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Le disque du jour - XXVI - Elisabeth Jacquet de la Guerre, Pièces de clavecin - Carole Cerasi

Ce corpus est décidément le favori des lutins pour l'instrument. Une main gauche chantante ; des ornements [1] très abondants, mais toujours aux points les plus expressifs de la ligne, jamais gratuits ; des progressions harmoniques raffinées. On se situe quelque part entre les micromodulations de Lully et l'abstration un peu sévère de Louis Couperin.

Il existe quatre suites dans le Premier Livre de Pièces de clavessin paru en 1687, tôt dans la carrière de Jacquet de la Guerre. Son célèbre opéra Céphale & Procris ne voit le jour qu'en 1694, et l'essentiel de sa production date du début du XVIIIe siècle. De ces quatre suites, les trois premières, seules présentes sur ce disque, sont dans des tonalités mineures, qui commencent à être mieux en cour à cette époque - l'oeuvre de Louis Couperin en atteste aussi. Les possibilités expressives et musicales, l'ambiguïté des altérations apportées par le mode mineur sont des richesses dont ne se prive certes pas la compositrice, et ces pièces n'ont rien de la monotonie un peu proprette de bien des compositions instrumentales en mineur du temps.
Chaconne « L’Inconstante » de la première suite exceptée, aucune pièce ne porte de titre. Nous ne sommes pas dans le pittoresque façon François Couperin ou Rameau, mais bien dans de la musique sérieuse, organisée de façon assez canonique : Prélude - Allemande - Courante I & II [sic] - Sarabande - Gigue - 1 ou 2 Danses (Gigue II, Cannaris, Gavotte, Chaconne) - Menuet. Comme chez Louis Couperin, une fois encore.

Carole Cerasi interprète sur un clavecin superbe (un Ruckers [2] de 1636, riche et limpide) avec une belle mesure de ton et une noblesse hors du commun. L'inégalité est réduite à un petit trébuchement pas du tout bondissant, les tempi sont retenus, les agréments absolument intégrés à la ligne mélodique, et d'une grande diversité d'exécution (plus ou moins détachés, plus ou moins vifs...). Ce sérieux apparent est cependant au service d'un ton méditatif, intime et très chaleureux.

Une référence.

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Extraits commentés :

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Notes

[1] au sens large actuel

[2] Ce n'est pas sot du tout, car à la mort de la compositrice on avait précisément trouvé, entre autres claviers, un double flamand.


L'Allemande de la Suite en ré mineur (première suite). On y retrouve à merveille ce que l'on disait de la surcharge ornementale, de l'intégration aussi. La main gauche effectue toujours des montées et descentes, mais occupe beaucoup un espace assez aigu, qui vient faire contrepoint à la mélodie, s'immiscer avec insistance en apportant des hésitations harmoniques (un fa dièse qui traîne en ré mineur, à la troisième mesure...). Quitte à laisser la pulsation en suspens, puisqu'il est impossible au clavecin d'obtenir un effet de pédale organistique ou pianistique.
Un bijou. A part l'allemande de la suite en la de Rameau, quelle autre pourrait s'y comparer dans le répertoire français ?




La grave Chaconne de la Suite en la (troisième suite), dans le grave du clavier (le début de la main droite est écrite en clef de fa), pour des sonorités peu usitées au clavecin en dehors de François Couperin dont c'est l'un des ''hobbies'' récurrents. Carole Cerasi lui procure un caractère tourmenté et engagé assez étonnant. On entend très bien la poussée dont elle est capable pour tenir en éveil son auditoire...



Ici également, on n'a pas grand exemple de chaconne qui s'approche de cette qualité-là. Pour achever plus joyeusement, la Chaconne en ré majeur de la Première Suite (en ré mineur), avec un escamotage assez caractéristique, chez Jacquet de la Guerre, de la basse : sur le premier temps, ou la basse se retrouve dans le médium grave avant une note ornementée ou plus grave, ce qui lui ôte son poids, ou elle se tait tout simplement. De ce fait, la force du deuxième temps de la chaconne se révèle naturellement, sans que le claveciniste ait à forcer sont talent.
Mais on admirera tout de même le noble galbe de la ligne de Carole Cerasi, son élégance franchement exemplaire.



D'autres oeuvres et disques de clavecin sont commentés sur Diaire sur sol qui a repris du service.


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Commentaires

1. Le lundi 26 janvier 2009 à , par vartan

Une main gauche qui saisit l'auditeur pour l'emmener loin dans le grave, et le laisser rêveur. C'est mon disque de clavecin favori. Belle mission que de défendre cette éternelle jeune femme. On ne louera jamais assez Madame de la Guerre.

2. Le lundi 26 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

J'ai passé une partie de ma matinée à l'écouter, la fin de la matinée à en parler ici, et une partie de l'après-midi à le jouer...

C'est admirable, vraiment.

3. Le mardi 27 janvier 2009 à , par Jorge

Je me souviens d'une écoute rapide sur l'I-Pod de Vartan avec émotion... J'ai pu dignement écouter ces œuvres depuis et je dois bien avouer que la suite en ré est un sommet du répertoire pour clavecin de l'époque. Dramatique sans lourdeur, dense en étant dansant et vigoureux sans violence. Je suis toutefois plus réservé sur les autres suites mais, peut-être, est-ce parce que je suis plus sensible aux tonalités mineures ?
Cesari est parfaite même si j'ai pu la trouver, dans ses précédents disques, un peu trop dans la retenue. Et comme mentionné, clavecin superbe (primordial pour le confort d'écoute).

4. Le mardi 27 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Mais toutes les suites de ce disque sont en mineur ! La seule suite de ce Premier Livre qui soit en majeur n'a pas été enregistrée par Cerasi. Je suis d'accord pour préférer nettement la Suite en ré mineur, cela dit. (C'est aussi la plus intéressante à jouer, même la Chaconne de la Suite en la mineur est un peu moins consistante.)

Bien content que tu me rejoignes sur ce sentiment admiratif...

Oui, la qualité de timbre de clavecin, c'est important, puisque faute de variations d'intensité, il reste toujours identique ! Mieux vaut alors qu'il ne soit ni trop riche (fatigant), ni trop aigrelet (nudité un peu lassante), ni bien sûr acide (calvaire auditif). Surtout avec les prises de son très proches utilisées pour les oeuvres de clavecin ; dans l'espace d'une salle, ça ne gêne pas du tout.

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