçait le texte bilingue généralement proposé par le programme… Donc, si on souhaite relire les poèmes après le concert… allons donc acheter le CD.

J’envie un peu Bajazet d’avoir assisté à un des derniers récitals de M. Price. Je ne l’ai jamais entendue « en vrai », mais en général j’aime beaucoup ses Schubert. Il est pourtant bien triste en effet d’être ainsi « déçu » par un artiste en fin de carrière, bien qu’il nous ait apporté tant de choses…

Et maintenant, cher David, mes remerciements d’usage (mais toujours aussi sincères) pour mettre ainsi mes compte-rendus en valeur :-) !

« Sur le Winterreise »
Je suis très flattée que vous ayez tant apprécié ma présentation du cycle ! Merci.

Vous citez Die Nebensonnen, et vous notez que ce lied n’est « absolument pas crédible dans ce parcours ». Voici je pense le seul poème du cycle qui m’échappe tout à fait : je l’ai toujours trouvé complètement différent des autres, un peu comme vous je ne vois pas bien ce qu’il fait ici, et je ne le comprends pas. Puis-je solliciter à l’occasion vos (trois) lumières à son sujet ?
Et pour mettre moi-même en lumière l’étendue de mon ignorance (même pour Schubert), à quel cycle faites-vous référence avec « Abendrote » ?

Merci de me reprendre sur l’auberge… Je prends parfois les choses encore plus au premier degré que N. Stutzmann ;-)…


« Sur les conditions du concert »

Oui, oui, plaignez-moi de devoir prendre pendant 50 minutes le métro, et de changer une fois de ligne, pour atteindre la Cité de la Musique… C’est sûr, pour moi, aller au Grand Théâtre de Bordeaux est beaucoup plus… simple ;-) !!!

Avec ce couvercle de piano « très rabattu », je veux dire qu’il est entrebaîllé d’environ 25 cm (mais je ne suis pas allée mesurer exactement…). J’ai précisé cela, parce qu’il me semble qu’à leur précédent récital à la Cité de la Musique (avril 2005, mélodies françaises) et à celui de Bordeaux (novembre 2005), il était un peu plus ouvert que cela. J’avais noté dans mon compte-rendu d’avril 2005 que parfois le piano couvrait à mon goût un peu trop la voix. Vous n’avez pas le plaisir d’héberger ce compte-rendu chez vous puisque nous ne nous « connaissions » pas encore ;-), mais je vous assure que vous ne perdez rien, j’ai fait des progrès depuis et je me demande bien pourquoi ;-) !

Alors, voici ce que j’entends par « bo-bo » :
Ce sont les gens qui mangent un cornet de frites assis sur les marches de la Cité de la Musique, puis qui vont prendre un café horriblement cher au café à côté de la salle de concert.
Ce sont les gens qui, à la terrasse de ce même café, parlent tout fort et disent négligemment qu’ils reviennent juste de leur studio sur la Côte, et que la semaine prochaine ils partent à Bali. Ce sont ces gens qui assurent avec suffisance que leur fils, leur fille ou leurs petits-enfants, sont les seules merveilles du monde. Ce sont ces gens à l’air blasé qui font comme si plus rien ne pouvait les surprendre ou les émouvoir, ce sont ces gens qui parlent comme cela juste avant d’entendre le Winterreise… Ceci dit, si je suis peut-être encore un peu « jeune » pour faire partie de ce groupe, j’en prends le chemin…

Pour l’habillement du public, je m’en moque un peu. Personnellement, j’aime bien faire un petit effort, surtout que je ne suis vraiment pas un modèle d’élégance dans ce domaine. Disons que cela m’aide à me préparer pour recevoir la musique, c’est ma petite « cérémonie personnelle » ;-).

Je compatis pour le public clairsemé de M. Goerne. J’irai un jour ou l’autre le renforcer un peu !


« Contenu du concert »

Evidemment, votre « saupoudrage d’effets un peu partout » ne me plait guère ;-)… Que puis-je vous répondre pour défendre leur légitimité ? Qu’ils ne me semblent pas là par hasard, qu’ils correspondent à une nécessité interprétative, qu’ils renforcent les sens des mots, qu’ils sont beaux mais qu’ils ne sont pas là pour montrer le « savoir-faire » de la contralto, qu’ils sont le résultat naturel de l’interprétation sensible d’une musicienne exceptionnelle…

D’accord pour Rast=Pause, mais je ne comprends pas votre souriard tombale.

Au sujet du placement dans une salle de concert.
Malgré la profondeur de mes « analyses musicales», je n’ai pas l’oreille suffisamment aguerrie pour distinguer les variations d’acoustique au sein d’une même salle, et même d’une salle à l’autre. J’aimerais d’ailleurs beaucoup qu’un des « ergoteurs mal embouchés» auxquels vous semblez penser me donne un petit cours sur le sujet, avec démonstration à l’appui, bien sûr… et attention à lui si je n’entends pas de différence significative ! La salle de concert de la Cité de la Musique est bien conçue puisque le premier rang de face est à environs 3 mètres de la scène (mais je ne suis pas allée mesurer exactement…), et les premiers rangs sur les côtés sont encore un peu plus « loin ». Donc, nous n’avons pas à lever la tête et à nous casser la nuque pour voir les musiciens et l’écran de surtitrage, mais je ne suis pas qualifiée pour dire si le son est meilleur que tout près.
Pour poursuivre ma réponse sur le placement, j’enchaîne sur la remarque de Faust au sujet du prix des places de concerts ou d’opéras. Pendant très longtemps, je n’ai pu me payer que les places les moins chères. Au début des années 80, j’allais faire la queue sur le parvis de Garnier, par tous les temps et dès 6 heures du mat’, pour avoir les places les moins chères à 40 francs… les caisses ouvraient à 11h… ah jeunesse… Mais maintenant, disons que je prends ma « revanche » : j’affectionne les 3 ou 4 premiers rangs de face pour un récital, et le milieu de l’orchestre ou les premiers rangs de face du premier balcon pour un concert ou un opéra. Na ;-) !

Je reviens à votre commentaire, cher David. Vos remarques sur le jeu de N. Stutzmann m’ont bien intéressée. Je trouve que visuellement, elle a été aussi sobre qu’à Bordeaux, en revanche musicalement, elle était probablement plus en forme (et I. Södergren aussi), donc les nuances m’ont semblé encore plus fortes et plus nombreuses.

J’apprécie comme vous tout particulièrement le 12ème lied Einsamkeit, et j’y suis très attentive !

Même si je le devine un peu : qu’est-ce qu’une « messa di voce » ?

Ni la corde, ni la roue, ni même le poteau (indicateur bien sûr).
Comme je le signale dans ma conclusion, ce Winterreise m’a paru beaucoup plus serein et moins tendu que celui de Bordeaux, bien que la concentration des deux musiciennes et le retirement en elles-mêmes soient toujours aussi impressionnants. Cette image d’« étreinte desserrée » est très juste, à les écouter ce soir-là, je me suis sentie beaucoup plus « libre » qu’en novembre dernier.

J’espère que vous nous direz quelques mots du récital de Dame Felicity que je n’ai pas l’honneur d’avoir écouté en concert.

Un mot encore sur l’aspect élitiste de la musique classique, de l’opéra…
Evidemment, je viens d’une famille où on écoutait du Bach le dimanche matin, et où on m’a emmenée au concert dès mes 10 ans… Mais la musique n’avait pas une place plus importante que les autres arts, et personne n’en jouait vraiment. Je suppose cependant que cette « éducation » a fait que je n’ai jamais eu « peur » de la musique classique, et que dès mes 16 ou 17 ans j’allais de moi-même au concert ou à l’opéra, entendre les artistes dont j’étais fan, et les œuvres qui me faisaient planer… D’un côté, j’ai beaucoup de mal à « comprendre » la crainte des gens au sujet de cette musique, comme avoir peur de ne pas être à sa place dans une salle de concert (moi je m’y sens surtout extrêmement bien et tellement en sécurité…), mais d’un autre côté, je sens bien pourquoi la musique classique semble « réservée » à un petit nombre de « connaisseurs ». De l’attitude des personnes « autorisées » qui parlent de la musique, jusqu’à celle des « mélomanes » (il suffit pour en être certain de lire certaines répliques de votre blog : il y en a que je ne comprends même pas tellement le langage est codé, et je suis hélas persuadée que certaines des miennes ne sont pas plus claires ;-) !), pendant longtemps tout semblait concourir pour enfermer cette musique dans un monde intellectuel, hermétique, et qui refusait l’ouverture. Je trouve que depuis environs une dizaine d’année, un gros travail de « démocratisation » est fait, notamment de la part des organisateurs. Il est clair que l’aspect économique y est sans doute pour beaucoup, et que l’aspect « offrir généreusement » la musique à tous n’est pas toujours primordial, même s’il existe sincèrement. Il me semble aussi que les musiciens eux-mêmes sont pour beaucoup dans cette meilleure accessibilité à la musique classique. Les interprètes plus jeunes, moins sensibles au « star système », contribuent non seulement par leur contact plus direct avec le public, mais aussi grâce à leurs interprétations plus sensibles et moins intellectuelles à toucher un public plus vaste… Enfin, c’est l’impression que j’ai, mais je suis peut-être dans un jour optimiste ;-) !

Et pour finir ce long commentaire de commentaires :
Est-il vraiment nécessaire d’inciter les gens à aller à l’opéra ? Non, bien sûr que non. Mais de la même façon que l’on va au moins une fois dans sa vie au théâtre ou que l’on monte une fois sur la Tour Eiffel, aller une fois à l’opéra devrait être perçu comme de la culture générale. Par contre, les organisateurs de ce type de spectacles doivent avoir à l’esprit la nécessité de prouver au public « non habituel » qu’il est à sa place dans ces lieux, c’est-à-dire qu’ils doivent le respecter et lui faciliter la tâche, parce que c’est moins facile et plus cher que de monter sur la Tour Eiffel : sous-titres, présentation avant la représentation, programme aux textes sans jargons fumeux et inutilement intellectuels, plus de retransmissions à la télé et reportages ailleurs que dans Métropolis…

Allez, A+ :-) !

21. Le lundi 23 octobre 2006 à , par Bajazet

Concernant les récitals de Margaret Price…

nous avons eu la chance qu'elle ait quand même beaucoup chanté en France. Je l'ai entendue 5 ou 6 fois en récital entre 1984 et 1995. Mon plus grand souvenir, un récital tout Schumann (avec le cycle Kerner, qu'elle a da'illeurs gravé chez Hyperion, rééd. éco) au Capitole en 1992 (sauf erreur), en état de grâce vocalement.

22. Le mardi 24 octobre 2006 à , par Faust

Les programmes ...

Les organisateurs de concerts ou directeurs d'opéra semblent faire des efforts ... avec des résultats contrastés ! Il faut d'abord saluer ceux qui vous le fournissent gratuitement (Radio-France, Pleyel, Cité de la musique, par exemple). Je crois vraiment que cela fait partie de la "démocratisation".

A l'opéra de Paris, Gérard Mortier a supprimé la distribution détaillée donnée gratuitement par son prédécesseur Hugues Gall. Elle a été remplacée, après réclamations du public, par une feuille volante minuscule sur laquelle figure juste la liste des chanteurs ! C'est réellement stupide car il est toujours intéressant d'avoir la distribution et la biographie des artistes. En outre, l'amateur d'opéra aime bien conserver un souvenir et quand il va à une reprise, il n'a pas très envie d'acheter une deuxième fois le même programme ! Ceci a été remplacé par une revue, gratuite cette fois, intitulée Ligne 8 (numéro de la ligne de métro qui dessert Bastille et Garnier !) qui est une sorte de publi-reportage sur les productions de la maison ...

Les programmes de l'ONP ont pas mal changé. Ils sont beaucoup plus volumineux qu'à l'époque Liebermann, par exemple (mais, je conserve religieusement les programmes de cette époque bénie des dieux !). Le livret a disparu (sauf lorsque le surtitrage est peu visible comme dans la Clémence de Titus ... mais, il ne faut quand même pas espérer l'avoir en bilingue !). Les articles sur les oeuvres sont divers et variés. On a de nouveau des photos de la production. Dernier détail pas si annecdotique : je ne sais comment il les fait imprimer, mais les programmes de Gérard Mortier sentent une infection ...

Bref, tout cela plaide plutôt pour l'achat, avant spectacle, de l'Avant-Scène Opéra !

La Cité de la musique fait plutôt des programmes pour l'ensemble des concerts de chaque série et c'est gratuit ! Ils sont, en outre, disponibles avant le concert sur leur site internet.

Il y a parfois de bonnes surprises ! Je suis ressorti hier soir de la Sémélé de Marin Marais avec un livre sur le compositeur et les oeuvres données à l'occasion des journées qui lui sont consacrées par le Centre de musique baroque de Versailles. Le livret des oeuvres données était dans ce livre. Cela ne coûtait que 8 € (10 € pour un programme de l'ONP dont le contenu est dix fois moindre !) et je reste persuadué que beaucoup de personnes n'ont pas dû oser l'acheter pensant que c'était beaucoup plus cher !

Bref, David a raison : rien ne peut remplacer l'écoute des oeuvres et quelques bonnes lectures avant le concert ou l'opéra ! Il y faut juste un peu de temps ...

23. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Faust :
  • S'agissant des répétitions publiques, je pense que les orchestres n'ont pas envie de montrer des répétitions avec des chefs qu'ils méprisent.
C'est précisément cela.  Je connais quelqu'un, un abonné, qui pour avoir dit que les cors de l'Orchestre de Paris avaient fait des pains dans la première série du Ring du Châtelet, tout en trouvant que le spectacle était très bien (c'est dire à quel point il n'était pas parmi les OP-bashing !) reçoit régulièrement des menaces diverses, des intimidations à coups d'annonce de procès (et maintenant avec l'ONF aussi...), des coups de fil anonymes...
C'est dire le degré d'abrutissement de certains musiciens (et les imbéciles sont apparemment fort nombreux à l'OP).

De même, les déclarations du violoncelle solo du Philharmonique de New-York, qui disait que l'orchestre pouvait fort bien désobéir et jouer tout seul si le chef manquait de poigne ou d'expérience.

Bref, les musiciens sont souvent de mauvaises caboches, et si le courant ne passe pas...

Je le vois régulièrement à l'ONBA : quelques chefs (Max Pommer, George Cleve, Günter Neuhold, Pascal Verrot ou même Frédéric Lodéon, et Hans Graf chez les Russes uniquement) arrivent à en tirer, je ne sais par quel moyen, une qualité technique et un enthousiasme musical sans commune mesure avec la médiocrité habituelle. Il y a aussi quelques standards du répertoire français, assez bien défendus en général, comme Carmen ou Werther.
Le reste du temps, le refus de s'investir est patent.


  •     Merci de ne pas insister sur les cornistes ! J'aurais bien étranglé ceux des Talens lyriques lundi dernier dans Jules César, surtout le cor solo qui a complètement détruit le Va tacito ! Je présume qu'il avait l'excuse de l'emploi d'un cor naturel, mais le résultat était catastrophique. Le lendemain, ceux des Arts Flo étaient souvent en difficulté dans les Paladins !
Attention, si je reçois des menaces de mort par téléphone, je vais me fâcher ! :-)

Avec les instruments naturels, c'est tout de même d'une difficulté invraisemblable. Mais sûr que dans Va tacito, ça ne pardonne pas. Sans être brillants, ceux de Savall s'en sortent très bien sur le vif.


Sylvie :

  • Merci à Faust d’avoir eu « presque l’impression d’y être un peu » : c’est un très beau compliment que vous me faites :-) ! Quant au surtitrage, je crois que nous sommes tous d’accord sur son intérêt. Mais voici aussitôt un inconvénient : pour ce récital à la Cité de la Musique, les organisateurs ont pensé que ce surtitrage (uniquement en Français) remplaçait le texte bilingue généralement proposé par le programme… Donc, si on souhaite relire les poèmes après le concert… allons donc acheter le CD.
Rassurez-moi... ils vendaient le CD à la sortie ? :-)


  • J’envie un peu Bajazet d’avoir assisté à un des derniers récitals de M. Price. Je ne l’ai jamais entendue « en vrai », mais en général j’aime beaucoup ses Schubert. Il est pourtant bien triste en effet d’être ainsi « déçu » par un artiste en fin de carrière, bien qu’il nous ait apporté tant de choses…
Je me joins à Bajazet pour recommander sans la moindre réserve le disque Hyperion, un des tout plus beaux disques Schumann que je connaisse. Je n'ai pas souvenir d'avoir entendu Eichendorff mieux caractérisés.

  • Et maintenant, cher David, mes remerciements d’usage (mais toujours aussi sincères) pour mettre ainsi mes compte-rendus en valeur :-) !
Le mérite est le seul coupable. <8-)

  •     « Sur le Winterreise »    Je suis très flattée que vous ayez tant apprécié ma présentation du cycle ! Merci.
Mais c'était vraiment remarquable, et de nature à stimuler la réflexion transversale sur l'articulation entre les lieder du cycle, vraiment, vraiment !


Die Nebensonnen
  • Vous citez Die Nebensonnen, et vous notez que ce lied n’est « absolument pas crédible dans ce parcours ».
Ah non, ah non, je ne dis surtout pas cela. Je disais :

Je pense par exemple à Mut !, qui voisine avec l'abattement amer des Nebensonnen : Sind wir selber Götter ! ("Soyons nous-mêmes des dieux" !) n'est absolument pas crédible dans ce parcours.

C'est-à-dire que la phrase conclusive de Mut !   ne peut pas être crue dans le cadre du parcours du Wanderer. Il ne s'agit pas d'un regain d'espoir, mais d'une bravade sans conviction réelle, qui ne contient de la divinité que la solitude, l'impossibilité à se confronter, à se comparer.

Die Nebensonnen, au contraire, permet le retour au ton "standard" du cycle.

  •  Voici je pense le seul poème du cycle qui m’échappe tout à fait : je l’ai toujours trouvé complètement différent des autres, un peu comme vous je ne vois pas bien ce qu’il fait ici, et je ne le comprends pas. Puis-je solliciter à l’occasion vos (trois) lumières à son sujet ?
Bien volontiers.

1. Une lumière affective. Je l'aime beaucoup. Lors de ma découverte du Winterreise, sur le vif comme vous le savez, il est celui qui m'avait le plus durablement marqué. Bien sûr, j'avais aimé Gute Nacht et Der Lindenbaum, comment faire autrement ?  De même, Gefror'ne  Tränen, Wasserflut, Irrlicht, Einsamkeit, Der greise Kopf, Die Krähe avaient par leurs éclats funèbres attiré mon attention. Mais Die Nebensonnen est sans doute celui qui m'avait le plus impressionné ; celui qui pourrait, quelques mois plus tard, consacrer la victoire du Bertram qui m'avait conduit dans cet antre de perdition : encore un de gagné ! 
A l'époque, je n'avais parcouru que les premières pages de la Fin de Satan, mais les traits de l'imaginaire étaient déjà tracés. Comme du fond d'un gouffre, les soleils disparaissaient. Le temps suspendu, la rage douce et impuissante de celui qui se sait vaincu... tant de choses se bousculaient ici !  Avant ce Leiermann invraisemblable, une écriture stable, la dernière, pleinement expressive, comme un dernier pont suspendu au-dessus de l'abîme.

2. Une lumière plus textuelle. On peut réaliser de multiples interprétations, et les trois soleils peuvent symboliser bien des choses. Manière d'éviter de proposer une analyse trop partiale, on peut dire, sans trop se mouiller que ces trois soleils fantastiques tiennent du délire ultime du voyageur arrivant au terme. Est-ce le reste de cet univers meilleur, de cet Age d'Or qu'a jadis connu l'humanité ?  Leur réduction est-elle une manifestation de ce que Goethe appelle Grenzen der Menscheit ?  Ou, à tout le moins, du passé amoureux, tout d'ivresse bienheureuse, du Wanderer ?  On est sans doute plus dans le vrai avec une interprétation strictement liée à l'individu qui erre.
En tout état de cause, ces soleils, leur voilement et leur disparition épousent le parcours vers l'ombre du voyageur. On prolonge l'idée de solitude de la divinité (dans le sens d'isolement, d'absence d'êtres comparables, visibles ou compréhensibles) de Mut !  :  ces soleils existent pour d'autres, mais la réalité du voyageur est désormais incompatible (Ja, neulich hatt' ich auch wohl drei) avec celle de ses semblables qui ne le reconnaissent pas, lors de son passage Im Dorfe. Semblables qui sont toujours invisibles, liés à l'illusion (Täuschung), à la bien-aimée totalement abstraite (Gute Nacht, Der Lindenbaum, Auf dem Flusse) ou au bruit des chiens qui trahissent la présence de maîtres (inaccessibles... Gute Nacht, Im Dorfe). Et au sind wir de Mut ?  Bonne question. J'ai volontairement omis le Leiermann, qui n'est pas à proprement parler un homme, mais bien plutôt un mécanisme du cycle, une image de la mort, ou en tout la borne qui marque le terme - et, pour l'auditeur, un nouveau départ.
Cette disparition met en scène, in fine, la disparition désirée du soleil, l'avancée résolue vers le repos de la mort. Le soleil brille toujours. Le voyageur est donc toujours en vie. Mais quelle fadeur dans ce soleil, quelle absence de chaleur !  Pourtant, la vie, dans le passé ou pour d'autres, semble bénéficier d'une représentation joyeuse. Ce ne peut être ce soleil qui la permettait. Il faut donc en compter au moins trois, et encore, celui qui reste est le moins bon. Et désormais, avec ce soleil dérisoire, cette vie sans joie, vite !  Le repos, la nuit, enfin !
C'est une des façons de percevoir la chose. Mais on peut concevoir des interprétations bien plus complexes et érudites.

3. Une petite loupiote musicale. Cette ligne suspendue, ces calmes accords, cet interlude récitatif qui débouche sur cette clameur faussement identique au début, pour finalement mourir dans la réitération, quel arc merveilleux !  Admiratif de la construction, de la dimension supplémentaire, de l'atmosphère qu'elle procure à un texte de Müller que j'aime déjà beaucoup.


Abendröte-Lieder

Et pour mettre moi-même en lumière l’étendue de mon ignorance (même pour Schubert), à quel cycle faites-vous référence avec « Abendrote » ?  Merci de me reprendre sur l’auberge… Je prends parfois les choses encore plus au premier degré que N. Stutzmann ;-)…

Oui, il est vrai que le cycle des Abendröte-Lieder n'est pas très célèbres, on parle généralement des "trois cycles".

Pourtant, on pourrait penser à d'autres petits ensembles :
- les Faust-Lieder, petit à petit constitués : Der König in Thule, Gretchen am Spinnrade, Gretchens Bitte, Szene aus Faust... ;
- les italiens D.901 : L'incanto degl'occhi, Il traditor deluso et Il modo di prender moglie. On pourrait aussi en créer un avec les Métastase, en incluant Pensa, che questo istante de toute jeunesse, dont le ton est extrêmement proche de L'incanto degl'occhi ;
- les Mignon-Lieder, avec évidemment Kennst du das Land et les trois Chants du harpiste ;
- les quatre Scott d'après The Lady of the Lake. Les deux parties de la chanson d'Ellen à l'Acte I (opus 52, D.837 et 838) :
Raste Krieger !  Krieg ist aus
&
Jäger ruhe von der Jagd !
et bien sûr l'Ave Maria, c'est-à-dire le troisième des Ellens Gesänge, D.839. A ce propos, j'en profite pour hurler contre les cochons qui chantent ça en latin et la bouche en coeur, ce qui est une dénaturation intégrale de l'oeuvre. Une jeune femme prie en implorant comme fille le coeur de mère, comme jeune femme celle qui l'est resté éternellement ; il est évident qu'elle prie en pensant à son amant, qu'elle prie pour sa protection. Il ne s'agit pas d'une prière angélique - il y est même question du Démon, d'ailleurs -, mais d'une prière de jeune fille, la nuance est de taille. [Voilà, c'est dit.]
Et le Lied des gefangenen Jägers D.843, extrait de la même oeuvre de Walter Scott.
Pour l'amusement, on pourrait ajouter Eine altschottische Ballade de notre ami Herder (à défaut d'être l'homme à la pomme, l'homme aux aulnes).

Dommage qu'on ne joue jamais les Faust et les Scott, ce seraient de très beaux ensembles. Avis aux programmateurs, deux nouveaux cycles de Schubert !


Le cycle des Abendröte est peu joué, mais bel et bien existant. Il est composé, comme le Schwanengesang, de plusieurs pièces à peu près contemporaines, sur un même poète, ici Schlegel.
1. Abendröte D.690
2. Die Berge D.634
3. Die Vögel D.691
4. Der Fluss D.693
5. Der Knabe D.692
6. Die Rose D.745
7. Der Schmetterling D.633
8. Der Wanderer D.649
9. Das Mädchen D.652
10. Die Sterne D.684
11. Die Gebüsche D.646
Il faut bien reconnaître que, tout géniaux qu'ils soient, il ne s'agit pas ici de la meilleure glaise du lied schubertien. Et puis il faut être sensible à Schlegel, d'un abord moins aisé que Müller, Goethe ou Eichendorff.

  • Oui, oui, plaignez-moi de devoir prendre pendant 50 minutes le métro, et de changer une fois de ligne, pour atteindre la Cité de la Musique…
J'avais oublié à quel point la vie à Paris est difficile. :-)


  • Avec ce couvercle de piano « très rabattu », je veux dire qu’il est entrebaîllé d’environ 25 cm (mais je ne suis pas allée mesurer exactement…). J’ai précisé cela, parce qu’il me semble qu’à leur précédent récital à la Cité de la Musique (avril 2005, mélodies françaises) et à celui de Bordeaux (novembre 2005), il était un peu plus ouvert que cela.
Quel sens de l'observation !  Je serais incapable de dire comment étaient ouverts les piano des récitals vocaux que j'ai entendus.

  • J’avais noté dans mon compte-rendu d’avril 2005 que parfois le piano couvrait à mon goût un peu trop la voix.
Sans blague. Déjà que toute seule. 0:-)

  • Vous n’avez pas le plaisir d’héberger ce compte-rendu chez vous puisque nous ne nous « connaissions » pas encore ;-), mais je vous assure que vous ne perdez rien, j’ai fait des progrès depuis et je me demande bien pourquoi ;-) !
Mais, à défaut du compte-rendu, pourriez-vous nous rappeler (hum) le programme et nous dire deux mots sur sa réussite (dont nous ne doutons pas un seul instant, bien entendu) ?


  • Alors, voici ce que j’entends par « bo-bo » :
  •     Ce sont les gens qui mangent un cornet de frites assis sur les marches de la Cité de la Musique, puis qui vont prendre un café horriblement cher au café à côté de la salle de concert.
  •     Ce sont les gens qui, à la terrasse de ce même café, parlent tout fort et disent négligemment qu’ils reviennent juste de leur studio sur la Côte, et que la semaine prochaine ils partent à Bali. Ce sont ces gens qui assurent avec suffisance que leur fils, leur fille ou leurs petits-enfants, sont les seules merveilles du monde. Ce sont ces gens à l’air blasé qui font comme si plus rien ne pouvait les surprendre ou les émouvoir, ce sont ces gens qui parlent comme cela juste avant d’entendre le Winterreise… Ceci dit, si je suis peut-être encore un peu « jeune » pour faire partie de ce groupe, j’en prends le chemin…
S'il faut manger un cornet de frites sur les marches du Grand-Théâtre, alors l'espèce n'a pas essaimé jusqu'à Bordeaux. Sinon, que leurs enfants sont les seules merveilles du monde, n'est-ce pas la plus stricte réalité ? :-)
J'ai toujours du mal à définir avec exactitude le "bobo", chacun a tendance à y mettre sa propre définition, un peu comme "bourgeois", "révolutionnaire" ou "snob". Aussi, je suis à la recherche d'une définition incontestable. Et qui, si possible, m'évite de me retrouver moi-même dans l'une de ces catégories.

  • Je compatis pour le public clairsemé de M. Goerne. J’irai un jour ou l’autre le renforcer un peu !
Le gros avantage est qu'il y a des places à ses concerts, alors qu'il est le plus grand chanteur de lied en exercice. [Déclaration de guerre inside.]


  • Evidemment, votre « saupoudrage d’effets un peu partout » ne me plait guère ;-)… Que puis-je vous répondre pour défendre leur légitimité ? Qu’ils ne me semblent pas là par hasard, qu’ils correspondent à une nécessité interprétative, qu’ils renforcent les sens des mots, qu’ils sont beaux mais qu’ils ne sont pas là pour montrer le « savoir-faire » de la contralto, qu’ils sont le résultat naturel de l’interprétation sensible d’une musicienne exceptionnelle…
Bien sûr qu'ils sont là pour une raison. Mais j'ai un peu l'impression qu'on a tracé au crayon des idées sur la partition, sans vérifier leur naturel.  Quant à la beauté, je ne m'aventurerai pas sur cette pente glissante pour ma sécurité.

  •     D’accord pour Rast=Pause, mais je ne comprends pas votre souriard tombale.
Ah, pardon, c'est le code qui m'a joué un tour. Cette fois-ci, tout va bien aller, j'ai rédigé ma réponse en html et non en BBcode. Je faisais juste remarquer que lorsque Nathalie fait sonner le "b" de "Grab", elle fait sonner le "p" de "Grab", et le tout agrémenté d'un souriard avec nez de clown et entonnoir-couvre-chef.


  •     Malgré la profondeur de mes « analyses musicales», je n’ai pas l’oreille suffisamment aguerrie pour distinguer les variations d’acoustique au sein d’une même salle, et même d’une salle à l’autre. J’aimerais d’ailleurs beaucoup qu’un des « ergoteurs mal embouchés» auxquels vous semblez penser me donne un petit cours sur le sujet, avec démonstration à l’appui, bien sûr…
Ils vivent en groupe. Personnellement, je préfère les observer en captivité, mes mollets portent encore quelques stigmates de leur fréquentation pas si ancienne.

Mais sûr qu'on fait aisément la différence, par exemple lorsqu'on n'entend pas la chanteuse (salles-hangar), ou lorsqu'on l'entend deux fois (à certains endroits sous le premier balcon à Bordeaux, par exemple).

  •  La salle de concert de la Cité de la Musique est bien conçue puisque le premier rang de face est à environs 3 mètres de la scène (mais je ne suis pas allée mesurer exactement…), et les premiers rangs sur les côtés sont encore un peu plus « loin ». Donc, nous n’avons pas à lever la tête et à nous casser la nuque pour voir les musiciens et l’écran de surtitrage, mais je ne suis pas qualifiée pour dire si le son est meilleur que tout près.
On dit généralement qu'il faut du recul pour bien percevoir le son d'un orchestre. Je n'ai jamais été très convaincu par cette argumentation, mais il faut reconnaître que, n'étant pas audiophile, je ne suis pas nécessairement le meilleur juge - en tout cas, de très loin pas le plus impitoyable.

  • Même si je le devine un peu : qu’est-ce qu’une « messa di voce » ?
On attaque une note (suraiguë de préférence) piano, éventuellement en voix mixte, puis on l'enfle forte en poitrine, pour redescendre lentement. Le comble de l'épate vocale. Selon le lieu et le goût de la chose, ce peut être très beau (certains exemples dans le lied chez Fischer-Dieskau) ou vraiment vulgaire (dans le genre de Blake en Robert, très excitant mais franchement pas profond).
On emploie surtout le terme dans le belcanto, mais on en a quelques très beaux exemplaires dans le lied.

  •     J’espère que vous nous direz quelques mots du récital de Dame Felicity que je n’ai pas l’honneur d’avoir écouté en concert.
Seulement si on me supplie.

  • De l’attitude des personnes « autorisées » qui parlent de la musique, jusqu’à celle des « mélomanes » (il suffit pour en être certain de lire certaines répliques de votre blog : il y en a que je ne comprends même pas tellement le langage est codé, et je suis hélas persuadée que certaines des miennes ne sont pas plus claires ;-) !),
Il faut dire que cet espace est largement consacré à l'art lyrique, et par conséquent, le public qui le fréquente est pour beaucoup déjà féru. J'essaie de proposer quelques pistes un peu originales, mais il n'est pas possible de tout reprendre à zéro à chaque fois.
J'ai tâché de placer quelques artistes de synthèse (haute-contre et contre-ténor, opéra-comique et opérette, histoire du récitatif, histoire et catégories du ténor, opéra contemporaine, Kunqu, tragédie lyrique grecque, etc.), mais ce n'est pas la tendance dominante du lieu, je le sais bien.

Il faudrait réaliser un grand site collectif sur les fondamentaux de l'opéra, mais cela existe déjà un peu partout. Dans les dictionnaires et les revues aussi. De toute façon, le plus dur est de s'accrocher face à ce chant à formant, face à ces langues étrangères ou déformées, face à ces conventions...

  • Il me semble aussi que les musiciens eux-mêmes sont pour beaucoup dans cette meilleure accessibilité à la musique classique.
Il y en a. Mais les instrumentistes qui agressent les jeunes abonnés existent aussi !

  • Les interprètes plus jeunes, moins sensibles au « star système », contribuent non seulement par leur contact plus direct avec le public, mais aussi grâce à leurs interprétations plus sensibles et moins intellectuelles à toucher un public plus vaste… Enfin, c’est l’impression que j’ai, mais je suis peut-être dans un jour optimiste ;-) !
Moins intellectuelles ?  Je ne vois pas bien de qui il s'agit. Incontestablement, beaucoup de jeunes interprètes ont tout fait pour décloisonner les genres, tout en contribuant avec sérieux, mais je trouve au contraire leur approche d'une profondeur assez épatante - là, spontanément, je pense aux Queyras, Tharaud, Katsaris, Capuçon...


  • Est-il vraiment nécessaire d’inciter les gens à aller à l’opéra ? Non, bien sûr que non. Mais de la même façon que l’on va au moins une fois dans sa vie au théâtre ou que l’on monte une fois sur la Tour Eiffel, aller une fois à l’opéra devrait être perçu comme de la culture générale. Par contre, les organisateurs de ce type de spectacles doivent avoir à l’esprit la nécessité de prouver au public « non habituel » qu’il est à sa place dans ces lieux, c’est-à-dire qu’ils doivent le respecter et lui faciliter la tâche, parce que c’est moins facile et plus cher que de monter sur la Tour Eiffel : sous-titres, présentation avant la représentation, programme aux textes sans jargons fumeux et inutilement intellectuels, plus de retransmissions à la télé et reportages ailleurs que dans Métropolis…
Y aller une fois, c'est un peu peine perdue, je le crains. C'est comme si on allait visiter une fois un musée d'art contemporain... peu de chance d'en retirer quelque chose de positif. Mais permettre à qui voudrait s'en approcher de le faire sans crainte, ça me semble important, oui.


Bajazet :
  •    nous avons eu la chance qu'elle ait quand même beaucoup chanté en France. Je l'ai entendue 5 ou 6 fois en récital entre 1984 et 1995. Mon plus grand souvenir, un récital tout Schumann (avec le cycle Kerner, qu'elle a da'illeurs gravé chez Hyperion, rééd. éco) au Capitole en 1992 (sauf erreur), en état de grâce vocalement.
Je disais juste au-dessus tout le bien que je pensais du disque Hypérion/Johnson.


Faust :
  •  Les organisateurs de concerts ou directeurs d'opéra semblent faire des efforts ... avec des résultats contrastés ! Il faut d'abord saluer ceux qui vous le fournissent gratuitement (Radio-France, Pleyel, Cité de la musique, par exemple). Je crois vraiment que cela fait partie de la "démocratisation".
Les programmes Radio-France sont le luxe absolu !  Je m'étonnais pourquoi certains commentateurs de concerts parisiens étaient si érudits. Plus après les avoir eu en main. C'est une manne pour la musique contemporaine !
C'est pas juste.

  • A l'opéra de Paris, Gérard Mortier a supprimé la distribution détaillée donnée gratuitement par son prédécesseur Hugues Gall. Elle a été remplacée, après réclamations du public, par une feuille volante minuscule sur laquelle figure juste la liste des chanteurs ! C'est réellement stupide car il est toujours intéressant d'avoir la distribution et la biographie des artistes. En outre, l'amateur d'opéra aime bien conserver un souvenir et quand il va à une reprise, il n'a pas très envie d'acheter une deuxième fois le même programme ! Ceci a été remplacé par une revue, gratuite cette fois, intitulée Ligne 8 (numéro de la ligne de métro qui dessert Bastille et Garnier !) qui est une sorte de publi-reportage sur les productions de la maison ...
Là, j'avoue qu'on ne me fera pas pleurer. Ca me paraît normal si on veut faire des économies. Rien n'interdit de faire dédicacer la feuille volante et de la mettre dans un classeur. Quant aux souvenirs, je suggèrerais bien une petite croix sous fichier Excel, mais j'ai peur de me faire incendier.
Autre souvenir très intéressant, une prise pirate, pour les spectacles non radiodiffusés, qu'on me prêterait. :-)


  • Les programmes de l'ONP ont pas mal changé. Ils sont beaucoup plus volumineux qu'à l'époque Liebermann, par exemple (mais, je conserve religieusement les programmes de cette époque bénie des dieux !). Le livret a disparu (sauf lorsque le surtitrage est peu visible comme dans la Clémence de Titus ... mais, il ne faut quand même pas espérer l'avoir en bilingue !).
C'est-à-dire ?  Seulement en français ?  Ce n'est pas très grave, pour un livret de salle.

Les livrets de la Monnaie m'avaient impressionné par leur luxe, et il y avait, en plus de commentaires et de biographies, le livret bilingue !

  • Bref, tout cela plaide plutôt pour l'achat, avant spectacle, de l'Avant-Scène Opéra !
Allez, pour une fois, à mon tour de faire le ronchon. Je vais blasphémer, mais je ne suis pas un admirateur inconditionnel de l'ASO. C'est très bien fait, mais franchement, lorsqu'on connaît un peu le texte et la musique, on n'en a vraiment pas besoin. Les commentaires sont intéressants, mais pas de quoi dépasser la fréquentation assidue de l'oeuvre.
Ce peut être un bon dégrossissage pour les oeuvres les plus difficiles, lorsqu'on ne les connaît pas du tout. Et il y a les listes d'enregistrements et les photographies, pour les rêveurs.

Mais c'est très loin de remplacer la self-traduction du texte et la lecture de la partition.

24. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Pour plus de commodité, j'ai reporté la discussion autour du Winterreise et des cycles schubertiens ici : .

Pour le reste, on peut continuer à papoter dans cette colonne-ci.

25. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Bajazet

Mais qu'est-ce que c'est que cet élitisme, monsieur Marrec ? On daube sur L'Avant-Scène maintenant ? Tous ne sont pas de la même trempe, mais j'imagine mal m'en passer, et certains sont exceptionnels.

Les programmes du Capitole comportent le livret bilingue et une iconographie abondante. Mais c'est vrai que les anciens programmes de la Monnaie étaient de véritables livres sur l'œuvre, pour ceux que j'ai vus. En tout cas je garde précieusement celui de Lucio Silla.

26. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Mais qu'est-ce que c'est que cet élitisme, monsieur Marrec ? On daube sur L'Avant-Scène maintenant ?

A présent que j'éprouve quelque intérêt à écouter Mlle Léonie et que je me suis habitué, faute de pouvoir y échapper, à Dame Astrid, il faut bien que je trouve une victime récurrente.


Tous ne sont pas de la même trempe, mais j'imagine mal m'en passer, et certains sont exceptionnels.

Dans ce cas, je veux des noms.

Prenons par exemple la Femme sans Ombre. Eh bien ça ne m'a guère aidé. Le livret bilingue figurait dans le coffret CD, et pour les commentaires, certes un peu de contexte et quelques commentaires intéressants, mais rien qu'on ne puisse trouver dans les ouvrages généralistes d'une part, et en écoutant attentivement l'oeuvre d'autre part. La liste des leitmotivs reste pour le moins très légère, par exemple. Pas mieux pour Ariadne.
Alors, oui, il y a une liste des représentations et des photographies noir et blanc grand format de productions légendaires. Ca va pour rêvasser, OK, mais ensuite, ça n'appaise pas la faim. Heureusement qu'il existe les mises en scène analytiques de Nicolas Joël pour se rassasier.

27. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Faust

Je vais donc aggraver mon cas !

Hugues Gall distribuait gratuitement un petit fascicule sur lequel figurait la distribution et, pour chaque artiste, une biographie résumée. Mortier ne donne que les noms des artistes et les horaires des entractes et de fin de spectacle !

Pour les programmes d'opéra, je vais sans doute paraître un peu simplet. Mais, si on ne met pas l'argument, le livret, en bilingue si l'opéra n'est pas en français, et des photos de la production, je ne sais plus à quoi cela sert ! Ceci étant, les programmes vendus par l'ONP ne sont pas ce qu'il y a de plus contestable dans la direction de G. Mortier ...

Je vais m'associer à Bajazet pour la défense de l'AVO ... Il y a des numéros qui ont vieilli, des articles qui, parfois, ne sont pas trop intéressants ! Mais, tout de même, le dernier que j'ai lu, celui des Paladins, dirigé par Joël-Marie Fauquet, me semblait de qualité !

Mille excuses de m'être ainsi éloigné du Winterreise !

28. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Hugues Gall distribuait gratuitement un petit fascicule sur lequel figurait la distribution et, pour chaque artiste, une biographie résumée. Mortier ne donne que les noms des artistes et les horaires des entractes et de fin de spectacle !

Heu. Il ne donne pas les correspondances avec les rôles ??


Pour les programmes d'opéra, je vais sans doute paraître un peu simplet. Mais, si on ne met pas l'argument, le livret, en bilingue si l'opéra n'est pas en français, et des photos de la production, je ne sais plus à quoi cela sert !

On peut mettre des tas d'articles intéressants - ah oui, ça n'arrive jamais ? :-)

Ceci étant, les programmes vendus par l'ONP ne sont pas ce qu'il y a de plus contestable dans la direction de G. Mortier ...

Non, je le crains. L'heure du bilan me fait frémir. Surtout pour la part majorée qui a été aussi financée par mes impôts de provincial.


Je vais m'associer à Bajazet pour la défense de l'AVO ... Il y a des numéros qui ont vieilli, des articles qui, parfois, ne sont pas trop intéressants ! Mais, tout de même, le dernier que j'ai lu, celui des Paladins, dirigé par Joël-Marie Fauquet, me semblait de qualité !

A l'ASO !


Mille excuses de m'être ainsi éloigné du Winterreise !

Comme vous le savez, Herr Doktor, ici, il n'est permis de parler que d'opéras du premier vingtième siècle composés par des norvégiens inconnus. Tout le reste est interdit. Je vais convoquer immédiatement le comité de rédaction (qui est justement dans la pièce où je me trouve) pour statuer sur votre cas en une punition exemplaire qui fera trembler les commentaires pendant les âges et les âges.

29. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Bajazet

Voglio strage e sangue vo-o-o-o-o-o-o-oglio !

Alors parmi les numéros de l'Avant-Scène Opéra que je connais, je distinguerai tous ceux où intervient Michel Noiray (mon idole !) donc la plupart des Gluck et certains Mozart, La Ville morte (passionnant), Les Troyens, le Freischütz, Sémiramis, Médée de Charpentier. Je me rends compte en regardant le rayonnage que je n'ai quasiment pas de Wagner :-/ Certains numéros ont été refaits, que je n'ai pas (Fidelio, Tannhäuser, Idomeneo récemment).
Bon, c'est vrai, on peut toujours trouver plus fouillé ailleurs, mais 1) c'est quand même appréciable d'avoir pas mal de choses en un volume (y compris les proses lyriques de Tubeuf et les manières de catherine Clément) ; et 2) j'adore regarder les photos de scène, bordel !

À présent, une faute impardonnable : toujours pas d'Hippolyte et Aricie :-(

P.S. Dans les programmes de l'ONP que j'ai, il y a souvent à boire et à manger, à la fois des papiers parfaitement superficiels et des analyses très intéressantes (je me souviens de celui que la voix de Brangäne pour le Tristan de Sellars). Le Châtelet avait aussi proposé à une époque d'excellents volumes (pour les Gluck de Gardiner par exemple ou pour la Ville morte)

30. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

[qyite]Alors parmi les numéros de l'Avant-Scène Opéra que je connais, je distinguerai tous ceux où intervient Michel Noiray (mon idole !)C'est vrai qu'il est très bien, ce petit !


donc la plupart des Gluck et certains Mozart, La Ville morte (passionnant), Les Troyens, le Freischütz, Sémiramis, Médée de Charpentier.

J'ai un doute sur la Ville morte, mais pour le reste, je ne connais pas. :-)
Ah si, ça me reviens, j'avais acheté Iphigénie en Tauride, dans le temps. Autant que je m'en souvienne, ça ne m'avait pas renversé, loin de là. Il y avait le livret et des photos de Callas, quoi.


Je me rends compte en regardant le rayonnage que je n'ai quasiment pas de Wagner :-/ Certains numéros ont été refaits, que je n'ai pas (Fidelio, Tannhäuser, Idomeneo récemment).
Bon, c'est vrai, on peut toujours trouver plus fouillé ailleurs, mais 1) c'est quand même appréciable d'avoir pas mal de choses en un volume (y compris les proses lyriques de Tubeuf et les manières de catherine Clément) ;

Je ne dis pas le contraire. Mais on le cite souvent comme une référence incontestable, un double-Everest absolu. C'est une très bonne revue, bien faite, accessible et intéressante. Après ça, je ne la trouve pas indispensable non plus.

Et puis, pour être parfaitement honnête, j'ai horreur qu'on me mâche le travail.


2) j'adore regarder les photos de scène, bordel !

C'est aussi ce que j'avais compris. :-)

31. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Bajazet

"Et puis, pour être parfaitement honnête, j'ai horreur qu'on me mâche le travail."
>> Heda ! heda hedo ! le loup est sorti du bois… 8-)

32. Le mercredi 25 octobre 2006 à , par Faust

Je ne vais rien vous épargner de l'incroyable prodigalité de Gérard Mortier ! Donc, une petite feuille qui, pliée, fait 10 cm sur 14 ! Première page : titre de l'opéra, double feuille centrale : distribution telle que programmée (si un changement de dernière minute intervient, il faut lire les panneaux à l'entrée !). Dernière page : publicité pour les mécènes !

Les articles des programmes : certains sont effectivement très intéressants, d'autres semblent plutôt destinés aux "bobos" décrits par Sylvie Eusèbe ... Et je vous assure que l'odeur est vraiment insoutenable !

Fin de la rubrique du râleur !

La disparition du livret est une lubie récente de Gégé. Celui-ci y était encore dans l'Incoronazione di Poppea.

J'ai cru discerner dans la nouvelle édition du Rheingold une présentation plus " accessible " ... Mais, depuis quelques temps, les photos sont en couleur !

33. Le jeudi 26 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Le véritable Opéra de Paris, Lyricopathe Editions, 2080. Un siècle de souvenirs par Doktor Faustus.
Pour chaque année, une description précise du confort des sièges catégorie par catégorie, avec mesure scientifique de l'espace pour les jambes. Contient aussi l'analyse chimique de l'odeur des livrets de salle, et les précisions hautement géomitriques des dimensions des feuilles de distribution.

En annexe, une analyse circonstanciée des discours de Gérard Mortier, à la tête de l'Opéra de Paris entre 2004 et 2028.

L'édition Premium contient l'intégralité des discours prononcés aux Pleins Feux, ainsi que la correspondance internetique complète de l'auteur.

34. Le jeudi 26 octobre 2006 à , par Bajazet

Qu'est-ce qu'ils peuvent être teigneux, ces bordeluches !

35. Le jeudi 26 octobre 2006 à , par Faust

Mortier pendant encore 22 ans ?

Qu'ai-je fait pour mériter pareille injure ?

36. Le jeudi 26 octobre 2006 à , par Bajazet

Tu as signé de ton nom au bas de ce vieux parchemin !

37. Le jeudi 26 octobre 2006 à , par Faust, définitivement damné

La damnation est-donc inéluctable ? Je savais bien que ce pseudo était diabolique ! Un rêve de jeunesse ...

Il ne me reste plus que la malédiction ? Je propose donc que, lorsqu'il sera frappé par la limite d'âge légale, Gérard Mortier puisse faire bénéficier de ses précieux conseils les opéras de province et, en particulier, le Grand Théâtre de Bordeaux ... Il n'est pas juste que la France profonde ne puisse avoir accès aux Haneke, Marhalter, etc. sans oublier Sylvain ...

38. Le jeudi 26 octobre 2006 à , par Bajazet

Holà ! Je vous signale, cher docteur, que la première fois qu'une mise en scène d'opéra par Marthaler a été montée en France, c'était au Capitole en janvier 2000 : la Katia Kabanova reprise plus tard à Garnier.

39. Le lundi 30 octobre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Depuis que je suis passée ici, je vois que la discussion a bien évolué ! Avec le commentaire et les réponses ci-dessous, je vous invite à un léger retour en arrière qui, je l'espère, ne fera pas perdre le fil de la discussion actuelle.

C’est tellement fréquent et tellement facile d’entendre des fausses notes dans le rang des cornistes qu’ils devraient être habitué à ce qu’on les remarque. Ah, ils sont bien susceptibles ! Et puis ils n’ont pas de chance : une fausse note dans les solos de cor du « Va tacito » de Jules César fait même fuir le gibier le moins sauvage et se voit comme le nez au milieu de la figure de Cléopâtre.

Vous vous doutez que c’est avec plaisir que je vous dis bien volontiers quelques mots du récital de mélodies françaises de N. Stutzmann et I. Södergren du 17 avril 2005 dans cette même salle de la Cité de Musique.
En voici le programme :
Duparc : Phidylé, Le Manoir de Rosemonde, Chanson triste, Extase
Chausson : Le Colibri, Les Papillons, Serre d’ennui, les Heures, Chanson perpétuelle
Fauré : Après un rêve, Rêve d’amour, le Papillon et la Fleur
Debussy : La Chevelure, Fleur des Blés, Mandoline
Hahn : Si mes vers avaient des ailes, Infidélité, A Cloris
Poulenc : Sanglots, Ce doux petit visage, La Belle Jeunesse
Et en bis :
Martini : Plaisir d’amour
Weill : Youkali

Quant à la réussite de cet après-midi (le récital était un dimanche à 16 heures), elle fût complète, comment en douter en effet ;-) ?!!!
Je notais dans mon compte-rendu que c’était la première fois que j’entendais ce duo en vrai, et je détaillais chez Nathalie Stutzmann qui chantait sans partition : « son timbre que j’aime tant, son articulation si personnelle de certaines consonnes (les s, f, j/g et les v), ses intonations particulières (ou, oi, ié), sa douceur dans la prononciation de certaines voyelles (les u et les a)». Je notais que j’étais beaucoup plus familière du lied que de la mélodie française (ce qui est toujours vrai…), et je concluais ainsi : « De cet après midi, je retiens une ambiance calme, détendue, un peu studieuse, un grand professionnalisme de la part des deux artistes, de la concentration et du courage, ainsi que la certitude d’avoir perçu ce délicat raffinement « français », un peu passé, ni superficiel, ni ridicule, mais simplement charmant ».

J’ajoute aujourd’hui que je me suis vraiment délectée avec des mélodies comme Le Papillon et la Fleur (le « oi » de N. Stutzmann dans « donne-moi des ails comme tOI » me fait tellement craquer !) ou Après un rêve (il faut l’entendre chanter les « i » dans « RevIens, revIens, radIeuse / RevIens ô nuIt mYstérIeuse ! »… aaah magnifique !!!). Il est aussi très impressionnant de suivre sa conduite très maîtrisée et sa ligne musicale parfaite dans des mélodies comme Les Heures ou la Chanson perpétuelle. Et puis je découvrais Youkali de Weill. J’ai tout de suite aimé cette œuvre, aussi bien grâce à sa musique que grâce à son texte : « … Mais la pauvre âme humaine, / Cherchant partout l’oubli, / A pour quitter la terre, / Su trouver le mystère / Où nos rêves se terrent / En quelque Youkali… ». Quel bel hommage à la musique !

Je suis presque désolée de ne voir aucune déclaration de guerre dans ce que vous dites de M. Goerne. J’accepte sans mal qu’il soit pour vous « le plus grand chanteur de lied en exercice » puisque je peux sans vous contredire déclarer que, pour moi, Nathalie Stutzmann est la plus grandE chanteuSE de lied en exercice ;-) !

Notez que je laisse tomber « ces idées qu’on a tracées au crayon sur la partition », et qu’en matière de « beauté », je crois que nous avons compris depuis longtemps qu’il est vain de contester les goûts des uns ou des autres ;-) !

Merci pour l’explication de la « messa di voce » dont je n’avais en fait aucune idée.

Dans mes « interprétations plus sensibles et moins intellectuelles » supprimez « intellectuelles ». Voyez comme le récent CD Bach d’A. Tharaud est sensible et même romantique, et on retrouve la même chose dans le Schubert d’A. Gastinel, bien que le « romantisme » soit ici à sa place ! Je n’opposerais d’ailleurs pas « profondeur » avec « sensibilité » ou « sentiment » dans l’approche de ces « jeunes » interprètes. Je trouve leur jeu moins froid, moins brillant que ceux d’interprètes des générations antérieures, mais je me garderai bien de généraliser, on trouvera toujours des contre-exemples… vous, cher David, trouverez toujours des contre-exemples ;-) !

40. Le lundi 30 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Faust :
Il ne me reste plus que la malédiction ? Je propose donc que, lorsqu'il sera frappé par la limite d'âge légale, Gérard Mortier puisse faire bénéficier de ses précieux conseils les opéras de province et, en particulier, le Grand Théâtre de Bordeaux ... Il n'est pas juste que la France profonde ne puisse avoir accès aux Haneke, Marhalter, etc. sans oublier Sylvain ...

On voit, cher docteur, que vous n'avez pas mis les pieds en province depuis un bout de temps... Même sans les "mesures nouvelles" accordées à Gérard (des rallonges budgétaires prohibées donc déguisées, pour ceux qui n'aurait pas suivi l'histoire), ce serait une bénédiction en termes de programmation, et même de distribution de chanteurs et de chefs !
Cambreling a ses mauvais soirs, mais dans l'ensemble, c'est un travail plus stylé que ce qu'on entend habituellement à Bordeaux.

Quant aux mises en scène... Tant qu'on m'épargne un nouveau Pichon, je signe tout les parchemins que vous voulez !

41. Le lundi 30 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

Depuis que je suis passée ici, je vois que la discussion a bien évolué !

C'est qu'au fond, Iñigo Gomez en herbe, nous sommes de petits farceurs.

Vous avez eu le billet le plus inspirant de ce carnet, manifestement. 8-)


C’est tellement fréquent et tellement facile d’entendre des fausses notes dans le rang des cornistes qu’ils devraient être habitué à ce qu’on les remarque. Ah, ils sont bien susceptibles ! Et puis ils n’ont pas de chance : une fausse note dans les solos de cor du « Va tacito » de Jules César fait même fuir le gibier le moins sauvage et se voit comme le nez au milieu de la figure de Cléopâtre.

Pour les cornistes en question (Orchestre de Paris et Orchestre National de France), il y a eu des pourrissements de relations, des attaques personnelles, des usurpations d'identité, des menaces et même des coups de fils anonymes... En plus, ils sont bêtes comme leurs pieds, parce qu'on remonte toujours aisément à eux.

Quand je dis les cornistes, ce sont eux ou certains collègues de l'orchestre qui les défendent.


En voici le programme :
Duparc : Phidylé, Le Manoir de Rosemonde, Chanson triste, Extase
Chausson : Le Colibri, Les Papillons, Serre d’ennui, les Heures, Chanson perpétuelle
Fauré : Après un rêve, Rêve d’amour, le Papillon et la Fleur
Debussy : La Chevelure, Fleur des Blés, Mandoline
Hahn : Si mes vers avaient des ailes, Infidélité, A Cloris
Poulenc : Sanglots, Ce doux petit visage, La Belle Jeunesse
Et en bis :
Martini : Plaisir d’amour
Weill : Youkali

Quant à la réussite de cet après-midi (le récital était un dimanche à 16 heures), elle fût complète, comment en douter en effet ;-) ?!!!

En tout cas le programme se tient... non pas qu'il soit d'une originalité folle, mais on n'entend pas si souvent Chausson et Hahn en concert !


Je notais dans mon compte-rendu que c’était la première fois que j’entendais ce duo en vrai, et je détaillais chez Nathalie Stutzmann qui chantait sans partition : « son timbre que j’aime tant, son articulation si personnelle de certaines consonnes (les s, f, j/g et les v), ses intonations particulières (ou, oi, ié), sa douceur dans la prononciation de certaines voyelles (les u et les a)».

On vous reconnaît bien là !


Je notais que j’étais beaucoup plus familière du lied que de la mélodie française (ce qui est toujours vrai…), et je concluais ainsi : « De cet après midi, je retiens une ambiance calme, détendue, un peu studieuse, un grand professionnalisme de la part des deux artistes, de la concentration et du courage, ainsi que la certitude d’avoir perçu ce délicat raffinement « français », un peu passé, ni superficiel, ni ridicule, mais simplement charmant ».

Passé ? Tiens donc.


Je suis presque désolée de ne voir aucune déclaration de guerre dans ce que vous dites de M. Goerne. J’accepte sans mal qu’il soit pour vous « le plus grand chanteur de lied en exercice » puisque je peux sans vous contredire déclarer que, pour moi, Nathalie Stutzmann est la plus grandE chanteuSE de lied en exercice ;-) !

Bien vu. <°-D (souriard avec un cocard qui se fend la poire)


Notez que je laisse tomber « ces idées qu’on a tracées au crayon sur la partition », et qu’en matière de « beauté », je crois que nous avons compris depuis longtemps qu’il est vain de contester les goûts des uns ou des autres ;-) !

Je le crois aussi. Chacun a ses propres attentes, ses propres usages, et vouloir convaincre n'a d'utilité que s'il s'agit de faire aimer. Ce qui n'empêche pas d'expliciter ses réticences, bien au contraire.
De toute façon, avec vous, je sais bien que je n'ai aucune chance ne serait-ce que de vous dégoûter un peu ?

Au fait, vous ai-je dit que je me demandais sérieusement si j'allais me rendre au récital de Nathalie cette fin d'année ?Non ?Oh, comme c'est étrange.Un oubli sans doute.

Merci pour l’explication de la « messa di voce » dont je n’avais en fait aucune idée.


Voyez comme le récent CD Bach d’A. Tharaud est sensible et même romantique,

Mon jeune ami de hope52era (http://hope52era.skyblog.com) me le dit souvent : Taro Powa.


Je trouve leur jeu moins froid, moins brillant que ceux d’interprètes des générations antérieures, mais je me garderai bien de généraliser, on trouvera toujours des contre-exemples… vous, cher David, trouverez toujours des contre-exemples ;-) !

Oui, il y en a beaucoup : la froideur chez une Dupré, chez une Argerich, chez un Stern, on la chercherait en vain. Et inversement, Duchâble, Shaham ou Korcia ont respectivement une musicalité cassante ou un son très rond, presque trop sûr, qui s'opposent à l'idée d'une nécessaire intériorisation.
Juste en passant. :-) Mais je vois très bien à quelle génération extraordinaire vous faites allusion.

42. Le mardi 31 octobre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

La seule critique que j’ai trouvée sur le net pour ce récital d’avril 2005 concernait le programme que comme vous on ne jugeait pas très original. Je ne connais pas assez ce qu’on chante habituellement sur scène dans ce répertoire pour avoir un avis sur la question, j’ai simplement apprécié que N. Stutzmann n’ait pas uniquement chanté des mélodies qu’elle avait enregistrées.

A propos du « délicat raffinement français, un peu passé ».
Hum, peut-être avez-vous senti que je ne suis pas fan de la mélodie française. En fait, j’ai toujours eu du mal avec le Français chanté, parce que… tenez-vous bien… je comprends les paroles ;-) ! Incroyable non ?
Plus sérieusement, la raison me semble double :
- je ne raffole pas de la poésie en général, ni de celle de la fin du XIXe ou du début XXe en particulier ;
- j’apprécie moins la musique française fin XIXe-début XXe que la musique allemande du début XIXe.
D’où peut-être mes difficultés avec la mélodie française et dans une moindre mesure, avec l’opéra français (notez que l’opéra baroque français ne me pose pas ces problèmes).

C’est le regard et l’écoute malheureusement un peu ironiques que je porte sur le chant en Français qui m’a fait associer la mélodie à « ce délicat raffinement un peu passé », « passé » parce que je n’arrive pas bien à lui trouver du charme aujourd’hui sans me référer à la délicatesse supposée d’une époque révolue.

Je suis parfaitement consciente que ne pas apprécier la mélodie française, pour une Française, est une faute de goût pratiquement impardonnable ;-) !!! Bon, mais je travaille pour y remédier, et bien sûr N. Stutzmann fait partie de mon programme de formation continue !

Au fait, vous ai-je dit que je me demandais sérieusement si je n’allais pas réserver l’ensemble des places encore disponibles pour le récital de NS et IS en cette fin d’année ? Non ? Ah, c’est un oubli bien étrange, ma mémoire me jouerait-elle des tours ?… =)߬$

J sui alé ché Taro Powa… Tro dur pr moa, é pui j nème pa bocou le roz !

A+++ chr DvD.
A+++ chr DvD

43. Le mardi 31 octobre 2006 à , par DavidLeMarrec

La seule critique que j’ai trouvée sur le net pour ce récital d’avril 2005 concernait le programme que comme vous on ne jugeait pas très original.

Très original, certes non, mais pas très fréquent non plus, pour partie (Chausson et Hahn tout spécialement).
Je ne me souviens pas d'avoir entendu un récital de mélodies françaises (même partagé avec du lied) dans lequel ne figurait pas l'Invitation au voyage... c'est donc déjà beaucoup. Surtout que la chose lui aurait sans doute plutôt bien convenu.


Je ne connais pas assez ce qu’on chante habituellement sur scène dans ce répertoire pour avoir un avis sur la question,

La réponse est simple : on ne le chante pas.
Plus sérieusement, souvent des secondes parties de récital lied, pour flatter le public local ou alléger un peu le tout ("c'est frais, c'est charmant") - de la façon dont Barbara Bonney clôturait un concert Dichterliebe avec de l'opérette viennoise (ce qui fit basculer un public bordelais poli vers la limite du délire).


j’ai simplement apprécié que N. Stutzmann n’ait pas uniquement chanté des mélodies qu’elle avait enregistrées.

Oui, c'est une attitude toujours agréable.


A propos du « délicat raffinement français, un peu passé ».
Hum, peut-être avez-vous senti que je ne suis pas fan de la mélodie française. En fait, j’ai toujours eu du mal avec le Français chanté, parce que… tenez-vous bien… je comprends les paroles ;-) ! Incroyable non ?
Plus sérieusement, la raison me semble double :
- je ne raffole pas de la poésie en général, ni de celle de la fin du XIXe ou du début XXe en particulier ;
- j’apprécie moins la musique française fin XIXe-début XXe que la musique allemande du début XIXe.

Sur ce second point, j'ai une très sérieuse tendance (mais promettez-moi de ne pas le répéter, ma réputation en dépend) à suivre votre avis.
En revanche, je bondis gentiment lorsqu'on ressort certains poncifs du genre "Maeterlinck est plat et ennuyeux" ou autres. Je le comprends fort bien, mais le problème est que, trop souvent, on se contente d'un sourire condescendant en guise d'argumentation. (ne me dites pas à présent que vous n'aimez pas Maeterlinck, je serais dans l'embarras :-)

Je suis aussi plus sensible à la thématique allemande début XIXe, et surtout à ce chant rythmique bien plus exaltant à mes oreilles que le ronronnement de l'alexandrin.

Je donnerais bien des chefs-d'oeuvre de la versification française pour Die Vöglein, die so fröhlich sangen ou Es rauschen die Wipfel und schauern d'Eichendorff.
Pas tous bien entendu, quelques tours de force ont toute mon admiration, voire toute mon adhésion - par exemple la formidable Fin de Satan inachevée de Hugo.


D’où peut-être mes difficultés avec la mélodie française et dans une moindre mesure, avec l’opéra français (notez que l’opéra baroque français ne me pose pas ces problèmes).

Parce que le texte est parfois meilleur ? D'accord pour Roy, pour pas mal de Quinault, mais le noble Bajazet sait à quel point La Motte me fait souffrir.


C’est le regard et l’écoute malheureusement un peu ironiques que je porte sur le chant en Français qui m’a fait associer la mélodie à « ce délicat raffinement un peu passé », « passé » parce que je n’arrive pas bien à lui trouver du charme aujourd’hui sans me référer à la délicatesse supposée d’une époque révolue.

Oui, c'est peut-être une illusion d'optique. Ca me semble être une esthétique plus très pratiquée, mais très compréhensible depuis aujourd'hui. Comme le lied, l'immersion est la seule voie d'accès. :-)


Je suis parfaitement consciente que ne pas apprécier la mélodie française, pour une Française, est une faute de goût pratiquement impardonnable

Bien sûr, je compte d'ailleurs demander à mon député de proposer une modification de la loi sur l'outrage au drapeau et à la Marseillaise, en y incluant l'outrage à la mélodie française et l'outrage à Meyerbeer.


J sui alé ché Taro Powa… Tro dur pr moa, é pui j nème pa bocou le roz !

c po roz c phushia lol é le jon kanarie ????

44. Le vendredi 3 novembre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Alors vous m’aviez caché que vous aviez écouté en récital B. Bonney ;-) ! Remarquez que même dans l’opérette viennoise, je serais allée l’écouter… mais hélas… Plus sérieusement, puis-je vous demander ce que vous avez pensé de ses Dichterliebe ?

Cela serait plutôt à moi d’être dans l’embarras avec Maeterlinck : je n’ai jamais rien lu de lui, je ne connais vraiment pas bien Pelléas et Mélisandre, et il ne me reste guère que Chausson avec ses Serres de l’opus 24 pour me faire une petite idée de son style poétique. Juste un minuscule exemple pris un peu au hasard, à la fin d’ « Oraison » :

… la tristesse de ma joie
Semble de l’herbe sous la glace.

Hum, je suppose qu’une telle image est faite pour frapper doucement mais en profondeur les esprits surréalistes… Malheureusement je ne suis guère sensible à ce courant, je trouve cette « tristesse de ma joie » trop recherchée pour être sincère, et avec son « herbe sous la glace », il n’arrive pas à la cheville de Müller… Pauvre Maeterlinck ! Cependant, cela fait quelques années que je me dis régulièrement que je devrais lire son Pelléas…

Juste une remarque sur l’alexandrin : c’est une forme de versification dont je raffole dans le théâtre, surtout avec Racine et Corneille. Sinon, je crois avoir nettement montré mon peu d’enthousiasme pour la poésie…

Quant aux textes des opéras baroques, en général, non, je ne pense pas qu’ils soient « meilleurs » que dans d’autres formes musicales où sont mis en musique des textes en français. Mais ce sont les charmes de la musique baroque qui font passer des histoires et des tournures de phrases ou d’esprits complètement « exotiques » dans le monde d’aujourd’hui, même si bien sûr, les préoccupations du fond sont encore souvent d’actualité.

Peut-être que pour la mélodie française, je manque un peu du recul qui me fait considérer la musique baroque d’un point de vue historique, ce qui me permet de l’apprécier comme témoignage aussi bien que pour ses qualités musicales. En fait pour moi, les textes et les musiques de la mélodie française ne sont sans doute pas assez anciens… C’est un autre âge qui me convient, mais n’y voyez aucun outrage ;-) !

J nème pa le jon kanari non plu… arrrr lè gou é lè kouler !

45. Le vendredi 3 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Alors vous m’aviez caché que vous aviez écouté en récital B. Bonney ;-) ! Remarquez que même dans l’opérette viennoise, je serais allée l’écouter… mais hélas… Plus sérieusement, puis-je vous demander ce que vous avez pensé de ses Dichterliebe ?

Vous avez mon autorisation. Je vous laisse le faire ou je réponds tout de suite ?

Eh bien, personnellement, malgré un accent américain assez présent, j'ai aimé sa lecture, vraiment spécifique. C'était plus parlé que chanté, à vrai dire, ce qui avait pour effet - peu désagréable - de mettre en valeur le texte. La partie opérette (qui ne m'a guère, on le devine, pas transporté aux mêmes sommets) était plus vocale, très bien assumée.

Néanmoins, avec le recul, je comprends bien que j'ai eu droits aux derniers feux d'une étoile déjà presque engloutie : le parlando, c'était simplement parce que la voix ne sortait plus. Mais on était très loin du désastre de Cos'i, la diction restait supportable et très intelligible.
Dans le petit Grand-Théâtre de Bordeaux, on entendait tout, malgré la projection discrète, donc vraiment un plaisir.

Je pense cependant que d'autres que moi, plus lyricophiles, auraient un peu plus crié au scandale. :)

Bordeaux s'est donc fait une spécialité des concerts de sopranes finissantes : Janowitz (adieux), Bonney, Lott cette année...


Cela serait plutôt à moi d’être dans l’embarras avec Maeterlinck : je n’ai jamais rien lu de lui, je ne connais vraiment pas bien Pelléas et Mélisandre, et il ne me reste guère que Chausson avec ses Serres de l’opus 24 pour me faire une petite idée de son style poétique.

Même pas le cycle de Zemlinsky ? Il faut dire que dissous dans l'allemand, il ne reste pas grand chose de son style.

Hum, je suppose qu’une telle image est faite pour frapper doucement mais en profondeur les esprits surréalistes… Malheureusement je ne suis guère sensible à ce courant, je trouve cette « tristesse de ma joie » trop recherchée pour être sincère,

C'est surtout un poncif oxymorique (ou, pour être plus exact, un oxymore poncivique) de premier ordre.

Je pensais d'abord à son théâtre, qui a ses charmes. Vous pouvez toujours débuter l'immersion par ici.


et avec son « herbe sous la glace », il n’arrive pas à la cheville de Müller… Pauvre Maeterlinck !

C'est difficilement comparable, tout de même, les images ne sont pas exactement employées dans la même perspective.


Cependant, cela fait quelques années que je me dis régulièrement que je devrais lire son Pelléas…

Si la lecture sur écran ne vous rebute pas, je peux vous envoyer une version numérisée de l'oeuvre (domaine public, a priori).


Juste une remarque sur l’alexandrin : c’est une forme de versification dont je raffole dans le théâtre, surtout avec Racine et Corneille. Sinon, je crois avoir nettement montré mon peu d’enthousiasme pour la poésie…

Il existe bien entendu des alexandrins remarquables. Les miens, ce sont plutôt ceux de la Fin de Satan, une formidable giffle côté versification, franchement virtuose, grand souffle, pas la moindre contorsion de sens ni le même sentiment de contrainte par le vers.
Chez Racine, une petite chose me chagrine toutefois, qu'on sente à ce point qu'il ne sait compter que jusqu'à six. Dans ses pièces les moins inspirées (non, je n'ai pas encore parlé d'Alexandre), c'en devient un peu pénible, malgré la maîtrise formelle et d'autres intérêts multiples.


Quant aux textes des opéras baroques, en général, non, je ne pense pas qu’ils soient « meilleurs » que dans d’autres formes musicales où sont mis en musique des textes en français. Mais ce sont les charmes de la musique baroque qui font passer des histoires et des tournures de phrases ou d’esprits complètement « exotiques » dans le monde d’aujourd’hui, même si bien sûr, les préoccupations du fond sont encore souvent d’actualité.

Oui, bien sûr. Par exemple comment sauver sa fiancée d'un monstre aquatique, comment trancher la tête d'une femme-serpent, comment échapper au mariage forcé avec un prêtre de Bacchus, comment conquérir Jérusalem...
Remarquez, on pourrait placer Callirhoé en Afghanistan et Renaud dans la bande de Gaza, ça n'aurait rien qui heurte nos habitudes de spectateurs...


J nème pa le jon kanari non plu… arrrr lè gou é lè kouler !

c teribl !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! (lolol)

46. Le jeudi 9 novembre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Bonjour David !
Toutes mes excuses pour cette petite absence sans préavis.

Merci d’avoir répondu tout de suite à mon interrogation sur B. Bonney ;-).
Oui, j’ai déjà remarqué dans plusieurs de ses enregistrements qu’elle avait un accent important. Evidemment je m’en rends mieux compte pour le Français, et j’avais été un peu surprise de sa diction dans cette langue dans son dernier CD (FX Mozart, mélodie « Le Baiser »), en revanche dans « Les Boréades » de Rameau (production de 2003 ou 2004), j’ai trouvé son Français plus intelligible. Ce que j’aime beaucoup chez elle, c’est la simplicité (apparente ?) et le charme naturel de son chant, et puis bien sûr (on s’en doute) son timbre pur et léger très reconnaissable. Quant à son jeu à l’opéra, je l’ai vue dans quelques spectacles enregistrés, et à chaque fois je l’ai trouvée touchante et juste.

Et à propos des « sopranos finissantes », j’avais oublié ceci : oui, oui, bien sûr j’apprécierai vraiment beaucoup que vous nous parliez du récital de F. Lott, je vous en prie, je vous en supplie même si ça vous fait plaisir ;-) !!!

Hum, vous savez sans doute comme les préjugés sont tenaces… Je suppose donc peut-être bêtement que Zemlinsky n’est pas pour moi, et je ne crois pas avoir écouté sérieusement quelque chose de lui.

Ce que je n’aime guère en effet dans pas mal de textes poétiques de la mélodie française, ce sont les clichés néo-romantiques, ou les oppositions faciles. Cela casse tout à fait les ambiances un peu rêveuses ou mélancoliques.

J’accepte avec grand plaisir votre proposition pour le texte du Pelléas de Maeterlinck, et je suppose que je pourrais l’imprimer, donc pas de problème pour la lecture. Je suis allée refaire un tour dans votre article sur cet opéra, mais j’ai encore du mal à m’y intéresser profondément, désolée.

Voici deux fois que vous citez « la Fin de Satan ». Je n’ai pas honte de dire à la face du monde que je ne connais pas cette œuvre ;-) ! Quel est l’auteur, de quand cela date-t-il, de quoi ça parle (en dehors de la fin de Satan) ?

Ah comme c’est drôle… j’étais certaine que vous alliez trouver que les livrets des opéras baroques regorgeaient de magnifiques leçons de vie qui peuvent nous servir quotidiennement d’exemples ;-)…

SSSSS

47. Le jeudi 9 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Sylvie !

Toutes mes excuses pour cette petite absence sans préavis.

Je vais vous étonner et peut-être vous décevoir, mais il faut vous faire cette révélation : vous êtes libre d'aller et venir comme bon vous semble, notre jeune monarchie ne dispose pas encore d'une tcheka suffisamment performante pour vous contraindre. :)


Néanmoins, afin de ne pas commettre d'erreur, voici le petit manuel indispensable à la bienséance ici.


Oui, j’ai déjà remarqué dans plusieurs de ses enregistrements qu’elle avait un accent important. Evidemment je m’en rends mieux compte pour le Français, et j’avais été un peu surprise de sa diction dans cette langue dans son dernier CD (FX Mozart, mélodie « Le Baiser »), en revanche dans « Les Boréades » de Rameau (production de 2003 ou 2004), j’ai trouvé son Français plus intelligible.

Elle s'était faite assassiner par la critique dans le rôle d'Alphise. Cela dit, oui, les choses se sont détériorées récemment : si on écoute sa merveille Sophie au début des années 90, l'allemand est vraiment très bon. Pareil pour les récitals italiens plus anciens. C'est une chose étrange, généralement, à force de travail, les dictions s'améliorent (voir l'allemand de Domingo, qui finira bien par ressembler à quelque chose :-).


Ce que j’aime beaucoup chez elle, c’est la simplicité (apparente ?) et le charme naturel de son chant, et puis bien sûr (on s’en doute) son timbre pur et léger très reconnaissable.

C'est très musical, c'est indéniable. Elle se prête plus que bien à certains rôles assez instrumentaux, telle Sophie. Ensuite, dans le lied, on rencontre toujours une petite limite dans l'imagination de la réalisation, et surtout la langue.
Toutefois, le récital que j'avais entendu en 2003 faisait montre d'une véritable sensibilité à ce genre.


Et à propos des « sopranos finissantes », j’avais oublié ceci : oui, oui, bien sûr j’apprécierai vraiment beaucoup que vous nous parliez du récital de F. Lott, je vous en prie, je vous en supplie même si ça vous fait plaisir ;-) !!!

Requête retenue. :-) Ne vous gênez pas pour recommencer, c'est quand vous voulez. -<]:D


Hum, vous savez sans doute comme les préjugés sont tenaces… Je suppose donc peut-être bêtement que Zemlinsky n’est pas pour moi, et je ne crois pas avoir écouté sérieusement quelque chose de lui.

Zemlinsky est quelque chose de fantastique. Je suis moins fou de ses Maeterlinck que d'autres de ses pièces, mais c'est incontestablement beau. Eine Florentinische Tragödie, son tube (juste après la Symphonie Lyrique), est l'opéra le plus dense musicalement que je connaisse (du moins entre 1600 et 1950), aux côtés de Tristan et Isolde. Pour connaître Maeterlinck, néanmoins, Pelléas ou l'Ariane et Barbe-Bleue de Dukas me semblent plus indiqués.

Zemlinsky, c'est Strauss qui a découvert la psychanalyse, si on veut faire vite : ce même lyrisme, mais un vertige inquiet de soi, des hommes, qui s'ajoute aussi bien à l'harmonie qu'aux textes.
Eine Florentinische Tragödie reprend l'intrigue traditionnelle du Barbier de Séville et, surtout, du Toréador d'Adam (l'amant de la jeune femme mariée au vieux et riche barbon vient la courtiser sous son nez sous un faux prétexte, trois personnages). Seulement, ici, on dirait qu'on a ouvert le couvercle de la marmite de l'inconscient, et le Ca entre en jeu : que peut faire un marchand d'étoffes à un prince qui vient lui souiller sa femme, si on lui ôte son Surmoi ? Vous pouvez aller loin, lui aussi le fait.


Ce que je n’aime guère en effet dans pas mal de textes poétiques de la mélodie française, ce sont les clichés néo-romantiques, ou les oppositions faciles. Cela casse tout à fait les ambiances un peu rêveuses ou mélancoliques.

Des exemples, comme cela ? La poésie est très largement faite de clichés, repris, renouvelés ou détournés. Et particulièrement la poésie allemande de la première moitié du dix-neuvième. Depuis Bürger, Herder, Goethe et Schiller, il n'y a pas eu tant d'innovation, à part à la marge - et c'est ce qui en fait aussi l'intérêt.


J’accepte avec grand plaisir votre proposition pour le texte du Pelléas de Maeterlinck, et je suppose que je pourrais l’imprimer, donc pas de problème pour la lecture. Je suis allée refaire un tour dans votre article sur cet opéra, mais j’ai encore du mal à m’y intéresser profondément, désolée.

Je vous l'ai mis en ligne ici.

Je reviens en suivant sur la Fin de Satan.

48. Le jeudi 9 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Voici deux fois que vous citez « la Fin de Satan ». Je n’ai pas honte de dire à la face du monde que je ne connais pas cette œuvre ;-) ! Quel est l’auteur, de quand cela date-t-il, de quoi ça parle (en dehors de la fin de Satan) ?

Ce n'est pas l'oeuvre la plus célèbre de son auteur, même si (on nous l'assure) tous les petits Français connaissent jadis par coeur l'ensemble de l'oeuvre d'Hugo.
C'est une oeuvre inachevée de près de six mille vers, Hugo y travaille de 1854 à 1862, par étapes successives. Elle est censée faire écho à deux autres ensembles poétiques, La Légende des Siècles (poème épique sur l'humanité) et Dieu.
Hugo y raconte la généalogie du mal : la chute originelle de Lucifer, les premiers temps du mal (Nemrod), la Passion du Christ, la détresse de Satan. La section historique (Nemrod, Jésus) devait s’achever dans une apothéose mystique avec la prise de la Bastille (!), et n'a jamais été achevée – il faut dire qu’on sent les esquisses un rien empesées. Et la fin, inachevée aussi, consacre l'assomption et le pardon de Satan, grâce à la plume laissée de sa gloire, devenue l'Ange Liberté.

C'est d'une grandiloquence terrible, et c'est sans doute ce qui vaut si souvent à Hugo ces moues un peu condescendantes.

Et pourtant, c’est d’un souffle incroyable, et les représentations qui y figurent passent assez largement l’idée des pôles binaires à l’œuvre chez Hugo.

Je faisais quant à moi référence au début, l’un des deux passages les plus ébouriffants, avec la disparition des soleils.

I.

Depuis quatre mille ans il tombait dans l'abîme

Il n'avait pas encor pu saisir une cime,
Ni lever une fois son front démesuré.
Il s'enfonçait dans l'ombre et la brume, effaré,
Seul, et derrière lui, dans les nuits éternelles,
Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes.
Il tombait foudroyé, morne silencieux,
Triste, la bouche ouverte et les pieds vers les cieux,
L'horreur du gouffre empreinte à sa face livide.
Il cria : - Mort! - les poings tendus vers l'ombre vide.
Ce mot plus tard fut homme et s'appela Caïn.
Il tombait. Tout à coup un roc heurta sa main;
Il l'étreignit, ainsi qu'un mort étreint sa tombe,
Et s'arrêta.
Quelqu'un, d'en haut, lui cria : - Tombe!
Les soleils s'éteindront autour de toi, maudit! -
Et la voix dans l'horreur immense se perdit.
Et, pâle, il regarda vers l'éternelle aurore.
Les soleils étaient loin, mais ils brillaient encore.
Satan dressa la tête et dit, levant le bras :
- Tu mens! - Ce mot plus tard fut l'âme de Judas.
Pareil aux dieux d'airain debout sur leurs pilastres,
Il attendit mille ans, l'oeil fixé sur les astres.
Les soleils étaient loin, mais ils brillaient toujours.
La foudre alors gronda dans les cieux froids et sourds.
Satan rit, et cracha du côté du tonnerre.
L'immensité, qu'emplit l'ombre visionnaire,
Frissonna. Ce crachat fut plus tard Barabbas.
Un souffle qui passait le fit tomber plus bas.

II

La chute du damné recommença. - Terrible,
Sombre, et piqué de trous lumineux comme un crible,
Le ciel plein de soleils s'éloignait, la clarté
Tremblait, et dans la nuit le grand précipité,
Nu, sinistre, et tiré par le poids de son crime,
Tombait, et, comme un coin, sa tête ouvrait l'abîme.
Plus bas! plus bas! toujours plus bas! Tout à présent
Le fuyait; pas d'obstacle à saisir en passant,
Pas un mont, pas un roc croulant, pas une pierre,
Rien, l'ombre, et d'épouvante il ferma sa paupière.
Quand il rouvrit les yeux, trois soleils seulement
Brillaient, et l'ombre avait rongé le firmament.
Tous les autres soleils étaient morts.

III

Une roche
Sortait du noir brouillard comme un bras qui s'approche.
Il la prit, et ses pieds touchèrent des sommets.

Alors l'être effrayant qui s'appelle Jamais
Songea. Son front tomba dans ses mains criminelles.
Les trois soleils, de loin, ainsi que trois prunelles,
Le regardaient, et lui ne les regardait pas.
L'espace ressemblait aux plaines d'ici-bas,
Le soir, quand l'horizon qui tressaille et recule,
Noircit sous les yeux blancs du spectre crépuscule.
De longs rayons rampaient aux pieds du grand banni.
Derrière lui son ombre emplissait l'infini.
Les cimes du chaos se confondaient entre elles.
Tout à coup il se vit pousser d'horribles ailes;
Il se vit devenir monstre, et que l'ange en lui
Mourait, et le rebelle en sentit quelque ennui.
Il laissa son épaule, autrefois lumineuse,
Frémir au froid hideux de l'aile membraneuse,
Et croisant ses deux bras, et relevant son front,
Ce bandit, comme s'il grandissait sous l'affront,
Seul dans ces profondeurs que la ruine encombre,
Regarda fixement la caverne de l'ombre.
Les ténèbres sans bruit croissaient dans le néant.
L'opaque obscurité fermait le ciel béant;
Et, faisant, au-delà du dernier promontoire,
Une triple fêlure à cette vitre noire,
Les trois soleils mêlaient leurs trois rayonnements.
Après quelque combat dans les hauts firmaments,
D'un char de feu brisé l'on eût dit les trois roues.
Les monts hors du brouillard sortaient comme des proues.
Eh bien, cria Satan, soit! Je puis encor voir!
Il aura le ciel bleu, moi j'aurai le ciel noir.
Croit-il pas que j'irai sangloter à sa porte?
Je le hais. Trois soleils suffisent. Que m'importe!
Je hais le jour, l'azur, le rayon, le parfum! -

Soudain, il tressaillit; il n'en restait plus qu'un.

IV

L'abîme s'effaçait. Rien n'avait plus de forme.
L'obscurité semblait gonfler sa vague énorme.
C'était on ne sait quoi de submergé; c'était
Ce qui n'est plus, ce qui s'en va, ce qui se tait;
Et l'on n'aurait pu dire, en cette horreur profonde,
Si ce reste effrayant d'un mystère ou d'un monde,
Pareil au brouillard vague où le songe s'enfuit,
S'appelait le naufrage ou s'appelait la nuit;
Et l'archange sentit qu'il devenait fantôme.
Il dit : - Enfer! - Ce mot plus tard créa Sodome.

Et la voix répéta lentement sur son front :
- Maudit! autour de toi les astres s'éteindront. -

Et déjà le soleil n'était plus qu'une étoile.

V

Et tout disparaissait par degrés sous un voile.
L'archange alors frémit; Satan eut le frisson.
Vers l'astre qui tremblait, livide, à l'horizon,
Il s'élança, sautant d'un faîte à l'autre faîte.
Puis, quoiqu'il eût horreur des ailes de la bête,
Quoique ce fût pour lui l'habit de la prison,
Comme un oiseau qui va de buisson en buisson,
Hideux, il prit son vol de montagne en montagne,
Et ce forçat se mit à courir dans ce bagne.

Il courait, il volait, il criait : - Astre d'or!
Frère! attends-moi! j'accours! ne t'éteins pas encor!
Ne me laisse pas seul! -

Le monstre de la sorte
Franchit les premiers lacs de l'immensité morte,
D'anciens chaos vidés et croupissant déjà,
Et dans les profondeurs lugubres se plongea.

L'étoile maintenant n'était qu'une étincelle.

Il entra plus avant dans l'ombre universelle,
S'enfonça, se jeta, se rua dans la nuit,
Gravit les monts fangeux dont le front mouillé luit,
Et dont la base au fond des cloaques chancelle,
Et, triste, regarda devant lui.

L'étincelle
N'était qu'un point rougeâtre au fond d'un gouffre obscur.

VI

Comme entre deux créneaux se penche sur le mur
L'archer qu'en son donjon le crépuscule gagne,
Farouche, il se pencha du haut de la montagne,
Et sur l'astre, espérant le faire étinceler,
Comme sur une braise il se mit à souffler,
Et l'angoisse gonfla sa féroce narine.
Le souffle qui sortit alors de sa poitrine
Est aujourd'hui sur terre et s'appelle ouragan.
A ce souffle, un grand bruit troubla l'ombre, océan
Qu'aucun être n'habite et qu'aucuns feux n'éclairent,
Les monts qui se trouvaient près de là s'envolèrent,
Le chaos monstrueux plein d'effroi se leva
Et se mit à hurler : Jéhova! Jéhova!
L'infini s'entr'ouvrit, fendu comme une toile,
Mais rien ne remua dans la lugubre étoile;
Et le damné criant : - Ne t'éteins pas! j'irai!
J'arriverai! - reprit son vol désespéré.

Et les volcans mêlés aux nuits qui leur ressemblent
Se renversaient ainsi que des bêtes qui tremblent,
Et les noirs tourbillons et les gouffres hideux
Se courbaient éperdus pendant qu'au-dessus d'eux,
Volant vers l'astre ainsi qu'une flèche à la cible,
Passait, fauve et hagard, ce suppliant terrible.

Et depuis qu'il a vu ce passage effrayant,
L'âpre abîme, effaré comme un homme fuyant,
Garde à jamais un air d'horreur et de démence,
Tant ce fut monstrueux de voir, dans l'ombre immense,
Voler, ouvrant son aile affreuse loin du ciel,
Cette chauve-souris du cachot éternel!

VII

Il vola dix mille ans. Pendant dix mille années,
Tendant son cou farouche et ses mains forcenées,
Il vola sans trouver un mont où se poser.
L'astre parfois semblait s'éteindre et s'éclipser,
Et l'horreur du tombeau faisait frissonner l'ange;
Puis une clarté pâle, obscure, vague, étrange,
Reparaissait, et l'ange alors disait : Allons.
Autour de lui planaient les oiseaux aquilons.
Il volait. L'infini sans cesse recommence.
Son vol dans cette mer faisait un effet immense.
La nuit regardait fuir ses horribles talons.
Comme un nuage sent tomber ses tourbillons,
Il sentait s'écrouler ses forces dans le gouffre.
L'hiver murmurait : tremble! et l'ombre disait : souffre!
Enfin il aperçut au loin un noir sommet
Que dans l'ombre un reflet formidable enflammait.
Satan, comme un nageur fait un effort suprême,
Tendit son aile onglée et chauve, et, spectre blême,
Haletant, brisé, las, et, de sueur fumant,
Il s'abattit au bord de l'âpre escarpement.

VIII

Le soleil était là qui mourait dans l'abîme.

L'astre, au fond du brouillard, sans vent qui le ranime
Se refroidissait, morne et lentement détruit.
On voyait sa rondeur sinistre dans la nuit;
Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre,
Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre.
Charbon d'un monde éteint! flambeau soufflé par Dieu!
Ses crevasses montraient encore un peu de feu
Comme si par les trous du crâne on voyait l'âme.
Au centre palpitait et rampait une flamme
Qui par instants léchait les bords extérieurs,
Et de chaque cratère, il sortait des lueurs
Qui frissonnaient ainsi que de flamboyants glaives,
Et s'évanouissaient sans bruit comme des rêves.
L'astre était presque noir. L'archange était si las
Qu'il n'avait plus de voix et plus de souffle, hélas!
Et l'astre agonisait sous ses regards farouches.
Il mourait, il luttait. Avec ses sombres bouches
Dans l'obscurité froide il lançait par moments
Des flots ardents, des blocs rougis, des monts fumants,
Des rocs tout écumants de sa clarté première :
Comme si ce volcan de vie et de lumière,
Englouti par la brume où tout s'évanouit,
N'eût point voulu mourir sans insulter la nuit
Et sans cracher sa lave à la face de l'ombre.
Autour de lui le temps et l'espace et le nombre
Et la forme et le bruit expiraient, en créant
L'unité formidable et noire du néant.
Le spectre Rien levait sa tête hors du gouffre.
Soudain, du coeur de l'astre, un âpre jet de soufre,
Pareil à la clameur du mourant éperdu,
Sortit, clair, éclatant, splendide, inattendu,
Et, découpant au loin mille formes funèbres,
Enorme, illumina, jusqu'au fond des ténèbres,
Les porches monstrueux de l'infini profond.
Les angles que la nuit et l'immensité font
Apparurent. Satan, égaré, sans haleine,
La prunelle éblouie et de ce rayon pleine,
Battit de l'aile, ouvrit les mains, puis tressaillit
Et cria : - Désespoir! le voilà qui pâlit! -

Et l'archange comprit, pareil au mât qui sombre,
Qu'il était le noyé du déluge de l'ombre;
Il reploya ses ailes aux ongles de granit,
Et se tordit les bras, et l'astre s'éteignit.

Nous avons donc nos trois soleils. Ce ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de l’illusion perdue, du monde ancien nécessairement plus brillant pour le Wanderer. Le texte est de toute façon largement postérieur au cycle de Müller. Mais l’écho est tout à fait intéressant.

La partie la plus impressionnante est néanmoins « Satan dans la nuit », ou le paradoxe du mal.

Je peux vous fournir ce texte aux côtés du Maeterlinck, si vous êtes intéressée, j’en dispose aussi au format PDF.

I

Je l'aime! - Nuit, cachot sépulcral, mort vivante,
Ombre que mon sanglot ténébreux épouvante,
Solitudes du mal où fuit le grand puni,
Glaciers démesurés de l'hiver infini,
O flots du noir chaos qui m'avez vu proscrire,
Désespoir dont j'entends le sombre éclat de rire,
Vide où s'évanouit l'être, le temps, le lieu,
Gouffres profonds, enfers, abîmes; j'aime Dieu.
Je l'aime. C'est fini. - Lumière; fiancée
De tout esprit; soleil! feu de toute pensée;
Vie! où donc êtes-vous; Je vous cherche. O tourment!
La création vit dans l'éblouissement;
O regard éclatant de l'aube idolâtrée,
Rayon dont la nature est toute pénétrée!
Les fleuves sont joyeux dans l'herbe; l'horizon
Resplendit; le vent court; des fleurs plein le gazon,
Des oiseaux, des oiseaux, et des oiseaux encore;
Tout cela chante, rit, aime, inondé d'aurore;
Le tigre dit : et moi! je veux ma part du ciel! -
L'aube dore le tigre et l'offre à l'Eternel.

Moi seul je reste affreux! Hélas, rien n'est immonde.
Moi seul, je suis la honte et la tache du monde.
Ma laideur, vague effroi des astres soucieux,
Perce à travers ma nuit et va salir les cieux.
Je ne vois rien, étant maudit; mais dans l'espace
J'entends, j'entends dans l'eau qui fuit, dans l'air qui passe,
J'entends dans l'univers ce murmure : va-t'en!
Le porc dit au fumier : je méprise Satan.
Je sens la nuit penser que je la déshonore.
Le tourbillonnement du grand souffle sonore,
Le vent du matin, libre et lâché dans le ciel,
Evite mon front morne et pestilentiel.

Jadis, ce jour levant, cette lueur candide,
C'était moi. - Moi! - J'étais l'archange au front splendide,
La prunelle de feu de l'azur rayonnant,
Dorant le ciel, la vie et l'homme; maintenant
Je suis l'astre hideux qui blanchit l'ossuaire.
Je portais le flambeau, je traîne le suaire;
J'arrive avec la nuit dans ma main; et partout
Où je vais, surgissant derrière moi, debout,
L'hydre immense de l'ombre ouvre ses ailes noires.

Les profonds infinis croisent leurs promontoires.
Tout devant moi, vers qui jadis l'amour vola,
Recule et fuit.

Je fus envieux. Ce fut là
Mon crime. Tout fut dit, et la bouche sublime
Cria : mauvais! et Dieu me cracha dans l'abîme.

Oh! je l'aime! c'est là l'horreur, c'est là le feu!
Que vais-je devenir, abîmes; J'aime Dieu!
Je suis damné!

II

L'enfer, c'est l'absence éternelle.
C'est d'aimer. C'est de dire : hélas! où donc est-elle,
Ma lumière; Où donc est ma vie et ma clarté;
Elle livre aux regards éperdus sa beauté.
Elle sourit là-haut à d'autres; d'autres baisent
Sa robe, et dans ses bras s'enivrent et s'apaisent;
D'autres l'ont. Désespoir!

Oh; quand je fus jeté
Du haut de la splendeur dans cette cécité,
Après l'écroulement de l'ombre sur ma tête,
Après la chute, nu, précipité du faîte
A jamais, à la tombe inexorable uni,
Quand je me trouvai seul au bas de l'infini,
J'eus un moment si noir que je me mis à rire;
La vaste obscurité m'emplit de son délire,
Je sentis dans mon coeur, où mourait Dieu détruit,
La plénitude étrange et fauve de la nuit,
Et je criai, joyeux, triomphant, implacable :
- « Guerre à ces firmaments dont la lumière accable!
« Guerre à ce ciel où Dieu met tant de faux attraits!
« Il a cru m'en chasser, c'est moi qui m'y soustrais.
« Il me croit prisonnier, je suis libre. Je plane.
« Et le démon, c'est l'aigle, et le monde, c'est l'âne.
« Et je ris. Je suis fier et content. J'ai quitté
« Les anges vains, abjects, vils, et toi, la clarté,
« Qui les corromps, et toi, l'amour, qui les subornes!
« O gouffres, quel bonheur que la haine sans bornes!
« Ce Dieu, ce coeur de Tout, ce père lumineux
« Que l'ange, l'astre, l'homme, et la bête, ont en eux,
« Ce pasteur près de qui le troupeau se resserre,
« Cet être, seul vivant, seul vrai, seul nécessaire,
« Je vais m'en passer, moi le colosse puni!
« C'est bien. Comme je vais maudire ce béni,
« Et faire contre lui, tandis qu'Adam l'encense,
« De la révolte avec mon ancienne puissance
« Et de la flamme avec les rayons que j'avais!
« Comme je vais rugir sur lui! Comme je vais,
« Moi l'affreux face à face avec lui le suprême,
« Le haïr, l'exécrer et l'abhorrer! » - Je l'aime!

DANS L'AIR

CHANSON DES OISEAUX

Vie! ô bonheur! bois profonds,
Nous vivons.
L'essor sans fin nous réclame;
Planons sur l'air et les eaux!
Les oiseaux
Sont de la poussière d'âme.

Accourez, planez! volons
Aux vallons,
A l'antre, à l'arbre, à l'asile!
Perdons-nous dans cette mer
De l'éther
Où la nuée est une île!

Du fond des rocs et des joncs
Des donjons,
Des monts que le jour embrase,
Volons, et, frémissants, fous,
Plongeons-nous
Dans l'inexprimable extase!

Oiseaux, volez aux clochers,
Aux rochers,
Au précipice, à la cime,
Aux glaciers, aux lacs, aux prés;
Savourez
La liberté de l'abîme!

Vie! azur! rayons! frissons!
Traversons
La vaste gaîté sereine,
Pendant que sur les vivants,
Dans les vents,
L'ombre des nuages traîne!

Avril ouvre à deux battants
Le printemps;
L'été le suit, et déploie
Sur la terre un beau tapis
Fait d'épis,
D'herbe, de fleurs, et de joie.

Buvons, mangeons; becquetons
Les festons
De la ronce et de la vigne;
Le banquet dans la forêt
Est tout prêt;
Chaque branche nous fait signe.

Les pivoines sont en feu;
Le ciel bleu
Allume cent fleurs écloses;
Le printemps est pour nos yeux
Tout joyeux
Une fournaise de roses.

Tu nous dores aussi tous,
Feu si doux
Qui du haut des cieux ruisselles;
Les aigles sont dans les airs
Des éclairs,
Les moineaux des étincelles.

Nous rentrons dans les rayons;
Nous fuyons
Dans la clarté notre mère;
L'oiseau sort de la forêt
Et paraît
S'évanouir en lumière.

Parfois on rampe accablé
Dans le blé,
Mais juillet a pour ressource
L'ombre, où, loin des chauds sillons,
Nous mouillons
Nos pieds roses dans la source.

Depuis qu'ils sont sous les cieux,
Soucieux
Du bonheur de la prairie,
L'herbe et l'arbre chevelu
Ont voulu
Dans leur tendre rêverie

Qu'à jamais le fruit, le grain,
L'air serein,
L'amourette, la nichée,
L'aube, la chanson, l'appât,
Occupât
Notre joie effarouchée.

Vivons! chantons! Tout est pur
Dans l'azur;
Tout est beau dans la lumière;
Tour vers son but, jour et nuit,
Est conduit;
Sans se tromper, le fleuve erre.

Toute la campagne rit;
Un esprit
Palpite sous chaque feuille;
- Aimons! murmure une voix
Dans les bois;
Et la fleur veut qu'on la cueille.

Quand l'iris a diapré
Tout le pré,
Quand le jour plus tiède augmente,
Quand le soir luit dans l'étang
Eclatant,
Quand la verdure est charmante,

Que dit l'essaim ébloui;
Oui! oui! oui!
Les collines, les fontaines,
Les bourgeons verts, les fruits mûrs,
Les azurs
Pleins de visions lointaines,

Le champ, le lac, le marais,
L'antre frais,
Composent, sans pleurs ni mine,
Et font monter vers le ciel
Eternel
L'affirmation sereine!

L'aube et l'éblouissement
Vont semant
Partout des perles de flamme;
L'oiseau n'est pas orphelin;
Tout est plein
De la mystérieuse âme!

Quelqu'un que l'on ne voit pas
Est là-bas
Dans la maison qu'on ignore;
Et cet inconnu bénit
Notre nid,
Et sa fenêtre est l'aurore.

Et c'est à cause de lui
Que l'appui
Jamais ne manque à nos ailes,
Et que les colombes vont
Sur le mont
Boire où boivent les gazelles.

Grâce à ce doux inconnu,
Adam nu
Nous souriait sous les branches;
Le cygne sous le bouleau
A de l'eau
Pour laver ses plumes blanches.

Grâce à lui, le piquebois
Vit sans lois,
Chéri des pins vénérables,
Et délivrant des fourmis
Ses amis
Les tilleuls et les érables.

Grâce à lui, le passereau
Du sureau
S'envole, et monte au grand orme;
C'est lui qui fait le buisson
De façon
Qu'on y chante et qu'on y dorme.

Il nous met tous à l'abri,
Colibri,
Chardonneret, hochequeue,
Tout l'essaim que l'air ravit
Et qui vit
Dans la grande lueur bleue.

A cause de lui, les airs
Et les mers,
Les bois d'aulnes et d'yeuses
La sauge en fleur, le matin,
Et le thym,
Sont des fêtes radieuses;

Les blés sont dorés, les cieux
Spacieux,
L'eau joyeuse et l'herbe douce;
Mais il se fiche souvent
Quand le vent
Nous vole nos brins de mousse.

Il dit au vent : - Paix, autan;
Et va-t'en;
Laisse mes oiseaux tranquilles.
Arrache, si tu le veux,
Leurs cheveux
De fumée aux sombres villes! -

Celui sous qui nous planons
Sait nos noms.
Nous chantons. Que nous importe;
Notre humble essor ignorant
Est si grand!
Notre faiblesse est si forte!

La tempête au vol tonnant,
Déchaînant
Les trombes, les bruits, les grêles,
Fouettant, malgré leurs sanglots,
Les grands flots,
S'émousse à nos plumes frêles.

Il veut les petits contents,
Le beau temps,
Et l'innocence sauvée;
Il abaisse, calme et doux,
Comme nous,
Ses ailes sur sa couvée.

Grâce à lui, sous le hallier
Familier
A notre aile coutumière,
Sur les mousses de velours,
Nos amours
Coulent dans de la lumière.

Il est bon; et sa bonté
C'est l'été;
C'est le charmant sorbier rouge;
C'est que rien ne vienne à nous
Dans nos trous
Sans que le feuillage bouge.

Sa bonté, c'est Tout; c'est l'air,
Le feu clair,
Le bois où, dans la nuit brune,
Ta chanson, qui prend son vol,
Rossignol,
Semble un rêve de la lune.

C'est ce qu'au gré des saisons
Nous faisons;
C'est le rocher que l'eau creuse;
C'est l'oiseau, des vents bercé,
Composé
D'une inquiétude heureuse.

Il est puissant, étoilé,
Et voilé.
Le soir, avec les murmures
Des troupeaux qu'on reconduit,
Et le bruit
Des abeilles sous les mûres,

Avec la nuit sur les toits,
Sur les bois,
Sur les montagnes prochaines,
C'est sa grandeur qui descend,
Et qu'on sent
Dans le tremblement des chênes.

Il n'eut qu'à vouloir un jour,
Et l'amour
Devint l'harmonie immense;
Tous les êtres étaient là;
Il mêla
Sa sagesse à leur démence.

Il voulut que tout fût un;
Le parfum
Eut pour soeur l'aurore pure;
Et les choses, se touchant
Dans un chant,
Furent la sainte nature.

Il mit sur les flots, profonds
Les typhons;
Il mit la fleur sur la tige;
Il se montra fulgurant
Dans le grand;
Le petit fut son prodige.

Avec la même beauté
Sa clarté
Créa l'aimable et l'énorme;
Il fit sortir l'alcyon
Du rayon
Qui baise la mer difforme.

L'effrayant devint charmant;
L'élément,
Monstre, colosse, fantôme,
Par Lui, qui le veut ainsi,
Radouci,
Vint s'accoupler à l'atome.

On vit alors dans Ophir
L'humble asfir
Vert comme l'hydre farouche;
Le flamboiement de l'Etna
Rayonna
Sur l'aile de l'oiseau-mouche.

Vie est le mot souverain,
Et serein,
Sans fin, sans forme, sans nombre,
Tendre, inépuisable, ardent,
Débordant
De toute la terre sombre.

L'aube se marie au soir;
Le bec noir
Au bec flamboyant se mêle;
L'éclair, mâle affreux, poursuit
Dans la nuit
La mer, sa rauque femelle.

Volons, volons, et volons!
Les sillons
Sont rayés, et l'onde est verte.
La vie est là sous nos yeux,
Dans les cieux,
Claire et toute grande ouverte.

Hirondelle, fais ton nid,
Le granit
T'offre son ombre et ses lierres;
Aux palais pour tes amours
Prends des tours,
Et de la paille aux chaumières.

Le nid que l'oiseau bâtit
Si petit,
Est une chose profonde;
L'oeuf ôté de la forêt
Manquerait
A l'équilibre du monde.

III

Si je ne l'aimais point, je ne souffrirais pas.
Laissez-moi remonter, gouffres! - Non, pas à pas,
Je descends, je m'enfonce, à chaque effort je glisse
Plus avant. Le malheur de la nuit, son supplice,
C'est d'adorer le jour et de rester la nuit.
Cet amour, c'est l'horreur, et le mal est son fruit.
O ma lumière, où donc es-tu; Satan t'implore.
M'entends-tu, dis? reviens, aurore, aurore, aurore!
Ne leur dis pas : toujours; ne me dis pas : jamais;
Je souffre! - oh; tout est noir, je ne vois pas, je hais!

Je hais; - oui, je vous hais, tas humain, foule blême,
Parce que vous l'aimez, parce que Dieu vous aime,
Parce que sa clarté brille à travers vos os,
Parce que vous plongez vos urnes aux ruisseaux,
Parce que vous passez vivants dans la nature,
Parce que vous avez, pendant que la torture
Me tenaille et que j'ai mon âme pour vautour,
Dans vos yeux l'espérance et dans vos coeurs l'amour!

Hommes, larves, néants, ombres, faces rapides,
Vous n'êtes pas contents; ô favoris stupides,
Vous vous plaignez d'aller chaque jour vieillissant,
De passer, de sentir refroidir votre sang,
Et vous accusez Dieu! Quel rêve est donc le vôtre!
J'ai perdu plus que vous, moi; J'ai, l'un après l'autre,
Vu tomber mes rayons, comme vous vos cheveux!

IV

Ne pouvoir remonter, même quand je le veux;

Quoi! les morts repentants s'envolent de leurs tombes
Radieux, les hiboux se changent en colombes,
Les démons pardonnés rentrent au firmament,
Et moi, le spectre noir, je les vois lentement
Blanchir dans la nuit sombre et redevenir anges!
Des astres, fleurs du gouffre, éclosent dans les fanges!
Quoi! César est parti; Torquemada s'en va;
Busiris, dans la cave où le tient Jéhovah,
Distingue une lueur et commence à sourire;
Nemrod attend; je viens d'entendre Judas dire,
Dans la geôle où, son crime et moi, nous le lions :
- Je n'ai plus maintenant que quatre millions
De siècles à rester à la chaîne dans l'ombre. -
Que Judas est heureux! il peut compter un nombre.
Pour tous, pour tous, pour tous l'horizon blanchira.
Caïn, le vieux Caïn, lui-même sortira!
Moi seul, je resterai dans les déserts funèbres.
Horreur sans fond! Je suis l'éternel des ténèbres.

Je suis le misérable à perpétuité.

V

Mais je me vengerai sur son humanité,

Difficile d’écrire des vers plus naturels et plus ronflants. C’est véritablement impressionnant, et au delà du fonctionnement systématique par antithèse, qui caractérise volontiers nos pensées occidentales, et tout particulièrement Hugo, on a une réflexion pas si grossière sur le mal, ses justifications, ses visées.


Bonne journée !

49. Le jeudi 9 novembre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Devans les vers de Hugo, je suis tellement estomaquée que j'accepte avec gratitude votre "bonne journée !". Seulement il va me falloir un peu plus qu'une journée pour me pencher sérieusement dessus, et mon week-end est déjà très très chargé... Alors, je vous demande un peu de patience (je ne sais pas si c'est comme ça que l'on fait pour respecter les règles inter-blog, mais je n'ai pas encore eu le temps de faire un tour dans le mode d'emploi que vous avez mis en lien...).
Merci pour Pelléas, j'ai bien l'intention de m'en occuper aussi ;-), et j'espère à la semaine prochaine !

S comme Supersurchargée :-)

50. Le jeudi 9 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Alors, je vous demande un peu de patience (je ne sais pas si c'est comme ça que l'on fait pour respecter les règles inter-blog, mais je n'ai pas encore eu le temps de faire un tour dans le mode d'emploi que vous avez mis en lien...).

On fait comme on veut, c'est la règle ici. :) Vous pouvez aller faire un tour sur le lien, je pense que le temps de lire le titre de l'ouvrage conseillé, vous aurez une petite idée de son contenu.


Merci pour Pelléas, j'ai bien l'intention de m'en occuper aussi ;-), et j'espère à la semaine prochaine !

Bon courage !

51. Le vendredi 17 novembre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Cher David,
Je suis un peu embêtée de vous avouer que la poésie n’est décidément pas ma tasse de thé, et celle d’Hugo pas plus qu’une autre !
Je suis bien loin de l’avoir lu « en entier » et je garde une impression très contrastée de son œuvre. Certains de ses romans m’ont beaucoup marquée (Les derniers jours d’un condamné à mort), d’autres m’ont prodigieusement ennuyée (Quatrevingt-treize, l’Homme qui rit). Quant à son théâtre, les vers de Ruy Blas sont un grand souvenir :-) !

En général ce qui me gêne dans la poésie, c’est que je ne suis pas très sensible aux images qu’elle emploie, elles ne m’évoquent pas grand-chose, et j’ai donc assez de mal à saisir profondément de quoi il s’agit. Dans cette « fin de Satan » (je suis encore terriblement impressionnée par votre rapidité à la mettre en ligne), je ne suis pas capable d’avoir une vue d’ensemble, et seuls quelques traits me parlent vraiment, comme les magistrales associations Mort/Caïn, Tu mens/l’âme de Judas, crachat/Barabbas, et Enfer/Sodome.
Quelques vers me plaisent parce que je suis capable d’y voir l’habileté de leur auteur :
La prunelle éblouie et de ce rayon pleine…
ou encore :
Les oiseaux/sont la poussière de l’âme, et plus bas : Et sa fenêtre est l’aurore.

Quelques courts passages pourtant me touchent plus :
« O gouffres, quel bonheur que la haine sans bornes !

Cet être, seul vivant, seul vrai, seul nécessaire,
Je vais m’en passer, moi le colosse puni ! »

Celui-ci aussi :
« Vie est le mot souverain,
Et serein.
Sans fin, sans forme, sans nombre,
Tendre, inépuisable, ardent,
Débordant
De toute la terre sombre. »

Et pour finir :
« Je hais ; -oui, je vous hais, tas humain, foule blême,
Parce que vous l’aimez, parce que Dieu vous aime,

Dans vos yeux l’espérance et dans vos cœurs l’amour ! »

Vers ronflants, oui, et il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui peuvent se permettre un ton si emphatique sans qu’il nous paraisse un peu ridicule. Mais en effet, l’expression du mal, son aspect jubilatoire, la haine tenace et impuissante qu’il y a en chacun de nous, tout cela, et certainement bien plus, est exprimé d’une façon assez bouleversante.

Alors, merci à vous pour cette découverte :-) !

La semaine prochaine, j’espère vous dire un mot de Pelléas (ce n’est pas gagné non plus ;-)…).
Bon week-end ! S

52. Le samedi 18 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

d’autres m’ont prodigieusement ennuyée (Quatrevingt-treize, l’Homme qui rit).

Pourtant, pourtant... comme le sacrifice de Lantenac m'a fortement frappé, à l'époque !

Quant à son théâtre, les vers de Ruy Blas sont un grand souvenir :-) !

Ce n'est encore rien auprès de Ruy Blas et de Le roi s'amuse. :)


Quelques courts passages pourtant me touchent plus :
« O gouffres, quel bonheur que la haine sans bornes !

Cet être, seul vivant, seul vrai, seul nécessaire,
Je vais m’en passer, moi le colosse puni ! »

Et pour finir :
« Je hais ; -oui, je vous hais, tas humain, foule blême,
Parce que vous l’aimez, parce que Dieu vous aime,

Dans vos yeux l’espérance et dans vos cœurs l’amour ! »

Vers ronflants, oui, et il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui peuvent se permettre un ton si emphatique sans qu’il nous paraisse un peu ridicule.

C'est exact, et j'en ai d'excellents souvenirs comme récitant. Comme tout cela revient bien en mémoire !


Mais en effet, l’expression du mal, son aspect jubilatoire, la haine tenace et impuissante qu’il y a en chacun de nous, tout cela, et certainement bien plus, est exprimé d’une façon assez bouleversante.

Tout en restant dans un paradigme lié à la dualité chrétienne (ou orphique :-), il parvient à développer successivement et admirablement tout une gamme de nuances, de paradoxes, de contradictions d'une très grande richesse - et dans quelle langue !

Pour ma part, c'est cette chute qui m'impressionne le plus, cette simplicité que seul Hugo pouvait oser :

Je sentis dans mon coeur, où mourait Dieu détruit,
La plénitude étrange et fauve de la nuit,
Et je criai, joyeux, triomphant, implacable :
- « Guerre à ces firmaments dont la lumière accable!
« Guerre à ce ciel où Dieu met tant de faux attraits!
« Il a cru m'en chasser, c'est moi qui m'y soustrais.
« Il me croit prisonnier, je suis libre. Je plane.
« Et le démon, c'est l'aigle, et le monde, c'est l'âne.
« Et je ris. Je suis fier et content. J'ai quitté
« Les anges vains, abjects, vils, et toi, la clarté,
« Qui les corromps, et toi, l'amour, qui les subornes!
« O gouffres, quel bonheur que la haine sans bornes!
« Ce Dieu, ce coeur de Tout, ce père lumineux
« Que l'ange, l'astre, l'homme, et la bête, ont en eux,
« Ce pasteur près de qui le troupeau se resserre,
« Cet être, seul vivant, seul vrai, seul nécessaire,
« Je vais m'en passer, moi le colosse puni!
« C'est bien. Comme je vais maudire ce béni,
« Et faire contre lui, tandis qu'Adam l'encense,
« De la révolte avec mon ancienne puissance
« Et de la flamme avec les rayons que j'avais!
« Comme je vais rugir sur lui! Comme je vais,
« Moi l'affreux face à face avec lui le suprême,
« Le haïr, l'exécrer et l'abhorrer! » - Je l'aime !




La semaine prochaine, j’espère vous dire un mot de Pelléas (ce n’est pas gagné non plus ;-)…).

Et plus difficile, surtout sans la musique qui aide bien.

53. Le jeudi 23 novembre 2006 à , par Sylvie Eusèbe

Oui, en effet, les oppositions imaginées par Hugo sont ici très frappantes :
la lumière accable
les anges vains, abjects, vils
l'amour qui suborne
maudire ce béni...

En fait j'apprécie de mieux en mieux ce texte plus je le relis. Encore merci à vous :-) !

54. Le jeudi 23 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Sylvie !

J'en suis très heureux, c'est vraiment une masterpiece à mes yeux de skyblogger ébaubi.

A bientôt !

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