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Programmation Opéra de Paris 2013-2014 : deux philosophies de la Maison d'Opéra


La saison vient d'être annoncée aujourd'hui.

Tendance générale et orientations de la maison.

1. Peu de titres très rares - 2. Peu de langues représentées - 3. Peu de périodes parcourues - 4. Des distributions récurrentes, célèbres et pertinentes - 5. Le retour de grands chefs - 6. Le soin de la mise en scène - 7. Deux visions du monde - 8. En concert



1. Peu de titres très rares

L'oeuvre la moins célèbre, Věc Makropulos, est proposée pour la troisième fois au public parisien depuis 2007 (autre série en 2009, toujours à Bastille) ! Et Janáček n'est pas précisément le prototype du compositeur négligé sur les scènes européennes (et en particulier françaises...).

Sinon, on n'a pas entendu Alceste de Gluck et Aida de Verdi depuis longtemps à Paris, et La Fanciulla del West était effectivement l'un des ouvrages méconnus de Puccini - mais il est désormais à l'honneur partout, permettant en particulier à des wagnériennes de chanter un peu de lyrisme italien (rarement avec bonheur, tant les qualités stylistiques et vocales diffèrent, mais c'est une autre histoire).

Les raretés de la saison sont donc Gluck, Verdi, Puccini et Janáček.

2. Peu de langues représentées

=> 13 opéras en italien. Pas de surprises : Monteverdi, Haendel, Mozart, Rossini, Donizetti, 2 Bellini, 2 Verdi et 3 Puccini !

=> 3 opéras en allemand : les plus célèbres de Mozart, Wagner et Strauss !

=> 3 opéras en français : 2 Gluck et Massenet - deux choix parfaits pour renforcer la réputation vintage de Nicolas Joel, très représentatifs de l'Opéra de Paris d'autrefois.

=> 1 opéra tchèque.

Le programme de l'Atelier Lyrique (hors les murs) ajoute un titre italien (Don Giovanni...) et un titre anglais.

En dehors de quelques standards absolus du répertoire lyrique, essentiellement de l'italien, donc. Pourquoi pas, au demeurant, une saison thématique, mais la curiosité de Joel au Capitole pour les titres germaniques et français semble s'être un peu évaporée.

3. Peu de périodes parcourues

2 baroques, 2 Mozart, 2 Gluck, très peu de XXe (du tout premier vingtième par des compositeurs formés au XIXe : 1904, 1909, 1910, 1926)... et tout le reste du grand répertoire XIXe.

4. Des distributions récurrentes, célèbres et pertinentes

Comme, et plus encore que Mortier, Joel fait appel à certains chanteurs-fétiches. Des choix moins originaux (mais aussi moins fantaisistes, pour la majorité du public) : Julia Kleiter, Amel Brahim-Djelloul, Ekaterina Siurina, Elena Tsallagova, Tamar Iveri, Svetla Vassileva, Oksana Dyka, Riccarda Merberth, Violetta Urmana, Karine Deshayes, Stéphanie d'Oustrac, Janina Baechle, Sophie Koch, Luciana D'Intino, Varduhi Abrahamyan, François Piolino, Stanislas de Barbeyrac, Charles Castronovo, Yann Beuron, Stefano Secco, Marcelo Álvarez, Roberto Alagna, Marco Berti, Robert Dean Smith, Florian Sempey, Lionel Lhote, Tassis Christoyannis, Ludovic Tézier, Sergey Murzaev, Paul Gay...

Pas forcément que des chanteurs très célèbres au demeurant, et figurent un certain nombre de noms assez confidentiels dans les distributions. Mais de façon générale, les affiches (même si on peut discuter du choix de tel nom plutôt que tel autre) sont très cohérentes avec les oeuvres concernées, et servies par des chanteurs dont l'aisance technique et le confort de timbre ne seront pas mis en cause. (Ce qui n'était pas toujours le cas dans les périodes précédentes.)

D'une manière générale, Joel a essayé d'assimiler chaque série à un nom d'interprète célèbre (il avait de toute façon revendiqué de choisir les artistes avant les titres...) : Damrau avec la Traviata, Gheorghiu avec la Bohème, Stemme avec la Fanciulla, Théorin avec Elektra, Urmana avec Tristan, d'Oustrac avec la Clémence, Alagna avec Alceste et Werther, Álvarez avec Aida...
Idéal pour le remplissage (et le prestige) - pas forcément pour la rentabilité, puisque certains titres remplissent tout seuls (on aurait pu mettre Zazie et Bocelli dans Aida, on aurait fait 100% quand même). Mais cela donne sans doute une image différente de l'Opéra, un lieu où se déroulent des événements (prises de rôles, passage d'étoiles du chant...).

Dans le même temps, certains rôles-clefs sont donnés à des chanteurs très peu célèbres, mais le passé laisse assez confiant sur la clairvoyance du staff Joel en la matière.

5. Le retour de grands chefs

Sans être non plus complètement spectaculaire, le choix des chefs se révèle soigné, avec de solides spécialistes de chaque répertoire - pas forcément les plus visionnaires de leur répertoire (comme Rizzi, Frizza, Benini, Oren ou Campanella), mais des valeurs sûres qui ne rateront pas leur soirée. Et des noms plutôt prestigieux dans leur partie : Alessandrini, Minkowski, Plasson... ou merveilleusement adéquats (Callegari, une très grande valeur de la direction actuelle). Plus réservé sur Schønwandt, très bon chef, mais aux angles toujours amollis, donc dans Mozart qui n'est pas sa spécialité... et sur Mälkki, plutôt formée à métronomiser des formats plus réduits et sans enjeu expressif particulier - et même dans ce cadre, très froide et distante.

Par ailleurs, la résidence d'un excellent chef comme Philippe Jordan apporte incontestablement une cohésion à l'orchestre, et des interprétations réellement mûries - ce qui est plus difficile avec des chefs occasionnels.

Le contraste est important avec les vingt dernières années, où l'Opéra de Paris n'avait pas brillé par sa capacité à attirer à lui les meilleures baguettes - je me suis souvent demandé comment une maison qui a le pouvoir d'embaucher plus ou moins qui elle veut pouvait se contenter de chefs qui n'avaient ni la qualité technique des bons kapellmeister, ni la personnalité sonore des chefs célèbres.

6. Le soin de la mise en scène

Suite aux reproches aigres faits sur les mises en scène de ces dernières saisons, aussi bien chez les amateurs d'audaces théâtrales (logique) que de conservatisme scénique (plus inattendu), l'équipe de Joel semble avoir mis tous ses efforts de ce côté. Les reprises sont toutes des mises en scène prestigieuses et généralement admises comme de qualité : Toffolutti, Decker, Serban, Sellars, Jacquot, Wilson, Warlikowski.

Les nouvelles commandes émanent toutes de metteurs en scène spécialistes du théâtre lyrique et considérés (hors Jacquot, mais plutôt bien accueilli tout de même) comme des maîtres en la matière (quoi qu'on pense de telle ou telle production précise) : Nikolaus Lehnhoff, Robert Carsen, Olivier Py, Laurent Pelly, tous auteurs de réussites assez incontestées, et disposant d'une vision forte du théâtre musical, avec de véritables directions d'acteur. Me concernant (je suis un exemple commode, m'ayant sous la main), je n'ai pas très envie de la Fanciulla de Puccini chantée par une wagnérienne un peu lisse, mais le voir par le truchement de Lehnhoff pourrait bien faire la différence.

Pas beaucoup de surprises en revanche, aucun nouveau venu, mais des propositions très attirantes.

7. Deux visions du monde

En fin de compte, une saison sans surprise, l'Opéra de Paris ne sera pas un lieu de découverte. En revanche, que des oeuvres qui ont fait leurs preuves, des chanteurs spécialistes, des chefs adéquats, des metteurs en scène inspirés : ce qui sera fait sera assurément bien fait.

On se situe en réalité dans un tout autre paradigme qu'avec Gérard Mortier - et c'est pourquoi les saisons de transition de Joel ont peut-être paru peu lisibles. On pourrait définir très schématiquement (mais cela fonctionne !) les deux positions sur un axe politique.

Mortier concevait l'Opéra comme un lieu d'expérimentations, de culture vivante, d'ouverture au monde - quitte à sacrifier la qualité propre des spectacles, il tenait à ce que sa programmation fasse écho au monde réel, provoque, fasse débat. Une sorte d'accompagnement vers le progrès, d'aide à l'émancipation des peuples, etc. Il suffit de retrouver ses déclarations ronflantes pour le situer aisément.

Joel, à l'inverse, incarne une vision conservatrice de l'Opéra : un lieu de patrimoine et de prestige, où les meilleurs interprètes jouent les oeuvres aimées de tous, où la fête est assurée et où le plaisir se reproduit à l'infini. En cas de restriction budgétaire, ce sont les nouveautés hasardeuses (créations ou exhumations) que l'on supprime.

Du fait de mon goût pour les découvertes, j'ai davantage de sympathie pour les objectifs de Mortier (même s'il faut subir le discours méta-culturel et crypto-politique assez pénible), mais je me demande si Joel n'est pas, en fin de compte, meilleur conservateur que Mortier n'est progressiste. Et n'atteint pas mieux ses objectifs - il est vrai moins ambitieux.

En attendant, j'irai assurément voir au moins trois de ces opéras en 2013-2014, et le reste de la programmation parisienne comblera sans difficulté mes manques en productions originales.

8. En concert

En revanche, la saison à l'Amphithéâtre constitue, comme les années passées, un feu d'artifice de raretés passionnantes servies par des artistes exaltants : plusieurs programmes consacrés à la musique décadente, des florilèges ambitieux, une soirée sans autre musique que celle de Lili Boulanger, le Spanisches Liederbuch de Wolf (excessivement rare en France), des mélodies (peut-être inédits) de Gabriel Dupont ou de Darius Milhaud... Le tout par d'excellents interprètes qui ne sont pas forcément des artistes bankables.

De grands moments en perspective, de ce côté-là.


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Commentaires

1. Le mercredi 27 février 2013 à , par Ugolino le profond

On peut aussi dire que c'est
DU GROS CACA.

2. Le mercredi 27 février 2013 à , par David Le Marrec

Je me doute en effet que tu n'as pas dû y trouver ton compte ; néanmoins, tu n'as vraiment rien vu de tentant à l'amphi ?

Certes, même là, il y a quasiment zéro contemporain - à part Pintscher (hum) dans un concert de la grande salle, je crois ne pas en avoir vu, c'est vrai. Sans doute la part qui a été rabotée avec les économies budgétaires.

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David Le Marrec

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