Moussorgski - La Khovanchtchina - l'orchestration et les représentations à Paris (Serban, M. Jurowski, Bastille 2013)
Par DavidLeMarrec, mercredi 23 janvier 2013 à :: Opéra russe - Musique romantique et postromantique - Musiques du vingtième siècle - Saison 2012-2013 :: #2180 :: rss
Comment réussir une production d'un opéra aussi vaste et difficile ?
Ce n'est pas si inaccessible, apparemment.
1) Une mise en scène fidèle au texte, mais épurée, et surtout beaucoup d'animation scénique - superbe travail pour rendre toutes ces scènes massives et statiques sans cesse mobiles.
2) Embaucher des gens familiers du style et de la langue. A l'exception de Se-Jin Hwang (coréen) dans le petit rôle du confident de Golitsine envoyé prévenir Ivan Khovanski, tous les participants du plateau sont russes (ou bulgare, dans le seul cas d'Anastassov).
Conclusion : une lecture fluide d'une oeuvre monumentale, avec très peu de baisses de tension (essentiellement l'acte III, mais la raison porte essentiellement sur la dramaturgie de l'oeuvre originale). Et un grand naturel du rendu général, où les voix semblent parfaitement convenir à cette musique. La plupart d'entre elles se situent assez loin de mes inclinations ordinaires, mais leur pertinence ici ne souffre guère de contestation. Il n'est de toute façon guère possible d'exiger, dans non pas la nef, mais l'océan de Bastille, une articulation verbale exemplaire - on perçoit plus le son que le détail des voyelles (et encore moins les consonnes), et ce n'est pas vraiment la faute des chanteurs.
Orchestration Chostakovitch
En somme, ma seule réserve provenait de l'orchestration de Chostakovitch, qui ne m'a guère convaincu. On reproche beaucoup de choses au clinquant de Rimski-Korsakov, mais sa proximité stylistique paraît assez évidente, à défaut d'oser les alliages nouveaux de Moussorgski.
Ce qu'a fait Chostakovitch en revanche ne ressemble ni à du Moussorgski... ni au savoir-faire d'un grand orchestrateur du XXe siècle.
=> Le souci semble pour large part d'avoir été respectueux du caractère (antérieur) de l'oeuvre. Fort bien, mais ces moments avec aplats de cordes sont plutôt ternes, voire assez ennuyeux. Et Moussorgski n'aurait vraisemblablement jamais laissé passer, si on en juge à l'aune de Boris, ce type de coloris banal ou paresseux.
=> Très souvent, Chostakovitch utilise l'orchestre par blocs (cordes seuls, bois seuls, cuivres seuls), avec des effets de déséquilibre plutôt étranges. Non pas que ce soit moche, mais j'en vois mal la justification : ce n'est ni authentique, ni abouti comme il aurait pu le faire en orchestrant dans son propre style.
=> Enfin, certaines volontés d'effet me paraissent conçues en dépit du bon sens : ainsi ce métallophone qui double une romance à l'acte III... il évident que la chanteuse va vouloir (et à juste titre) donner un peu de liberté agogique à sa phrase. Or la culture rigoureuse du percussionniste et surtout l'attaque extrêmement précise de l'instrument vont fatalement se trouver sans cesse un peu à côté (parce que trop exacts, justement). Par ailleurs, ce n'est pas forcément beau - de même pour l'arrivée soudaine d'un accord de piano ou de quelques mesures avec les deux harpes.
Ce n'est pas une catastrophe, mais il est dommage de payer des droits alors qu'on pourrait utiliser le matériel bien meilleur de Rimski.
Chanteurs
Sans surprise, j'ai surtout été séduit par les émissions les plus claires du plateau : à commencer Nataliya Tymchenko en Emma, rôle très payant, mais servie par un timbre corsé et une émission très franche, très différente de tous les autres, un vent de fraîcheur. De même, Vsevolod Grivnov (Golitsine), haut placé, se trouve quelque part entre Kozlovsky et Rugämer, et son aisance à franchir la rampe sur une voix limpide fait plaisir à entendre.
Tous (à commencer par les seconds rôles, tous très bons, et les ténors particulièrement) sont de grande tenue. Techniquement, c'est Orlin Anastassov (Dosifeï [1]) qui mène le bal : la voix, quoique très sonore, n'est pas immense, mais la densité du timbre, sa tenue permanente, impressionnent. Pour le volume, c'est Sergey Murzaev (Chakloviti) qui semble avoir un amplificateur greffé : un énorme bloc, fondé sur un grave très fourni pour un baryton, est projeté comme un roc vers le public, assez impressionnant (même si le détail est forcément gommé par ce déluge d'harmoniques). J'étais particulièrement étonné dans la mesure où j'avais lu qu'il était inaudible en Carlo di Vargas dans La Forza del Destino, dont les masses orchestrales ne sont vraiment pas comparables ! En tout cas cela ne correspond nullement aux descriptions de "baryton trop lyrique" ou "trop léger" que j'avais pu lire d'un oeil distrait (sans y prêter trop foi, mais à ce point !).
Gleb Nikolsky [2] (Ivan Khovanski) dont j'avais admiré les talents de diseur dans le rôle infiniment plus facile de Grémine, s'affronte ici à plus forte partie. Dans un rôle qui réclame beaucoup d'autorité sonore, une très solide assise grave, mais qui fait chanter en permanence dans le haut de la tessiture, le détail des mots s'est perdu. La voix semble aussi un peu vieillie (elle vibre sur le timbre, et les tenues finissent sur la trame de la voix), mais la maîtrise de l'instrument demeure, et la présence vocale et scénique reste considérale, ce qui est l'essentiel pour ce rôle meurtrier. J'espérais plus, mais j'ai déjà eu beaucoup. La laideur du timbre n'est de toute façon pas un obstacle, et contrairement à d'autres (Vedernikov chez Simonov par exemple, hideux mais impressionnant), le chanteur ne s'en contente pas pour s'exprimer.
La voix de Larissa Diadkova (Marfa), que j'aime énormément en retransmission, laisse toujours entendre en salle cette petite acidité, comme si la voix poussait légèrement, mais la volupté du timbre et la force de l'incarnation l'emportent toujours.
Enfin, pour la première fois j'entendais Vladimir Galouzine (Andreï Khovanski), que j'aimais beaucoup dans sa jeunesse (Gricha Otrepiev avec Abbado), et qui a depuis pris la voie d'une émission très sombre et métallique. Je m'étais laissé dire que son volume impressionnait, mais (déclin amorcé ou comparaison rude avec un plateau remarquable) il est en réalité en deçà de tous les autres premiers rôles ; la voix sonne en effet mieux qu'en retransmission, un véritable dramatique, avec beaucoup d'harmoniques qui descendent assez profond. Mais, pour un ténor, très peu d'éclat - on devine néanmoins les éclairs que pouvaient lancer son émission plus libre de jadis.
Pas forcément à la mesure de son immense réputation, mais beaucoup plus convaincant qu'en retransmission, et en tout cas sans laideur.
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Finalement, ce n'est pas si compliqué de bien distribuer une oeuvre, il suffit de ne pas chercher à recomposer une salade macédonienne pour obtenir non seulement du volapük, mais de surcroît des voix contraintes et dépareillées. Et une mise en scène mobile mais sans prétention d'ajouter des messages inédits (souvent très prêchi-prêcha de surcroît) fait aussi beaucoup pour la réussite d'une soirée !
Notes
[1] Ne me demandez pas de cohérence sur les transcriptions... certains noms restent figés à l'anglaise, d'autres changent selon la langue, d'autres encore ne respectent ni la logique anglaise ni la logique française, mais sont toujours écrits comme cela... J'essaie de rester proche des usages acceptés, mais le désordre qui règne dans les translittérations russes est assez insupportable. Pas par principe, simplement parce que cela rend les recherches extrêmement fastidieuses, a fortiori à présent que tout se fait par mots-clefs informatisés, même dans les bibliothèques.
[2] Cf. note 1.
Commentaires
1. Le mercredi 23 janvier 2013 à , par Lavinie :: site
2. Le jeudi 24 janvier 2013 à , par David Le Marrec
3. Le samedi 26 janvier 2013 à , par Raphaël
4. Le samedi 26 janvier 2013 à , par Raphaël
5. Le samedi 26 janvier 2013 à , par David Le Marrec
6. Le samedi 26 janvier 2013 à , par Michel
7. Le lundi 28 janvier 2013 à , par David Le Marrec
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16. Le mercredi 6 novembre 2013 à , par Xav
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22. Le vendredi 8 novembre 2013 à , par Xav
23. Le vendredi 8 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec
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