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Giacomo Meyerbeer - Les Huguenots - un nouvel état de la partition : fragments jamais joués (édition Ricordi, Minkowski Bruxelles 2011)


Ayant suivi avec beaucoup d'intérêt ces Huguenots bruxellois, et en particulier la radiodiffusion des extraits inédits, jamais représentés (même pour la création semble-t-il), les lutins souhaient revenir en détail sur ce nouveau matériau sonore, et aussi sur son traitement orchestral original par Minkowski (avec dans les deux cas des considérations positives ou négatives). Ayant pu lire le travail très précis de recension qu'avait déjà effectué Guillaume, je lui ai proposé d'écrire une notule sur le sujet, puisqu'il est à l'heure actuelle, l'édition Ricordi n'étant pas encore publiée, l'un des plus érudits sur ce nouvel état de la partition.

Les lecteurs réguliers de Carnets sur sol l'auront déjà lu, il commente souvent par ici, et tient lui-même salon dans un boudoir voisin (tenu secret).

Voici son texte. Je l'agrémenterai dès que possible des extraits sonores correspondants.

Qu'il soit remercié pour la qualité et la clarté de ses commentaires.




Les Huguenots de Meyerbeer à la Monnaie de Bruxelles – juin 2011 : un nouvel état de la partition
Par Guillaume.


Considérations sur la place de cette production dans un mouvement de redécouverte - légitime et attendue - du Grand Opéra et de la figure de Meyerbeer tant vantée par le maître de ces lieux, qui n’ayant pu assister à ce spectacle, m’a chargé de le commenter.



« Pour cette cause sainte, j’obéirai sans crainte à mon Dieu, à mon roi » - L’acte IV à la Monnaie.

Pour ma part, ce spectacle aura été à la hauteur de ce qui était annoncé, voire même au dessus de mes attentes.

 --

Note liminaire : Etat de la discographie et des productions de l’œuvre

La discographie se réduit à deux versions réellement intégrales dont une  indisponible. Bonynge I (Sutherland, Arroyo, Vrenios, Ghiuselev ainsi que Tourangeau et Bacquier) reste très recommandable et doté d’un orchestre idéal pour le bucolique et les belles sonorités du II ), même si on pourra ne pas aimer Vrenios ou trouver un léger manque d’urgence. Sa disponibilité et la présence du livret la rendent indispensable néanmoins. Diederich, indisponible (Erato), dispose du Raoul idéal de Leech et de la superbe Valentine de Pollet, avec un entourage plutôt engageant (sauf Ghiuselev) et une urgence due au direct.

On passera sur Gavazzeni en italien et en style vériste, Märzendorfer avec Gedda, Gallois avec le remarquable Vanzo, le récent Palumbo de Martina Franca, un DVD australien avec Bonynge et Sutherland : ces versions voient jusqu’à un tiers (!) de l’œuvre passer purement et simplement à la trappe.

 Une discographie sinistrée, donc, bien qu’on puisse se satisfaire amplement de Diederich et Bonynge.

 Les dernières productions ont été dans de relativement petits théâtres : Liège, Metz… c’est la première fois depuis une quinzaine d’années que les Huguenots sont joués dans une « grande » maison.

  

1.      Première notule : Un nouvel état de la partition

Grosse surprise pour ceux qui s’étaient arrêtés à l’idée que, superposés, Diederich et Bonynge comportaient toute la musique écrite par Meyerbeer, ou peu s’en faut.

 
Quinze minutes de musique inédite dans cette production, qui se base sur une édition préalable à l’édition critique qui devrait sortir chez Ricordi. Cela peut sembler marginal, mais c’est tout de même marquant, surtout que ce ne sont là pas uniquement de pures reprises comme dans ces œuvres belcantistes qu’on rejoue sans coupures en rétablissant cabalettes et reprises.

 

a)     ACTE I

 

Récitatifs allongés avec des commentaires supplémentaires des nobles sur Raoul :

 

N°1
C. Morceau d’ensemble et Entrée de Raoul

Reprise par le CHŒUR de ce que dit Nevers :
Allons le convertir au culte des vrais dieux,
L’amour et le plaisir.

Entrée de Raoul

[…] 

Raoul entre, les gentilshommes catholiques commentent : 

TAVANNES (avec mépris)
Oui, l’air gauche et gêné d’un noble de province !

RETZ (avec fatuité)
Mais nous le formerons !

COSSÉ
Oui, nous le formerons ! 

NEVERS
C’est à la cour du prince
Un service à lui rendre !
 

Peu d’ajouts dans ce premier bloc qui s’étend jusqu’à l’Orgie bien connue (Bonheur de la table), mais de nouvelles précisions et une confirmation de la relation entre Raoul et ces nobles catholiques : c’est bien une réception initiatique, une sorte de bizutage, il s’agit de prendre sous son aile ce pauvre parpaillot de province. Cette relation ambigüe (c’est à l’insu de Raoul que les catholiques s’amusent, surtout Tavannes qui semble le plus sarcastique du lot) se double du conflit latent entre protestants et catholiques. Py l’a bien senti dans sa mise en scène : à l’entrée de Raoul, celui-ci est bousculé par certains nobles. 

La gêne patente de Raoul qui vient de voir sa déjà bien-aimée (un amour tristanien « Là, toujours, oubliant, oublié ! » ?) chez ce Nevers est également amplifiée par le développement supplémentaire suivant, qui se fait avec un orchestre reprenant le thème du chœur « Honneur au conquérant » :

 
Urbain demande sire Raoul de Nangis, Marcel répond, puis Raoul :
RAOUL
Qui ? Moi ?
ajout : C’est une erreur, je ne connais ici
Personne dont le cœur à mon sort s’intéresse.

 Passons sur les quelques mesures en plus du final, elles n’apportent rien ni textuellement ni même musicalement.

 

b)     ACTE II

 Signalons que le duo Marguerite/Raoul (Pareille loyauté vaut son prix) est ici intégral, alors que Diederich avait coupé toute cette section médiane et Bonynge au moins tout à partir de « Au chapitre d’inconstance ». Cette partie est introduite par le hautbois :

 
MARGUERITE
Preux doit vivre pour sa belle,
Dans l’absence plus fidèle,
Qu’il n’égare pas loin d’elle
L’ombre même d’un soupir !

 RAOUL (à part, d’une voix concentrée)
Il me semble que c’est elle,
L’endroit, l’heure, tout rappelle,
La parjure, l’infidèle
A mon tendre souvenir ! 

MARGUERITE
Au chapitre d’inconstance,
Tout est crime, grave offense,
Prends bien garde que d’avance
L’amour veuille te punir !

 RAOUL
Vers ce charme je m’élance
J’abandonne qui m’offense
Et je goûte la vengeance
Dans l’ivresse du plaisir !

 
Cette section est très réussie, la musique en vient, après une rupture bondissante - « Au chapitre d’inconstance » sautillant joyeusement au dépit voire contre le texte - à stationner dans la vocalisation, on a vraiment deux (faux) amants qui se pâment. 

Ce duo constitue une pièce maîtresse de l’œuvre : les conventions belcantistes qui apparaissent dans la structure et l’écriture (toute la fin, qui évoque d’ailleurs « Mon cœur s’élance » du II de Robert), le petit air « Ah, si j’étais coquette » de Marguerite, les incursions de Raoul dans le registre de la vaillance (« A vous et ma vie et mon âme et tout mon sang » - humour scribien sur cette exagération de la part d’un noble gauche et gêné de province ?), les vents rêveurs, tout cela se mêle, illustration de la nature composite du style meyerbeerien.

 

Entrée des nobles (Honneur à notre reine) un peu différente et plus longue : on en vient à se demander si les versions précédentes n’étaient pas des arrangements !

 Enfin, quelques mesures supplémentaires dans le final (Ô transport, ô démence), inutile de détailler, le texte n’en est pas nouveau et la musique n'apporte rien d'essentiel. 

 

c)      ACTE III – le gros morceau des nouveautés

Un couplet supplémentaire pour le Rataplan des protestants :

BOIS-ROSÉ
Allons, mes braves calvinistes !
A nous les filles des papistes,
A nous richesses et butin
Et bon vin !
Ici tout appartient au brave, rataplan,
Et ces vins qu’ils gardaient en cave, rataplan,
Pour leurs autels, pour leurs banquets
Buvons-les !

 
Il rétablit l’équilibre après un premier couplet pathétique (le vieux capitaine qui mène ou à la victoire ou au paradis) qui pouvait procurer de l’empathie envers ces soldats huguenots pris dans une guerre déjà longue (massacre de Wassy en 1562, là on est en 1572). Ce couplet témoigne du souci de Scribe de ne jamais rendre ses personnages totalement sympathiques au spectateur (avec l’exemple de Jean de Leyde dans le Prophète, voire d’Eléazar dans la Juive) et donc d’éviter le plus possible le manichéisme L’intolérance et les excès sont partagés, et cela ne peut mener qu’au massacre d’un des deux groupes.

 
La danse des bohémiennes est allongée au moins de moitié, d’une durée de six minutes environ. Du coup, on s’approche des « règles » tacites du Grand Opéra, sans atteindre la longueur des ballets verdiens (plus d’un quart d’heure pour Don Carlos ou les Vêpres siciliennes) ou même de ceux de Robert-le-Diable. On s’était étonnés à la découverte des versions Bonynge et Diederich que les ballets durent si peu, avec cet allongement on arrive à presque dix minutes de ballets contre cinq minutes précédemment.

 
Une nouvelle intervention de Bois-Rosé et d’un étudiant catholique se plaçant après le veilleur de nuit (Rentrez, habitants de Paris). Ce sont deux ténors :

BOIS-ROSÉ (aux soldats protestants, en leur montrant le cabaret à gauche)
Toute la nuit, mes chers amis
Buvons gaîment dans ce logis,
Et vous beautés à l’œil si doux,
Venez souper, venez rire avec nous !
 

UN ETUDIANT CATHOLIQUE (aux grisettes)
Et vous, enfants, roses d’amour
Venez danser jusqu’au grand jour
Mais par ici passons plutôt,
On sent par là le huguenot !

 
Un gros apport, une prière de Marcel qui s’intercale avant « Je l’attendrai » (début du duo avec Valentine), dans un style archaïsant. Le livret fourni par la Monnaie indique qu’il existerait aussi toute une partie au milieu ici coupée, j’ai choisi de ne présenter que ce qui a été effectivement chanté par Varnier et Lis :

N°17bis
Choral 

MARCEL (priant, avec une expression douloureuse)
Veille sur nous, grand Dieu du Ciel,
Défends-nous, divin maître,
Pour approcher de tes autels,
Nous sommes seuls peut-être.
Tes saints proscrits dans Israël
N’ont plus ni roi, ni prêtre.
(avec terreur)
Voici l’heure… Prions…
Veille sur nous, grand Dieu du Ciel, etc
(Il prie machinalement, courant avec angoisse par toute la scène, cherchant à apercevoir Raoul. Les larmes lui suffoquent la voix.)
C’est trop ! Pitié, mon Dieu !

Cet air est le premier où Marcel apparaît comme un personnage pathétique, ses autres interventions se plaçaient sous le signe de la ferveur poussée à l’extrême et de la provocation à l’encontre des catholiques.

Pour intéressant et très émouvant que nous le trouvons, avec de surcroît une orchestration superbe et un style archaïsant qui imite à la perfection le choral (qui peut alors apparaître comme un pendant à « Seigneur, rempart et seul soutien »), cet air est redondant avec la suite (« Je l’attendrai / Et s’il meurt, je mourrai »). On comprend donc pourquoi il a été écarté à un moment ou à un autre, peut-être par Meyerbeer lui-même.


De nouveaux développements du final du III. L’ensemble mérite d’être détaillé, car la plus-value est réelle.
La structure du final nécessite quelques explications, utiles à ceux qui découvriraient l’œuvre. Les nouveaux passages sont détaillés :

        N° 20 – Chœur de la dispute « Nous voilà ! Félons, arrière ! »

-        
    Explication entre Saint-Bris, Marcel et Raoul :

 RAOUL, SAINT-BRIS, MARCEL
Quoi lâches, quoi d’avance,
Vos amis étaient là !
Des deux parts même chance,
Et vous tremblez déjà !
Fer entre fer avance,
Et Dieu décidera.

SAINT-BRIS
Eh bien donc ! Au lieu du duel,
Que ce soit un combat ! 

RAOUL
Oui, combat mortel ! 

TOUS
Combat mortel !
Mort à qui nous résiste !
Dieu le veut ! Plus un mot !
 

On a donc désormais une pause dans l’accumulation de « Dieu le veut » furieux lancés de part et d’autre. Cette explication très sommaire entre les protagonistes relance la tension, les « Combat mortel ! » repris par le chœur sont très impressionnants.

 [La Reine Marguerite entre et s’interpose. Importants changements]

MARGUERITE
Ô Ciel ! Qui dois-je croire ?
Et d’un pareil soupçon quelles preuves ? 

MARCEL
Je peux vous le faire connaître :
(montrant Saint-Bris et les siens)
Ce sont eux qui voulaient assassiner mon maître !
 

[A partir de là, tout diverge]

 SAINT-BRIS
Ô Ciel ! Qui te l’a dit ? 

MARGUERITE
Et de qui le sais-tu ?
 

N°21 Final 

MARCEL
De qui ? De qui ?

(avec émotion)

D’une femme, d’un ange en ces lieux descendu
Pour défendre Raoul, et veiller sur sa vie…
Oui, sa voix prophétique ici m’a prévenu
De ses lâches projets et de sa perfidie qu’elle connaissait bien.

 SAINT-BRIS
Ce vieillard a menti !
Où est donc cette femme ? En quels lieux ?
(On voit Valentine sur le seuil de la chapelle ; elle est masquée.) 

MARCEL
La voici ! 

CHŒUR
Ô surprise nouvelle ! 

SAINT-BRIS
C’est elle qui m’accuse, dont l’oreille a, dit-on,
Pour protéger Raoul, surpris ma trahison !
Ah ! je connaîtrai les traits de ce témoin fidèle !
(Il court avec fureur vers cette femme et lui arrache son masque : c’est Valentine)
Ma fille ! 

CHŒUR
Ah ! Grand Dieu ! 

[Ensemble] 

SAINT-BRIS (avec une voix suffoquée par la colère)
A cette heure ! Cette place ! 

VALENTINE (d’une voix suppliante)
Ah ! Mon père ! 

SAINT-BRIS
Ah ! Perfide ! Quelle audace ! 

VALENTINE
Tout m’accable, m’embarrasse !
Grâce ! 

SAINT-BRIS
C’est ma fille qui menace,
Qui veut perdre mon honneur ! 

RAOUL (étonné)
Le croirais-je ? Noble audace ! 

MARGUERITE (à part)
Le croirais-je ? Noble audace ! 

RAOUL
Contre un père qui menace,
C’est ma cause qu’elle embrasse
Quand j’outrage son honneur. 

VALENTINE (à Saint-Bris)
Ah ! Ce crime qui vous glace
N’a pu naître dans mon cœur ! 

MARGUERITE, URBAIN, UNE DAME D’HONNEUR
Et d’un père qui menace
Elle brave la rigueur. 

[puis l’ensemble, où se sont superposés progressivement les différentes parties,  se clôt par quelques accords lapidaires, et Saint-Bris, après ce moment de répit où la conscience de chacun des personnages déroutés s’exprimait, reprend l’initiative. Il ne va pas accorder à Raoul qui s’est rendu compte de son horrible méprise ce qu’il voudrait avoir, vous le pensez bien…]

 SAINT-BRIS
J’aurai donc satisfait
Le seul vœu de mon cœur
A mes genoux ton amour me la réclame !
(avec une joie féroce)
Et bien donc, aujourd’hui (juge de mon bonheur !)
Et depuis ce matin, d’un autre elle est la femme ! 

[On retrouve ensuite la musique « habituelle »] 

Cette dernière réplique de Saint-Bris est remarquable : la musique semble épouser naturellement la parole perfide et sadique du comte, l’avant-dernier vers étant doublé par les cordes d’une manière qui semble réellement mimer la « joie féroce ».

L’ensemble de ces nouvelles pages du final est d’ailleurs à distinguer, on a enfin l’affrontement père-fille, l’émerveillement de Marcel face à l’abnégation de Valentine (D’une femme, d’un ange en ces lieux descendus – là encore, un ajout passionnant), la surprise de la reine, la férocité de Saint-Bris qui interdit tout retour en arrière, et le tout avec une grande musique.

 

De manière à ne pas ajouter à la confusion, on a omis de préciser que le livret édité par la Monnaie comporte quatre autres pages entières d’ensemble entre « Elle brave la rigueur » et « J’aurai donc satisfait ». Sans musique, on ne peut juger, même si tout ce matériel semble résoudre la question d’un final originellement bien trop expéditif et de ce fait maladroit.

Enfin, plus anecdotique, mentionnons quelque rajouts dans le déjà incroyable et inépuisable cortège qui clôt cet acte.

 

d)     Conclusion

Rajouts très appréciables donc, le texte apparaît plus touffu mais aussi plus détaillé, plus coloré, les psychologies sont plus complexes et on gagne quelques passages de vrai Meyerbeer.

On peut comprendre, en particulier pour les ajouts du I et du II, largement superfétatoires, ou la prière de Marcel, redondante avec le duo, les raisons qui auraient poussé un directeur de théâtre à couper ces passages, ou Meyerbeer à les éliminer. Si cette dernière hypothèse tient la route (au moment des répétitions, Meyerbeer avait coutume de grandement modifier ses partitions, et les éditions Ricordi affirment avoir tenu compte d’esquisses autographes), l’on ne doit pas se réfugier derrière cet argument pour justifier d’éventuelles coupures, comme on le fait parfois (vous savez, quand on vous dit que les coupures « ont été approuvées par le compositeur » - cas typique pour Richard Strauss).

Maintenant que ces passages ont été redécouverts, je pense qu’il est nécessaire de tout jouer, ou du moins le plus possible, car, on l’a vu, le drame se trouve coloré et enrichi (surtout avec le « nouveau » final du III) par ces passages.

 
Pas de nouveautés dans les actes IV et V, peut-être lié au fait que l’édition critique n’est pas encore terminée ? 

--

(A suivre...)



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Commentaires

1. Le mardi 12 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec


A nouveau, Guillaume, je voudrais renouveler mes vifs remerciements pour ce travail si précis, complet et clair - une bien belle somme, et utile.
Pour qu'elle soit plus aisément accessible, je tâcherai d'ajouter les extraits sonores correspondants, prochainement.

A présent, les rôles étant inversés, c'est moi qui vais humblement commenter tout cela.

--

Discographie

Tu exagères sur Gavazzeni, qui est d'un style plus verdien que vériste. C'est une autre couleur que l'original, mais ça se tient tout en étant différent - effectivement, c'est plus vocal que subtil, et toute l'ironie de Scribe disparaît, mais ce n'est pas non plus un étalage d'effets. Du chant pur, et assez électrique. (Pas du tout ma came à moi non plus.)

La pire de toutes est clairement Giovanninetti, encore plus coupé que les autres, dirigé d'une façon incroyablement prosaïque : le chef exalte tous les effets faciles ou vulgaires de la partition, un espèce de sabotage, un peu comme si on dirigeait réellement donizetti en faisant hurler le boum-ploum-ploum-ploum de l'accompagnement, ou si on faisait exprès de faire sonner les cuivres quatre fois plus fort que la nuance écrite dans Wagner...
Et malgré Angeles Gulín, que j'aime beaucoup mais qui est ici un peu embarrassée de la langue, ou en petite forme, le résultat est assez bancal en termes de mise en place, et moche en termes de chant et de caractérisation. Beverly Sills est mal captée et ne sonne que métallique (et pas spécialement spirituelle, ce qui constitue plutôt une surprise). Mais ce sont surtout les hommes qui sont terrifiants, en braillant leurs notes le plus fort qu'ils peuvent, je n'ai jamais entendu ça ailleurs chez des professionnels : Tony Poncet en Raoul et Justino Díaz en Marcel.
Vraiment une soirée qui m'a effrayé.

Sinon, Märzendorfer se tient très correctement, et Gallois, malgré ses coupures bizarres (tout ce qui est répété est coupé, même pour une mesure !), bénéficie quand même d'une bien belle distribution...

Palumbo, c'est assez mitigé : Warren Mok n'est vraiment pas beau en Raoul, et Annalisa Raspagliosi est sous-régime par rapport à ses grandes aptitudes. Direction sèche, mais essentiellement à cause de l'acoustique bien spécifique de Martina Franca...

Le DVD australien de Bonynge n'est pas mal du tout, bien meilleur finalement que celui de Soltész en allemand, dans une transposition moche et inopérante, où même Leech paraît diminué.

Je tombe donc d'accord sur les versions CD de Diederich Erato, excellent malgré une baisse de tension très significative dans les deux derniers actes, et Bonynge Decca, un brin mou, mais réussi à tout point de vue.

Il y a mieux que cela dans le circuit officiel, avec Diederich sur le vif (Kunde à la place de Leech), même caractéristiques orchestrales, mais partition un peu plus complète (l'ensemble du voyeurisme au I y est donné en entier) qui vaut sensiblement la version commerciale (Macurdy est plutôt mieux que Ghiuselev, et Miricioiu moins bien que Pollet).
Mais surtout Guido Johannes Rumstadt, qui a donné une version ultra-coupée, mais d'une folie dansante et dramatique hors du commun, que je n'ai pas même retrouvée chez Minkowski. Avec Diana Damrau, Annalisa Raspagliosi, Marcello Giordani, Soon-Won Kang. Extrait ici.

2. Le mardi 12 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

Le nouvel état de la partition

Il serait très long de tout commenter, d'autant que je donnerai peut-être aussi mon avis sur ces nouveautés.

Mais en deux mots :

=> Les suppléments des actes I et II restent minimes, aussi bien en quantité qu'en intérêt nouveau.

=> La Prière me paraît assez superfétatoire, lorsqu'on a déjà eu le "credo" de Marcel exprimé par le choral de Luther au I et par son intrusion dans la litanie catholique un peu plus tôt dans cet acte III ("Dieu n'est pas là, je pense."). Musicalement, c'est effectivement un écho encore plus archaïsant du Choral de Luther. Certes, il manquait un air sérieux à Marcel, mais ce n'est pas très passionnant et les autres personnages non plus n'en ont pas deux - la conservation de l'air d'entrée et d'Alboni pour Urbain étant discutable (puisqu'ils développent la même idée).

En plus, la scène tire Marcel vers le sérieux, ce qui est dommage, et rompt l'action, a fortiori si la prière est jouée en entier, tandis que la belle litanie drôle donne déjà du climat sans être préjudiciable à la couleur du personnage, aux prétentions graves mais à l'aspect débonnaire.

Il me paraît donc logique que Meyerbeer l'ait supprimé, puisqu'il s'agit manifestement d'extraits qui n'ont jamais été représentés, et coupés lors des répétitions, de même qu'on dispose d'une partition de 1866 pour Don Carlos, distincte de celle jouée lors de la création parisienne en 1867.

=> Le nouveau final de l'acte III, en revanche, est proprement hallucinant. Dès l'ensemble de la dispute, on gagne une reprise de soli émanant de l'ensemble du duel, un récitatif de défi, et une reprise enrichie des thèmes du choeur.

On trouve ensuite une modification importante autour de la séquence récitative après l'arrivée de la Reine : "Ce sont eux qui voulaient assassiner mon maître", chantée différemment.

Après les nouveaux récitatifs "Ô ciel ! qui te l'a dit", on débouche sur l'ensemble très lyrique et utile "De qui ? D'une femme, d'un ange" en canon, vraiment magnifique. En plus, dramatiquement, il permet d'expliquer la situation de Raoul (remords et retour de Raoul au IV), et on dispose à présent d'un quasi-duo fille-père absent auparavant.

Le final du III est devenu incroyable - il était déjà très beau, mais là, on obtient une véritable orgie musicale.


Donc quelques divergences avec toi, je peux me passer de certains ajouts (même si je suis comblé de pouvoir les entendre), mais le "nouveau" final du III est impérativement à perpétuer, on y gagne aussi bien en intérêt musical qu'en logique dramatique.

3. Le mardi 12 juillet 2011 à , par Guillaume

Sur la discographie, globalement d'accord à ceci près que je n'ai osé malgré (à cause de) mon amour de l'oeuvre poser l'oreille sur Giovanninetti. Poncet, pour ce que j'en ai entendu, est à déconseiller absolument dans Raoul.

Je te rejoins et signale que en effet, le DVD Bonynge fait plus que tenir la route : ça fonctionne, avec Anson Austin et Amanda Thane très en forme, Joan Sutherland sur le retour (ce sont ses adieux) avec un air de Marguerite abaissé d'un ton. La partition dure 2h40 et les coupes sont sévères, mais pour qui veut un DVD, c'est un bon choix (en attendant Minkowski).


Sur la partition, les ajouts du I, du II et du début du III restent quand même très plaisants et intéressants pour certains. Je partage en partie tes réserves sur la Prière, même si je suis emporté à chaque fois par ce passage très émouvant qui développe le côté sérieux mais aussi pathétique de Marcel, et interroge la relation père-fils (piste confirmée par le livret).

Le reste, je ne peux qu'y souscrire aussi, c'est ce que je dis mais en mieux écrit et expliqué :-)

4. Le mardi 12 juillet 2011 à , par Antoine

Ok, mais le mieux est de l'écouter. A quand la parution du cd?

5. Le mercredi 13 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

@ Guillaume :

Tu as bien fait pour Giovanninetti, bien que ce soit une expérience en soi... Tony Poncet y est bien plus désagréable que dans le duo de concert avec Suzanne Sarroca auquel tu dois songer - et où il est, à défaut d'être gracieux, très supportable. Dans la version Giovanninetti (tiens, je n'ai pas parlé des choeurs...), il est bien plus dans la posture du bateleur braillard, alors qu'il était juste un peu dur et prosaïque avec Sarroca.

Pour le DVD,on n'aura pas Minkowski, puisque ce sera Callegari à Strasbourg. Sacré chef cela dit. Il n'y aurait pas les habitudes d'épaisseur désagréable de cet orchestre, je dirais que ce sera potentiellement encore mieux que Minko...

Je n'ai pas mieux dit ce que tu as dit, je me suis juste placé sur un plan différent, qui n'était pas l'étude factuelle que tu as excellemment réalisée, mais plutôt l'effet produit sur la couleur générale de la partition. Deux perspectives qui se complètent, en somme. :)

--

@ Antoine :

Jamais.

C'est pourquoi j'ai prévu d'ajouter des extraits à la notule pour qu'on puisse entendre et satisfaire plus large que le cercle des geeks meyerbeeriens. :)

6. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par Pierre

Bravo pour ce commentaire!!

David, tu as eu une vraie confirmation pour le DVD de Strasbourg, ou ils en sont toujours à essayer de le faire?
D'un autre, côté, on peut aussi penser que Strasbourg va proposer la vraie édition critique, qui n'était pas encore terminée à priori lors des représentations de Bruxelles...

7. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

Oui, salutaire présentation !

Pour le DVD de Strasbourg, non, rien n'est sorti, mais c'est trop tôt pour avoir une confirmation définitive (les financements, les accords des artistes, etc. : souvent ça se détermine au dernier moment selon le "rapport de force" en présence, on peut même capter et que ça ne sorte jamais).

La véritable édition critique, c'est à voir, ça ! Parce que la production qui a été coproduite est la mise en scène de Py, et rien n'oblige Callegari (qui sera idéal ici, c'est déjà ça !) à prendre l'édition critique - et encore moins à s'abstenir de couper, surtout que manifestement ça lui sera demandé par la direction du théâtre...

Pas de rêves hâtifs, donc. On aura de très beaux Huguenots à Strasbourg, et par ailleurs une édition critique augmentée bien publiée - c'est déjà très bien.

8. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par Pierre

Si si, on aura bien l'édition critique, comme indiqué sur le site de Strasbourg :
Édition critique de Milan Pospisil et Olivier Jacob
Copyright chez G. Ricordi & Co., Buehnen und Musikverlag Munich

Et puis ça me semblerait quand même fou de couper dans une mise en scène! Une personne a entendu un responsable du théâtre dire qu'il faudrait couper... mais ça ne reflète que l'opinion d'une personne. Je suis optimiste!

9. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec

Soit pour l'édition critique, puisque c'est marqué. :)

Pour le reste, j'attends de voir. Il n'y a pas de bonnes raisons rationnelles (à part l'enthousiasme artistique du programmateur) de jouer cette oeuvre sans coupures : ça coûte plus cher, ça permet moins d'assurer les détails, ça fatigue les interprètes, et ça rebute une partie du public qui veut pouvoir rentrer pour travailler le lendemain. Comme l'oeuvre n'est pas souvent jouée, à peu près personne ne s'en aperçoit...

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