Les Kindertotenlieder par Nathalie Stutzmann
Par DavidLeMarrec, mardi 13 décembre 2005 à :: Disques et représentations :: #110 :: rss
Compte-rendu du concert du 9 novembre 2005 par Sylvie Eusèbe. Merci à elle pour cette très belle contribution.
David LM.
Bordeaux, Palais des Sports, mercredi 9 novembre 2005, 20h30.
Concert, E. Grieg : Danses symphoniques n° 2 et 3 op.64, Ph. Hurel : Phonus pour flûte et orchestre (création française), G. Mahler : Kindertotenlieder.
Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, direction Christian Eggen, Benoît Fromager (flûte), Nathalie Stutzmann (contralto)
Le Palais des Sports de Bordeaux
fait figure d’ovni en béton tombé dans le centre ville. Il rassemble un parking aérien sur plusieurs niveaux, des boutiques et une salle de spectacle d’environ 1500 places que l’on sent polyvalente à l’extrême. Une décoration inexistante des lieux et un confort minimal reflètent sans doute l’idée que l’on se fait des attentes du public sportif, mais ce n’est absolument pas le cadre rêvé pour un concert classique.
Aucun programme n’est distribué par le personnel (très aimable), et seule la grande scène, avec le podium du chef, les sièges, les pupitres, les instruments (contrebasses et percussions), les rideaux noirs sur les cotés et un fond éclairé d’un beau bleu uni, permettent de se préparer à la musique et d’arriver à l’état d’esprit qui en fait le mieux profiter.
Ce n’est bien sûr ni pour Grieg ni pour la création française que je suis ici, cependant dès les premières notes des Danses symphoniques l’orchestre séduit par ses sonorités nettes et riches, en particulier les bois et les cuivres. Si Grieg m’a fait penser aux dernières symphonies de Dvorak, le concerto pour flûte qui a suivi ne m’a pas évoqué grand-chose. Il n’a pas révolutionné ma difficile approche de la musique contemporaine, sans toutefois déclencher un rejet, ce qui arrive pourtant souvent. J’admire le travail des musiciens et du soliste, mais c’est sûrement plus agréable à jouer qu’à écouter ! Quelques passages ont un peu capté mon attention, en particulier quand la construction est plus sensible, lorsqu’un dialogue clair s’installe entre la flûte et les groupes d’instruments. J’ai pris le cri (d’énervement ?) du flûtiste à l’issue de son long monologue pour de l’humour, mais je ne suis pas sûre que cela soit le but du compositeur… Celui-ci a été bien applaudi par le public malgré quelques « hou » probablement de rigueur lors de toutes créations.
Après l’entracte, le moment attendu arrive : N. Stutzmann entre sur scène par le passage ménagé dans les violons et prend la place habituelle du soliste à gauche du chef. Ni pupitre, ni partition, elle connaît donc l’œuvre par cœur, ce qui ne me semble pas systématique pour un concert. Elle se concentre la tête penchée en avant, derrière les pieds des deux micros hauts perchés devant l’orchestre (le concert est enregistré par France Musique).
Les instrumentistes débutent le premier Kindertotenlieder sous la battue sans baguette et ample du chef dont le corps et les cheveux suivent la musique en souplesse… Et N. Stutzmann chante.
Elle chante tranquillement, calmement, sans drame, sans douleur même… Ses gestes sont lents et mesurés ; les mains croisées les paumes vers le haut ou les bras ouverts vers l’avant accompagnent discrètement la parole. Sa prononciation toujours claire permet de savourer chaque son, notamment les «…aus » un peu trainant sur le s (Haus, hinaus, Braus, Graus). Mais surtout, c’est par la beauté seule de son timbre qu’elle touche. Je retrouve l’impression que m’avaient faite ses enregistrements des symphonies 2 et 3, seuls exemples que je connaissais de son chant mahlérien. Cette partition est bien sûr écrite pour sa tessiture, mais sa voix convient si totalement à cette musique qu’on en oublie le sens du texte, pourtant ici encore plus terrifiant que dans les symphonies puisqu’il traduit un drame vécu par Mahler.
Le début du troisième chant « Wenn dein Mütterlein » (Quand la tendre mère) me semble particulièrement remarquable, le dialogue et l’équilibre entre la chanteuse et les instruments sont parfaits, notamment grâce aux cuivres, d’une grande douceur et sans fausse note...
Le chef incite ses musiciens à augmenter leur volume sonore lorsque N. Stutzmann ne chante pas, mais dès qu’elle reprend, l’orchestre à l’instant joue piano. Et il lui faut bien toute cette respectueuse délicatesse, car on sent que N. Stutzmann de toutes façons ne force pas et ne forcera pas. Tant pis s’il faut probablement terriblement tendre l’oreille passé le parterre puis l’orchestre, car même de celui-ci toutes ses notes ne s’entendent pas, en particulier les graves en fin de vers.
La contralto aborde le quatrième chant « Oft denk’ich, sie sind nur ausgegangen ! » (Souvent je me dis qu’ils sont seulement sortis !) avec une grande sérénité, son léger sourire ne laisse nulle place à l’inquiétude, et ne traduit aucun pressentiment du drame, le contraste entre le présent du narrateur et ce qui s’est peut-être déjà passé n’en est que plus saisissant (Der Tag ist schön !).
Quant au dernier lied, il était dans ma mémoire beaucoup plus mouvementé et tourmenté. « In diesem Wetter, in diesem Braus » (Par ce mauvais temps, cet ouragan) dit un peu violemment, presque scandé, en tout cas très dramatique. Ici rien de tel, N. Stutzmann, encore un peu plus retenue que dans les chants précédents, calme et droite, semble nous dire que ce cheminement musical délivre des sentiments terrestres, de la tristesse pesante et paralysante, et qu’ainsi arrivent plénitude et élévation.
« Par ce mauvais temps, cet ouragan,
Ce vent qui hurle,
Ils reposent comme dans le sein de leur mère.
Ne redoutant nulle tempête,
Protégés par la main de Dieu,
Ils reposent comme dans le sein de leur mère. »
Quelques secondes de silence pour permettre à tous de sortir de ce monde, puis forts applaudissements. N. Stutzmann reprend visiblement ses esprits (rapidement tout de même), enserre des deux mains celle du chef d’orchestre un peu gauche sur son podium et lui glisse un « danke » lu sur les lèvres, puis serre la main du premier violon et envoie un salut aux cuivres. Pendant plusieurs rappels enthousiastes des bravos se font entendre, la chanteuse gratifie le public de « merci » et se fait longuement applaudir des mains ou des archets par les musiciens.
S. Eusèbe, 14-17/11/2005
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