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Don Ottavio en costume


Des torches brillent ; on voit reparaître donn’Anna, suivie d’Octavio, un petit homme coquet, paré et compassé, âgé de vingt et un ans tout au plus. En qualité de fiancé de donn’Anna, il était probablement logé dans la maison, puisqu’on a pu l’avertir si promptement. Il aurait pu, au premier bruit qu’il entendit, accourir, et peut-être sauver le vieillard : mais il fallait d’abord qu’il s’ajustât de pied en cap ; et d’ailleurs, il n’aime pas se hasarder à sortir la nuit.

E.T.A. Hoffmann, à peine vingt-cinq ans après la création de Don Giovanni, propose une lecture qui contient déjà tous les futurs stéréotypes - jusqu'à l'amour secret de Donna Anna pour le séducteur. Si, sur ce point, il n'est pas très solidement argumentant, s'appuyant plutôt sur des intuitions romanesques que sur l'observation de la pièce, son interprétation d'Ottavio a quelque chose de séduisant.

C'est aux antipodes de ce qu'on proposait jadis, mais nourrit en réalité le même personnage. Qu'il s'agisse d'un homme mûr ami du père, vaguement apeuré, qui doit être tiré du lit, encore tout dépenaillé, le bonnet sur les yeux, pour être amené sur les lieux du combat ; ou d'un jeune homme choisi par le père, et si fadement coquet qu'il ne sait être brave sans avoir mis son plumet ; en fin de compte, le personnage a quelque chose de peu glorieux, et a intérêt à ne pas arriver à temps sur les lieux. En plus de ne rien risquer, il obtient la sacralisation de la parole du père défunt, que sa fille entreprenait peut-être de faire reprendre.


Cette thèse, qu'il faut bien reconnaître comme un brin psychologisante, va à l'encontre de la source du Burlador de Tirso de Molina, où, au contraire, Octavio était attendu par Isabelle (la première moitié d'Anna, celle qui est surprise par la nuit et non la fille du Commandeur). Et Don Juan, l'ayant appris, ou jouant sa chance, est d'abord pris pour ce promis un peu pressé, comme le rappelle également Anna chez Da Ponte (le récit qui précède Or sai chi l'onore).


Pourtant, rien à faire, la vaillance et la droiture d'Ottavio, maladresse du dramaturge ou trait distinctif de ce drame-là, on ne parvient pas bien à s'en convaincre, romantisme ou pas.



Anton Dermota, galant Ottavio.
Image tirée de Cantabile Subito.


. . . . . . . . . . . Zerlina est sauvée ! Et dans le finale orageux et retentissant, Don Juan s’avance bravement, l’épée nue à la main, au-devant de ses ennemis. Il fait sauter des mains d’Ottavio sa frêle épée de parade et se fraye un passage à travers cette vile canaille qu’il culbute comme le vaillant Roland triomphant de l’armée du tyran Cymork, de sorte qu’ils tombent les uns sur les autres de la manière la plus divertissante.

Ottavio tient d'ailleurs un pistolet à ce moment-là, autre signe de sa faiblesse en valeur virile [1].

C'est l'un des rares moments où la traduction française [2] quitte une joliesse un peu plate pour trouver un relief assez réjouissant. Et Hoffmann, qui délivrait des idées assez servilement soumises à l'évidence du livret dans l'essentiel de cette première partie de la nouvelle, propose ici une intention de mise en scène plus que plaisante pour le final du I. Ce moment est toujours difficile à rendre scéniquement, parce que dans le même temps où Don Giovanni fuit, en fendant une foule pourtant dense et potentiellement hostile, tout doit se figer (grand final oblige, et puis un acteur qui court vers la coulisse n'a pas le temps d'exprimer grand'chose). L'image d'Hoffmann dans cette nouvelle trouve la solution (dans ce qu'il écrit à Théophile) : la présence presque magnétique de Don Juan renverse tous ceux qui, en vain, cherchent à le retenir - différence d'intensité du désir. On résout ainsi le problème de vraisemblance de cette fuite si lente et si facile, tout en donnant de l'épaisseur aux personnages.

Et, accessoirement, Ottavio, comme c'est cette fois-ci le cas chez Da Ponte, s'en reprend une petite louchée.

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Textes tirés du « Don Juan » d'Hoffmann, publié en 1812 (Fantaisies à la manière de Callot).

Notes

[1] D'autres diront en mâle vigueur, mais je n'en sais diable rien.

[2] ici, Henry Egmont, mais c'est valable également pour d'autres,


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Commentaires

1. Le mardi 28 avril 2009 à , par Morloch :: site

La troupe de l'Opéra des lutins est décidément impressionnante avec sa capacité à assurer tous les rôles du même ton assuré.

J'ai trouvé intéressante ta remarque sur la remarque de Donna Anna sur l'Ottavio empressé et sa confusion, cette pièce telle que donnée à l'origine était dans la tête des spectateurs qui devaient connaître Tirso de Molina et Molière (le parent pauvre des notices de disques, le pauvre, dans un monde culturel anglo-saxon, n'a jamais du exister. D'ailleurs, il y a eu une thèse qui nous l'a expliqué, il y a quelques années) .

En ce qui me concerne, je me réfère à la mise en scène du Met, seule maison d'Opéra détentrice d'une réelle légitimité et d'une authentique tradition, Lorenzo da Ponte ayant été conseiller technique (je ne dirai pas metteur en scène) lors de l'introduction de cette pièce à son répertoire. Quelques décennies plus tard, Paul Groves chante ce rôle en paraissant s'ennuyer ferme, c'est donc qu'Ottavio est un personnage ennuyeux. C'est pourtant simple, il suffit de regarder au bon endroit et non dans ces pseudos-reconstitutions de buffa avec Jacobs, Minko et consorts...

2. Le mercredi 29 avril 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Ta bienveillance te perdra. :-) J'ai sorti ça de mes archives pour distraire un peu le lecteur, mais c'était vraiment une plaisanterie. La partie de piano n'a pas été travaillée, et ça se sent...

C'est amusant, plus le temps passe, plus je trouve que le meilleur de ''Don Giovanni'' se trouve dans les deux grands récitatifs d'Anna... Je les ai toujours vénérés, mais c'est au point que la partie bouffe, peut-être trop entendue, me touche moins que celle-ci, aujourd'hui. Il faut peut-être y voir l'effet de long terme de mauvaises fréquentations.

Je dirais bien une perfidie sur le Met, mais tu t'es soigneusement abstenu de toute allusion à une direction d'acteurs ou à une mise en scène dans ton paragraphe. >:-(

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