Carnets sur sol

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Concert Haydn/Mahler/Elgar du 23 janvier 2007 (Ensemble Orchestral de Paris, John Nelson) - Les Rückert-Lieder par Nathalie Stutzmann

Le dixième compte-rendu (déjà !) de Sylvie Eusèbe. Que vous pouvez retrouver, citée ou écrivant, ici.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mardi 23 janvier 2007, 20h.
Concert, F. J. Haydn : symphonie n° 84, G. Mahler : Rückert Lieder,
E. Elgar : Introduction et Allegro op. 47, F. J. Haydn : symphonie n° 86.

Ensemble orchestral de Paris ; John Nelson, direction ; Nathalie Stutzmann, contralto.


Haydn me rappelle beaucoup d’autres compositeurs, c’est-à-dire qu’il a très nettement inspiré les musiciens de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XIXe, mais je n’en vois aucune trace chez Mahler et bien que je ne connaisse pas assez Elgar pour me prononcer sérieusement à ce sujet, dans l’Introduction et Allegro qui nous a été donné, je n’ai pas senti son influence. Alors, pourquoi entourer Mahler et Elgar par Haydn ? On peut expliquer le rapprochement des œuvres de Mahler et d’Elgar par la contemporanéité de leur composition et de leur création (1901-1905), et si l’on ne constate pas de grandes similitudes musicales entre eux, il est précisément enrichissant d’en noter les différences. Tout cela pour dire que j’aurais nettement préféré une symphonie de Mahler à la place des deux symphonies de Haydn !

En « ouverture » pour ce concert de l’Ensemble orchestral de Paris, voici donc la symphonie n° 84 de Franz Joseph Haydn.
Côté musique, c’est vif, léger, ça coule avec fluidité, mais ce n’est pas varié, par exemple il m’est bien difficile de faire la différence entre le thème du premier mouvement et celui du dernier…
Côté interprètes, c’est agréablement joué, bien que les violons peinent un peu au début du premier mouvement. L’orchestre est clair, équilibré, on discerne tous les instruments et ma préférence va aux deux bassons à la sonorité chaleureuse. Le Menuet semble indiquer Mozart ; le final, très enlevé par les musiciens, est énergique.

Après cette « mise en condition », les Rückert Lieder de Mahler nous plongent dans un tout autre monde.
En longue veste mauve, Nathalie Stutzmann vient prendre place entre le chef et le premier violon. Un pupitre, placé un peu de côté et assez bas, supporte la partition vocale agrémentée de marque-pages (post-it rose et orange). Je n’ai pas eu l’impression que la chanteuse ait souvent fait appel à ce soutien, ou si cela a été le cas, elle l’a fait très discrètement. Au-dessus du pupitre de la contralto, un micro indique que le concert est enregistré, cela est confirmé par la présence de micros au-dessus du piano et de l’orchestre. Interrogé sur ce point, le Théâtre des Champs-Elysées dit ne pas savoir si le concert est enregistré et qu’il faut pour cela se renseigner auprès de l’Ensemble orchestral. Questionné à son tour, celui-ci a répondu qu’il ne s’agissait pas d’un enregistrement… Le peu de micros laisse en effet supposer qu’on ne réalise pas un enregistrement pour la radio ou le disque, alors pourquoi donc cet « enregistrement privé » ? Le mystère reste entier !
Le programme distribué gratuitement à l’entrée de la salle est assez bien fait (il propose même un interview inédit de N. Stutzmann), pourtant il ne contient pas les textes des lieder. Heureusement, le concert est surtitré, et comme pour le Winterreise d’octobre dernier à la Cité de la musique, j’apprécie sans réserve cette initiative, mais regrette fortement que nous soyons laissés après le concert sans le texte original et sa traduction française !

Gustav Mahler a composé en 1901 ces cinq lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert (1788-1866) pour contralto et orchestre. Ces poèmes ne forment pas un récit mais sont chacun une petite histoire isolée. Il semble que l’ordre dans lesquels on les joue le plus souvent soit simplement celui de leur composition, mais ce soir le n° 3 « Ich bin der Welt abhanden gekommen » est placé en dernier, peut-être pour renforcer la progression dramatique de l’œuvre.

Le n° 1 « Blicke mir nicht in die Lieder ! » (littéralement : Ne regarde pas dans mes chants) explique que regarder le travail de l’artiste, ou l’artiste lui-même tant qu’il n’a pas fini de créer, est ressenti comme une trahison. Cela l’empêche d’avoir confiance en son œuvre en devenir, et par la métaphore des abeilles qui fabriquent le miel à l’abri des regards, Rückert promet au curieux qu’il goûtera l’œuvre terminée (le miel) avant tout le monde. La musique, relativement joyeuse pour Mahler (!), évoque discrètement grâce aux cordes le bourdonnement des abeilles ; la chanteuse, très à l’aise dans ce registre expressif, s’anime et sourit à cette image gustative et poétique.

Le second lied « Ich atmet’ einen linden Duft » (je respirais une suave senteur de tilleul) associe le parfum d’une branche de tilleul à celle qui l’a donnée au narrateur et que celui-ci aime. La première strophe est chantée très mélodieusement par N. Stutzmann qui nuance avec élégance la souple ligne musicale. La chanteuse profite des « i » de « linden » ou de « lieber » pour effectuer ses intonations si admirables, le fortissimo sur « Hand » est magnifique. Son « i » me presse souvent les tympans exactement comme la différence de pression dans un avion, et le « i » de « Lindenduft » (la senteur) est si bien appuyé qu’il me procure cette curieuse sensation. Un « e » étiré dans « gelinde », un « ich » gravissime, et le lied se termine dans un ralenti qui exprime le recueillement de l’amoureux respirant le « Liebe linden Duft », le doux parfum de l’amour.

Mais voici déjà « Um Mitternacht » (A minuit). Poème aux intonations métaphysiques, il évoque (ou invoque) l’insondable univers, le combat contre les souffrances de l’humanité, puis l’échec de cette lutte qui conduit à la mort. Musicalement, le « Um Mitternacht » revient avec obstination et est souligné par les vents, comme si précisément à minuit, et seulement à minuit, une ouverture se fait et rend possible ce saut dans l’indicible auquel nous aspirons tous. Nathalie Stutzmann est parfaitement immobile et étend son chant au-dessus d’un orchestre d’une élégante discrétion. Au gré des strophes, elle fait varier les « Mitternacht », le « i » tantôt tiré, appuyé ou même prenant une intonation si nouvelle que je ne sais pas encore la qualifier, le « a » est plein et profond, particulièrement à la fin de la troisième strophe. Vient ensuite ce combat perdu contre les forces du Mal. La chanteuse le marque par une très longue et impressionnante descente sur le « ei » de « entscheinden », cette chute est poursuivie par celle des cuivres… Mais la contralto se redresse, les bras le long du corps et légèrement écartés, les mains ouvertes les paumes vers le public, elle chante les vers qui terminent le lied « Herr über Tod und Leben / du hältst die Wacht / um Mitternacht » (Seigneur de mort et de vie / toi qui veilles / A minuit) avec une force impressionnante, et le dernier « Mitternacht » s’abîme gravement dans l’orchestre.

Le quatrième lied nous permet de respirer un peu avant le dernier si bouleversant. « Liebst du um Schönheit » (orchestré par Max Puttmann) a déjà été mis en musique par Clara Schumann (op. 12 n° 4) et inclus dans les Liebesfrühling op. 37 (n° 4) de Robert. Si tu aimes pour la beauté, si tu aimes pour la jeunesse, dit ce poème, ne m’aime pas moi, mais si tu aimes pour l’amour, alors, oui, aime-moi parce que je t’aime. Elans romantiques et passions éternelles sont traduits par Nathalie Stutzmann grâce à une belle puissance dans les médiums aigus parfaitement tenus. Un peu souriante, la contralto joue le texte qui lui aussi « joue » avec la significative répétition « immer / immerdar » : « Liebe mich immer, dich lieb’ ich immerdar ! » (Aime-moi toujours, car je t’aimerai continuellement).

Mais voici le cinquième et dernier lied « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde, ou je suis perdu, égaré, disparu pour le monde). La musique lente aux notes tenues suggère un détachement plus complet du terrestre que dans « Um Mitternacht » ; le chant plane irréel, immatériel. Ce lied a permis à Mahler d’atteindre une expression musicale bouleversante, et comme « Um Mitternacht », il rappelle le « O Mensch ! Gib acht ! » du Zarathoustra de Nietzsche (Oh homme ! Prends garde !) de la 3ème symphonie.
Dès le début de l’introduction orchestrale, on sent la tension monter. La chanteuse se prépare longuement en renforçant sa concentration et en cherchant à repousser le trac par la maîtrise de sa respiration. Extrêmement retirée en elle-même, calme et droite, elle chante le début du lied piano « Je suis perdu pour le monde… il peut bien croire que je suis mort ! ». Le « gestorben » qui clôt cette première strophe s’envole sur le « o » chanté avec tellement d’émotion tant il exprime toute la fragilité humaine ! La strophe médiane est plus animée : « Peu importe, à vrai dire, / si je passe pour mort à ses yeux [ceux du monde] » et la dernière strophe nous emmène au-delà de ses mots ! Il n’y a pourtant pas vraiment d’ouverture vers un infini apaisant, et il faut être très optimiste pour voir dans les deux derniers vers « Je vis solitaire dans mon ciel, / dans mon amour, dans mon chant » un élan vers l’universalité lumineuse. C’est plutôt la conséquence de l’impossibilité de vivre homme parmi les hommes, tant l’incompréhension qui règne entre eux les isole les uns des autres et exclut les plus sensibles.
Le troisième « gestorben » (« mourir », il y en a un dans chaque strophe) est le support des graves les plus profonds de Nathalie Stutzmann, puis le « ruh » (je repose) est dit avec une douceur qui renverse l’âme, « stillen Gebiet » (tranquilles demeures) est magistral. Et pour finir, puisque cela est inévitable, ce dernier vers « in meinem Lieben, in meinem Lied » (dans mon amour, dans mon chant) joue avec les sonorités de « Lieben » et de « Lied » (amour / chant) et en même temps, joue avec le sens de ses mots : est-ce que mon amour est mon chant, ou bien est-ce que mon chant contient mon amour ? A ce point de non retour, les deux sont confondus, cela ne fait plus aucun doute. Ce « in meinem Lieben » est répété, N. Stutzmann variant son expression chante le deuxième d’une façon saisissante !
Et puis, et puis, je m’attache au petit « d/t » final de l’ultime « Lied » qui se détache doucement, délicatement, dans le silence recueilli de l’orchestre. Celui-ci vient conclure ces Rückert Lieder par quelques mesures qui contiennent un changement de notes si particulier : les cordes font un « glissé » d’une note grave à une plus aigue de telle sorte que le son soit en continu. Et cela tire littéralement tous nos nerfs vers le haut, comme s’ils glissaient hors du corps en le laissant pétrifié, sans aucune sensation.

Difficile d’applaudir après cela, difficile de reprendre ses esprits pour réaliser que l’on est sur une scène de théâtre. Pourtant, après un long silence, le public (attentif et très discret entre les lieder) se manifeste avec enthousiasme, quelques bravos se font entendre et la chanteuse est rappelée deux fois. Nathalie Stutzmann revient de très loin, elle serre les mains d’un John Nelson discret et de la première violoniste, puis elle salue avec émotion, sourit timidement et met un instant avant de s’apercevoir qu’on lui tend un bouquet de fleurs…

Bien que je découvrais pour la première fois les Rückert Lieder en concert, j’ai trouvé Nathalie Stutzmann moins à l’aise que dans les Kindertotenlieder de Bordeaux en novembre 2005. Le trac qui s’est emparé d’elle au début du cinquième lied était singulier : sa voix était en forme, l’orchestre et le chef l’accompagnaient avec délicatesse, tout semblait bien aller, mais j’ai senti une sorte de retenue inhabituelle dans son attitude vocale et physique. Est-ce que chanter à Paris, et y être bien accueillie, est particulièrement important pour elle, est-ce que ce « Ich bin der Welt abhanden gekommen » a un sens spécial pour la chanteuse et cela l’aurait-il emportée plus loin qu’elle ne l’aurait souhaité ? Un peu tout cela, ou toute autre chose, elle est sans doute la seule à le savoir. Et bien que cela me soit très difficile à reconnaître, je dois avouer que j’ai été un peu moins transportée par son interprétation des Rückert Lieder que par ses Kindertotenlieder.

Pendant l’entracte, après cette tension, je n’ai pas envie de sortir de la salle. Je me repose tranquillement dans mon fauteuil en plein milieu du quatrième rang de d’orchestre : je n’ai jamais été aussi bien placée, et je me souviens de la première fois que je suis venue ici. C’était au début des années 80 pour le concerto en sol de Ravel avec un pianiste pour lequel j’ai eu une passion pendant près de 15 ans : Arturo Benedetti Michelangeli. J’étais assise tout en haut du deuxième balcon du côté droit…

Les musiciens reprennent peu à peu leur place, les spectateurs aussi, et voici John Nelson qui monte prestement sur son podium.
L’Introduction et Allegro pour cordes d’Edward Elgar est en fait un petit concerto pour quatuor à cordes avec… cordes. C’est une œuvre vive, brillante et nerveuse qui met (heureusement !) parfaitement en valeur l’orchestre en général, et l’Ensemble orchestral en particulier : précision, clarté et quatuor de solistes bien équilibré. Le crescendo qui conduit au final, les fortissimi qui en résultent et le bel accord pizzicato qui termine l’œuvre sont bien exécutés, avec force et conviction. Les musiciens prennent véritablement plaisir à jouer cette courte pièce et ils communiquent leur enthousiasme au public.
La direction de John Nelson, pour autant que je sois capable d’en dire quelque chose, me fait meilleure impression que lors du concert du mois dernier à Notre-Dame (Bach et Saint-Saëns). Un léger sourire aux lèvres, il accompagne la musique en dansant ou même en sautant parfois sur son podium, et sans baguette, il pousse du plat de sa main les grands traits des cordes ou malaxe avec des deux mains les sons qui sortent de l’orchestre comme le boulanger pétrit sa pâte…

Et alors, cette seconde symphonie de Haydn ? Bien plus intéressante que la n° 84 donnée en ouverture, cette n° 86 (composée vers 1786) tend nettement vers le XIXe siècle. Le premier mouvement me fait successivement penser à Beethoven, Schubert, Mendelssohn et Weber. Puis dans le début du second j’entends Mozart et même Brahms… Pauvre Haydn que je compare à ses successeurs alors que c’est lui que je devrais retrouver en eux ! Je n’arrive décidément pas à saisir son style ni à lui trouver une réelle profondeur, mais cette symphonie n° 86 est écoutée avec plaisir par tout le monde, enfin presque, puisque je repère une vieille dame et un jeune homme que cette musique sans histoire berce d’un paisible sommeil.

Concert aux ambiances contrastées, légèreté et facilité des symphonies chez Haydn, émotions dures et profondes chez Mahler, brillante vivacité chez Elgar… Et puis, Nathalie Stutzmann, plus retenue que d’habitude, m’a communiqué sa peur. Pourtant, nul doute que si j’en ai l’occasion j’irai écouter avec intérêt et bienveillance ses prochains Rückert Lieder !

Sylvie Eusèbe, 28 janvier 2007.

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Commentaires

1. Le mardi 30 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Sylvie !


Je m'arrêterai un peu plus longuement sur Liebst du um Schönheit, Um Mitternacht et Ich bin der Welt.


Haydn est considéré comme un pilier du répertoire symphonique, un exercice du savoir-faire d'un orchestre dans la mise en place, la limpidité des pupitres, la légèreté de la texture. Bien que les modes de jeu d'époque aient rendu d'une certaine façon caduques certaines exécutions un peu grasses, il reste avec Mozart au programme - leurs contemporains sont, je le pense, définitivement confisqués par les spécialistes. Confisqués, ou plutôt, il serait plus juste de dire "abdiqués" par les orchestre traditionnels.

Tout programme n'a pas de cohérence interne, et tant mieux. On cherche aussi à faire venir différents publics pour remplir, pour faire découvrir (une symphonie de Beethoven avec un Schönberg, par exemple). Il y a aussi le répertoire habituel de l'orchestre.
Et pour finir, le respect du sacro-saint triptyque : ouverture-concerto-symphonie. L'ouverture peut également être une symphonie de l'ère classique (la 31e de Mozart, par exemple), le concerto une oeuvre avec chanteur, la symphonie un long poème symphonique ou une vaste suite de danses.

Côté musique, c’est vif, léger, ça coule avec fluidité, mais ce n’est pas varié, par exemple il m’est bien difficile de faire la différence entre le thème du premier mouvement et celui du dernier…

Ce n'est pas fait pour, l'homogénéité fait partie du genre. Mais je ne sais pas si le jeu de l'EOP magnifiait les reliefs...


(post-it rose et orange).

Pour la précision, comme le disent les jeunes gens : "Respect."


Le peu de micros laisse en effet supposer qu’on ne réalise pas un enregistrement pour la radio ou le disque, alors pourquoi donc cet « enregistrement privé » ? Le mystère reste entier !

Potentiellement les archives de la formation, ou un bref sujet sur une télévision ou une radio.


Le programme distribué gratuitement à l’entrée de la salle est assez bien fait (il propose même un interview inédit de N. Stutzmann), pourtant il ne contient pas les textes des lieder. Heureusement, le concert est surtitré, et comme pour le Winterreise d’octobre dernier à la Cité de la musique, j’apprécie sans réserve cette initiative, mais regrette fortement que nous soyons laissés après le concert sans le texte original et sa traduction française !

Si la traduction était à peu près fidèle et synchronisée, on ne se plaindra pas trop.


Gustav Mahler a composé en 1901 ces cinq lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert (1788-1866) pour contralto et orchestre.

Attention, ils ne sont pas prévus pour contralto. Mahler les a écrits sans pensée particulière pour un interprète (il pensait surtout à Alma Schindler, à l'époque). Il avait caché Liebst du um Schönheit dans la partition de Siegfried d'Alma, et, dépité qu'elle n'y touche pas pendant plusieurs jours, lui avait proposé une séance de déchiffrage, et elle avait découverte, bouleversée, la composition-aveu. Ils l'avaient interprété ensemble le jour même et en avaient été durablement touchés. Bref, l'écriture pour un tessiture précise n'était pas sa préoccupation première. D'ailleurs, la création a été confiée à plusieurs interprètes, tous masculins : Fritz Schrödter (ténor) et les barytons Anton Moser et Friedrich Weidemann.

La hauteur originale est plutôt celle d'une mezzo-soprane que d'un contralto - contrairement aux Kindertoten, écrits pour baryton, mais qui se prêtent admirablement aux moyens d'un contralto.


Ces poèmes ne forment pas un récit mais sont chacun une petite histoire isolée. Il semble que l’ordre dans lesquels on les joue le plus souvent soit simplement celui de leur composition, mais ce soir le n° 3 « Ich bin der Welt abhanden gekommen » est placé en dernier, peut-être pour renforcer la progression dramatique de l’œuvre.

Ils sont souvent bouleversés dans l'ordre. On place généralement Um Mitternacht et Ich bin der Welt vers la fin, surtout Ich bin der Welt, évidemment.


Mais voici déjà « Um Mitternacht » (A minuit). Poème aux intonations métaphysiques, il évoque (ou invoque) l’insondable univers, le combat contre les souffrances de l’humanité, puis l’échec de cette lutte qui conduit à la mort.

L'échec, vraiment ? C'est plutôt la Foi qui ouvre la voie. Et Dieu veille sur Sa créature. L'histoire du grain de sénevé et tout et tout...
C'est au contraire un poème chargé d'espoir en l'aide céleste pour l'homme qui accepte de croire, le don de la Grâce.


Musicalement, le « Um Mitternacht » revient avec obstination et est souligné par les vents, comme si précisément à minuit, et seulement à minuit, une ouverture se fait et rend possible ce saut dans l’indicible auquel nous aspirons tous.

Minuit est l'incarnation, ici, du moment difficile, littéralement du cas de conscience. L'équivalent de la selva oscura / ché la diritta via era smarrita. Le lieu de l'égarement de l'âme.

"Um Mitternacht" scande en effet déjà le poème de Rückert en début et fin de chaque strophe :

Um Mitternacht
Hab' ich gewacht
Und aufgeblickt zum Himme l;
Kein Stern vom Sterngewimmel
Hat mir gelacht
Um Mitternacht.

Um Mitternacht
Hab' ich gedacht
Hinaus in dunkle Schranken.
Es hat kein Lichtgedanken
Mir Trost gebracht
Um Mitternacht.

Um Mitternacht
Nahm ich in acht
Die Schläge meines Herzens ;
Ein einz'ger Puls des Schmerzes
War angefacht
Um Mitternacht.

Um Mitternacht
Kämpft' ich die Schlacht,
O Menschheit, deiner Leiden ;
Nicht konnt' ich sie entscheiden
Mit meiner Macht
Um Mitternacht.

Um Mitternacht
Hab' ich die Macht
In deine Hand gegeben !
Herr! über Tod und Leben
Du hältst die Wacht
Um Mitternacht !



Mais la contralto se redresse, les bras le long du corps et légèrement écartés, les mains ouvertes les paumes vers le public, elle chante les vers qui terminent le lied « Herr über Tod und Leben / du hältst die Wacht / um Mitternacht » (Seigneur de mort et de vie / toi qui veilles / A minuit)

Attention, je fais rebelote : la traduction littérale serait : "Seigneur ! Par-dessus la Mort et la Vie, tu te tiens en veille - à minuit !". Ce qui change sensiblement le sens. Le Seigneur surplombe la Mort et la Vie, contingences terrestres, et promet quelque chose qui les dépasse. La mort est totalement secondaire, et éludée par le poète.


avec une force impressionnante, et le dernier « Mitternacht » s’abîme gravement dans l’orchestre.

Cette fin est absolument stupéfiante, avec les trompes du jugement, ces lents triolets de blanches, cet élargissement du geste, ces déferlements ascendants de harpe, ce choral qui surgit du néant. Jusque là, les bois descendaient discrètement dans les graves, avec une partition relativement dépouillée. Puis l'éclatant réveil alors que l'anéantissement était promis, avec ces tensions harmoniques très mahleriennes (de nombreuses neuvièmes, par exemple sur le second "Herr !" ou sur l'accord final).
Et ce "Du, Du-u !", bouleversant, qui monte sur une tenue déjà haute...

Ca respire la chrétienté grandiose comme une abbatiale bénédictine...


Le quatrième lied nous permet de respirer un peu avant le dernier si bouleversant. « Liebst du um Schönheit » (orchestré par Max Puttmann) a déjà été mis en musique par Clara Schumann (op. 12 n° 4)

Exact. Mais pour l'apprécier pleinement, mieux vaut Christina Högman (ou même Lan Rao) que Barbara Bonney (ou Anne-Sofie von Otter, un rien sophistiquée ici). Un splendide lied de dame Clara. Un des plus célèbres aussi, avec sa Lorelei enchanteresse, Beim Abschied, Am Strande et l'inoubliable Er ist gekommen. On aime aussi comparer avec Schubert Ich stand in dunklen Träumen, mais c'est un peu déloyal à mon avis.


Mais voici le cinquième et dernier lied « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (Je me suis retiré du monde, ou je suis perdu, égaré, disparu pour le monde).

Oui, c'est plutôt cela, perdu pour le monde.

La musique lente aux notes tenues suggère un détachement plus complet du terrestre que dans « Um Mitternacht » ; le chant plane irréel, immatériel. Ce lied a permis à Mahler d’atteindre une expression musicale bouleversante, et comme « Um Mitternacht », il rappelle le « O Mensch ! Gib acht ! » du Zarathoustra de Nietzsche (Oh homme ! Prends garde !) de la 3ème symphonie.

Je ne le trouve pas plus immatériel, au contraire. Il y a une sinuosité, des courbes qui n'ont rien de céleste ou de désincarné. J'y vois plus une Leonora du Trouvère, près de prendre le voile une fois son amour perdu, mais pour qui le monde soupire, ou une femme lassée après avoir vécu, qu'un détachement vraiment désincarné. Et surtout, pas nécessairement définitif. Un peu de la même façon que l'Ave Maria d'Ellen, dans sa version originale chez Schubert, est plus intéressé que profondément pieux.
Le religieux grandiose d'Um Mitternacht m'est moins suspect dans la mesure où il ne s'agit plus de seule foi, mais d'une évidence, une transfiguration, voire le Jugement Dernier et la Rédemption. Um Mitternacht est en quelque sorte factuel ; il s'agit de preuve éclatante et non plus d'un affect intense mais peut-être passager.

A propos, une chose qui n'a rien à voir, mais je m'amuse toujours qu'on traduise Zarathustra par Zarathoustra, et non par le mot français, Zoroastre. Oui, je sais, il m'en faut peu.


Il n’y a pourtant pas vraiment d’ouverture vers un infini apaisant, et il faut être très optimiste pour voir dans les deux derniers vers « Je vis solitaire dans mon ciel, / dans mon amour, dans mon chant » un élan vers l’universalité lumineuse. C’est plutôt la conséquence de l’impossibilité de vivre homme parmi les hommes, tant l’incompréhension qui règne entre eux les isole les uns des autres et exclut les plus sensibles.

L'incompréhension... ou la souffrance. Mais je vous rassure, ce n'est pas fait pour être pleinement guilleret. Comment, vous vous en doutiez ?


Le troisième « gestorben » (« mourir », il y en a un dans chaque strophe) est le support des graves les plus profonds de Nathalie Stutzmann,

C'est en effet, comme le premier "Ich", le plus grave du morceau, mais comme elle peut les avoir baissés aussi bien que les avoir conservés à tonalité originale (qui culmine au sol4), difficile de dire. J'imagine qu'elle a dû un peu baisser, mais d'un ton (deux très grand maximum), donc on reste dans un grave de mezzo. (na.)



Bien que je découvrais pour la première fois les Rückert Lieder en concert, j’ai trouvé Nathalie Stutzmann moins à l’aise que dans les Kindertotenlieder de Bordeaux en novembre 2005. Le trac qui s’est emparé d’elle au début du cinquième lied était singulier : sa voix était en forme, l’orchestre et le chef l’accompagnaient avec délicatesse, tout semblait bien aller, mais j’ai senti une sorte de retenue inhabituelle dans son attitude vocale et physique. Est-ce que chanter à Paris, et y être bien accueillie, est particulièrement important pour elle,

Possible, lied emblématique aussi. Qui réclame encore plus de longueur de souffle que les autres. Et si elle l'a pris lent et à la tonalité originale, sans doute difficile à négocier.


est-ce que ce « Ich bin der Welt abhanden gekommen » a un sens spécial pour la chanteuse et cela l’aurait-il emportée plus loin qu’elle ne l’aurait souhaité ?

Peut-être, vous êtes sans nul doute mieux dans le secret des dieux.


Un peu tout cela, ou toute autre chose, elle est sans doute la seule à le savoir. Et bien que cela me soit très difficile à reconnaître, je dois avouer que j’ai été un peu moins transportée par son interprétation des Rückert Lieder que par ses Kindertotenlieder.

Il faut dire qu'ils étaient particulièrement réussis ! Je n'étais pas dans la salle (à la même heure, j'écoutais la fin du concert donné par le Choeur de chambre de la radio de Riga dans un programme formidable Vasks, Tormis, Dzenitis, Viïums - un des grands concerts auxquels j'ai pu assister. Mais la retransmission radio était extrêmement convaincante, à son meilleur. Il faut dire que ces Kindertoten vont vocalement taillés sur mesure.
(Il n'empêche qu'Angelika Kirchschlager et Fassbaender/Tennstedt restent très présents dans ces pages.)


’était au début des années 80 pour le concerto en sol de Ravel avec un pianiste pour lequel j’ai eu une passion pendant près de 15 ans : Arturo Benedetti Michelangeli.

Soyez prudente, tout de même, une réputation est si vite perdue.


La direction de John Nelson, pour autant que je sois capable d’en dire quelque chose, me fait meilleure impression que lors du concert du mois dernier à Notre-Dame (Bach et Saint-Saëns).

C'est probablement plus proche de sa spécialité que Bach, oui. Beaux Górecki, merveilleux Benvenuto Cellini de Berlioz...


Et alors, cette seconde symphonie de Haydn ? Bien plus intéressante que la n° 84 donnée en ouverture, cette n° 86 (composée vers 1786) tend nettement vers le XIXe siècle. Le premier mouvement me fait successivement penser à Beethoven, Schubert, Mendelssohn et Weber. Puis dans le début du second j’entends Mozart et même Brahms… Pauvre Haydn que je compare à ses successeurs alors que c’est lui que je devrais retrouver en eux !

Oui, c'est vraiment ce qu'on appelle du transfert anachronique. :-)


Je n’arrive décidément pas à saisir son style ni à lui trouver une réelle profondeur, mais cette symphonie n° 86 est écoutée avec plaisir par tout le monde, enfin presque, puisque je repère une vieille dame et un jeune homme que cette musique sans histoire berce d’un paisible sommeil.

Je vous préviens, Sylvie, si demain je retrouve Carnets sur sol à moitié dynamité, vous allez m'entendre !


Concert aux ambiances contrastées, légèreté et facilité des symphonies chez Haydn, émotions dures et profondes chez Mahler, brillante vivacité chez Elgar… Et puis, Nathalie Stutzmann, plus retenue que d’habitude, m’a communiqué sa peur. Pourtant, nul doute que si j’en ai l’occasion j’irai écouter avec intérêt et bienveillance ses prochains Rückert Lieder !

Quelle empathie !


En tout cas, merci une fois encore pour un commentaire toujours aussi précis et sensible.

2. Le mardi 30 janvier 2007 à , par Morloch

Bonjour !

C'est fascinant de suivre vos pérégrinations pour aller écouter Nathalie Stutzmann ! Je l'avais entendue il y a longtemps dans un récital de lieder de Schumann, si je me souviens bien (j'ai honte), et j'avais découvert sa voix très grave qui m'avait stupéfait. Le personnage paraît aussi sympathique que sa voix est extraordinaire.

Mais c'est la seule artiste lyrique que vous suivez ? Je me demandais si vous cherchiez à parler d'elle car elle n'a pas la notoriété qu'elle mérite ou bien si vous étiez une vraie groupie ? J'espère que vous lui avez parlé, il faut qu'elle connaîsse sa meilleure agente de presse ! Je promets que j'essaierai de la voir en concert dès que l'occasion se présente, je suis convaincu par vos textes :)

Pour Haydn, essayez d'écouter les CDs de la série de récitals donnés par S. Richter de ses sonates. Vous découvrirez la réelle richesse et subtilité de ce compositeur, dans une interprétation très dépouillée qui rend justice à celui que Bernstein appelait " le moins pompeux des compositeurs". En tout cas, ce sont les disques qui m'ont "converti" à Haydn.

3. Le mardi 30 janvier 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Un grand merci à vous Morloch : votre commentaire m’a fait très très plaisir :-) !

Je suis aussi sensible à votre conseil à propos des enregistrements de Haydn par S. Richter. De son piano je ne connais que deux concertos que A. Benedetti Michelangeli a enregistrés dans les années 70. En fait, je crois que c’est surtout ses symphonies qui ne me parlent pas, car par exemple j’aime bien « les 7 dernières paroles du Christ en croix ».

Je suis heureuse que mes textes sur Nathalie Stutzmann vous donnent envie d’aller la réécouter : c’est fait pour ça, mais je suis aussi « une vraie groupie » comme vous dites ;-) ! Alors j’aime faire partager mon admiration pour cette musicienne exceptionnelle et elle est en effet la seule interprète que je vais écouter autant que je le peux depuis environ deux ans (mais il m’arrive d’aller à d’autres concerts que les siens !). Et je ne lui ai jamais parlé, je ne suis malheureusement pas à l’aise à l’oral…

Et toutes mes excuses à David pour discuter tranquillement sur son blog mais... pas avec lui ;-) !

4. Le mardi 30 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec

Je viens donc comme annoncé dans sous le compte-rendu Schwanengesang de recopier ici vos messages.

Je partage l'avis de Morloch, j'espère qu'elle vous envoie régulièrement des fleurs pour vous remercier de ce que vous faites pour elle. Par ailleurs, si vous saviez le nombre de gens qui arrivent ici en faisant des recherches sur elle, ses derniers concerts...

Pour Haydn, Morloch, je serais plutôt enclin à aller voir du côté des quatuors, ou des oeuvres vocales (messes, oratorios ou même son Armida pour l'opéra). Mais il est évident que la compagnie de Richter n'est pas exactement dommageable.


Sylvie Eusèbe :
Et je ne lui ai jamais parlé, je ne suis malheureusement pas à l’aise à l’oral…

Tût, tût, vous ne pouvez pas lui faire ça ! La priver de son plus sûr soutien !


Et toutes mes excuses à David pour discuter tranquillement sur son blog mais... pas avec lui ;-) !

Je suis sensible à tant de délicats scrupules, mais ça ne pose strictement aucun problème, bien au contraire. Si ce peut être un lieu d'échanges transversaux, tant mieux !

5. Le mardi 30 janvier 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Bonjours David !

Je suis très touchée que vous ayez créé un lien qui permette d’accéder à l’ensemble de la prose que j’ai déposé chez vous. Je ne sais pas comment vous en remercier, peut-être en essayant de rendre mes textes dignes de l’accueil que vous leur faites ? En attendant, chaleureusement merci :-) !!!

J’ai lu avec grand plaisir votre long commentaire, riche d’enseignements comme toujours :-) !

Humm, tout le monde a bien senti que la composition du programme de ce concert ne m’a pas emballée… C’est très injustement Haydn qui en a fait les frais, je le reconnais bien volontiers, et je suis certaine que dans un autre contexte musical, je lui aurais fait un bien meilleur accueil. Alors j’espère que mes sincères lignes de repentir tempèreront l’ardeur vengeresse de ses admirateurs, d’autant plus que je ne souhaite pas voir votre si passionnant blog périr par ma faute sous les coups d’un juste mais excessif courroux… ouf ;-) !
J’apprécie votre sollicitude, comme celle de Morloch, lorsque vous me conseillez certaines œuvres de Haydn qui pourraient définitivement m’ouvrir les oreilles à ce compositeur. J’écris « définitivement » parce qu’elles sont déjà entrouvertes, et puisque vous citez sa musique de chambre, je ne résiste pas à évoquer ici le « largo e cantabile » de son quatuor n°5 op.33 : pendant ses 4 minutes, il n’y a pas une seule note qui ne me touche pas, et le dernier accord pizzicato est bouleversant !

J’ai véritablement admiré votre commentaire musical de « Um Mitternacht » ! Ce lied vous inspire, je lisais vos phrases et j'entendais la musique !

Vos traductions de l’Allemand me sont toujours précieuses car je suis régulièrement perplexe devant les traductions « toutes faites » : je ne peux pas vraiment les corriger, et je sens pourtant qu’elles ne sont pas très fidèles…

Pour le lied de « dame Clara », eh bien je proposerais plutôt… Nathalie Stutzmann (volume 3 de ses Lieder de Schumann chez RCA/BMG, avec I. Södergren).

Vous avez sans doute remarqué que je ne réagis généralement pas à vos traits un peu « provocants » (si, si ;-) ) sur N. Stutzmann, et notamment à ceux sur ses graves (comme encore tout récemment à propos d’une nouvelle version du Winterreise…). Ah, je sais hélas ce que vous en pensez, mais puis-je espérer vous faire changer d’avis un jour ? (Ou juste pendant un jour, je m’en contenterai ;-) ).

Aïe, votre petite remarque sur A. Benedetti Michelangeli m’inquiète ! Je n’ai pas honte de dire que j’ai eu pour lui une passion qui a nourri ma jeunesse ! Ce pianiste m’a fait découvrir la musique, il a éduqué mon oreille, je lui dois une grande part de mes goûts musicaux d’aujourd’hui, et pour tout cela je lui reste fidèlement attachée.

Encore merci pour tout et A+++.
S

6. Le mardi 30 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec

Humm, tout le monde a bien senti que la composition du programme de ce concert ne m’a pas emballée… C’est très injustement Haydn qui en a fait les frais, je le reconnais bien volontiers, et je suis certaine que dans un autre contexte musical, je lui aurais fait un bien meilleur accueil. Alors j’espère que mes sincères lignes de repentir tempèreront l’ardeur vengeresse de ses admirateurs, d’autant plus que je ne souhaite pas voir votre si passionnant blog périr par ma faute sous les coups d’un juste mais excessif courroux… ouf ;-) !

Jusqu'à présent, pas trop de haydniens dans les parages, du moins pas d'avoués, parce que j'ai plus ou moins l'impression que certains de ces êtres étranges de ma connaissance lisent ici (des remarques, ici ou là).

je ne résiste pas à évoquer ici le « largo e cantabile » de son quatuor n°5 op.33 : pendant ses 4 minutes, il n’y a pas une seule note qui ne me touche pas, et le dernier accord pizzicato est bouleversant !

Dans ce cas, il n'y a rien à ajouter, vos oreilles sont plus qu' "entrouvertes".

Oui, la traduction est toujours un exercice casse-figure, et les traductions "élaborées" - pour ne pas dire infidèles - de certaines notices n'aident pas. [Mais, rassurez-moi, vous n'avez pas trouvé cette traduction dans une notice "officielle" ?]
Nous en avions déjà dévisé : oui pour une traduction qui se suffise à elle même dans un ouvrage non bilingue, mais pas pour une notice qui présente des lieder, dont le but est de les rendre accessibles ! Surtout que, généralement, les traductions "élaborées" sont tout aussi vilaines que le mot à mot - et parfois même plus fades.

J'ai en réserve de petits exercices de traduction comparée pour Hölderlin et Eichendorff, nous aurons peut-être l'occasion de regarder de plus près ces choses-là.

Pour le lied de « dame Clara », eh bien je proposerais plutôt… Nathalie Stutzmann (volume 3 de ses Lieder de Schumann chez RCA/BMG, avec I. Södergren).

Oui, mais là vous trichez. Surtout que, vous ne l'ignorez pas, je suis en période de suspension du jugement de ce côté-là.


Vous avez sans doute remarqué que je ne réagis généralement pas à vos traits un peu « provocants » (si, si ;-) ) sur N. Stutzmann, et notamment à ceux sur ses graves (comme encore tout récemment à propos d’une nouvelle version du Winterreise…).

Sur ses graves ? Je disais juste que ça paraissait peut-être plus grave que ça ne l'était (par rapport aux autres chanteurs qui l'interprètent sans doute sensiblement à la même hauteur), la fameuse alchimie du contralto. Ce n'était nullement un reproche !

Ensuite, le Winterreise, vous le savez, je suis resté mitigé. Entre le fait que ça fonctionnait bien, que c'était pleinement écoutable, et ce côté un peu "artificiel" de la conception un peu forcée.


Ah, je sais hélas ce que vous en pensez, mais puis-je espérer vous faire changer d’avis un jour ? (Ou juste pendant un jour, je m’en contenterai ;-) ).

On peut tout espérer, surtout lorsqu'on dispose soi-même des armes... et que l'ennemi est infiltré dans le camp adverse.
Par ailleurs, pour Mahler ou même Haendel, je suis converti depuis longtemps. J'ai fait une petite tournée Vivaldi ces derniers temps, mais la Verità ne m'est pas tombée sous la main. Seulement écouté la captation radio de la Griselda du TCE 2005 et le Motezuma (Curtis).


Aïe, votre petite remarque sur A. Benedetti Michelangeli m’inquiète ! Je n’ai pas honte de dire que j’ai eu pour lui une passion qui a nourri ma jeunesse ! Ce pianiste m’a fait découvrir la musique, il a éduqué mon oreille, je lui dois une grande part de mes goûts musicaux d’aujourd’hui, et pour tout cela je lui reste fidèlement attachée.

Oui, c'est déjà beaucoup plus clair comme ceci.


Pardon pour mes petites facéties, je peine à m'empêcher, quelquefois.

7. Le mercredi 31 janvier 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Hello David !

Les textes des poèmes de Rückert n’étaient pas dans le programme du concert. J’espère que désormais cela ne sera pas surtitres OU textes (et si possible traductions) dans le programme… J’ai pu glaner des traductions ici ou là (livret de CD, sur le net…) et j’ai parfois mixé les différentes versions, alors c’est normal que cela soit un peu… baroque, si j’ose dire ;-).

Merci pour la « suspension de jugement », j’apprécie :-), et vous êtes heureusement libre d’être facétieux chez vous, tout de même ;-) !!!
S

8. Le mercredi 31 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec :: site

Les textes des poèmes de Rückert n’étaient pas dans le programme du concert. J’espère que désormais cela ne sera pas surtitres OU textes (et si possible traductions) dans le programme… J’ai pu glaner des traductions ici ou là (livret de CD, sur le net…) et j’ai parfois mixé les différentes versions, alors c’est normal que cela soit un peu… baroque, si j’ose dire ;-).

En l'occurrence, un des traducteurs a fait un superbe contresens, surtout, je ne crois pas que vous y soyez pour quelque chose. "Über" n'introduit pas un complément du nom...


Merci pour la « suspension de jugement », j’apprécie :-),

Attendez un peu qu'il retombe. :-)

9. Le mardi 13 février 2007 à , par Sylvie Eusèbe

Bonjour David !
Me voilà de retour de chez nos voisins suisses, et j'ai le plaisir de vous proposer ce qui suit !
Bonne lecture et toujours merci pour votre accueil :-) !
Sylvie


Lausanne, Salle Métropole, lundi 5 février 2007, 20h30.
Concert, A. Corelli : concerto grosso op. 6 n° 11, G. B. Della Porta : sinfonia de l’opéra « Numitore », A. Vivaldi : cantate « Cessate omai Cessate » RV 684, F. Barsanti : ouverture op. 4 n° 2, F. S. Geminiani : concerto grosso op. 3 n° 5, G. F. Haendel : suite de Rodrigo, J. A. Hasse : aria « Pallido il sole » de Artaxerxès, G. F. Haendel : aria « Cara sposa » de Rinaldo et aria « Se in fiorito » de Jules César.

Orchestre de Chambre de Lausanne ; Fabio Biondi, direction et violon ; Nathalie Stutzmann, contralto.

La Tour « Métropole » de Lausanne, qui abrite la salle de concert du même nom, a été construite au début des années 30. Ce bâtiment de deux ou trois dizaines d’étages fut considéré à sa création comme un véritable « gratte-ciel » et a été sévèrement accueilli. Il émerge encore aujourd’hui de Lausanne et est à l’image du relief accidenté de cette ville : on y entre par deux côtés opposés qui ne sont pas au même « niveau ». Côté bas, on est de plain-pied avec la salle de concert, côté haut, il faut descendre trois étages pour accéder au parterre. La construction grise, sans aucune décoration extérieure comme intérieure, est un témoignage architectural intéressant puisqu’elle a gardé son aspect d’origine et son homogénéité. Cependant, je ne peux m’empêcher de comparer ses lignes peut-être un peu trop dépouillées aux riches décorations du Théâtre des Champs-Elysées parisien qui lui est presque contemporain…

On entre dans la vaste salle Métropole par des portes en bois qui, comme le sol en parquet blond et les sièges neufs en bois et velours rouge, indiquent qu’elle a probablement été restaurée il y a quelques années seulement.
La salle donne l’impression d’avoir été conçue pour le cinéma naissant ou le théâtre plutôt que pour les concerts classiques. Peints en gris vert comme les murs, de très sobres bandeaux encadrent la scène large et profonde. Un écran est tendu au fond et les silhouettes sombres de quelques musiciens qui accordent déjà leurs instruments se détachent sur cette toile éclairée d’une lumière jaune beige. Le parterre comprend environ une vingtaine de rangs auxquels on accède par les extrémités. Un imposant balcon court sur les bords de la salle et s’étend largement au-dessus du parterre, des loges s’ouvrent sur les côtés et le fond du parterre ainsi qu’à l’arrière du balcon. Toujours pas la moindre décoration pour distraire l’œil, mais l’ambiance feutrée et la lumière douce sont très reposantes.
Le public s’installe peu à peu, on sent que la plupart des personnes ont fait attention à leur tenue vestimentaire et la moyenne d’âge est dans les plus élevées que j’ai rencontrées ces derniers temps, je dirais aux environs de 65 ans.

Les musiciens se divisent en dix violons, quatre altos, quatre violoncelles et deux contrebasses, ils entourent le clavecin et sa claveciniste qui nous tourne le dos. A part cette musicienne, tous les autres s’apprêtent à jouer debout, en nœud papillon et queue de pie pour les hommes, en longues vestes aux couleurs chaudes pour les femmes. De nombreuses perches tiennent des micros et strient les instrumentistes. Si le concert de ce soir est peut-être enregistré, c’est sans doute par précaution car il est redonné demain et sera alors diffusé en direct sur la radio de la Suisse Romande « Espace 2 ».

Il est 20h34 à ma montre suisse, et voici Fabio Biondi qui entre sur scène. Grand sourire, la mine gourmande, les gestes vifs et décidés, il monte avec rapidité sur son podium placé à gauche puisqu’il est en même temps chef d’orchestre et premier violon. Il cale son instrument et donne le départ du concerto d’Arcangelo Corelli.

A part les deux arias de Haendel, je ne connais aucune des autres œuvres du programme de ce soir, et je regrette de ne pouvoir en parler avec autant de détails que je le souhaiterais. Je connais également assez mal les concertos italiens des XVII et XVIIIe siècles, c’est pourtant une musique que j’aime depuis longtemps. Je ne suis pas capable de cerner les différences entre Corelli, Della Porta ou Barsanti, cependant je remarque que la composition des morceaux présente généralement deux procédés : soit le violon ou un instrument solo lance le thème qui est ensuite joué et modifié par l’ensemble des musiciens, puis l’instrument soliste le reprend et insuffle ainsi régulièrement de l’énergie, soit tout le monde joue la même chose dans sa tessiture puis se décale peu à peu, se répond et finit par se rassembler avec une précision qui donne un effet sonore saisissant.

C’est tout à fait l’impression qui se dégage de l’Allemande du concerto de Corelli : le violoncelle solo se charge du thème, il relance à chaque reprise le mouvement puis rassemble les musiciens dans une énergie commune.
La courte sinfonia de Giovanni Battista Della Porta quant à elle offre l’autre exemple de composition, c’est-à-dire que dans un rythme rapide elle présente de nombreux silences qui permettent à l’orchestre de montrer sa belle précision.

L’interprétation de Fabio Biondi me semble être entre celles de Rinaldo Alessandrini et de Jean-Christophe Spinosi (pour citer un chef et impressionnant claveciniste que j’ai entendu très récemment dans des œuvres de Haendel, et un autre chef que je ne connais que grâce aux disques, mais qui me fait toujours forte impression). Fabio Biondi fait jouer ses musiciens avec vivacité, il les entraîne sur des rythmes rapides très dansant, mais sans les grands accents « baroques » bien appuyés et les traits « bruts » de Spinosi, sans la douceur et les délicates modulations d’Alessandrini.

L’œuvre la plus exceptionnelle de la première partie de ce concert est sans aucun doute la Cantate RV 684 de Vivaldi, pour contralto, deux violons, un alto et une contrebasse. Cette pièce magnifique alterne deux récitatifs et trois arias qui proposent toutes les nuances, de l’andante à l’allegro, du pianissimo au fortissimo.
Nathalie Stutzmann souriante entre sur scène, elle est accompagnée par Fabio Biondi l’air un peu espiègle, un peu comme s’il allait faire une bonne blague.
Les premières mesures de la cantate se font entendre, derrière le porte-partitions placé bas et l’épaisse tige du micro, la chanteuse se concentre, le trac à peine visible. Dès les premiers mots « Cessate, omei cessate » du récitatif au rythme rapide, la voix impressionne par sa puissance, son énergie et son agilité stupéfiante. Je le sais, et pourtant je me laisse surprendre à chaque fois !
Comme à son habitude, Nathalie Stutzmann joue librement ce qu’elle chante, et bien que je ne saisisse pas en détail les causes des lamentations de ce premier mouvement, ce que je comprends en écoutant et en regardant la contralto m’indique que c’est triste et dramatique ! Le largo se termine par un grave sur le « a » final d’ « annida », extrêmement grave, extrêmement puissant.
L’aria larghetto qui suit met parfaitement en valeur la souplesse de la voix et l’inventivité musicale de la chanteuse. Elle passe instantanément du grave à l’aigu, elle étonne par son imagination dans les nombreuses variations lors des reprises, elle vocalise magnifiquement sur « M’astringe a lagrimar », elle appuie sur les « a » en fin de vers pour obtenir des accents inouïs, sa voix imite même les pizzicati du violon et s’envole sur l’ultime reprise de « lagrimar » !
Le troisième mouvement, Andante molto, renforce l’impression de virtuosité que m’évoque ce chant. De la même façon que l’on parle de virtuosité pour un instrumentiste, la voix de Nathalie Stutzmann se fond si bien avec les cordes qu’elle devient un instrument parmi les autres et non plus une chanteuse accompagnée par des instrumentistes.
Le second récitatif, Andante e pianissimo, est ponctué par les accords implacables des violons, on sent que le drame se joue et que le dénouement approche. La chanteuse lance un stupéfiant fortissimo montant sur le « mio » dans le dernier vers, mais voici déjà que débute l’Allegro final de la Cantate.
Le rythme joyeux des premières mesures entraîne Nathalie Stutzmann dans leur danse, et très à l’aise, elle appuie avec décontraction sur les « i » dans « Morire, morire, morire potro ». Plus nous nous rapprochons de la fin de l’œuvre, plus elle déploie naturellement de l’énergie, de la force, plus elle va de l’avant. C’est avec une facilité apparente incroyable qu’elle invente et réalise les variations, elle nous submerge par l’abondance et la richesse de son chant, elle déchaîne une sorte de « tornade sonore » qui nous entraîne et nous dynamise avec bonheur ! Pour nous clouer définitivement au fond de nos fauteuils, voici qu’elle termine par une « Vendetta faro » si grave et si magistrale que nous sommes heureux de subir cette vengeance-là !
Fabio Biondi s’efface avec modestie derrière la chanteuse, elle salue un public déjà très enthousiaste qui éclate dans les bravos et les applaudissements, puis la rappelle même une fois alors que le concert est loin d’être terminé.

Après l’entracte d’une vingtaine de minutes, le concert reprend à 21h30 (toujours à ma montre d’une célèbre marque suisse) avec un concerto de Geminiani dont je n’ai pas de souvenir parce que devant moi un monsieur a été pris d’une toux qui a persisté jusqu’au milieu de la suite de Rodrigo de Haendel. Une sorte de « variation » au procédé de composition avec instrument soliste est donnée par cette suite, puisqu’il y a ici un quatuor de solistes, formé par le violon, l’alto, le violoncelle et le clavecin, qui donne le thème avant sa reprise et son évolution confiée à l’ensemble de l’orchestre. S’ouvrant et se terminant par un mouvement ample et solennel, rapide et bien rythmé pour le premier, plus lent pour le dernier, Haendel décline une grande partie des danses ou des formes musicales des morceaux baroques : ouverture, gigue, sarabande, matelot, menuet, bourrée, deuxième menuet et passacaille. J’admire ici la grande précision de l’orchestre et le bon équilibre des différentes voix qui mettent bien en valeur les beaux solos de violon de Fabio Biondi (notamment dans la passacaille si je me souviens bien).

Et revoici Nathalie Stutzmann dans l’aria « Pallido il sole » extrait de « Artaxerxès » de Hasse. L’orchestre chemine inexorablement dans cette plainte andante et sombre. La contralto donne une impression de noblesse et étend lentement ses graves qui renforcent le dramatisme de la musique et du texte, comme sur la fin de « orror » dans le vers « tutto mi spira rimorso e orror », ornementé par des vocalises lors des nombreuses répétitions et reprises. Partie de très bas sa voix monte aussi spectaculairement dans les aigus, et fait ainsi mieux ressortir les deux derniers vers de l’aria, « contro il mio cor », chantés solo sans l’orchestre et terriblement profonds.

Les musiciens partagent l’émotion du public et applaudissent Nathalie Stutzmann en frappant de leurs archets sur leurs pupitres.

Les deux arias de Haendel au programme de ce concert ont été enregistrés par la contralto en 1991. Je crois pouvoir dire que je les connais « par cœur », et je prends grand plaisir à « comparer » l’enregistrement avec ce que j’écoute ce soir. La musique baroque ne se joue bien sûre plus de la même façon, l’instrumentation est plus dépouillée et les accentuations sont plus fortes. Quant à la voix de Nathalie Stutzmann, si je sens bien que tout ce que j’entends aujourd’hui était déjà là il y quinze ans, la voix me fait l’impression d’être plus sombre, plus pleine, avec davantage de reliefs et des traits plus marqués. Des accents « baroques », traînants mais pas trop, ponctuent le largo, sur les nombreux « dove sei ? » par exemple, soit bien appuyé, soit à l’intonation montante puisque c’est une question. Après l’allegro chanté beaucoup plus rapidement qu’au disque et conclut par un « o spirti ri ! » encore gravissime, j’attends la reprise du largo avec ses variations sur le « pianti » dans « ritorna a pianti miei ! ». Dans son enregistrement, la contralto faisait véritablement entendre les sanglots de l’amant qui cherche sa tendre épouse. Elle transposait l’effet sonore des pleurs dans la voix en une ornementation musicale évocatrice mais absolument pas caricaturale, c’était du grand art ! Ce soir, elle réalise également cette admirable variation, mais elle vocalise plus lentement sur le « an », et la plénitude de ses graves renforce la douceur et la tristesse de cette complainte.
Les mains paumes vers le haut et les doigts légèrement croisés, la contralto chante vers le public, les yeux souvent fermés, immergée dans l’univers sonore. Au salut, lorsque ce long et magnifique aria est terminé, elle paraît d’ailleurs gagnée par l’émotion qui s’est dégagée de son propre chant. Elle revient pourtant rapidement sur scène, un large sourire sur le visage, prête à nous donner encore un autre aspect de son art avec, toujours de Haendel, l’aria extrait de Jules César « Se in fiorito ».

Je suis heureuse de pouvoir me souvenir des paroles d’un des nombreux arias que chante Jules César. Celui-ci, tout à son amour pour Cléopâtre, nous propose une analogie entre l’oiseau qui rend son chant plus délicieux puisqu’il se cache parmi les fleurs et les feuilles et la voix de Cléopâtre qui, sans qu’il le sache, se cache sous les traits de sa fausse servante Lydia. La musique traduit le chant de l’oiseau par de gracieuses ornementations, le violon rivalise de prouesses avec la voix et inversement.
Le jeu qui commence alors entre Fabio Biondi et Nathalie Stutzmann mime parfaitement cette « compétition » musicale à laquelle les deux « instrumentistes » se livrent, pour leur plus grand amusement qu’ils communiquent bientôt au public, le faisant rire de bon coeur. Ils font cela avec naturel, et sans se forcer, ils se répondent, se copient, s’attendent, ils se jalousent, feignent de s’impatienter et même de s’ennuyer si l’autre est un peu long dans sa vocalise ou son trait. Le violoniste comme la chanteuse deviennent oiseau et réalisent toutes sortes d’effets, nuances, ralentis, vertigineuses montées dans les aigus, notes appuyées, variations et vocalises, que l’autre s’empresse de reproduire et de surpasser grâce à sa virtuosité… Grand art et grands talents !

Le public conquis par tant d’enthousiasme et de savoir-faire ne retient plus ses applaudissements et ses bravos, les musiciens heureux de leur « farce musicale » saluent joyeusement et ne se font guère prier pour nous donner un bis.
Fabio Biondi nous annonce que c’est un aria souvent joué pour les mariages… il s’agit du célèbre « Ombra mai fu » extrait du Xerxès de Haendel.

Nathalie Stutzmann retrouve son sérieux et débute l’aria par le « om…. » de « Ombra », très piano, très pur, sans vibrato, puis elle l’étire lentement dans un crescendo d’une absolue maîtrise… Ah, ces trois ou quatre secondes sont gravées dans ma mémoire ! Sur le « più » de « soave più », elle tient la note haute, bien vibrée, la tête tournée sur le côté et les yeux clos. Dans le court silence qui suit, nous sommes tous suspendus à son chant, mais hélas l’aria se termine déjà !

Fabio Biondi tapote le haut de son violon avec son archet, le public et les musiciens applaudissent la contralto qui reçoit un bouquet de gerberas et de roses roses. Malgré toutes ces manifestations d’admiration, Nathalie Stutzmann quitte la scène après plusieurs rappels.
La mélomane assise à ma droite, cheveux gris et courts, semble bien connaître les musiciens puisqu’elle me dit que Fabio Biondi donne autant de bis que le public en demande, ce qui se vérifie immédiatement : devant les applaudissements qui ne faiblissent pas, voici un bis uniquement instrumental. Il n’est pas présenté par le chef d’orchestre et je ne le connais pas, donc on ne saura pas ici de quoi il s’agit !


J’ai déjà l’impression que la Cantate de Vivaldi chanté par Nathalie Stutzmann va rester un de mes plus grands souvenirs tant cette musique lui permet de déployer complètement son talent. Sa maîtrise vocale est ici au service de sa musicalité et de son imagination créatrice dont je ne vois pas d’équivalent aujourd’hui chez d’autres chanteurs. Et je ressens une adéquation tellement parfaite entre l’œuvre de Vivaldi et le tempérament musical de la contralto ! Même avec le lied, qu’elle chante pourtant d’une façon exceptionnelle et bouleversante, il me semble parfois que la symbiose n’est pas si complète !

Je ne me lasse pas d’exprimer ma chance d’être ainsi touchée par la voix de Nathalie Stutzmann. Elle possède la tessiture à laquelle je suis la plus sensible, elle a un timbre que j’aime, et elle chante le répertoire dont je suis proche. Elle est en musique ce qui m’arrive de meilleur !


Sylvie Eusèbe, 10-11 février 2007.

10. Le mercredi 14 février 2007 à , par DavidLeMarrec

Merci Sylvie !

Je l'ai placé ICI.

Pour des raisons techniques, l'article et plusieurs commentaires apparaissent à la date d'hier, le moment où je les ai traités...

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David Le Marrec

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