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Noli me tangere - Correggio

Quelques impressions sur ceci :

Il serait mentir que prétendre que ce qui séduit ici d'emblée n'est pas lié à ces teintes sublimes, à ces verts troublants. La reproduction fournie ne permet pas d'en juger, hélas - je laisse (lâchement) à votre charge de le vérifier sur un meilleur support.

Noli me tangere ("Ne me touche pas") du Corrège est conservé au Prado. Il représente, on s'en aperçoit aisément, l'apparition du Christ à une femme, que l'on peut vraisemblablement identifier à Marie de Magdala.

La scène d'apparition se déroule hors des lieux connus (pas de tombeau, pas de pierre, pas d'assistants), si l'on excepte une énigmatique cité qui pointe au loin, derrière les collines. La représentation se partage entre l'intemporel drapé, qui, d'une teinte inhabituelle pour un suaire, rappelle les ports à l'antique - un drapé décolleté, en quelque sorte -, entre le costume de cour de Marie, et la cité, la hache, qui évoquent une réalité plus quotidienne et contemporaine - bien que l'on puisse aisément gloser sur l'appartenance chronologique de la hache.

A partir de cette scène, une étrange transposition sylvestre de la première apparition après la Résurrection, quelques éléments retiennent l'attention.



La main qui arrête, selon le titre, n'est pas particulièrement mise en valeur. C'est plutôt une ligne de force verticale qui est créée par le rapport de cette main avec la main gauche, élevée, indiquant le Ciel, le terme fixé, le but. Cette interdiction tactile ne prend ainsi son sens qu'avec sa visée sur l'au-delà. Cette posture est habilement renforcée par la présence de l'arbre, à droite du tableau, qui en renforce la 'vectorisation' ascendante.

Avec ces gestes, matériellement, il ne serait pas possible de tenir debout, mais le peintre semble avoir réalisé la synthèse de deux attitudes théoriquement successives ("ne me touche pas" ; "c'est vers là-haut qu'il faut tendre"), ce qui,

  • d'une part, renforce l'aspect de songe que revêt l'apparition surnaturelle, surhumaine, qui prouve l'identité du Messie et,
  • d'autre part, crée une diagonale que suit le regard de Marie-Madeleine, selon la ligne des bras, ouvrant à cette âme si humaine une ligne de Rédemption qui n'est pas la voie transcendantale, mais celle du repentir, du chemin sinueux mais constant, de cette route qu'indique Celui qui sera désormais le Pasteur de l'Alliance Nouvelle.

De même, les mains droites et les pieds des deux personnages représentés sont identiques, ce qui, outre le trait propre au peintre, semble indiquer les marques de l'expiation et de la Rédemption - puisque c'est de cette dialectique que nos sociétés sont pétries, et que le dogme précise bien que le sacrifice de l'Agneau-Christ, à l'exemple d'Isaac, est le sacrifice du pur pour laver la souillure de tous les coupables.

Si bien que l'on assiste à un renversement des attributs du personnage féminin. Vêtu d'une robe étincelante à l'arge échancrure, les cheveux défaits, ce qui redit sa condition de pécheresse est, à chaque instant où le regard parcourt le tableau, nié : richement vêtue, mais pieds nus, et les cheveux qui ont jadis essuyé les pieds du personnage qu'elle contemple, parfumés non pour pécher, mais pour servir. Surtout, la chevelure purifiée, non plus charme de la courtisane, mais arme de la pénitente, cache l'échancrure qui pourrait encore être un gage d'appartenance aux appétits terrestres. Tout dans la représentation contredit la magnificence de la mise, tellement déplacée dans cette forêt salvatrice. Par la discordance entre son appartenance sociale apparente et les détails du repentir et de la dévotion, tendant désespérément la tête pour apercevoir l'apparition, Le Corrège parvient ainsi à faire parvenir dans une représentation figée tout une psychologie et tout un dogme.


Pour finir, le Christ a une partie de son visage étrangement occultée par ses cheveux. Recherche subtile ou coïncidence ? Voilà qui reprend l'idée que Marie de Magdala reçoit de façon fragmentée cette présence, et perçoit essentiellement la dimension terrestre, cette moitié de face qu'elle voit. Mais c'est sans doute plus une mise en abyme du spectateur, qui doit être conscient qu'il ne peut saisir qu'une partie des mystères de l'au-delà, qu'une signification de ce que par cette dimension elle accèderait au salut, en suivant la part humaine, quand bien même les Mystères canoniques ne seraient à peine imaginés. Les mécènes n'étaient pas nécessairement schismatiques... La face trinitaire, divine de ce Christ-là est bien masquée, mais plutôt dans un appel à l'humilité face aux merveilles promises et inconnues.



Il reste cependant quelques points obscurs :

  • Pour la hache, à part une allusion peu discrète au Jugement Dernier et à sa juste rigueur, pour les âmes glacées qui ne seraient pas édifiées, je ne vois pas.
  • La cité au loin n'est vraisemblablement pas des seuls fins esthétiques. S'agit-il d'une représentation de l'exil de la foi (par rejet ou par nature?), repoussée loin du vacarme des hommes et de leur surdité à l'appel ? Ou d'un ancrage dans le Réel qui doit rappeler au fidèle qu'il est lui aussi concerné - bref, une participation au caractère édifiant de la scène ? Cette seconde hypothèse rejoindrait les suppositions faites plus haut, mais de là à l'affirmer au moyen de cette seule justification...



David - suppositoire


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Commentaires

1. Le mercredi 8 juin 2005 à , par Philippe[s] :: site

Je tente une explication de la hâche:
Il faut rappeler que Marie Madeleine prend au premier abord Jésus pour un jardinier (beaucoup de peintres l'ont représenté avec des attributs de ce métier). Le Corrège situant la scène dans la forêt, il fallait qu'il transpose l'état de jardinier. La hâche symbolise donc la cécité première de Marie-Madeleine face à Jésus qu'elle prend pour un bucheron (dans la forêt), elle joue le rôle de l'instrument (une binette?) que tient Jésus à la main dans le tableau du Titien.

2. Le jeudi 9 juin 2005 à , par DavidLeMarrec

Merci Philippe[s] !

Vous voici à nouveau lumineux !

jardinier => forêt => bûcheron
Je n'avais absolument pas saisi, mais comme vous êtes là, je saurai en profiter.

David - débiteurjoyeux

3. Le vendredi 10 juin 2005 à , par Philippe[s]

Mais êtes vous sûr qu'il s'agisse bien d'une hache, et pas d'une pelle, d'une binette ou d'un instrument du même type?
Bien qu'ayant visité le Prado, je ne me souviens pas de ce tableau. Mais l'agrandissement d'images trouvées sur Google me fait douter de l'identification de la hache.

4. Le vendredi 10 juin 2005 à , par DavidLeMarrec

"Mais êtes vous sûr qu'il s'agisse bien d'une hache, "

Non...

David - catégorique

5. Le mercredi 29 juin 2011 à , par tutti magazine :: site

Ce peut être un pêcheur aussi: il sera alors un débiteur de poissons!
Mais je ne sais pas si j'ai bien compris tout le jeu...

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David Le Marrec

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