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Le pauvre Joseph

Ce tableau est avec Noli me tangere celui qui m'a le plus marqué, de toute la production du Correggio.

Il faut dire que le personnage de Joseph m'a toujours passionné. Acculé par celui qui détient la toute-puissance, il doit accepter les cornes tandis que les louanges s'élèvent vers le fautif. Non seulement il lui est impossible de s'opposer, dans cette vie ou dans l'autre, mais il doit trimer pour nourrir cette femme qui n'est pas la sienne, et cet enfant qui n'est pas lui.
Comble d'iniquité, ce sont eux et jamais lui qui sont exaltés, ils sont la pureté même, parfaits avant que de naître (sans parler de l'Incréé !). Alors que c'est bien lui qui, à force de bontés prodiguées pour rien, atteint au sublime. Sublime, certes, mais une place si négligeable, si risible.

Vous pensez bien si j'ai bondi sur ce tableau !

Une délicate scène de tendresse familiale où la mère, un sourire d'absolu sur les lèvres, seconde avec minutie tous les gestes de l'enfant, dans un petit coin retrouvé d'Eden, où la verdure n'est cachée que par le petit panier charmant, celui qui contient les merveilles des parties de campagne.

Mais dans le fond grisé, oui, ce personnage, enfermé dans le labeur, les manches retroussées, la nuque courbée, nullement nimbé dans la divinité, ni même la joie familiale, auquel le peintre lui-même n'a accordé qu'un nombre restreint de couches... oui, celui-là, commun, pour ne pas dire vulgaire, si opportunément à l'écart, c'est lui ! Lui qui nourrit ces êtres de transcendance sans être remercié lui-même par une petite couleur, une mine engageante, une attitude courageuse, il est là, tout juste bon à figurer l'abrutissement par le travail (ce dont il aurait bien besoin pour oublier). La parfaite représentation de toute une tradition liturgique : à l'écart de la tendresse, de l'univers merveilleux forestier, de la béatitude des élus, lui, poisseux d'une fatigue impure, dans une cité prosaïque, qui ne l'élève en rien, alors que le contact avec ces merveilleuses créatures pourrait l'éclabousser complaisamment, ne serait-ce que d'un peu de couleur... Un bon second rôle, pour les utilités.
S'il avait été artiste lyrique, il aurait tenu sur les plus grandes scènes internationales le Conte de Lerme (dans la version de Milan).



On pourra toujours me dire que les attributs du petit le rattachent à l'être humain de sa double nature, comme les habits et le panier qui placent à une époque loin de l'Antiquité, comme le labeur représenté de Joseph, qui en plus occupe une part non négligeable du tableau, et que cela va dans le sens de ce que j'avais spontanément ressenti pour Noli me tangere - voie humaine d'un salut qui ne peut pour nous autres être purement transcendantal. Mais je ne suis pas vraiment convaincu. L'image obsédante de ce personnage gris rejeté au fond, qui donne tout, se plie à tout, sans rien pouvoir être, me poursuit.
(Brand, au moins, a choisi cette doctrine !)

David - âne


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Commentaires

1. Le jeudi 5 avril 2007 à , par fitze

Ah, mais tout le monde ne traite pas aussi mal ce pauvre Joseph ; il y a, à Monntréal, un immense oratoire qui lui est dédié, par exemple. De style néo-classique, sur la colline du Mont Royal qui surplombe la ville, il est visible de très nombreux endroits, et de loin (c'est une des premières choses qu'on voit de la ville en arrivant de l'aéroport par exemple (ou quand on y retourne...) ). Il peut faire penser à Notre Dame (oui, cette fois, c'est elle) de Fourvière, mais en beaucoup, beaucoup plus grand...

http://www.saint-joseph.org/
http://www.imtl.org/edifices/Oratoire-Saint-Joseph.php
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/5/55/OratoryInterior.JPG
http://www.uquebec.ca/musique/orgues/quebec/osjoseph.html

fitze toujours un peu montréalaise...

2. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec

Ca ne change rien, au demeurant, au statut rétrograde de sa sainteté.

Mais il est vrai qu'un édifice de cette ampleur pour lui, c'est étonnant. Il y a une raison précise ?


P.S. : J'espère ne vexer personne en précisant que l'intérieur est diablement vilain.

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