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R. Strauss - Arabella - Marelli, Ph. Jordan, Fleming, Volle - Bastille 2012


Où l'on a le triomphe immodeste.

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En un mot comme en mille, j'avais raison : soirée formidable, remarquablement chantée. On l'attendait pour Julia Kleiter (diaphane mais incarnée), Doris Soffel (projection incroyablement naturelle, un idéal de déclamation), Joseph Kaiser (limpide, toujours poétique), Michael Volle (plus métallique qu'en retransmission, toujours vigoureux mais pas dépourvu de grâce), Kurt Rydl (voix très dense dont l'état ne fait pas entendre ses multiples Hagen)... mais même Eric Huchet chante ici comme un jeune premier (après tant d'années passées comme ténor de caractère), réellement radieux. On remarque aussi Thomas Dear, basse très prégnante dans le minuscule rôle de Lamoral... où s'était naguère illustré (au Châtelet) Nicolas Courjal !

La mise en scène de Marco Arturo Marelli n'atteint pas l'aboutissement du Rosenkavalier hambourgeois, mais son dispositif reste beau et astucieux : les grands murs blancs (de style) et azur pivotent pour créer maint nouvel espace, l'anneau tournant du plateau permet de rendre l'atmosphère de départ chez les aristocrates déçus, la direction d'acteurs est assez précise et explore habilement les relations entre personnages.
Le résultat n'est pas aussi probant que chez Mussbach néanmoins, parce que Marelli semble ne pas prendre complètement au sérieux les tourments d'Arabella, comme si le quiproquo de l'acte III n'était qu'une étape de vaudeville. Il me semble que le texte et la musique disent autre chose, et que la princesse qui souhaitait comme dans les contes une mise à l'épreuve du promis se trouve elle-même mise à l'épreuve, d'autant plus cruellement que c'était inattendu - et que cela détruit, précisément, l'image idéale qu'elle se faisait de la relation amoureuse. Arabella a peut-être la structure du conte, mais apprend à transiger avec la réalité.

Peut-être était-ce accentué par l'effet de la première. Car à l'orchestre en tout cas, le résultat était un peu frustrant, sonnant mollement, avec peu d'angles et un certain nombre de confusions. J'ai tout de même remarqué avec plaisir la beauté de la clarinette et du cor solos, loin du cliché des vents français acides (le hautbois était beaucoup plus exotique pour Arabella, en ce sens).
Il faut saluer le fait que la partition était jouée sans aucune coupure, ce qui permet une plus grande richesse et cohérence (il manque d'ordinaire surtout des répliques qui caractérisent bien les personnages), et n'est pas si fréquent pour cette oeuvre - et Strauss en général.

Confusions dues en bonne partie à Renée Fleming, qui plante tout l'orchestre avec constance pendant toute l'entrée solo d'Und du wirst mein Gebieter sein, alors qu'il s'agit d'une cantilène très rectiligne au niveau du rythme... Dur métier d'être en fosse. Le contraste en projection et en rigueur solfégique est d'ailleurs saisissant avec ses partenaires, qui semblent considérablement plus préparés alors qu'ils n'ont pas forcément tous déjà chanté le rôle...
Je la découvrais en salle, mais n'ai pas été surpris (elle sonne aussi étrangement qu'au disque). La voix est assez engorgée et ne sort pas bien dans le grave, elle se libère joliment dans l'aigu en cours de soirée (donc les sopranos un peu larges qu'elle chante actuellement ne sont pas son répertoire le plus pertinent). La diction est floue mais l'effort est très réel sur la qualité de l'allemand, qui continue de s'améliorer d'année en année - ses interventions parlées sont même très bonnes ! Le personnage n'est évidemment pas celui de l'aristocrate ingénue, mais de loin et avec la lecture pas très empathique de Marelli, cela restait assez indolore, surtout qu'il y avait amplement de quoi s'occuper les oreilles tout autour.

Excellente soirée, un enchantement d'entendre l'oeuvre (en intégralité), avec un plateau assez superlatif et une belle mise en scène. Vu le remplissage (jauge tout à fait complète, impressionnant à voir depuis les galeries), on est en droit d'espérer une reprise de cette production dans peu d'années... et cette fois, les dives étoiles ne revenant pas pour les reprises, on aura peut-être Kaune, Leitgeb, Armstrong, Nylund ou Schwanewilms !

Je tâcherai d'en retoucher un mot pour la dernière.

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Commentaires

1. Le mercredi 20 juin 2012 à , par benjamin

Comment peut on écrire de Renée Fleming que sa voix "se libère joliment dans l'aigu" ou que "l'effort est très réel sur la qualité de l'allemand" !! C'est hallucinant !!
Vous devriez avoir honte de parler ainsi d'une artiste qui a 53 ans est l'une des plus grandes chanteuses de sa génération, possède un art du chant lyrique incroyablement abouti, et des qualités vocales et musicales rarissimes !
Il ne s'agit pas là d'une élève de Conservatoire a qui l'on distribue des bons points ... tant que vous y êtes vous pourriez lui proposer des cours de solfège pour sa première intervention puisque d'après vous elle arrive à planter un orchestre symphonique en direct à Bastille, malgré Philippe Jordan à la baguette !
Je pourrai continuer en citant d'autres extraits de votre papier, mais cela n'en vaut pas la peine.
Je trouve scandaleux de parler avec si peu de respect de si grands artistes, et votre article est malheureusement le reflet de la médiocrité et de l'insupportable condescendance d'une partie de la critique musicale actuelle.


2. Le mercredi 20 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Benjamin,

Je suis embarrassé pour réagir à votre commentaire : je n'ai pas l'habitude de répondre à ceux qui ne disposent pas du minimum de courtoisie requis, mais j'ai un peu de compassion pour le vôtre, vu que vous avez manifestement rencontré quelques difficultés de lecture. Il est plaisant de remarquer que les deux citations dont vous faites scandale sont précisément des compliments...

Si je passe sur la forme perfectible, donc, il y aurait du matériel intéressant à exploiter :
=> pourquoi Renée Fleming est-elle célèbre ?
=> quelle est l'étendue des droits du spectateur lorsqu'il décrit un spectacle ?

Je n'ai pas vocation à émettre des jugements sur une matière aussi subjective, mais en tout cas (et cela peut se mesurer facilement), il est évident que la voix n'est pas ample (ni facile dans le médium, et elle-même le dit), que la diction n'est pas la plus claire du marché, et qu'elle a bel et bien récrit les rythmes du duo du II. Ce n'est pas particulièrement infamant, ça faisait simplement contraste avec ses collègues à la fois sonores, assez bien articulés pour la plupart, et très rigoureux.

Et justement, ça pose la question sur "l'une des plus grandes chanteuses de sa génération" : qu'elle soit de très haut niveau avec de très grandes qualités n'est pas sujet à discussion, mais la suprématie absolue que vous suggérez ressortit davantage, à mon sens, à une affaire de ressenti personnel qu'à une réalité objectivement mesurable.

Je vous souhaite un agréable après-midi.

3. Le jeudi 28 juin 2012 à , par misspyla

Benjamin et moi, on adore Renée Fleming!!Même si je suis jeune, j'ai vu le Pirate, Alcina, Rusalka,Le Chevalier à la Rose, Manon,Capriccio,Otello,Arabella,Thaîs, plein de récitals à l'opéra et au TCE, les retransmissions du Metropolitan(Armide, rodelinda..) et..... c'était magnifique!!!
Ne nous prenez pas pour des béotiens parce que nous ne sommes pas de votre avis !
Il y a plein de chanteurs magnifiques à l'opéra, mais cette Fleming, si on l'écoute, on arrive au boulot en retard, et on loupe les enterrements !!
Sauf vous, apparemment ! Bon, mais j'aimerais que vos commentaires -vos notules...- ne soient pas systématiquement en tête de gondole.
Allez, je me fais plaisir : vive la Fleming ! (quant à l'objectivement mesurable quand on parle d'art...c'est space !!)

4. Le jeudi 28 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Dommage que vous n'ayez pas posté ceci plus tôt, je n'aurais peut-être pas cédé à l'envie de vous croquer de façon peu flatteuse. :)

Je n'ai absolument aucune prévention contre ceux qui aiment Fleming. Je n'aime pas Fleming partout, et dans certains opéras de Strauss, en effet, je trouve ses qualités comme ses défauts aux antipodes du livret et de la musique. Ca n'a rien de particulièrement agressif, et je crois avoir essayé de l'exprimé en termes mesurés.

Ce qui n'est pas tout à fait votre cas, débarquant chez moi de façon plutôt discourtoise pour me faire la leçon sans m'avoir lu, en me prêtant des propos que je ne tiens pas. Fort bien, vous adorez Fleming et ne partagez pas mon sentiment, les commentaires sont ouverts pour le dire, vous pouvez tout aussi bien le faire de façon polie.

Pour la tête de gondole, je n'y suis pour rien : je publie tranquillement mes opinions dans mon bac à sable depuis des années... si j'ai traité le sujet plus tôt que d'autres ou que j'ai été cité en lien si bien que j'arrive plus haut dans Google, ce n'est pas le fruit d'une quelconque volonté d'influence de ma part. Si vous prenez la peine de me lire, je ne dénigre pas Mlle Fleming, je détaille une perception, donc vous pouvez tout aussi bien lire ailleurs si mon propos vous déplaît, sa réputation n'est pas en jeu.

Enfin, pour l'objectivement mesurable, le fait qu'on l'entende moins ou qu'elle était moins en rythme que les autres chanteurs, ça ne prouve pas qu'elle est moins bonne, mais ça reste vérifiable concrètement, contrairement à l'émotion (ce qui est le plus important, je vous l'accorde très volontiers).

Je vous souhaite donc une bonne soirée, en espérant que les progrès se poursuivent pour un hypothétique troisième message.

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David Le Marrec

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