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Pascal COLLASSE : Achille et Polyxène, la fin de Lully


1. Une oeuvre sous-estimée

Achille & Polyxène est la dernière tragédie en musique qui n'ait pas été recréée de Lully. On aura souvent lu que la dernière à attendre d'être rejouée était Bellérophon, et c'était exact, mais il s'agissait de la dernière complète. La composition d'Achille et Polyxène a été interrompue, en mars 1687, par la disparition du maître, mort d'avoir bal battu la mesure. Hors l'ouverture et l'acte I, tout a été écrit par son ancien secrétaire Collasse.

La curiosité étant la plus forte, surtout après lecture du livret de Campistron, d'excellente facture, dans la veine d'Armide - et encore plus sombre -, on s'est proposé de regarder d'un peu plus près la partition. Il s'avère qu'en la lisant, on est surpris par de grandes beautés qui évoquent furieusement Armide... et qui pourtant sont dues à Collasse.


Extrait de notre édition moderne d'Achille et Polyxène.


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2. Effets de l'idéologie

Cette double paternité n'est sans doute pas étrangère, dans notre perception des choses, au peu d'intérêt qui entoure cette oeuvre. Hervé Niquet et Stéphanie d'Oustrac en ont donné des extraits, en concert, il y a peu d'années, mais sans que rien ne soit gravé - je n'ai même pas pu mettre la main sur une hypothétique bande du concert.
Tout simplement, la réception de l'oeuvre d'art a considérablement changé à partir de l'époque romantique, et nous semblons rencontrer quelque difficulté, aujourd'hui encore, à admettre l'idée d'une oeuvre collective. C'est peut-être ce qui explique que Francoeur & Rebel soient moins joués que Rameau, la distorsion pouvant être poussée à ce point... et a en tout cas nui à Polyxène, qui semble pourtant dans ses parties collassiennes comparable au tout meilleur de la production lullyste.

A ce jour, seuls des extraits d'Enée et Lavinie (sur un époustouflant livret de Fontenelle) ont été exhumés de Collasse - alors que les Noces de Thétis et de Pélée, succès hors du commun, n'ont toujours pas été rejouées, par exemple. Extraits non captés par la radio de surcroît, et n'étant pas dans la salle, je ne dispose pas de plus d'éléments que la lecture du matériel (livret en l'occurrence, la partition n'étant disponible qu'à la BNF).

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3. Partition

Je joins ci-après la partition de la "symphonie" qui suit les noces de Polyxène et d'Achille, ainsi que le court monologue récitatif de Briséis, qui lui succède immédiatement. Cette partition, que je viens de réaliser en notation moderne à partir de la publication originale de Christophe Ballard de 1687, n'a pas encore été soigneusement vérifiée et contient sans doute des erreurs, je la fournis simplement à titre indicatif.
Un enregistrement, je l'espère, suivra bientôt.


Même extrait, issu du tirage de Christophe Ballard qui nous a servi de source.


Voici le résultat moderne.

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4. Constats musicaux

Indépendamment de la grande efficacité du poème, on est frappé, à la lecture seule, par la beauté et la hardiesse de la musique dans cette fin de l'oeuvre (on se situe à la scène 3 de l'acte V, juste avant la mort d'Achille), uniquement due à Collasse.

La beauté de sa prosodie, qui fait la part belle aux consonances du vers français, laissant s'épanouir les syllabes fortes, ornementant beaucoup de façon explicite.

L'audace de son harmonie, avec des choses rares - mi dièse tout de même, ce qui est très peu fréquent dans la littérature baroque, même si la fonction harmonique n'en est en réalité pas révolutionnaire.

Et l'invention débridée de son rythme, avec des changements de mesure extrêmement fréquents (de nombreuses mesures changent successivement de carrure), tout cela au service des quantités du vers. Lully le pratiquait avec largesse dans les récitatifs les plus dramatiques ("Enfin il est en ma puissance" d'Armide, en particulier), et Collasse pousse ces libertés au moins aussi loin que le dernier Lully - et le plus inspiré.

Bref, des merveilles en perspective, que je me réjouis de pouvoir jouer grâce à cette petite édition en cours. LilyPond est véritablement un outil formidable.

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5. Extrait musical


Et le commentaire publié avec l'enregistrement :

Remarques :

1) Cet extrait est entièrement de la main de Collasse, tiré de l'acte V (Lully n'ayant écrit que l'Ouverture et l'acte I).
Ce doit être la première fois depuis l'ère de l'enregistrement qu'un extrait de sa musique d'opéra est diffusée. Je n'en ai en tout cas pas trouvé >de trace discographique ni radiophonique, malgré une reprise en 2007 à Hambourg (dirigée par Rudolf Kelber).
Les concerts donnés par Hervé Niquet qui contenaient des extraits de cet opéra comprenaient exclusivement de la musique instrumentale écrite par Lully.

2) Edition moderne par mes soins d'après la publication originale de Christophe Ballard.

3) Tonalité originale jouée au diapason 390 Hz.

4) Je concède tout à fait que le son n'est pas satisfaisant : capté derrière le piano qui sonne donc agressif, et je suis totalement caché derrière, d'où le chant un peu étouffé.

5) De la même façon, comme je chante, accompagne et improvise le continuo simultanément, il y a un certain nombre de scories (on peut très bien voir ce qui déraille à la fin, agitation dramatique aidant).
La réalisation de la basse chiffrée que je propose ici est de toute façon particulièrement banale (pour ne pas dire vulgaire), et le son du piano se prête assez mal à ce type de section : normalement, on entend une partie délicate aux cordes seules qui évoque le mariage d'Achille avec Polyxène, puis un récitatif emporté où Briséis maudit les deux amants. Deux types que le piano traduit très mal, et j'en suis désolé.

Néanmoins, comme cela fait quelques mois que j'ai réalisé cette édition, je trouvais dommage de ne pas en donner un aperçu sous forme de document. J'espère avoir prochainement l'occasion d'enregistrer séparément une bonne réalisation au clavecin, à capter avec un bon micro et à mixer avec une ligne vocale plus propre, de façon à pouvoir fournir un produit fini acceptable.

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6. Prolongements :



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Commentaires

1. Le lundi 6 juin 2011 à , par Guillaume

Tu vas sauter au plafond, mais dans le coffret du CMBV, il y a deux extraits d'Achille et Polyxène de Collasse par Niquet et d'Oustrac... :-) Si tu veux les entendre, contacte-moi via le canal que tu sais. ;-) Certes, ce sont deux extraits, mais c'est déja ça : ce sont précisément une Ouverture et une Gavotte d'une minute trente chacune. L'ouverture est assez renversante, et jouée avec ferveur par le Concert Spirituel...

(d'ailleurs, tout le disque est Niquet/d'Oustrac : extraits de Callie, de Persée, de Sémélé, de Médée...)

2. Le lundi 6 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Ce doit être le même concert en effet... j'avais effectivement lu les regrets de l'absence de substance dans ces extraits inédits (une gavotte, non mais on croit rêver !).

J'avoue que c'est finalement plus Collasse qui m'intéresse dans cet opéra que Lully (qu'on a quand même bien l'occasion d'entendre au disque !), surtout que ce que j'ai lu me paraît extrêmement substantiel...

Me reste à essayer une réalisation pas trop pataude, et si possible à emprunter un clavecin, pour montrer ce que ça produit.

3. Le vendredi 24 juin 2011 à , par Cove

Bonjour,

Le poème de cet opéra n'est pas de Quinault mais de Jean Galbert de Campistron (l'auteur du livret d'Acis et Galatée). Il semble également que Collasse ait composé le prologue (Lully n'aurait donc composé que l'ouverture et le premier acte). Impatient en tout cas d'entendre des extraits de cette tragédie lyrique...

4. Le samedi 25 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Cove !

Oui, erreur absurde (inexplicable et grave !) de ma part, au sujet du librettiste. Merci de l'avoir signalée.

Concernant le Prologue, tout à fait ; j'ai parlé par commodité de "tout ce suivait l'acte I" qui était exclusivement de Collasse, mais le Prologue en fait aussi partie. Péché de coquetterie en voulant éviter une tournure pas spécialement jolie du type "tout sauf Ouverture & acte I".

Les extraits sont à venir, mais je ne suis vraiment pas du tout satisfait du résultat pour l'heure, très loin de ce que je lis.

Merci pour ces justes rectifications !

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