Difficile exposition en tant qu'autorité compétente
Par DavidLeMarrec, vendredi 30 décembre 2005 à :: Vaste monde et gentils :: #132 :: rss
En écho à Philippe[s][1], qui évoque la savoureuse culture sélective des présentateurs du journal de la culture d'Arte, je confierai[2] que j'ai entendu quelque chose de semblablement cocasse sur France Inter, dans l'émission 2000 ans d'Histoire.
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Notes
[1] Les crochets ne passent pas sous Dotclear... Edit : Siiii ! Merci Christian !
[2] Si l'on retire les oeufs, action traditionnelle de fin d'année pour qui aime faire la cuisine soi-même.
Il s'agissait de démonter certaines idées reçues sur le Moyen-Âge. Passons sur le fait que l'historien invité ne m'a guère convaincu, en laissant passer dans sa démonstration bon nombre de poncifs relativisables, ce qui ne donne pas véritablement envie de se procurer l'ouvrage. Mais le présentateur, Patrice Gélinet, a sorti cette merveille, pour rappeler que le Moyen-Âge était tout de même violent :
Il faut rappeler que Simon de Montfort a dit lors du siège de Béziers cette phrase terrible : "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens."
Cette phrase est amusante à plus d'un titre.
- D'abord, dans une émission historique, elle commet une erreur factuelle importante qui dénote une méconnaissance de la période à laquelle il est fait allusion. C'est à Arnaud Amaury, légat du pape, qu'est attribuée cette phrase. Cette précision est importante pour deux raisons
- Factuellement, Simon de Montfort n'était pas présent, et n'était pas alors le maître des opérations. On ne sait pas quelle aurait été son attitude.
- Le légat Arnaud Amaury venait après Pierre de Castelnau, qui, après avoir averti Raymond VI de Toulouse, a été assassiné le 15 janvier 1208 sur la route du retour par un des écuyers du susnommé. Le légat est canonisé dans la foulée par Innocent III qui, constatant l'impuissance de Dominique Guzman (futur saint Dominique) à ramener un ordre suffisant par ses prédications (un brin alarmistes) et l'échec de la négociation directe avec le comte de Toulouse - qui devra faire pénitence de son crime devant Saint-Gilles - lance la croisade. Innocent III était un spécialiste de la croisade, et il avait déjà en 1203-1204 imposé un impôt exceptionnel vidant les troncs, pour la fameuse Quatrième Croisade qui s'arrêta à Constantinople. Dans ce contexte, la hargne d'un légat du pape contre une ville du Vicomte de Carcassonne, vassal direct du Comte de Toulouse, prend plus de profondeur.
- Ensuite, la phrase provient d'une source très postérieure, d'une relecture vraisemblablement apocryphe des événements, destinée à mettre en lumière la cruauté à l'oeuvre dans le sac de Béziers, sans merci pour les chrétiens conformes au dogme alors même qu'il s'agissait d'une croisade contre des hérétiques. Personne ne nie la violence extrême de cette prise, et la citation imaginaire était le moyen de la représenter de façon frappante - avec le succès que l'on sait. Nul doute qu'il y a là aussi un peu de propagande locale, et toujours volontiers entretenue par les éditeurs du "Pays Cathare" d'aujourd'hui.
Bref, même si le fond de la phrase n'était pas inexact, et avait la force de la concision, pour une émission historique, et qui plus est dans une spéciale destinée à dénoncer les mensonges, inexactitudes et légendes sur le Moyen-Âge, voilà qui est cocasse. Cela n'a pas été relevé par l'historien, par ignorance de ce domaine précis (ce qui n'est pas nécessairement scandaleux non plus) ou par manque de temps. J'ai cru sentir une hésitation, mais peut-être l'espérais-je.
Eh oui, il n'est pas facile de représenter une autorité compétente, on a toujours le risque d'être pris en défaut !
Commentaires
1. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par Inactuel
2. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par kfigaro
3. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par Philippe[s]
4. Le jeudi 12 janvier 2006 à , par DavidLeMarrec
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