La Venise musicale - une balade des hasards - (Il Barbiere di Siviglia, Scuola Grande dei Carmini, septembre 2006)
Par DavidLeMarrec, lundi 2 octobre 2006 à :: Disques et représentations :: #401 :: rss
Cher David,
Votre envoyée spéciale européenne revient juste d’un voyage à Venise. Le but n’était pas musical, mais je ne peux m’empêcher de vous faire un petit compte-rendu d’une soirée d’opéra dont on ne lira jamais un mot dans la presse spécialisée pour mélomanes. Je vous place ma prose n'importe où, et vous pouvez bien sûr en disposer comme vous voudrez !
Venise (Italie), Scuola Grande dei Carmini, jeudi 28 septembre 2006, 20h30.
G. Rossini, Il Barbiere di Siviglia, mélodrame bouffe en deux actes sur un livret de Cesare Sterbini.
Venice Opera Orchestra
Direction-piano : Paolo Polon, violon : Enrico Piccini et Samuel Angeletti, viole : Luca Zanetti, violoncelle : Elena Borgo.
Régie : Giovanna Conte
Gianfranco Cerreto : le Conte Almaviva, Francesco Zampieri : Bartolo, Veronica Filippi : Rosine, Omar Camata : Figaro, Antonio Casagrande : Don Basilio, Nico Mamone : Fiorello / un officier, Koo Hyeon Jeong : Berta / Ambrosio / notaire.
Musicalement parlant, Venise rime avec Vivaldi, de la même façon que Vienne va avec Mozart ou Leipzig avec Bach. Pourtant, il faut avoir vraiment préparé son parcours vénitien pour trouver quelques traces de Vivaldi à Venise, et la plus évidente –l’église de la Pieta- s’est dérobée puisqu’elle était « chiuso ». Quelques affiches de concerts proposent bien un programme à base de Vivaldi : les éternelles 4 saisons, bien sûr, avec musiciens en costumes XVIIIe siècle (je n’ai déjà pas succombé à ce genre de « représentation » à Vienne, ce n’est pas pour le faire ici), ou bien un ou deux concertos tellement mélangés avec des fragments d’œuvres d’autres compositeurs que cela ne m’attire guère. Signalons tout de même pour les amateurs que dans une ruelle touristique au nord de la place Saint-Marc, une boutique exclusivement dédiée à ce compositeur vénitien vend produits dérivés et CD.
Après avoir salué la célèbre basilique, toujours aussi belle, même lorsqu’elle a ses magnifiques pavements du narthex sous quelques centimètres d’eau, un détour par la Fenice me permet d’apprendre qu’il n’y a plus aucune place pour le ballet Roméo et Juliette qu’une troupe bavaroise donne en ce moment. Je regrette Prokofiev, je regrette un peu la nouvelle salle ressuscitée grâce –entre autres- au Senso de Visconti, et je ne regrette pas du tout le ballet, la danse classique n’est pas un art que j’apprécie. Continuant ma promenade, j’aborde le théâtre Malibran (vers le pont du Rialto), assez intéressée par le récital donné le lendemain par un violoncelliste dont je n’ai pas retenu le nom. Hélas, on ne peut pas réserver ici une place pour ce concert, il faut aller à la Fenice, et on ne peut me dire s’il reste des places !!! Seulement un peu déçue puisque je ne suis pas venue ici pour écouter de la musique, je poursuis tranquillement mon périple pédestre, et n’y pense plus. Mais le lendemain, au hasard d’une promenade, je tombe sur la Scuola Grande dei Carmini (au bout du Campo San Margarita) qui propose en alternance deux opéras par une troupe locale s’appelant gentiment « Venice Opera Orchestra ». Alors, pourquoi pas ce Barbier de Séville à Venise ?
Je n’ai jamais vu et entendu un opéra donné avec aussi peu de moyens, j’ai rarement vu et entendu un opéra donné avec autant de plaisir, et je crois n’avoir jamais autant ri à une représentation d’opéra !
La grande salle rectangulaire du rez-de-chaussée de la Scuola n’est absolument pas faite pour accueillir un spectacle. Environ 150 chaises pliantes sont disposées sous son riche plafond à caissons aux peintures du XVIIIe siècle. Un autel surplombé par une sculpture de la Vierge à l’enfant encadrée de colonnes et de frontons baroques donne un décor « naturel » à la scène presque improvisée : une petite estrade recouverte de tapis, avec sur la gauche un simple tissu pour masquer les entrées et les sorties des chanteurs, et sur la droite, dissimulé par un piano droit recouvert d’un tissu rouge et or, un petit espace pour les musiciens. Pour tout accessoire, une chaise, une table, une plume et un peu de papier. Les costumes d’inspiration XVIIIe siècle sont à peine moins modestes, leurs étoffes ont de belles couleurs chatoyantes où le vert et le bleu dominent, et que rehaussent quelques galons et passementeries dorés. Perruques, chapeaux, chaussures à talons rouges et épée viennent compléter ce tableau vivant au milieu de toutes ces peintures tout de même assez figées et conventionnelles.
Les rôles sont bien distribués ; les caractères des personnages conviennent aux voix des chanteurs, qui sans être exceptionnelles, sont toutes justes et bien posées, agréables bien que sans timbres très caractéristiques. Je détacherai de la distribution le Figaro d’une très belle présence d’Omar Camata, à la voix assurée et à l’entrain communicatif, ainsi que dans le petit rôle de Berta la camériste, la soprano Koo Hyeon Jeong, à la voix franche et au jeu très concentré, même lorsqu’elle ne chante pas. Dans l’ensemble, les chanteurs paraissent très à l’aise, les sons sortent avec une belle facilité, les forte brillants sont en général leur point fort, mais ils ont plus de mal avec les vocalises, les pianissimi et les traits plus expressifs. Cependant leurs jeux compensent aisément ces faiblesses, et ils n’hésitent pas à jouer la comédie pour faire rire avec des effets simples et légers, bien dosés, mais jamais vulgaires ou outrés. Je doute que même un metteur en scène « sulfureusement » intellectuel puisse rendre Rossini intellectuel. Ici, il n’y a évidemment aucune prétention de ce genre : c’est un « melodramma buffo » comme le rappelle le programme, et chaque effet comique est souligné avec enthousiasme par un public de touristes (plutôt anglophone) qui connaît visiblement l’œuvre, et s’amuse beaucoup.
Le seul petit bémol est à mon avis dû à l’orchestre qui accompagne les chanteurs. Il est très réduit et est composé de deux violons, d’une viole et d’un violoncelle, tous soutenus par le piano droit joué par le chef d’orchestre Paolo Polon. Et c’est bien dommage que les vigoureux et disgracieux « ploum-ploum » de ce piano soient venus de temps en temps couvrir les voix !
Mais malgré cette dernière remarque, ce Barbiere di Siviglia de Rossini donné par le « Venice Opera Orchestra » est un excellent spectacle. Il n’a absolument pas à avoir honte de sa modestie, et l’enthousiasme de sa troupe à l’énergie communicative devrait servir d’exemple aux grandes salles qui semblent parfois oublier que la musique et l’opéra sont des plaisirs simples et naturels.
S. Eusèbe, 1er octobre 2006
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