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Richard STRAUSS, Elektra : guide express

La liste discographique. Les trois seules versions intégrales au disque. Le problème de sens des coupures. Ecouter la version Sawallisch 1990 en intégralité. Nos versions favorites.



Rose Pauly, Elektra formidable régnant sur les années trente.



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1. Le problème

CSS s'est déjà abondamment plaint, à de nombreuses reprises, des coupures (souvent meurtrières pour le sens dont on peut trouver une liste ici), en particulier chez Richard Strauss.

La question est simple : dans une oeuvre courte comme Elektra (Salome échappe heureusement au phénomène), comment disposer de l'intégralité de la partition, sans des coupures qui affaiblissent le texte, écourtent de beaux instants, ménagent des transitions arbitraires ?

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2. Considérons une liste (indicative) des versions.
  • 1937 - Artur Rodzińsky (version abrégée de moitié)
  • 1944 - Hans Schmidt-Isserstedt (souvent attribué à Eugen Jochum) => coupée
  • 1947 - Thomas Beecham => coupée
  • 1949 - Dimitri Mitropoulos => coupée
  • 1951 - Dimitri Mitropoulos => coupée
  • 1952 - Fritz Reiner => très probablement coupée
  • 1953 - Richard Kraus => très probablement coupée
  • 1953 - Kurt Schröder => coupée
  • 1955 - Karl Böhm => coupée
  • 1957 - Dimitri Mitropoulos => coupée
  • 1958 - Rudolf Kempe => très probablement coupée
  • 1958 - Dimitri Mitropoulos => coupée
  • 1960 - Karl Böhm => coupée
  • 1964 - Herbert von Karajan => coupée
  • 1965 - Karl Böhm => coupée
  • 1966 - Knud Anderson => probablement coupée
  • 1967 - Georg Solti => intégrale
  • 1969 - Leopold Ludwig => très probablement coupée
  • 1971 - Carlos Kleiber => probablement coupée
  • 1971 - Fritz Rieger => très probablement coupée
  • 1971 - Wolfgang Sawallisch => intégrale
  • 1973 - Karl Böhm => coupée
  • 1977 - Karl Böhm => coupée
  • 1977 - Carlos Kleiber => probablement coupée
  • 1980 - James Levine => probablement coupée
  • 1981 - Karl Böhm => coupée
  • 1984 - Christoph Perick => probablement coupée
  • 1988 - Seiji Ozawa => coupée
  • 1989 - Claudio Abbado (DVD) => coupée
  • 1990 - Wolfgang Sawallisch => intégrale
  • 1990 - Jeffrey Tate => coupée
  • 1995 - Daniel Barenboim => coupée
  • 1995 - Friedemann Layer
  • 1995 - Giuseppe Sinopoli => coupée
  • 2003 - Christoph von Dohnányi (DVD) => coupée
  • 2005 - Semyon Bychkov => probablement coupée


On imagine donc aisément l'investissement, pour quelques minutes supplémentaires, dans un matériel d'orchestre, plus rare, plus performant, plus onéreux, et le temps perdu pour la mise en place de passages qui de toute façon ne manquent à à peu près personne...

Sans faire de procès d'intention, on peut imaginer dans les versions d'avant 1970 que nous n'avons pas écoutées qu'il n'existe à peu près aucune véritable intégrale. En tout cas, si nous avons rencontré plusieurs 'leçons' différentes pour les coupures, jamais rien qui corresponde au texte intégral de la pièce. Même récemment, la denrée est exceptionnelle.

Les duos avec Chryso, que nous tenons à notre goût personnel pour le plus touchant de l'oeuvre (plutôt que la Reconnaissance, par exemple), ont assez mauvaise presse - pas assez absolus et violents, semble-t-il -, et on comprend bien qu'on est alors tenté d'écourter leur inutile bavardage. Cependant, le second duo, toujours coupé de moitié, perd à plusieurs titres :
- structurellement parlant, il s'agit de la réponse à l'arioso d'espoir de Chrysothemis dans le premier duo, une réponse où Elektra déploie une autre vision de la famille - non pas libre et égoïste pour l'alliance à un mari, mais servile et héroïque pour le sang ;
- musicalement, la tentative d'Elektra de convaincre Chrysothemis ne se limite pas à une simple proposition négligemment jetée ; tous les anneaux de sa persuasion se déploient sur la longueur et dans les figures utilisées, bousculées et même perdues dans les coupures.

Par ailleurs, les coupures sont également fréquentes dans la scène de Clytemnestre.

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3. Mais alors, quelles intégrales véritables ?

Il n'existe donc que trois versions intégrales publiées au disque : Solti et les deux Sawallisch - deux chefs réputés pour leur intransigeance sur ce chapitre.

Sont-elles satisfaisantes ?

  1. Solti 1967 (studio ; Nilsson, Collier, Resnik, Stolze, Krause ; Philharmonique de Vienne ; Decca)
    • Le problème est ici l'incarnation (ou plutôt son absence) par Nilsson, comme à son accoutumée très distante, et d'une diction relâchée au point de ne produire à peu près que des voyelles indifférenciées, ce qui nuit beaucoup à la variété des couleurs et à la présence de l'interprétation. Vraiment frustrant, au point de nous faire préférer les versions coupées, sans guère revenir à celle-ci. Mais les sympathisants de Nilsson (et les infâmes glottolâtres) pourront tout à fait y trouver leur compte - c'est alors Collier qui est décriée comme pas assez engagée, un comble...
  2. Sawallisch 1971 (sur le vif ; Nilsson, Bjoner, Cortez, Timo Callio, Stewart ; RAI Roma ; Opera d'Oro)
    • Nous n'avons pas écouté ce témoignage (et ne l'avons pas projeté...), mais en principe, Sawallisch n'effectuait pas de coupures à cette date non plus. Si la Klytämnestra de Viorica Cortez et l'Oreste de Thomas Stewart tentent fortement, on reste assez peu engagé devant la perspective d'un duo Nilsson / Bjoner (dont la voix aigre n'est pas spécialement recommandable ici). La RAI de Rome, de plus, à cette époque, n'était pas spécialement le meilleur orchestre d'Europe, pour exprimer les choses poliment.
  3. Sawallisch 1990 (studio ; Marton, Studer, Lipovšek, Hermann Winkler, Weikl ; Radio de Bavière ; EMI)
    • Une très belle direction, comme toujours très tenue chez Sawallisch (avec la prise de son EMI comme à l'accoutumée assez opaque), qu'on aimerait parfois plus emportée, mais sans la moindre indolence. Bernd Weikl se distingue en particulier en Oreste, puisque le couple Éva Marton / Cheryl Studer, bien qu'expressif et parfaitement adéquat, surprend un peu moins - elles ont fait mieux dans d'autres rôles, et d'autres ont fait, individuellement dans des versions coupées, plus urgent. Cela reste une des plus belles versions modernes, et la seule intégrale à se soutenir indépendamment de son atout d'exhaustivité. Les moments lyriques associés à Electre sont fortement aboutis, avec une reconnaissance d'Oreste particulièrement touchante et un persiflage devant Egisthe très arabellien.
    • Recommandée (reparue en collection économique chez EMI tout récemment). Attention, il existe des allergiques à la voix (très percutante, au vibrato juste mais important) d'Éva Marton


De surcroît, la présentation s'est faite moins personnalisée et plus avenante : devenant .

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4. Vérifier le dogme de l'infaillibilité des lutins ex cathedra

Il est possible de vérifier nos dires en écoutant le studio de Sawallisch sur Musicme.com.

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5. Autres versions chouchoutes de CSS

On peut se contenter de citer pour ce soir Beecham 1947, Rodzińsky 1937 (abrégée), Mitropoulos 1957, Schmidt-Isserstedt 1944 et Mitropoulos 1951, faute de temps pour les présenter. Attention tout de même, soyez prudents, en particulier pour Mitropoulos 1951 qui est une déroute (électrique et jubilatoire) pour l'ensemble des protagonistes.

Dans une moindre mesure, Dohnányi (DVD), Ozawa et Barenboim sont de très bonnes versions modernes, mais à ce compte-là, on peut tout aussi bien profiter de l'intégralité de Sawallisch 1990.


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Commentaires

1. Le mercredi 10 décembre 2008 à , par Morloch

Merci, c'est intéressant. Je trouve frappant qu'il y ait relativement peu d'enregistrements publiés, à toutes les époques.

Une question idiote, sur les enregistrements des années 30, on a des commentaires de Strauss ?

2. Le jeudi 11 décembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Trente lectures en moins d'une journée, la facilité discographique suscite manifestement l'intérêt. Mais nous ne cèderons pas. (Enfin, il y aurait bien un petit point à faire qui est prévu pour Elektra.)

Relativement peu d'enregistrements ? Ca fait tout de même trente-sept (je ne parle que des CDs d'intégrales commercialisés). C'est plus que pour le Vaisseau Fantôme et Tannhäuser, quasiment autant que pour Lohengrin.

Ce n'est pas si mal que cela.

En revanche, assez peu de publications de représentations ou de studios récents par rapport à Wagner qui a une véritable fortune, notamment au DVD.


Sur les enregistrements des années trente ? Sans nul doute. Cherche bien. :)

3. Le jeudi 11 décembre 2008 à , par Morloch

Bien, je vais enquêter sur ce point.

Le sympathique Richard n'a pas pu tenir sa langue dans sa poche, je l'imagine bien :)

4. Le mercredi 14 janvier 2009 à , par Morloch

Mon enquête a abouti sur des recommandations de Riccardo Strauss à Rose Pauly " il ne faut pas lutter contre l'orchestre", j'en ai déduit qu'il aimait bien.

Mais, heureusement, avec l'aide d'un complice, j'ai pu écouter cette demi-Elektra de 1937 et j'en suis encore tout retourné, et je ne peux que remercier le tenancier de ces lieux de sa recommandation.

Rose Pauly rulz.

Incroyable d'engagement, d'incarnation du personnage d'une façon presque expressionniste mais avec un soin vocal bluffant et une prononciation impeccable, c'est d'une autre époque mais ça me semble n'avoir aucun équivalent dans ce qui a été fait après guerre, et paradoxalement d'une grande modernité (ouah, ça, c'est une phrase avec de la pensée esthétqiue dedans). Merci merci merci. Intrigué par plein de versions maintenant, Beecham et Sawallisch.

5. Le mercredi 14 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Tiens, ça recoupe donc la recommandation à l'orchestre lors de la création : Plus fort ! J'entends encore Madame Schumann-Heink ! Peut-être plus une recommandation de confort que de style, alors ?

J'ai presque fini une discographie commentée d'Elektra, et oui, je confirme, on ne trouve pas cela après. Le format plus léger Pauly / Schlüter n'existe plus après les années quarante. Les deux ont en commun une diction extraordinaire. Et il faut bien reconnaître qu'ensuite, c'est plutôt le format hurlant qui triomphe. Borkh, c'est magnétique et débordant d'énergie, mais pour la diction, je crois que c'est manqué. Certes, il reste Varnay (qui est magnifique avec Reiner en 52), mais avec Karajan en 64, c'est le reste qui ne suit plus.

Sinon, je n'ai pas connaissance de témoignages depuis avec des vraies diseuses précises.

Peut-être Secunde, qui l'a chanté à Amsterdam en 2005, mais sept années ont passé depuis sont Götterdämmerung de Turin (avec Inbal), et je n'ai pas pu me déplacer pour constater où en étaient les choses.

6. Le vendredi 23 janvier 2009 à , par Morloch

Après mes petites découvertes Rose Pauly, je suis intrigué par Maria Jeritza.



Qu'est ce que Strauss a bien pu lui recommander ? Le suspens est insoutenable.

7. Le samedi 24 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Si j'en juge par la photographie, elle a mal compris sa recommandation de bien hydrater sa voix.

Elle s'est tout de bon fait arroser.

8. Le dimanche 10 novembre 2013 à , par DavidLeMarrec

Pour information, deux versions intégrales (je veux dire sans coupures) ont paru depuis la publication de cette notule :

=> Gergiev (Charbonnet, Denoke, Palmer, Goerne), pas recommandée du tout (molle et pas toujours bien chantée).

=> Bychkov (Polaski, Schwanewilms, Palmer, Grundheber), une des plus belles versions de la discographie.

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