Carnets sur sol

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dimanche 13 décembre 2015

Orgye – (Lully, Tchaïkovski, Dvořák, Koechlin, Clyne)


La semaine écoulée semble avoir été confectionnée à mon intention :

¶ Trois fétiches personnels : Armide de Lully, La Damnation de Faust et la Sonate pour violon et piano de Koechlin, dans des distributions éclatantes.

¶ Deux œuvres que je révère et n'espérais pas entendre un jour en salle : Prometeo de Nono et la Sonate pour violon et piano de Koechlin (celle de Hahn non plus).

¶ Un inédit d'un compositeur qui m'est éminemment sympathique : la Messe de Domrémy de Büsser, couplée avec de la liturgie de guerre de Kodály et Bernstein ! (Cathédrale des Invalides)

Si cela ne suffisait pas, on pouvait aussi aller voir un peu de musical à Saint-Quentin, du belcanto mis en scène par Braunschweig, un superbe programme de guitare solo aux Bouffes du Nord, du Saint-Simon (Théâtre de l'Île Saint-Louis), du Ibsen (Peer Gynt), du Goldoni, Stridberg et du Lorca à la Comédie-Française, des cantates de Buxtehude, le Requiem de Rautavaara ou la messe basse de Fauré à la Maison de la Radio…

Et la semaine prochaine, programme liturgique Araujo-Rubino (la chaconne à quatre temps des Vêpres du Stellario de Palerme !) et musique sacrée de Mendelssohn (Psaumes), encore des hits persos.

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Rapide bilan de tout cela. Déjà fait pour Prometeo et la Damnation.

Pour Armide par Rousset, l'expérience était si intense que je ne voulais pas applaudir (je ne suis pas un sauvage, j'ai fini par me forcer), et que je n'ai pas forcément envie d'en parler. Il y aura un disque de toute façon, sur lequel il faudra se jeter : troisième très grande version officielle pour Armide, avec Herreweghe II chez HM et le DVD Carsen-Christie (ce qui n'est pas mal, sur cinq dont quatre seulement de disponibles). Des retouches sont prévues dans les prochains jours, bienvenues : les femmes, remarquables (Henry, Wanroij, Chappuis), ont eu un temps d'adaptation à la salle.

Le concert Ravel (sonate posthume) / Koechlin / Hahn / Emmanuel (Suite sur des airs populaires grecs) / Fauré (l'Andante, proposé en bis), donné à la Cité des Arts par Stéphanie Moraly (violon) et Romain David (piano) était capital, fulgurant : non seulement le programme, très rare (et de très haute volée, à commencer par la Sonate de Koechlin, le sommet de sa production avec le Quintette pour piano et cordes), mais aussi l'exécution. Dans une petite salle, hors des réseaux habituels, mal annoncée, avec une entrée à 5€, on avait, malgré l'acoustique très précise et impitoyable, une interprétation d'une précision extraordinaire (même chez les très bons, une telle justesse d'intonation chez un violoniste, sur un programme aussi long et technique, c'est rare) et travaillée dans ses moindres recoins : il est facile d'être un peu décontenancé et mécanique dans les contrepoints du Koechlin, par exemple, mais ici on sentait au contraire (et plus encore lorsqu'on a l'habitude de l'écouter, le lire ou le jouer) un soin apporté à chaque section. Pas de camouflage à la pédale au piano, pas de régularité négligente, au contraire chaque phrasé semble avoir été patiemment pensé.
Pour ne rien gâter, Stéphanie Moraly présentait très brièvement chaque pièce avec chaleur, aisance, un sens de l'anecdote qui aide à entrer dans les œuvres (les annotations de caractère de Koechlin, le moteur puissant décrit par le scherzo de Hahn…), un ton très direct, comme on s'adresserait à des enfants – et une très jolie voix, souple et mélodieuse. Moment confidentiel, mais d'exception.

Je n'ai pas parlé de quelques grands moments précédents, comme la Deuxième Symphonie de Tchaïkovski par l'Orchestre National d'Île-de-France et Enrique Mazzolà, d'une jubilation ininterrompue – l'orchestre n'est pas le meilleur de tous les temps (bois et cors un peu limités, en particulier), mais l'engagement de tous (et en particulier des cordes, à commencer par les altos, violoncelles et contrebasses) est exceptionnel, si bien que tout paraît tendu et important, en permanence. Je n'avais jamais vu un orchestre aussi concerné par ce qu'il joue (à part le Capitole de Toulouse dans la Damnation de Faust, avec Sokhiev), et ça change tout : toute considération de niveau est caduque, l'enthousiasme se communique immédiatement au public. J'échange sans ciller contre les plus grands orchestres du monde, et ce n'est pas une exagération.
À cela s'ajoute la création d'Anna Clyne (The Midnight Hour ; elle est par ailleurs compositrice en résidence de l'orchestre – son petit pas timide lorsqu'elle vient saluer est délicieux), très persuasive, pas du tout abstraite ni exigeante, sans facilité non plus, une sorte de Mandarin merveilleux bienveillant ; ce n'est pas si souvent qu'une création pourrait s'introduire au répertoire en évitant les écueils de l'effet périssable ou du néo compassé. L'ONDIF en propose assez souvent, les choix de Mazzola sont assez clairvoyant en la matière ; et ses présentations, sortes de stand-up informatifs, toujours utiles et amusantes.

De même pour le récital d'airs de cour de Lambert & Charpentier et d'ensembles tirés d'opéras de Lully, donnés par les étudiants du CNSM sous la houlette d'Emmanuelle Haïm. De très belles choses, des pièces peu courues (pas les airs de cour les plus célèbres – mais pas les moins bons ! –, de même pour les duos de Lully). Et avec cela, de belles découvertes vocales :

  • Cécile Madelin (soprano), petite voix avec voyelles assez ouvertes et larynx assez haut, pas forcément utilisable dans d'autres répertoires, mais une perfection ici. Une fraîcheur, une éloquence incroyables (en particulier dans la dispute d'Atys), on y retrouve des accents de Mellon, avec une voix plus légère, brillante et mordante. Une future très grande de ce répertoire. Et, même sans directives de scène, déjà une actrice capable de beaucoup d'abandon et de conviction.
  • Fabien Hyon, avec des habitudes de couverture plutôt propres au XIXe siècle, chante toujours avec beaucoup de simplicité et beaucoup de persuasion. Une belle voix, qui ne cherche pas du tout l'hypertophie ou le gros son, et qui se projette avec facilité – pourrait parfaitement prendre la suite des emplois occupés par Beuron, par exemple.
  • Paul-Antoine Benos (contré-ténor) dans les Stances du Cid de Charpentier : très bien projeté, il ressemble à un ténor mixé à l'envers (comme un fausset qui tire vers la voix de poitrine), ce qui lui offre à la fois l'aisance dans la tessiture très haute du rôle et les possibilités de diction et de déclamation interdites à un falsettiste standard. Très impressionnant, je comptais même faire une notule sur le sujet.


Ces concerts ont même été l'occasion de quelques changements d'avis, comme sur la Septième Symphonie de Dvořák que j'aimais, certes (avec la Huitième, celle que je réécoute assez régulièrement chez lui), mais dont l'écoute en salle par Dohnányi a révélé une qualité de construction thématique et une ardeur qui m'ont radicalement envoyé du côté des enthousiastes. Je suis curieux de constater sur une écoute (dans des conditions comparables) de la Neuvième, dont je suis moins partisan, aurait des effets similaires.

La semaine prochaine, j'exercerai peut-être mon droit de repos contre le concert Araujo, vu que le Rubino semble avoir été retiré du programme (qui reprend celui, remarquable d'ailleurs, du récent disque Carmina Latina).

La bande son des huées – (Damnation, Hermanis)


Comme promis, l'ambiance de salle de la première de La Damnation de Faust à Bastille, avec les huées adressées à Alvis Hermanis (et les réactions pendant la musique).

Oui, c'est une drôle de façon de racoler les lecteurs sur un carnet qui se prétend amateur de musique, j'en conviens ; mais il faut le voir comme un document sociologique autour de la gent glottophile, comme on en a déjà publié quelques-uns : Salome au Met, Tosca en Italie et à Londres, Cléopâtre de Massenet à Paris, pour ne rien dire des ténors, ovationnés à l'occasion, qui disputent le chef en pleine représentation, ou qui demandent un verre d'eau pendant « Di quella pira » (où, pour mémoire, la mère du personnage est sur le point d'être brûlée vive).


Aux saluts, très courte apparition d'Alvis Hermanis et de son équipe, totalement couverte par les huées. Après avoir manifesté ses remerciements à la fosse et aux plateaux, le metteur en scène repart en coulisse avec les siens, manifestement pour ne pas gêner le succès des musiciens. La bande ne permet pas de percevoir complètement à quel point les applaudissements étaient couverts par les huées, mas on se représente déjà assez bien qu'elles étaient très nombreuses.


Premières franches huées : en guise de précipité, un intertitre entre les parties III et IV. Pendant ce temps, un texte de prêchi-prêcha sur l'avenir martien de l'homme défile, comme au début de la pièce. Vous pouvez aussi entendre quelques échanges délicats, à la gloire du public glottophile, que ma ligne éditoriale de défend de transcrire (mais que l'on entend très bien).


Le pompon : rires nerveux et commentaires pendant le solo de cor anglais. Mais pas pendant le chant, on n'est pas des sauvages non plus, chez les glottophiles : il faut quand même écouter les chanteurs si on veut pouvoir les huer honnêtement.


Condorcet et les mauvais systèmes


Je conserve d'ordinaire ce genre de révélation discutablement lumineuse pour moi-même, mais quelques spécialistes de la question fréquentant ces lieux, peut-être ma remarque me vaudra-t-elle quelques réponses éclairantes.

Lorsqu'on constate que les électeurs n'ont aucune visibilité sur l'utilité arithmétique de leur vote (en l'occurrence, si l'on veut surtout éviter l'un des trois présents au second tour, pour lequel des deux autres faut-il voter ?), on s'intéresse un peu à la solution des systèmes de type Condorcet – pas seulement utopiques, l'Australie a le sien par exemple. Autrement dit, à un bulletin de vote établissant des préférences relatives, ce qui permet de mettre à distance les candidats ou les formations trop clivants.

Tout en me disant que ce serait bien pratique de temps à autre, je vois immédiatement quelques effets pervers :

¶ la favorisation du plus grand consensus, donc le risque d'une absence de prises de position audacieuses, voire de la démagogie (certes, les deux existent déjà largement) ;

¶ beaucoup d'électeurs n'ont pas forcément d'informations sur tous les partis, ce qui signifie que le milieu de leur liste serait hiérarchisé de façon très aléatoire ;

¶ surtout, le risque du dévoiement du système, qui repose sur la bonne foi des électeurs. On ne veut absolument pas tel parti, donc on le met dernier de façon à diminuer son score, en plus de voter pour quelqu'un d'autre, soit. Mais si l'électeur devient stratège (et nul doute que les partis diffuseront très bien ce genre de consigne), il peut être tenté de placer en fin de liste non pas le parti qu'il abomine le plus, mais celui qui est le plus directement en concurrence avec le sien. Donc un parti pas forcément repoussoir ou dangereux, et éventuellement un parti proche des convictions de celui qui vote.
Exemple simple : mettons que je veuille voter pour un parti conservateur. Je mets sur mon bulletin LR en première position, et je devrais mettre en bonne logique LO, LCR, PG et PCF en fin de marche. Mais, dans les faits, le succès de mon suffrage dépend plutôt de la distanciation de partis plus puissants et immédiatement contigus dans le spectre politique : FN, UDF, voire PS. J'ai donc tout intérêt à les mettre le plus bas possible dans mon bulletin, étant donné que LO n'atteindra jamais les 50%.
On peut encore raffiner la finesse, et se dire que les partis trop petits n'auront pas assez d'influence sur le vote : j'irais donc mettre PCF en deuxième position pour ralentir le PS. Sauf que, si tous les électeurs conservateurs appliquent cette logique, le PCF pourrait se retrouver plébiscité, si les électeurs de gauche ont été plus sincères dans l'expression de leurs préférences ! PC premer parti de France.

En fin de compte, le gain de lisibilité, dès que les électeurs se seront emparés de la logique, n'est pas si évident. Certes, ce serait plus ludique (possibilité de « déqualifier » certains partis) et encouragerait peut-être la participation, mais pour le reste, je doute que ce puisse lever les problèmes d'incertitudes autour de ce que l'on appelle le vote utile (les sondages le conditionnant de façon parasite, mais aidant aussi les électeurs à ne pas verser leurs suffrages dans un gouffre sans représentation).

Si des habitués du système Condorcet ont des lumières sur ces questions, qu'ils ne s'en privent pas.

David Le Marrec

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