Carnets sur sol

   Écoutes (et nouveautés) | INDEX (très partiel) | Agenda concerts & comptes-rendus | Playlists & Podcasts | Instantanés (Diaire sur sol)


Carnet d'écoutes - Giuseppe VERDI, Un Ballo in Maschera - Marcelo Alvarez, Ludovic Tézier (Bychkov, Paris Bastille 2007)

Bref commentaire, puisque nous sommes dans les parages.


En ce moment même sur France Musique[s], Ballo de Verdi avec Marcelo Alvarez. Le prince du phrasé expressif et de la musicalité au goût le plus exquis, dans ce rôle. Sans nul doute ce que l'on peut entendre de plus bouleversant dans un rôle de ténor de Verdi. Une science belcantiste qui sert toujours l'expression de la façon la plus précise. Des effets qui sont plus de l'ordre du morendo[1] que des ostentatoires messe di voce[2].

Attention cependant, le rôle est à la limite de ses possibilités en raison de sa lourdeur, et la voix pourrait s'abîmer à trop le chanter - il le pratique très souvent ces temps-ci. On remarque d'ailleurs, par rapport à Covent Garden en 2005, quelques effets qui masquent une petite fatigue vocale (peut-être seulement d'un soir, on ne sait). Cela dit, hors de question de lui conseiller de renoncer, son incarnation est trop indispensable. Quelle chaleur dans ses confessions amoureuses, quelle noblesse du port vocal !




Et une prise de rôle pour Ludovic Tézier. Voix splendide, riche, mordante, la technique italienne dans ce qu'elle a de plus admirable (Sereni, Zancanaro...), avec même une douceur plus française dans l'aigu (un rien moins d'assurance aussi). Quelques portamenti un peu prudents, pour asseoir les aigus.

Mais on est frappé, malgré la grande musicalité des phrasés, par la concentration essentiellement sur le chant. Ce Renato-là semble ailleurs. Dommage qu'il soit manifestement très impressionné par le fait de chanter en public. CSS et ses lutins se souviennent, en salle, d'un récital un peu terne [3], sans imagination (et avec des faiblesses vocales) : Dichterliebe bien timbré mais uniforme, Fauré solides, quasiment hors style, Duparc et Ravel (Don Quichotte à Dulcinée) avec des aigus qui partent en arrière.
Et aux bis, transfiguration : les mêmes pièces passent parfaitement, et des Liszt d'une grande conscience textuelle.

Dommage qu'il semble si préoccupé de la qualité de son chant, on perd vraiment beaucoup, alors qu'on abandonnerait si peu avec un peu moins de propreté...




[Par ailleurs, Angela Brown (une voix opaque et un peu molle[4]) chante vraiment très approximativement son texte, totalement inintelligible, et inexact. Cela dit, vraiment honnête, même si CSS a - tout à fait subjectivement - horreur des chanteurs qui considèrent leur texte comme une contrainte vocalique posée sur le chant, à contourner autant que possible.
Semyon Bychkov, à son habitude, se montre à plusieurs reprises à la fois plutôt indolent et bruyant dans les moments dramatiquement intenses - même si, ici, cela fonctionne fort bien.[5] On entend même quelques sublimes instants élégiaques suspendus.
Petite surprise sur Camilla Tilling qui semble fatiguée ; alors que son Oscar était si piquant à Covent Garden, ici, certains aigus sont un peu esquissés ou légèrement parlés ou criés, ce qui est étonnant pour cette nature de voix.]

Notes

[1] Diminution du son jusqu'à l'extinction.

[2] Attaque d'une note, particulièrement des aigus, piano, pour l'enfler forte et la diminuer à nouveau. On y ajoute souvent aussi le passage de la voix mixte à la voix de poitrine. Un tour de force technique, mais le plus souvent sans aucun intérêt expressif - et d'un goût ostentatoire plutôt douteux.

[3] Rempli à coups d'invitations dans un Grand-Théâtre quasiment vide. On a même dû insister, arrivant le soir même, pour payer notre place !

[4] Ce que les détracteurs du chant américain considèrent comme caractéristique : capable de tout chanter, mais terriblement uniforme, et peu séduisant.

[5] Il faut, de surcroît, se garder des conditions radio qui peuvent modifier sensiblement ces paramètres.


--

Autres notules

Index classé (partiel) de Carnets sur sol.

--

Trackbacks

Aucun rétrolien.

Pour proposer un rétrolien sur ce billet : http://operacritiques.free.fr/css/tb.php?id=668

Commentaires

1. Le dimanche 29 juillet 2007 à , par Morloch

J'avais été très impressionné par Marcelo Alvarez dans ce Bal masqué de Bastille, mais incapable de faire les petites nuances que tu apportes au jugement, et je n'ai pas entendu la version Covent Garden.

J'avais porté un jugement un peu expéditif sur le reste du plateau, mais en grande partie du côté horriblement statique du spectacle, qui incitait à se désintéresser des performances des chanteurs les moins enthousiasmants.

En revanche, Camilla Tilling parissait très en forme et impliquée, son activité scénique est peut-être à l'origine de petits ratages vocaux ?

2. Le dimanche 29 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec

Ce sont des nuances infimes... Je l'ai trouvé moins suprême qu'à Covent Garden, ce qui tend à corroborer mes craintes sur la lourdeur de ce rôle de spinto (qui réclame du volume et de grands écarts de tessiture) pour un pur lyrique.
Mais là, je parle surtout pour lui, on regretterait qu'à trop chanter Riccardo (au lieu de le faire à petite dose), il s'abîme. Parce qu'un ténor dans le répertoire italien, même avec les meilleures intentions du monde, réclame une voix un tant soit peu pleine. Jusqu'à présent, Alvarez a été très prudent, nous verrons.

Mais en tant que public, évidemment, je suis en délire intégral lorsque j'entends cette musicalité souveraine et expressive.

Je ne sais pas pour Tilling, qui était du voyage elle aussi à Covent Garden (Pappano/Mattila/Alvarez/Hampson/Tilling), et qui était d'un esprit et d'une aisance remarquables. Ici, je ne sais pourquoi, certaines notes sont esquissées, presque parlées, même dans le médium. Je pensais à une petite fatigue d'un soir. J'ai lu ailleurs qu'elle était acide, ce qui n'est pas du tout la nature de sa voix - ça semble confirmer la chose.
Le résultat, sinon, était tout à fait charmant et caractérisé, d'accord, quoique un peu tendu vocalement.


De toute façon, si j'entendais ça en salle, nul doute que je serais totalement anesthésié d'admiration. :)

3. Le dimanche 29 juillet 2007 à , par DavidLeMarrec

Eh, mais... C'est malin, tu parles de ton avis et tu n'as pas mis ton site en lien.

Ce serait plus clair : Nau of Sands.

4. Le jeudi 16 août 2007 à , par Morloch

Je dois ranimer ce blog.

En attendant, j'ai écouté ce Trouvère et j'ai adoré. Le fait de chanter en tchèque semble sortir cette interprétation de la tradition italienne, et il n'est pas question d'épater, de poser ou de s'écouter chanter. C'est le drame du Trouvère qui est exposé avec beaucoup de tension : et la direction d'orchestre est si nerveuse ! Tous les chanteurs sont impeccables et donnent une impression de liberté au chant, la beauté du timbre n'est pas recherchée à tout pris, du coup tout paraît plus fluide et théatral.

Vraiment merci pour cette découverte !

5. Le vendredi 17 août 2007 à , par DavidLeMarrec

Nous partageons le même avis, je vois !

Je suis surtout époustouflé par la variété des textures et des couleurs de l'orchestre. Mais aussi, il est vrai, par le passage prosodique excellent de l'italien au tchèque, et par ce que tu dis très justement, ce chant sans aucun désir "vocal", sans épate.

6. Le vendredi 17 août 2007 à , par Morloch

" à tout prix ", bon sang, en plus de mes habituelles innombrables fautes de frappe, voilà que je commence à faire de vraies fautes.

Je suis toujours étonné de voir comment un bon chef peut métamorphoser la musique de Verdi. J'ai entendu tant d'interprétations mollassones de ses operas, avec des orchestres réduits à un accompagnment " ploum ploum" que j'ai du mal à croire que c'est bien du Verdi quand c'est joué de la façon de ces tchèques.

En DVD, presque exclusivement du Met avec Levine, il faut s'attendre à ce que les nouvelles générations d'amateurs de Verdi ne connaissent pas une variété énorme de chefs. Cela dit, il y a bien pire que Levine, mais cela n'a pas la classe de cette version.

S'il n'y a pas d'épate vocale, il ne faut pas non plus attendre des chanteurs sans personnalité : la Leonora tchèque est extraordinaire !

7. Le vendredi 17 août 2007 à , par DavidLeMarrec

Je dois ranimer ce blog.Forcément, si tu ne passais pas ton temps en mauvaise compagnie...


" à tout prix ", bon sang, en plus de mes habituelles innombrables fautes de frappe, voilà que je commence à faire de vraies fautes.

Très honnêtement, je n'y fais pas attention. Et puis au besoin, une petite gratification en nature (l'intégrale Take par tes soins, par exemple) peut permettre de rectifier ça discrètement pour sauver ta postérité.


1. Verdi et la direction tchèque

Je suis toujours étonné de voir comment un bon chef peut métamorphoser la musique de Verdi. J'ai entendu tant d'interprétations mollassones de ses operas, avec des orchestres réduits à un accompagnment " ploum ploum" que j'ai du mal à croire que c'est bien du Verdi quand c'est joué de la façon de ces tchèques.

Très honnêtement à nouveau, ça dépasse l'écriture orchestrale de Verdi, qui n'a tout de même pas cette richesse sur le papier.

Autres cas de ce type, le Trouvère de Muti 2001 (très belles couleurs), mais on est en deçà de cet enregistrement pragois, et l'Aida de Kazushi Ono, où Ono fait une fois de plus la preuve de son mérite extraordinaire en inventant des textures remarquables.

Cela dit, Dyk reste à un degré de transfiguration de l'oeuvre étonnant. On s'en rend bien compte lorsqu'on écoute, aujourd'hui encore, Janáček par le National de Prague (celui de tradition tchèque, par opposition à l’Opéra d’Etat, historiquement la troupe allemande de la ville). Ce son corsé des cordes, ce rubato dansant sont véritablement inimitables.
Je trouve cela moins sensible lorsqu'ils interprètent Dvořák, d'ailleurs.

Autre moyen d'en prendre conscience : écouter Krips dans Dálibor. On se rend bien compte que l'exécution scrupuleuse et sans vibrato de cette musique donne pour résultat une sorte de parodie d'une musique allemande hiératique mais creuse. [En plus, sur ce disque, on trouve les deux soeurettes Rysanek en duo, il vaut mieux s'accrocher pour survivre - personnellement, j'ai pas pu.]


2. Levine et les directions de Verdi au DVD

En DVD, presque exclusivement du Met avec Levine, il faut s'attendre à ce que les nouvelles générations d'amateurs de Verdi ne connaissent pas une variété énorme de chefs. Cela dit, il y a bien pire que Levine, mais cela n'a pas la classe de cette version.

Je ne sais pas, le DVD a aussi permis des sorties d'enregistrements épuisés (Les Diables de Loudun de Penderecki), ou invendables sans l'image (Die Upupa de Henze).
Mais il est vrai que pour Verdi, les distributions, mises en scène et chefs semblent choisis avec les pieds - même sous le seul angle du prestige...

Levine est vraiment un grand chef, mais il ne dirige pas tout avec le même bonheur. Ses Mozart, certes dépourvus d'angoisse, sont absolument remarquables, et on peut aussi admirer, par exemple, ses Brahms. Ses Wagner aussi, dans la veine lente et monumentale. Mais dans Verdi, il a tendance à flatter les lourdeurs ou les schématismes de l'orchestration. Et sans parler de son Faust de Gounod, unique intervention dans ce répertoire qui ferait bien de rester exception. :-s Absence totale d'humour, et lourdeur bien supérieure à Verdi - pompier était hélas le mot qui venait à chacun.
Donc, vraiment, tout dépend. Mais dans Verdi, assurément, il n'est pas à son meilleur.

Et nous n'avons pas parlé des immortelles mises en scène du Met. :-)


3. Le plateau

S'il n'y a pas d'épate vocale, il ne faut pas non plus attendre des chanteurs sans personnalité : la Leonora tchèque est extraordinaire !


Il s'agit de la star internationale du plateau - bien que Beno Blachut ait chanté tous les grands rôles du grand répertoire tchèque dans ces années cinquante, notamment un Dálibor très réussi, doux mais rythmiquement acéré. Blachut est un peu à la peine pour son contre-ut, évidemment ; la voix n'a pas de métal, elle est d'une tout autre nature.

Milada Šubrtová, donc, est universellement connue pour sa Rusalka chez Chalabala, considérée comme la référence, généralement. Personnellement, si on me demande à choisir, je trouve que la voix manque un brin d'ampleur pour ce grand lyrique, et que la direction de Chalabala n'est pas extraordinairement profonde, si bien que je préfère le faste - un peu studio ostentatoire, il est vrai - de Mackerras/Fleming (à mon grand étonnement, crois-moi bien !).

En Léonore, la voix est légère aussi, mais elle distille de très belles choses, je suis d'accord.

De mon côté, la basse et surtout le baryton m'ont beaucoup plus scié.


P.S. : Au fait, on est sous le mauvais article... Tu parles de cet enregistrement-ci, en fait. Je vais reporter là-bas, si tu n'y vois pas d'inconvénient, ce sera plus lisible.

Ajouter un commentaire

Le code HTML dans le commentaire sera affiché comme du texte.
Vous pouvez en revanche employer la syntaxe BBcode.

.
David Le Marrec

Bienvenue !

Cet aimable bac
à sable accueille
divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées
en séries.

Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées. N'hésitez pas à réclamer.



Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
9 => Feuilleton sériel




Recueil de notes :
Diaire sur sol


Musique, domaine public

Les astuces de CSS

Répertoire des contributions (index)


Mentions légales

Tribune libre

Contact

Liens


Chapitres

Archives

Calendrier

« juillet 2007 »
lunmarmerjeuvensamdim
1
2345678
9101112131415
16171819202122
23242526272829
3031