Emotion et universalité
Par DavidLeMarrec, mercredi 4 juin 2008 à :: Discourir - Musique de scène :: #965 :: rss
Une occasion d'être touché peut-être, de réfléchir surtout à la nécessité absolue de codes en art - qui en font tout le prix, qu'on les respecte ou qu'on les transgresse.
Qu'est-ce donc que cette chose si étrangère, répétitive, pauvre ?
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Celui qui a répondu Philip Glass, là , au fond, a perdu. Pour la peine, un gage.
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Oui, vous aurez sans doute reconnu grâce au texte une tentative de reconstitution des modes d'exécution musicale de l'Odyssée. On perçoit ici avec certitude combien l'émotion esthétique a quelque chose de culturel, et dépend profondément de l'acquisition de codes. Que nous avons perdus concernant cette musique dont le texte nous est pourtant si proche.
Ce bête exemple, ajouté aux bribes musicales qui nous restent (authentiques, elles) de Sophocle et Euripide, ruine en un instant toutes les prétentions à l'universalité de l'art. Faire écouter Mozart à des civilisations vierges (c'est de saison), qu'elles soient 'sauvages' ou extraterrestres, est donc un enfantillage délicieux, mais dépourvu de fondement.
Et les exemples fameux de fascination, peut-être enjolivés et surtout sans comparaison objective, n'apportent rien : sans doute que des missionnaires mozartiens ont été dévorés, et la fascination pour cette musique aurait-elle été identique avec un homme de faciès familier, sur un instrument traditionnel, et de la même façon pour l'ensemble des populations les plus belliqueuses ? Cela dit, on place bien du Mozart dans le métro londonien, avec un beau succès contre les sauvageons, alors pourquoi pas autour de la zone verte de Bagdad ?
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Tout ce piteux propos de comptoir pour prolonger le mélange d'émotion véritable et de distance irréductible face aux partitions d'Euripide (dont on ne retrouve pas à l'instant les extraits sonores). Emotion de toucher cette musique telle qu'elle est écrite ; distance parce que, décidément, à moins de l'ornementer jusqu'à la rendre méconnaissable, elle ne peut plus transmettre - nos codes musicaux ont trop changé. [Comme quoi, pour qui en doutait, l'art est largement l'affaire de conventions, même si on les méprise souvent de nos jours.]
L'extrait, faute pour nous de remettre la main sur Euripide, est à rapprocher d'une autre démarche plus convaincante musicalement mais moins émouvante, la reconstitution théorique. Du fait du caractère originellement chanté de cette oeuvre qui n'est plus que lue, elle installe sur les vers d'Homère une improvisation selon les gammes vraisemblablement en vigueur à l'époque, en improvisant sur les rythmes et les accents (de hauteur et non pas d'intensité comme aujourd'hui). Ce qui explique l'aspect quasiment rituel de cette psalmodie monotone et infinie.
Pas universel du tout, donc (tant pis pour ceux qui pensent la Grèce antique universelle) : ni Sophocle et Euripide (pour ainsi dire incompréhensibles, et sur un matériel extrêmement fragmentaire en tout état de cause), ni Homère (d'une grande platitude). Mais passionnant : on s'amuse comme on peut.
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Côté discographie en musique grecque ancienne, et bien qu'un certain nombre de chercheurs s'y intéressent et pratiquent, très peu de choses. Christodoulos Halaris (épuisé), est sans nul doute le plus séduisant, parce qu'il tire cette musique vers un univers assez ornementé et orientalisant, vers des folklores qui nous sont plus familiers. Le disque bien connu de Gregorio Paniagua, chez Harmonia Mundi (collection très économique Musique d'abord), est plus expérimental, et en tentant de reproduire des effets, risque souvent l'artificialité. C'est ce qui nous faisait dire (autour de Pelléas !) que cette disjonction partielle d'avec une culture dont nous sommes tant nourris donne à réfléchir profondément sur l'art, jusqu'au vertige.
Commentaires
1. Le jeudi 5 juin 2008 à , par Morloch
2. Le jeudi 5 juin 2008 à , par Lavinie :: site
3. Le jeudi 5 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
4. Le vendredi 6 juin 2008 à , par Morloch
5. Le vendredi 6 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
6. Le vendredi 6 juin 2008 à , par Morloch
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