Qualités comparées des langues
Par DavidLeMarrec, lundi 13 février 2006 à :: Langue :: #153 :: rss
Y a-t-il de meilleures langues à chanter que d'autres ?
On entend souvent des classifications, en tout cas. Ayant très régulièrement remarqué des différences notables chez un même chanteur (de passionnant à insipide) selon la langue qu’il chante – indépendamment de la qualité linguistique –, je me pose logiquement la question de savoir s'il y a réellement des langues plus propices à la composition lyrique que d'autres.
- - l'italien : On dit souvent que c'est une langue idéale pour le chant. Un moyen pour le tester peut être la transposition, par exemple de l'allemand ou du français vers l'italien. Le résultat n'est guère probant. Certes, l'italien est une langue parlée remarquablement chantante, mais une fois qu'on y appose un chant, cette caractéristique n'est plus essentielle. Et du coup, on s'aperçoit surtout d'une certaine pauvreté vocalique (cinq voyelles seulement, soit deux fois et demi moins qu'en français). Un Faust en italien sonne de façon très indigente, indépendamment de la qualité misérable de la traduction et de l'investissement des interprètes. Cette impression est accrue par la technique italienne, sans doute, qui donne un peu la même quantité à toutes les voyelles.
Je n'épilogue pas sur le corse, c'est la même chose. <:-p
Je m'abstiens sur l'espagnol, qui serait équivalent, vocalement, à l'italien, avec des accentuations moins en évidence et des consonnes plus rudes. Ce peut être une langue très intéressante, je pense. Le chant occitan présente l'avantage identique d'allier à l'aspect chantant des langues romanes un soin de la consonne tout particulier.
- - le français : Le français, lui, bénéficie d'une grande diversité vocalique, la plus vaste du marché - du moins en Europe. Ce qui est un avantage, sauf pour les étrangers qui essaient de le prononcer.
Néanmoins, on note deux problèmes fondamentaux. Les nasales sont difficiles à placer, ce qui s'apprend, certes, mais ce ne sont pas les voyelles les plus chatoyantes qui soient. Et surtout, l'accentuation systématique sur la dernière syllabe. Comme les accents secondaires sont rares ou peu intenses, c'est très difficile à parer lors de la composition. Je pense aux récitatifs de Massenet, généralement très plats : ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -ré -uuuuuut#. Très proche de la prosodie, mais pas follement exaltant musicalement. Quelqu'un comme Meyerbeer tient excellement la route, peut-être parce qu'il n'entend pas le français comme un francophone. Ces récitatifs ont quelque chose de très italien, et donnent un élan remarquable au français paresseux.
- - L'allemand. Un nombre de voyelles important, un grand relief dans les consonnes qui permet de comprendre le texte même si les voyelles sont déformées, un langue stable à la manière du français mais doté de nombreux accents secondaires, l'allemand est une langue que je crois très propice au chant. Certains lui reprochent sa dureté, ce qui n'est pas dénué de fondement, surtout s'il est mal prononcé. Pareil pour le problème de legato ou à l'inverse d'intelligibilité, réel si les consonnes ne trouvent pas une juste place.
- - L'anglais (Guerre aux tyrans). Personnellement, je ne raffole pas de cette langue dans le chant, sans doute à cause de la mollesse des consonnes. Mais elle a l'avantage, en plaçant les sons plus en arrière, de mettre les chanteurs en plus grand confort et de favoriser les voix, surtout que leurs consonnes sont des voyelles déguisées.
- - Le danois a des sonorités très en gorge et des consonnes largement inaudibles. Les immigrés ont toujours beaucoup de mal avec ça, au début. Ca n'en fait pas la langue opératique idéale./liste
- - Le norvégien bokmål. Cela ressemble à un croisement entre l'allemand et l'anglais. Ce serait de l'allemand adouci, assoupli, sans perdre sa richesse ni sa stabilité. En deux mots, la langue idéale. Les possibilités du suédois me semblent assez identiques, même si je conserve ma tendresse première pour le bokmål.
Je ne connais pas d'oeuvres musicales écrites en norvégien nynorsk.
- - Pour le letton, des oeuvres chorales splendides, mais qui sont insuffisantes pour tirer des conclusions sur ses possibilités. Quoique Vasks fasse des démonstrations très impressionnantes de ce point de vue (en anglais...). On note que les chanteurs lettons masculins sont toujours extrêmement engorgés, ce qui donne une première indication.
- - Le russe. Langue aux sonorités très rondes, chantoyantes, mais qui alliées à la technique très homogène et à ma méconnaissance de la langue, peut sembler trop répétitive. Pure illusion d'optique évidemment. J'espère bien que nous aurons des avis éclairés (Tatiana, où es-tu ?). Une chose est sûre, le placement plus en arrière des sons favorise les voix.
Je ne suis pas qualifié pour faire une distinction claire avec le bulgare, absence de déclinaisons exceptée. On crée toujours des opéras romantiques en Bulgarie, de la même facture que ceux d'antan.
- - Le tchèque. Langue très intéressante, aux consonnes très audibles (un gros avantage pour la compréhension), à l'accentuation variée contrairement au français... Sa diversité vocalique, comme celle du slovène, est cependant limitée par rapport au slovaque - qui ne dispose malheureusement d'à peu près aucun patrimoine musical, excepté Suchoń (prononcez "Sourhogne").
- - Le polonais. Mieux vaut le juger, pour son bien, sur les mélodies de Chopin que sur les opéras de Moniuszko - qui imitent Auber avec talent,en le dépassant d'une courte tête, mais qui ne cherchent pas à tirer le plus grand profit de la langue polonaise. Les consonnes y sont plus nettes qu'en russe. Tous les mots sont accentués sur l'avant-dernière syllabe, et le nombre de voyelles est raisonnable.
De l'aveu même des polonais, l'ukrainien est à mettre dans le même sac. Pourtant, ce n'est pas exactement le même groupe linguistique ; étrange. Une école de chant très solide en période de disette polonaise, me suis-je laissé dire.
- - Le croate. Ce serait aussi une langue slave passionnante, mais l'opéra croate, je vous assure, ne vaut pas tripette. Ce que j'en connais, qui est censé en représenter le meilleur, est assez navrant : un opéra romantique de type postverdien avec harmonie très simplifiée. Une comédie musicale pour élite culturelle, en somme. Je ne connais pas d'opéras serbes.
Je ne connais pas d'opéras grecs (même pas les Perses de Prodomidès, qui sont en français ! ce pourrait être très fructueux, pourtant) ni roumains (langue très mignonne au demeurant) ni turcs (hop! tous dans le même panier!).
Difficile d'avoir un avis sur les langues finno-ougriennes, du fait de leur étrangeté.
- Le finnois sonne comme très archaïque, avec ses énormes affixes en guise de désinences, ses redoublements nombreux.
- Le hongrois, inévitablement accentué sur la première syllabe, bénéficie de la clarté de son articulation. En effet, sa forte accentuation sur la première syllabe ne "mange" jamais, même à l'oral, les suivantes. Il peut en outre y avoir des accents secondaires significatifs dans un mot, ce qui est très intéressant pour notre affaire ! Les exceptions sont assez nettement codifiées, et les cas, bien qu'au nombre de vingt-sept, se définissent par une particule immuable - il suffit de réaliser une esthétique harmonisation de la voyelle qui l'introduit. Alors n'hésitez pas à l'apprendre. ;)
Je pense que nous rencontrerons de meilleurs spécialistes du japonais que moi, aussi me tais-je. Je ne ferai pas non plus de présentation des langues balinaises, javanaises et indiennes qui sont utilisées pour des opéras.
- Pour le chinois, j'avoue avoir été assez déçu. J'aurai l'occasion d'en causer plus longuement si le sujet vous intéresse. Mais sachez au moins que les possibilités de mise en musique sont très logiquement limitées, puisqu'il s'agit d'une langue à tons. En d'autres termes, la répartition des hauteurs est fortement codifiée, ce à quoi s'ajoute une palette rythmique très réduite dans cette tradition largement improvisée. Aussi, les petites variations en fin de récitatifs/psalmodies ne sont pas tant de savantes diminutions que l'une des quelques rares solutions qui s'offrent à l'interprète pour que le texte demeure compréhensible.
- Pour un énoncé donné, le nombre de mises en musique possible est fini - ce qui explique sans doute que les partitions conservées soient plus tardives et considérées comme subordonnées au texte.
- La musique chinoise n'a pas d'harmonie, aussi toute modulation est impossible. Avec la langue à ton, les variations de hauteur sont codifiées, en grande partie imposées par la langue. Quant aux rythmes, il n'en existe qu'un peu plus d'une dizaine. Si on ajoute à cela le caractère et les accentuations du texte, les nécessités de la mesure, on voit qu'il reste peu de marge.
Oui, je sens que pour vous aussi, un mythe s'effondre.
La palme revient au norvégien bokmål (au suédois aussi), et, pour les langues plus pratiquées, à l'allemand. J'aime beaucoup l'opéra français, mais force est de constater qu'il nécessite une véritable réinvention (à la manière de Pelléas) ou au minimum une certaine italianisation des lignes (Meyerbeer, Gounod, Thomas...) pour être efficace. Le tchèque, c'est pas mal non plus.
Je laisse infirmer, confirmer, compléter à votre guise.
Commentaires
1. Le lundi 13 février 2006 à , par DavidLeMarrec
2. Le lundi 13 février 2006 à , par Sylvie Eusèbe
3. Le lundi 13 février 2006 à , par Inactuel :: site
4. Le mardi 14 février 2006 à , par DavidLeMarrec
5. Le vendredi 26 mars 2010 à , par pjf
6. Le vendredi 26 mars 2010 à , par DavidLeMarrec
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