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Christophe Barbier - Une histoire de la Comédie-Française


1. Le principe

Ce texte est joué ces temps-ci aux lieux mêmes dont il est question. Attention, le titre est trompeur, ce qui peut causer (ce fut mon cas) un brin de frustration au début : ce n'est absolument pas une Histoire organisée et lisible, le but de cette pièce n'est pas d'instruire le public.

En réalité, il s'agit d'une collection d'anecdotes colorées, qui donne la parole aux grandes figures de la Comédie, pour qu'ils se racontent de façon souvent truculente. Lorsqu'on accepte que l'on assiste à une succession de sketches, assez amusants et très virtuoses, dont l'objet n'est pas de transmettre le savoir mais de divertir, on passe véritablement un excellent moment.

Comme l'on pouvait s'y attendre, Christophe Barbier collectionne les anecdotes, les portraits colorés, la distanciation gentiment ironique, et c'est leur succession qui construit la pièce. Deux points de repère essentiellement :

  • les chats (qui avec l'anecdote tragique de l'incendie du 8 mars 1900, symbolise la réincarnation, voire l'immortalité des comédiens-français) ;
  • quelques vers célèbres de Phèdre, que chaque époque redit à sa façon (très jolie trouvaille !).


La « pièce » est en réalité une succession de saynètes en solo, chaque comédien étant affecté à un siècle mais assurant plusieurs monologues dans son « tableau ».

Tout cela ne constitue pas un récit cohérent, mais plutôt une succession de vignettes où, plutôt que d'informer le public, on le sollicite à l'aide de multiples clins d'oeil - les personnages ne sont jamais nommés tout de suite, si bien qu'on entend les bruissements de plaisir du public qui devine, et qu'on peut contempler les mines perplexes de ceux qui se demandent pourquoi les autres gloussent... Clairement, le spectacle est pensé pour flatter ceux qui ont un peu de culture théâtrale, et pas pour éclairer ceux qui ne l'ont pas encore.

L'ensemble est de toute évidence conçu pour des comédiens versatiles et virtuoses, capables de peupler l'espace totalement vide du plateau (à l'exception du fauteuil pour le XVIIe) par leur seule force de suggestion. Un morceau de bravoure taillé pour les comédiens-français, que je n'avais jamais vu aussi fulgurants.

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(Représentation du samedi 19 mai 2012, lendemain de la première.)

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2. XVIIe siècle - Bruno Raffaelli

Cette partie est consacrée essentiellement à Molière. Elle n'est pas très claire : il faut apprendre à décrypter le principe de « présentation différée », et les personnages qui interviennent ne sont pas toujours bien annoncés, surtout vu l'alternance permanente entre mots prêtés à Molière et mots de commentateurs de la vie de Molière...

Elle n'est pas très brillante non plus : les conditions de création de la Comédie-Française sont à peine évoquées, tandis que l'on s'appesantit sur l'icône Molière, mourant sur scène, souffrant de l'ingratitude du vilain Racine...

Bruno Raffaelli, avec sa voix très nette et projetée, bien dans le masque (légèrement nasale même), jamais forcée, s'inscrit dans la grande tradition du parler théâtral d'autrefois (il brillait tout particulièrement, dans ce registre, en vieillard avisé de la Trilogie de la Villégiature). Le texte ne lui donne malheureusement pas vraiment l'occasion de faire valoir ses mérites.

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3. XVIIIe siècle - Loïc Corbery

Le siècle suivant est présenté comme celui des auteurs : Marivaux, Voltaire, Diderot, Rousseau, Beaumarchais.

Rien qu'à la liste de noms, on s'aperçoit du parti pris, assez caractéristique de l'image que renvoie habituellement Christophe Barbier : ces auteurs ne sont pas tous spécifiquement liés à la Comédie-Française, et pour certains peu ou pas dramaturges !
Simplement, à travers cette galerie de portraits des noms célèbres du XVIIIe siècle, et du caractère de la postérité leur prête le plus souvent, on dresse une image du siècle en traversant une suite de caricatures pas très profondes, originales ou instructives, mais, il faut bien l'avouer, assez réjouissante.

De toute évidence, on assiste à une expression de type stand up, où Voltaire a les accents et les lazzi du Bouzin de Christian Hecq, où Rousseau est croqué en ratiocineur au fort accent suisse, où Beaumarchais parle de ses droits d'auteur (parce qu'il faut bien faire un peu d'histoire...).

La plus grande réussite se trouve cependant dans les travestissements (par le texte, pas du tout par le costume ou la voix) en évoquant la Clairon ou, sommet du XVIIIe, la fin de Lecouvreur, assez émouvante (et drôle).

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4. XIXe siècle - Elsa Lepoivre

Unique siècle féminin, vu sous l'angle des actrices : les départs et retours de Mlle George (fustigeant les vieilles actrices pour finir sa carrière de même), incompréhension de Mlle Mars vis-à-vis de la présence contraignante des auteurs (Hugo en l'occurrence), forfanterie mégalomaniaque de Rachel mourante, vantardises et disgrâces de Sarah Bernhardt, ici encore avec beaucoup de verve.

Elsa Lepoivre, à son habitude, réussit tout, de la réserve superbe à l'abandon le plus excessif - Rachel !

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5. XXe siècle - Pierre Niney

Le vingtième siècle aborde la question sous un aspect différent, qui ici encore n'informe pas sur la Comédie-Française, sa programmation, sa place dans la vie culturelle (voire politique), mais se prête à un certain nombre de jeux scéniques.

En réalité, on nous présente tout ce que la Comédie-Française a manqué au XXe siècle, Avignon par exemple - où une pantomime d'une puissance de suggestion assez incroyable montre un comédien-français, ne voulant pas avouer son intérêt pour le festival, aux prises avec un mistral qui non seulement emporte sa voix, mais son être tout entier, tandis qu'il essaie de courtiser Jean Vilar et Gérard Philipe. Pierre Niney y fait non seulement les galipettes, mais jusqu'au bruit du vent...

Une fois énoncé de façon ironique tout ce que l'institution a eu de conservateur, nous avons tout de même droit, en fin de partie, aux noms de Claudel, Montherlant, et bien sûr à la partition à L'Assassinat du Duc de Guise. Ainsi qu'à l'évocation des pièces radiophoniques.

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6. XXIe siècle - Elliot Jenicot

Le XXIe parachève la tendance gaguesque : il se s'agit nullement de parler de la place et des ambitions actuelles de l'institution (comme on aurait pu l'attendre), ni de prospective, mais d'une fantaisie débridée sur ce que pourrait être le XXIe siècle, un simple support de one-man-show à partir duquel l'acteur donne toute sa mesure d'histrionisme jubilatoire.

Il est en effet question d'un comédien centenaire (mais jeune !), vendu par ses parents à la Comédie lors de la Grande Dépression de 2012, et on nous raconte alors tous les gadgets permis par la 3D, l'achat par TF1, la création de la Lully Academy, la météo en français classique...

Mais il faut admettre que le tour de force d'Elliot Jenicot lève toutes les réserves sur le scénario, si bien que l'on peut vraiment dire que la soirée culmine dans sa grande scène (en duo avec lui-même !) de Phèdre en martien. Par extraordinaire, le texte demeure complètement intelligible...

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7. Recommandation

Passé la désillusion initiale, la soirée était délicieuse, avec une montée spectaculaire en histrionisme au fil des siècles.

Mais c'est seulement dans cette perspective qu'on peut goûter le texte : il n'est certainement pas éducatif, ni pour les néophytes (beaucoup d'allusions qui perdent leur saveur), ni pour les amateurs de théâtre (collection de clichés, pas de mise en perspective).

En revanche, en tant que spectacle comique à sketches, je doute qu'on puisse trouver plus virtuose en France dans l'offre actuelle... Vu que c'était le lendemain de la première, je n'ose me représenter le résultat en fin de série !

A voir, mais comme divertissement - un soir après une journée de travail fatigante, par exemple.

Etait-la date (pendant le "pont" de l'Ascension) ou le décalage par rapport au public habituel de la Comédie (qui va voir les pièces du patrimoine), la salle était vide à plus de moitié. Ce ne doit donc pas être complet.


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David Le Marrec

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