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Clara WIECK-SCHUMANN - Ihr Bildnis (Heine)




On parle beaucoup de Clara - on vient même d'inaugurer une catégorie consacrée à elle seule. Seulement, il n'existe pas d'enregistrements libres de droits, du fait de sa redécouverte assez récente comme compositrice, particulièrement en ce qui concerne sa musique la plus chambriste - piano solo et lieder.

Aussi, profitant de quelques instants vacants, les lutins mettent la main à la pâte quand la chose est possible. En attendant la captation de ce qui sera téléchargeable, on prépare gentiment la traduction du corpus, et on propose ici une magnifique version d'Ihr Bildnis, sur le texte fameux de Heinrich Heine (« Ich stand in dunkeln Träumen »). Il fait partie des poèmes du recueil Die Heimkehr (« Le Retour », 1823-1824) qui doivent notamment leur célébrité à leur mise en musique par Schubert dans le Schwanengesang, dans l'ordre de Heine : « Du schönes Fischermädchen », « Am fernen Horizonte » / « Die Stadt », « Still ist die Nacht » / « Der Doppelgänger », « Ich unglücksel'ger Atlas ! »...


Voyons tout de suite la traduction.

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Ihr Bildnis / Ich stand in dunkeln Träumen ; Sechs Lieder Op.13 n°1


Poème de Heine Traduction DLM
Ich stand in dunkeln Träumen
Und starrte ihr Bildnis an,
Und das geliebte Antlitz
Heimlich zu leben begann.

Um ihre Lippen zog sich
Ein Lächeln wunderbar,
Und wie von Wehmutstränen
Erglänzte ihr Augenpaar.

Auch meine Tränen flossen
Mir von den Wangen herab -
Und ach, ich kann's nicht glauben,
Daß ich dich verloren hab !
J'étais dans de sombres rêves
Et fixais son portrait ;
Alors le visage adoré
Se mit secrètement à s'animer.

Sur ses lèvres se dessina
Un sourire merveilleux,
Et, comme traversés de larmes mélancoliques,
Ses yeux s'illuminèrent.

Des miens aussi des larmes
Ruisselaient sur mes joues -
Hélas - je ne puis croire
Que je t'ai perdue !

=> Vers 9. On a légèrement modifié le texte pour rendre l'effet de parallèle : la répétition en français est désagréable. 

On peut faire, pour ceux qui ne sont pas coutumiers de la poésie de Heine en dehors du lied, le parallèle avec le Lyrisches Intermezzo composé un an plus tôt par Heine (la source du Dichterliebe de Schumann, donc - et du cycle de Ropartz). Si jamais le vers 9 n'était pas tout à fait sérieux (d'où, également, notre choix de traduction, un peu ambigu), on se situerait dans le même registre ironique.
Le contexte, toutefois, n'est pas aussi anodin. Ce vingt-troisième poème sur les quatre-vingt-treize (dont quatre-vingt-huit sans titre) est encadré par deux poèmes certes empreints d'exagération volontaire et un peu souriante, mais qui dessinent une situation nettement plus sombre.

Car le poème qui précède est le récit d'une danse macabre, avec tout l'aspect truculant qu'il peut y avoir dans l'héritage de la Lenore de Bürger (1764, publiée en 1773). Pour ceux  qui ne liraient pas l'allemand, outre que la traduction française doit se trouver en ligne (Google Books, voire Archive.org), il faut songer à la Danse macabre d'Henri Cazalis, mise en musique par Saint-Saëns : les os claquent, la danse est joyeuse.
Toutefois, ce poème-ci, suivi de  « L’Atlas » (encore une exagération), et plus encore de « Die Jahre kommen und gehen » (« Les années passent »), laisse clairement entendre que cette représentation vaguement grotesque n'est autre que le tableau de la mort de la bien-aimée. « Ich stand in dunkeln Träumen » est donc le premier poème de la perte dans Heimkehr, et sa force est tout de même à concevoir en conséquence - sans solennité, mais relativement sérieuse.

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La musique, elle, se rapproche de l'interprétation de Schubert : contemplative, avec un éclat supplémentaire au moment du sourire. La grande différence se situe dans le rythme régulier des croches qui bercent chez Clara, alors que Schubert se montre beaucoup plus ascétique et menaçant, avec une octave nue au piano, qui double la voix.
Les deux sont superbes à l'écoute, mais il est vrai que la modulation de Schubert sur Lächeln est absolument incroyable - et le traitement général plus moderne.

Toutefois, dans la première version de Clara, l'accompagnement semble se détraquer sur le dernier mot du poème, comme contaminé par la fêlure du texte. La voix elle-même refuse la résolution du mi bémol pour aller chercher le mi...

Et c'est à cette occasion que l'on peut vous présenter cette très belle réussite d'interprète :

; ;

Daniel Kim, un superbe lyrique léger au timbre homogène, rond, doucement mixé, dit ce poème avec une plénitude vocale qui ne fait pas ombre à sa gourmandise dans l'articulation des mots et à son investissement dans l'expression. 

En attendant de vous proposer une version au téléchargement, voilà toujours de quoi vous délecter...
Pas de problèmes de droits, c'est fourni par l'interprète.

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Mise à jour du 23 mai 2009 :

Pour faire suite à la discussion en commentaires avec Agnès, on a enregistré la version alternative, plus consonante, composée en seconde instance par Clara. Elle est plus directe, plus évidente, et finalement, dans ce cadre général, on n'a pas forcément besoin d'être surpris - surtout juste une fois...
En voici la fin (le seul endroit qui diffère).




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Commentaires

1. Le lundi 18 mai 2009 à , par agnes

Bonsoir David,
vous pourriez nous en écrire plus sur les 2 versions de ce lied : les 2 titres, les variations (instrumentales et vocales), les dates de composition et le pourquoi des différences?
Agnès

2. Le lundi 18 mai 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonsoir Agnès !

C'est très simple, je comptais enregistrer prochainement l'autre version pour comparer.

En réalité, comme pour Sie liebten sich beide, il existe deux versions, mais extrêmement proches. Ici, il n'y a que cette fin plus fêlée dans la première version, et plus consonante dans la seconde, qui les différencie. Une réécriture très partielle, donc.

La seconde finit comme on l'attend, disons. (Et finalement, le charme n'en opère peut-être que mieux.)

[Accessoirement, chez Bärenreiter, il y a une 'tourne' de moins dans celle-là, pour quelque obscure raison.]

3. Le mardi 19 mai 2009 à , par agnès

C'est bien: avec vous les choses sont toujours simples.
Il ne me semble pas que seule la fin soit différente : une longue pause dans l'intro, un accompagnement différent sur le Antlitz.
La fin non résolue est donc celle de la version n°1? Je m'étais fait mon cinéma et j'avais imaginé l'ordre chronologique inverse.
Et si le charme n'en opère que mieux dans la 2, c'est peut-être parce qu'on n'a pas envie d'être surpris par des brisures auxquelles Clara nous a peu habitué avec des mélodies généralement plus consensuelles.

4. Le mardi 19 mai 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Je vérifierai sur la partition, mais pour avoir joué les deux, je n'ai pas vraiment vu grand'chose de distinct à part cette résolution évitée...

Oui, c'est surprenant, on aurait imaginé l'ordre inverse. Mais je ne suis pas d'accord sur le côté consensuel, il y a des tensions en permanence chez Clara, comme si chaque accord contenait des appoggiatures (ce qui est souvent le cas) - c'est ce qui donne cet allant extraordinaire (Warum willst du andre fragen et surtout Sie liebten sich beide). Simplement, c'est moins explicite d'habitude.

5. Le vendredi 5 juin 2009 à , par DavidLeMarrec

Après vérification, il y a bien des variantes.

- Harmoniques en quelques endroits (la bécarre au lieu de bémol dans certains accords).
- L'introduction de la première version connaît des respirations, des silences, qui sont absentes dans la seconde.
- Côté ligne vocale, très peu de chose, mais avec un mouvement similaire, la première version monte moins sur Antlitz, ce qui modifie un petit peu la logique harmonique également.
- Et bien sûr la fin.

Ca reste très caractéristique de Clara, et extrêmement anecdotique du point de vue du traitement général, ce qui explique que je n'y aie pas prêté plus garde que ça - ça ne change absolument rien au ton et au sens. Mais vous aviez tout à fait raison : le texte musical varie en plusieurs endroits.
Bravo pour votre vigilance et merci.

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