Dans son œuvre orchestrale, Ponchielli manifeste les qualités purement musicales déjà sensibles dans son œuvre lyrique ; contrairement à beaucoup de compositeurs italiens du XIXe siècle, sa musique dispose d'une réelle substance, qui peut passer l'épreuve de la « musique pure » sans superficialité, virtuosité ni galanterie.
Il faut distinguer tout particulièrement les deux Sinfonie et la Scena campestre (« Scène champêtre »), où la qualité de l'inspiration mélodique, la variété des climats et la fluidité de construction – malgré les juxtapositions thématiques, cela ne sent pas trop le pot-pourri à la façon des ouvertures d'opéra.
Symphonies extrêmement brèves d'ailleurs : 11 minutes pour la première, 7 pour la seconde. Aussi aphoristique qu'une sinfonia baroque, et cela en un seul mouvement où ne voisinent pas de grands contrastes de tempo.
En passant, je recommande l'écoute de la Grande Traversée consacrée à l'inauguration et à la première saison du Théâtre des Champs-Élysées. Elle a l'avantage d'aborder beaucoup d'aspects simultanément, et avec les témoignages précis des décideurs de l'époque (ou de leurs proches). On y mentionne notamment :
les difficultés pour trouver un terrain : refus par antisémitisme, puis refus du lieu prévu du Rond-Point des Champs-Élysées pour protéger la perspective ;
les volumes financiers ;
le détail artistique de la construction : modèle unique des poses d'Isadora Duncan pour le bas-relief des neuf Muses de Bourdelle) ;
le détail de la programmation : 40% d'œuvres contemporaines, mais aussi les mêmes standards qu'aujourd'hui (par ordre de fréquence décroissant : Beethoven, Chopin, Schumann, Wagner, Bach, Franck, Debussy, Liszt, Mozart) ;
les difficultés de l'ouverture : encore en travaux le jour même de l'inauguration, la demande d'Inghelbrecht (confirmée par une expertise de Weingartner dépêché spécialement) d'agrandir la fosse beaucoup trop étroite (sensiblement moins d'1m² par musicien).
Et d'autres détails intéressants. En une heure, l'émission a l'avantage de ne pas se limiter au seul aspect musical, et de bien remettre en perspective les enjeux de l'ouverture d'une nouvelle maison (la concurrence avec le Châtelet aussi...).
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Moins intéressant, plus drôle, le documentaire L'autre Karajan (titre de la version allemande : La seconde vie de Karajan), toujours disponible en ligne. Les documentaires de ce genre sont rarement intéressants, confits dans l'hagiographie ; et plus les personnages sont déjà très célèbres, plus le mythe, l'exagération et la désinformation s'en mêlent. Mais ici, le caractère (involontairement, je le crains) parodique mérite tout de même d'en regarder les cinq premières minutes (je ne suis pas allé plus loin en tout cas).
On commence par la promesse du diffuseur : « Une face méconnue, sinon cachée, de l'immense chef d'orchestre allemand. » (oui, né à Salzbourg et mort dans ses environs, qui eût cru qu'Arte au détour d'une phrase rétablît ainsi l'Anschluß ?)
Alors, à votre avis, quelle est cette face cachée de Karajan ?
Personnellement, j'hésitais entre sa collection de tricyles (pour illustrer une version inédite de l'œuvre concertante pour violon de Bartók, à mettre avec ses fougueux Beethoven et Dvořák) et sa recette maison de la bouillabaisse au currywurst. Mais non, plus spectaculaire encore.
Je l'avoue honteusement, j'ai mis le CD par pure curiosité, et pas la curiosité saine de la belle découverte, plutôt celle qui recherche l'insolite – quand elle n'anime pas – chez d'autres moins vertueux que moi – la médisance.
Oh, je n'attendais pas une horreur, les Haydn de Boulez avec le Symphonique de la BBC sont d'un maintien raide, mais très valables. [Évidemment, il y a le cas mythique de ses deux versions de Water Music, jouées à la tradi – illustration parfaite du paradoxe qui fait des compositeurs les plus modernes des conservateurs en matière d'interprétation, particulièrement parce que les musique les plus concernées ne les intéressent guère. Je n'ai pu écouter que celle de CBS, mais c'est une rigolade, non seulement tradi mais extrêmement empruntée.]
Extrait des deux premiers mouvements.
Orchestre
Disons que dans ce concerto débordant d'un romantisme précoce, on n'attendait pas de grands épanchements, voire une certaine raideur. Point du tout. Dès le début, l'accompagnement orchestral se caractérise par une forme de noble exaltation, contenue mais très présente, comme si quelque empressement couvait sous la surface. Je suppose que c'est l'effet de violons très lyriques et doux, presque lisses, tandis que les motifs de la petite harmonie et les accents des basses sont particulièrement mis en relief. Dans le mouvement lent, il ose même un vrai tempo adagio (qu'on entend souvent pressé à cause du un poco mosso) et des fondus très romantiques – ajouté à l'inégalité étrange de Curzon (les triolets font de singulières accélérations en crabe), on croirait vraiment entendre du Chopin. Le dernier mouvement se caractérise par des sforzandi nets, qui n'étaient pas encore à la mode en 1971, et on peut même parler d'une certaine flamme orchestrale. C'est mieux qu'une bonne surprise, c'est tout simplement la plus belle lecture orchestrale que j'aie entendue dans cette œuvre, sans furie, mais d'un charme presque capiteux.
Piano
Ce ne serait rien, vu la nature de l'œuvre, si le piano n'était pas à la hauteur. Et autant le jeu (très intéressant néanmoins) peut paraître un peu massif et dur en 1977 avec Kubelik et la Radio Bavaroise, autant Curzon est ce soir-là au sommet de ses moyens, chaque note timbrée (jusqu'au glas feutré de l'extrême grave à la fin du deuxième mouvement), une main gauche délicate et éloquente (des motifs rares apparaissent dans le troisième mouvement). Étant une prise sur le vif, il y a plusieurs traits qui se ratent, surtout à la fin du troisième mouvement (prise de risque maximale côté engagement et tempo, et accentuée pour la coda), mais la chose me paraît complètement vénielle eu égard à l'ensemble. On peut même dire que par rapport à l'intensité incroyablement lyrique de ses trilles du deuxième mouvement, il pourrait bien rater chacune de ses gammes sans avoir épuisé ses gains.
Dans la discographie, j'ai rencontré des pianistes de valeur égale, mais je n'en ai pas entendu qui bénéficient d'un accompagnement à ce point intéressant – d'autant plus précieux dans ce concerto où l'orchestre tient quasiment l'essentiel de la part mélodique et thématique. Oui, même Dresde et Vonk, même Szell et Cleveland (parfait, mais sans ce petit élan supplémentaire – qui l'eût cru de Boulez ?).
Couplage et discographie
Le Concerto pour piano n°26 de Mozart, capté en 1974, est beau, mais me convainc moins : Curzon est un peu charpenté et massif pour Mozart, et Boulez a davantage de difficulté à exalter les qualités de l'orchestre mozartien (l'énergie sous-jacente et le détail des profondeurs de l'orchestre ne sont pas essentiels ici). Le tout est disponible sur un album BBC Legends.
Il existe quantité d'autres remarquables versions, bien sûr ;
Donné dans un couplage généreux et particulièrement intense (Le Roi des Étoiles de Stravinski et la Cinquième Symphonie de Sibelius), le Philharmonique de Berlin avait proposé, en septembre 2007, une très belle version du Martyre de saint Sébastien, dans des dimensions respectables (soixante minutes de musique, la plupart du texte conservé étant déclamé pendant la musique).
L'œuvre en elle-même est assez bancale, avec ses numéros très fermés, souvent à plusieurs (solistes ou chœurs, si bien que le texte en est peu intelligible) et ses tirades enflammées, à la fois mystiques et très théâtrales – ce qui est toujours difficile à conjuguer, à plus forte raison à une époque où les auditoires ne sont plus nécessairement acquis à la cause sacrée.
La bande radio inédite, en attendant qu'elle soit (potentiellement) publiée.
Certains récitants prennent le parti de l'hystérie façon Jeanne d'Arc (on pourrait presque les qualifier de lecture « critique »), d'autres d'un certain hiératisme, au risque de paraître un peu formel et figé.
Le parti pris de Sophie Marceau me séduit beaucoup, alors même que les acteurs habitués de l'amplification m'ont rarement paru adéquats dans ce genre d'exercice. Elle assume la présence de micros en ne se lançant pas dans une émission théâtrale projetée, mais reste très timbrée et n'abuse pas des murmures ; la posture est celle de la confiance extatique, et c'est sans doute la plus difficile à tenir, car elle réclame une adhésion intellectuelle (même feinte) sans faille de la part du récitant, sous peine de voir se briser l'illusion et de sombrer dans le ridicule de la fausse extase mal jouée. Et je dois dire que cette douce ardeur est réussie avec une assez belle constance et une maîtrise de l'équilibre, jamais emphatique, jamais empesée...
Dans le détail, on remarque la précision apportée au débit, pour que chaque syllabe sonne, ainsi que la perfection (rare) des consonnes.
Il est probable aussi que, bien que s'exprimant devant un public germanophone (trois soirs successifs à la Philharmonie de Berlin), elle avait beaucoup plus travaillé son texte que la moyenne des récitants, qui abusent trop souvent du privilège de conserver un pupitre pour ne pas trop les ouvrir avant la représentation. Le texte fragile de Gabriele D'Annunzio n'autoriserait pas les bafouillages, mais on est au delà de la simple netteté : pour obtenir le juste poids, et le réussir sur le vif devant un vaste public, il est vraisemblable que beaucoup de soin a été apporté à la préparation.
Afin d'éclairer le propos, je précise que je ne suis pas à compter au nombre des inconditionnels de Sophie Marceau, dont j'ai trop peu fréquenté le legs pour avancer un jugement raisonné. En l'occurrence en tout cas, elle tient son rang mythologique. Cela n'empêche pas quelques écarts çà et là, en particulier à la fin – la mort de Sébastien peut paraître un peu affectée, sans doute à cause d'un manque d'abandon à ce moment-là, la récitante semble s'interdire de tout à fait incarner ce que ses accents suggèrent – mais la composition d'ensemble demeure fortement charismatique.
Publiées ces jours-ci sur le recueil d'instantanés Diaire sur sol, une poignée de nouvelles entrées :
Henryk GÓRECKI - Amen Op.35 - M. Brewer & J. Nelson
Sorte de cri extatique dont la répétition amène toujours de nouvelles moirures, un véritable moment de grâce – que je place tout à fait au sommet de l'œuvre de Górecki, pas forcément prodigue en la matière.
Et faire six minutes aussi tendues sur les deux syllabes d'un même mot, et sans user de tuilages contrapuntiques, quel tour de force !
Version : Great Britain National Youth Choir, Mike Brewer (chez Delphian). On entend un peu de souffle sur les timbres, et les couleurs sont assez pâles.
J'ai donc réécouté la version de référence : Chicago Lyric Opera Chorus, Chicago Symphony Chorus, John Nelson (chez Nonesuch). Les voix sont peut-être un peu rugueuses (choeur d'opéra...), mais finalement très congruente avec l'esthétique massive de Górecki, et la réverbération d'une vaste nef valorise très joliment le caractère fervent de ces pièces. Couplé avec le Miserere (aussi nu et répétitif que du vrai plain-chant), Euntes ibant et flebant, et plusieurs chœurs polonais d'inspiration traditionnelle.
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