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mercredi 16 avril 2025

Ghedini (1892-1965) – la Renaissance pour grand orchestre

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Il existe aussi des disques Naxos (musique de chambre avec violoncelle, piano solo) que je n'avais pas encore remarqués au moment de la rédaction de la notule, et par conséquent pas encore écoutés.

Si vous ne souhaitez pas utiliser Spotify – qui semble en panne aujourd'hui, décidément la technique m'abandonne de toute part –, ces disques se trouvent aussi en flux sur YouTube. Je vous donne le contenu de la playlist ci-dessous en image.



La discipline des nouveautés et des inédits

Se soumettre à l'écoute des nouveautés, c'est se détourner quelquefois de ses envies, ou limiter les grands cycles thématiques qu'on peut entreprendre… pour autant il s'agit, en réalité, d'un moyen assez incontournable pour ne pas rater des disques qui autrement resteront pour toujours dans l'anonymat – car avec le classement numérique, on ne peut pas « feuilleter » comme dans le bac des disquaires, il faut avoir pensé en amont ce que l'on souhaite trouver, et ensuite éventuellement procéder par proximités (qu'a enregistré par ailleurs cet ensemble, ce chef, que publie habituellement ce label ?).

Et, à condition de ne pas donner exclusivement la priorité aux réenregistrements des œuvres qu'on adore – si je me laissais happer à chaque Quatre Saisons, Schubert 14 ou Mahler 2… ma carrière d'éclaireur serait immédiatement achevée –, on peut être amené de la sorte à pousser des portes qu'on n'aurait assurément pas explorées. C'est en somme la crainte de laisser filer à tout jamais un monde inconnu qui nous rattrape, au bord de l'abîme de l'ignorance.

Je ne puis que rendre grâce à cette ascèse ; elle m'a permis la découverte, qui ne serait jamais advenue autrement, de fonds aussi vertigineux que ceux de Heirich Döbel (notule), Franz Joseph Aumann, Henryk Melcer-Szczawiński (oui, le disque est tiré de cette compétition, même s'il y en a eu d'autres depuis), Richard Rodney Bennett

Et aussi faire quelques rencontres plus improbables, comme celle de Giorgio Federico Ghedini (1892-1965).



Une rencontre

Au départ, une nouveauté du tout début de 2025.

Aux côtés du Requiem de Pizzetti, que je connaissais et admirais déjà, des pièces (de type Canti sacri, Responsori…) de Ghedini (1892-1965), dont je n'avais pas du tout entendu parler. Des pièces manifestement très influencées par les modèles anciens : rhétorique baroque, imitation du plain-chant (harmonisation en homorythmie sur des thèmes issus du grégorien). L'album est hélas assez mal chanté par le Coro Euridice, audiblement amateur (les moyens sont souvent de fortune chez Tactus, mais rarement à ce point…). On ne prend pas forcément beaucoup de plaisir à l'écoute, cependant on peut se rendre compte de la beauté de cette partition très pudique, recueillie mais aussi finement écrite, qu'ils sont manifestement les seuls à avoir jamais enregistrée : grâces leurs soient rendues pour cela, ils ont joué leur rôle de passeur !
Aussi je me mets en devoir de réécouter le Requiem de Pizzetti (dans une belle version où il était éclipsé par la force de celui de Howells), puis d'aller chercher à réentendre Ghedini en d'autres instances.

Et j'y découvre beaucoup de choses étonnantes.



L'aventure Ghedini

Des concertos de toutes esthétiques :
→ un Concerto « L'Alderina » (Orchestra Stesichoros chez Stradivarius) très romantique avec ses violons et flûtes pépiants, qui semble réexploiter les jeux d'imitation des concertos baroques dans un imaginaire harmonique davantage postwagnérien ;
→ un Concerto « Il Belprato » (Orchestra Stesichoros chez Stradivarius), dont la référence bondissante est clairement baroque mais dont les harmonies toujours « à côté » ont tout du néoclassicisme (plutôt celui de la profusion de Milhaud et Françaix, ou plus encore des œuvres pour cordes de Roussel et Bartók, que l'épure stravinskienne) ;
→ une Fantasia pour piano et cordes (Orchestra da Camera Fiorentina avec Lanzetta & Borruso, chez Halidon-Lanzetta) qui voisine tantôt avec le Concerto de Schnittke, tantôt avec Chostakovitch ou Gershwin ;
→ un Concerto « L'Olmoneta » (Orchestre Alessandro Scarlatti de Naples, chez Naxos), un concerto pour deux violoncelles aux couleurs expressionnistes bariolées qui évoquent Hindemith, mais assorti d'une tension plus proche de Chostakovitch ;
→ une Sonata da concerto pour flûte (Orchestra Stesichoros chez Stradivarius, ou Rustioni chez Sony) qui se rapproche beaucoup de la Première Symphonie de Prokofiev, mais très marquée aussi, dans l'écriture de ses lignes pourtant lyriques, par la liberté du contrepoint des musiques les plus radicales… !

Des œuvres lyriques pour piano et voix ont paru chez Nar en 2000 et 2001, dans une veine simple et consonante, mais où la liberté des enchaînements et du contrepoint, certains accords enrichis montrent bien la palette expressive élargie que s'autorise un compositeur du XXe siècle. La voix de Tiziana Scandaletti, au timbre callassiforme (on pense à toute cette école d'Adelaide Negri à Tizia Fabriccini…), malgré des limites techniques perceptibles, reste tout à fait agréable. Privilégiez absolument le volume dédié à la musique sacrée (« Musica Sacra »), car dans celui consacré aux chants profanes (« Canti e Strambotti »), pourtant paru seulement un an plus tard, l'instrument s'est totalement effondré – elle semble avoir pris 40 ans dans l'intervalle, tout est en ruines, et difficilement écoutable (enregistré pendant un vilain refroidissement, j'imagine).

Le plus abouti tient probablement dans les 7 Ricercari pour trio piano-cordes (interprétation ardente et impeccable instrumentalement, Bonucci-Bonucci-Orvieto chez Stradivarius), d'une grande invention : comme ses modèles de la Renaissance (et des débuts du baroque), ici le ricercar est l'occasion d'explorer les possibilité du contrepoint, sans être contraint par la rigidité de l'unicité thématique et de la structure très codifiée de la fugue. La générosité de l'inspiration, dispensant les thèmes parallèles avec beaucoup de prodigalité, m'impressionne surtout, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'un pur jeu formel, et que ces pièces disposent d'un véritable engagement émotionnel, qu'elles soient vives ou lentes.

Et, le plus étrange sans doute, les trois grandes pièces pour orchestre du disque de Daniele Rustioni avec l'Orchestra della Toscana (chez Sony, en 2016, tôt dans la carrière du fulgurant Rustioni !).
Appunti per un Credo se fonde sur le diatonisme grégorien (très peu de tensions dans la ligne, plutôt des tons entiers que des demi-tons), avec beaucoup d'unissons et de doublures, mais finit par évoluer de façon de plus en plus dramatique, avec des harmonies sophistiquées.
Musica notturna, avec son lyrisme désolé, évoque le romantisme dévoyé par la Seconde École de Vienne ou les mouvements lents de Chostakovitch (Quatuor n°7, Symphonie n°5, Largo liminaire de la n°10…) où alternent les cordes blanchies et les bois isolés, avec des effets plus wagnériens de marches harmoniques inexorablement bâties sans jamais se poser sur une résolution.
Studi per un affresco di battaglia (« Études pour une fresque de Bataille ») joue aussi du rapport entre archaïsme (ce début à l'unisson, très parent de celui de la Monna Vanna de Février) et modernité (avec des intervalles un peu dissonants et farouches), bientôt relayés par les batteries de bois et cuivres (inspirés par Berlioz et Lalo, ou par le stile concitato monteverdien ?), des mouvements plus proches du fugato, des thèmes syncopés (très beau solo de basson), et globalement une montée en tension, via beaucoup de marches harmoniques qui n'aboutissent jamais sur une résolution stable. L'ambiance est à rapprocher de l'Ouverture du Roi d'Ys de Lalo, très combattive, généreuse lyriquement, mais avec une surcouche beaucoup plus moderne (hindemithienne ?), qui s'efface çà et là pour laisser place à de véritables pastiches classiques (le solo de flûte !).



Professeur Ghedini

Derrière ces musiques qui m'ont peut-être plutôt intrigué que personnellement bouleversé – mais au fil des réécoutes, je sens que je m'attache de plus en plus à cette figure singulière – se révèle une personnalité importante et tout un paysage musical occulté.

Sa carrière a ainsi été d'abord dédiée à l'enseignement de la composition, dans les grandes villes du Nord de l'Italie (dès ses 25 ans à Turin, puis Parme et enfin Milan quasiment jusqu'à sa mort) – et, lorsqu'on écoute les multiples influences et l'inventivité de sa musique, cela ne surprend guère. Il pratiquait régulièrement l'exercice de la transcription, notamment du premier baroque italien (Gabrieli, Frescobaldi, Monteverdi…), qui a sans doute, là aussi, nourri son goût pour les références à la musique ancienne ; Il a aussi arrangé beaucoup de chants traditionnels pour le Chœur de la Société des Alpinistes Tridentins (Il Coro della SAT, à Trente). Parmi ses élèves célèbres, Luciano Berio – et aussi des chefs comme Guido Cantelli ou Claudio Abbado, mais cela n'a pas grande influence audible sur leur carrière, évidemment.

Son catalogue, très vaste, inclut trois films dans les années trente (Don Bosco, Pietro Micca, La Vedova) et neuf opéras, dont un Gringoire de jeunesse (1915, écrit à 22 ans) – considérant les goûts de Ghedini, j'imagine qu'il met en scène le chef de troupe des mystères fictionnalisé assez différemment du personnage fictionnel d'Hugo ou de Banville ! Il a aussi commis un Billy Budd d'après Melville (1949), un opéra en un acte qui constituerait une belle proposition originale, soit en contrepoint à celui de Britten, soit à d'autres œuvres courtes comme Le Pauvre Matelot de Cocteau & Milhaud !

En attendant (l'improbable) remise à l'honneur de cette figure, je vous invite donc à vous plonger par curiosité dans le legs qui nous est parvenu par le disque, et qui manifeste une approche musicale assez singulière dans son rapport fantasmé au passé, alors même que le langage porte clairement la marque de ses contemporains. La playlist en tête de notule est là pour vous aider – les Sept Ricercars et le poèmes symphoniques du disque Rustioni représentent sans doute la meilleure porte d'entrée pour se laisser surprendre par Ghedini.

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À bientôt, estimés lecteurs, et merci pour les expressions de votre sollicitude ces derniers jours – en espérant le retour, à quelque date prochaine, du site historique de Carnets sur sol !
(Je poursuis mon exploration des solutions techniques, mais je ne vous cache pas que les nouvelles ne sont pas bonnes.)

David Le Marrec

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