Le comte Ory : le mystère Scribe persiste
Par DavidLeMarrec, dimanche 31 décembre 2017 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra :: #2987 :: rss
Un mot déjà mis en d'autres lieux, mais qui abonde une réflexion déjà étalée ici.
Le comte Ory est écrit sous une forme légère, mais ce n'est pas un opéra comique (création sur la scène de l'Opéra de Paris, salle Le Pelletier, et pas de dialogues parlés) ; il est appelé « opéra bouffe » par ses concepteurs, en référence aux modèles italiens.
Et c'est une véritable caricature d'opéra : de la débauche, des déguisements, des ensembles loufoques, des reprises innombrables, des contre-notes souvent, des coloratures partout ! Pas sûr que ce soit ce qui me fait aimer l'opéra, mais c'est chouette quand même !
L'acte II est beaucoup plus réjouissant pour moi, avec son orage qui parodie Iphigénie (II) de Gluck, puis sa prière-beuverie (recyclant au passage Don Profondo), et le trio du lit, évidemment !
Encore un grand coup de Scribe : entre le sacrilège en habits consacrés (célébrant l'amour charnel et le vin) et le triolisme de la chambre à coucher (Podalydès jouant à fond les appétits débordants de la comtesse négligée – elle ne se contente pas de regarder le page faire joujou avec le comte, à la façon d'Octavian, mais elle se jette sur les deux !), ce truc a été un succès partout en Europe !
Pourtant ça n'a pas beaucoup choqué à l'époque semble-t-il, grand accueil comme pour l'invraisemblable acte III de Robert (celui où le héros, fils d'un démon, culbute sur un autel une nonne damnée pour voler une relique) – mais que fait la police la presse ?
Ça reste énigmatique pour moi, mais on voit pourquoi l'Opéra de Paris a depuis cette époque si sulfureuse réputation !
Même en Province, l'accueil fut chaleureux (c'est ce que je lis dans les gazettes, et j'ai eu confirmation d'un doctorant qui travaille justement sur cette circulation des créations de la capitale vers la périphérie) et dans les villes d'Europe où ça a été joué (Londres, Vienne…) !
On se figure une société du premier XIXe très christianisée, mais pas nécessairement de la façon que l'on croit, considérant les succès de Scribe (massacres religieux et moines iniques dans les Huguenots et l'Africaine, sacrilèges licencieux en cascade dans Robert et Ory) : ça pose quelques questions sur l'état d'esprit réel du public. Ne prenait-il pas au sérieux l'opéra, parce que l'opéra n'est pas sérieux ?
Je n'ai toujours pas de réponse à cette interrogation, plus détaillée ici à propos de la collaboration avec Meyerbeer.
Le sujet est tiré d'un vaudeville antérieur de Scribe, écrit en 1816 sous le même titre. Malgré l'indication d' « anecdote du XIe siècle », Scribe admet tout à fait, dans l'édition complète de ses œuvres, que les historiens n'ont aucune idée de l'origine temporelle exacte de l'épisode.
Rossini n'a semble-t-il pas apprécié de se voir imposer Scribe, les relations entre les deux hommes n'ont pas été très cordiales ni très poussées.
Même du côté de Scribe, on ne s'est pas trop fatigué (« Ory » rime avec « lui » et « ici » rime avec… « ici »). Et, de fait, par rapport à Meyerbeer ou même à Auber, ce « n'embraye » pas autant sur le détail du sens.
(Mais ce reste très amusant.)
(Je laisse en annexe les commentaires superficiels sur la production Podalydès-Langrée – actuellement à l'affiche de l'Opéra-Comique – dissimulés ci-dessous.)
La mise en scène de Podalydès est effectivement très simple et bien faite, équilibrant les bords de scène, animant raisonnablement tout sans surcharge, distillant de petits gags. Ça fonctionne très bien, fidèle à la ligne de la direction du Nouveau Favart : mises en scène lisibles et animées + orchestres sur instruments d'époque.
Le plus grand plaisir de la soirée est d'ailleurs là , avec les cors en kit (selon la tonalité), les clarinettes en poirier, et surtout ces bassons au grain rugueux et savoureux, en permanence audibles dans tout le spectre orchestral.
Les cordes de l'Orchestre des Champs-Élysées ne sont pas en reste, nettes, habitées, précises, tout à fait romantiques pourtant. Langrée confirme la forte impression qu'il me fait de plus en plus au fil des années… pas de recherche « personnelle », de préciosité, de tentative de mettre son style… il touche simplement au plus juste. C'est valable pour ses Mozart, pour ses Franck-Chausson-Debussy, et manifestement pour son Rossini aussi. Une véritable maturité qui vient aussi, me semble-t-il.
Quant à la distribution, c'était affolant sur le papier, et ça le reste sur scène : tous des médiums fabuleux… et aussi les notes supérieures ! Arquez s'épanouit remarquablement ici, Talbot, Bou, Bolleire très habités mais dans leurs chaussons vocaux,
Fuchs d'une précision hallucinante (rarement ouï des traits aussi détaillés), tout en réussissant sa mue vers le soprano grand lyrique. Je la trouve même (et c'est rarissime) meilleure qu'en mode léger (où il y avait quelques duretés), du moelleux sans rien perdre de sa finesse.
Pour finir, je découvrais Hubeaux, souvent lue dans les distributions, jamais vue… Un vrai mezzo grave pas du tout gonflé ni tassé, c'est rare, et vraiment superbe !
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