Voilà longtemps que je n'avais proposé une petite revue de Toile.
Le Bien Commun, fidèle à sa tradition d'excellence, propose un sujet très intéressant sur notre rapport au corps et à la mort - du point de vue du droit, bien entendu.
On y évoque bien des choses passionnantes :
- la genèse du droit du corps, que le Code Civil écarte de tout type de transaction - le commerce signifiant ici ni plus ni moins que l'échange, avec ou sans contrepartie ;
- la nécessité, de pair avec la recherche médicale, de permettre la transmission du corps ; le législateur a donc feint de mal comprendre le texte initial, et a doucement déplacé l'exclusion du commerce vers l'exclusion de la patrimonialité (c'est-à-dire d'une rémunération) ;
- si bien que désormais, le don est gratuit mais cette recherche organique devient lucrative, ce qui pose la question de la rémunération juste de l'ancien propriétaire de l'organe ;
- le don de personne à personne ne peut se réaliser qu'au sein d'une même famille (sinon, il est redistribué via l'anonymat) ; ce cadre a été élargi en 1994, sans inclure les amis [j'imagine bien les risques de pressions extérieurs et d'abus de confiance que cela comporterait, tandis que, sur le plateau, on semble le regretter] ;
- afin de pallier cela, les deux invités d'Antoine Garapon, Florence Bellivier (professeur de droit à Paris X Nanterre) et Frédéric Jenny (économiste, conseiller à la Cour de cassation) semblent globalement privilégier la piste de la rémunération, et on discute pendant plus de quarante minutes des protocoles à mettre en place :
- rémunération de la cession des organes signée bien avant la mort ;
- rémunération du don de sang, etc.
Tout cela est bel est bon, cependant je suis circonspect :
- ces rémunérations ouvrent une brèche vers une possibilité de coercition pour le don (aujourd'hui tellement difficile au vu des limitations légales), que ce soit par l'intimidation ou par la nécessité financière.
- Concernant le don de sang, pourvu que la fréquence des participations soit contrôlée, ça n'est pas bien grave. C'est même plutôt une bonne mesure - même si cela incite d'abord les plus pauvres à donner leur sang, ce qui gêne un peu aux entournures sur le plan moral, mais sans être toutefois essentiel.
- Concernant la cession des organes par de jeunes gens (les accidentés de la route fournissant les "meilleurs morceaux"), il y a le problème souligné par Florence Bellivier, à savoir la nécessité de penser à sa mort très tôt, chose désagréable qui ne sera que peu faite. Il est peu probable aussi qu'une compensation financière (proposée par Frédéric Jenny), modeste car déjà onéreuse, incite les gens à "vendre" leur corps. Si on proposait d'acheter les âmes, quel serait l'athée qui la vendrait ?
- Il y a autre chose qui me semble au moins aussi important, une part de superstition issue de croyances populaires plusieurs fois millénaires : dans toutes les civilisations, on a considéré que la garantie de la survie de l'âme était liée au traitement du corps, que ce soit par la conservation (Egypte, Chine, Grèce, chrétienté, etc.) ou par la dispersion pour libérer l'âme (les fameux "jetés" de Bénarès). Ainsi, pas mal d'athées (sans parler des autres !) auront culturellement du mal à se détacher de ce corps, qu'on est peiné de voir souillé (au minimum quand il s'agit de proches, si pas de soi) ; voire, dans certains cas, seront tentés de ne pas enfreindre un pari de Pascal post mortem, bien qu'il ait de leur vivant tout du sophisme grossier et du vilain marché de dupes[1]. Mais ici, cela ne demande aucun effort, simplement de s'abstenir de coopérer en donnant ses organes.
Ainsi, tout cela pose question :
- quels sont les risques ?
- et, d'abord, cela sera-t-il vraiment efficace ?
Peut-être, oui, la rémunération pour le don de sang, mais, comme le soulignait Florence Bellivier, il faut étudier les spécificités du 'marché' pour chaque organe. Voir le problème des "dons de paternité", qui se réduiraient à néant si l'anonymat était levé, mais qui ne pose pas nécessairement les mêmes problèmes dans d'autres domaines, à part éventuellement, à mon sens, la psychologie et la coercition.
Tout cela est très bien, mais on n'aboutit pas une solution totalement sûre pour les individus, ni surtout vraiment efficace pour les patients.
Mais... pourquoi ne nous a-t-on pas épargné cette discussion, alors qu'il existait une solution simplissime ?
(Voir ci-après.)
Suite de la notule.