The Mireille effect
Par DavidLeMarrec, mardi 26 juillet 2005 à :: Portraits - Disques et représentations :: #68 :: rss
Mireille Delunsch a un statut étrange dans le panorama lyrique contemporain.
Après de longs débuts dans un univers purement local, elle se représente à présent sur les plus grandes scènes françaises - sans toutefois chercher à "se vendre" à l'étranger. Son ascension a été vertigineuse, depuis quelques disques de Gluck jusqu'aux scènes d'Aix et de Paris dans des rôles où la concurrence est, au moins historiquement, la plus dure (les tubes verdiens et mozartiens). La critique lui est favorable, et a suivi sans broncher ces remarquables promotions.
Les lyricomanes anonymes sont souvent plus réservés, lui reprochant une faible projection et des carences techniques. Tout le débat a fini par se cristalliser autour de sa Traviata aixoise (2003 interrompue, et repise en 2004).
C'est pourquoi je me propose d'en faire l'écho autour de l'étude de la fin de l'acte I.
De toute évidence, les possibilités techniques sont limitées. On remarque facilement :
- le souffle court qui pousse à l'accentuation du -ci de "vortici"
- certains aigus inachevés, "pointus", plus ou moins justes
- la vocalisation à plusieurs reprise savonnée
- toujours dans la vocalisation, des notes aiguës non "attrapées", qui manquent purement et simplement.
Pourtant, une tension très forte parcourt l'ensemble. Mireille Delunsch a l'art de tenir son vibrato varié, qui colore une redite, mène à la fin d'une phrase, sans aucun systématisme, avec une grand intelligence, et, pour le coup, une maîtrise technique remarquable de son phrasé.
Chaque répétition d'un membre de phrase est réalisée différemment, et par là même incarné de façon complexe, progressive - bâtie de façon à révéler l'évolution de facettes d'une même situation, voire d'un même sentiment. Des éclairages fugitifs se juxtaposent alors avec une grande justesse, mise en évidence esthétique de sous-conversation interne au personnage, avec un résultat assez édifiant de pertinence.
Sans compter un goût très sûr, avec un travail sur le personnage au sein des phrasés et de la nuanciation, jamais par des effets. On notera ainsi - avec ravissement - les piani flûtés qui accompagnent la répétition mal assurée du personnage, défiant mais avec timidité.
La barrique de coulis sur la pièce montée étant ce délicieux accent alsacien en italien, absolument craquant (Croci delizio al cori)...
Cette maîtrise assez vertigineuse de la conception théâtrale de l'interprète Delunsch entre en contradiction avec la Légende, de mon point de vue. En me repenchant sur les témoignages Callas (tout particulière Ghione 58, au San Carlos de Lisboa), j'ai remarqué :
- Une voix extrêmement puissante, un phtysique-ogresse.
- Des manières assez affectées : le personnage est soutenu par des attitudes, des effets juxtaposés, qui ne construisent pas une psychologie cohérente ou même simplement convaincante, car très stéréotypée.
- Dans Fors'è lui ch'è l'anima, on remarque de nombreux mouvements de sforzando (là où Mireille Delunsch fera un morendo), ce qui me semble assez incompatible avec la dimension onirique et hésitante de l'épisode.
- Les aigus ajoutés et tenus prolongées (y compris de Kraus dans le Sempre libera, alors qu'il est censé chanter pour lui-même, voire être l'émanation d'un rêve ingénu !), moyens de démonstration qui sont bien peu en relation avec la crédibilité d'un personnage, surtout phtysique. On ne demande surtout pas une incarnation réaliste - sinon ce n'est plus une représetnation artistique, codifiée -, mais le verbe demeurant le verbe, des phrasés pas forcément plus brefs mais moins ostentatoires seraient bienvenus.
Piétiner les anciennes idoles pour en ériger de nouvelles n'a aucun sens. Simplement, en ayant par pur hasard écouté les deux captations à la suite, le décalage entre leur réputation et leur pertinence m'a fortement ébranlé.
David - mireillistemanifestementforcené
Commentaires
1. Le lundi 6 mars 2006 à , par Sylvie Eusèbe
2. Le mercredi 8 mars 2006 à , par DavidLeMarrec
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