L'Immolation de Brünnhilde (Inbal 1998, RAI Torino, Secunde, Ronge)
Par DavidLeMarrec, mardi 9 janvier 2007 à :: Carnet d'écoutes - Disques et représentations - L'horrible Richard Wagner :: #487 :: rss
Un parcours initiatique. Quelques extraits fournis.
Je ne suis d'ordinaire pas très sensible à la fin du Götterdämmerung[1] - hormis sa fabuleuse coda, toute de réminiscences condensées, sur laquelle plane le motif de la rédemption. Ce grand monologue présente beaucoup des travers de Wagner tel qu'on le fantasme volontiers : ligne mélodique quelconque, orchestration pléthorique et pachydermique, ambitus démesuré très mal écrit pour la voix. Ces aigus à l'extrême bout de la tessiture, voulus sans préparation, même bien exécutés, sont non seulement inutiles (d'autres aigus plus bas et tout aussi bien sonnants étaient envisageables), mais nuisibles à la compréhension, à la ligne, au naturel. Souvent, l'interprète finit ou par se concentrer uniquement sur la projection et la justesse, ou par brailler légèrement, jusqu'à la suffocation de la chanteuse - et de son public.
Etrange, tant de mélomanes aiment cette scène. Il faut dire que le Götterdämmerung est particulièrement lourdement orchestré, avec ses chorals de cuivres massifs, ses figures plus rythmiques que mélodiques aux cordes et ses bois noyés qui ont dû tant inspirer Bruckner. Comme on est loin des raffinement tristaniens passés ou parsifaliens à venir !
Peut-être est-ce le texte, aussi, qui gêne. Typiquement wagnérien : rien n'avance, un monologue sous forme de ressassement et de la même idéologie, en permanence. Combien cette scène aurait pu être dramatiquement féconde, psychologiquement profonde. Non, rien de cela, on reste dans l'affirmation péremptoire de critères définis à l'avance. Ce qui l'explique sans mieux est sans doute, comme le soulignait récemment Vartan, cette pulsion mortifère qui s'empare de tous dans le Crépuscule, ce qui reste un peu court pour qualifier la chose de chef-d'oeuvre littéraire, mais éclaire - si l'on peut dire - un peu mieux les choix des personnages.
Bien sûr, la mort du petit Siegfried est un drame dans l'existence de tout mélomane : quatorze heures à manger de l'allemand archaïque, à constater la nécessité de sa venue (Rheingold), à le faire naître (Walküre), à le bercer et le surveiller (Siegfried), on en espérait le salut du monde, et voilà que cette tête de linotte du "plus grand des héros" se contente de tuer un dragonnet avant de s'en retourner auprès de ses pères[2]. Malgré tout ce que ce personnage a de bancal, d'incomplet, de falot, la musique prend le pas, et, conformément au projet de Wagner, le temps fait son oeuvre. Siegfried, malgré tout ce qu'il a de peu convaincant, fait partie de notre univers, et la marche funèbre, à ce titre, est terrible.
D'autant plus, je me souviens, derrière les brumes de la version Furtwängler I (Scala 1950), dans une prise de son abominable, derrière un rempart de tousseurs d'avril, avec un orchestre complètement dépassé par l'ampleur de la partition, mais dans une fièvre, avec une poésie, un ton d'une humanité exemplaire. On en ressort quelque peu sonné. Comme c'est désormais libre de droits, je fournis l'extrait en téléchargement (report exemplaire, on dirait un enregistrement récent).
Mais aujourd'hui, surprise en découvrant le Crépuscule donné par Eliahu Inbal avec la RAI de Turin en deux soirées, les 14 et 18 octobre 1998. On trouvait le Siegfried de Stig Andersen, voix blanchie mais attentif au texte, et belle musicalité, un Siegfried engagé - comme on en entend à peu près jamais, donc. Gunther de Siegfried Lorenz, dont la diction claire rappelle sa pratique de liedersänger, Hagen bien connu de Kurt Rydl.
La surprise provient de la Gutrune de Gabriele Maria Ronge, une voix à l'aspect de mezzo, parfaitement intelligible, extrêmement expressive - ce qui n'arrive, ici encore, jamais. Captée de très près, on gagne beaucoup en précision des affects.
La direction d'Eliahu Inbal favorise particulièrement les timbales très incisives, et fait entendre chaque pupitre de l'orchestre avec un très grand bonheur. A placer aux côtés des grandes réussites : Solti/Vienne pour le spectaculaire, Furtwängler/Scala pour la poésie, Kubelik/Met[3] pour la tension.
Le choeur la Ceca (?) est absolument exemplaire, d'une plénitude de son comme je n'en ai jamais entendue ici. Point de hordes braillardes, mais des esthètes - mieux, des solistes.
Et bien sûr Nadine Secunde. Pour la première fois, j'ai réellement été séduit par ce monologue. Je savais qu'elle chantait désormais les rôles dramatiques (Elektra à Amsterdam en avril 2006), mais pas à ce point ! Et quel peut être l'état de cette voix assez douce, après plusieurs années de ces rôles destructeurs ? Je l'imaginais assez abîmée, acidifée, un vibrato accru, mais surtout des angles ébréchés.
Nadine Secunde a d'abord été une soprane lyrico-dramatique, une Chrysothémis (Elektra d'Ozawa, chez DG), une Sieglinde (Walküre de Barenboim, au disque et au DVD), aux lignes élancées plus qu'à la diction précise, mais toujours intelligemment attentive à son personnage. Il faut toutefois reconnaître que son premier attrait demeurait l'étoffe assez engageante du timbre, la fluidité du phrasé.
La voix est fatiguée, exactement de la façon dont je l'envisageais. Vibrato augmenté, justesse difficile à maintenir, non pas à cause du soutien, mais des infractuosités de la voix, vernis abîmé. Justement. Brünnhilde est ici une femme qui a vécu, une femme éprouvée, sa voix malmenée se dresse fièrement au-dessus du bûcher qu'elle appelle.
Chaque mot est porté avec constance, assené distinctement. Et, surprise, les aigus sont assurés avec douceur (et non, comme on aurait pu le deviner, par des cris). Même la seconde partie du monologue est ainsi délivrée avec une grande probité technique, sans raideurs, et surtout une vérité de l'incarnation assez incroyable dans un contexte vocalement aussi hostile.
Une grande leçon à toutes les techniciennes les plus aguerries, qui noient ce monologue sous un déluge de splendides voyelles pas toujours très chargées en sens. Même Evelyn Herlitzius, qui tâche toujours, par delà les délices de sa voix fruitée et l'aisance de sa prestation technique[4], à esquisser quelque attitude en accord avec le livret, est bien loin de produire un tel effet.
Pour témoignage, je laisse ici la fin de l'opéra dans cette version. Comme ces interprètes n'ont jamais enregistré l'oeuvre sous aucun label, je me permets de vous le proposer directement, ce qui me facilite techniquement la tâche.
La prise de son très proche favorise la perception de la moindre intention, et c'est ici réellement un plaisir. Avec un tel soutien de la part du chef, avec un tel souci de bien dire ce qui est écrit, l'état de la voix, par ailleurs agréable, n'apparaît que bien secondaire.
Alberich est tenu par l'omniprésent Gunther von Kannen. Ayant écouté les actes à rebours (si on commence par le premier, on n'arrive jamais à la fin), je ne peux pas encore parler de l'appétissante Waltraute d'Iris Vermillion.
Notes
[1] C'est-à-dire "Le Crépuscule des Dieux" (Wagner).
[2] Au fait, si quelqu'un connaît l'adresse du cercle où réside M. Siegmund, je suis preneur.
[3] Enregistrement inédit, seulement radiodiffusé à l'époque.
[4] On devine néanmoins que rapidement un large vibrato risque de la ternir, logiquement puisqu'elle tient les rôles les plus inconfortables du répertoire, inchantables sans dommage par un être humain.
Commentaires
1. Le mercredi 10 janvier 2007 à , par Laurent :: site
2. Le mercredi 10 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 10 janvier 2007 à , par Bajazet
4. Le mercredi 10 janvier 2007 à , par Bajazet
5. Le mercredi 10 janvier 2007 à , par Bajazet
6. Le mercredi 10 janvier 2007 à , par Xavier :: site
7. Le jeudi 11 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec
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