Parmi les
brassées de nouveautés de ces dernières semaines,
et le nombre important de celles que j'ai
écoutées, quelques pépites que je vous recommande
tout particulièrement – que ma consommation déraisonnable soit au moins
utile.
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J'évite autant que possible de prendre du temps de notule pour des
remarques un peu éphémères, mais cela vous évitera de rater l'essentiel
!
1. Disques
incontournables : les œuvres
Violon solo de Matteis père, Pisendel,
Guillemain (avec des paraphrases de la Passacaille d'
Armide de L
ULLY et
de la Sicilienne de
Pirame &
Thisbé de Francœur & Rebel !), Vilsmayr et Biber par
Isabelle Faust. Des bijoux,
et toujours interprétés avec cette probité musicologique et cette
intelligence artistique.
Deux opéras comiques de
Duni :
Le Peintre amoureux de son modèle et
surtout
Les deux
Chasseurs et la Laitière par les meilleurs spécialistes du genre
(
Orkester Nord /
Martin Wåhlberg). J'ai
évoqué le sous-texte leste du second dans
cette notule. La musique en est de plus fort
plaisante ; tandis que le
Peintre
me paraît beaucoup plus conventionnel et conforme à ce que je
connaissais jusqu'ici de Duni, sans saillances particulières du livret
ni de la musique. On a le plaisir d'y retrouver quelques voix idéales
pour ce répertoire –
Pauline
Texier et
Jean-Gabriel
Saint-Martin, en particulier.
« Sturm und Drang, volume 3 »,
par
The Mozartists.
Du Mozart (Adagio & Fugue) et du Haydn (Symphonie n°44 « Funèbre
»), mais surtout une scène dramatique d'
Annibale in Torino de
Paisiello, une trépidante symphonie
de
Koželuch, et une page
totalement éperdue de l'
Alceste
(en allemand) d'
Anton Schweitzer
! Une très belle découverte, je n'avais pas vu passer les
précédents volumes chez Signum !
Troisième volume de la série consacrée aux
ténors historiques de la tragédie en musique
par
A Nocte Temporis
; ici
Joseph Legros à
la fin du XVIIIe siècle : La Borde, Gluck, Piccinni, (Johann Christian)
Bach, Grétry, Legros lui-même, Berton, Trial… ! Passionnant
parcours dans lequel
Reinoud
Van Mechelen (dont la voix assez couverte n'incarne pas
a priori l'idéal d'époque) se coule
avec beaucoup de talent.
Les
Quatuors pour harpe et cordes
d'Eugène Godecharle, compositeur belge de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, révélés par le groupe
Société Lunaire : des
œuvres pleines d'esprit, dont la variété et l'intérêt sans cesse
soutenu m'ont impressionné. À mettre au côté des
Quatuors avec hautbois de Gassmann
ou des duos de violons de Lombardini-Sirmen.
La
Messe
à double chœur de Rheinberger,
un chef-d'œuvre rarement donné, voluptueusement enregistré par
PentaTone, et servi par l'inhabituelle texture mate du toujours
excellent
Chœur de la Radio
des Pays-Bas, jamais épais ni désagréablement tendu. Couplage
avec de très beaux motets de Mendelssohn.
The Nutcracker and
the Mouse King, un pot-pourri
Tchaïkovski pour servir une nouvelle version de
Casse-Noisette, non pas en ballet,
mais pour accompagner le récit inspiré cette fois non de Dumas mais de
Hoffmann ! Œuvres sélectionnées par
John Mauceri (à partir
d'œuvres moins célèbres : Hamlet, The Tempest, Snegourotchka, etc.), en
créant des
leitmotive, en
choisissant les meilleures parties récitatives et dramatiques… ça
paraît du bidouillage sur le principe, mais c'est totalement réussi
! Très belle narration aussi par
Alan Cumming.
Les
œuvres pour violon & piano de
Mel Bonis (par
Sandrine
Cantoreggi &
Sheila
Arnold), dévoilant une part assez ambitieuse de son legs, du
calibre de sa
Sonate pour violoncelle
et piano.
Coup de foudre pour deux albums
Reger,
une
anthologie Warner (apparemment
version abrégée d'une précédente anthologie) qui permet un panorama
très complet dans de très belles interprétations, et révèle un Reger
bien plus divers et coloré qu'on n'en a l'image.
Et en nouveauté,
trois lieder
orchestraux qui révèlent un
Reger
romantique, mais pas postromantique épais comme ses poèmes
symphoniques, vraiment un Reger qui verse l'expression à grands flots,
à la frontière du décadentisme. Parmi ses toutes plus belles œuvres, et
d'un style que je ne lui connaissais pas. De surcroît, articulé avec
netteté sur instruments anciens avec
Spering, et énoncés par
deux excellents spécialistes,
Anke
Vondung et Tobias Berndt.
Les
chants a cappella de Samuel Coleridge-Taylor, un
idéal d'élégance évocatrice dans ce répertoire, par l'excellent
Chœur du King's College de Londres.
Pour la suite de la série consacrée au Brésilien
Claudio Santoro chez
Naxos, la Symphonie n°8 est couplée avec le Concerto pour violoncelle.
J'y entends beaucoup l'influence de la musique soviétique, et ce n'est
pas nécessairement le meilleur volume de la série, mais il y a… les dix
minutes des
Interactions
Asymptotiques, et là l'inventivité et la chaleur des timbres et
des strates me ravit absolument, un bijou à chérir.
Quatuors à cordes de compositeurs japonais : Yashiro, Nishimura,
Miyoshi, et les deux « tubes », les
Landscape
de Takemitsu et Hosokawa – plutôt les pièces les moins abouties et
adaptées à la formation. Coup de cœur en particulier pour les
Pulses of Light de Nishimura, de l'atonalité très
dynamique et conforme à son projet d'évocation !
2. Disques
incontournables : les interprétations
Le
Requiem de Campra
particulièrement frémissant dans cette nouvelle version du
Concert d'Astrée (à mon
sens la meilleure version discographique à ce jour).
Un
Haendel qui est un tube (
Dixit Dominus),
mais ici exécuté avec mordant (
Chœur
de la Radio Flamande, Il Giardellino), incroyablement animé.
Encore une version de
Scylla & Glaucus de Leclair (la quatrième, et la
troisième en moins de 10 ans…), par
Vashegyi, et il faut
admettre que c'est une proposition tout à fait électrisante, l'
Orfeo Orchestra est animé
et coloré comme il ne l'avait pas été depuis longtemps, le plateau
rayonne (
Wanroij, Gens, Dubois
qui sont dans un très bon jour, tous très en voix et très en mots). Et
l'œuvre, évidemment, très séduisante instrumentalement dans ses
nombreux divertissements, et particulièrement saisissante dans
l'invocation infernale de l'acte IV et le final rageur de l'acte V. Je
ne suis pas partisan de dépenser des subventions et du mécénat pour
réenregistrer une œuvre dont on disposait déjà de trois autres
excellentes versions, mais quitte à le faire, faites-le avec ce niveau
de finition !
Petits ensembles de Mozart avec vents
solos par l'électrisant
Ensemble MidtVest (leur
intégrale Gade est fabuleuse).
Quatuor à cordes n°10 de
Beethoven par le
Chiaroscuro
SQ,
d'une intensité rarement entendue, et dont les coloris font honneur au
nom de baptême ! Peut-être la plus belle version de ce quatuor
que j'aie pu écouter. Le n°13 en couplage (sans la Grande Fugue) est
moins singulier et moins superlatif, quoique excellent bien sûr.
Des
Impromptus de
Schubert épurés, droits et
finalement vraiment neufs par
Ronald
Brautigam (sur
pianoforte).
Suprême élégance sur les pianofortés cristallins de l'époque de
Schubert ; les limites techniques des instruments (par rapport aux Graf
des années 1820, comme ceux utilisés par Peter Serkin pour les
dernières sonates de Beethoven, parfaitement fonctionnels) permettent
très peu d'amplitude dynamique, et donnent l'impression que tout est
joué assez fort, mais Brautigam ménage un élan et des phrasés
magnifiques, qui renouvellent vraiment l’écoute… (Autre suggestions sur
piano d'époque, mais plus ancienne, Dähler, grand coloriste, poète,
rhéteur…)
Suite de l'intégrale des
Symphonies
pour cordes de Mendelssohn,
très vive et affûtée (
Dogma
Chamber Orchestra dirigé par
Gurewitsch chez Gold MDG) :
le meilleur des deux mondes (tradi / informé).
Tempi vifs, attaques tranchantes,
plénitude du
sostenuto des
cordes, ces œuvres de prime jeunesse paraîtraient issues de la
meilleure maturité d'un grand compositeur.
Réédition des
Debussy à quatre mains de
J.-Ph. Collard et
Béroff, lectures claires et
ciselées, avec en prime des arrangements orchestraux pour quatre mains (
Symphonie en si) ou deux pianos (le
Faune, les formidables deux
premiers numéros des
Nocturnes…).
Feu et couleurs que je trouvais
remarquables dans la
Phantasie pour
trio de
Bridge (qui ne
m'avait jamais paru aussi
passionnant), et feu d'artifice hallucinant dans le pourtant très couru
Premier Trio
de
Mendelssohn ! C'est à
tel point que je ne suis pas sûr qu'on ait
entendu mieux au disque.
Trio
Laetitia, avec
Deljavan
au piano – chez Artalinna.
3. Pépites isolées
Certaines pistes, indépendamment de la sélection ci-dessus, font
dresser l'oreille et fascinent durablement.
Je pense par exemple au
Thésée de LULLY par les
Talens Lyriques
(œuvre inégale, mais qui comporte quelques très hauts sommets, tout son
acte I en particulier, et le premier enregistrement officiel de qualité
qu'on en ait – « ô Minerve savante » assez extraordinaire), à
l'arrangement des Variations Goldberg pour violon concertant imaginée par
Chad Kelly (interprétation
Rachel
Podger), aux délicieuses
Sonates pour violon & clavecin de Johann Ernst Bach (dont
c'était
l'anniversaire en 2022), à la transcription du
début du III de Siegfried pour
piano solo par
Juliette
Journaux (disque
Wanderer
chez Alpha, il nous faut davantage de transcriptions de ce calibre !),
à l'
Ouverture Ein feste Burg de Raff (sa première œuvre
orchestrale à me convaincre, il s'y passe beaucoup plus qu'à
l'accoutumée) par le
Philharmonique
de Slovaquie, au
Quatuor à
cordes Op.11 de Nicolaï
Tchénépnine par le
Quatuor
Michelangelo, ou encore
Aux Étoiles, le
recueil d'ouvertures françaises fin XIXe publié par le
National de Lyon
chez Bru Zane (Guiraud, Bonis, Bruneau, Holmès, Sohy, Joncières,
Rabaud, et quelques versions extrêmement réussies des tubes de Franck,
Duparc, Chabrier, Chausson, Dukas et d'Indy).
On a aussi quelques documents importants qu'il fallait absolument
publier, mais qui ne m'ont pas forcément intéressé autant qu'espéré,
comme
Das Lied
von der Glocke d'Andreas
Romberg à Duisbourg (important de l'entendre, mais il existait
déjà un enregistrement, le chœur est amateur et surtout le compositeur
n'a clairement pas
le génie de son cousin Bernhard),
Ariane de Massenet (il faudra que je
réécoute, j'en ai retiré peu d'impressions), et autres belles choses
comme
La
Princesse de Trébizonde
d'Offenbach, belle œuvre et belle réussite de l'équipe, mais qui
ne me paraît pas aussi incontournable que d'autres disques, puisqu'il
s'agit ici d'opérer une sélection…
4. Le goût du sang
Parce que je sais que si vous venez lire une telle notule, c'est moins
pour être informés que pour vous repaître de remarques assassines –
voici quelques déceptions.
À la vérité, comme je choisis les disques qui m'intéressent, je n'ai
pas croisé d'immense ratage, de proposition totalement inintéressante,
d'œuvres nulles, d'immondices, ou pis, de Philip Glass.
Néanmoins, quelques propositions n'étaient pas tout à fait à la hauteur
des attentes.
Difficile pour les ensembles et chanteurs non spécialistes du
répertoire français de réussir à bien l'interpréter, et le nouvel
Acis & Galatée
de LULLY
par l'excellent Sardelli connaît quelques raideurs et monochromies en
conséquence – difficile de passer juste après la publication
extraordinaire des
Talens
Lyriques cette même année ; j'y remarque surtout
Jean-François Lombard,
chanteur exceptionnel qu'on entend trop peu à l'opéra, et dont la
technique très singulière (voix mixte, mais avec une forte proportion
d'émission de tête) sonne un peu étrangement au disque et en contexte
dramatique, il est vrai.
Toujours pas très convaincu par la voix très couverte de
Lea Desandre, qui ne
correspond (malgré toute sa science du style) pas bien au cahier des
charges de l'
air de cour
(évidemment une nouvelle pour
Le
doux silence de nos bois est toujours une bénédiction, surtout
aussi bien accompagnée).
Vraie déception pour la
Belle Meunière
de
Samuel Hasselhorn,
que je suis et admire depuis ses études au Conservatoire. Il a fait
évoluer sa technique vers un aspect plus barytonnant… et cela lui
permet peut-être davantage de stabilité dans les œuvres avec orchestre,
mais éteint aussi la singularité qui faisait son charme. J'en parle
plus en détail dans cette notule.
Douloureuse surprise, le disque du
Gewandhauschor n'est pas vraiment un arrangement pour chœur (ce
qui m'aurait passionné), mais une version du
Winterreise
pour soliste et accompagnement d'accordéon parfois renforcé de chœurs
(qui sonnent assez kitsch, façon chœurs en « hou-hou » de la Fiancée de
Cadix). De surcroît le chœur, audiblement amateur, n'est pas le
meilleur d'Allemagne… Restent la belle diction de Tobias Berndt et
quelques réussites comme « Das Wirtshaus », qui semble vraiment sur le
papier le lied le plus conforme à une écriture chorale. Et ici, pas
d'accordéon, chœur d'hommes, c'est très beau.
Barbara Hendricks (je
fais partie de ceux qui l'ont beaucoup aimée, y compris dans ses
emplois les moins attendus comme la mélodie et le lied) a toujours de
la voix (bientôt 75 ans !), même si le centre de gravité s'est
fortement abaissé. En revanche, manifestement pas de répétiteur de
français pour ces
cantates et
mélodies orchestrales de Berlioz…
ça pique, et ça manque de direction, c'est bien dommage. (Alors qu'elle
a proposé des enregistrements magnifiques en français, sa Leïla des
Pêcheurs de perles avec Plasson
par exemple.)
Nouvelle version du
Trio de Chausson par
le
Trio Metral
mais… si j'aime assez le piano, je suis frustré par le son des cordes,
très « international ». Ce sont de grands musiciens, mais je n'aime pas
ce son ample, patiné, homogène pour le répertoire français, où je me
sens plus à l'aise avec des attaques franches et un timbre un peu plus
acide (du type Stéphanie Moraly, Philippe Koch, Saskia Lethiec, Émeline
Concé, Aitor Hevia, Anne Robert…). C'est un peu comme pour l'orgue,
j'écouterais très volontiers tout le répertoire avec ce son à la
française. Mais au moins pour le répertoire français fin-de-siècle,
déjà écrit de façon nébuleuse, j'ai besoin de franchise dans les
articulations. Ce n'est donc même pas un jugement sur l'interprétation
proprement dite, j'ai vraiment eu peine à entrer dans la proposition
pour des affaires de goût – et autant pour la voix je peux argumenter
qu'il y a des problèmes de projection, que ce n'est pas efficace pour
la diction, autant ici, pas de problème, Nathan Mierdl sait jouer du
violon, très clairement…
Deuxième Symphonie de Mahler
par
Rouvali avec le
Philharmonia.
Écouté sans doute un peu distraitement, mais dans cette (tout à fait
bonne) version, je n'ai pas retrouvé la singularité de ses Sibelius (où
les ponts semblaient devenir les thèmes et les thèmes devenir des
transitions), et au sein de cette discographie d'une quantité
excessive, cela rend évidemment la proposition moins essentielle.
Les
Concertos de Jan Novák, pas très saillants…
mais je pensais écouter Vítězslav Novák, le grand postromantique
tchèque très inspiré, né en 1870, pas ce jeunot né en 1921 ! Je
le découvre à l'occasion, mais je l'ai méjugé à l'aune de l'autre. (On
voit surtout Novák en gros sur la pochette, ce qui est trompeur.
Imaginez qu'on fasse pareil pour Johann Ernst Bach ou Isidore
Stravinski !)
La Symphonie « Bretagne » de Didier
Squiban, très agréable, mais un peu lisse et consonante sur la
durée.
Pas de mauvais disque à signaler, donc. Et quantité d'autres bons
disques qui m'ont moins intéressé.
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nouvelles découvertes !