Carnets sur sol

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dimanche 28 janvier 2024

[nouveauté] Chopin pour quatuor de violoncelles




Petite merveille inattendue qui vient de paraître chez NFM : des arrangements de Chopin quatuor de violoncelles (Polish Cello Quartet). Ce serait, ''a priori', une très mauvaise idée, ajouter les pleurnicheries du violoncelle, dans une zone très concentrée du spectre, aux interprétations déjà dégoulinantes de Chopin…

C'est tout l'inverse qui se produit.

1) Le choix des pièces est particulièrement intelligent : il inclut évidemment des tubes (Préludes n°4 et n°15, Nocturne opus posthume en ut dièse mineur, Nocturne Op.9 n°2, Valse op.18, Valse-Minute, Valse Op.64 n°2…), mais aussi des œuvres beaucoup moins courues comme le Nocturne en sol dièse mineur (le n°12) et trois Mazurkas – pas les plus célèbres d'ailleurs, mais toutes parmi les plus belles à mon sens. L'occasion de se faire plaisir de façons très différentes, qui ménage à la fois le plaisir de la transformation de la chose connue et des (semi-)redécouvertes.

2) L'arrangement ne sonne pas du tout comme les horribles ensembles de violoncelles (plus larges, il est vrai, octuor souvent) qui s'entassent sur la même zone du spectre… on croirait entendre un véritable quatuor à cordes, d'autant que les interprètes ont une technique et un son merveilleux – l'impression d'entendre une contrebasse dans le grave, un alto dans le médium, un violon dans l'aigu… Si bien que le résultat est particulièrement équilibré et homogène. Les siècles d'expérience dans l'écriture pour quatuor à cordes ont clairement été mises à profit, et nous jouissons d'un festival de contrechants et pizz bien pensés. Les arrangeurs (Sabina Meck, Piot Moss, Leszek Kołodziejski) ont fourni des reformulations très abouties des œuvres originales.

3) Les interprètes sont formidables, on se repaît des couleurs sombres et chaleureuses, des touches de lumière, de la précision immaculée.

4) Surtout, ce disque procure une rare occasion de réentendre Chopin comme compositeur et non comme compositeur-pianiste. Non pas que personne ait jamais pu considérer que Chopin n'était qu'un pianiste, mais l'œuvre qu'il laisse est tellement liée au piano qu'on s'est habitué à entendre des tics pianistiques, des traits (écrits, bien sûr), et que l'instrument ou les modes pianistiques font quelquefois écran à la musique telle qu'elle est écrite. On peut alors, grâce à cette nouvelle proposition, s'abstraire des contingences pour en goûter la substance pure, réinvestie dans d'autres truchements – qui ont aussi leurs contraintes propres, évidemment. Et je dois dire qu'entendre Chopin sans les aspects percussifs du piano, un Chopin caressant, un Chopin plus harmonique (et polyphonique !) que jamais… m'a absolument ravi. Car il est sans conteste, aux côtés de Berlioz (pour l'orchestration) et de Meyerbeer (pour la pensée formelle) le musicien le plus novateur des années 1830 ; personne n'est aussi avancé que lui sur les questions harmoniques. Le libérer du seul piano lui rend d'autant mieux justice.



samedi 27 janvier 2024

Les Offertoires de Requiem


les offertoires de requiem les offertoires de requiem les offertoires de requiem
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0. L'Offertoire

Les Messes des morts – genre qui tire son nom courant de ses premiers mots (Requiem æternam dona eis Domine – « Repos éternel donne-leur, Seigneur ») – mises en musique ne suivent pas toutes le même patron. Certaines ne contiennent pas la fameuse et dramatique « Séquence », qui débute par le Dies iræ, et qui évoque de façon proprement apocalyptique la situation du fidèle / du pécheur au moment du Jugement Dernier – son texte, qui a dû naître au XIe siècle, se fixe au XIIIe siècle.

Si l'Introït, l'Offertoire, le Sanctus et l'Agnus Dei sont incontournables, en revanche le Kyrie, le Graduel (variation sur l'Introït), la Séquence, le motet pour l'Élévation Pie Jesu, la première Absoute (« Libera me, Domine, de morte æterna »), la seconde Absoute (« In Paradisum ») sont diversement présents selon l'époque, le type de liturgie, les choix musicaux des compositeurs. Le Trait (« Absolve, Domine »), la Communion, le répons « Subvenite » sont en revanche, autant qu'il m'en souvienne, très peu souvent présents. Quant au Gloria, au Credo, à l'Alleluia, ils sont traditionnellement absents des Messes des morts.

L'Offertoire bénéficie ainsi de l'avantage certain de demeurer toujours présent dans les Requiem musicaux – dans une variante propre à la Messe des morts. Par ailleurs, c'est un texte qui offre beaucoup de contraste : « délivrez les âmes des peines de l'Enfer […] et de la gueule du lion » pour la représentation graphique ou dramatique de l'au-delà, « la sainte lumière que jadis vous promîtes à Abraham et à sa descendance », multitude qui offre occasion (comme dans le Magnificat) de furieuses fugues pour évoquer l'infinité de la postérité d'Abram, dans la troisième strophe les oblats proprement dits la section Hostias (« Ces présents et ces prières de louange […] reçois-les pour ces âmes ») et pour finir une reprise du texte de l'Introitus (« Requiem æternam etc. »).

C'est l'occasion d'aborder l'immense corpus des requiems par le prisme plus dense d'un seul mouvement commun à tous – c'est aussi, souvent, l'un des plus beaux moments d'invention musicale après la Séquence (qui n'est pas toujours présente). Le Sanctus et l'Agnus Dei sont souvent bien plus convenus, même dans les requiems les plus étonnants.

Suivez-moi.


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Cette playlist contient toutes les pièces mentionnées, dans les meilleures versions que j'aie pu entendre. Vous en trouverez quantité d'autres, attachées ou non à des notules, sur mon profil.



1. Renaissance

Antoine de Févin, « Requiem d'Anne de Bretagne ».
Versions recommandées : Organum pour l'articulation, Doulce Mémoire pour les belles couleurs fumées.

Cristóbal de Morales.
Version recommandée : Musical Ficta.

Orlande de Lassus, Requiem pro omnibus fidelibus defunctis.
Version : Cappella Foccara.

Orlande de Lassus, Missa pro defunctis.
Version recommandée : The Hilliard Ensemble.

Orlande de Lassus, Requiem a 5.
Version : Pro Cantione Antiqua.

Tomás Luis de Victoria, Missa pro defunctis a 6.
Version recommandée : The Sixteen.

Pour ces œuvres, qui s'étendent du début du XVIe siècle au tout début du XVIIe siècle, le style musical, contrapuntique dans toutes les parties de la messe – chaque section de chanteurs exécute une ligne indépendante, à des rythmes différents –, n'est pas prévu pour le contraste. Ni à l'intérieur du Requiem, ni à l'intérieur de l'Offertoire lui-même, ni même avec les œuvres des collègues : l'idée est d'écrire de la musique sublime sur les paroles sacrées, pas prioritairement de souligner le sens de ces paroles. C'est d'ailleurs la source d'une querelle qui donna naissance à l'opéra – car il en allait de même dans la musique profane, avec des chœurs polyphoniques pour chanter les textes –, écrire le texte sous forme de monodie (une seule ligne mélodique à la fois), afin de pouvoir d'une part le comprendre, d'autre part en souligner l'expression par l'écriture musicale et par les inflexions des interprètes.

Ce sont pour autant des chefs-d'œuvre que je vous ai sélectionnés, dont quelques tubes (le Morales et le Victoria font vraiment partie des standards de la musique Renaissance). Je suis particulièrement frappé, à la comparaison, par l'attitude de Lassus, qui écrit, dans les deux derniers offertoires que je propose, une entrée progressive des voix supérieures, avec un effet d'illumination particulièrement saisissant. La prière de délivrance prévaut ostensiblement sur la descriptions des peines des damnés – mais il ne faut pas nécessairement y voir, comme je le suggérais précédemment, un projet figuraliste, plutôt une recherche de la beauté pure pour servir un texte sacré.



2. Baroque

Le choix est évidemment immense, aussi je n'ai retenu que mes chouchous.

Jean Gilles.
Versions recommandées : Herreweghe I (celle avec Mellon & Crook), Sow.

André Campra.
Version recommandée : Haïm.

Jan Dismas Zelenka, Requiem pour l'Électeur Friedrich August Ier ZWV 46.
Version recommandée : Luks.

Jan Dismas Zelenka, Requiem en ré mineur ZWV 48.
Version recommandée : Válek.

La proposition de Gilles contient l'un de mes moments favoris de toute la musique universelle : lorsque la basse-taille achève son récit très vertical « des peines de l'Enfer » – ce syntagme est répété plusieurs fois isolé de toute la syntaxe de la prière qui précède, si bien que l'on insiste très vivement sur la perspective de damnation –, les autres solistes entrent en canon (taille, haute-contre, soprano, puis basse) pour répéter l'invocation de « Domine, Jesu Christe » et la supplique du « libera animas ».

Le Campra, lui, est un bijou à la structure particulièrement sophistiquée, débutant par une trépidation dramatique, une plainte de trio d'hommes entrant en canon, très prégnante mélodiquement (et accompagnée de flûtes), exaltant les appuis du texte et son sens – « libera animas » constitue une véritable apostrophe à la Divinité. Les épisodes se succèdent avec beaucoup de variété : chœur soutenu par une basse en volutes, récit de taille avec réponses de ritournelles orchestrales, etc.

Les deux offertoires de Zelenka que je propose sont assez différents : le Requiem en ré mineur est plutôt à dominante chorale, avec assez peu de contrepoint, jouant plutôt de la masse symbolisant les fidèles, avec quelques solos secondaires (mais l'on a tout de même un beau fugato pour « Quam olim Abrahæ », tandis que le Requiem pour l'Électeur se présente davantage sous des atours théâtraux, avec cette note de basse répétée et ce soliste (basse) très enflammé, comme une scène d'opera seria.



3. Classicisme

François-Joseph Gossec, Grande Messe des morts.
Version recommandée : Devos (un peu ancienne, mais chaleureuse, vivante, très correctement articulée, et solistes tellement incroyables…)

Michael Haydn, Missa pro defuncto Archiepiscopo Sigismundo.
Version recommandée (pas parfaite) : Zacharias.

Johannes Chrysostomus Wolfgangus Theophilus Mozart.
Version recommandée : Currentzis (particulièrement articulée !).
Version de complément : Quatuor Debussy.

Le texte de Gossec n'est pas celui du traditionnel Offertoire de Requiem, et se trouve écrit sous forme d'un grand récitatif pour soliste acculé comme un personnage de tragédie, et aux éclats. C'est magnifique, et absolument pas mystique ni recueilli.

Le Requiem de Michael Haydn (le petit frère de Joseph) est bien connu pour l'inspiration manifeste qu'en a tiré Mozart – les parentés de l'Introitus sont véritablement frappantes, on peut quasiment parler d'emprunt ! –, et la comparaison se poursuit dans d'autres numéros, dont l'Offertoire. La traditionnelle fugue « quam olim Abrahae promisisti » (déjà généralisée dès le XVIIe siècle pour le verset parent dans le Magnificat « Sicut locutus est ad patres nostros, Abraham et semini ejus ») est traitée de façon similaire – comparez notamment l'entrée martelée des basses !  Moins souvent entendue, j'aime beaucoup l'entrée du ténor dès le début de l'Offertoire qui, par sa solitude et ses accents, souligne véritable la dimension de prière, de supplique.

Enfin Mozart, inachevé, où il existe quelques trillons de versions. Je m'étais arrêté à Currentzis comme la plus vivante dans les premiers numéros, mais à la réécoute, je trouve le latin du chœur très lisse et peu articulé, je crois que ça ne répond plus à mon goût d'aujourd'hui et il faudrait me remettre en quête. Parmi les autres que j'ai beaucoup aimées, des versions informées comme Mackerras (celle avec Gritton), Herreweghe, Harnoncourt (celle avec Yakar), Christie, Malgoire I (celle de BMG, pas celle du Brésil), Christophers… d'autres au milieu du gué comme Hickox, et certaines vraiment à l'ancienne comme Böhm (celle avec Siepi, surtout pas celle de DGG), Colin Davis (Symphonique de la BBC en 1967 ou Radio Bavaroise), Bernstein, etc.
J'attire donc surtout votre attention sur la version pour quatuor de Peter Lichtenthal : partition de 1802, qui transcrit tout le Requiem sans solistes vocaux. Le Quatuor Debussy l'a retouchée et enregistrée, il s'agit sans doute de ma version chouchoute absolue de cette œuvre, qui met la musique – et, paradoxalement, le drame – à nu. Coïncidence plaisante, alors que le disque est déjà ancien (2009), le programme est redonné en avril dans une version aux bougies mise en espace par Louise Moaty, à… Herblay !  Vous m'y verrez – à la lueur vacillante de la lumière d'époque.

Afin de vous laisser le temps de découvrir paisiblement tout cela, je vous laisse quelque temps avec ces premières présentations et reviendrai plus tard pour les romantiques et le XXe siècle. La playlist est, elle, complète, vous pouvez toujours la parcourir.



4. De ma vie

Avant de nous quitter, une anecdote que je trouve plaisante.

Depuis l'enfance, lorsque j'écoute la fugue de l'Offertoire, j'entends non pas « quam olim Abrahae promisisti » (« ainsi que tu promis jadis à Abraham ») mais « amor e barbare promettesti » (« tu promis de l'amour et des femmes barbares »). Changement de programme assez radical.

Pour autant, cela correspond vraiment bien à l'ardeur de certaines mises en musique (Michael Haydn, Mozart, Suppé notamment…) et l'illusion continue de me surprendre, je dois rectifier à chaque fois.

En somme, les choristes : articulez, c'est important.
[C'est un peu la même histoire que les dichotomies célèbres à l'écrit : « Ils m'ont tout pris. / Ils m'ont tous pris. » ou « Allons manger, les enfants. / Allons manger les enfants. »  Le détail a son importance pour ne pas briser l'adhésion sans arrière-pensée au moment.]

jeudi 25 janvier 2024

La Esméralda de Louise Bertin – Ce que l'on croit aller voir


Notre-Dame-de-Paris par Louise Bertin… ou Jeanne Desoubeaux.

Chose fascinante, dans l'objet hybride proposé aux Bouffes du Nord (transcrit pour quintette piano-violon-violoncelle-clarinette-basson, coupé au tiers, mêlé de fragments du roman de Hugo…), la réception a été parfaitement prévisible : les critiques musicaux ont détesté (même le très-obséquieux Ôlyrix !), parce que ça ne respecte pas l'œuvre (et la musique amplifiée de la Fête des Fous, certes désagréable, leur a manifestement fait très peur), et les critiques théâtraux ont adoré, parce que c'est un format original. Voilà qui donne de quoi réfléchir sur les jugements définitifs.

Diapason
Opera Online
Ôlyrix
Concert Classic
Sceneweb
Cult.news
Théâtre du Blog

Pour ma part j'ai trouvé dommage / peu honnête de vendre « l'opéra de Louise Bertin » lorsqu'il s'agissait en réalité d'un spectacle qui en reprend de vastes fragments pour proposer autre chose. Autrement, l'arrangement sur instruments anciens et les chanteurs (Christophe Crapez, et surtout Jeanne Mendoche, à qui je dois consacrer une notule) étaient merveilleux, l'œuvre révélait de belles qualités (de belles mélodies dans les ensembles, des dispositifs surprenants comme la scène du voyeurisme du viol bel et bien reproduite dans l'opéra…) qui m'avaient parfois échappé dans le disque chanté en volapük au festival de Montpellier. Et les extraits du roman fonctionnaient plutôt bien – j'aurais simplement été davantage séduit si j'avais pu me couler à l'avance dans le format que j'allais voir – et je croyais initialement que c'était l'opéra intégral.

L'histoire de cette œuvre est par ailleurs savoureuse : Hugo tempêtait toujours contre les adaptations (sans droits d'auteur, il est vrai) de ses œuvres à l'opéra, considérant que la musique de ses vers était suffisante et n'avait pas à être contredite par l'imagination plus ou moins féconde des adaptateurs… mais pour la fille du directeur du puissant Journal des Débats, là, il fait tellement une exception qu'il va jusqu'à écrire lui-même le livret – pas bon d'ailleurs, on y découvre que Hugo peut écrire des vers de mirliton vraiment pas soignés… Berlioz a aidé à l'orchestration (il va de soi que les femmes ), ce qui a valu beaucoup de rumeurs comme quoi il aurait été l'auteur de l'œuvre – je n'ai pas vérifié les fondements de ces allégations, mais à l'oreille, ça ne s'entend vraiment pas, c'est nettement moins intéressant que du bon Berlioz, sensiblement plus intéressant que du mauvais Berlioz, et en tout état de cause ressemblant ni à l'un, ni à l'autre.

mardi 23 janvier 2024

LULLY – Atys – Rousset (Versailles 2024)


Plaisir de retrouver Atys dans une aussi belle distribution, différente du disque qui vient de paraître (Château de Versailles Spectacles) :
Céline Scheen (au lieu de Marie Lys)
Van Wanroij (au lieu d'Ambroisine Bré)
Reinoud Van Mechelen
Philippe Estèphe.

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Choix d'interprétation

La tendance est celle d'une interprétation au tempo très flexible dans les récitatifs (souvent dans le sens de l'alanguissement). Je n'adore pas cet aspect, je trouve que la netteté du rythme procure un rebond et un élan supérieur, mais c'est très intelligemment réalisé, pour souligner précisément les affects des personnages et ménager des surprises, des ruptures ; dans une œuvre aussi connue, c'est aussi une façon de renouveler l'écoute. (J'ignore absolument si l'on dispose d'éléments sur cet aspect des pratiques d'époque, rubato maximal ou rectitude métronomique.) La petite chaconne délicieuse de l'acte I « Je me défends d'aimer autant qu'il m'est possible » se trouve ainsi désarticulée et l'on ne reconnaît plus le mouvement de danse.
Rousset le réalisait de façon moins ostensible dernièrement, mais ce récitatif à tempo mobile a été caractéristique de ses interprétations il y a quelques années ; son Phaëton en témoigne avec évidence (et je n'avais pas beaucoup aimé cela non plus).

L'autre impression, moins frappante en salle qu'au disque, est l'impression d'un « concerto pour continuo » : Christophe Rousset et Korneel Bernolet réalisent un continuo très riche, inventant quantité de contre-mélodies au clavecin, simultanées à celles des chanteurs. Le résultat est d'une rare beauté musicale, et je l'adore d'ordinaire, mais peut paraître en décalage avec le langage d'Atys, assez épuré, où le texte est premier. Les remplissages audibles de clavecin pendant le déchirant chœur hors scène « Atys, Atys lui-même / Fait périr ce qu'il aime » m'ont paru parasiter l'attention tout entière tournée vers le drame – et potentiellement la beauté pure de ces grands accords, alors que Bernolet préparait les surprises harmoniques à l'aide de belles transitions (à rebours de l'effet de surprise attendu).
Pour autant, la chose est passionnante, il y a toujours quelque chose à entendre, et les clavecins sont très bien captés dans le disque, si bien que l'on peut entendre précisément toute cette musique supplémentaire et magnifique.

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Les chanteurs sont indispensables

Le gros point fort de la soirée était la distribution : je ne suis décidément pas sensible à Reinoud Van Mechelen (Atys) dans le registre tendre (les eu mâtinés de ü, on n'entend pas les attaques, phrasé musical qui met le texte à distance… c'est irréprochable, mais cette voix très également mixée m'ennuie là où j'attends le relief des mots) ; cependant dès qu'il faut de l'épique et de l'énergie, ses propositions sont toujours saisissantes.
Céline Scheen (Sangaride) a très bien négocié la douzaine d'années écoulées depuis Bellérophon : la voix est plus sombre, mais sonne toujours bien et ne s'est pas asséchée comme on aurait pu le craindre avec ce petit brin de voix charmant (mais émis plutôt du côté du pharynx, donc potentiellement plus fragile s'il faut s'adapter techniquement).

Par ailleurs, cinq chanteurs m'ont ravi – et rappellent de façon vibrante combien un répertoire où le texte est premier (et l'ambitus réduit) repose fortement, pour s'épanouir, sur le génie propre de ses interprètes.

Je ne sais pas avec qui Apolline Raï-Westphal a travaillé dans les six mois où je ne l'ai pas entendue, mais sa Melpomène était un miracle, qui m'a confirmé que, non, je ne délire pas, il est réellement possible de phraser plus précisément ce répertoire qu'on ne le fait aujourd'hui. Grâce à une émission qu'elle concentre (antériorité, nasalité, poitriné) dans une zone qui est pourtant théoriquement le point faible de sa tessiture, elle offre une variété d'accents, de couleurs, de poids sur les syllabes expressives, qui subliment absolument le récit de Melpomène dans le Prologue, jamais entendu porté avec le verbe aussi haut. Après la demi-minute de sa tirade, je savais que ma soirée était faite. Et c'est vraiment ce qui donne du sens à son répertoire, chaque mot porte avec sa nuance, aussi net qu'un poignard, aussi surprenant qu'une blessure. La plus jeune du plateau a donné des leçons de style à tout le monde.

J'ai bien sûr adoré Gwendoline Blondeel, plutôt dans les rôles qui flattent mieux son médium (les ariettes plutôt que les récitatifs graves de la suivante Doris), ici c'est la nature même de l'émission qui ravit, totalement franche, limpide, elle se projette sans effort malgré la tessiture très basse, et toujours avec un naturel musical et verbal merveilleux. (Souvenir tétanisé de son Ombre de Clorinde dans la Jérusalem Délivrée de Philippe d'Orléans.)

Troisième titulaire de rôles secondaires qui mériterait tous les feux, Kieran White (le Sommeil, notamment), ténor parfaitement équilibré, à la couleur chaleureuse, au timbre épanoui, que j'aimerais assez entendre dans un premier rôle de haute-contre. Le volume n'est pas grand, mais avec un orchestre d'effectif raisonnable, je serais curieux de voir ses capacités expressives sur une plus grande distance.

Parmi la distribution des grands rôles, beaucoup d'admiration pour Philippe Estèphe : faute de basses qui acceptent de chanter ce répertoire, ce baryton franc, clair et brillant parvient, grâce à une émission antérieure et très saine, à faire sonner la tessiture grave très audiblement, avec des attaques précises et une diction parfaite. Ce garçon fait un tour de force en parvenant à chanter aussi bien dans une tessiture qui n'est même pas la sienne. (J'espère simplement que la répétition de rôles hors tessiture ne finira pas par dérégler l'instrument ou le fatiguer gravement, mais au moins j'ai ainsi le plaisir de l'entendre dans les premiers rôles qu'il mérite !)

Enfin, très impressionné également par Judith Van Wanroij qui conserve sa voix absolument intacte depuis Pirame & Thisbé de Francœur & Rebel… en 2007 ! Je retrouve d'ailleurs ce soir les couleurs fruitées et les nasales ardentes qui m'avaient tant séduit dans sa Thisbé. Choix surprenants dans son approche de Cybèle, très calme, réellement sensible mais aussi un peu hors du monde, connaissant sa valeur… rien d'une mégère, sa colère se manifeste par un calme dépit et une vengeance implacable. Portrait très original et réussi.

Je pourrais aussi tresser des couronnes aux Talens Lyriques, et surtout au Chœur de Chambre de Namur, d'une précision d'intonation folle ; voix intermédiaires toujours audibles, et un pupitre de sopranos qui ajoute des agréments (notes de goût) sur les attaques avec une précision à peine croyable (pas un pouce de décalage sur ces notes hors mesure) et surtout un goût stylistique particulièrement étudié. Merveille.

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L'amour d'Atys

Je ne suis pas d'accord avec tous les choix – et en particulier pas vraiment d'accord avec l'affirmation de Christophe Rousset qui visait quelque chose de « différent » ; certes, les tempi changent, mais je ne trouve pas la proposition aussi singulière que Christie 1987 (sur le vif, pas le disque capté avant les représentations qui est tout figé et très ennuyeux), Reyne 2009 (petit effectif, peu de continuo, ambiance funèbre sur la pointe des pieds, épure complète) ou Christie 2011 (avec des couleurs plus bigarrées, à l'italienne). Le disque (très bon) ne m'est pas indispensable, mais en représentation, c'était un rare bonheur.

Quant à l'œuvre ? Après, toutes ces années, je reste toujours fasciné par les mêmes points forts : l'acte I fulgurant de bout en bout (musicalement et dramatiquement), un des sommets de l'histoire mondiale de l'opéra ; la jubilation musicale ininterrompue du Prologue ; la dispute insolite des jeunes premiers au début du IV ; et bien sûr la noire apothéose du V. (C'est sans doute le chœur hors scène du meurtre de Sangaride qui m'a le plus saisi ce soir.)

dimanche 14 janvier 2024

Desmarest & Campra – Iphigénie en Tauride, ou Électre superstar


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Une œuvre qui faillit ne jamais être achevée… et ne jamais être redonnée.

Joseph-François Duché de Vancy et Henry Desmarest commencent à écrire une Iphigénie en Tauride en 1695, dans cette période particulière où LULLY est mort, où le roi ne s'intéresse plus guère à la musique depuis longtemps, et où le public boude la plupart des nouvelles tragédies en musique – tandis qu'il s'enthousiasme pour la nouveauté du ballet à entrées (chaque acte constitue une micro-intrigue avec une couleur locale forte, sur le modèle de L'Europe galante de La Motte & Campra). C'est pourtant le moment où les livrets sont les plus ambitieux, osant des fins réellement tragiques, et où la musique ose puiser à davantage d'italianité : contrepoint, harmonies, solos virtuoses s'accumulent. Les opéras de Desmarest restent assez nettement dans la filiation LULLYste, mais ceux de Charpentier, Jacquet de La Guerre, Marais, Campra, Destouches osent quantité de gestes nouveaux, avec une théâtralité souvent beaucoup plus hardie.




1. Le livret

Ici, le sujet proposé par l'Académie Royale de Musique est inspiré par le projet d'un Oreste & Pylade commandé à François-Joseph de Lagrange-Chancel pour la Comédie-Française. Cependant la pièce n'est livrée qu'en 1697, et les librettistes ne pouvaient donc avoir une connaissance précise. Les choix dramaturgiques en sont aussi différents que possible : dans la tragédie de Lagrange-Chancel, Thoas s'est épris d'Iphigénie et délaisse la princesse scythe Thomiris à laquelle il a promis le mariage – l'intrigue se dénoue par la mort de Thoas dans la bataille qu'il livre aux Grecs venus dérober l'image de Diane.

Dans la tragédie en musique écrite par Duché de Vancy (l'auteur du livret de Céphale & Procris de Jacquet de La Guerre) et achevée par Danchet (l'auteur du livret de plusieurs grands Campra, comme Tancrède ou Idoménée), le centre de gravité est totalement différent. Certes, Thoas s'y trouve aussi au centre, mais cette fois-ci, il soupire pour Électre, qui a fait le déplacement avec Oreste et Pylade (auquel elle est fiancée) pour les protéger. La princesse argienne feint ainsi d'accepter la main du tyran barbare pour garantir la vie de son frère et de son amant – tout en projetant de se donner la mort ensuite. Évidemment, elle est d'abord maudite par Oreste pour s'être ainsi donnée, avant que de révéler son geste généreux. Les deux duos de non-reconnaissance, puis de reconnaissance entre Iphigénie et Oreste sont très touchants, mais Électre se trouve réellement au pivot de l'intrigue, comme le personnage le plus entreprenant et le plus courageux, celui qui peut réellement opérer des choix, tandis que Thoas se trouve balloté par ses affects (et l'opposition des dieux, avec une grande tempête qui interrompt la fête d'hyménée) et que les Grecs se trouvent tout simplement… prisonniers.

Ce motif est à ma connaissance une invention de Duché de Vancy, je ne l'ai vu nulle part (et en tout cas pas chez Lagrange-Chancel) ; passé la surprise première, je le trouve très astucieux, on réutilise un personnage connu (on précise même qu'elle est née après le ravissement d'Iphigénie) tout en conservant son tempérament volontaire, et en lui fournissant une intrigue amoureuse secondaire – comme on en ferait pour Alcide ou Achille. Il est assez inhabituel de rencontrer des héroïnes aussi entreprenantes (ou alors ce sont des sorcières comme Armide, Circé, Médée ou Alcine), et celle-ci cadre assez bien avec son profil mythologique. Je suis d'autant plus amusé qu'on peut retrouver Électre à nouveau loin d'Argos dans une autre situation – Danchet, dans Idoménée, la place comme la promise délaissée d'Idamante (le fil du roi de Crète), avec plusieurs scènes de dépit et de colère (dans le goût de l'Herminie de l'Andromaque de Racine).

Le livret se termine de façon joyeuse pour pouvoir ménager la chaconne finale, de façon pas très ambitieuse : après la scène de reconnaissance, les Grecs sont trahis au moment d'enlever la statue de Diane et la bataille menace de faire périr tout le monde… à ce moment, les librettistes font le choix du gros deus ex machina bien gras et pataud, avec l'apparition de Diane qui, exactement comme chez Guillard plus tard (pour Gluck), fait la leçon aux Scythes de ne même pas bien parler grec, et confie son image aux Grecs venus la voler.

Au demeurant, je trouve le livret très bien bâti, avec des actes bien identifiés et utiles, ce qui n'est vraiment pas systématique dans la tragédie en musique – où il est fréquent que des moitités d'action se sépare entre des actes, et où les divertissements paraissent souvent artificieux.
I : Iphigénie et Thoas se plaignent (séparément) de leur situation.
[Divertissement : prières et danses scythes.]
II : Tourments d'Oreste.
[Apaisement par Diane.]
III : Négociation d'Électre, rompue par l'oracle de l'Océan.
[Danses de mariage et tempête.]
IV : Préparation de la fuite par Iphigénie, sans reconnaissance.
[Rituel de purification.]
V : Reconnaissance et dénouement.
[Chaconne de réjouissance.]



2. La catastrophe dans le monde réel

Seulement, voilà, Desmarest se remarie avec une jeune femme de dix-neuf ans, certes consentante, mais sans l'aveu du père, médecin à la Cour. Condamné par contumace en 1700, il est pendu en effigie en place de grève pour « séduction et rapt ». Louis XIV, très mécontent de son inconséquence, ne fit lui fit jamais grâce, et Desmarest ne put revenir en France que sous la Régence, sans pouvoir cependant obtenir aucune charge à la Cour. Il est vrai que son style très LULLYste (en un peu plus coloré) devait paraître tout à fait hors de saison en 1720, époque à laquelle les galants ballets à entrée triomphaient, et où le style italianisant beaucoup plus complexe et extraverti était en vogue avec les cantates de Morin, la musique sacrée de Blamont, et même le début de la carrière de Francœur & F. Rebel !
[Il nous a cependant laissé quantité de belles choses – sacrées en particulier – issues de son séjour à la Cour de Lorraine.]

Et notre Iphigénie en Tauride n'était pas achevée. Francine, le directeur de l'Académie Royale de Musique (alors en grave difficulté financière, car il s'agissait d'une entreprise privée) charge Campra d'achever ce qui doit l'être, quantité de choses au sein de chaque actes, et le Prologue en entier. Succès limité à la création de 1704, mais grand succès à la reprise de 1711.

La partition publiée par Ballard en 1711 indique explicitement ce qui appartient à chaque compositeur. Globalement, Desmarest a composé les premiers actes (avec quelques trous, comme les visions d'Iphigénie à l'acte I) et n'a pas achevé la fin. Le Prologue, la fin de l'opéra, les deux duos entre frère et sœur sont de la main de Campra. Mais je suis frappé du respect par celui-ci du style général de l'œuvre : non seulement on n'entend pas nettement de ruptures, mais jusque dans les parties totalement laissées à sa fantaisie comme le Prologue, Campra adopte la manière de Desmarest – davantage de place à l'écriture en accords et à la couleur, moins de contrepoint et de virtuosité que chez Campra qui, quoique né à deux mois d'écart, est en général beauccoup plus marqué par l'influence ultramontaine : harmonies sophistiquées, solos instrumentaux, volutes vocales, travail sur le contempoint.

On a donc bel et bien l'impression d'entendre un opéra de Desmarest de bout en bout – vraiment, j'aurais juré que le Prologue appartenait à Desmarest avant que de lire les érudites précisions apportées par Benoît Dratwicki dans le programme de salle.

[Mais vu que personne ne peut le vérifier, je vais plutôt me vanter du contraire : faites-moi penser à corriger ce paragraphe et à écrire plutôt « malgré la tentative d'imitation très réussie de Desmarest, Campra n'a pu tromper un spécialiste génial et profond tel que moi, et j'ai immédiatement relevé les quelques enchaînements caractéristiques qu'il n'a pas eu la finesse de gommer ». Je compte sur vous pour me le rappeler avant la publication, il en va de ma réputation.]

Seconde catastrophe : le Concert Spirituel devait déjà remonter l'œuvre en 2007 au Festival de Montpellier, dans la foulée du succès éclatant de Callirhoé (recréée à Beaune en 2005 et donnée à Montpellier l'année suivante dans une version mise en scène). Mais, pour une raison qui n'a jamais été communiquée, le projet a été annulé et France Musique a diffusé le… Don Giovanni donné à la place. Certes, les couleurs et l'urgence, du Concertspi, la tension de Cyril Auvity en Ottavio constituaient un rare bonheur, mais pour ce qui est de la découverte du répertoire, le compte n'y était pas. J'ai attendu un an, puis deux, puis trois… et me suis finalement résigné à ne peut-être la réentendre de ma vie. Ou alors un jour où je n'y croirais plus. Et ce fut finalement le cas, inespéré, par le même ensemble ! (mais pas du tout les mêmes artistes, évidemment)



3. Des surprises musicales

De même que le livret, la partition est une réussite : quelques très belles pièces comme les deux duos fraternels entre Iphigénie et Oreste, beau livret et mise en musique assez lyrique et généreuse, mais aussi et surtout beaucoup de gestes réellement originaux que je n'avais pas entendus ou lus ailleurs, en tout cas pas dans cette génération-là !

Les fureurs d'Oreste sont écrites avec une grande variété d'intonations, ce n'est pas simplement une scène homogène comme un air, toute la musique s'adapte à l'évolution du texte de façon très plastique, le résultat en est très impressionnant.

¶ Étonnant concertato familial à 4 (Électre, Iphigénie, Pylade, Oreste qui chantent chacun une partie différente) lors du dénouement du cinquième acte… ce type de situation est caractéristique du grand opéra à la française au XIXe siècle (et auparavant des scènes de stupeur dans le belcanto romantique italien, du type opéras bouffes de Rossini ou grands ensembles comme dans Lucia di Lammermoor de Donizetti), mais il est très rare que les personnages chantent simultanément à plus de deux dans la tragédie en musique pré-ramiste !  (Et même chez Rameau, ce n'est pas systématique du tout, je pense spontanément surtout au quatuor « Tendre amour » des Indes Galantes et au Trio infernal avec chœur de Castor & Pollux.)  Rien de révolutionnaire musicalement, mais ils chantent tous ensemble une réjouissance comme à la fin d'un opéra de Haendel, et c'est surprenant.

¶ Malgré ses superbes récitatifs ambitieux, je crois que le sommet de la partition réside dans les danses !  Pas nécessairement sa chaconne finale qui ménage de belles ruptures, plutôt le paradoxal ballet champêtre suscité par Diane pour apaiser les fureurs d'Oreste à l'acte II, d'un ton très direct et campagnard, qui évoque davantage les ballets aux aspects plus « populaires » réalisés dans plus loin dans le XVIIIe siècle par Boismortier (Ballets de village, 1734), Grétry ou Gossec (Le Triomphe de la République, 1793).
Et surtout, les danses scythes de l'acte I, qui réussissent à conserver la grammaire du ballet de tragédie en musique tout en trouvant réellement des accents sauvages de barbares mal dégrossis. Tout à fait inattendu et particulièrement jubilatoire !

Très belle découverte, qui valait assurément ma patience et ma constance !

Cependant, je n'ai pas passé une très bonne soirée. « Pourquoi donc Monsieur Sursol », me demandez-vous ébaubis après que vous passâtes dix minutes à lire mes investigations passionnées et mes éloges ininterrompus ?

Cela me donnera l'occasion d'explorer quelques autres aspects, du côté des conditions pratiques de représentation.


iphigenie_campra.png


4. Une technique vocale d'un autre âge

La question est à entrées multiples, et il n'est pas évident d'y répondre de façon ordonnée. J'ai souvent évoqué mon problème ici avec les voix à la mode dans la tragédie en musique, mal calibrées par ce type d'œuvre, car constituées dès l'origine pour chanter de l'opéra XIXe avec des tessitures tendues vers l'aigu, une couverture vocale indispensable, une diction secondaire et une émission souvent plutôt en bouche que dans les fosses nasales (qui permettent de mieux projeter et de résonner avec plus de clarté).

C'est un problème récurrent (et assez préoccupant pour moi), mais force est d'admettre que, si la distribution ne me tentait pas beaucoup de prime abord, tous tirent le meilleur de leur instrument – Véronique Gens (Iphigénie) conserve une véritable clarté, son verbe haut, et plus d'assurance et de projection que dans de précédentes soirées ; Reinoud Van Mechelen (Pylade) a vraiment fini par se couler avec justesse dans la tragédie lyrique des origines (le style et la voix ont vraiment beaucoup progressé, davantage de mordant et de transparence) ; Thomas Dolié (Oreste) couvre toujours beaucoup trop, mais la générosité et l'abandon qu'il met dans ses mots emportent tout…
Pour Olivia Doray (Électre), c'était peu intéressant du second balcon mais très bien réalisé depuis le parterre ; quant à David Witczak (Thoas), toujours une voix étonnante : elle sonne faiblement au parterre mais on entend exactement le même volume tout au fond de la salle !  (l'émission manque quand même de liberté et les couleurs de variété pour camper ce type de méchant charismatique, à mon sens)

Donc ce soir-là, pas le grand frisson de mes voix chouchoutes, mais clairement une exécution engagée de la part des chanteurs, qui permettaient de compenser assez largement mes préventions esthétiques / le cahier des charges non totalement rempli / mon goût personnel.

Ce sont quatre autres problèmes qui ont vraiment pesé sur mon ressenti.



petit_choeur.jpg
La disposition avec hautbois et bassons devant, les violons au second plan et le « petit chœur » de la basse continue au centre de l'arc de cercle,
perçue depuis la distance d'un théâtre à l'italienne du début du XXe siècle.




5. Une salle du XXe siècle

Le premier problème tient clairement dans la salle. Depuis le second balcon, on entendait mal les chanteurs, minuscules, écrasés par le grand orchestre. On entendait mal les cordes aussi (disposition inspirée des connaissances musicologiques, avec les vents de chaque côté du chef et les cordes en arc de cercle plus au fond), sans doute parce que reculée derrière le mur de vents et moins à l'avant-scène, le son devait rester bloqué dans la cage de scène.

Au parterre, cette question-là se réglait d'elle-même, sans bien sûr supprimer la question de la projection très faible des chanteurs. On entendait les violons plus étouffés que d'ordinaire, les chanteurs plus ténus, mais on entendait tout, raisonnablement.

La difficulté demeure au demeurant similaire dans l'Opéra Royal de Versailles, qui date de 1770 et qui est adéquat pour des accompagnements à l'orchestre complet et non – comme c'est le cas avant la réforme gluckiste des années 1770 – pour de vastes parties de l'opéra accompagnées au continuo seul, même avec un effectif renforcé comme ce soir-là.

Je n'ai pas vraiment de solution pour cela, à part de jouer les œuvres à perte dans de petits espaces rectangulaires dans des versions pour orchestre réduit. Dans la Salle des Croisades ou dans le Salon d'Hercule, c'est tout à fait bien ; dans la Galerie des Batailles, c'est difficile – et aucun de ces espaces n'était prévu pour les exécutions d'opéras. Je n'ai évidemment pas pu tester la salle de bal de Saint-Germain-en-Laye (où fut créé notamment Atys), désormais encombrée par les vitrines du Musée National d'Archéologie.



6. Attention, peinture fraîche

Plus conjoncturellement, le concert a clairement manqué de répétitions – il est un fait que depuis des années, les plannings sont toujours plus resserrés, avec la double injonction (contradictoire) de remettre au théâtre des œuvres inédites et de le faire avec moins de services (séances de répétition) qu'auparavant. Avec, souvent, un disque à la clef ! 

C'est ce qui permet à Château de Versailles Spectacles de sortir autant de nouveautés extraordinaires, mais cela explique aussi qu'occasionnellement, les délais soient un peu courts. Je ne crois pas qu'il y ait de facteur Desmarest, mais pour la remise au théâtre de Circé, ça avait été assez spectaculairement le cas.

Et en effet, pendant le Prologue et l'acte I, l'orchestre paraissait sans cesse décalé – impression confirmée chez d'autres compères habitués du répertoire et placés ailleurs –, au sein de ses propres pupitres et surtout pour suivre les chanteurs, qui n'osaient pas prendre beaucoup de libertés et qui étaient déjà un peu perdus… on sentait que les deux parties avaient peu eu l'occasion de se coordonner.
(Il ne faut pas leur jeter la pierre, encore une fois, sur un opéra de 2h40, s'il n'y a pas assez de services, on ne peut pas tout mettre au point. C'est très différent lorsqu'un ensemble réalise une tournée et peut répéter la même œuvre sur des mois – mais j'ai l'impression que ce modèle a à peu près disparu pour la tragédie en musique, et que tout se passe désormais à Paris et Versailles, même les festivals reçoivent moins de représentations qu'auparavant, et même les ensembles spécialistes locaux en font moins. Je n'ai pas vérifié côté chiffres si mon impression est fondée.)

Le résultat était en tout cas une sorte de mollesse généralisée, tout joué de la même façon (Niquet a l'habitude de tempi homogènes, mais d'ordinaire au service de l'urgence trépidante… pas ce soir), du flottement, on se regarde… on a même eu un gros moment de solitude des flûtes qui ne savent pas trop où prendre et s'arrêter.

Globalement, cela s'améliore au fil de la représentation, mais c'est forcément, côté public, un manque – pas pour les décalages en eux-mêmes, mais pour le manque d'investissement émotionnel qui en résulte, le manque de concentration sur les événements de l'action, les chanteurs plus prudents, etc.



7. Orchestre brucknérien historiquement informé

On en arrive aux deux sujets qui ont motivé cette notule, et qui sont à mon sens les plus intéressants, car potentiellement deux angles morts dans notre appréciation de cette musique. [Bien sûr, j'ai l'habitude de dire un mot des tragédies en musique inédites que je vais voir, et j'aurais sans doute un peu parlé de cette singulière place d'Électre et de ces sauvages Scythes louisquatorziens !]

Les dernières recherches musicologiques conduisent à une compréhension différente de ce qu'était l'orchestre de tragédie en musique, quasiment à rebours exact de la façon dont on l'a pratiqué aux début du renouveau baroque français dans les années 80 et 90 : en réalité, il faut un grand orchestre (on le savait, mais ça coûte cher), et un continuo (instruments de basse qui accompagnent les chanteurs) très fourni (pas une seule viole de gambe, mais comme ici deux violes de gambes et deux basses de violon, en plus des deux théorbes et du clavecin), qui ne joue pas pendant les tutti. Alors que nous étions habitués à de petits ensembles et à une basse continue qui, comme son nom l'indique, ne s'interrompait jamais.

La basse continue qui se tait lorsque les violons jouent, pourquoi pas, avec un grand orchestre de cordes avec doublures de quatre hautbois et quatre bassons, il y a suffisamment de son et de couleurs pour ne pas le requérir. En revanche, la basse continue à plusieurs, fatalement… elle est moins précise, moins mobile, moins expressive… on peut moins expérimenter d'effets, de coups d'archets qui fassent écho à la situation. Et même si on le fait, le geste est gommé – c'est le processus physique qui fait qu'un chœur de chanteurs moyens peut sonner très harmonieusement… mais il fonctionne aussi à rebours, cela lisse les intentions.
Par ailleurs, avec des chanteurs dotés d'une projection aussi ténue, cela tend à les mettre encore plus en difficulté.

J'ai bien conscience que c'est l'état de la science, et il faut bien sûr au moins l'essayer – on a désormais adopté dans les orchestres les violons de la famille française (dessus de violon plus petit, haute-contre, taille et quinte plus grands), qui paraissaient moins convaincants à l'origine parce que les musiciens les découvraient. De la même façon que l'approche sur instruments anciens a d'abord déstabilisé la plupart des mélomanes, les a privés d'aspects auxquels ils étaient attachés (le vibrato, les tempéraments inégaux par exemple) pour leur faire découvrir un autre visage des œuvres qu'ils aimaient, plus cohérent avec la façon dont elles étaient écrites… (Monteverdi ou LULLY avec orchestre de cordes, vibrato, tempo lent et tempérament égal, ça paraît vraiment très archaïque, lisse et ennuyeux.)

Pour autant, une grande tristesse m'a envahi pendant ce concert : j'en arrive au point où tout ce que j'ai passionnément aimé dans ce répertoire me glisse entre les doigts.
→ Le théâtre ?  Ce soir tout le monde était en déchiffrage avancé, même les chanteurs faisaient des fautes de texte ou de liaison.
→ La clarté des mots ?  Désormais la mode est aux voix rondes (et pâteuses), mal projetées, trop couvertes, poussant des sons peu gracieux depuis l'arrière de la bouche. On comprend très bien, en se concentrant, parce que l'orchestre reste petit et sur instruments naturel, mais il n'y a pas l'émotion directe du texte déposé avec une intention précise, une allusion, etc.
→ La précision de l'attaque ?  Maintenant qu'ils sont nombreux même au continuo, un halo enveloppe tout.

Considérant qu'en plus le langage de ces œuvres est très homogène, aussi bien dans la poésie que dans la musique, j'ai la triste impression d'en arriver au point où je peux surtout être déçu. (J'en suis au point de me demander si je ne devrais pas arrêter d'en écouter et uniquement en pratiquer pour pouvoir réaliser mes fantasmes au lieu de déplorer qu'ils ne soient pas / plus réalisés.)

Je suis un peu gêné de me retrouver dans la situation du (presque) vieux (quasiment) blasé qui voudrait que tout reste comme dans sa jeunesse, mais en réalité je crains qu'il ne gise là une véritable raison que je ne pourrai pas secouer si facilement. Autant pour les instruments d'époque (bien que né assez tard pendant le mouvement de renaissance musicologique), j'ai progressivement accepté de faire mon deuil des Mozart ronds et de trouver autre chose (dont je ne saurais désormais me passer) dans les nouvelles propositions des ensembles spécialistes, autant j'ai toujours été attiré par le caractère directe du un par partie. Je sais qu'il est en réalité peu fréquent dans l'histoire de la musique (pour Bach, où il a été largement expérimenté, il n'est en réalité pas très bien fondé, ou en tout cas anecdotique numériquement dans les exécutions de son temps, si j'ai bien compris la littérature sur le sujet), mais concrètement, ce qui me touche, c'est d'entendre une voix singulière d'instrument ou d'humain placer une inflexion précise… Pour les voix, vraiment, même dans les chœurs, le un par partie ou à tout le moins les petits effectifs changent tellement la donne en terme de précision expressive, et donc d'émotions transmises ! 

C'est une provocation que je fais souvent, mais c'est davantage une opinion impopulaire qu'une provocation : je voudrais entendre la Symphonie des Mille pour dix musiciens, voire le Crépuscule des Dieux par des chanteurs baroques accompagnés par un consort de théorbes… Pour moi, le plaisir est infiniment plus intense avec des émissions claires et antérieures, des effectifs réduits.

Or, je vois bien que ce répertoire, que j'ai tant aimé, glisse inexorablement vers tout autre chose, avec des chanteurs qui, même spécialistes, ont une technique calibrée sur les exigences du répertoire du XIXe siècle, et des effectifs instrumentaux qui tendent à s'étoffer. Je n'ai plus qu'à espérer un effondrement économique (partiel, il faut viser juste) pour retrouver des exécutions par des voix minuscules qui ne trouvent pas d'engagements ailleurs et accompagnées par dix musiciens faute d'argent.



8. Tout ça est trop grave

Dernier élément, assez considérable car il remet en cause toute la pratique historique informée. Je ne sais quelle technique était utilisée par les chanteurs d'époque – c'est très difficile, voire impossible à établir, les qualificatifs sont trop vagues (on ne connaît la physiologie de la voix que depuis la première moitié du XIXe siècle, et là encore, il n'est pas possible de recréer précisément les techniques décrites), la voix est trop liée à l'évolution de la langue, à la vie même… Cependant ils n'avaient aucune raison de couvrir les sons (modifier les voyelles pour se protéger dans l'aigu) – au contraire, les contemporains ont décrit des voix plus proches du cri – vu les tessitures très basses.

Et de fait, on peine en voyant ces sopranos chanter des rôles qui culminent au fa4 (sol sur la partition, mais au diapason à 392 Hz, c'est un ton plus bas que notre diapason actuel), ces barytons qu'on distribue dans des rôles où il faut réaliser des fa 1 (qui seraient un mi bémol à 392 Hz !).

J'ai déjà posé la question des techniques utilisées : on peut imaginer des voix émises plus en avant (ça c'est à peu près cetain), avec un larynx plus haut… Mais même dans ce cadre, à part les aigles comme Marc Mauillon, peu parviennent à faire sonner le bas de leur tessiture assez bien pour qu'on puisse imaginer un chanteur réalisant toute sa carrière dans ces notes-là.
La question se pose moins pour les ténors, les rôles de haute-contre sont plus confortables et même assez aigus, requérant du mécanisme léger dans la musique sacrée. Mais pour les sopranos, les mezzos, ténors graves (voix de taille), les barytons et les basses, clairement le répertoire les sollicite dans leurs mauvaises notes.

Je m'interroge donc sur la pertinence, les voix actuelles étant ce qu'elles sont, de respecter absolument les hauteurs et diapasons. Bien sûr, on est contraint par les instruments naturels dont l'ambitus et les bonnes tonalités sont limités, mais ce serait au fond un moindre mal de ne pas respecter les hauteurs, si cela évite de se retrouver avec des chanteurs étouffés et contraints, qui ne reflètent pas du tout le but de cette musique. Question d'équilibre et de priorités.

J'ai bien conscience de blasphémer, mais pour que le résultat soit probant, je pense qu'il faut vraiment choisir entre une émission adéquate – pourquoi ne confie-t-on pas de premiers rôles à Dagmar Šašková, Blandine Staskiewicz, Gwendoline Blondeel, qui connaissent ce répertoire par cœur et dont la voix se fond idéalement dans ses contraintes de tessiture ? – et un changement de diapason ou une transposition, en l'état ce n'est pas probant.



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Une fois plus près, ça allait mieux…



9. Tous mes sens égarés ne m'abusent-ils pas

Étonnante expérience, donc, que de découvrir une œuvre tant attendue, de l'admirer intensément, et de se sentir si mélancolique, triste peut-être. J'ai l'impression de faire le deuil d'un répertoire qui s'est changé sous mes yeux sans que je puisse rien y faire – malgré tous mes cris d'alerte.

Et si je compare autour de moi, je vois moins de fans des chanteurs que lorsqu'on était confronté aux générations précédentes (où il y avait les fans de Mellon, de d'Oustrac, d'Auvity…), avec beaucoup de commentaires similaires sur les problèmes de projection – vraiment, dans le même TCE à placement égal, l'impression générale que le volume sonore a beaucoup diminué.

Bien sûr, tout ne va pas à vau-l'eau – j'ai été ébloui par l'Acis & Galatée des Talens Lyriques, par exemple. Beaucoup d'autres étapes à venir cette saison : l'Alceste de LULLY par Les Épopées, l'Atys des Talens Lyriques (dans une distribution assez différente du disque qui vient de sortir), l'Atys des Ambassadeurs (avec une application rigoureuse des dernières découvertes musicologiques qui risque de me déplaire à nouveau, mais qui sera passionnante et à coup sûr très différente de toutes nos habitudes)… nous verrons tout cela sur le temps long.

Et je me réjouis, bien évidemment, qu'on n'ait pas totalement abandonné la remise au théâtre de tragédies en musique de l'école post-LULLYste où se trouvent les meilleures œuvres de ce répertoire !

dimanche 7 janvier 2024

[nouveauté] Henryk Melcer-Szczawiński – l'Arenski polonais


melcer_trio.png

Lourdement handicapé auprès de la postérité par un patronyme composé peu exportable, Melcer-Szczawiński (1869-1928) est quelquefois (et notamment pour ce disque) nommé plus simplement Melcer (à prononcer « Mèltsèr »). Pourtant, il dispose d'atouts proprement musicaux exceptionnels.



Formé aux mathématiques et à la musique à Varsovie puis à Vienne, il devient concertiste, comme pianiste accompagnateur et soliste, tout en remportant pour ses compositions le premier prix lors de la deuxième édition du Concours Anton Rubinstein (1895).

Je suis avant tout frappé par la générosité de ses inventions mélodiques. Ce Trio, que je n'entendais pas pour la première fois, développe quelque chose dans le goût la phrase slave infinie, comme une chanson d'opéra inspirée du folklore, mais dont la mélodie s'étendrait sur un mouvement entier. L'évidence, l'élan, mais aussi la cohérence thématique sont immédiatement persuasifs, et le rendent accessible à tous les amateurs de romantisme tardif, même sans connaissance des normes en matière de structure – sans lesquelles il est plus difficile d'apprécier d'autres figures comme Brahms, mettons. J'ai vraiment pensé très fortement au Premier Trio et au Second Quatuor d'Anton Arenski.

Je ne dois la trouvaille de ce disque du Trio Apeiron qu'à mon exploration systématique du catalogue de certains éditeurs, comme CPO ou, en l'occurrence, DUX, parmi les labels les plus stimulants en termes de découverte de répertoire (de qualité). Nouveauté relative, puisqu'elle date déjà de janvier 2023, mais ne me blâmez pas si l'on ne met pas en tête de gondole les merveilles les plus essentielles – d'autant qu'à part la version chez Arte Préalable en 2020, je n'ai pas vu, à ce jour, d'autre disque intégral pour ce trio, que j'ai simplement connu par son Andante dans la collection « Moniuszko Competition » chez le même éditeur DUX.

Le reste du disque n'est pas beaucoup moins intéressant, incluant une Rhapsodie en trio de Ludomir Różycki (autre figure polonaise capitale, davantage tournée vers la modernité, quelque part entre Melcer et Szymanowski), une très lyrique Romance en duo (violon-violoncelle) d'Antoni Stolpe, et 6 Bagatelles de Mikołaj Górecki (le fils de Henryk) pleines de simplicité.
Un petit tour d'horizon d'œuvres polonaises remarquables, qui élargissent le répertoire du trio, dans une exécution à la fois maîtrisée et intense. Donnez-nous davantage de disques de ce genre en 2024, s'il vous plaît.

David Le Marrec

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