Carnets sur sol

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mardi 28 octobre 2014

Les moissons de novembre


Comme chaque année, novembre est un mois particulièrement riche en découvertes potentielles… faites votre marché !

1er — Saint-Louis-en-L'Île, 16h — Polyphonies géorgiennes. Un beau répertoire qui mérite d'être découvert.

2 — Musée d'Orsay, 15h — Les Lunaisiens, l'ensemble d'Arnaud Marzorati, proposent les chansons du pacifisme de 1840 à 1918 (j'espère un disque, même si l'émission lyrique de Marzorati n'est pas idéale du tout pour les détails expressifs du répertoire chansonnier).

4 — Versailles — Scylla & Glaucus de Leclair par Les Nouveaux Caractères. Un opéra du milieu du XVIIIe, mais où la déclamation prime encore sur la galanterie, malgré la présence abondante de (très belles) danses. Les invocations infernales de Circé sont particulièrement impressionnantes, il n'y a guère que Charpentier qui puisse s'y comparer, dans sa Médée (mais plus de soixante ans les séparent !).
4 — Centre Culturel Tchèque — Dagmar Šašková interprète des chansons jazzistiques de compositeurs tchèques : Jaroslav Ježek, Josef Kainar, Jiří Suchý & Jiří Šlitr, Jiří Bulis, Milan Dvořák.
4 — Saint-Quentin-en-Yvelines — Le Winterreise mis en scène par Oida dans le bel arrangement chambriste de Nemoto, avec le très grand schubertien Samuel Hasselhorn et Didier Henry (toujours en grande forme).

Suite de la notule.

samedi 18 octobre 2014

[au concert] Concerto pour violon n°1 de Szymanowski, Symphonie n°7 de Mahler — Skride, OPRF, V. Petrenko


Quelques mots d'un superbe couplage.

Pour les curieux, c'est audible sur le site de France Musique.

Par ce grand lyrisme scintillant, à l'orientalisme contrapuntique qui ne le cède jamais à la couleur locale, le concerto (très symphonique) de Karol Szymanowski et ses thèmes ébauchés, bifurquant au gré des modulations, resurgissant, restent assez irrésistibles, à la fois généreux et jamais vraiment expansifs — faisant miroiter mille possibles sans jamais se livrer frontalement. Jamais déceptifs comme les grands thèmes ultralyriques de Strauss ou Chostakovitch, qui respectivement s'interrompent ou se gondolent, mais jamais aussi franchement élancés, ils se succèdent par fragments qui s'emboîtent à la perfection.
On ne saurait s'égarer dans plus belle forêt.

Très impressionné par Baiba Skride, qui n'a pas la notoriété de la plupart des violonistes qui se produisent à Pleyel, mais qui a été recrutée à la perfection pour cet emploi : le son très pur et intense de son violon se projette sans difficulté à travers la salle, passant au-dessus de l'orchestre par ses harmoniques hautes (mais très claires, pas du tout d'impression métallique), plutôt que cherchant à lutter en volume ou en vibrato — ce qui serait vraiment peine perdue ici. La parenté de cette philosophie du son avec Leonidas Kavakos (mais avec un volume sensiblement plus large que le grec) intéressera sans doute quelques lecteurs.
En bis, une sarabande de Bach assise sur une basse régulière, comme autonome, jouée sans vibrato (mais pas du tout de façon baroquisante), qui englobe toute la salle comme s'il s'agissait d'un petit salon… Magnétisant.

Puis vient la bizarre Septième de Gustav Mahler, faisant alterner :
¶ un mouvement initial en forme de marche aux larges développements (on y retrouve une des vertus principales de l'écriture des grands mouvements de Mahler : un thème n'est jamais répété à l'identique, il revient toujours sous forme de réitérations partielles, de mutations, ou mélangé à d'autres thèmes), aux interruptions spectaculaires, aux crescendos irrésistibles — sur le même patron que les mouvements initiaux des Deuxième, Troisième, Cinquième et Sixième symphonies ;
¶ deux Nocturnes tout de même assez tendus et tempêtueux, aux références concrètes étranges (cloches de vache hors scène dans le premier, petit chant à la mandoline dans le second…), qui contrastent avec l'aspect très dramatique du début de la symphonie ;
¶ un scherzo mi-figue mi-raisin, un peu répétitif, pas forcément joyeux, pas forcément menaçant… et même pas forcément grinçant ;
¶ ce final en rondeau, éblouissant de lumière, une sorte de hurlement poussé dans une immensité dominée — probablement la chose la plus univoque qu'ait écrite Mahler dans ses symphonies (en tout cas du côté des émotions positives…) —, mêlant les fanfares triomphales aux danses légères viennoises (qui changent sans cesse de pieds, hésitant entre trois et deux temps).

Le défaut du résultat est peut-être un surcroît d'intensité (et une unité compromise), car chaque mouvement dispose de contrastes forts, si bien que l'on peut avoir l'impression d'assister à une suite de plusieurs symphonies, et pas forcément à une progression. Mais les moments forts abondent, ce qui est un peu ce qu'on demande à un concert.

Cette musique flatte les meilleures qualités de l'Orchestre Philharmonique de Radio-France (qui n'est jamais meilleur que dans le romantisme très tardif et le décadentisme) : cordes extraordinairement tendues, pleines et frémissantes, au legato infini ; cuivres proprement glorieux, jamais gras, jamais stridents. Sa grande plasticité à la personnalité des chefs peut le desservir lorsque les prétendants n'ont pas de grand parti pris (Deroyer et tout récemment Kuokman ont ainsi mené vers des déceptions), mais Vasily Petrenko n'est pas de ceux qui laissent passer l'occasion.
Sa lecture très vive (le rondeau devient résolument une cavalcade) se resserre au sein de chaque mouvement, donnant l'impression d'une poussée continue, et la gestion des plans est exemplaire de clarté — il n'y a que le dernière mouvement qui, grandement en raison des limites sonore de Pleyel, se brouille lorsque le volume augmente trop. J'ai toujours trouvé Petrenko très porté sur le lyrisme (au risque de trop porter l'attention sur la mélodie)… ici au contraire, tous les aspects de cette musique sont exaltés, et cela ne se résume certainement pas la ligne haute des violons.

Si bien que la soirée est presque trop dense, avec deux monuments particulièrement riches, interprétés sans la moindre baisse de tension… C'est dans des soirs comme ça qu'on ne regrette pas le temps du déplacement.

jeudi 16 octobre 2014

Dagmar Šašková — romantisme tchèque sur des poèmes populaires : Bendl, Dvořák et Novák


Son duo avec Vendula Urbanová dans les mélodies de Martinů et Kapralová a déjà été élu spectacle de l'année la saison passée. Dagmar Šašková revient au Centre Culturel Tchèque pour deux concerts : le prochain (et dernier du grand cycle de cinq concerts donnés au CCT) sera le 4 novembre, consacré à ce jazz des compositeurs décadents d'Europe centrale. Je suis pris par Circé, Scylla et Glaucus ce soir-là, mais nul doute que ce sera, une fois de plus, grand (j'hésite carrément à me débarrasser de ma place versaillaise).

Samedi soir, donc, cycles de chants populaires tchèques mis en musique par des romantiques : Mélodies tziganes de Karel Bendl (1838-1897), Chants populaires slovaques et Ballade des montagnes de Vítězslav Novák (1870-1949), puis les deux plus célèbres cycles d'inspiration populaire d'Antonín Dvořák (1841-1904) : Mélodies tziganes Op.55 et Dans le ton national Op.73. À cela s'ajoute une pièce pour piano de Smetana, très belle et virtuose (comme d'habitude), tirée de ses danses de salon mais étonnamment agile, contrastée et narrative.


« Když mne stará matka », quatrième des Mélodies tziganes de Dvořák, lent tournoiement évocateur de l'apprentissage de la danse.
Le texte d'Adolf Heyduk est aussi utilisé dans le cycle du même nom de Bendl.


Les Bendl et plus encore les Novák n'ont, il faut le dire, pas un intérêt majeur : il se passe peu de choses musicalement, et le texte palpite bien peu, même dans la Ballade des montagnes (où l'on assiste à une suite de coups de théâtre, dont un miracle) où se succèdent tout au plus des atmosphères, sans que le détail soit finement expressif.

En revanche, les Dvořák ne sont pas déplaisants, même s'il ne s'agit pas du témoignage le plus riche de son art. Et culminent dans la pièce mise en extrait ci-dessus. La prise de son (qui dissocie bizarrement les parties de la voix) ne rend absolument pas justice à présence fulgurante de Dagmar Šašková en vrai : le timbre, doux, se termine très en avant, à la limite d'une légère stridence ; chaque note est ainsi à la fois suave et très présente physiquement, avec beaucoup d'angles, de détail (même si j'ai trouvé la diction un rien plus paresseuse cette fois), d'expression… et, toujours, comme parcourue d'un petit sourire primesautier.

Il est vrai que je suis très sensible à l'esthétique vocale tchèque, à la fois claire, antérieure et très naturellement projetée — une figue s'achevant sur une pointe de citron ; mais le disque nous a surtout laissé la trace d'instruments dramatiques d'un tranchant parfois aux limites de l'ingratitude (comme Děpoltová, mais aussi d'autres assez fascinantes comme Kniplová et Červinková). L'ascendance de Šašková est davantage à chercher du côté de Šubrtová, mais d'un format moins lyrique (presque baroqueux), et sans ce petit confort un peu moelleux gentil — Šašková irradie plus qu'elle n'est gentille.

Bref, comme à chaque fois : vous avez vraiment eu tort de ne pas venir. Dans soixante ans, on vous demandera si vous avez vu Šašková chanter les airs de cour et mélodies comme on vous demande aujourd'hui si vous avez vu Callas dans la Traviata de Visconti. (Vraisemblablement pas, mais on aura tort en tout cas.)

samedi 11 octobre 2014

Airs de cour italiens avec théorbe et guitare baroque : quelques enjeux — La Galanía, Raquel Andueza


1. Programme

Un mot sur ce concert plutôt atypique (hier à l'église des Billettes) : Raquel Andueza, après trois ou quatre albums solos (et des interventions chez Pluhar), fait une tournée autour des airs d'amour chez les premiers baroques italiens.

C'est le moment où le goût de la déclamation monodique se répand, une sorte d'Âge d'Or bientôt chassé par les fascinations purement glottophiles de l'opera seria.

Au programme : airs de Merula, Strozzi, Monteverdi (les quelques tubes du concert : Lamento d'Arianna, Lamento della Ninfa, Si dolce è'l tormento), Capellini, Kapsberger, Mazzochi, auquels sont adjoints des pièces instrumentales de Valdambrini, Kapsberger et Corbetta.

2. Effectif

Jouable pour de petites formations, facile à chanter, immédiatement séduisant (beaucoup de chaconnes entraînantes sur des basses stéréotypées), ce répertoire est assez régulièrement donné à Paris (d'Antonacci à Šašková, en passant par des chanteuses qui débutent dans la carrière). L'originalité ici résidait dans l'accompagnement, sans cordes frottées ni clavier. Or, la pureté des lignes discrètes des guitares au sens le plus large, leur polyphonie sautillante siéent idéalement au caractère intimiste (pas besoin de rivaliser avec le son continu d'une viole de gambe) et semi-dansant (beaucoup plus de variété d'attaques et de dynamiques qu'avec un clavecin) de ces pièces.

3. Glottologie

Conséquence : Raquel Andueza, à laquelle on devine des moyens assez glorieux (un peu en gorge, façon Lefilliâtre), peut laisser sa voix de soprano de concert, et explorer des techniques très différentes de ce qu'utilise le chant lyrique issu du romantisme européen. Hier soir, elle utilisait beaucoup la voix de poitrine (quasiment interdite chez les sopranos) et laissait en permanence de l'air passer dans sa voix : bien sûr, cela rendait la voix moins sonore, mais aussi moins sophistiquée, plus directe… elle chante pour le bénéfice d'une petite assemblée, pas pour une arène où la captent les caméras du monde entier. On sent même une petite fatigue s'installer, car l'émission est sans doute moins confortable et saine qu'avec un gros soutien diaphragmatique sur une obturation nette des cordes…

Sinon, derrière un accent espagnol très prononcé (même pour un français, son italien est redoutablement ibérique), des qualités de déclamation superbes, et qui ne sollicitent pas seulement le ressort de la solennité — aucune recherche d'autorité vocale, de dramatisation par le volume. Simplement, les mots sont habités, et l'émission moins charpentée qu'elle utilise (les voyelles sont assez ouvertes, aussi) lui permet de produire plus de sens avec moins de son.


On entend assez mal les caractéristiques sus-évoquées, dans cette vidéo ; en revanche on perçoit très bien la particularité de cette approche pas du tout emphatique, et la beauté étrange du grain de voix.
N.B. : Quoique la pièce soit commune aux deux programmes, ce n'est pas Pierre Pitzl qui joue ici, et il n'y avait pas de harpe aux Billettes.


4. Continuo

Avec elle, deux accompagnateurs : le discret Jesús Fernández Baena au théorbe, avec lequel elle a fondé son duo spécialisé dans ces musiques, La Galanía, et le virtuose Pierre Pitzl à la guitare baroque — directeur de l'excellent ensemble Private Musicke (il faut absolument entendre le disque d'airs de cour français avec Stephan van Dyck, on trouve difficilement mieux !).

Pitzl explore les variétés de jeu (du polyphonique au rasgueado) de son instrument avec un rare bonheur, et beaucoup de maîtrise — pourtant, il n'est même pas spécialiste exclusif : non seulement il joue du luth (un peu comme tous les autres guitaristes baroques, de ce fait diversement performants) et de la guitare classique, mais même de la viole de gambe à tout aussi haut niveau (il l'enseigne tout de bon au Conservatoire de Vienne !).

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Une soirée absolument captivante, et la formule dense (courte et sans entracte) permet de créer l'atmosphère sans créer de lassitude — car les lignes de basse, les harmonies, les diminutions et les textes (le bonheur de souffrir d'amour) restent très comparables d'une pièce à l'autre, même si chacune dispose de son charme propre dans cette sélection de grande qualité (aucune pièce médiocre, que des bijoux).

jeudi 9 octobre 2014

Toutes les écoles et beaucoup de théâtre : Le Consul de MENOTTI — Collet, Encina Oyón, Herblay-Athénée 2014


Un tout petit mot sur la production de The Consul, la rareté annuelle donnée à Herblay (1,2) à la fin de la saison passée, et reprise à l'Athénée cette semaine (la première était ce mercredi, et à partir de vendredi s'enchaînent les trois autres dates).


1. Un librettiste qui compose

Gian Carlo Menotti (né en Italie en 1911, mais ayant largement vécu aux États-Unis) est avant tout un homme de théâtre : sa carrière illustre des genres lyriques assez différents, et culmine probablement davantage dans ses livrets (il est l'auteur de Vanessa de Barber, une des plus belles pièces à chanter du répertoire) que dans sa musique. Au début de sa carrière, la MGM l'avait d'ailleurs recruté pour écrire des screenplays — aucun n'a abouti à l'écran, mais The Consul provient de l'une d'entre elles.

C'est néanmoins un compositeur habile et assez inspiré, qui parcourt les styles sans produire peut-être de chef-d'œuvre ultime, mais toujours avec bonheur, depuis la très courte conversation en musique (The Telephone en 1947, un clin d'œil sur la romance au quotidien revue par les nouvelles technologies) jusqu'au grand opéra ultralyrique postpuccinien (Goya en 1986, écrit pour Plácido Domingo).

2. Les styles du Consul

The Consul (1950) est son premier grand opéra sérieux, et se situe pourtant à la jointure de ces univers ; on y voit passer la plupart des influences de Menotti :

¶ la conversation en musique badine, avec ses vents très sollicités et ses rythmes primesautiers ou dandinés, dans la lignée des néoclassiques italiens (Wolf-Ferrari par exemple) ;

¶ le lyrisme puccinien (occasionnellement straussien) qui éclate sans pudeur dans les grands moments, avec ses doublures de cordes et ses thèmes très intenses, quasiment lacrymaux ;

¶ la sévérité un peu abstraite de Britten dans les moments dramatiques, dont la carrure (avec pourtant des mesures simples et nettement pulsées) semble échapper, de même que la mélodie, peu saillante, un peu grise, étouffante et propice aux huis-clos ;

¶ les aspects 1 et 3 tissent aussi beaucoup de liens avec Poulenc que ce soit pour cette jovialité pleine de contorsions ou pour l'oppression d'harmonies et de temps martelés, très parents avec les Dialogues des Carmélites.

3. Qualités du Consul ?

Le livret reste assez dense en nombre d'événéments mais n'hésite pas à laisser les atmosphères se développer. Menotti se donne peu de limites dans la dureté du propos, et sa force est accrue, je trouve, par l'absence de leçon politique donnée : même si la famille Sorel est clairement l'objet de persécutions, aucun pays n'est mentionné, ni celui où l'action se tient, ni celui dont le consulat est censé ouvrir les portes. On peut se figurer que le modèle se trouve dans les démocraties populaires de l'Est de l'Europe, mais cela fonctionne aussi bien avec les régimes nationalistes d'avant la guerre, ou dans n'importe quelle dystopie sans libertés individuelles. Par ailleurs, le combat de John Sorel n'est pas précisé ni exalté, ce qui nous laisse, là aussi, tout au théâtre — sans l'embarras d'opinions qui ne sont pas forcément les nôtres et auxquelles l'artistes nous sommerait de nous soumettre.

Deux sujets essentiellement : le sort de la famille d'un opposant politique traqué (vision excessivement sombre de la réalité), et l'attente dans le consulat — qui est à la fois le lieu d'une indifférence cruelle, et le terrain propice à toutes les facéties librettistiques.

La partie sombre, quoique très prenante, n'est pas la plus intéressante musicalement (c'est là qu'on entend du Britten-Barber sombre, et le Poulenc des Dialogues), avec une véritable efficacité théâtrale, mais peu de saillances.

En revanche les séances au consulat, qui empruntent davantage les couleurs du néoclassicisme italien de Malipiero, Rota et surtout Wolf-Ferrari, sont assez jubilatoires ; pas tant à cause de leur propos (il est un peu facile de supposer l'indifférence et l'incompétence des gens dans des admninistration surchargées) que grâce à leur fantaisie (beaucoup de personnages de caractère, assez savoureux) et à leur musique. Menotti utilise des recettes simples (répétitions de cellules musicales, de pair avec les échanges rigides au secrétariat du consulat), mais très bien coordonnées avec le texte, et pas dépourvues de charme musical.
Ce sont, à mon avis, les moment qui font réellement le sel de l'œuvre.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les deux aspects alternent sans se nuire : la jubilation des jeux de la salle d'attente n'est pas ternie par l'atmosphère générale, pas plus que le sort désespérant des Sorel n'est adouci par ces intermèdes bouffons.

4. Production Collet-Pasdeloup

Suite de la notule.

dimanche 5 octobre 2014

Les audaces du dernier baroque français — les Boréades de Rameau, les Motets de Mondonville


Après deux concerts centrés sur la « troisième école » (quoique cette proposition de classement soit moins pertinente pour la musique sacrée), l'occasion de redire un mot sur l'état du chant baroque dans le répertoire français.

1. Les motets de Mondonville

Ils sont célèbres auprès des amateurs du genre pour leur grande virtuosité ; de la vocalisation et des traits virtuoses à l'orchestre, mais surtout des figuralismes très impressionnants, dignes des meilleures scènes de tempête de la tragédie en musique (« Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit et « Mare vidit » dans In exitu Israel), à quoi s'ajoutent des ensembles contrapuntiques richement écrits. À la fois très savant et immédiatement entraînant.

Si l'influence italienne est évidente (les fusées « vivaldiennes » au violon — mais elles sont paradoxalement aussi la marque de Rameau, qui incarnait la pureté du style français en son temps), on peut être davantage étonné d'entendre dans la partie figurative d'In exitu Israel quelques enchaînements harmoniques qui sont plus caractéristiques de Mendelssohn. Clairement, cette exubérance du dernier baroque « flamboyant » nous fait déjà basculer dans autre chose.

2. Les Boréades de Rameau

Les Boréades sont d'abord un incroyable réservoir de musiques irrésistibles — peu de tubes à part « Jouissons » et la Contredanse qui clôt l'acte I, mais toutes les danses sont fulgurantes, et toutes les parties vocales prégnantes. Même lorsqu'on est plus sensible à la déclamation plus hiératique et prosodique des écoles précédentes, comme c'est mon cas, il est impossible de ne pas être magnétisé par cette générosité musicale débordante, comme si Rameau, pour son dernier opéra, avait voulu y jeter à la fois toute son expérience et toutes ses idées nouvelles.
Et puis, bien sûr, historiquement, l'inclusion (très épisodique, mais marquante) des clarinettes, l'usage massif des vents (quatre flûtes dont deux alternant avec le piccolo, quatre bassons, chaque groupe pouvant doubler les cordes, tenir des lignes autonomes, ou même accompagner seul un air chanté avec les continuistes) qui annoncent le style d'après.


Ensuite, le livret est intéressant, parce que, tout en reprenant le schéma habituel du Grand Siècle, il en change profondément le sens.
Dans Les Boréades, l'Amour est entravé par les nécessités du pouvoir et de la Gloire, comme dans n'importe quelle bonne tragédie, lyrique ou non. Le héros n'y est héroïque, comme dans toute bonne tragédie en musique, que parce qu'il est secondé par des dieux qui sont ses ascendants ou apprécient son caractère généreux.

Et pourtant, il est question, pour le fils d'un dieu, de mériter le soutien de son père céleste, et plus encore de trouver sa propre voie — le début du deuxième acte révèle ainsi un côté « développement personnel » étonnamment moderne !
Et la hiérarchie entre la Gloire et l'Amour se retrouve tout de bon inversée, Alphise renonçant à son devoir de reine pour pouvoir rejoindre Abaris sans mettre les Vents dans la rue. À aucun moment il n'est sérieusement question d'abdiquer son bonheur individuel : on veut bien risquer sa vie, mais on se bat pour lui, il est le seul élément non négociable qui justifie tout le reste. La Gloire fut.

Les propos d'Abaris revêtent même un aspect séditieux assez spectaculaire, refusant d'obéir aux dieux, s'il les juge tyranniques :

Votre orgueil ne voit point de refus légitime,
Tout ce qui le blesse est un crime,
Vous voulez être craints, pouvez-vous être aimés ?

Là encore, comme cela nous évoque notre vision du monde, où être aimé est la finalité ultime, jusque pour les hommes de pouvoir.

Et quand on considère les relations symboliques entre les dieux païens et le Dieu chrétien, dans les tragédies du temps, il y a de quoi être vraiment impressionné par cette poussée de modernité qui outrepasse les seules Lumières avec le regard critique sur le pouvoir absolu et la recherche d'un bonheur sensible et individuel.

On peut considérer que l'identité d'Abaris (fils d'un dieu) diminue la nouveauté de la chose, mais j'y vois surtout la rémanence d'un vieux canevas à opéra, tandis que le contenu moral en semble assez radicalement neuf.

3. Les Musiciens du Louvre

Je craignais l'embourgeoisement entendu dans Gluck récemment… eh bien non.

Bien sûr, le son des cordes n'est plus le même depuis le départ de Daniel Cuiller (qui y imprimait une couleur unique, très chaleureuse et dépaysante, une sorte de vert-roi), et le style tire vers moins de fondu et de danse, plus de virtuosité et d'italianité… mais le résultat reste confondant de maîtrise et d'engagement, toutes les fusées coulant à un train d'enfer sous leurs doigts experts.

4. Le chant baroque français aujourd'hui

Et voici notre volet glottophile.

Pour Mondonville, c'est facile :

Suite de la notule.

David Le Marrec

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