¶ Szymanowski – Concerto pour violon n°1 – Nicola Benedetti
¶ Szymanowski – Concerto pour violon n°2 – Stryja
¶ Martinů – Symphonie n°4 – Bamberg SO, N. Järvi
¶ Martinů – Symphonie n°3 – Bamberg SO, N. Järvi
¶ Mozart – Concerto pour basson – Thunemann
¶ Mozart – Concerto pour clarinette – Friedli
¶ Mozart – Concerto pour hautbois – Harnoncourt
Étonnant, ce ton « méchant » !
¶ Mozart – Concerto pour clarinette – Harnoncourt
¶ Minute glotte : Sonia Yoncheva dans Thaïs (« C'est toi, mon père »). Tout rond, assez opaque.
¶ Minute glotte : Sonia Yoncheva dans Traviata. Extraits avec Chaslin à Valence et avec Borras à Tokyo. Là, beaucoup d'enthousiasme et d'ampleur.
¶ Rihm – Sieben Passions-Texte – EXAUDI
Remarquable, sorte de Lassus déformé au gré d'un étrange vortex. Frotte, mais toujours joliment, toujours dans une véritable direction. « Caligaverunt » pourrait presque être pris pour un pastiche de Gesualdo des derniers livres.
¶ Nono – ¿ Dónde estás, hermano ? – EXAUDI
Écrit pour son Prometeo, avec quatre voix féminines solos. Je ne suis d'ordinaire pas très intéressé par ces compositions qui jouent avec le silence, mais ici, les voix émergent comme des cris sur de belles harmonies, tendues, mais qui sonnent assez fonctionnelles… Comme des fragments de parole qui échappent brièvement au silence. Vraiment émouvant.
¶ Rihm – Mit geschlossenem Mund – EXAUDI
Une harmonie complète, assez homophonique, de véritables couleurs mouvantes et une progression logique. Très beau.
¶ Nono – Sarà dolce tacere – EXAUDI
Écrit dans une harmonie assez conventionnelle, sorte d'écho de partiels, beaucoup moins directionnel et discursif que Dónde estás. Ça reste joli si c'est bien chanté.
¶ Rihm – Quatuor n°12 – Minguet SQ
Par un grand quatuor, ça change tout.
¶ Varèse – Amériques – DSO Berlin, Metzmacher
Dimanche 1er février
¶ Rihm – Astralis – RIAS KCh
L'œuvre est très belle, mais avec ce chœur, la pâte paraît sacrément brahmsienne : on perd sur les tensions et les angles, on dirait vraiment une œuvre postromantique avec quelques petites tensions supplémentaires comme les Nordiques en ont tant écrit au XXe siècle. Harmonie totalement fonctionnelle et lisible.
¶ Boismortier – Don Quichotte chez la Duchesse – Niquet studio
Toujours phénoménal.
¶ Rihm – Fragmenta Passionis – RIAS KCh
Partition moins clairement articulée, moins convaincu aussi.
¶ Takemitsu – Coral Island – Rie Hamada, Yuzo Toyama
¶ Rameau-Klemperer – Gavotte de la Suite en la – Klemperer
¶ Cambini – Quatuor n°4 – Le Ricordanze
¶ Cambini - Quatuor n°5 – Le Ricordanze
¶ Cambini - Quatuor n°6 – Le Ricordanze
¶ Mozart – La Clemenza di Tito (acte II) – Harnoncourt studio
¶ Mozart – Die Zauberflöte, Ouverture – Harnoncourt studio
¶ R. Strauss – Elektra (jusqu'à l'entrée de Clytemnestre) – Thielemann studio
¶ Tchaïkovski – Quatuor n°2 – Borodin SQ
¶ Tchaïkovski – Quatuor n°3 – Borodin SQ
Pas la version que j'écoute le plus souvent (plutôt Prague SQ, Taneyev SQ, Carmina SQ ou Franz Schubert SQ), mais quand même très bonne dans son genre robuste !
Mardi 3 février
¶ Taneïev – Quatuors vol.5 – Taneyev SQ
¶ Casella – Serenata (clarinette, basson, trompette, violon et violoncelle) – Ex Novo
¶ Albéniz – Merlin – Eusebio
Mercredi 4 février
¶ Albéniz – Merlin (à nouveau !) – Eusebio
¶ Wagner – Meistersinger (acte I) – Wiener Phkr, Solti
¶ Haydn – Quatuor Op.33 n°5 – Terpsycordes SQ
Jeudi 5 février
¶ Wagner – Meistersinger (actes II et III) – Wiener Phkr, Solti
¶ Wagner – Meistersinger (acte II) – Wiener Phkr, Solti
¶ Wagner – Meistersinger (acte III) – Wiener Phkr, Solti
¶ Schubert – Lazarus – Bernius
Samedi 7 février
¶ Schönberg – Moses und Aron – Cambreling
Pas beaucoup plus varié que du seria au bout d'un moment, mais ça s'écoute très facilement en fin de compte, et les alliages orchestraux sont somptueux. (Superbe version sur tous les plans.)
¶ Gluck – Iphigénie en Tauride (extraits) – Véronique Gens en 2010 et 2014 au Theater an der Wien. La prod de Torsten Fischer a l'air très prenante.
¶ Gluck – Iphigénie en Tauride (début) – Sebastian
Crespin ou pas, sans le style, ça s'affaisse vite.
¶ Gluck – Iphigénie en Tauride – Minkowski studio
Là, c'est formidable. Et qu'est-ce que Delunsch chante mieux que toutes ces voix postérisées à la mode, tout de même…
¶ Schein – Motets – InAlto, Colson
Beaucoup de musique instrumentale contrapuntique incluse : ce répertoire me paraît moins passionnant sans le verbe.
Par DavidLeMarrec,
mardi 3 février 2015 à 23:23 ::Transversal
Les Victoires de la Musique Classique ne sont vraiment pas formatées pour le mélomane de gros appétit, mais elles restent un moment un peu incontournable pour moi : quand j'étais gosse, c'était plus ou moins la seule façon de regarder de la musique classique en direct… Évidemment, aujourd'hui, ça n'a plus la même importance, c'est sûr. Parce que j'ai envie d'écouter autre chose que des bouts de scies, parce que j'ai souvent déjà entendu les artistes (dans de meilleures conditions), parce que le concept reste quand même assez peu festif… et surtout parce qu'on a de la musique en vidéo et même du direct partout tout le temps.
Mais je le survole tous les ans en rediff' à la demande, ça permet de voir un peu ce qui est communiqué au grand public (enfin, plus exactement au public occasionnel de la musique classique, qui n'est déjà plus le grand public).
Bien sûr, on peut trouver mille choses à redire — ne pourrait-on pas faire plus ludique, avec des explications un peu pédagogiques, des comparatifs entre interprètes, mettre les compositeurs un peu plus à l'honneur, faire des démonstrations, donner des anecdotes sur le fonctionnement d'un orchestre ou le métier de chanteur d'opéra… Mais c'est comme les Césars : ça reste avant tout cérémoniel, ça n'a aucun intérêt si on n'a pas vu les films, mais tout le monde regarde quand même. Dont moi — en n'écoutant que des extraits de chaque prestation musicale et à peu près aucun commentaire, mais tout de même.
Et ce que j'entends cette fois-ci est très plaisant (on est plus dubitatif certaines années). Les numéros plus cross-over sont assez bien conçus, de surcroît.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 8 janvier 2015 à 23:17 ::Opéra
J'ai toujours beaucoup aimé cette version, mais à la réécoute cette fois-ci, plus que par les belles atmosphères nocturnes, je suis frappé par la mollesse d'articulation de Giulini. Certes, c'est du Giulini, donc à part en prime jeunesse, toujours assez franchement indolent, mais ici, c'est au point que beaucoup d'accords, dans les récitatifs sont carrément en retard…
Étrangement, la tension monte subitement à certains moments (final du II, très intense !), avec grand renfort de cymbales (mais vu que c'est aussi le cas avec d'autres orchestres et d'autres chefs, je suppose qu'il y a une part de responsabilité des ingénieurs de DG sur ce point précis). D'une manière générale, la seconde moitié de l'intégrale est beaucoup plus dense que le début extrêmement indolent (le « Prologue » explore même les confins de la léthargie).
Après ça, il est vrai que vocalement le quatuor est assez fabuleux, avec Plowright et Domingo certes opaques, mais insolents de santé dans leurs jeunes années — et, surtout, l'altier et mordant Zancanaro, et Fassbaender à son sommet, qui mixe avec de la voix de poitrine en permanence tout en ouvrant les voyelles, une enchanteresse magnétique à laquelle personne ne peut se mesurer.
Sans surprise, lecture très instrumentale, avec un bel orchestre moelleux et épais, une voix dans un allemand improbable (mais insuffisamment articulé pour que ce soit réellement moche…). La lecture de Netrebko, dans son genre très instrumental, est plutôt étonnante, avec un grain très intense, presque une lecture rageuse de ces pages. En tout cas dans Im frühling et September, parce que les deux derniers plongent un peu dans une mollesse hédoniste qui est encore moins ma tasse de thé.
C'est beau, mais à peu près l'exact inverse de ce que j'ai envie d'entendre.
Ce qui serait ? Plutôt du côté, pour en rester aux voix larges et glorieuses, de Grümmer-Kraus, Steber-Levine ou Jurinac-Sargent. Et puis, dans d'autres types plus affûtés, Te Kanawa (Solti, mais aussi Abbado), Cotrubas (bande avec Sinopoli), Meier (bande avec Metzmacher), Stich-Randall ou Kaune.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 22 octobre 2014 à 17:28 ::Opéra
Je me suis replongé dans deux versions que j'avais très peu pratiquées (fasciné depuis toujours par Pidò / Dunlop, je remets presque tout jour ça lorsque j'ai envie d'écouter l'iÉlixir/i, ce qui arrive pourtant assez souvent).
¶ Ferro 1986, avec Bonney, Winbergh, Weikl et Panerai.
Très chouette : bien chanté, avec élégance. Ce n'est pas du théâtre en barres, mais au moins, c'est délicat (or dans la discographie, les horreurs glottopathologiques du genre Bonynge-Sutherland-Pavarotti ou Levine-Battle-Pavarotti abondent).
¶ Pritchard 1977, avec Cotrubas, Domingo, Wixell et Evans.
Et là, c'est la révélation. J'avais déjà trouvé ça bien, mais je bloquais sur Domingo : quand même un peu sombre et sérieux. En réalité, non : il allège au maximum, et non sans malice.
Contre toute attente, parmi les meilleurs (et bien d'autres reprennent ses tours). Cotrubas dans sa jeunesse, encore très légère, est fantastique d'espièglerie, et toujours cette couleur extraordinaire. Pareil pour Wixell, qui malgré son accent un peu prononcé sur les premières syllabes, fait du sillabando avec une rare aisance et de superbes variations chromatiques.
Et le plus fort, c'est la direction de Pritchard : on entend les détails avec nerf et ampleur à la fois, c'est beau et ça fouette, et on pénétère dans une partition non sans beautés, et jouée avec une ardeur rare, comme si les musiciens étaient totalement possédés par le scénario de Scribe.
Seule réserve, le Dulcamara d'Evans un peu gras et embarrassé, pas très intéressant, mais enfin, vu la qualité du reste, on ne va pas se plaindre.
Pritchard égale, au minimum, Pidò dans mon estime. Je suis amené à le réécouter souvent (ce que j'ai déjà fait, soit dit en passant).
J'en profite pour redire combien je suis à chaque fois impressionné par cette œuvre : comment Donizetti peut-il, une seule fois dans sa carrière, prodiguer autant de mélodies, d'effets, de modulations subtiles, de rythmes assez déjantés (beaucoup de départs un peu bancals, de syncopes, d'accentuations sur des syllabes faibles, de gammes corrompues…), de jolis effets d'orchestration (le jeu des bassons qui imitent les cors tandis que les cors font autre chose, à la fin du I !)… et avoir produit tant d'immondes daubes supposément sérieuses à côté ?
Et ce n'est même pas comme Rossini, une veine comique indépendante : Don Pasquale ressemble à… du Donizetti. :|
J'en déduis qu'il aurait dû adapter Scribe plus souvent.
Les Métaboles sont forcément sympas en concert ; de même pour le Concerto pour violoncelle de Lalo, avec son ton schumanien et sa veine mélodique populaire façon d'Indy dans chaque mouvement…
Très agréablement surpris par Xavier Phillips, d'ailleurs, dont j'ai toujours trouvé le son désagréablement appuyé en retransmission, mais qui projette remarquablement (y compris sa voix !) le son avec puissance et chaleur. En bis, il ose la Première Strophe sur le Nom de Sacher de Dutilleux, jouée avec une maîtrise et surtout une évidence logique du discours que je n'avais jamais entendue : d'ordinaire, je n'aime beaucoup beaucoup cette pièce qui multiplie les effets… là, c'était dense et éloquent comme du Kurtág. Chapeau.
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Mais la Cinquième de Tchaïkovski, c'était carrément la sidération :
¶ Järvi a complètement changé l'économie sonore de l'orchestre : c'est net, ça claque sans sécheresse, tout ce qui fait ses qualités personnelles et qui n'ont jamais été le propre des orchestres français en général et de celui-ci en particulier. Techniquement, il reste d'ailleurs des traces de l'ancienne manière (les cordes ont tendance à jouer un peu en dehors, avec des entrées pas parfaitement exactes), mais l'esprit est totalement différent.
¶ L'intégration structurelle est stupéfiante : le rubato sert uniquement à emboîter le thème dans sa mutation suivante, avec une adresse et un naturel exceptionnelle.
¶ C'est tendu, tout le temps, au maximum. Exactement comme ses deux dernières symphonies de Sibelius, pour ceux qui y étaient, ou le dernier mouvement de la Symphonie en mi de Rott.
J'ai entendu, dans la même salle, à la même place, cette œuvre par Jansons et le Concertgebouworkest… cent coudées en-dessous. Pas techniquement (la discipline et la virtuosité individuelle sont clairement d'une autre farine à Amsterdam), mais le rendu était purement hédoniste, avec plein d'effets destinés à montrer les possibilités de l'orchestre (je m'étais presque poliment ennuyé, alors que c'est possiblement la symphonie que j'aime le plus de tout le répertoire), là où Järvi construit une progression qui ne se relâche jamais, et qui donne un sens à toute la forme. Totalement exaltant.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 21 août 2014 à 20:46 ::Opéra
Outre qu'il s'agit de l'une des versions les mieux chantées de ces dernières années (Mayer en Sachs, Miles en pleine forme pour Pogner, Oliemans en Kothner, Blondelle en David et, comble du luxe, Adrian Eröd en Beckmesser), les mieux jouées aussi (pas étonnant, avec le Philharmonique des Pays-Bas, l'un des meilleurs orchestres du monde, d'un niveau d'engagement sans comparaison avec le Concertgebouworkest d'aujourd'hui)… l'ensemble est visuellement très intéressant.
Des bandes vidéo de la télévision néerlandaise circulent, et la mise en scène se classe parmi ce que Christopher Alden a commis de mieux, jouant habilement de références temporelles croisées qui soulignent assez bien les différences de statut et de contraintes des personnages, généralement plus abstraites dans ce Moyen-Âge de fantaisie.
La trouvaille majeure, plus que scénographique, tient dans le traitement du caractère de Beckmesser : Adrian Eröd, dans son ensemble violette, campe un jeune dandy très éloigné du barbon grotesque (et peu intéressant) que l'on (se) représente traditionnellement. Sa taille fine, ses talents d'acteur exorbitants, son verbe qui sonne et sa voix qui claque (même s'il est mille fois plus impressionnant en salle) permettent d'explorer l'option très à fond. Ses pédanteries le rendent peut-être encore plus odieux, mais en réalité, cela fonctionne bien mieux, et il campe un rival tellement plus adroit et inquiétant… On pourrait faire le même genre de chose pour Mime, au lieu de le représenter en nabot perfide et prévisible — suis-je le seul à être désespéré lorsque Siegfried tue son père sur un coup de colère ?
Par ailleurs, même si cela tord un peu le contexte originel, les Maîtres qui jouent de vieux instruments passés de mode leur donne quelque chose de ce lustre légèrement ridicule que voulait, il me semble, Wagner.
Par DavidLeMarrec,
lundi 9 juin 2014 à 11:57 ::Opéra
Le Festival de Glyndebourne propose, comme chaque année désormais, ses productions-phares en accès libre sur son site pendant quelques jours (jusqu'au 15 juin, en l'occurrence).
Le titre choisi est un grand classique, mais servi par des chanteurs dont la renommée n'est pas encore immense (Teodora Ghoerghiu en Sophie, Andrej Dunaev en Chanteur Italien), ne l'a jamais été (Michael Kraus en Faninal), voire tout de bon des chanteurs sans renommée particulière (Tara Erraught en Octavian, Lars Woldt en Ochs, Robin Ticciati à la direction).
Tous très valeureux, mais pas de surprises majeures : Dunaev s'épanouit autrement en russe, dans des rôles plus nuancés où il introduit pourtant une forte intensité vocale ; Erraught, très bien au demeurant, dispose d'un vibrato disgracieux (grande amplitude, et détimbrage pendant les « battements ») et n'est pas une très grande actrice. Je me demande d'ailleurs pourquoi Lucy Schaufer, présente dans la production Marelli de Hambourg, énergique vocalement et d'une crédibilité scénique extraordinaire, ne fait pas davantage parler d'elle à l'international.
Parmi les célèbres, pas d'immenses étoiles (Gwynne Howell en Notaire, on est loin du luxe absolu tout de même). Richard Jones fait une lecture qui souligne bien le phénomène de cour, mais en exaltant exagérément le mauvais goût (pourquoi, chez la Maréchale, alors que tout repose sur l'opposition des mondes ?) : ce n'est pas très beau, ça ne bouge pas beaucoup, ça ne raconte pas grand'chose. Il était autrement inspiré dans L'Enfant et les Sortilèges à Garnier.
Quant à Kate Royal en Maréchale, c'est la grande surprise : je l'avais découverte en Woglinde, pleine de mots et irradiant de fraîcheur, avant de trouver que sa promotion précipitée avait terni le timbre (un peu durci, un vibrato où le timbre devenait plus gris)... et je la retrouve comme au premier jour, dans un rôle a priori inaccessible pour le lyrique léger qu'elle était. Éloquence naturelle, clarté du timbre malgré la tessiture basse... une grande Maréchale. Il est si rare que les voix, dans le tourbillon de la carrière, puissent ainsi inverser le cours de leurs problèmes vocaux, que c'en est doublement réjouissant, au delà de la qualité de l'interprétation !
Par DavidLeMarrec,
samedi 7 juin 2014 à 17:13 ::Opéra
Écoute du récital qui vient de sortir, The Romantic Hero, où il n'y a aucun héros, et qui est tout en français. Bref.
L'énergie articulatoire très importante qu'il sollicitait jusqu'à présent pour atteindre ses aigus semble avoir disparu. Très beau récital, très bien chanté, stylé (malgré une couverture audible des sons), avec une belle voix homogène, ni claire ni sombre.
Côté répertoire, uniquement des hits du milieu du XIXe (1835 à 1892) : La Juive, L'Africaine, Faust, Roméo, Hoffmann, Carmen, Manon, Le Cid, Werther.
Très beau partenariat avec Yoncheva, Pidò et la RAI en grande forme – on a rarement entendu aussi poétique pour Manon. Car, contre-intuitivement sans doute, on ne trouvera pas un pouce d'épate dans ce récital vivant mais très sobre.
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Aucun répétiteur de français n'a été maltraité pendant l'enregistrement – il n'y en avait pas. Témoin ce vers de Werther : « Ils ne trouveront plussss que deuil et que misère ».
Mais le français de Grigolo est très bon, autrement, même pas italianisant, à de très rares instants près.
Le ballet adapté pour cordes et percussions par Rodion Chtchédrine, à partir de la matière de l'opéra de Bizet, est l'une des œuvres les plus immédiatement enthousiasmantes, pour tout public, qu'on puisse trouver dans le répertoire : les hits de l'opéra sont concentrés ensemble, répétant les instants ineffables qui le méritent (variations sur l'étonnant fragment du final du II « Tu n'y dépendrais de personne »), et magnifiés par des rythmes incantatoires.
Quelle déception, alors, en découvrant la chorégraphie d'Alberto Alonso pour Maïa Plissetskaïa, à l'origine de la composition ! Une suite d'espagnolades sans épaisseur, quasiment sans propos, et réduisant l'histoire pourtant pas bien compliquée à une suite de clichés à la fois absents de l'original et particulièrement sommaires.
Bref, à écouter absolument au disque et en concert, mais il ne faut pas forcément regretter l'absence du ballet dans les salles. Une nouvelle chorégraphie, avec l'accord du compositeur, ne serait pas malvenue.
Pour les franciliens résidents ou de passage, l'œuvre sera donnée par l'Orchestre de Paris et Josep Pons, les 8 et 9 octobre prochains (à Pleyel).
Pour les mêmes et les autres, la discographie est assez riche : la récente Mikhaïl Pletnev / Orchestre National de Russie (DG) est à la fois la plus virtuose et la plus spirituelle que j'aie entendue, mais la version la plus diffusée à ce jour, Theodore Kuchar / Orchestre Symphonique de l'État Ukrainien (Naxos), tient très bien son rang, avec des cordes clairement moins voluptueuses, mais un engagement qui reste palpable. Dans un genre virtuose un peu moins subtil, Rico Saccani / Orchestre Philharmonique de Budapest (BPO Live) a ses mérites. Je ne crois pas qu'il existe de version réellement ratée, tant l'écriture des cordes et les effets de percussions, très habilement étagés, assurent la réussite, vu le relief musical de la matière première.
Par DavidLeMarrec,
samedi 7 juin 2014 à 12:35 ::Opéra
Le disque des représentations viennoises vient de paraître...
J'aime beaucoup. Techniquement, on est loin de la perfection léchée de Christie (ou même des récentes représentations avec Rousset), mais il y a là une simplicité et une vérité théâtrale que je trouve extrêmement prenantes. Les continuistes ne sont pas les meilleurs, les chanteurs n'ont pas tous des timbres agréables (Gabail et Geslot, je suis toujours séduit, mais on peut ne pas adhérer), et pourtant, il y a, jusque dans les imperfections, une générosité discrète que j'aime beaucoup.
Au disque, un premier choix (a fortiori considérant que le studio Christie, comme son Atys, est extrêmement figé).
Par DavidLeMarrec,
dimanche 6 avril 2014 à 11:53 ::Opéra
Représentations et retransmission très attendues. Le résultat est intéressant, car il n'intéresse pas où on pouvait le prévoir.
La surprise n'émane pas des deux barytons : le premier, Armando Noguera, est un peu robuste pour le rôle (et son français coloré d'un accent qui ne l'aide pas), pas particulièrement subtil dans les intentions – étant difficile d'auditionner pour Pelléas, il a dû impressionner grandement par son la 3, d'une sûreté et d'un éclat admirables en effet.
Quant à Jean-François Lapointe, il doit être marquant en salle, comme souvent, mais en retransmission, la voix paraît forcée, comme si ce Pelléas s'efforçait sans cesse d'entrer dans les chaussures de Golaud – le déplacement forcé du centre de gravité est audible. Sinon, son portrait de Golaud, vif et assez brutal, à l'élocution directe et claire rejoint de près celui d'un autre métamorphosé, François Le Roux – sans la même variété d'intentions, mais il est probable, vu l'instrument et les habitudes du style, que ce devienne un grand Golaud, à l'instar de Laurent Naouri (qui avait fort mal commencé, d'ailleurs, comme en témoigne le terne disque Naïve).
Stéphanie d'Oustrac était un vrai pari : serait-elle trop incarnée dans un rôle évanescent, trop charnue pour le mystère, trop affirmative pour l'absence de réponse ? On pouvait espérer que sa générosité tire Mélisande du côté d'un personnage fascinant par son verbe et sa présence, quitte à être plus décidé qu'à l'ordinaire. À l'écoute (mais ici encore, prise de rôle), c'est plutôt l'hypothèse négative qui se confirme : la voix est vraiment celle de Geneviève plutôt que d'une Mélisande mezzo-soprano ; d'abord techniquement, car les transitions sont audibles dans le médium aigu, et les allègements impossibles ; la diction aussi est intimement liée à l'émission lyrique, et pas « indépendante » comme chez la plupart des grands interprètes de Pelléas, ce qui rend la mobilité expressive plus difficile, alors qu'elle est capitale en Mélisande. Pis, les contrainte vocales mènent parfois d'Oustrac à adopter un ton d'autorité, voire d'agressivité, que je peine à relier à Mélisande malgré mes bonnes dispositions envers son inspiration d'interprète. Dans le grave, la lourdeur de l'instrument (terni par la tessiture) n'a plus grand rapport avec les aphorismes d'un rôle conçu pour la touche légère des sopranos pépiants (Mary Garden).
Néanmoins, pour qui l'a entendue en salle, on devine, malgré un petit abus de couverture (sans doute la prudence des premières représentations), la présence physique de la voix, toujours très saisissante.
En somme, pas de quoi faire un disque sans doute, mais ce devait être très dépaysant et très chouette dans la salle.
Certes, on a pris la peine de distribuer Geneviève à un instrument plus sombre, grâce à l'excellent mezzo grave Cornelia Oncioiu, mais on se retrouve finalement avec une Mélisande-Geneviève et une Geneviève trop héroïque, là où la partition requiert peu de volume au profit d'une déclamation délicate.
Mais la soirée reste fascinante, contre toute attente du côté orchestral : l'Orchestre National des Pays de Loire, malgré sa modestie en virtuosité et timbres, joue impeccablement une partition qu'il possède à la perfection, et la familiarité avec la partition de Daniel Kawka, spécialiste de la musique contemporaine, est complètement audible. Transparence maximale qui n'est pas seulement due à l'effectif réduit, je ne crois pas avoir déjà entendu une telle radiographie de Pelléas, où les motifs sont exaltés sans être jamais soulignés, et où la mise en valeur de chaque plan n'empêche pas une poussée permanente. Il faut au moins écouter la scène de la grotte (II,3), miraculeuse... chaque détail est saillant, et pourtant on a l'impression d'être sans cesse rejeté par l'avant. Et quelle élégance suprême dans le grand duo de l'acte IV – par exemple le hautbois dans « on dirait qu'il a plu dans mon cœur », qui prend son temps avec liberté, ineffable comme jamais.
Les équilibres, les respirations, tout force l'admiration. Une des grandes directions de Pelléas.
Par DavidLeMarrec,
samedi 22 mars 2014 à 18:25 ::Opéra
En regardant des extraits de la production, créée à Toulouse il y a deux ans, donnée à Bordeaux il y a un mois, je suis frappé encore une fois par la virtuosité de Laura Scozzi. Musicalement, ce n'est évidemment pas le meilleur répertoire de Rousset, dont le manque d'entrain se ferait sentir en audio seul... mais visuellement !
Les transpositions scéniques sont très souvent un aveu d'inculture, d'absence d'inspiration ou d'intérêt, une excuse pour ne pas parler du sujet... ici, je suis au contraire impressionné par la justesse de la conception de Scozzi. Ces Indes de Rameau, qui paraissent si conventionnelles aujourd'hui avec leur exotisme stéréotypé et confit, sont remplacées par nos propres stéréotypes, non plus ceux de la littérature à la mode, mais ceux qu'on trouverait dans un cycle d'info de 24h : naufrage d'Européens sur des rivages lointains, affrontements mafieux en Amérique Latine, paradoxes de la condition féminine en Iran (naviguant entre théorie oppressive, réalité plus libre, et tout de même des exactions spectaculaires qui font les unes internationales), et surtout la savoureuse entrée des Sauvages, décrivant à la fois l'étrangeté de la société de consommation... et le retour à l'état de nature après la crise.
Je doute, tout pertinent que ce puisse être, que cela ait pu fonctionner si le trait avait été lourdement didactique ou téléologique ; mais bien loin d'épiloguer sur sa substitution (intéressante pourtant), Laura Scozzi brille surtout par ses talents de chorégraphe... les tableaux se succèdent au fil de pantomimes d'un esprit épigrammatique assez irrésistible, dans le goût de la Guerre des Sexes du dernier acte de Platée chez Pelly-Minkowski, dont elle avait elle-même réglé les chorégraphies.
Ce n'est pas beau visuellement, on peut considérer le résultat trop invasif sur la musique, ou exagérément éloigné du propos d'origine (plus allégorique et esthétisant que démonstratif et prosaïque), mais il est difficile de ne pas être impressionné par ce que le spectacle révèle d'intelligence, à tous les sens du terme.
Par DavidLeMarrec,
samedi 22 mars 2014 à 18:08 ::In vivo
Vendredi prochain, à 19h, à la salle d'orgue du Conservatoire Supérieur de Paris (à côté de la Cité de la Musique), vous pourrez entendre un concert gratuit dédié à Wyschnegradsky, à l'issue des deux journées d'étude (également ouvertes au public, mais en journée).
¶ Méditation sur deux thèmes de la Journée de l'Existence pour violoncelle et piano.
¶ Trio à cordes Op.53 (commenté en détail pendant les journées d'étude).
¶ Étude pour les mouvements rotatoires Op.45a, pour quatre pianos.
Les amateurs de surprenant et de bizarre seront à la fête avec cette figure puissamment originale de la création musicale au XXe siècle, rarissimement enregistré, alors donné en concert... !
Exactement comme pour sa Damnation de Faust – probablement le disque où le chef met en évidence la logique profonde de chaque détail d'articulation et d'orchestration, où tout devient miraculeusement évident et insolent, là où l'on n'entend d'ordinaire qu'une belle globalité –, Markevitch exalte chaque élément de la partition, on entend la plume crisser sur le papier, on sent croître en nous la force de l'intuition géniale qui a guidé le compositeur en remplissant chaque portée.
Ça a l'air de mots, dit comme ça, mais beaucoup d'auditeurs de ces disques conviennent que ça s'entend.
Les spectaculaires deux derniers mouvements ne sont pas les plus réussis de la discographie pléthorique, en revanche les trois premiers, plus délicats (et surtout la Scène aux champs, tellement étirée et répétitive, rarement aimée des mélomanes), sont portés au plus haut niveau d'intelligence. Il faut entendre le parcours hallucinatoire de la Valse, au fil des effets de l'opium : la mélodie est d'abord jouée legato, égale, floue, en dehors du temps (loin des démarches inégales et éméchées, très intéressantes d'ailleurs, que certains chefs ont essayé), avant qu'émerge de la brume une sorte de frénésie qui se met à « battre la mayonnaise » avec emportement, faisant résonner l'armature des trois temps jusqu'à l'absurde. Les tempes bourdonnent.
Difficile de respecter plus exactement le programme tout en faisant de la meilleure musique.
Cette Huitième offre à Stenz l'occasion de faire valoir ses meilleures qualités de structure et d'énergie : aucun affaissement de tension, tout fait sens sans effort, dans une belle poussée logique.
Entre les abîmes de Conlon et les faîtes de Stenz, le Gürzenich s'est complètement transfiguré en l'espace d'un lustre.
Et puis le plaisir de retrouver Orla Boylan chez les sopranos.
J'en espérais une lecture dansante et lumineuse, et de fait, les limites des musiciens et des instruments utilisés sont totalement transcendées par un beau sens de la tension et du rebond, dans une lecture très cursive, pas trop typée Mitteleuropa (rien du pittoresque d'Ančerl par exemple), mais qui en manifeste la culture, en chantant avec naturel et déhanché.
Version : Slovenská Filharmónia, Zdeněk Košler (Naxos).
Les timbres des Wiener Symphoniker ne sont pas proverbiaux (grisaille...), mais pour une fois, leur engagement est remarquable, grâce à Luisi probablement. Paru chez le label de la phalange.
Étrange volet : toutes les symphonies sont réussies, mais ici, Stenz, à l'opposé de sa manière habituelle (pas que dans Mahler), semble privilégier les effets d'orchestration sur le discours (il est vrai moins structuré, lieder obligent).
Christiane Oelze et Michael Volle sont bien sûr superbes, mais soudain, on entend une voix qui murmure dans le micro avec le potentiomètre à fond... c'est Oelze qui chante Urlicht. Le déséquilibre de mixage avec les autres pistes patent, on dirait un équilibre de pop, avec la voix très en avant et intégrée au fond sonore. Au demeurant, le résultat est assez beau (sans doute moins convaincant en salle pour des raisons évidentes de projection).
Cycle complet (moins un). À ce jour, le seul cycle absolument intégral est celui de Chailly, me semble-t-il (quinze titres). Abbado et Boulez le sont presque.
Au sein de cette intégrale extraordinaire (parue chez Oehms), la Deuxième n'est pas le meilleur maillon : ses articulations sont tellement « carrées » et évidentes qu'elles en deviennent prévisibles. Néanmoins une très belle réalisation à tout point de vue. Très bel Urlicht qui ne priviligie pas la platisque (Michaela Schuster est surtout une superbe diseuse à la voix mûre), crescendo de percutions comme infini, et une tenue d'ensemble, un respect scrupuleux des changements de tempo indiqués sur la partition...
Par DavidLeMarrec,
jeudi 27 février 2014 à 18:38 ::Opéra
Il arrive fréquemment que les transpositions scéniques diminuent le propos de la pièce originale, parce que les références littérales se perdent dans les sables d'un nouveau système symbolique.
Mais il est aussi possible, en réussissant sa transposition, de changer un propos audacieux en... autre chose.
En revoyant des extraits du Così fan tutte de Calixto Bieito, je me faisais cette remarque. Je ne suis pas pleinement convaincu par la direction d'acteurs et par nombre de détails, mais le déplacement dans les relations libres du Flower Power paraît cohérente avec le récit de la pièce.
Seulement : le milieu de départ des sœurs n'est absolument pas libéral ; en le transposant, on fait d'une histoire subversive sur l'impossibilité de la fidélité (et les conséquences dévastatrices de liens possessifs et exclusifs) une histoire qui montre au contraire les déboires de hippies qui se croient libres mais ressentent de la jalousie. Au lieu de critiquer la société, on critique les marginaux.
Pour un metteur en scène présenté comme sulfureux, ça fait désordre à force de faire petit-bourgeois.
C'est l'un des effets secondaires possibles de la transposition : sauf à être totalement maîtrisée et motivée par la nécessité de montrer un aspect précis de la pièce, on convoque des références exogènes et contradictoires dont on maîtrise mal les implications.
[Par ailleurs, j'apprécie d'autres lectures de Bieito, par exemple son Wozzeck asservi par le travail, très probant.]
Par DavidLeMarrec,
jeudi 27 février 2014 à 18:21 ::Opéra
Après des années à l'espérer, j'ai enfin mis sur la main sur l'autographe de Thora på Rimol de Hjalmar Borgstrøm !
L'Ouverture est encore mieux écrite que je croyais, vraiment originale, remarquablement orchestrée (pas mal de points communs avec Sibelius), beaucoup de belles appoggiatures, d'appuis pas tout à fait sûrs, de ternaire qui surgit... Une multitude de petits procédés pour donner de l'élan en fin de mesure (triolets...) ou de la tension aux débuts (par l'orchestration ou l'harmonie).
À défaut de programmer l'opéra, somptueux, il faudrait au moins jouer cette pièce en concert, largement du niveau des ouvertures d'Oberon ou d'Euryanthe...
...
Plus loin, tandis que la mezzo descend au fa#2, l'accompagnement se limite à un tapis (thématique) de cor anglais, clarinette, deux bassons et harpe !
Après les grands éclairs qui accompagnent les craintes de Karker, voilà le grand récit de baryton parcouru de leitmotive enivrants... on n'avait rien écrit de tel depuis le monologue du Fliegende Holländer.
Le disque, lui, se trouve – et pour ne rien gâcher, il est merveilleusement interprété et capté.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 27 février 2014 à 17:41 ::Musique de scène
Bien que ce soit surtout sa marche funèbre qui soit donnée quelquefois, il faut écouter la musique de scène complète (quatre numéros), qui contient quelques moments étranges et délicieux, comme cette délicate monodie de soprane avec harpe, ou ce mélodrame avec harmonica de verre.
Là aussi, ça ne se trouve, semble-t-il, que dans l'intégrale Beethoven de Deutsche Grammophon.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 27 février 2014 à 17:07 ::Intendance
Dans l'intégrale Beethoven de Deutsche Grammophon, le cinquième volume de la musique de scène contient une version complète. Dommage que Dietrich Fischer-Dieskau lise le bottin en susurrant dans le micro, mais au moins on dispose de la musique (et du texte).
Étrange qu'on ne la joue pas davantage, au moins par extraits, elle est tellement plus intéressante que celles des Créatures de Prométhée ou d'Egmont, plus souvent enregistrées (et même quelquefois donnée en concert, pour la seconde).
Par DavidLeMarrec,
jeudi 27 février 2014 à 16:24 ::Musique de scène
Cette belle musique de scène n'a jamais été enregistrée intégralement, à ce qu'il semble. La seule captation un peu ambitieuse que j'aie trouvée est celle de Michael Tilson-Thomas avec le LSO (chez BMG), qui contient tout... à l'exception de deux sections de mélodrame (dont une très longue et particulièrement riche orchestralement).
Il faut néanmoins la découvrir : ouverture sympathique, marche turque assez spectaculaire... mais surtout la mystérieuse et extatique Geistlischer Marsch pour quatuor d'orchestre, dans le même esprit que la Canzona di ringraziamento offerta alla Divinità da un guarito du Quinzième Quatuor.
Et le disque contient de très beaux compléments particulièrement rares : la très belle introduction de l'Elegischer Gesang, Opferlied qui évoque étrangement « Per pietà » de Così fan tutte, le joyeux Bundeslied et Meerestille und glücklische Fahrt, dans le goût de la Fantaisie Chorale et de la Neuvième Symphonie.
En attendant de mettre la main sur une version réellement intégrale de la musique de scène ; c'est du Beethoven de maturité, il y a bien un pékin qui a enregistré ça...
Christoph Berner s'y trouve plus habité que dans ses autres enregistrements et concerts, plutôt compassés (lieder de Wolf en concert, ensembles liederistiques de Schubert au disque et en concert...). Werner Güra aussi paraît assez motivé par l'ascension du monument, multipliant les accents expressifs sur les mots importants ; pourtant sa lecture reste extrêmement lissée et traditionnelle. C'est impeccable, mais pas vraiment bouleversant ; de plus, en vrai, la voix sonne très charpentée et opératique, et au disque on entend l'aigu perdre en timbre au lieu de s'alléger élégamment.
Paru chez Harmonia Mundi en 2009. Très bon disque, tout à fait dispensable dans le cadre de la discographie.
Dans un style très similaire au DVD réalisé cinq ans plus tard, le disque Ondine de 1988 révèle les mêmes étranges qualités. Jorma Hynninen ne s'appuie pas tellement sur les consonnes, sur les couleurs des voyelles ou sur l'accentuation pour être expressif, tout coule d'un flux assez égal, sur une voix sombre et lassée, légèrement soufflée (mais jamais détimbrée)... et pourtant, l'intensité vocale rend toujours le sens extrêmement présent. C'est, même, de ce point de vue, l'une des versions les plus habitées de la discographie.
De mon point de vue, peut-être le disque du Winterreise le plus également réussi dans chaque lied, avec une profondeur de sentiment pénétrante et pas loin d'être abyssale.
Cela s'appuie sur l'accompagnement de Ralf Gothóni, pas aussi déterminant que dans leurMeunière, mais parfaitement maîtrisé et tout à fait éloquent, jusque dans la sobriété extrême des derniers lieder.
Par DavidLeMarrec,
samedi 25 janvier 2014 à 01:30 ::In vivo
Dans une salle spectaculairement vide (quinze personnes au second balcon, et le reste n'était pas plein du tout non plus), énormément de satisfactions :
¶ Pierrot Lunaire dans une esthétique déclamatoire : Barbara Sukowa est spécialiste du mélodrame et du sprechgesang (actrice de métier, même si elle dispose manifestement de solides références en chant), et sa voix légèrement rauque (ouvertement sonorisée dans la salle, mais sans excès) fait merveille dans les mouvements expressifs insolites de Pierrot. Elle réussit à redonner à cette partition étrange le naturel de la parole, tout en assurant une véritable variété de timbres, de couleurs et d'inflexions – d'autant plus difficile qu'un ambitus parlé est généralement plus restreint, ce qui n'est de toute évidence pas son cas !
Disque DeGaetani excepté, je n'ai jamais retiré de telles satisfactions de l'œuvre (au demeurant une petite merveille d'étrangeté).
¶ Du Richard Strauss par un orchestre qui se surpasse toujours dans les pages d'un lyrisme intense (chez les Russes notamment).
Par DavidLeMarrec,
jeudi 23 janvier 2014 à 23:58 ::In vivo
Les Chœurs de l'Orchestre de Paris superbes comme d'habitude, même si l'écriture très homogène noie un peu le détail du texte (ce n'est pas vraiment leur faute !).
Quant à Brahms, on a beau dire, mais les symphonies de Schumann, c'est autrement mieux orchestré que la mélasse des trois premières de Brahms... quelle mélasse, tout de même. Et les alternances vents / cordes, dans le genre systématique. Autant j'adore au disque, autant en salle, il n'y a guère que la Quatrième, de tout le Brahms symphonique, qui m'ait convaincu.
Sinon, j'ai enfin entendu l'Orchestre de Paris pas très discipliné, tel qu'on me l'avait décrit ! Peut-être parce que je ne l'avais entendu qu'avec de très grands chefs (Metzmacher, Billy, P. Järvi, K. Järvi), mais d'ordinaire, engagement et plasticité sont de mise. Cette fois, j'ai davantage entendu la disparité des attaques, ou la paresse métronomique (Blomstedt n'étant pas à dédouaner) de traits bien réguliers, même pas phrasés. Enfin, davantage que d'habitude, parce que c'était bien quand même.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 22 janvier 2014 à 15:16 ::In vivo
Représentation du 20 janvier (dernière).
Pendant une semaine, tout le monde semblait en extase dans la presse et chez les spectateurs. À juste titre.
Plateau remarquable :
¶ du côté de Lakmé : Sabine Devieilhe, timbre tès nettement focalisé, avec des couleurs à la Gillet ; vocalisation sobre, très raffinée, maîtrisant le vibrato ; médium qui reste dense malgré sa luminosité ;
¶ de Gérald : Frédéric Antoun, dont la voix s'élargit au fil de la représentation, avec ses aigus tous délicieusement mêlés du son [ou] ;
¶ de Frédéric : Jean-Sébastien Bou, mordant, esprit, éloquence, tout y est pour l'un des plus beaux rôles de tout le répertoire ;
¶ des fiancées : Marion Tassou (Ellen) et Roxane Chalard (Rose), nettement articulées et pleines de fraîcheur, sans aigreletteries.
Confier Mistress Bentson à l'immense Hanna Schaer était un contre-sens : elle reste souveraine dans des répertoires difficiles et dans le lied, mais l'abattage comique et les poitrinés ne sont pas spécialités, si bien que le rôle occulte ses qualités.
Et je n'ai pas aimé (comme d'habitude) Élodie Méchain : je trouvais que la voix était très engorgée, épaisse, opaque et mal articulée (ce qui est assez rédhibitoire pour moi, surtout dans le répertoire qui est le sien), mais elle a de plus mal vieilli. Cela bouge beaucoup, on dirait une voix qui a quarante ans de carrière, alors qu'elle doit être dans sa trentaine (d'années de vie, pas de carrière !). Rien de déshonorant non plus, mais à l'aune de la réputation flatteuse qui la précède partout, je suis frustré de ne pas entendre ce que les autres lui reconnaissent.
Grâce à Accentus, je n'avais jamais entendu les chœurs (à l'occasion complexes, mais rarement raffinés) de Lakmé chantés avec autant de netté et de clarté. Comme d'habitude avec eux (oratorio,opéra,motets, encore opéra...).
Orchestralement, les instruments d'époque des Siècles et la disposition circulaire (pour recréer l'orchestre de dos, face à la scène, tel qu'on le pratiquait au XIXe siècle) permettaient d'obtenir de très beaux équilibres. Les timbres en eux-mêmes sont assez rêches, mais cela empêche le fondu et le legato, ce qui est un atout pour la transparence (et un rempart assez puissant contre la sirupification). Autre avantage : présence sonore très discrète qui permet d'entendre les chanteurs sans effort, et donc pour eux de soigner la diction plutôt que de renforcer leur métal.
Surtout, François-Xavier Roth se montre un grand chef, attentif aux détails de phrasés très délicats, à l'opposé des formules mécaniques d'accompagnement qu'on peut entendre chez les spécialistes du belcanto qui jouent cette œuvre.
Visuellement, Lilo Baur parvient, tout en restant parfaitement traditionnel, à éviter l'abus de couleur locale et l'immobilité. Le talus du I oblige les chanteurs à se déhancher un peu... et le très beau saule exotique du III, dans les lumières changeantes et poétiques de Gilles Gentner, compense en atmosphère ce que le (bon) livret de Gondinet et Gille peut avoir de distendu – car si la matière en est stimulante, la temporalité en est souvent paresseuse.
La partition elle-même est un enchantement, on y entend de jolis motifs récurrents (pas de véritables leitmotive), la préfiguration des tuilages obsédants du marché de l'Aladdin de Nielsen, et surtout de très belles harmonies : très souvent, Delibes remplace l'accord principal attendu par un accord proche (deux notes en commun sur les trois). Par exemple un fa mineur ou un ut mineur à la place d'un la bémol majeur dans « Fantaisie aux divins mensonges », ce qui procure de petits contrastes d'éclairage, sans rien de spectaculaire, mais instinctivement sensibles. Il y a quelque temps déjà que je comptais en exposer le détail, ce sera fait à l'occasion.
Par DavidLeMarrec,
samedi 18 janvier 2014 à 15:23 ::Opéra
(Temple du Luxembourg, mercredi 15 janvier.)
Très belle partition aux harmonies raffinées (on y entend généreusement des orientalismes debussysants), un plateau très investi (avec en particulier Loiseleur des Longchamps excellent dans le registre rêveur, et Jérôme Varnier toujours aussi magnétique). Par-dessus tout, l'accompagnement au piano de Paul Montag ne donne même pas envie d'entendre la version orchestrée !
Enregistrement en cours et démarchage amorcé pour faire monter la pièce en version scénique. Si certains se sentent une âme de mécène...
Par DavidLeMarrec,
samedi 18 janvier 2014 à 00:15 ::Ecclesiasticus
Bien que n'ayant jamais jamais été particulièrement ébloui par la grande Messe en ut mineur ou les Vêpres solennelles pour un confesseur, je découvre (ou du moins je n'avais jamais remarqué) avec enchantement la Missa Solemnis, également en ut mineur, K.139. C'est donc une œuvre de jeunesse, à une époque de la vie de Mozart où les pièces de haute volée ne sont pas encore très fréquentes.
Et pourtant, quelle animation remarquable ! On retrouve les mêmes qualités d'orchestration que dans les symphonies, avec les entrées des vents par touches, toujours au bon endroit pour renforcer un effet, et puis une certaine liberté rythmique pour l'époque. Pour un résultat qui peut se comparer à l'ardeur de la 25e Symphonie (en beaucoup plus optimiste) – car bien que présentée comme ut mineur, l'essentiel de la messe est en franc majeur.
Version recommandée :
Nikolaus Harnoncourt, Concentus Musicus Wien, Arnold Schönberg Chor (Teldec).
Solistes : Barbara Bonney, Jadwiga Rappé, Josef Protschka, Håkan Hagegård.
Malgré des zones de flou dans le spectre, version qui échappe à la mollesse vaguement monumentale de beaucoup d'autres versions (même avec des gens informés comme Creed).
Par DavidLeMarrec,
mercredi 15 janvier 2014 à 15:36 ::Musique de chambre
Ici au contraire, les ostinati furibonds, sur une seule note ou de petits groupes, et sur de longues périodes, exaltent un minimalisme beaucoup plus formel qu'évocateur, évoquant davantage les expériences extrêmes de Terry Riley. Très différent de la versatilité extrême de son célèbre et monumental cycle de variations sur El pueblo unido jamás será vencido.
Version :
Toujours Christina Petrowska chez Centrediscs.
Le reste du disque contient notamment les Études 4 « Fanfares » et 5 « Arc-en-ciel » du Premire Livre de Ligeti et Les Yeux Clos de Takemitsu, ainsi qu'une superbe Rhapsodie sur un thème de Brahms, semi-romantique, de Peter Paul Koprowski.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 15 janvier 2014 à 15:36 ::Musique de chambre
Southam est davantage renommée pour ses collaborations électro-acoustiques pour le ballet que pour ses œuvres pour piano, et pourtant...
Un mouvement perpétuel fascinant, imitant explicitement les flux cycliques de l'eau vive. Quoique pas du tout friand de minimalisme, il est difficile de ne pas se sentir emporté.
(En revanche, petit conseil, n'écoutez pas plus d'une pièce du cycle des River Sets à la fois, sinon vous risquez d'entendre des carillons rémanents pendant quelques heures après la prise.)
Version :
Tiré du même disque de Christina Petrowska-Quilico chez Centrediscs. (Qui a également gravé une vaste anthologie des Rivers Sets chez le même éditeur, dans une prise de son plus rudimentaire.)
Par DavidLeMarrec,
mercredi 15 janvier 2014 à 15:28 ::Musique de chambre
Une œuvre pas mal faite, mais il est impossible d'identifier le thème, alors que je crois avoir écouté ou lu (régulièrement, en plus !) à peu près tout ce que que Schumann a publié. Quand je dis que l'intelligibilité est l'enjeu majeur pour les compositeurs d'aujourd'hui... si les pauvres types qui écoutent la musique en masse et la pratiquent régulièrement ne parviennent pas à suivre, alors celui qui a simplement envie d'écouter ponctuellement... je lui conseille clairement de mettre un disque de Mozart. C'est plus facile et ça fait plus plaisir.
Difficile de demander aux gens de faire plus d'efforts pour en retirer moins de satisfactions que d'autres répertoires de qualité au moins égale, désormais libres de droits, accessibles partout, et immédiatement rétributifs.
Version :
Tiré d'un formidable disque de piano « second vingtième » par Christina Petrowska, paru chez Centrediscs (même pas disponible chez Amazon, il faut aller chez Classicsonline ou sur le site de l'éditeur).
Un programme Gellman / Ligeti / Takemitsu / Southam / Rzewski / Koprowski, dans le même esprit que le fameux disque Webern / Wolpe / Messiaen / Takemitsu / Knussen / Lieberson / Wuorinen du grand Peter Serkin (le fils, bien plus intéressant, du pianiste célèbre). À ceci près que le voyage de Serkin se situait dans des terres plus ascétiques et méditatives, tandis qu'ici Petrowska nous emmène dans des contrées dominées par différentes expressions rattachables au minimalisme.
Un des maîtres de Kurtág, de moins de vingt ans son aîné, contemporain de Chostakovitch. Il ne doit pas être pour rien dans la transmission d'un goût commun pour le folklore ; sont surtout célèbres des œuvres pour vents, assez légères, presque néo-classiques par certains aspects.
Ce Trio avec piano va beaucoup plus loin, avec un certain bonheur : les relations harmoniques sont assez limpides, et cela semble écrit dans une tonalité simple... mais surchargée de babillages et de notes étrangères, mouvante, émettant comme une sombre lumière. Une forme de gaîté un peu sophistiquée, très plaisante.
Il illustre (de façon plus distante que figurative) trois tableaux emblématiques : Gellée, Poussin, Brueghel.
Version :
Trio Absolut, chez le label Musiques Suisses.
Couplages tout aussi rarissimes avec le Trio n°2 de Volkmar Andreae (surtout célèbre pour ses Bruckner très vifs), dans un langage postromantique assez traditionnel, et 6 Miniatures de Raffaele d'Alessandro.
En relisant mon Beethoven, je me rends compte à quel point les bassons ont des parties invraisemblables, de vrais solos mélodiques, des contrechants extraordinaires, ou des rôles déterminants dans la texture, les entrées... C'est un phénomène qui a sa célébrité chez les bassonistes, il me semble (Rameau les émancipe de la basse continue et Beethoven les traite comme des solistes), mais quand on écoute toutes les symphonies de Beethoven à la suite après avoir plutôt baigné pendant quelques semaines dans Mendelssohn, Brahms, Mahler et leurs contemporains... la part très particulière donnée à ce pupitre en général plutôt utilitaire (repère de basse pour les bois) apparaît comme une évidence.
À l'occasion du centenaire de la mort de Pouchkine, Prokofiev écrit, en 1936, trois musiques de scène, dont une pour Boris Godounov, une autre pour l'adaptation le film Romm d'après La Dame de Pique... et celle de cet Eugène Onéguine destiné à une adaptation théâtrale. C'est une suite étrange de scènes très différentes, où l'on trouve deux chansons en français, un chœur en russe, deux pièces pour clavecin, une longue valse pour piano (sept minutes et demie) précédant leur rencontre à Pétersbourg...
Le langage en est sensiblement plus lisse et purement romantique que le Prokofiev habituel : les couleurs sont les mêmes, mais dans une tonalité plus traditionnelle, les audaces harmoniques et les mélodies déceptives étant réduites à l'état d'allusions, et plus comme base de son langage, alors que l'œuvre est contemporaine de Roméo & Juliette et Pierre & le loup.
Parmi les points forts, un très beau thème qui sera repris dans Guerre & Paix (attaché au printemps et à l'amour d'Andreï), mais qui, pris dans la suite d'orchestre continue et non dans la durée scénique, paraît réutilisé jusqu'à la corde. Sinon, le début, avec l'entrée progressive des bois à nu, est réellement très beau.
Par DavidLeMarrec,
dimanche 20 octobre 2013 à 12:02 ::Opéra
Une nouveauté dont j'attendais peu, mais qui se révèle remarquable.
1) Malgré sa forme (opéra à entrées, donc à peu près sans intrigue), le livret de Gentil-Bernard (le librettiste de Castor & Pollux) parvient à ménager des climats avec une grande célérité, si bien que le peu de mots disponibles est bien exploité.
2) La musique de Rameau est assez bonne, même dans les récitatifs – ce qui n'a jamais été son point fort pourtant, malgré les raffinements harmoniques nouveaux qu'il y dispense.
3) Les grands ensembles spécialistes se sont un peu encroûtés : les Arts Florissants ne jouent quasiment plus de nouveautés depuis dix ans (et disposent désormais d'un son exceptionnel, digne d'un orchestre symphonique), les Musiciens du Louvre ne jouent plus de baroque (et leur son s'est considérablement lissé, témoin leur Alceste récente), les English Baroque Soloists n'apparaissent plus que dans Bach (sinon les musiciens jouent surtout du XIXe, sous le nom d'Orchestre Révolutionnaire et Romantique), d'autres restent fragiles (La Grande Écurie et la Chambre du Roy, Les Talens Lyriques...), et même Harnoncourt a largemnt embourgeoisé ses manières, avec des textures moins acides, des phrasés moins brusques... et la fréquentation majoritaire des grands orchestres symphoniques.
Les ensembles plus récents se caractérisent majoritairement soit par leur sècheresse percussive (pour ceux spécialisés dans le seria, comme Mathéus ou Modo Antiquo), soit par une attitude plus apaisée et lisse (Le Concert d'Astrée, typiquement).
Les Nouveaux Caractères me font retrouver la verdeur des timbres des premiers ensembles baroques, leur personnalité violemment différente, mais avec un niveau de facture instrumentale et de technique individuelle très supérieur. Les avantages des deux périodes, d'une certaine façon. Le petit ensemble (2x4 violons, 3 altos, 3 violoncelles dont un continuiste, 1 contrebasse) n'est pas tout à fait chambriste, mais permet d'oser des couleurs très particulières. Par ailleurs, les souffleurs sont d'un niveau assez exceptionnel, aussi bien flûtes et piccolos que cors, j'en ai rarement entendus d'aussi bien timbrés, maîtrisés et chantants dans ce répertoire.
Je n'ai jamais entendu d'aussi belles danses dans Rameau, c'est à mettre aux côtés (et même au-dessus, me concernant) des Suites de Brüggen et des intégrales de Gardiner. Le sens du mouvement, bien sûr, mais aussi le caractère de chaque danse, et une grâce omniprésente.
4) Vocalement, on dispose des meilleures voix, dictions et styles dans le domaine : Virginie Pochon, Amel Brahim-Djelloul, Anders Dahlin, Jean-Sébastien Bou, Pierre-Yves Pruvot...
I. Pastorale - II. Angelus - III. Dämmerstunde - IV. Wind auf der Heide
Le sommet de l'œuvre pour piano de Wellez. Il a beaucoup écrit, mais rarement atteint, dans cette simplicité, ce pouvoir d'évocation. Des pièces simples, assez radieuses pour du postromantisme aux teintes décadentes, qui imposent des atmosphères prégnantes.
On pourrait parler d'équivalent des pièces de caractère de Sibelius, dans un goût germanique qui fait moins la part au pittoresque. (Ou le rapprocher des Crépuscules et des Ombres de Schmitt, dans un hypothétique miroir diurne.)
Les autres cycles sont passionnants aussi. A découvrir dans l'intégrale jouée avec clarté et goût par Margarete Babinsky, et captée très confortablement par Capriccio.
On navigue entre le Debussy du Faune (la mélodie, pas le poème symphonique), le Ravel des Histoires Naturelles, et des langages « modernes » mais plus stables (Ropartz, Koechlin, Cras...). Sans être absolument neuf, l'ensemble s'inscrit dans le courant des expérimentations de cette époque.
J'aime tout particulièrement les Trois Nouvelles Ballades sur Paul Fort, très colorées et évocatrices. Les Six Poèmes (Baudelaire, Fort, Réginer) sont aussi très beaux, un peu moins originaux, plus confortables et « aquatiques ».
Version : Parution récente, seul Timpani l'a enregistré... et c'est difficilement égalable. Mélanie Boisvert, Lionel Peintre et Alain Jacquon sont des spécialistes du genre depuis longtemps, et il est inutile de prendre du temps à détailler leurs vertus : tout est idéal, la beauté des timbres (piano inclus), la diction exceptionnelle, l'élégance suprême, la maîtrise de tous les aspects de ce style si spécifique...
Il faut l'entendre. (Et même l'acheter, pour que Timpani puisse poursuivre sa contribution exceptionnelle au patrimoine culturel français.)
Dans son œuvre orchestrale, Ponchielli manifeste les qualités purement musicales déjà sensibles dans son œuvre lyrique ; contrairement à beaucoup de compositeurs italiens du XIXe siècle, sa musique dispose d'une réelle substance, qui peut passer l'épreuve de la « musique pure » sans superficialité, virtuosité ni galanterie.
Il faut distinguer tout particulièrement les deux Sinfonie et la Scena campestre (« Scène champêtre »), où la qualité de l'inspiration mélodique, la variété des climats et la fluidité de construction – malgré les juxtapositions thématiques, cela ne sent pas trop le pot-pourri à la façon des ouvertures d'opéra.
Symphonies extrêmement brèves d'ailleurs : 11 minutes pour la première, 7 pour la seconde. Aussi aphoristique qu'une sinfonia baroque, et cela en un seul mouvement où ne voisinent pas de grands contrastes de tempo.
Référence : Silvano Frontalini dirige le Philharmonique de Minsk (avec un capital sonore sans nul doute meilleur qu'un orchestre italien) sur ce disque Bongiovanni, où figurent également Sulla tomba di Garibaldi, écrit l'année de la mort du héros national, les ouvertures d'I Lituani et d'I promessi sposi, et la Gavotte poudrée (en français dans le texte), orchestration d'une pièce pour piano.
L'ensemble est tout à fait séduisant, mais ces œuvres ayant été reconstituées ou arrangées par le chef, il n'est pas toujours facile de déterminer les qualités d'orchestrations propres à Ponchielli – quoique ce soit fait sans éclat particulier, avec la simplicité caractéristique de l'orchestre italien d'alors.
Bien que le matériel sonore de ce ballet change l'ordre de la musique de scène, en omette des numéros et inclue d'autres ouvertures du même compositeur (Athalie, La Belle Mélusine, Première Nuit de Walpurgis, Retour de l'étranger – ainsi que des extraits de la Neuvième Symphonie pour cordes), il constitue une mise en contexte très avantageuse de la musique de Mendelssohn.
Je ne manque jamais de sentir ce que sa musique a de frémissant, de mélancolique, en un mot de romantique ; néanmoins aux oreilles de public ayant vécu avec Mahler et Chostakovitch, la naïveté (comparative) du langage de Mendelssohn peut occulter cet aspect. Il se situait pourtant, sans être aussi radical que Berlioz, Chopin ou Schumann, plutôt à la pointe de son époque – à mettre du côté des expérimentateurs raisonnables, comme Meyerbeer.
Il se trouve que les disques ne rendent jamais justice aux musiques de scène, même en saupoudrant un peu de texte autour ; et les très rares cas où la pièce est incluse ne sont pas daantage des révélations, il manque la scène. Au passage, je trouve décevant que personne ne semble oser jouer dans leur intégralité les pièces avec la musique de scène. Ce serait à essayer, au moins de temps à autre ; oui, ce serait long et coûterait cher, mais on fait bien d'autres expériences, et sur des concepts rarement aussi éprouvés. Je suis assez persuadé que le public d'aujourd'hui ferait une indigestion, aussi bien en durée qu'en intensité – et puis ce sont des musiques de scène qui « actualisaient » les sentiments, mais qui sonnent aujourd'hui, pour beaucoup, comme du passé pour nous. Il n'empêche que j'aimerais avoir l'occasion de le dire moi-même, après expérience.
En ce sens, la proposition du ballet est précieuse ; et le langage assez épuré de la pantomime romantique, chez Balanchine, sied parfaitement au propos. On retrouve ici quelque chose du panache neuf de ces pages (particulièrement pour l'ouverture de 1826, la musique de scène de 1842 en prolongeant très habilement la matière), avec les palpitements électriques des elfes ou le grand maintien d'Obéron – particulièrement impressionnant dans la haute stature de Roberto Bolle (captation de la Scala disponible en DVD).
Il se passe ici quelque chose qui, malgré son éloignement de la lettre (la musique de ponctuation ou d'accompagnement n'est pas forcément de la musique de danse ; l'ordre et le contenu bouleversés), me paraît remonétiser les affects présents dans cette musique. Une expérience précieuse, à recommander peut-être encore plus vivement si Mendelssohn paraît lointain et fané.
Version :
Nir Kabaretti, Orchestre et Ballet de La Scala (2007, TDK).
Très belle exécution musicale, très habitée, ce qui est plutôt rare dans l'univers du ballet, et d'un niveau instrumental très supérieurs aux habitudes de la Scala.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 7 août 2013 à 19:01 ::Ecclesiasticus
Donné dans un couplage généreux et particulièrement intense (Le Roi des Étoiles de Stravinski et la Cinquième Symphonie de Sibelius), le Philharmonique de Berlin avait proposé, en septembre 2007, une très belle version du Martyre de saint Sébastien, dans des dimensions respectables (soixante minutes de musique, la plupart du texte conservé étant déclamé pendant la musique).
L'œuvre en elle-même est assez bancale, avec ses numéros très fermés, souvent à plusieurs (solistes ou chœurs, si bien que le texte en est peu intelligible) et ses tirades enflammées, à la fois mystiques et très théâtrales – ce qui est toujours difficile à conjuguer, à plus forte raison à une époque où les auditoires ne sont plus nécessairement acquis à la cause sacrée.
La bande sonore du concert est audible dans la notule correspondante sur Carnets sur sol.
Certains récitants prennent le parti de l'hystérie façon Jeanne d'Arc (on pourrait presque les qualifier de lecture « critique »), d'autres d'un certain hiératisme, au risque de paraître un peu formel et figé.
Le parti pris de Sophie Marceau me séduit beaucoup, alors même que les acteurs habitués de l'amplification m'ont rarement paru adéquats dans ce genre d'exercice. Elle assume la présence de micros en ne se lançant pas dans une émission théâtrale projetée, mais reste très timbrée et n'abuse pas des murmures ; la posture est celle de la confiance extatique, et c'est sans doute la plus difficile à tenir, car elle réclame une adhésion intellectuelle (même feinte) sans faille de la part du récitant, sous peine de voir se briser l'illusion et de sombrer dans le ridicule de la fausse extase mal jouée. Et je dois dire que cette douce ardeur est réussie avec une assez belle constance et une maîtrise de l'équilibre, jamais emphatique, jamais empesée...
Dans le détail, on remarque la précision apportée au débit, pour que chaque syllabe sonne, ainsi que la perfection (rare) des consonnes.
Il est probable aussi que, bien que s'exprimant devant un public germanophone (trois soirs successifs à la Philharmonie de Berlin), elle avait beaucoup plus travaillé son texte que la moyenne des récitants, qui abusent trop souvent du privilège de conserver un pupitre pour ne pas trop les ouvrir avant la représentation. Le texte fragile de Gabriele D'Annunzio n'autoriserait pas les bafouillages, mais on est au delà de la simple netteté : pour obtenir le juste poids, et le réussir sur le vif devant un vaste public, il est vraisemblable que beaucoup de soin a été apporté à la préparation.
Afin d'éclairer le propos, je précise que je ne suis pas du tout à compter au nombre des inconditionnels de Sophie Marceau, dont j'ai trop peu fréquenté le legs pour avancer un jugement raisonné. En l'occurrence en tout cas, elle tient son rang mythologique.
Côté musique, le Philharmonique de Berlin offre évidemment une sûreté et une beauté qui sont au-dessus de tout reproche, et certains frémissements peuvent rappeler ce que Rattle a fait de mieux – notamment ses Shéhérazade de Ravel avec Kožená ou son Pelléas de Salzbourg (en 2004, avec Kirchschlager, Keenlyside et van Dam). Le Chœur de la Radio de Berlin offre de fantastiques demi-teintes comme à son habitude, même si l'articulation n'est pas idéale – leur spécialité étant davantage l'oratorio et le concert que les répertoires où le texte est réellement mis en avant. Je suis en revanche moins enthousiaste sur la distribution vocale : Susan Gritton, Monica Bacelli (une Mélisande) et Nathalie Stutzmann (une Geneviève) sont peut intelligibles, de style assez peu gracieux, et leur format leur interdit de toute façon les teintes diaphanes et les notes suspendues ou filées. Je n'ai jamais entendu une distribution qui m'emporte très loin, de toute façon, et il est vrai que la musique ne leur offre pas non plus beaucoup d'espace pour l'éloquence pure ; il est d'autant plus précieux que le récitant soit à la hauteur.
Pour ne rien gâcher, une voix de femme sied assez bien à la représentation qu'on peut se faire de Sébastien via l'iconographie, c'est un petit plaisir supplémentaire.
Merci à Xavier d'avoir attiré l'attention sur cette bande !
Expérience quasiment hallucinatoire : quoique cette symphonie outrepasse déjà de beaucoup Haydn, Tennstedt y déploie la même densité de motifs, la même tension implacable qu'on entend habituellement dans la Cinquième. L'orchestre n'est pas particulièrement apprêté au niveau des timbres, mais pour l'énergie et la construction, personne ne peut lui disputer la palme.
Étrangement, la Cinquième couplée sur le même disque (BBC Legends) est moins singulière, presque mesurée en comparaison.
Si un chef a su s'intéresser aux découvertes musicologiques et s'adapter aux évolutions esthétiques de son temps, c'est bien Mackerras.
Quel chemin parcouru depuis ses (horribles) Mozart avec le Philharmonique de Londres (EMI), d'un fondu extrême, aux articulations molles, et très loin de la qualité de phrasé de Menuhin, de l'autorité de Böhm ou même des qualités décoratives du Karajan de maturité !
Ce bouquet de symphonies a assez exactement les mêmes saveurs que son intégrale avec l'Orchestre de Chambre de Prague (dans les deux cas, orchestre moderne avec cuivres anciens qui apportent un chaleur et un tranchant très particuliers) – je la considère comme la plus belle intégrale, et c'est à peu près valable symphonie par symphonie : de la vivacité, de l'incisivité, mais aussi une qualité de sostenuto qui permet de ne pas affaiblir les mouvements lents (le problème avec les archets anciens et les boyaux), et surtout quelque chose de difficile à isoler qu'on appelle la grâce.
Dans cette anthologie avec l'Orchestre de Chambre d'Écosse, le ton est sans doute plus extraverti, en particulier à cause de cuivres un peu plus massifs mais aussi plus fruités, plus insolents... les mouvements extrêmes y gagnent une forme de jubilation non plus primesautière comme avec Prague, mais plutôt triomphante.
Pour ne rien gâter, c'est un type de lecture susceptible de ravir à peu près tout le monde.
Paru chez Linn, en ensembles doubles (deux CDs pour les 29, 31, 32, 35, 36 et 34, sauf le dernier mouvement ; deux CDs pour les 38 à 41).
Après avoir entendu tant de mal sur cette version intégrale des symphonies chez Brilliant, je suis forcé d'admettre que mon préjugé favorable était on ne peut plus fondé : une lecture sur instruments anciens prodigue en vivacité et en couleurs. Bien sûr, si l'on aime le Mozart ample ou les lectures extrêmes, il ne faut pas chercher de ce côté-là ; mais Jaap ter Linden ne pâlit pas, loin s'en faut, de la comparaison avec Pinnock, Hogwood ou Koopman.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 1 août 2013 à 15:51 ::Ecclesiasticus
Sorte de cri extatique dont la répétition amène toujours de nouvelles moirures, un véritable moment de grâce – que je place tout à fait au sommet de l'œuvre de Górecki, pas forcément prodigue en la matière.
Et faire six minutes aussi tendues sur les deux syllabes d'un même mot, et sans user de tuilages contrapuntiques, quel tour de force !
Version : Great Britain National Youth Choir, Mike Brewer (chez Delphian). On entend un peu de souffle sur les timbres, et les couleurs sont assez pâles.
J'ai donc réécouté la version de référence : Chicago Lyric Opera Chorus, Chicago Symphony Chorus, John Nelson (chez Nonesuch). Les voix sont peut-être un peu rugueuses (choeur d'opéra...), mais finalement très congruente avec l'esthétique massive de Górecki, et la réverbération d'une vaste nef valorise très joliment le caractère fervent de ces pièces. Couplé avec le Miserere (aussi nu et répétitif que du vrai plain-chant), Euntes ibant et flebant, et plusieurs chœurs polonais d'inspiration traditionnelle.
Par DavidLeMarrec,
mardi 23 avril 2013 à 22:06 ::Ecclesiasticus
Contrairement à ce qu'on se dit quelquefois, les prises de son Eterna / Berlin Classics ne sont pas forcément suffisantes pour électriser. De même que pour les Beethoven et Bruckner de Herbig (chef admirable par ailleurs), très pondérés, cette messe semi-grégorienne avec la Radio de Berlin Est (Rundfunk Sinfonieorchester, Rundfunkchor) souffre un peu de voix féminines vraiment trémulantes, presque flétries. Cela sonne un peu épais pour le répertoire, la malgré la prise de son très flatteuse.
Ce choeur fantastique semblait ou peu adapté, ou en méforme.
Version très écoutable au demeurant, mais un peu hors-style, eu égard à ses sources d'inspiration.
Aeon vient de publier deux volumes interprétés par le Quatuor Brentano. Le résultat est très impressionnant et s'impose comme majeur dans une discographie pourtant très concurrentielle.
Sans être pourtant signalés comme "baroqueux" ou jouant sur instruments d'époque (et effectivement, on entend bien que ce ne sont pas des boyaux), les Brentano font le choix d'un vibrato très parcimonieux, et d'un tranchant exceptionnel. La netteté du trait, la clarté du discours, l'intensité des affects impressionnent. Ils disposent en plus d'une superbe maîtrise du cantabile, si bien qu'ils semblent additionner les vertus des meilleures versions de chaque type. Et pourtant, malgré le niveau technique ahurissant (je ne suis pas sûr d'avoir déjà entendu autant de sûreté instrumentale chez un quatuor), on n'entend pas les interprètes en premier, mais bien l'oeuvre, sans effets ni originalités ostentatoires.
A mettre dans la même famille que le Quatorzième de Schubert par les Jerusalem (ou, dans un genre plus audacieux, par les Voce).
Peu de ballets (en tout cas non vocaux) de l'ère classique sont publiés, et, qu'on inclue les ballets d'opéra ou non, Don Juan de Gluck règne sur le répertoire diffusé à ce jour. [J'en profite, je vais prochainement médire de Gluck.]
Une hauteur d'inspiration (mélodique comme dansatoire) rare dans ce répertoire, et une qualité musicale autonome qui ne néglige pas pour autant la dimension épique du sujet - même si le terme est impropre, l'auditeur d'aujourd'hui ne peut manquer de le ressentir !
Version : Gardiner chez Erato clairement, en raison de sa qualité de danse (comme souvent dans ce XVIIIe français), de l'homogénéité de sa pâte, et de la prise de son très agréable, dans de beaux volumes. Ce qu'ont fait Bolton ou Weil reste bien sûr tout à fait valable.
Cet air donne lieu à énormément de lectures très différentes ; il faut dire que la liberté de changer la partition, dans ce répertoire, ouvre bien des perspectives. Sans parler les types d'émission innombrables qui sont compatibles avec les micros, contrairement aux modes de chant projetés, qui sont moins nombreux. La prise de rôle de Salonga à Broadway (1993), puis à Londres (1996), pourtant jusque là largement spécialisée dans les rôles d'ingénues, marque une rupture dans la conscience du public et des interprètes vis-à-vis d'Eponine.
Jusqu'alors, la norme était plutôt aux Eponine fillettes ou garçonnes, en tout cas timides - à commencer par la créatrice de la version anglaise, Frances Ruffelle. Salonga est la première, du moins parmi les interprètes les plus célèbres, à en proposer une lecture à la fois plus combattive et plus lyrique. On ne se limite plus à la louseuse, le personnage se tourne du côté du désespoir véhément, du pathétique bruyant, quasiment de la révolte.
C'est aussi, d'un point de vue vocal, une interprétation beaucoup plus mainstream, qui ressemble davantage aux standards des chansons pop. Le portrait fonctionne à merveille ici, grâce à un engagement remarquable, et grâce à quelques détails (de petits décalages volontaires, des flexions de rythmes) qui, avec l'effet-loupe des micros, procurent tout le frémissement nécessaire.
Depuis, beaucoup ont suivi cette voie, sans bénéficier toujours de la même générosité - par exemple la plus récente titulaire du West End, Samantha Barks (issue d'un émission télévisée, avec Andrew Lloyd-Webber sur un trône chamarré... un truc anglais). Le problème avec des voix au centre de gravité plus élevé et une pulpe vocale moindre est qu'on peut vite sentir une forme de tension un peu pauvre, voire stéréotypée.
Les quatuors classiques sont particulièrement difficiles à réussir : trop d'évidence les aplatit, trop de matière les coule. L'équilibre des parties doit être parfait, et ménager tout de même une subtile imperfection de la gravité, pour conserver suffisamment de relief.
Le Quatuor Franz Schubert a tout cela, et livre un Mozart très stable dans ses rapports timbraux, mais aussi éminemment lyrique du côté du premier violon (pas totalement soliste néanmoins), et avec quelque chose d'un peu bondissant, voire chaloupé, qui exalte la danse et les reliefs qui font la singularité du style Mozart. J'y reviens sans cesse, au point de négliger les autres versions que je découvre au fil du temps.
Une référence, chez Nimbus (son très raisonnablement réverbéré).
Plus sophistiqué (et peut-être moins primesautier et séduisant) que les Biches. Je suis frappé par l'harmonie complètement damasienne (1,2,3,4,6,7,8,9 et 10) du dernier numéro de la Suite, le « Repas de midi », exactement la couleur (simple et mélancolique) du début et de la fin de L'Héritière, par exemple.
Versions : Darlington (Timpani), Latham-König (Avie). La première est très recommandable.
Un petit bijou, dans la veine naïve de Poulenc, celle de la Sonate pour clarinette et basson... dans une écriture harmonique et rythmique à la fois classique (pour l'essentiel) et enrichie çà et là de choses étranges qui ne peuvent appartenir qu'à une période beaucoup plus tardive, mais sans l'impression de ruptures de ton comme chez Prokofiev ou Chostakovitch.
Dans le même goût, on peut écouter des oeuvres pour petit ensemble de Vincent d'Indy (Suite dans le Style Ancien, Chansons et Danses...), les Danses de Cour de Pierné, celles de l'Henry VIII de Saint-Saëns, voire Cras (Deux Chants Bretons), Koechlin (Chants bretons aussi) ou Le Flem (final de la Première Symphonie)... Très différent des hellénismes de Milhaud (Les Choéphores - 1,2) ou Prodromidès (Les Perses), ou du néo-classicisme formel. Ici, le ton ressortit davantage au pastiche riant (et très roboratif) du premier ballet romantique (ou des chansons folkloriques et danses baroques, dans les autres cas cités). Assez jubilatoire en réalité, qu'on soit ou non habitué au répertoire auquel le clin-d'oeuvre s'adresse.
Version : Denève (Hänssler), excellente (sauf les choeurs pas très nets).
Je n'avais pas gardé la trace d'une symphonie si marquante, plutôt séduit par les dernières.
En réalité, celle-ci est bien plus tourmentée, beaucoup moins debussyste aussi. Des effets de fanfares et d'ostinatos sauvages assez marqués par Stravinski, un superbe mouvement lent, des moments de tensions straussiens, d'autres plutôt russes (sorte de Tchaïkovski modernisé de Boris symphonique). Sa fin étrange évoque même l'univers de Schreker (avec une profondeur de son supérieure).
En tout cas original et très marquant.
Version : Royal Scottish National Orchestra, David Lloyd-Jones (Naxos).
Grand cycle en trois parties, aux titres évocateurs. Mais loin d'être une collection de couleurs locales, il s'agit d'une exploration très en profondeur des possibilités du piano, avec une diversité bien supérieure aux cycles de Gabriel Dupont ou Charles Koechlin, par exemple - on se situe davantage dans la variété de moyens et l'étendue d'inspiration des Préludes de Debussy. Un cycle majeur du piano, très rarement donné, et d'une richesse sidérante.
Emotions très positives, à rapprocher de la Première (qui n'existe au disque, il me semble, que dans la version pour piano à quatre mains de Czerny, et qui semble encore plus magnifique). La Troisième fait sentir davantage de longueurs, et les tonalités mineures sonnent de façon beaucoup plus grises sous cette plume qui trouve son meilleur épanouissement dans le roboratif.
Version : Die Kölner Akademie, Michael Alexander Willens (CPO). Remarquable version.
Après avoir été un peu déçu à la réécoute de la Première Symphonie (un des premiers disques du jour), je ne suis pas totalement convaincu par cette Deuxième.
De caractère beaucoup plus affirmé et héroïque dans le premier mouvement, mais moins personnel que la pastorale Première, on y entend beaucoup plus de Schumann (et toujours une pointe de Richard Strauss). Le deuxième mouvement, lui, est clairement inspiré des scherzos du jeune Mahler (en particulier celui de la Première Symphonie). Troisième mouvement presque beethovenien, avec un étrange violon très concertant. La douce fanfare (avec ponctuation de timbales) du quatrième mouvement sonne très anglaise.
L'impression générale est celle d'une grammaire assez rétro, et d'une esthétique très disparate selon les mouvements. Très bien écrit, agréable, séduisant par moment... mais pas tout à fait probant, en tout cas eu égard à la cohérence et à la qualité de climat (et d'écriture) de la Première.
Version : Orchestre Symphonique de Bâle, Marko Letonja (CPO).
Beau poème symphonique étale, d'après sir Walter Ralegh, avec très belles couleurs orchestrales, d'un postromantisme debussysé. Comme souvent avec les poèmes symphoniques, ce n'est pas le meilleur de Bax, mais l'oeuvre en elle-même fonctionne assez bien.
Version : Martyn Hill, Lyrone McWhirter ; Royal Philharmonic Orchestra et Brighton Festival Chorus ; direction Vernon Handley (Chandos).
Oeuvre assez décorative comme souvent chez Spohr, mais dans une veine plus sérieuse et moins galante qu'à l'accoutumée (musique de chambre, musique concertante...).
Le mouvement lent avec la clarinette concertante est remarquable.
Version : Orchestre Philharmonique d'Etat Slovaque, Alfred Walter (Marco Polo / Naxos).
Belle oeuvre, de ton un peu solennel. Une vision bien plus symphonique que concertante ; l'oeuvre coule d'un flux, avec une fusion du soliste plus qu'un dialogue. Ecriture assez peu mélodique - même si cela n'a jamais été le charme premier de Bax, c'est particulièrement sensible dans cette oeuvre très postromantique (sans les effluves debussystes de sa musique de chambre ou de ses symphonies).
Oeuvre valable, mais mineure dans la production du compositeur.
Comme beaucoup d'oeuvres majeures de Brahms (dont les quatuors et sextuors, dont les sérénades, dont les concertos pour piano, dont le Deutsches Requiem !), il existe une version pour quatre mains de chaque symphonie (et même, en ce qui concerne la Quatrième, une autre version pour deux pianos). Toutes convaincantes, mais celle de la Première est réellement remarquable. On entend vraiment autrement, et peut-être mieux : le son du carillon au début du dernier mouvement se pare d'une réalité spectaculaire...
Version : A écouter par le duo Matthies / Köhn (Naxos), peut-être le meilleur duo pianistique jamais enregistré. Et qui a offert notamment l'intégrale de cette musique pour quatre mains (une vingtaine de volumes au disque).
De même que pour ses symphonies, Cartellieri fait montre d'une inspiration rare à son époque dans le genre instrumental, sorti de Mozart, Haydn, Salieri et des Wranitzkybrüder. Ce troisième est le plus inspiré de ses quatre concertos pour clarinette (dont un double), et exploite des couleurs qui évoquent furieusement Mozart, sans qu'on puisse relever au demeurant la moindre citation. Juste le charme suprême des oeuvres pour clarinette de Mozart, et beaucoup de trouvailles assez modernes aussi.
Le Premier mérite également le détour, plus simple et lumineux. Le double concerto, quant à lui, évoque davantage Krommer (donc très beau, mais moins vertigineux.
Version : Dieter Klöcker (extraordinaire qualité de timbre et de phrasé sur toute la tessiture), Orchestre de Chambre de Prague (un des meilleurs au monde pour ce répertoire, il suffit d'entendre l'intégrale Mozart de Mackerras), direction Karel Stadtherr. Chez Gold MDG. Existe en séparé, ou sous forme de l'intégrale concertante et chambriste des oeuvres avec bois solos (clarinette et flûte).
Très différente des deux derières, elle est au contraire lumineuse et très optimiste. Elle se situe non pas du côté postwagnérien dépressif des symphonies 3 et 4 (magnifiques par ailleurs), mais affirme plutôt une profusion très straussienne, avec couleurs orchestrales qui évoquent davantage Martinů.
Version : Orchestre Symphonique de Malmö, Vassily Sinaisky (Naxos). Excellente et dans une excellente prise de son.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 novembre 2012 à 16:49 ::Opéra
Opéra comique de bonne facture, livret de Sedaine d'après La Fontaine ; pas le sommet de Grétry, mais écrit avec beaucoup de soin, on ne se limite pas aux formules figées.
Ryan Brown un peu plus vif qu'à l'accoutumée (contrairement au sinistre Déserteur de Monsigny, ravagé par l'indolence...), même si la pièce perd l'essentiel de son intérêt à cause de la suppression de l'ensemble des dialogues.
Plateau masculin de spécialistes : Jeffrey Thompson (parfait en soupirant vindicatif et ridicule), Emiliano Gonzalez-Toro, et très belle découverte du jeune Karim Sulayman, délicieux léger à la belle diction.
Par DavidLeMarrec,
dimanche 25 novembre 2012 à 22:08 ::Opéra
Il est extraordinaire d'entendre aussi bien le son du théâtre, prise de son manifestement depuis la salle (archives du théâtre). Un climat formidable se dégage de la soirée, et Eric Tappy y est remarquable (alors que ses nasalités poussives sont très pénibles dans le studio d'Armin Jordan, dix ans plus tard). Avec Erna Spoorenberg et Gérard Souzay. Les bois très français de l'Orchestre de l'Opéra de Genève sont assez stridents et pas très justes, mais l'ensemble dégage une atmosphère très prégnante. Une grande version de Pelléas.
Par DavidLeMarrec,
dimanche 25 novembre 2012 à 22:05 ::Opéra
Parmi les séries extraordinaires d'extraits de Berlin Classics par Patané (la plupart avec Dresde !), ce volume est particulièrement précieux, je l'écoute très souvent. Une tension, une beauté sonore, un texte détaillé, une prise de son hallucinante... ce qu'on peut faire de mieux dans un disque. Pitié, vraiment, que Patané n'ait pas enregistré tous ces opéras en intégralité, ce sont tous, au moins orchestralement, des références.
Avec Annelise Rothenberger, Anton de Ridder, Wolfgang Anheisser, Staatskapelle Dresde, Giuseppe Patané. Berlin Classics.
A mon avis le plus beau du corpus écrit pour l'instrument. Dansant, primesautier, lumineux, obsédant.
Bien qu'il existe de belles versions au disque (notamment Rolf Lislevand dans le vieux disque Auvidis), j'en reviens toujours à cette version d'Anna Kowalska, prise au vol pendant un concert ukrainien.
Par DavidLeMarrec,
samedi 10 novembre 2012 à 18:41 ::Opéra
Malgré toutes les limites imposées aux fulgurances de l'original par la censure et ce langage musical post-belcantiste, la partition recèle des ensembles remarquables et surtout des instants de récitatifs qui figurent parmi les plus grands moments de tout Verdi. Par exemple"Il vecchio Silva stendere" au milieu de la première cavatine... à rapprocher de "Ne m'ebbe il Ciel" dans le Trouvère, ou de "Ah taci, il vento ai tiranni dans Boccanegra''.
Version : RAI Roma, Fernando Previtali, 1958. La version affiche Mario Del Monaco, assez sobre, toujours prompt aux belles agitations agogiques et dramatiques, même si le legato n'est pas toujours aussi soigné (personnellement, c'est davantage tant mieux que tant pis !) ; lecture très intense qui cadre mieux avec le caractère du personnage que les ténors des autres versions couramment distribuées (Bergonzi, Pavarotti...). Mario Sereni est moins raffiné qu'en studio avec Schippers, mais évidemment tout aussi électrique. Siepi dans ses années d'apprentissages, pas encore très mobile dramatiquement (sauf dans sa superbe fureur du II), mais voix abyssale. Constantina Araújo est la moins célèbre de la distribution, et non sans raison : la voix a un grain ancien (plus proche de Caniglia que de Stella, ou même de Tebaldi) tout à fait agréable, mais elle chante très faux dans les aigus (très bas, régulièrement d'un ton... ce soir-là le haut de la tessiture ne passe pas), ce qui handicape un peu la tenue des ensembles, déjà que les autres chanteurs ne sont pas des modèles de sobriété.
Interprétation cela dit très intense, l'une des rares où la tension est constamment tenue.
Comme toujours avec Messiaen, je suis frappé par la gaîté paradoxale qui émane de cette harmonie très chargée - une fois qu'on accepte sa logique propre, la jubilation sonore est équivalente à la pureté des 'accords parfaits'.
Par DavidLeMarrec,
samedi 10 novembre 2012 à 08:33 ::Opéra
J'ai beau voler d'enregistrement en enregistrement, la partition exige des écarts de dynamique qui passent assez mal au disque. Et de façon un peu systématique.
En revanche, la variété de l'orchestration (soli, associations vents-cordes pour changer la couleur, fanfares hors-scène, figuralismes) et l'usage de procédés harmoniques peu ordinaires dans la musique italienne de l'époque (marches harmoniques notamment) ont sans doute sonné comme une déflagration dans le paysage sonore d'alors. Il suffit de comparer avec n'importe quel autre opéra italien entre 1800 et 1850 : en dehors de Norma de Bellini et du Diluvio Universale de Donizetti (et tous deux bien en deçà), les autres ouvrages se situent à des années-lumières des explorations de Nabucco, même si elles peuvent paraître (et elles le sont !) tapageuses et schématiques.
Version : Oren chez Auvidis. Belle version cursive, qui n'exalte pas forcément le rythme, mais qui évite le bruit. Et très belle distribution (Guleghina, Armiliato, Bruson, Furlanetto).
A la tête de la Staakskapelle de Berlin (1927 environ).
Les témoignages d'avant-seconde guerre sont toujours très intéressants, parce qu'ils démontrent à chaque fois que la tendance brucknéro-bulldozerienne qui s'est emparée des chefs pendant le vingtième siècle ne provenait pas du tout, comme on le croit souvent, du lointain passé. En réalité, cette tendance s'est à peu près limitée à un intervalle tenant entre la fin des années 50 et la fin des années 80. Auparavant, on jouait plus vite, plus allant, avec un métronome souple et changeant, une pâte bien plus légère. Je me demande jusqu'à quel point la fascination pour Furtwängler n'a pas égaré un certain nombre de chefs - en tout cas sa manière "massive" n'avait rien en commun avec les styles de direction qui l'ont précédé et qui lui ont été contemporains.
Richard Strauss entre tout à fait dans le cadre de ces chefs d'avant l'avant-baroquisme : pas forcément net sur les départs (on entend presque systématiquement de doubles attaques en début de phrase), en revanche très limpide, rapide, et doté d'une véritable tension... rien d'hédoniste, pas de recherche plastique dans cette direction. On sent avant tout la direction de la phrase et l'allant de la musique qui se déroule - l'essentiel, en somme.
Assez étonnant. Dans le dernier mouvement, le thème est très détaché et pur, aussi bien aux cuivres qu'à la reprise par les cordes, très élégant et net... tandis que l'accompagnement, dense, opaque, tumultueux, semble bouillonner autour. Etrange décalage, assez convaincant au demeurant.
Atmosphère planante, assez plaisante, pas de virtuosité, d'éclats ni d'affrontements. Néanmoins l'oeuvre reste très mineure - dans le même goût contemplatif, Takemitsu dans Quotation of Dream propose une tout autre densité musicale...
Pas eu beaucoup de bonheur aujourd'hui avec mes essais Sculthorpe.
Version : James Judd, New Zealand Symphony Orchestra (Naxos).
Pas beaucoup mieux. Un dies irae peu discret s'épanche longuement sur de jolies cordes, avec une émotion larmoyante assez comparable à de la musique de film un peu "facile". Pas terriblement original, de se contenter d'harmoniser le dies irae.
Version : James Judd, New Zealand Symphony Orchestr (Naxos). Superbes cordes, au passage.
Sculthorpe m'avait laissé une forte impression avec sa musique funèbre et ses quatuors, mais en y retournant par le biais de la musique symphonique, je suis assez désappointé.
Earth Cry pourrait constituer une sorte de parodie de musique à expédients et à effets. A défaut d'avoir beaucoup de contenu à communiquer, Sculthorpe utilise son habituel didgeridoo, et introduit des bruits animaliers sur fond de cordes un peu larmoyantes. De la musique pour documentaire...
Version : James Judd, New Zealand Symphony Orchestra (Naxos). D'excellente tenue, comme toujours avec ces séries d'exploration Naxos, qui a passé depuis fort longtemps l'époque où la firme embauchait des artistes cachetonneurs.
Bridge n'a pas très bonne réputation parce qu'il est anglais, et parce que sa vision de la musique est plus caressante qu'en opposition à l'auditeur - d'une certaine façon, suivant une vision téléologique de l'histoire musicale, on peut considérer qu'il n'aurait pas sa place au XXe siècle. Mais je me demande surtout si on ne lui reproche pas d'avoir été de façon assez évidente une source d'inspiration pour Herbert Stothart (la parenté du troisième mouvement, "Clair de lune", avec le langage continu de Stothart est en effet frappante).
Très belle oeuvre de toute façon, que je réécoute toujours avec plaisir.
Version : New Zealand Symphony Orchestra, James Judd (Naxos). Petite harmonie (timbres et justesse) et équilibres plus réussis que l'Ulster Orchestra avec Thomson, à mon gré.
Encore une fois, je suis frappé par la chatoyance remarquable du label autoproduit du Hallé Orchestra de Manchester. Sans rutilance excessive, beaucoup de détail et d'impact. Très réaliste, en fait.
De loin la meilleure prise de son des labels autoproduits - dont beaucoup sont assez décevantes (Philharmonia, LSO, LPO, CSO-Resound, Mariinski, et même le Concertgebouw, un peu terni).
Comme la plupart des poèmes symphoniques de Bax (par ailleurs immense symphoniste), assez inégal.
Fondé sur une trame narrative, de la saga Serglige Con Culainn, l'oeuvre est très figurative, s'inspire énormément de La Mer de Debussy. Etrangement, alors que les naufragés humains sont engloutis avec les immortels de l'Autre Monde, c'est le premier climax, celui de l'échouage heureux, qui est réellement impressionnant - alors que l'engloutissement ne se remarque que par le retour du motif maritime initial...
Version : Ulster Orchestra, Bryden Thomson (Chandos). Admirable comme toujours.
Mieux construit et tenu sur la longueur que la musique de chambre de Frank Bridge, mais le sentiment qu'on se situe dans la même famille : pas énormément de matière, très loin en tout cas des meilleures pièces de Bliss, comme le Quintette avec hautbois.
Version : Fanny Mendelssohn Quartet (Troubadisc). A éviter, techniquement hétérogène, avec un son d'ensemble assez moche. Il m'avait semblé entendre bien mieux de la part de cette formation.
Moins célèbre que le cycle de mélodies (voir sur CSS, où il en a été question), le poème symphonique est d'une rare qualité évocatrice dans l'univers joliment confit du poème symphonique anglais. Vraiment une des oeuvres à découvrir en priorité dans ce répertoire, même si on ne l'aime pas d'abord.
Version : Hallé Orchestra, Mark Elder (label Hallé).
Arrangements pour orgue (et quelquefois percussions, ce qui rend le défi de la transcription moins complet) d'extraits d'opéras de Rameau.
Assez bien faits, sur l'orgue extraordinaire de Cintegabelle (Moucherel 1742 / Lépine 1754), dont les jeux d'anche, très français, sont d'une rare densité et d'un très grand caractère.
En revanche, cette musique, ainsi réduite à son squelette musical, l'orgue (du fait de son son pur et continu) étant sans pitié sur les questions d'harmonie, laisse plutôt voir ses limites, pour ne pas dire une relative pauvreté.
Il aurait fallu orner ou compléter ; ainsi présentée, je trouve le résultat assez peu enthousiasmant.
Très loin des oeuvres arides, cinglantes ou intenses qui ont fait sa gloire, une symphonie très marqué par le ton américain, en particulier le mouvement lent méditatif et lyrique.
Très bel exemple de ce style, moins sirupeux que du Copland orchestral, moins novateurs que du Ives.
Le concept est très avenant, celui de variations "typées", qui veulent chacune imiter un type de "discours". Le résultat reste celui de variations orchestrales, donc un peu répétitif et studieux.
Austère et moche, comme beaucoup du premier Hindemith, mais ici l'esthétique n'est pourtant plus de l'ordre du postromantisme sinueux, on a un bel exemple de modernisme dépressif, le genre de chose qu'on reproche d'ordinaire (tout à fait injustement à Hindemith).
Comme toute la musique de chambre de Strauss, de jeunesse, une oeuvre assez lumineuse, aux rapports harmoniques très consonants, une sorte de "salon" qui paraît totalement anachronique lorsqu'on songe à Strauss. Néanmoins tout à fait agréable, à défaut d'être majeur - quelque chose qui peut se comparer à la musique pour piano de Wagner (même si je trouve cette dernière à la fois plus maladroite, et plus attachante et visionnaire).
Version : Henkel / Pludermacher (chez Henkel). Mais il en existe des tas d'autres largement aussi bonnes.
Une belle oeuvre, très différente de ses lieder. Elle explore, dans un langage en avance sur son temps, mais moins profondément original, des chemins dans la structure et les thèmes d'une sonate. Le quatre mouvement, lent, Le Chant de Mignon, est assez déroutant.
Musique totalement dépressive, typique de la déliquescence tonale vers une sorte de mollesse désespérée... Mêmes "blocages" que Mahler dans ses premières symphonies, l'accord est simplement plus chargé et beaucoup moins spectaculaire dans l'orchestration et surtout dans sa place centrale, son contraste. Petit côté cursif à la Hindemith, aussi.
En écoutant le début du premier mouvement de la Dixième (mais c'est valable aussi pour le deuxième), à la tristesse policée, timide et plutôt plate, je me fais soudain la remarque : « je n'avais jamais remarqué que la musique pouvait avoir une expression de chien battu ». C'est méchant quand même, j'ai eu honte de moi - mais j'ai fait mes délices de le répéter.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 24 février 2012 à 02:05 ::Ecclesiasticus
C'est une version que j'aime beaucoup, l'une de celles qui fonctionne de bout en bout, sans sentiment de longueurs ou de ruptures de tension, ce qui est très rare (en tout cas dans mon ressenti personnel). Pour être plus précis, j'en vois peu d'exemples (à part Suzuki, sans doute).
Sans éclat particulier quant à la distribution, mais sans écart non plus, tout est humble, merveilleusement conçu, et l'air de la consommation par Claudia Schubert constitue une réussite très impressionnante pour ce type de voix, sans doute moins facile à "fêler" que pour un falsettiste.
On notera la très belle idée des percussions funèbres dans le choeur d'entrée, comme des tambours de basque voilés de crêpe.
Quelquefois, je me demande si on ne juge pas la qualité des oeuvres à travers leur nouveauté, et plus encore leur nouveauté d'après leur noirceur précoce.
Ces deux symphonies, considérablement plus lumineuses et primesautières que les suivantes (la Troisième a quelque chose de déjà plus "motorique"), sont pourtant de très grande qualité, disposant d'une poussée (et d'une beauté thématique) permanente.
(Version recommandée : Roy Goodman & Hanover Band, chez Nimbus.)
Par DavidLeMarrec,
vendredi 24 février 2012 à 01:56 ::Opéra
Musique brillante et virtuose tout à fait sympathique, à défaut d'être profonde : très clairement une pièce de démonstration.
Ce qui m'amuse est surtout d'entendre un certain nombre d'échos orchestratoires de Nielsen - je me demande si Blacher s'y était plongé ou s'il s'agit d'un héritage plus global du premier vingtième siècle.
(Ecouté dans la version du Berlin Deutsche Symphonie-Orchester, dirigé par Ashkenazy chez Ondine.)
Par DavidLeMarrec,
vendredi 24 février 2012 à 01:53 ::Opéra
Objet très étonnant, avec choeur et baryton solo, de très beau extraits de modalité en hommage à la Renaissance, vraiment une composition atmosphérique assez réussie, même sur sa durée.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 24 février 2012 à 01:51 ::Ecclesiasticus
L'usage de la forme de la Passion dans un langage classique se révèle très réussi, et malgré la netteté et la rigueur inhérente à la grammaire musicale de ce courant (de plus dans son versant assez galant chez C.P.E.), on ne perd pas la force expressive des situations - même si on reste loin de la puissance de "la" Saint-Jean, ou de la Saint-Marc de Keiser.
Amusant de comparer cette face (le sommet de la beauté orchestrale, et expressive en plus) avec celle que montrait le Karajan de 52, au contraire très sèche et dont la réussite doit tout aux chanteurs - beaucoup plus "neutres" dans ce studio, tous les sentiments étant communiqués par l'orchestre.
Deux des plus belles versions de cette oeuvre, au demeurant.
Décevante par rapport à l'ampleur de la Septième, on entend ici une sorte de Pastorale, avec beaucoup de thèmes fokloriques. Mais le mouvement lent est de toute beauté, son lyrisme champêtre s'étend longuement avec beaucoup d'inspiration.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 11 août 2011 à 00:31 ::Opéra
Etonnant, une des cellules musicales récurrentes de L'Attaque du Moulin rejoint celle de la vindicte dans La Lépreuse de Lazzari... Deux drames naturalistes français de la même période.
A creuser.
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Au demeurant, j'ai le souffle coupé par la beauté de L'Attaque du Moulin de Bruneau. On est très loin du Rêve (que j'ai aussi joué) et de Messidor, ou même du Requiem, question inspiration musicale !
Indépendamment du fait que cette symphonie est magnifique, je remarque pour la première fois une parenté du début du scherzo avec les mouvements extrêmes de la Première Symphonie de Prokofiev.
Amusant, parce qu'on ne rattache pas spécialement Alfvén à un classicisme quelconque, ayant tout du grand postromantique - un peu attardé, mais pas le moins du monde académique, comme en atteste sa Quatrième Symphonie.
Certes, on y trouve ici ou là un côté un peu bouffon alla Français, ou des jeux d'autmate, mais globalement l'oeuvre reste de facture classique et beaucoup moins divertissante qu'on pouvait l'espérer.
En me remettant à petit bijou, je suis très frappé par ses parentés en termes de thématiques, de textures et de coloris avec les Gezeichneten et l'Oiseau de feu, deux de mes oeuvres de chevet.
Mélancolique et très contemplatif, une grande sobriété, beaucoup de moments très posés et parcimonieux. Univers pas très éloigné de l'esprit français début XXe.
Très très beau, un des trios que j'aime tout particulièrement dans le répertoire.
Vraiment une version singulière de baryton dramatique fatigué (intonation souvent très basse). La tessiture choisie est très grave, ce qui ne permet pas les éclats, et le résultat est finalement un peu uniforme, malgré un texte soigné ; néanmoins quelque chose d'une grâce (paradoxale) et d'une électricité demeurent.
J'aime beaucoup, sans doute parce que j'aime beaucoup les manières Nimsgern... mais ce n'est clairement pas une version à conseiller.
Il est vraisemblable que la noirceurs et les éclats du Schwanengesang auraient mieux convenu.
En en écoutant l'adagio, je suis frappé de l'absence de baisse de tension, malgré la lenteur extrême du tempo. Certes, ce n'est pas ce qu'on peut appeler une lecture contrastée, tout y est très linéaire, mais considérons le thème intermédiaire, pas forcément très séduisant (à peine mélodique et développé à coups de marches harmoniques), et facile à rendre insispide ou traînard. Ici au contraire, la poussée, sans être très grande, demeure durant tout le mouvement.
Très prenant, si l'on ne cherche pas les contrastes spectaculaires lors des reprises du thème principal.
Le label du festival vient de sortir un disque où l'on trouve aussi les quatuors de Ravel et Debussy. Le quatuor de Ravel est assez décevant, très sage et plane, mais pour l'Introduction et Allegro, la chaleur communiquée par les musiciens est réellement hors du commun. Si l'on aime cette oeuvre, c'est à tenter résolument.
Juste pour dire que je suis frappé de la parenté amusante (et tout à fait fortuite) du thème du final avec l'air du spadassin de Fiesque de Lalo ("Ce n'est pas une grosse somme"). Très divertissant de l'écouter sous cet aspect.
Version étonnante, qui exalte beaucoup les cellules brèves, les motifs qui s'articulent au sein de chaque phrase musicale. Avec un effet de fragmentation assez rare.
Une très belle version, très originale, aux antipodes de ce dont on a l'habitude, de l'enveloppant Perlman au net Amoyal, en passant l'épique façon Feigin. Vraiment différent.
La version à laquelle je reviens tout le temps, avec l'Orchestre Symphonique d'Etat Ukrainien. Elle met en valeur toutes les qualités de l'oeuvre, et notamment l'incroyable relief et la variété de couleurs infinie, obtenus avec des cordes seules (et percussions).
Les thèmes de l'opéra sont réagencés dans le désordre, mais avec progression dramatique, et le résultat prouve (ce dont je ne suis pas toujours convaincu à l'écoute de l'oeuvre originale) le génie de mélodiste de Bizet.
Vraiment une oeuvre incantatoire et jubilatoire, tout à fait incontournable, qui gagnerait à être jouée souvent en concert, plairait au grand public et remporterait des triomphes.
Sur le même disque (Alba) que la Septième Symphonie, ce poème symphonique trouve des accents et des couleurs très proches de la Sérénade de Britten, autrement dit un vrai climat de mélancolie, très prégnant. Si l'on est sensible à ces tons-là, à écouter, vraiment.
Davantage familier de la Quatrième, j'ai été ravi de trouver ici de beaux aplats, riches et pénétrants, si bien qu'en dépit d'une structure un peu rhapsodique, cette symphonie conserve toujours quelque chose d'assez magnétique.
On y reste dans une vision tonale (mais moderne) du vingtième siècle d'une assez belle façon.
En réécoutant l'oeuvre dans la perspective de nourrir une notule pour CSS, je retrouve les impressions agréables que m'avait laissées cette symphonie. Certes pas la profondeur même, mais un climat babillard, assez primesautier, qui n'est pas si courant dans la musique contemporaine.
Evidemment, rien de neuf dans le langage utilisé, mais on n'écoute pas de la musique pour avoir forcément du nouveau. Rouse dipose d'une voix propre, d'une plume assez inspirée, et c'est déjà beaucoup.
Parution toute récente chez Glossa d'une nouvelle version de l'Oiseau, par Yoel Levi et l'Orchestre de la Radio Flamande.
Dans une oeuvre aussi écrite, les différences entre plusieurs versions ne sont pas aussi flagrantes que dans les répertoires plus anciens (même le répertoire postromantique...), et c'est plutôt la prise de son qui fait la différence, d'où la tentation d'aller voir du côté de chez Glossa.
On y retrouve effectivement un détail et une rondeur qui sont propres à la firme. Et dans ce répertoire inhabituel pour Glossa, on profite d'un son assez chaleureux et aéré, du vrai métier - le son ressemble vraiment à celui qu'on percevrait au fond d'une salle de concert. Cet orchestre ayant de plus toujours été très beau (en l'occurrence, pas par la douceur de ses timbres, mais par sa personnalité intense), on peut se régaler de ses bois très mis en valeur par la captation, et même leurs petites aigreurs sont agréables.
Sans remplacer les versions que j'ai l'habitude de fréquenter avec le plus de plaisir (Metzmacher / ONF, Craft / Philharmonia, Thierry Fischer / BBC Pays de Galles, Doráti / LSO - De Waart / Sydney, Ozawa / Paris, Inbal / Philharmonia), elle pourrait s'en approcher ou y prendre part à l'avenir.
L'arrangement fonctionne bien, et les équilibres changés par la puissance des jeux respectifs ne nuisent pas à la lisibilité ni à la tension de l'ensemble. Bien sûr, on perd en variété de dynamiques (le clavier de l'orgue n'a pas d'intensités, on ne peut le faire que globalement avec la pédale d'expression), mais pas énormément en force de percussion, tout simplement grâce aux harmonies chargées : à l'orchestre, on entend surtout les effets de timbre, cassants... mais l'écriture harmonique y effectue exactement le même genre de travail !
Un bon disque, chez Audite, couplé avec une intéressante Sonate en si de Liszt (pour orgue également).
Dans cette symphonie, Hamerik renoue avec les qualités des deux premières - dont la 1 a été commentée sur CSS. Le ton est certes devenu plus sombre, mais on y retrouve la simplicité d'articulation et une certaine naïveté joyeusement mélancolique, absolument délicieuse.
Les symphonies 3 et 4 s'étaient un peu éloignées de cette lumière-là, et la Sixième est tout de bon autre chose (pour cordes seules, un tour de force d'ailleurs vu la qualité de coloris du résultat).
On songe beaucoup à Beethoven et Mendelssohn pour une oeuvre du début du vingtième, mais le résultat est là, ces symphonies sont réellement émouvantes - et même assez personnelles, se dégageant un véritable style (rétro) Hamerik sur la durée...
La seule intégrale, Dausgaard / Helsingborg chez Da Capo, est tout à fait réussie, ce qui est salutaire lorsqu'on joue un compositeur peu célèbre qui écrit dans un style conservateur que la morale musicale tend à réprouver...
J'avoir avoir été extrêmement pris par cette version. Les chanteurs y sont très bons, mais ce ne sont pas non plus des voix impressionnantes en tant que telles... Ce qui a rendu cette lecture prenante, c'est encore une fois la direction de Daniele Callegari, décidément un très grand chef.
Lisibilité, petite sècheresse précise, beaucoup de vivacité, du rebond... les partitions s'animent avec lui, dans tous les sens du terme - et que ce soit du Chausson ou du Verdi.
Plus j'écoute ce disque, plus je suis fasciné, aussi bien par les oeuvres que par le feu ininterrompu que leur confèrent les interprètes.
On songe au passage beaucoup à Dvořák dans le dernier mouvement de l'opus 5... et on admire la belle place de l'alto (trémolos qui agitent seuls le reste du discours, lignes solos mélismatiques...).
Par DavidLeMarrec,
samedi 11 juin 2011 à 21:58 ::Intendance
Comme on a recommandé l'oeuvre (qui est programmée la saison prochaine à l'Opéra-Comique) à partir de bandes non officielles, il faudrait peut-être préciser que l'enregistrement le plus aisément disponible, celui chez Hänssler, comporte le défaut, en plus d'être traduit en allemand (au lieu de conserver le texte littéral de Quinault, ce qui était un intérêt non négligeable de l'aventure), d'être joué de façon très lisse, un peu comme (l'excellent) Mendelssohn de Rilling.
Par ailleurs, le texte allemand lui-même n'étant pas très bien articulé par les chanteurs, on subit un peu la double peine dans cette oeuvre qui devait faire la part belle à la puissance de la déclamation...
Par DavidLeMarrec,
samedi 11 juin 2011 à 21:53 ::Opéra
Ce succès de Broadway reste, sur la longueur, une histoire d'amitié mêlant le quotidien adolescent à la magie, dans une langue musicale extrêmement consonante et lisse - ce qui est certes la norme à Broadway, mais cela n'empêche pas l'inspiration dans les meilleures partitions.
Mais je nourris une tendresse toute particulière pour le tube "Defying gravity", très belle gestion dramatique d'un moment, et pourvu d'une composante glottophile non négligeable. [Au point d'en collectionner les versions (langues et représentations), une mine d'informations techniques sur le belting !]
Par ailleurs, d'autres moments, avec l'aide de la scène et de chanteuses aussi virtuoses verbalement que Kristin Chenoweth, peuvent se révéler délicieux, comme "Popular", assez amusant en dépit d'une substance musicale sans intérêt.
Par DavidLeMarrec,
samedi 11 juin 2011 à 21:47 ::Opéra
La version originale de ce duo est certes moins prenante, moins sophistiquée harmoniquement, moins mélodique et continue que dans la révision italienne. Mais comment ne pas être frappé par la gestion incroyable du silence, où les voix claquent, nues, dans cette lecture française !
Par DavidLeMarrec,
samedi 11 juin 2011 à 21:44 ::Opéra
Ce premier et unique opéra de Liszt, composé à l'âge de treize ans, est d'une qualité proprement scandaleuse. J'aime souvent à y revenir pour sa couleur franche et optimiste, il y a là un côté rossinien légèrement lissé qui est très poétique et très séduisant, sans la platitude des formules figées italiennes, et de superbes récitatifs français.
L'unique version, par Tamás Pál (chez Hungaroton), est très réussie, dans un français pas toujours idéalement clair mais jamais déformé, toujours élégant, et dominé par la très belle couleur mixte de Gérard Garino dans le rôle-titre.
Par DavidLeMarrec,
samedi 11 juin 2011 à 21:23 ::Opéra
En réécoutant régulièrement l'oeuvre, déjà présentée sur CSS, je demeure toujours très impressionné par la diversité et la fusion des styles (aussi bien pour le texte que la musique), avec ces nombreux archaïsmes à la fois très inspirés et très intégrés, peut-être plus fort encore que dans Panurge qui n'a pas ce défi de l'hétérogénéité.
Le motif de Madame de la Haltière est particulièrement heureusement trouvé.
Je suis une fois de plus très impressionné par les qualités de David Zinman dans ce répertoire, à la fois moelleux et incisif, et toujours lisible, avec des tempi allant et un propos d'une rare évidence.
Son intégrale en cours est l'une des rares à me combler à chaque volume. Sa Deuxième étant parmi les plus réussies de la discographie (il n'y a guère qu'Abbado Lucerne et le dernier Bernstein pour faire plus prenant), du moins pour la large partie que j'ai parcourue en suivant mes inclinations, j'attends beaucoup de l'écoute de la Troisième au sein de l'intégrale achevée il y a peu.
L'absence de pathos superflu rend aussi plus digeste cette symphonie centrale - étant moins sensible aux 5,6,7 qu'aux autres : on lui retranche de ses outrances et de son décorum un peu bruyant.
Au passage, le dernier thème doux de l'oeuvre a un côté mi-champêtre mi-funèbre qui m'évoque furtivement les jardins troubles d'Elysée chez Schreker.
Un peu planant, avec des effets assez figuratifs, plus de rugosité qu'à l'accoutumée : la pièce n'est pas désagréable, mais ne montre pas le meilleur visage de Pelle Gudmundsen-Holmgreen.
J'attends depuis des années l'édition discographique de son Concerto pour violon, farci de références complices et de cadences interrompues. Christina Åstrand (qui officie aussi sur ce disque de trios pour cor, violon et piano) l'avait créé en 2003, mais c'est celui de Ligeti qui a été enregistré pour le disque aux côtés de Helle Nacht de Nørgård.
Le trio pour cor du jeune (né en 1973) compositeur danois Søren Nils Eichberg, vainqueur en 2001 du Concours Reine Elisabeth, est assez étonnant dans le paysage actuel. Il est clairement écrit dans un langage tonal, et même franchement consonant par moment, mais comme trouvé, un peu fantomatique.
Ce n'est pas la tonalité post-bergienne très complexe que l'on trouve chez quantité de contemporains qu'on appelle néo-tonals (y compris Escaich qui passe pourtant pour un "gentil"), ni l'hyperchromatisme aux confins de la tonalité de Dutilleux, ni la tonalité mouvante et sombre que l'on trouvera chez Greif... c'est de la vraie tonalité franche, presque du Beethoven, à ceci près qu'on y trouve beaucoup de procédés suspensifs, de moments où la texture l'emporte sur le discours harmonique... comme c'est souvent le cas dans la musique contemporaine.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 9 juin 2011 à 22:39 ::Ecclesiasticus
Je crois que cette messe est réellement le chef-d'oeuvre de Bruckner. Entre ses références au grégorien et son ton post-mendelssohnien, il y a là quelque chose de totalement hors du temps, d'une beauté musicale ineffable, mi-mélancolique, mi-extatique.
Je nomme Rilling dans le titre parce que je le réécoute en ce moment même, et qu'il réussit particulièrement bien cette oeuvre, au même titre que les oratorios de Mendelssohn.
La première et la meilleure, la plupart des autres étant d'un intérêt bien moindre à mon sens. La Neuvième, sorte de poème symphonique vocal, est assez différente, mais n'appartient plus véritablement au domaine de la symphonie à proprement parler (ou alors au même titre que la Huitième de Mahler, le Chant de la Terre ou la Sixième de Tichtchenko).
Un sens du climat hors du commun, très poétique, très évocateur, assez dramatique aussi, dans une belle consonance qui n'exclut pas la richesse.
Une des symphonies qui reviennent souvent dans mes écoutes, sans comparaison avec les dernières de Dvořák auxquelles elle doit pourtant beaucoup.
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Version recommandée : Rasilainen chez CPO, excellente prise de son de surcroît.
Très belle pièce épurée et poétique, parcourue d'appels mystérieux. Ca et là, des bouts de formes plus classiques du trio surgissent.
A classer parmi les plus belles réussites de Poul Ruders.
En plus proposé avec un chouette couplage d'autres trios pour cors de rien de moins que Pelle Gudmundsen-Holmgreen, très en cour sur CSS (et Eichberg).
Et côté interprètes, Da Capo nous propose le Danish horn trio, où la grande virtuose spécialiste du XXe siècle Christina Åstrand tient le violon...
J'aimais beaucoup le caractère distendu, méditatif et furieusement wagnérien de cette symphonie. Du moins jusqu'à ce que j'ouvre la partition : grosse déception pour son adagio avec sections ultra-visibles. Et la quasi-citation (mi-Siegfried, mi-Graal) n'est que réitérée, sans exploitation.
Etrange, je la trouve très belle, et pourtant, ouvrir la partition me fait voir les coutures, comme une forme de trivialité décevante. Chose qui n'était pas adenue pour la Troisième et la Quatrième, où la partition avait au contraire accru le plaisir.
A ce jour, il n'y a que Roslavets, dont je vénère les Préludes pour piano, qui m'ait causé ce genre de déception à la lecture - dans ce cas, la musique semble posée si aléatoirement qu'on a l'impression que les phrasés du pianiste créent tout l'intérêt de l'oeuvre, en réalité peut-être discutable. Du moins à la lecture, parce que je reste tout aussi magnétisé à l'écoute (de différentes versions au demeurant !).
Impressions confirmées sur cette version : bel orchestre, au son un peu froid, toucher assez dur de Rösel qui aborde ces concertos de manière très physique.
Au passage, l'écoute à la suite de ces concertos montre qu'ici, la postérité n'a rien laissé dans l'ombre : le 4 et surtout le 1 sont d'un intérêt mineur par rapport aux deux célèbres. En revanche, pourquoi le Deuxième est-il plus joué alors que le Troisième me paraît plus roboratif. Peut-être, précisément, à cause de cette mélancolie du 2, et puis de ses amorces de mouvement très prenantes ?
Cet enregistrement avec le "Vienna Musikgesellschaft Orchester" (que désigne exactement ce titre ?), paru chez Vox (couplé avec le Premier de Tchaïkovsky) et republié chez Brana (couplé avec le Rondo sur des thèmes folkloriques russes Op.98 de Hummel), dispose d'une prise de son bizarre (le piano se timbre mal et surtout de façon très peu naturelle dans l'introduction solo).
Néanmoins, sur la durée, l'intégration entre solo et orchestre est remarquablement organisée, et la fluidité du discours de Blumental et Gielen en fait l'une des versions les plus agréables à écouter que j'aie fréquentées.
Pas sûr qu'elle contente les amateurs sérieux de piano, ni ceux qui seraient sensibles aux timbres excessivement moches de l'orchestre (violoncelle solo sec et pas très juste, vents au son étranglé...), mais pour l'élan du discours général, sans emphase superflue, j'y trouve tout à fait mon compte.
Assez déçu, malgré sa réputation flatteuse (superbe intégrale Brahms, et présenté comme l'un des plus grands techniciens actuels) par Peter Rösel ici.
Certes, le timbrage des accords initiaux est impressionnant, variant réellement entre les nuances, pour aboutir à une puissance considérable et sans jamais paraître "cassant". Néanmoins, pour une oeuvre aussi lyrique, le résultat général demeure d'apparence assez "cognée". Ce qui faisait le charme de ses Brahms, ces strates nettes et détachées, paraît ici comme une forme de dureté.
Même la prise de son Berlin Classics et le Symphonique de Berlin ne me ravissent pas autant que d'habitude.
Même jouées par la princesse du continuo, ces pièces demeurent assez pauvres en substance, presque au niveau des motets. A part Don Quichotte chez la Duchesse, dont l'entrain musical est incomparable et dont les traits d'esprit sont si fidèles à Cervantès... on peine à trouver de la littérature de premier intérêt chez lui.
Les Danses de village sont néanmoins assez agréables, même si elles demeurent dans le pur divertissement "facile".
Par DavidLeMarrec,
vendredi 3 juin 2011 à 22:06 ::Intendance
Ce petit bijou ramiste a cependant une forte personnalité musicale, on retrouve très bien la petite mélancolie et le beau lyrisme déclamatoire de Pyrame et Thisbé...
Une musique à mon sens beaucoup moins décorative que la troisième école de type ramiste, il reste encore chez Francoeur et Rebel l'hyperdramatisme propre à la période précédente... et aussi quelque chose de plus touchant dans les couleurs harmoniques (qui évoque les motets de Desmarest).
Je suis une fois de plus frappé par le caractère profondément tchaïkovskien du deuxième mouvement... mais étrangement, ses cordes larmoyantes et ses tutti tapageurs s'entendent comme tels, alors que chez Tchaïkovsky, l'inspiration et l'authenticité font que je ne le ressens jamais comme tel.
Néanmoins, dans un interprétation qui met en valeur les pupitres de bois (la question se pose sans doute moins en salle qu'au disque), il reste de quoi faire un petit régal, à commencer par les autres mouvements...
Dans cette perspective, K. Sanderling ou Berglund sont particulièrement opérants, avec des timbres un peu plus aigres peut-être, mais aussi beaucoup plus de clarté dans les strates.
Impressionnant aussi comme sur la partition tout est clairement arrangé par bloc, le thème revenant forcément aux bois OU aux cordes OU aux cuivres, et souvent sucessivement (quelquefois la flûte et quelques autres bois sont autorisés à doubler les cordes, dans les grands tutti). Malgré les belles couleurs dispensées par Sibelius, dans cette première symphonie, on est même en deçà du fondu orchestral de Bruckner !
Par DavidLeMarrec,
samedi 28 mai 2011 à 21:56 ::Ecclesiasticus
En écoutant une version inédite de ce Requiem (avec Lucia Popp, ce qui a valu à l'archive radio de circuler parallèlement aux publications officielles), je suis une fois de plus frappé par sa force dramatique et sa qualité lyrique, alors que musicalement les moyens restent sobres. L'un des tout plus beaux du répertoire pour moi.
Versions suggérées : Ančerl II (1964, version avec Rose en soprano), Sawallisch, et sinon Mácal.
Versions déconseillées : Kertesz, Ančerl I (1959, abominablement filtrée dans la "Gold Edition", version avec Stader en soprano)
Par DavidLeMarrec,
samedi 28 mai 2011 à 15:57 ::Opéra
En réécoutant les représentations de Lausanne 2003 (Minkowski, Delunsch dans les quatre rôles, D'Oustrac, Miller, Naouri, Cole), je suis frappé par le caractère décousu et les nombreux va-et-vient dans la temporalité. On dispose ainsi du début de l'acte I pendant la fin du Prologue, et autres inversions étranges.
L'oeuvre, inachevée, donne le plaisir d'entendre très souvent des éditions différentes, et celle-ci est particulièrement dense musicalement (même si, à titre personnel, j'ai plus de tendresse pour les choix Choudens de la sérénade de Niklausse et de l'air de Coppélius), et très tenue dramatiquement. Les dialogues sont finement gérés également, sans doute comme l'ensemble largement rendus crédibles par l'intervention de Minkowski.
Mais indépendamment de ces beautés, l'intrigue demeure tout aussi emberlificotée dans l'inachèvement de la partition, malgré les inédits prévus par Offenbach que Jean-Christophe Keck a restitués.
En revanche, le rétablissement de l'ordre originel des actes procure, dans cette version comme dans les autres, une couleur plus pessimiste à l'évolution amoureuse du personnage (qui finit par se tourner vers les courtisanes, au lieu d'en faire une expérience de jeunesse comme dans les romans d'apprentissage), tempéré toutefois, chez Keck, par le retour de Stella à l'issue de l'opéra, même si elle manque Hoffmann.
Par DavidLeMarrec,
samedi 28 mai 2011 à 04:55 ::Intendance
Si je prends, malgré son aboutissement moindre, un plus grand plaisir subjectif à l'oeuvre pour orgue de Buxtehude qu'à celle de Bach, je suis au contraire totalement subjugué par ses cantates à la fois sobres, volubiles et profondes. J'en parlerai probablement prochainement sur CSS.
Ecoute de la Cinquième Symphonie, composée pendant la guerre de 40. Assez étonnant, à la fois consonant, avec des formes fixes traditionnelles, des motifs obstinés (celui de la première section vive est particulièrement obsédant pour le compositeur)... et quelque chose de plus audacieux et personnel.
Cela est bien loin de son formidable Nonette avec voix, une sorte d'expérimentation sans modèle, tout à fait tonale, mais très étrange.
Par DavidLeMarrec,
dimanche 16 août 2009 à 20:41 ::Intendance
Noté ailleurs aujourd'hui.
J'ai regardé ce qui se trouvait en ligne du Paillasse d'Orange... Je ne saisis pas du tout ce qui est reproché à Roberto Alagna, dans les nombreuses recensions, toutes négatives, que j'ai pu lire... Qui chante mieux ça que lui aujourd'hui ? On peut avoir pour référence Di Stefano, Bergonzi, Domingo ou Pavarotti, mais c'est fini... Et en l'occurrence, c'est quand même assez remarquable de tenue. Un Paillasse très épris, assez peu cabotin et pas violent pour un sou, c'est en plus une incarnation un peu inusuelle.
Si on compare aux ténors actuels qui ont abordé le rôle, comme José Cura ou Salvatore Licitra, il y a une différence de classe et même de moyens qui est patente.
Il a dû énormément travailler pour éliminer ses attaques par palier, elles ont disparu :!: Il se ménage aussi dans la durée des aigus, et fait souvent retomber leur poids, avec sagesse, sur la note suivante.
Après, les voyelles sont de plus en plus ouvertes, il risque avoir quelques difficultés dans les mois à venir s'il chante comme cela des rôles aussi exposés...
Il y a manifestement, lié à sa fanfaronnade naîve, un rapport émotionnel très épidermique à Alagna, toujours attendu au tournant alors qu'il reste tout de même l'un des ténors les plus passionnants de sa génération, en plus avec un répertoire qui, ces dernières années, fait la part belle à quelques raretés.
[Notre avis plus général sur le chanteur se trouve ici, sur Carnets sur sol.]
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J'ai noté aussi que la direction de Georges Prêtre était comme à l'accoutumée dans l'opéra italien assez plate (quoique intense dans le son), et surtout, ici, extrêmement lente ! Le drame est vraiment étouffé, dans ce qui n'était déjà pas du tout son meilleur répertoire.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 2 juillet 2009 à 11:19 ::Opéra
Ce jeune baryton coréen a lui aussi écumé les grands prix, et remporté en 2008 le premier prix masculin du Concours International de Chant de Toulouse.
Urna fatale del mio destino de la Force du destin de Verdi ; Scintille, diamant des Contes d'Hoffmann d'Offenbach.
Une voix typiquement coréenne : valeureuse, solide, mais assez froide. Cette voix a un côté incontestablement italien, avec des résonances riches dans les os de la face (le fameux masque), quelque chose d'un peu agressif et brillant ; mais aussi un côté forcé. C'est fréquent dans cette école de chant : il reste un appui assez guttural, qui sonne presque braillé, comme une mauvaise imitation de la volonté de faire du bruit à l'Opéra.
Autre problème récurrent, les notes de transition musicale qui ne sont pas longtemps tenues (par exemple les ornementations de type gruppetto comme dans le Verdi) sont mal timbrées, avec des sonorités qu'ont les débutants qui ne soutiennent pas - c'est-à-dire qui ne font pas reposer les notes sur le souffle et poussent avec la gorge.
Entendons-nous bien, c'est techniquement extrêmement solide ; mais l'aspect général n'est finalement pas très séduisant, et il faudra que les écoles coréenne et chinoise intègrent (c'est partiellement le cas en Corée depuis assez longtemps), particulièrement pour les voix d'homme, ces paramètres si elles veulent séduire. Déjà que cela demande un effort de mémorisation (beaucoup de patronymes identiques, de Kim ou de Lee), si en plus leurs voix paraissent interchangeables ou banales, ils conserveront sur le dos ce cliché de standardisation.
Jung Seung-Gi a en plus un problème de vibrato, qui chevrote un peu, paraît artificiel. On peut aussi s'inquiéter de sa façon d'émettre les aigus déjà en deux fois, très clairement sur le modèle de Leo Nucci (la mâchoire se décroche alors que le son a déjà commencé à être émis). L'école italienne se manifeste aussi dans sa façon très traditionnelle de couvrir les sons ([a] dans l'aigu est ainsi émis [o]).
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Côté interprétation, on ne peut pas nier, sans que ce soit brûlant, qu'il y ait de l'investissement de sa part ; mais comme souvent, il existe une réserve dans cet engagement : le personnage est incarné, mais le texte paraît totalement abstrait (une petite faute d'articulation d'italien en plus à la fin de l'air).
Mêmes remarques pour l'air des Contes, où l'aspect forcé est plus désagréable évidemment, avec un français très international mais correct.
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En somme, une voix très valeureuse, pleine de sûreté, qui ne déparerait pas une distribution. Quelqu'un que les directeurs de théâtre seront heureux d'avoir. Mais qui ne deviendra pas un chanteur majeur du circuit, vu les réserves qu'on a exprimé.
Et encore une fois, même si on peut le regretter, la nature exotique du nom et de l'aspect demandent un surcroît de qualités pour être reconnus en Europe. Il y a aussi le fait que cette approche très vocale et un peu uniforme du chant ne correspond pas à la culture d'opéra telle qu'elle existe en europe - où la seule puissance, pourtant très vantée, n'est finalement pas autant valorisée dans les faits que la beauté du timbre ou la personnalité de la voix.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 1 juillet 2009 à 14:25 ::Opéra
Anna Kasyan, soprano lyrique léger géorgien, est bien connue des concours de chant. On l'avait déjà entendue au Concours Reine Elisabeth 2008, où elle avait été finaliste.
Air de Rosina dans le Barbiere de Rossini ; cavatine de la petite table dans Manon de Massenet.
Le français est assez moyen, l'italien marqué par ses ascendances slaves, correctement international. C'est tout à fait professionnel, mais sans timbre individuel ou séduisant, ni grâce. Le suraigu est très dur. Par ailleurs, le jeu n'est vraiment pas bon.
En parcourant la Toile pour tâter un peu le pouls de la sphère autorisée, aficionados toujours dans la traîne des étoiles ou professionnels reconnus du commentaire, une impression de fatigue lourde.
Comme chacun se plaît à distribuer les points, à porter des jugements hâtifs sans connaître le contexte d'une production, sans prendre en considération le caractère limité de tout métier humain ! Comme chacun balaie du haut de son expertise, parfois réelle, parfois illusoire, une entreprise tout entière, réclame la satisfaction immédiate de ses goûts, ricane des sentences morales avant même que les informations soient confirmées, se délecte par avance des crises qu'il imagine...
Je reste fasciné, dans ce milieu comme ailleurs, devant l'entrain que mettent les gens à rendre tragique (peut-être pour se faire oublier son caractère accessoire ?) ce qui est leur divertissement.
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Généralité gratuite bien sûr, notamment inspirée par quelques spécimens particulièrement épuisants, voire vaguement écoeurants de suffisance ou de hargne. Mais la propension au jugement lapidaire et la prodigalité en leçons faciles est cela dit plutôt bien répandue.
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Bref, mieux vaut en revenir aux fréquentations habituelles, par exemple, pour ce qui est de la Toile, aux honnêtes esthètes de la liste de liens de CSS, dont la conversation est de plus tout à fait aimable.
Juste pour montrer que la DGG n'investit pas seulement sur des entreprises sans profondeur. Non pas que Bach à la harpe soit du domaine du bon goût absolu - et d'autant que l'interprète en question livre une lecture assez sucrée de l'oeuvre -, mais c'est à ma connaissance une première. Et Bach, et en particulier les Goldberg, se prêtent si bien aux transcriptions diverses...
On peut rappeler nos références personnelles et très subjectives des Goldberg, en commençant par les plus essentielles pour nous :
Kurt Rodarmer, avec une guitare au son assez métallique, qui frotte et danse incroyablement.
Murray Perahia, pour la poésie de son piano et de ses nuances - évidemment.
Glenn Gould 1955, pour le rebond et l'articulation remarquable de chaque voix.
Pas de clavecin, car pour Bach dans ses oeuvres qui ne sont pas des suites, c'est pour nous une épreuve : comment faire vivre cette musique à la régularité rythmique déjà potentiellement étouffante si l'on ne dispose pas de nuances dynamiques ? Se pose aussi la question des silences, le plus souvent absents des partitions, mais dont la respiration permet de faire vivre la musique de Bach (et distingue les grands interprètes), plus difficile à obtenir sur clavecin du fait de l'absence d'étouffoirs (la résonance ne peut pas être maîtrisée aussi 'injonctivement' qu'au piano).
Par DavidLeMarrec,
dimanche 22 février 2009 à 22:17 ::Transversal
Rien que pour le plaisir, la pochette merveilleuse du dernier album de Domingo dont je découvre à l'instant l'existence :
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(On notera le très habile collage entre une photo déjà vue - même série que celle du Tristan ou bien de l'intégrale des airs de Verdi ? - et l'image estompée du saint homme disparu.)
A bien y réfléchir, j'avais dû en entendre parler, mais je n'avais pas souvenir que Domingo était de la partie...
Il aura décidément tout fait. Entre les siruposités pucciniennes (mais orchestrées comme du Donizetti et harmoniquement restées à Cannabich) et les jolis slows avec boîte à rythme, c'est décidément très amusant, d'autant qu'à son habitude son aptitude idiomatique est assez... espagnole. Même pour le français que je suis, son italien ressemble assez peu à de l'espagnol.
Sa voix calibrée pour être sonore et large, qui n'a jamais été facile, et accessoirement vieillie, a qui plus est des difficultés à se prêter à l'exercice.
On a eu la bonne idée de le flanquer de chanteurs plus spécialistes de ce répertoire, qui s'en tirent mieux et mettent surtout en évidence son exotisme linguistique. Bocelli, dans ce répertoire léger, capté de plus près par les micros et dont la voix plus ténue mais plus franche n'est pas réverbérée par les arrangeurs, rayonne, de même que le délicieux filet gracieux de Katherine Jenkins (qui vaut bien Kirkby). Il est vrai que l'anglais ne flatte pas le volapük occidental qui semble son mode d'expression le plus naturel.
On s'épargnera le commentaire sur la qualité littéraire des chefs-d'oeuvre de Wojtyła, naturellement - ce serait mesquin, d'autant que repris par le choeur de séraphins, qui résisterait ? [Et par ailleurs, c'est plutôt de la jolie prose, pas vraiment des poèmes, des sortes de pensées joliment agencées.]
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C'est simplement de l'amusement, qu'on ne se méprenne pas, sans condescendance ni sarcastiqueries : il existe un public pour ce type de musique, par ailleurs très agréable à écouter. Et qui n'a pas de quoi être méprisé, ça ne répond tout simplement pas aux mêmes besoins que les Variations opus 31 de Schönberg - et je ne suis pas tout à fait sûr de ce que je préfèrerais écouter des deux, à dire vrai.
Mais il est vrai que l'association entre la dévotion un peu idolâtre à une figure humaine, le surf mercatique sur la disparition d'un personnage populaire, la maladresse de la confection de la pochette et le caractère suprêmement kitsch du contenu (poèmes gentillets et musique conçue pour être facile et sentimentale) et du mélange entre les intervenants fait immanquablement sourire par toutes les caricatures qu'elle assemble d'un seul coup.
Dans le genre, on peut tout de même plutôt se tourner vers des valeurs sûres (assez roboratives). Et plus à même de satisfaire l'amateur de lyrique du fait de leur son nettement moins trafiqué (les boursouflures et raccommodages des plans sont tout de même épouvantables dans Amore infinito).
En premier lieu du lyrique dégoulinant mais terriblement convaincant, avec un effet psychostimulant très efficace pour donner du coeur à l'ouvrage sur un travail un peu fastidieux.
Et puis, tout récemment, un disque moins à mon goût, mais qui force l'admiration. Les arrangements, pourtant par le même auteur que pour le disque d'hommage à Mariano (où ils étaient assez terrifiants), sont très colorés et assez savoureux, tandis qu'Alagna adapte avec bonheur son émission à un genre semi-lyrique. Et puis ses talents de bateleur sont connus, et éclatent enfin sans retenue. [Ce qui donne sans doute une petite idée du type de Pelléas qu'il disait vouloir chanter.]
Par DavidLeMarrec,
dimanche 25 janvier 2009 à 15:59 ::Opéra
Mauvais bricolage de non-Shakespeare, avec des sons électroniques trop proches, très acides... assez inécoutable sans le visuel, d'autant que le livret n'est pas fourni dans le disque, manifestement...
Le texte est de toute façon inintelligible et trop mixé pour prendre sens.
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Dommage. On en revient donc à la recommandation des indispensables et poétiques Machinations pour quatre voix de femme et ordinateur, sans nul doute l'Everest de la musique électronique du vingtième siècle.
Comme toujours, une petite raideur dans le maintien, ça ne danse pas beaucoup, mais toutes les strates sont audibles et phrasées, du grand art. Une lecture très sérieuse de la musique française, qui danse peu et trille avec sévérité, mais aussi une qualité analytique rare dans cette musique.
C'est plutôt le clavecin très riche (qui sonne toujours comme en triple clavier accouplé...) qui est un peu fatigant sur la durée.
Double CD Seon, couplé avec une lecture de Forqueray un peu chargée. Il vaut mieux ici se reporter vers la très fluide intégrale Yannick Le Gaillard, malgré la moitié du corpus affligé d'un clavecin très acide assez pénible.
Amusant, un des doubles de La Pothouin de Duphly s'apparente jusqu'à l'exactitude à un autre des doubles de la Gavotte de la Suite en la de Rameau. Pour mettre de l'eau au moulin de ceux qui reprochent l'uniformité à l'ère pré-1800.
Il est exact que la distance est moindre entre Haendel et Duphly qu'entre deux opéras de Massenet, mais c'est justement cette esthétique de la nuance, de la variation qui est alors séduisante.
David Geringas au violoncelle donne à ces pièces un peu arides une évidence à ne pas manquer pour aborder l'oeuvre. Les Strophes sortent de l'abstraction où on les place parfois pour devenir discours - ce qui paraît plutôt logique.
Quant à l'interprétation du Quatuor Sine Nomine, elle est généralement présentée à référence, et il est vrai qu'elle veille à l'équilibre constant entre un certain lyrisme postromantique et un refus de la complaisance sonore. Il n'en demeure pas moins que, comme souvent chez Dutilleux, l'oeuvre peut ravir par ses raffinements harmoniques ou lasser sérieusement par une certaine tendance à un hédonisme un peu abstrait.
Suite de l'ancien disque Erato bradé par Warner chez Apex.
La musique pour clavecin de Boismortier est semblable au reste de sa production, charmante mais assez peu profonde, avec des tournures assez impersonnelles et, malgré une séduction avant tout mélodique, une veine thématique un peu faible. On peut tout à fait, de mon point de vue, en rester au chef-d'oeuvre de dérision, bien dans l'esprit de l'original, de Don Quichotte chez la Duchesse.
Le clavecin de Laurence Boulay sonne presque à la moderne, un peu électrique, pas très séduisant - ce qui n'est pas réellement compensé par un jeu hors du commun, mais que faire de ces pièces un peu mineures ?
En tout cas un programme intéressant pour pas cher, avec de beaux Duphly.
Amusant, la main gauche est un peu régulière et lourde, on sent le pianiste... Je ne devrais pas dire cela, soutenant habituellement qu'il n'est pas bien malcommode de s'adapter au clavecin pour un pianiste, mais malgré les parentés classiques très fortes de l'écriture de Duphly (qui utilise fréquemment les basses d'Alberti, ornemente relativement peu, n'écrit quasiment que des mélodies accompagnées et travaille surtout la séduction des atmosphères), il reste un petit fossé dans la souplesse de l'accompagnement.
Par ailleurs, superbe clavecin, et une profondeur de ton admirable pour ces pièces si légères, un disque vraiment recommandable (et pas cher du tout chez Apex, couplé avec des oeuvres de Boismortier par Laurence Boulay).
Par DavidLeMarrec,
samedi 24 janvier 2009 à 09:25 ::Opéra
J'écoute en ce moment même la (longue !) chaconne de Didon, sur le modèle de celle d'Armide, avec haute-contre soliste et choeurs.
Comme je l'avais déjà signalé, la parenté mélodique avec le divertissement (également à l'acte I) de Cadmus est patente. Mais entendre cette tournure très heureuse sur près d'un quart d'heure, quel délice !
Une particularité de cet opéra : les divertissements de fin d'acte sont toujours suivis d'une reprise de l'action qui les prolonge et qui annonce l'acte suivant. (C'est comparable à l'acte II de Pyrame & Thisbé de Francoeur & Rebel.)
Par DavidLeMarrec,
samedi 24 janvier 2009 à 07:57 ::Opéra
Amusant : alors que le lamento du III d'Armide me semblait plus réussi chez Herreweghe au disque que chez Christie dans la salle, et que c'était l'inverse pour le monologue du V, plus précis et intense pour D'Oustrac, à l'écoute de la captation radio des mêmes soirées, tout change.
Par DavidLeMarrec,
samedi 3 janvier 2009 à 21:46 ::Littérature
Les drames musicaux de Richard Wagner par Carl Dahlhaus et Madeleine Renier. Bon bouquin généraliste.
Wagner par ses rêves par Philippe Muller. Consternant.
Nietzsche, adversaire de Wagner par Dominique Catteau. Un essai de synthèse de la philosophie wagnérienne franchement bien conçu. Notamment la mécanique christiano-érotique de sa réflexion.
Drama and the World of Richard Wagner par Dieter Borchmeyer et Daphne Ellis. La question de l'amour, du mariage et de sa consommation est traitée de façon assez passionnante (on se rend compte, en fait, que le couple dissident de 1984 a une conception wagnérienne de l'amour, où le péché se trouve dans le mariage et non dans la sexualité).
Par DavidLeMarrec,
samedi 3 janvier 2009 à 21:45 ::Opéra
Die Marschallin : Lisa Della Casa
Octavian : Sena Jurinac
Sophie : Hilde Gueden
Baron Ochs : Otto Edelmann
le chanteur italien : Nicolaï Gedda
Vienne se prend totalement les pieds dans le tapis pendant tout le premier acte (superbe pain aux cors sur la deuxième note accentuée, prélude décalé, violon solo faux et discontinu à la fin de l'acte, etc.), c'est réjouissant.
Della Casa fabuleuse, enfin une Maréchale charismatique (le rôle est écrit sur les mauvaises notes, difficile à faire sonner).
Jurinac, qui a aussi beaucoup chanté Donna Anna (!), joue avec beaucoup d'aplomb son Quinquin, en prenant un timbre assez viril, ce qui me convainc toujours modérément - le caractère gracieux et androgyne n'est pas pour rien dans la séduction du rôle. Mais elle connaît son affaire, ça file bien comme il faut.
Côté Gueden, qui chante pourtant parfaitement Zerbinette, il faut supporter des suraigus entièrement droits, un peu criés dans la Présentation de la Rose, ce qui cause quelque inconfort, malheureusement, aux esgourdes. Une soirée de méforme sans doute.
Les protagonistes de cette mise en scène (qui a l'air bougrement vive...), de gauche à droite : Hilde Gueden, Sena Jurinac, Lisa Della Casa.
(source de l'image : Cantabile-subito.de)
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Tout ça pesé, on comprend bien que le disque a avant tout été publié pour documenter la Maréchale de Della Casa (qui a assuré les trois rôles dans un temps assez bref...). Avec une vraie réussite, d'ailleurs, parce qu'Edelmann est survolté, parle à merveille (loin de la vulgarité du studio de 56 et des sons très vilains qu'il y faisait) ; parce que Della Casa est bel est bien sublime ; et parce que Karajan, en bousculant Vienne, trouve un ton survolté assez réjouissant dans l'oeuvre, loin des mollesses cotonneuses - assez pénibles - de son studio.
C'est là aussi le seul témoignage disponible de Della Casa en Maréchale, puisque Walter Legge l'a faite remplacer par sa femme pour la vidéo enregistrée en studio dans la même distribution et les mêmes costumes.
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A notre avis une très belle version, qui soutient la tension comme peu.
Mais c'est un peu le bazar ce soir-là, il vaut mieux être prévenu.
A cause de la diversification des « tubes » (bien plus nombreux que les quelques scies enregistrées jadis), grâce au choix merveilleux que permet le support discographique. Bien sûr. [1]
Mais aussi chez les interprètes, qui se révèlent bien plus concernés par ce qui fait l'essence du genre, à savoir le rapport de la musique au texte, que leurs aînés. (S'il faut généraliser, bien entendu.)
Suite à une question qui nous a été posée, voici les quelques notes informelles d'un embryon de réponse.
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Quels liedersänger [2] expressifs dans l'ancien temps ?
Je vois surtout Dietrich Fischer-Dieskau et Elisabeth Schumann (on pourra en proposer en section libre de droits). J'en oublie assurément. Je vois cité Gerhard Hüsch, et c'est très bien en effet. Même de très bons diseurs comme Lotte Lehmann se révèlent assez rigides au lied, il me semble.
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Mais pourquoi diable les interprètes plus récents seraient-ils plus soigneux dans l'expression ?
A mon humble avis.
C'est une différence globale d'attitude, liée au changement de statut du lyrique, qui revient un peu à son état premier (à la fois du théâtre [3] et de la musique) après plusieurs siècles de domination musicale.
Après, à toutes les époques, on trouvera de bons et de mauvais diseurs, mais disons qu'à l'exception de Fischer-Dieskau, les très bons diseurs, je les rencontre plutôt à partir des années 80, et même surtout depuis le renouveau baroque qui a promu de petits formats plus à même d'articuler clairement un texte et de respecter une ligne fine.
C'est une évolution globale, une diversification des spécialités. Dans les années 50 en France, par exemple, tous les chanteurs, même le moindre choriste, avaient une diction parfaite (pour tout un tas de paramètres qui s'expliquent [4]), et pourtant, si l'on regarde les interprétations de mélodie française par Panzéra ou Maurane, voire Souzay, l'ensemble est beaucoup plus fade textuellement que ce que font des chanteurs moins spécialisés, aujourd'hui (qui sont souvent moins compréhensibles et moins en style, d'ailleurs).
Pour prendre un exemple, je ne crois pas qu'un profil du type Le Roux ou Corréas aurait pu exister dans les années cinquante. (D'ailleurs plutôt que Bernac, dont je n'aime ni la voix ni l'expression, je recommanderais plutôt, dans le même format de baryton aigu et le même répertoire, Michel Carey - plus précis dans l'expression.)
Je pense donc que cela s'explique concrètement, de même qu'on peut expliquer la perte de style pour certains répertoires, dont la mélodie française, la plupart du temps chantée comme du lied ou comme du Donizetti...
La révolution baroque, la théâtralisation de l'opéra sont pour beaucoup dans ce changement positif, je crois. Pour la perte de style, c'est plutôt l'internationalisation des répertoires qui est en cause.
Et en tout cas, cela explique que les chanteurs de lied récents soient plus proches de la sensibilité des lutins, sans discréditer les autres (d'autant qu'il existe d'excellentes choses anciennes).
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Et au concert ?
[Ce qui ne nous empêche pas de regretter avec insistance l'absence absolue d'originalité des programmes de lieder (à part, parfois, dans les pays germanophones), se limitant à peu près toujours à :
Un peu de Wolf, mais toujours les mêmes Möricke (voire quatre Goethe) - surtout dans les pays germanophones
Il peut arriver que les trois plus célèbres de Liszt (parce que mis en musique aussi par Schubert ou Schumann) soient joués, une petite mode depuis peu
Vous aurez beaucoup de peine à entendre autre chose en concert. Vraiment beaucoup. Pourtant il existe d'autres cycles de Schubert, énormément de lieder jamais exécutés mais exceptionnels de Schubert, d'autres cycles de Schumann, et quantité d'autres compositeurs majeurs de lieder : Clara Wieck-Schumann, Max Reger, Alma Schindler-Mahler, Anton Webern... et bien d'autres compositeurs au minimum intéressants : Zelter, Loewe, Reichardt, Franz, Zemlinsky, Marx, Křenek, Holl...]
N.B. : Il n'a pas été possible d'ajouter tous les liens correspondants, mais vous pouvez vous reporter aux chapitres consacrés au lied, dans la colonne de droite de Carnets sur sol. Beaucoup d'auteurs ont été abordés.
Notes
[1] En revanche, la mélodie française, même si elle bénéficie du disque, est interprétée dans un nombre généralement très limité d'oeuvres-phares, plus jamais donnée seule au concert, et très rarement en style ou même avec une diction impeccable.
[3] En est témoin la place aujourd'hui réservée à des metteurs en scène inventifs ou prestigieux, ce qui n'était pas du tout le cas jadis.
[4] Notamment le fait de ne chanter que dans sa langue et devant un public de sa langue, ce qui est à la fois plus facile pour maîtriser sa phonation que dans une langue étrangère et plus exigeant pour être compris que devant un public qui en tout état de cause ne maîtrise pas la langue de l'oeuvre.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 14 août 2008 à 19:47 ::Opéra
En plus, la mise en scène de Nicolas Joël ressemblait fortement à du bâclage (ou alors quelque problème de nous inconnu l'a empêché de produire ce qu'il pouvait). Aucune direction d'acteurs (seul Alagna, tout à son enthousiasme d'être en contact avec son public, riait et bondissait sans arrêt). Une esthétique du sabre et du goupillon (pourtant décriée par le metteur en scène). Des chanteurs perdus, aucun mouvement (la scène foisonnante du II, où Faust et Méphisto se frayent un chemin parmi les danseurs, ne voit que trois couples de valseurs au milieu de la scène immense), et plusieurs sabotage de l'économie dramatique de l'oeuvre. Entrée pour ainsi dire par la porte du démon au I, et surtout avancée paisible de Faust écoutant Marguerite à la fin du III, alors que la surprise par l'amant du moment d'aveu solitaire porte à elle seule tout le tragique de ce qui suit - l'enfant, la mort, la damnation potentielle. Tout est donc aplani sans la moindre recherche, jusqu'à saper ce qui est bien écrit.
Une idée séduisante cependant, à la toute fin : le retour à l'état initial de Faust, sorte de punition qui le condamne à mourir vieux et fatigué, la damnation en plus.
Côté orchestre, une direction lente, sans grand relief, mais soignée, avec de belles couleurs, de la part de Michel Plasson. Les choeurs, bien que nombreux, disposent d'un timbre proportionné, très agréable, et d'une diction à peu près correcte, ce qui est rare et doit être salué comme il se doit.
Côté interprètes, on note avec un peu d'étonnement un début très précautionneux pour René Pape, qui peine à trouver les voyelles justes avant le III, et peine à s'investir - alors que la radiodiffusion new yorkaise, en 2006, montrait un démon certes un peu noir pour un Méphisto goethéen, mais très complet et assuré. Comme on ne peut pas prétendre que l'absence de mise en scène ait troublé un habitué des versions de concert et surtout du Met, on peut penser à une soirée de relative méforme - mais attention, malgré un manque total d'originalité, l'ensemble était vocalement parfaitement assumé, et surtout, il faut toujours se méfier des voix de basse, qui ont un impact énorme en salle, pas toujours rendu par les micros (c'est le cas par exemple de Fernand Bernadi et de Nicolas Testé, voix très peu phonogéniques, et pourtant d'une présence extraordinaire en vrai). Il est donc possible qu'une présence très particulière se soit tout de même manifestée - alors que la retransmission donnait l'impression à tous les coups fallacieuses d'une projection un peu difficile !
Inva Mula a, en peu d'années, abandonné sa luminosité un peu monochrome au profit d'une voix plus ferme, légèrement plus dramatique, d'une diction plus affirmée, d'une qualité d'attaque supérieure. Le timbre en est moins séduisant, mais le résultat combien plus varié et intéressant ! Il est rare que les artistes soient capables, au sein du galop d'une carrière, de modifier ainsi leurs qualités propres, c'est à saluer.
Jean-François Lapointe semble résoudre de plus en plus nettement sa tendance à l'engorgement, et parfois au prosaïsme, avec une présence scénique tout à fait honorable dans le monde anesthésié de cette soirée. Pour un baryton martin, l'aigu n'est pas très libre et beau, mais son Valentin convainc. Un chanteur de plus en plus intéressant, dont le Pelléas très viril nous avait d'ailleurs étonné il y a peu.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 14 août 2008 à 19:09 ::Opéra
Une esquisse, quelques pistes.
Visionné tout récemment la mise en scène parisienne très décriée de Lev Dodin. En effet, le choix de la situation dans l'asile, donc à l'issue de la folie d'Hermann (qui ne mourrait pas), qui peut sembler cohérent, se révèle extrêmement stérilisant.
Toutes les alternances de groupes qui scandent le drame et en particulier l'acte I sont réduites à un défilé en hauteur, hallucinations figées au-dessus du lit d'Hermann. Jusqu'à l'opéra mozartien du II, tout est présenté sur cette estrade figée, où des personnages en haillons, camarades de folie ou créatures imaginaires, posent, immobiles, interminables.
Toute variété, tout mouvement sont proscrits, aucune action ne se déroule sur scène - ce qui est tout de même un non-sens assez important lorsqu'on réalise une mise en scène.
La cohérence du procédé s'effrite au fil des actes, lorsque des personnages descendent dans l'arène, ou lorsqu'Hermann vient menacer la vielle comtesse. Qui sont-ils, à quoi servent-ils ? Le parti pris, totalement stérile en lui-même (puisqu'il n'apprend rien que l'on ne sache et sabote totalement la logique dramatique de l'oeuvre et sa respiration vive), se trouve donc de surcroît largement pris en défaut.
Ajoutons à cela que la partition n'est pas épargnée, puisque la cohérence du récit de Tomsky est brisée par l'intervention au discours de la Comtesse dans son monologue, ce qui est un non-sens dans une séance de conteur, et accessoirement du charcutage musical...
Pour ne rien arranger, la direction de Ghennady Rozhdestvensky, vraiment lente et dépourvue d'angles (et pourtant pressée de relâcher le dernier accord), accentue ce caractère lisse et contemplatif.
L'ensemble est sauvé par les chanteurs. Vladimir Galouzine, contrairement à ce que pouvaient laisser penser ses incarnations italiennes pâteuses et rustaudes, n'est absolument pas en perte de moyens, loin s'en faut. Le placement en arrière imposé par le russe correspond beaucoup mieux à son émission qui repose assez sur la gorge. Il compose un personnage d'une variété, d'une force de conviction et d'une insolence vocale hors du commun, tenant à lui seul ce qui reste de drame dans cette lecture scénique terriblement pauvre. Si bien que la voix en finit légèrement plus mate à la fin de l'oeuvre, tant le chanteur refuse de se ménager, et s'investit à corps perdu dans les affres du dément.
Il paraît, de surcroît, que sa puissance en salle est assez extraordinaire.
Hasmik Papian, loin de la réputation braillarde que lui ont procuré des prestations peut-être écoutées trop rapidement,
Par DavidLeMarrec,
mardi 29 juillet 2008 à 17:37 ::Opéra
Ecoute in progress. Etat de nos notes au cours de la première écoute, limitée pour l'instant à l'acte I.
C'est un peu le jeu de CSS : des instantanés. Nous sommes assez certains de réviser notre avis, peut-être radicalement, à la fin de l'écoute et surtout à la réécoute, en intégrant le principe de traiter l'oeuvre comme de la musique légère et secondaire, antidramatique, qui n'est pas notre goût mais qui est peut-être très réussi lorsqu'on l'a accepté.
Comme nous ne parlons pas de choses négatives et ne nous permettons guère de critiquer vertement les artistes lorsqu'il en est question, ce sera une exception potentiellement intéressante pour voir les coulisses de CSS, lorsque nous portons les premières impressions brutes sur papier, avant de comprendre le parti pris des interprètes. Le gros avantage étant que vu l'ancienneté de l'enregistrement et l'absence d'artistes francophones, il y a peu de chances de les blesser, ce qui fait partie de notre cahier des charges...
Commentaire au fil de l'écoute.
Ouverture.
Nous n'avons jamais beaucoup aimé Arnold Östman et son orchestre, qui sonne petit, étriqué et surtout avec un son aux cordes absolument égal entre l'attaque (plate) et le sostenuto[1] de la note (malingre). Comme chez Hogwood, sauf que l'orchestre de Hogwood a de belles sonorités, voluptueuses au besoin.
Gilles Cachemaille (Leporello) entre. Le français est moins mauvais qu'avec Harding à Aix, et la voix se tient mieux, mais ce n'est pas fameux pour autant. La lecture se veut gouailleuse, avec pour résultat des traits un peu gras et des accents un peu vulgaires.
Entrent Don Giovanni et Donna Anna. Tempo extrêmement vif, mais sans aucune urgence, tout est léger et froid. Une romance vive débitée en pensant à autre chose. Pour nous, voilà qui est totalement rédhibitoire, nous avons immédiatement envie de passer à autre chose (et cet état de fait se confirme au fil de l'écoute). Au moins, Kuijken - également très froid et peu dramatique - tentait une forme d'hédonisme, voire de poésie. Même si ça ratait, ça se défendait.
Pour notre part, l'impression persiste d'une recette appliquée pour vendre le nom Drottningholm, avec des tempi très vifs et des sons droits et très allégés, pour bien montrer qu'on est un authentique pionnier. En fait, à cette date (1990), c'est d'un conformisme affligeant.
On continue ?
Håkan Hagegård entre donc, et malgré quelques excès sur la ligne, pas forcément indispensables, le personnage est campé avec beaucoup de clarté et de fougue. Engageant.
Par la suite, son mordant et son expression le rendent proprement passionnant.
Las ! Son Commandeur, Kristinn Sigmundsson, qu'on entend à peine à ce tempo-là (le trio de la mort est expédiée en un instant, avec une indifférence proche du ridicule, il nous a fallu le remettre pour comprendre ce qui se passait), sonne extrêmement frêle. Et cette rupture de l'orchestre, suspendue comme un disque interrompu, mécanique, froide, n'arrange rien pour dramatiser sa mort - ou à tout le moins en respecter la solennité.
Mais ce ne serait rien s'il n'y avait Arleen Augér, absolument perdue. Qu'est donc devenue la déclamation tragique, millidoles ! Une telle indifférence à la situation dramatique est-elle concevable ici ? Témoin Ah, l'assassin mel trucidò ! ("Ah, l'assassin me l'a tué !"), d'une mollesse difficile à justifier.
A la réécoute, on finit par trouver quelque chose, mais en réalité, cette Anna tient plus de l'hystérie superficielle que du désespoir tragique qui plombe en principe tout le Don Giovanni. Ce que corrobore assez ce très joli cri d'entrée :
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Et tout à l'avenant. Nous éprouvons d'autant plus de peine à le confesser que nous aimons beaucoup Mlle Arleen Augér, dans une veine à la réflexion sans doute plus sulpicienne...
Faut-il qu'en plus nous évoquions ces récitatifs ? Certes, ils ne sont pas le meilleur de Mozart, mais par rapport aux Noces, ils sont concis et très efficaces - drôles aussi. Ici, leur lenteur et l'indifférence du continuo dynamitent pour partie les efforts des interprètes.
La voix de Bryn Terfel (Masetto), déjà très solide et impeccablement placée, n'a pas encore acquis sa couleur si spécifique, et lorgne un peu ici vers les harmoniques de la basse standard (avec un vrai bonheur, mais peu d'expression). Dans ces années, il est de façon générale assez peu intéressant eu égard à ce qu'il est devenu. L'italien en revanche est déjà excellent (cette formation était inclue dans ses études, avec notamment l'escrime...).
Barbara Bonney propose une Zerlina légère, très lyrique, un peu maniérée. Il faut dire que la doctrine d'appoggio [2] d'Östman n'aide pas franchement au naturel. Pas très concernée par son texte non plus, mais suffisamment pour que le personnage vive. A l'époque, son accent américain reste tout à fait raisonnable.
Heureusement qu'on trouve Della Jones (Elvira) dans le coin, pas du tout intense et violente comme on aurait pu le penser, mais au contraire toujours tendre, et avec un vrai bonheur. En voilà une qui a des mots et une voix parfaitement au service de son personnage !
L'Ottavio de Nicol van der Meel aussi est un bon point, avec une belle couleur de haute-contre, légèrement élimée, mais gracieuse et noble. Un des rares à profiter de l'esthétique d'Östman.
Enfin, nous ne pouvons que rejoindre les éloges sur la fête paysanne tout à fait dans le caractère, lente et un peu pesante, voire pataude. Très réussi et amusant, cela s'impose comme une évidence.
Autre satisfaction, Là ci darem la mano qui s'impose à titre personnel comme une référence, avec son élan léger et pressant, et un Hagegård redoutablement enjôleur. Splendide, j'ai même pu écouter cette scie en entier - et avec plaisir !
Le final du I semble plus travaillé, avec de beaux changements de couleur, même si tout est toujours pressé (et les passages les plus rapides traditionnellement, ralentis, de façon à sembler toujours au même tempo...). L'orchestre semble gagner en épaisseur et en urgence.
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Nous n'aimons pas être dur, mais c'est là tout de même un sacré gâchis : avec une réalisation technique parfaite, nous entendons le seul Don Giovanni (devant Kuijken) qui n'ait absolument rien produit en nous, alors que même mal joué, le résultat est toujours magnifique. Du sabotage pour en faire un épigone du pire Martin y Soler.
De ce naufrage, nous sauvons tout de même quelques prestations exceptionnelles comme l'Elvira de Della Jones (mais nous sommes assez inconditionnels de sa voix et de son expression, quoi qu'elle fasse, et elle se montre ici sous un jour assez pâle) et Hagegård, qui forment un couple-passerelle buffo-serio assez idéal. Nicol van der Meel représente aussi une belle friandise.
Nous sommes surtout très agacé par ce traitement en surface, sans aucun impact dramatique, réalisant minutieusement chaque appoggiature, mais rejetant toute expression textuelle comme un manque de goût, au point de rendre l'un des opéras les plus urgents du répertoire d'une jolie fadeur assez inférieure à la valeur de la partition.
En l'acceptant, il doit être possible de passer un excellent moment, car la réalisation technique est parfaite. [3] Une fois de plus, tout dépend des critères de chacun...
[1] C'est-à-dire le 'soutien' de la note, le coeur de celle-ci, après l'attaque.
[2] On parle ici de l'attaque surélevée de la première de deux notes égales en hauteur, chez les chanteurs, une appoggiature non écrite, mais exécutée à l'époque.
[3] Sur le plan de la qualité sonore, on entend tout de même une rupture très audible entre Fin ch'han dal vino et le récitatif qui précède.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 18 juillet 2008 à 18:13 ::Badinages
Une adorable caricature en vidéo de la présidentielle américaine.
Deux précisions sur la traduction française :
un jeu de mots sur le containment vietnamisant d'Al-Qaida (scène du porte-avions) n'a pas été traduit ;
on entend très bien l'accumulation absurde de mots creux autours du change chez Barack Bambi, ne pas se laisser abuser par le texte français à peu près sensé.
Si même les habitants de la forêt équatoriale américaine (certains malgré eux sont très présents ces derniers jours) se mettent à parler de forêt tropicale indienne pour causer d'eux-mêmes, le sens premier est définitivement perdu...
Beaucoup de simplicité dans cette lecture fortement consonante et avenante, mais sans volonté néo-, réellement contemporaine. Sans nulle surcharge, des climats poétiques, où la répétition, voire le silence ont aussi bien leur place que la recherche de textures ou d'harmonies.
Exécution aux caractères très variés de Stephan Schimdt, dont le son (de pair avec Ohana, de toute façon) est un peu gris, à mi-chemin entre le métal et la rondeur, mais dont l'interprétation bénéficie d'un certain degré d'évidence.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 4 juillet 2008 à 12:16 ::Badinages
En ce moment même, depuis vingt minutes, se déroule un débat autour de l'insertion d'une virgule dans un article du projet de loi sur la modernisation de l'économie. Respect.
On parle régulièrement ces temps-ci, dans nos fréquentations inavouables, d'Albert Ketèlbey, compositeur britannique qui symbolise ce que le mauvais goût a produit de plus redoutable.
C'est un mélange entre pittoresque de pacotille, assez drôle, comme on en trouve en abondance dans les opéras français du XIXe siècle (avec des démons qui dansent la valse ou des tamouls avec la pureté de langue de Diderot), et pour 90% du dégoulinage anglais qu'on retrouve essentiellement désormais en musique de film (mais ici à dose très condensée).
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La pochette la plus conforme à l'art de Ketèlbey.
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Réputation méritée. Ca a du charme, mais tous ces poèmes symphoniques (la seule chose qu'il ait commise) sont dans un style totalement identique, parfaitement interchangeables. Attention : à doses trop rapprochées, Ketèlbey favorise l'acquisition d'un diabète de type 2.
Je penche tout de même pour un peu de second degré, si j'en crois mes oreilles pour le texte du _bazar persan_ : Bak-chich, bak-chich A-allah ! Bak-chich, bak-chich A-allah !
Par DavidLeMarrec,
dimanche 22 juin 2008 à 15:43 ::Badinages
Nous sommes sauvés, les mythes fondateurs se perpétuent, en s'adaptant toujours avec imagination et goût à leurs contemporains.
Merci France 2 ! [Qui est déjà, rappelons-le, ainsi que toute la classe politique l'a martelé, un service public de qualité.]
ELEKTRA
Dimanche 22 juin à 23:35 sur France 2 (95 min)
En 16/9
Interdit aux moins de 10 ans
L'histoire
Après la mort sanglante de ses parents, Elektra découvre qu'elle est ressuscitée. Dès lors, elle n'aspire plus qu'à se venger et se condamne à l'exil. Elle s'entraîne dans la plus pure tradition du ninjitsu et devient une tueuse professionnelle, la meilleure du circuit, une véritable légende. Mais elle découvre bien vite que donner la mort ne suffit pas à justifier son action. A bout de nerfs, elle sait que sa prochaine mission sera la dernière.
Par DavidLeMarrec,
samedi 21 juin 2008 à 18:56 ::Opéra
CSS souhaite depuis plusieurs mois revenir sur cet opéra, qui pose beaucoup de questions sur la nature même du genre, ses frontières, et qui imite des recettes anciennes de façon assez surprenante.
Mais il faut juste signaler que le studio dirigé par Cosma, s'il conserve en effet les meilleurs moments, exalte plutôt les faiblesses de l'oeuvre, et présente une artificialité de son assez dommageable. Ne pas s'en tenir là pour en conclure qu'il s'agit de racolage facile.
La version de la création à Marseille, dirigée par Jacques Lacombe, révèle d'autres qualités.
En effet, l'oeuvre montre beaucoup de faiblesses : les vers (ou la prose) sont parfois très mauvais, la prosodie à plusieurs reprises maladroite, les récitatifs parfois ratés, on note une incapacité absolue à développer les thèmes (une pensée très filmique de la musique, par séquences brèves et autonomes), et de ce fait, on a l'impression d'une musique calibrée pour le disque d'extraits qui allait suivre, une suite de numéros de caractère, décousus.
Cependant, le résultat est d'une grande fraîcheur, extrêmement accessible, touchant parfois, avec quelque chose d'une maladresse véritable, très attachante. Il nous faut l'avouer l'avoir écouté assez régulièrement, après une certaine défiance initiale. Quelque chose de l'esprit de l'opéra comique du premier XIXe - de la simplicité, de la naïveté même, de la morale, mais aussi de la dérision. On y reviendra sans doute avec quelques extraits de la création pour en donner une idée.
Par DavidLeMarrec,
samedi 21 juin 2008 à 18:46 ::Opéra
... juste un mot pour noter que le studio (contrairement à Callirhoé) est plutôt supérieur aux représentations de la recréation, et qu'on peut donc se précipiter. Son très confortable, pas trop artificiel, artistes plus en forme vocalement, et surtout plus nuancés. Toutes les outrances de Stéphanie D'Oustrac, très affectée en Callirhoé, ont disparu, les nuances tirent beaucoup plus vers le piano, avec beaucoup de tendresse et d'énergie, sans exagérer les poses. Les tempi du chef, comme pour Callirhoé, se sont un peu ralentis et variés au studio, mais avec un gain, ici, en subtilité.
On dispose de surcroît du prologue manquant au concert (et donc dans la parution du Monde 2).
On peut se précipiter, d'autant qu'il s'agit, musicalement parlant, d'une des toutes plus belles tragédies lyriques de Lully et d'une des plus belles interprétations dans ce domaine. Même les plus rétifs aux instruments d'époque pourront apprécier la rondeur absolue, et la variété des couleurs du Concert Spirituel.
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Et toujours avec le livre-disque indispensable de Glossa, extrêmement nourrissant intellectuellement, la parade invincible contre le piratage.
Mikalojus Konstantinas Čiurlionis, qui est emblématiquement à la Lithuanie ce que Peteris Vasks est à la Lettonie, est l'un des très rares artistes doubles, autant connu en tant que peintre qu'en tant que compositeur.
Une musique aimable, habile, pas essentielle du tout mais assez réussie. [1]
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Son poème symphonique Dans la forêt semble teinté d'un gentil tchaïkovskysme, qui peine un peu sur la durée, mais sans déplaisir aucun. Dans les 'murmures de la forêt', on perçoit aussi quelques accents wesendonckiens. Le tournage dans le vide final semble aussi vouloir imiter Wagner (ou Mahler, ou Bruckner ?), mais avec moins de bonheur. On pense plutôt à la fin de la deuxième partie des Scènes de Faust de Schumann, chef-d'oeuvre absolu, mais qui à ce moment-là n'est pas précisément de la même ambition harmonique qu'un Wagner de la maturité...
Un peu faible, mais charmant, surtout dans ses murmures centraux.
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Il en existe un enregistrement par Vladimir Fedosseyev.
Notes
[1] Attention, ce n'est pas notre avis sur Vasks, on parle bien de Čiurlionis uniquement...
Petit conseil divertissant, manière de pouvoir enfin goûter un compositeur slovaque à peu près valable - l'emblématique Suchoń se complaisant malheureusement dans un postromantisme assez gris et fade : Souvenir, une pièce de concert conçue pour les bis, un ressassement à l'infini d'un non-thème (furieusement tonal), et la déception pendant plus de dix minutes de cadences et de nuances trompeuses qui semblent annoncer mille fins.
Très amusant. Existe au disque chez Philips (Gidon Kremer au violon, Elsbeth Moser à l'accordéon, Oleg Maisenberg au piano).
Quatuor de la famille Kuijken sur instruments d'époque. Aigre à n'en pas croire ses oreilles - sauf pour qui connaît le son Kuijken, très néerlandais [1], très direct, mais aussi très peu esthétisé. Sans concession, presque mécanique, donc un peu rude à l'écoute, mais au moins, voilà un Haydn qui n'est pas joué comme du Mendelssohn ! Et qui a beaucoup de caractère.
Les mouvements de danse sont extrêmement réussis - on sent bien ce que la formation de musiciens à l'école baroque a de précieux de ce point de vue. Il ne faut pas oublier que Sigiswald Kuijken a dirigé un Zoroastre de Rameau admirable de poésie... Ce qui suppose une excellente conscience des accentuations et une maîtrise parfaite de l'inégalité des notes égales.
A connaître, vraiment.
Notes
[1] Même s'ils sont belges, mais ça, c'est une autre affaire.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 19 juin 2008 à 11:41 ::Transversal
Toujours difficile de prévoir la réussite d'un concert d'improvisation, mais CSS vous donne un bon tuyau, puisque c'est une valeur sûre, qui fait toujours de la vraie musique, sans complaisance. Proche des images, prenant toujours le risque de la surmodulation [1], maîtrisant tous les styles : un modèle.
Le jeudi 10 juillet à 20h30, Roméo et Juliette dans la neige de Lubitsch sera accompagné par Xavier Busatto au cinéma Balzac à Paris.
J'avais promis chez le Poisson Rêveur de proposer des concerts d'improvisation plus nourrissants que les choses charmantes, mais pas toujours consistantes, proposées par Gabriela Montero.
Les concerts de Xavier Busatto sont encore plus intéressants lorsqu'ils sont sur de l'improvisation seule (à doubles contraintes), à mon avis. Donc, si une date m'échappe, n'hésitez pas à courir aller entendre.
Notes
[1] Ce qui est moins audible et moins impressionnant pour le public, mais bien plus périlleux que des suites d'arpèges virtuoses sur un canevas harmonique très stable... D'où le mot d'exigence.
Comment écrit-on un tube, un hymne national appropriable par tous ?
Certains voisins de CSS y parviennent fort bien. (A écouter absolument sur ce site, le Râga pour quatuor d'altos, un petit délice qui rappelle en bien des points les six premiers quatuors de Myaskovsky.)
Etrange appel au protectionnisme, qui néglige totalement la vraie question : celle de la diction et du répertoire. Parce que placer des chanteurs francophones, souvent avec un mauvais italien, pour chanter du Verdi, ce n'est pas particulièrement indispensable.
Parler de diction, pourquoi pas (mais ils sont déjà embauchés pour cela dans les répertoires adéquats [1], donc pas de réclamations à faire) ; parler de répertoire, manifestement, ça n'est pas la question pour eux...
Amusant de constater que signent, bien évidemment, essentiellement les professeurs de chant qui peinent à placer leurs élèves ou les interprètes qui (pour plusieurs véritablement avec raison) s'estiment sous-employés.
Faire une pétition pour affirmer qu'on est victime d'injustice, qu'on vaut mieux que les autres, c'est une drôle d'idée !
Avec des relents protectionnistes et antimondialistes assez bizarres dedans, aussi.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 29 mai 2008 à 11:06 ::Opéra
Demi-finale avec piano
Et à nouveau Michèle Losier (mezzo-soprano central). Un peu sombre pour de la mélodie française, mais quel plaisir ! La diction n'est pas mauvaise, l'expression vraiment soignée, et la voix totalement maîtrisée, pleine, sans aspérités dommageables ni cris. Une belle plénitude, les sons sont superbement soutenus. On sent aussi déjà beaucoup de métier.
Son Schubert (Du bist die Ruh') est vraiment à pleurer, tout y est : couleur, ton, sûreté vocale, diction, qualité de l'allemand, expression.
Très belle interpétation de la commande du concours. On ne comprend pas plus que les autres ce qu'elle dit, mais sans partition, avec beaucoup d'abandon et de rigueur, une voix chaleureuse, beaucoup d'intensité dans l'expression, on se régale (la pièce est vraiment belle, en plus, et beaucoup n'en ont pas profité).
La berceuse de Montsalvatge, dans un espagnol correct, est d'une volupté lascive tout à fait étonnante, qui transcende franchement la pièce sympathique initiale. Et une densité dans les poitrinés admirables. Il faut comparer ça à la version Bartoli pour ce faire une idée de l'abîme de caractérisation qui les sépare ici...
Les aigus sont plus poussés dans Bellini, un peu cassants et durs, et il est vrai qu'il s'agit d'un mezzo avec une extension aiguë limitée. On songe, pour les poitrinés en italien, à Larmore, côté timbre. On la sent aussi moins à son aise avec le style (et les aigus difficiles peuvent être abrégés).
Résultat largement convaincant même ici, cela dit.
La cabalette a un impact assez fou, beaucoup d'arrogance, et le jeu de scène fascine...
Dans la Romance à l'Etoile, outre la qualité de timbre déjà décrite, la qualité du diminuendo-morendo, les pianissimi totalement timbrés sont très impressionnants. L'attitude contemplative, sur scène, se montre toujours juste.
Le monologue du Komponist est peut-être ce qui semble le moins soigné vocalement, s'appuyant essentiellement sur des déplacements scéniques et multipliant inutilement les difficultés dans l'aigu pour elle.
... avec un résultat qui reste assez convaincant.
Une canadienne francophone, mais qui parle parfaitement anglais et a sûrement étudié avec des professeurs de technique américaine, en réalité, ce qui expliquerait bien des choses : cette technique très pleine, avec articulation un peu en arrière, un français tout de même très bon mais un peu en arrière.
Une valeur sûre que je serais ravi d'entendre en récital ou dans un grand rôle. Un superbe récital, déjà ici.
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Finale avec orchestre
(Visionnée avant la demi-finale.)
En train de visionner la prestation de Michèle Losier. Voix très construite, un peu artificielle peut-être, on perd donc en diction en français, mais des possibilités très intéressantes. Ce qu'est en train de confirmer son excellent Mahler à présent (c'était l'épreuve finale avec orchestre). Très expressive scéniquement.
Juste après son Ravel, je vous recommande les commentaires lorsqu'on la voit en coulisses :
LA DAME
Ca va ?
ELLE, se jetant sur les mouchoirs
...
LA DAME
Il faut arrêter de pleurer, ma grande...
LE MONSIEUR
Ben oui !
LA DAME
Il faut arrêter de pleurer sur scène, parce qu'après il y a le nez qui coule.
... et la voilà repartie pour chanter Mahler.
Dans Mahler, c'est justement très équilibré, très construit comme voix, superbes poitrinés, allemand parfait, expression précise, grande tenue. On aime beaucoup beaucoup par chez nous.
Très beau programme au passage : deux Shéhérazade (Ravel), deux Fahrenden (Mahler), et Parto de la Clémence...
Et pour Mozart, au contraire, moins de feu et de mordant, un italien perfectible, une conviction moindre. Mais tout de même, avec une couleur un peu germanique, une très belle incarnation bien équilibrée et dense.
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De très loin l'interprète la plus intéressante pour nous, au-dessus d'un niveau de concours, une artiste pleinement accomplie. Elle a déjà chanté un certain nombre de rôles sur scène, donc quelques premiers (Dorabella au début des années 2000 à Mérignac-près-Bordeaux, Lazuli de L'Etoile de Chabrier à Montréal).
Tout y est, et avec naturel : densité du timbre, équilibre vocal, intelligence des phrasés, qualité linguistique, persuasion de l'interprétation, maintien scénique.
On a réécouté par deux fois ses deux récitals, avec un enchantement toujours croissant.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 29 mai 2008 à 10:49 ::Opéra
Demi-finale avec piano
On y constate la même densité de timbre qu'en finale, avec une présence vocale impressionnante, et beaucoup d'émotion dans le Pétrarque imposé de Wim Henderickx.
Son Debussy n'est pas très idiomatique, et chanté un peu large et lyrique, comme on pouvait s'y attendre, mais le résultat demeure très esthétique.
Très beau Strauss pudique, avec un allemand un peu opaque également.
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Finale avec piano
Layla Claire (soprano lyrique) à présent. Sans doute une déformation perverse de ma part, mais à la vue de son programme, je songe vraiment qu'une finale avec piano, si j'exclus le plaisir pour l'auditeur d'entendre Kazushi Ono, ce qui constitue toujours un privilège, aurait été plus intéressante en termes de pièces choisies et d'étalon pour l'interprétation.
Surtout que vu l'ampleur de sonorisation, on ne cherche pas particulièrement à jauger leur façon de passer l'orchestre. [Addendum : Laurent signale que si, quand même.
Belle voix bien équilibrée, assez chaleureuse, mais l'aigu est d'une qualité moindre, se file un peu ; ça n'a rien de gênant ni de rédhibitoire, mais ça vous plombe l'avis d'un jury comme un rien.
L'air de Fiordiligi est absolument impeccable, mais il est tellement joué qu'il est difficile de s'y imposer comme unique. Surtout qu'un petit aigu tiré, une respiration avant le dernier mot sont le genre de chose que retiennent des professionnel du chant, je le crains - alors que ça n'a à peu près aucun intérêt, puisque la technique est là pour soutenir une prestation, et non pas objet d'intérêt en soi.
... grand Dieu, ces lieder de Strauss orchestrés, quel sirop, j'en suis marri à chaque fois, alors que les originaux pour piano sont souvent très réussis. Et effectivement, c'est chanté comme une aria.
Après l'air extrait de Peter Grimes qui change un peu des programmes habituels, on a droit à la sempiternelle valse de Juliette, qui met très en valeur les voix et ne permet guère de se faire une opinion : toute jolie voix y donne de beaux résultats.
Ici, on peut admirer un très beau médium légèrement corsé pour un soprano lyrique, avec de belles couleurs ocre-orangé. Quelques tendances au legato-glissando ici ou là.
Résultat d'une volupté assez remarquable.
(La pauvrette manque tous ses suraigus à la fin... elle hésite à faire le dernier, très exposé, et se prend les pieds dans le tapis, n'atteint même pas la note et descend en glissando jusqu'à la dernière note qu'elle trouve tout de même sans difficulté.)
Sur le strict plan de la densité du timbre, une des toutes meilleures candidates, vraiment agréablement charnu, et avec mesure. Côté l'interprétation, pas follement engagé, mais tout à fait suffisant.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 23:41 ::Opéra
Demi-finale avec piano
Ici, le manque d'arêtes et surtout le français... anglais sont nettement moins intéressants. (On croirait véritablement qu'elle chante en anglais, à un point d'incurie qu'on croyait seulement accessible aux français... en anglais.)
Finale avec orchestre
Elizabeth Bailey (soprano lyrique) chante uniquement du belcanto, d'une voix très ronde, avec une très belle expression, un excellent legato. Tout juste pourrait-elle tonifier un peu la voix, qui n'a pas beaucoup d'angles, toujours des attaques très douces.
Mais les récitatifs sont très habités, la tessiture parfaitement homogène, et les grands cantabile parfaits - et pourtant, elle choisit des airs qui peuvent se révéler longuets sans un minimum d'engagement. Excellent.
Dommage que pour la finale, elle n'ait choisi que des airs de caratère semblable, très contemplatifs, on ne sait pas ce qu'elle produirait ailleurs. Quelques petites baisses d'intonation dans le Mozart (en baisant le vibrato sur des coloratures lentes) lui ont sans doute coûté cher, puisqu'elle n'a rien remporté non plus.
Ici, le caractère un peu paisible, les attaques légèrement molles sont moins convaincants, mais le résultat demeure vraiment habité et très maîtrisé.
Vibrato un peu forcé dans Glitter and be gay de Candide, et manque de tonicité beaucoup plus dommageable ici. Tessiture de toute façon un peu grave pour elle, elle peine plus à projeter et soutenir. Elle semble avoir une tessiture assez haut placée qui l'aide beaucoup pour les cantilènes belcantistes.
Mais vraiment courageux de présenter un air autant fourni en suraigus (et quelques agilités) sur un tel enjeu...
Parce que contrairement à une discipline instrumentale, il peut arriver que la voix ne réponde pas parfaitement un soir donné, indépendamment de l'émoi de l'interprète...
Et elle n'a rien eu non plus, peut-être parce que pas assez polyvalente pour eux ? J'ignore les critères du jury, ce serait intéressant de les connaître un peu. La composition très variée du jury ne permet pas de se faire une idée précise de ses attentes potentielles. A Bordeaux pour le Quatuor, en tout cas, la désignation des Atrium était au contraire récompenser d'excellents spécialistes pas très aventureux (ou alors allègrement hors style - avec beaucoup d'efficacité d'ailleurs).
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 20:10 ::Opéra
On commence ici à aborder des prestations vraiment assez complètes, aussi bien du point de vue du chant que du théâtre. Surtout pour les trois dernières lauréates.
Demi-finale avec piano
Voir ci-après.
Finale avec orchestre
Szabolcs Brickner (ténor lyrique demi-caractère), n'est pas très lourd pour les rôles qu'il chante, mais au moins apporte plus de fraîcheur que d'émotions paraglottiques. Extrême aigu un peu farineux, mais sinon, vraiment sympathique.
Dans les Illuminations de Britten, français bien plus faible que pour son Meyerbeer (les exigences d'accentuation et de débit sont bien plus contraignantes). Mahler, avec un allemand un peu bizarre aussi, révèle vraiment une jolie voix obligée de forcer avec orchestre, ce qui abîme le timbre. Pourquoi pas pour du lied avec piano, mais il semble avoir plus de talent pour le cantabile que pour la déclamation. [N.B. : L'écoute partielle de la demi-finale conforte ces impressions. Mais la voix reste assez identique dans l'aigu à la soirée de la finale.]
A la fin d'Um Mitternacht, pris très lent par Ono (et un peu amorphe côté phrasés), le pauvret est épuisé. Ca n'a pas l'air, mais ces longues phrases mahleriennes sont absolument épuisantes.
Le médium rappelle à plusieurs reprises Carreras (par forcément dans ses jeunes années).
Pour l'instant, c'est vraiment Michèle Losier qui l'emporte de plusieurs têtes sur tout le monde. (Mais, grand Dieu, que ce public peut être froid... [Mais pas, on s'en apercevra plus tard, pour les airs les plus spectaculaires, même pas trop réussis, ce qui signifie vraisemblablement qu'il s'agit d'un public peu habitué - soit de type 'néophyte' et c'est tant mieux, soit de type 'apparat'.])
Dans le Verdi léger comme Macduff, même si, en bon hongrois, il ouvre un peu fort ses voyelles italiennes et que l'accentuation des mots est un peu aléatoire, il a énormément de charme. Léger, expressif, tout à fait chouette.
Depuis le début, j'ai l'impression étrange que la respiration est haute de temps à autre, mais il tient bien la longueur de souffle, ma foi !
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 20:07 ::Opéra
Finale avec orchestre
Bernadetta Grabias (mezzo grave) accentue vraiment très platement son italien, amusant comme la voix est totalement comparable à Ewa Podles - je ne serais qu'à moitié étonné qu'elle ait suivi son enseignement.
Les graves extrêmement forts et poitrinés, un peu de souffle "sur" le timbre, cette volonté de chanter aussi un air de contralto (Isabella), ce besoin de montrer l'agilité, beaucoup de choses y font penser. Le public adore.
Elle semble beaucoup préoccupée de sa rondeur vocale et de son impact, ce n'est pas trop pour me plaire. Les phrases sont totalement écrasées, on se repose sur les voyelles, les articulations consonantiques (pourtant bien plus importantes en polonais qu'en italien !) sont faites mais comme ignorées.
En français, les voyelles, sans être indifférenciées, sont d'abord adaptées à la plénitude vocale, et les consonnes utilisées essentiellement lorsqu'elles servent d'appui.
Le chant a quelque chose de touchant, mais c'est assez terrifiant, comme incarnation, pour la petite Charlotte de Werther. Plus adapté au vérisme en effet.
A part cela, le programme mélange oeuvres célèbres et peu jouées. Et chantées avec beaucoup d'aplomb et d'impact. Sans doute impressionnant sur place.
Dans le Liber scriptus du Requiem de Verdi, le latin est un peu concassé. L'aigu, peu entendu jusqu'à présent, est assez urgent et électrique, ici aussi on peut penser à Podles (ou, pour une voix toute différente, Verrett). Après, difficile de jauger dans ce programme le potentiel aigu et donc l'inscription éventuelle comme contralto un peu "gonflé" plutôt qu'en tant que mezzo comme annoncé.
Ce Verdi est très impressionnant, tout de même, la vindicte divine est plutôt saisissante.
Le Mozart, évidemment, est linguistiquement en bouillie et vocalement assez... ailleurs, tant le type de voix étonne pour Chérubin. Le timbre est un peu plus acide aussi, du fait des efforts d'allègement (et concomitamment aux sourires...). Vraiment étrange, on dirait ici également un personnage bien campé, mais un autre personnage.
Même caractéristiques pour le Tchaïkovsky (La Pucelle d'Orléans), très vigoureux et inquiétant, pas très articulé non plus.
Le public est très impressionné, manifestement, il faut dire que ce type de voix et cette assurance sont rares.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 20:01 ::Opéra
Demi-finale avec piano
Isabelle Druet (mezzo-soprano central) me laisse étrangement mitigé. Italien mauvais (systématiquement accentué comme du français, et voyelles déformées ou tout de bon modifiées), mais un jeu attachant dans Chérubin.
Son Debussy est terriblement vivant (on voit qu'en tant qu'ancienne comédienne, elle a beaucoup a dire sur un texte), mais un peu vulgaire d'expression aussi.
La voix n'est pas très gracieuse, un peu dure. Le tissu de la voix sonne toujours comme déchiré... et rappelle assez (étonnamment) la façon d'émettre un peu braillée de pas mal d'acteurs actuels en théâtre.
Pas enthousiaste, mais il y a de belles qualités très exploitables. J'avoue que son Debussy, sans m'avoir séduit, m'a beaucoup intéressé pour sa très grande liberté vis-à-vis de la musique, presque une forme mélodrame, c'est très étrange vu le type du poème - et le traitement toujours distancié de Debussy.
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Finale avec orchestre
Carmen assez sage, mieux timbrée, moins éloquente. Moins original en fin de compte.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:59 ::Opéra
Demi-finale avec piano
A présent la demi-finale de Gabrielle Philiponet (soprano lyrique). Voix de soprane qui tient des rôles relativement légers, mais avec beaucoup de corps et manifestement une vraie puissance. C'est phrasé, soigné, habité, parfaitement maîtrisé vocalement, toutes les contorsions, les déformations comiques ne la mettent pas en peine, toujours parfaitement timbré.
Et oser la Folie de Platée un jour de concours, où il faut vraiment s'investir et prendre des risques, chapeau. Et pas de difficultés, tout juste le suraigu un brin dur (et le pianiste perplexe sur le style à adopter...).
Au passage, les accompagnateurs, sans chercher à interpréter pour ne pas interférer, bien sûr, sont tous excellents, superbe son, très beaux phrasés, bien en style et tout et tout.
Et puis quel programme ! Des Wolf et Korngold peu fréquents, la Folie, C'est l'extase langoureuse selon Debussy, le plus bel air de Mithridate (Nel grave tormento), et l'air d'Urbain des Huguenots.
On dirait que c'est à moi qu'elle a demandé conseil, ou bien elle cherchait à me faire plaisir.
Très beau Debussy, vraiment, du climat. Et puis beaucoup de conviction dans son Meyerbeer. Vraiment très bon.
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Finale avec orchestre
Et voici donc la finale de Gabrielle Philiponet (soprano lyrique avec extension aiguë). Effectivement, comme lu ailleurs, la voix est un peu poussée, ce qui donne une sorte de surdensité. Un problème d'ampleur, de souffle, d'appuis ? Si elle force comme cela pour Ännchen, je ne donne pas cher de sa peau (du cou) lorsqu'il faudra chanter régulièrement sur les scènes.
L'allemand dans Freischütz est assez terrifiant. Mais elle fait l'effort d'habiter, indubitablement. (L'alto solo est assez acide, d'ailleurs, on est étonné vu l'excellent niveau de l'orchestre par ailleurs, notamment les cors.) C'est au minimum vraiment intéressant, mais la voix est un peu dure dès qu'elle monte, elle force en permanence pour faire du volume, on comprend bien mieux les réactions de certains commentaires.
Dans Les Mamelles de Tirésias, c'est vraiment parfaitement prononcé, et toujours habité, mais en effet, cette façon de forcer les moyens en permanence, on souffre un peu pour elle. La voix risque vite s'abîmer et le contrôle se perdre.
[Etrange concept de les filmer jusque dans la coulisse. On constate ainsi qu'elle boit beaucoup, avidement, soit que la peur l'ait asséchée, soit qu'elle ait un peu forcé...]
Dans Strauss, elle s'obstine à faire jouer son aigu facile, et ça blanchit sérieusement. A son âge...
Etrange qu'ils l'aient mise au palmarès, du coup : plutôt que l'encourager (avec ses qualités très réelles), il faudrait peut-être lui suggérer de faire une petite "révision", et éventuellement de changer de professeur pour ne pas poursuivre dans cette voie...
Le public applaudit comme toujours au milieu de l'air de Manon (et plus d'une fois...). Le suraigu se fatigue sérieusement, s'élime... Les ports de voix sur le thème principal ne sont pas de très bon goût non plus. Il faut bien convenir qu'on se fatigue un peu à la longue. Vraiment, le Massenet est chanté en effort constant, avec une loudeur assez dommageable au propos, alors même que les intentions sont louables.
Public en délire... et elle boit comme un trou dans l'intervalle.
La voix est un peu dure l'aigu pour Linda di Chamounix, mais ça semble, plus sobre, beaucoup mieux convenir.
On a l'impression d'une voix facile qui a insuffisamment travaillé le détail et l'endurance et qui de ce fait fatigue. Dommage, vraiment. Les aigus, attaqués durement, bougent et sont stridents.
Par ailleurs, je trouve ça tout à fait bien, mais je me fais juste du souci pour l'avenir.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:44 ::Opéra
Finale avec orchestre
A présent, nous en sommes à Changhan LIM (baryton-Verdi). Comme d'habitude, le même problème avec les chinois et coréens de l'école actuelle. Voix impeccables, puissantes, pleines.
Mais la diction reste floue, même s'ils sont très appliqués, et l'expression très lointaine. C'est avant tout direct, ça ne "parle" pas beaucoup.
Son Posa reste impressionnant (un tout petit couac comme si la voix n'était pas chaude, vers la fin, mais sur une note expressive, impeccable), même si le récitatif est manqué. Ono (à l'orchestre) est bouleversant comme toujours dans Verdi, d'une imagination débordante (les textures, les phrasés...).
Son Quichotte de Ravel (le premier, le plus ironique des trois) est d'un sérieux un peu consternant : c'est joli, mais totalement hors sujet, faute de comprendre le sens profond du poème...
Bien sûr, il y a des exceptions, Soon-Won Kang par exemple (mais vu la qualité de son français, il est peut-être bien français ou nationalité semblable...).
Essentiellement vocal, donc. Mériterait aussi, de ce point de vue, plus de variété d'émission, de nuances, de couleurs.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:39 ::Opéra
Demi-finale avec piano
Anna Kasyan (soprano lyrique léger) chante en effet un beau Vivaldi extrait du Tigrano et également présent avec un autre texte dans Motezuma. Mais la voix sonne étrangement, comme si certains aigus étaient criés, avec beaucoup de souffle qui passe (mais les vidéos du concours en ligne saturent, très difficile d'être catégorique).
La voix semble parfois un peu épaisse pour la nature vocale, mais tout cela est bien fait. Les piani peuvent être beaux.
Néanmoins, pour ce type de voix, on en voit beaucoup, et d'autres autrement plus impressionnantes.
Son Berg (Die Nachtigall, rien de subversif) sonne un peu artificiel, mais avec les défauts de la reproduction sonore, on n'arrive pas à discerner si le son est très puissant ou juste trop alourdi. Cette musique ne coule pas de source pour elle, mais c'est chanté avec une certaine conviction.
De toute évidence, elle est pénalisée par l'apprentissage de langues peu semblables à la sienne. Un véritable effort louable pour mêler italien, allemand, russe et français, même si tout n'est pas impeccable.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:32 ::Opéra
Finale avec orchestre
Le programme très conformiste d'Anna Kasyan ne nous a pas tenté (seulement des airs de concert italiens rebattus), alors nous avons mis Yuri Haradzetsky (ténor lyrique léger), mais il s'agit vraiment d'un format très léger, même Haydn lui pose des problèmes sérieux dans l'aigu. Voix très fluette, un peu blanche.
Même en russe, où tout est pourtant plus en arrière et flatteur, il reste raisonnablement peu voluptueux.
Accessoirement, il est rigide comme tout et mort de trouille.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:28 ::Opéra
Demi-finale avec piano
Concernant Tatiana Trenogina (soprano lyrique), je dois rejoindre ce qui a pu être dit ; à part un Tchaïkovsky bellement expressif, c'est beau mais extrêmement banal.
Son Fauré, son Elsa de Lohengrin, sa création contemporaine imposée (Wim Hendrickx), son Puccini, son Mozart - tout se ressemble, et assez flou linguistiquement parlant.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:23 ::Opéra
(Non sélectionnée pour la finale.)
Julie Martin du Theil rappelle furieusement Daphné Touchais (sans l'aisance scénique confondante) : un lyrique léger, assez métallique, pas original mais avec beaucoup de qualités.
Dans la commande du concours de Wim Henderickx, l'émission se durcit très fortement, et son italien est incompréhensible.
De même en allemand, pas bien compréhensible (et pas terrible de toute façon), et le timbre se densifie en se durcissant, jusqu'à l'aigreur. Peut-être aussi les effets du stress, parce qu'elle semble très crispée.
Mais ça ne me paraît pas tout à fait au niveau d'une victoire dans un concours prestigieux.
En Titania, ses détachés ne sont pas timbrés (dommage, l'air est justement fondé dessus), et la voix se durcit façon "conservatoire". Non, ce n'est pas encore tout à fait ça, et ça manque de personnalité, d'aisance, d'investissement.
Soit dit depuis mon fauteuil, le lendemain de l'épreuve, hein. Ca reste d'un niveau professionnel, elle a d'ailleurs dû, je suppose, recevoir des engagements pour des petits rôles.
(Aïe, pour Norina, pas le moindre sourire (complètement crispée), pas beaucoup d'interprétation, et surtout on s'empêtre dans le sillabando, et des vocalisations criées sur les "virages", des aigus un peu criés aussi... Ca, ça va lui coûter sa place.)
Par DavidLeMarrec,
mercredi 28 mai 2008 à 19:01 ::Opéra
Finale avec orchestre
Et la dernière que nous ayons écoutée de la série, Jung Nan YOON (soprano lyrique). Qui débute fort mal avec un Wolf dont je suis incapable de comprendre un mot, et une voix opaque et impersonnelle, pas trop ma tasse de thé. Très bref de toute façon, comme cela on peut passer au vérisme sérieux.
Pour elle aussi, déjà un vibrato un peu forcé pour l'âge de la voix !
Le français (Juliette aussi...) est absolument incompréhensible à nouveau, et l'italien ne vaut pas mieux. Le style est passe-partout, et un peu lourd. Et comme plusieurs autres, son suraigu est mal assuré (la fin de Sempre libera est douloureuse)...
C'est vraiment la seule du lot que nous renverrions étudier. Non pas qu'on n'ait pas conscience qu'il est toujours extrêmement difficile pour les coréens d'apprendre une nouvelle phonation indo-européenne, mais le résultat, sans juger les personnes, est ce qu'il est. On n'entend que de la musique, et absolument aucun texte (qui n'est pas habité de surcroît). Là, il y a une carence grave dans l'apprentissage. Et c'est très vilain aux professeurs de laisser passer ça, et aux étudiants de s'en moquer éperdument, parce qu'après, on se récolte le résultat dans les théâtres, nous pauvres spectateurs !
Vocalement, la base est bonne, mais peut-on s'en contenter exclusivement ? Tout dépend des attentes, évidemment - mais la dimension poétique ou théâtrale est totalement bannie, en tout cas.
Par DavidLeMarrec,
mardi 27 mai 2008 à 21:30 ::Opéra
Quelques impressions sur les lauréats de cette édition, avec quelques impressions négligemment jetées au fil de l'écoute et publiées de façon informelle sur un autre support.
Pour plus de clarté, on regroupera par interprète, en progressant dans notre ordre d'intérêt croissant.
On s'amuse comme on peut - avec les discours politiques en passant l'aspirateur en vaquant.
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Un peu de compassion à l'écoute du sympathique discours d'Hervé Morin, un jeu de jolis équilibres à l'image du logo Nouveau Centre (un tiers de rouge sur la gauche et deux tiers de bleu sur la droite... mignon comme tout).
Un discours soigné (bien écrit, d'ailleurs), respectant à la lettre les articulations logiques (même si, avec le flou généralistes des discours politiques, il est difficile d'y percevoir un fil particulièrement signifiant).
Et c'est là où l'on peut sourire, en voyant ce solide second devenir líder, sans une réelle préparation. Sa formation est moins complète que d'autres (IEP de Paris sans ENA), son talent pour la parole publique moins mis à l'épreuve.
Si les commentateurs surestiment souvent les talents d'orateur de François Bayrou (surtout piètre rhéteur, à vrai dire), le contraste n'en est pas moins saisissant. L'ensemble du discours est prononcé en hésitant, en trébuchant, interrompant brièvement des groupes de mots, toujours en équilibre pour ne pas s'empêtrer, la prononciation comme en retard sur le débit de parole. Ce qui entraîne à plusieurs reprises et des erreurs plus ou moins malheureuses : un "ne" au milieu d'une phrase purement affirmative ou, plus amusant, un "moi" remplaçant un "nous".
Au milieu de ce discours équilibré sans ridicule et stylistiquement agréable, des lieux communs un peu usés se baladent, uniques références mal digérées d'une formation très généraliste :
- « l’homme un loup pour l’homme » (signal : moi aussi j'ai de la culture latine)
- « comme maître et possesseur » (signal : j'ai assimilé Descartes au point de pouvoir le paraphraser)
- « nature / culture » (signal : d'ailleurs j'ai eu une super note en philo au bac)
- « soulever des montagnes » (signal : hou-hou ! la vraie démocratie chrétienne, c'est par ici !).
Etrange décalage entre la qualité de l'écriture, la difficulté de l'élocution et la banalité presque drolatique des références.
En tout cas attachant. Le pauvret était soulagé de finir.
De même que pour Le Roi Arthus[1], Chausson y réalise un compromis idéal entre les ductilités d'un esprit français sans superficialité et ses influences wagnériennes, avec à la clef richesse d'écriture, recherches d'orchestration, atmosphère crépusculaire.
Epoustouflant.
Et ce qu'autant plus que Svetlanov en donne une lecture tendue et habitée, avec un orchestre ample mais incisif (profondeur des cordes exceptionnelle, et les cuivres acidulés sont un plaisir).
Notes
[1] Plus de deux ans déjà que nous l'avons abordé pour CSS, et nous nous sommes promis d'y revenir aussi prochainement que possible.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 8 mai 2008 à 19:42 ::Opéra
Difficile de faire plus évident que ce constant : le Guillaume Tell est à l'origine du 'Grand Opéra à la Française', le patron qu'illustrera à son plus haut degré Meyerbeer].
En fin de compte, alors qu'on songerait plutôt à cette intrication structurelle des récitatifs et des ensembles, ou bien à ces récitatifs extrêmement bien écrits prosodiquement (et un peu chantants peut-être par rapport à la vérité de la langue), l'illustration la plus éclatante s'en trouve, étrangement, au sein de l'ouverture.
En somme, le reste de la langue rossinienne est plus sommaire dans les 'numéros' [1] aussi bien rythmiquement qu'harmoniquement (sans même évoquer l'orchestration...). Mais dans la première moitié de cette ouverture (avant l'orage convenu et la calvalcade pas extrêmement nourrissante), on rencontre des modulations surprenantes pour ce type d'exercice. Ce type de gratuités extrêmement bienvenues qui font le sel de Meyerbeer.
On sait donc pourquoi c'est si chouette, Guillaume Tell.
Notes
[1] Les numéros : c'est-à-dire les parties lyriques closes : airs, duos, ballets, etc.
Comme on est loin de ses poèmes symphoniques un peu gourds et très traditionnels !
On y entend successivement du tricot schrekerien, des jeux dans un son très français (on songe alors à l'Apprenti sorcier de Dukas) et, à l'initiale de plusieurs mouvements, du Mahler.
Très nourrissant. A la même époque que Sibelius et dans le même créneau d'un symphonisme continu, vraiment stimulant - plus captivant et plus varié pour les poulpiquets.
--
Interprétation très lisible et assez soignée par Bryden Thomson chez Chandos.
Malgré la très grande réputation de Lili Boulanger, nombre de ses oeuvres demeurent somme toute de leur temps - du côté des Modernes, soit. Les Clairières dans le ciel, qui souffrent du pire fléau de la mélodie française, hélas tristement récurrent dans le répertoire - les textes nunuches. Globalement, une harmonie très debussyste, mais qui s'entend simplement dans un tricot assez régulier au piano. Le traitement vocal, lui, est à peine plus inspiré, d'une monotonie prosodique qui rappelle plutôt les non-debussystes (Ropartz par exemple).
La dernière mélodie, la plus intéressante, varie ses effets, en filant une esthétique funèbre proche de la dernière pièce de l'Intermezzo de Ropartz. Il faut absolument entendre cette oeuvre dans la version proposée par Timpani, où la clarté de Fouchécourt et surtout le piano toujours brillant d'Alain Jacquon servent avant autant d'investissement que possible ce cycle.
Les pièces pour piano solo et les quatre mélodies qui achèvent le disque sont nettement plus intéressants, quoique moins audacieux harmoniquement. L'esthétique en est plus proche de l'hésitation entre modernité et salon qui caractérise notamment Dupont. La belle voix corsée de Sonia de Beaufort y fait merveille, sans même parler du piano superlatif d'Alain Jacquon.
Eviter le disque de Martyn Hill chez Hyperion, qui dans un programme similaire, se montre un peu plus loin du texte et moins intelligible, malgré un très bon français. Accompagnement assez banal de surcroît, ce qui n'aide pas les Clairières.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 17 avril 2008 à 22:45 ::Opéra
Ecouté tout récemment, sur les instances d'Abigaille, le final d'Alfano I.
En effet, tout change. Beaucoup plus crédible psychologiquement, et bien plus intéressant musicalement. L'orchestre du disque Barstow est excellentissime, de plus.
Les caractères se développent, la musique reste plus instable, avec des frottements de cuivres, plus proche de Mahler en quelque sorte. Et les solistes s'en donnent à coeur joie - un peu glaçant, ce vrai-faux ilieto fine/i, exactement ce qu'on est en droit d'attendre ici.
Sans commune mesure en effet avec les autres propositions de final. Avec la traditionnelle exultation bien plate, ou bien avec le complément de Berio, très intéressant, feutré, funèbre, mais en rupture stylistique absolue avec le reste de l'oeuvre.
Indispensable pour pouvoir enfin profiter de l'esprit de l'oeuvre jusqu'à son terme.
Toujours à la recherche d'une version recommandable de l'intégrale Duparc (même Mireille Delunsch n'y ayant pourvu !), CSS a poursuivi ses investigations. Ce disque publié chez Pierre Vérany présentait l'avantage de proposer Martine Mahé, Siebel inoubliable, et trop souvent sous-employée dans des seconds ou troisièmes rôles.
Malheureusement, l'expérience ne comble pas tout à fait nos attentes. Tout d'abord la prise de son, dotée de réverbération abondante et assez artificielle, qui sied mal à ce répertoire. Le piano est rejeté au loin, et très flou. Par ailleurs, Noël Lee propose une interprétation fortement noyée dans les jeux de pédale, une pensée un peu globale, pas très éloquente, et un résultat beaucoup moins captivant que ses Debussy très précis.
Vincent Le Texier bénéficie beaucoup de ces conditions sonores, et la voix pas particulièrement phonogénique prend une ampleur et un velours qui ne sont pas du tout l'évidence en salle. L'aigu reste difficile, mais on s'en moque assez dans ces pièces. L'interprétation, elle, demeure un peu 'grosse', mais tout à fait honnête. Très belle Phidylé, toutefois.
Et même Martine Mahé : voix ronde, mezzo clair, très beau timbre feutré, mais au prix d'un petit manque d'articulation et d'une certaine homogénéité expressive.
En règle générale, les audaces harmoniques de Duparc sont ici gommées par les choix interprétatifs, qui écrasent un peu de leur assurance lyrique ces raffinements.
On est heureux en revanche d'entendre une véritable intégrale, avec le duo La Fuite.
Un disque tout à fait bon, mais pas la référence incontournable que nous cherchions pour recommander sans coup férir.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 11 avril 2008 à 21:33 ::Badinages
(dans l'art, bien entendu)
Pas nécessairement par perversité gratuite, on peut défendre aussi la thèse du bon goût esthétique.
D'une part à cause du stéréotype des gentils, souvent exceptionnellement peu crédibles psychologiquement.
D'autre part en raison du peu d'intérêt structurel des bons caractères sur le plan dramaturgique : comment maintenir une tension sans dysfonctionnements ?
En fin de compte, il est tout à fait normal de préférer l'idiosyncrasie des villains au désespérant conformisme moral et social des good guys. Ou bien d'apprécier, précisément, le côté haïssable de ces gentils pénibles - ou bien plus détestables que la moralité d'une oeuvre désire nous les montrer. Côté opéra, l'exemple de Calaf dans Turandot paraît excellent : il est pensé comme héros, mais intéresse justement à cause de sa vanité criminelle. Du panache mais pas d'éthique. Un gentil haïssable et très payant - parfait, en somme.
Puisqu'on vous le dit : une nécessité esthétique de bon goût.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 11 avril 2008 à 21:23 ::Langue
... linguistiques.
De petites choses qu'on ne sait pas nécessairement.
Le persan et le pachtou sont des langues indo-européennes. Parfaitement.
Le français est assez répandu en Roumanie, aisément compris, et assez parlé. Mais ce n'est pas pour la raison qu'on peut croire (l'amitié entre les Latins). C'est à ces diables de slaves, qui ont corrompu le beau latin roumain, qu'on le doit ! Le tsar s'est chargé de répandre les idées de la Révolution pour faire échec aux Ottomans, et cela s'est notamment manifesté par l'usage du français comme langue véhiculaire de l'armée.
Par ailleurs, le roumain est la seule langue romane parlée dans des proportions honorables qui dispose encore de déclinaisons. Oui, les petits gars de l'Est sont habitués au travail forcé, ils ne rechignent pas devant l'effort, eux !
Les octets avec lesquels nous mesurons l'encombrement de la mémoire de nos ordinateurs sont en réalité le résultat de l'extension du langage binaire.
Avec le langage binaire, on ne peut opposer que 0 et 1. L'octet envoie simultanément huit unités d'information binaire, ce qui permet de communiquer des informations beaucoup plus évoluées que des nombres - des lettres et des caractères spéciaux par exemple. C'est ce qui permet de faire fonctionner nos merveilleuses petites bêtes.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 10 avril 2008 à 13:59 ::Langue
Une petite question qui trotte en tête de CSS depuis longtemps.
Les jeunes gens écrivent la locution orale désormais bien connue comme suit :
C'est abusé.
On se pose alors une question pour ainsi dire métaphysique. D'instinct, cette graphie étonne, parce qu'on peut très facilement analyser la « phrase » comme un présentatif suivi d'un groupe nominal : « c'est un abus ». Ce qui nous conduirait à l'orthographier comme suit :
C'est abuser.
L'infinitif constitue un équivalent traditionnel du nom. Tout va bien.
La version la plus courante est plus problématique, mais y aurait-il d'autres hypothèses que la confusion un peu désinvolte avec un passé composé ou une forme passive ?
Voilà bien longtemps que je n'avais pas écouté des présentations sur France Musique[s], qui me font invariablement perdre un temps précieux à récriminer sur CSS.
Cette fois-ci, la présentation du concert fin XVIIIe français de Mireille Delunsch (à l'Opéra-Comique, avec Le Cercle de l'Harmonie et Jérémie Rhorer) :
Gluck voulait plus de naturel à l'opéra, contre le côté figé de l'opéra seria de Haendel.
Pas de chance, Gluck a précisément écrit du seria dans le goût de la fin du XVIIIe, c'est-à-dire avec des airs encore plus longs que chez Haendel.
Gluck s'est inscrit dans une réforme (malheureuse, mais c'est une autre histoire [1]) de la tragédie lyrique, ce qui n'est pas franchement la même chose. Pas du tout, pour être plus précis.
Ce n'est pas que ce soit grave, mais à force d'être imprécis, on obtient un magnifique contresens.
--
De la même façon, à propos de l'opéra de Cherubini :
Médée, ce personnage terrible qui voudrait tuer ses enfants.
On se situe sur la frange, ici encore. Elle ne souhaite pas les tuer ; en revanche elle les tue.
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Profondeur des commentaires qui ne compense pas franchement, comme trop souvent :
[Un mot sur la genèse italienne de l'oeuvre, puis : ] nous sommes donc au moment où Eurydice est ramenée par Orphée des Enfers, mais elle s'interroge sur son attitude bizarre.
[Commentaire sur l'oeuvre de Spontini après l'annonce du lieu de création : ] Il s'agit donc d'une jeune vestale qui s'appelle Julia.
--
En revanche, on saluera l'effort méritoire d'Anne-Charlotte Rémond pour prononcer « légitimement » Gluck.
Côté musique, en effet Mireille Delunsch semble légèrement inhibée sur des rôles qu'elle a pourtant chantés mainte fois ; étrange.
Par DavidLeMarrec,
mercredi 9 avril 2008 à 19:09 ::Intendance
Pour la première fois, les délicieuses saveurs de Lodovico Agostini reçoivent les honneurs du disque !
Les lutins avaient assisté à la version concert, et une note était même en préparation dans les limbes de CSS. Avec une agréable présentation. Techniquement, les instrumentistes n'étaient pas tout à fait irréprochables (à la flûte et au lirone), et la justesse relative chez les trois chanteuses. Néanmoins, les inédits d'Agostini étaient assez excitants. Pas du niveau de Marenzio ou du dernier Gesualdo, nettement moins surprenants, mais véritablement d'un goût parfait.
La pratique en concert et le studio ayant vraisemblablement gommé certaines imperfections, le disque paraît prometteur.
En bouquinant dans la Structure du chant de Richard Miller, bible des professeurs de chant, mais pas du tout livre de chevet pour CSS [1], on a le plaisir de rencontrer des propos très raisonnables, qui tiennent notamment en compte la part nécessaire de travail musical (nous aurions dit stylistique) et textuel, qui mettent en garde devant des professeurs-marabouts (très fréquents dans cette discipline, de même que les incompétents dangereux [2]), etc.
En revanche, un petit soupçon de réflexe manifestement pas beaucoup interrogé pointe son nez ici ou là.
[1] Ce machin est farci d'exercices ! Il opère un effort extrêmement louable de synthèse et de hiérarchisation aussi objective que possible des différents enseignements, et tend vers une exposition scientifique des problèmes du chant.
[2] Tout simplement parce qu'il n'y a pas de vérification possible des compétences, et que la réussite dépend ici intimement d'une relation prof-élève, de la culture de l'élève qui doit se corriger et contrôler ce que lui dit son professeur, ce qu'il en fait, etc. Il est très facile d'être prof de chant en posant une plaque, et il est très facile d'être un prof de chant inefficace, même avec de vraies compétences par ailleurs.
Oui, toujours sur les votes, mais au lieu d'opérer des sondages globaux sur la population, des projections sur le comportement comparé des Etats. Intéressant pour remettre en perspective tout un tas de choses, et notamment l'idée que certains Etats consultés pendant les primaires proposeront un candidat qui ne sera de toute façon jamais élu chez eux lors de l'élection générale. De quoi penser, des chiffres bruts.
Très favorable à H. Clinton, mais la démonstration est convaincante, et seules des données chiffrées sont offertes, ce n'est pas non plus un éditorial.
Carnets sur sol est toujours friand de ces approches qui évitent les boulevards.
P.S. : Tout à l'inverse, pour accéder à la BNF, mieux vaut disposer tout à la fois d'un DEA Sciences de l'Administration et d'un appartement sur Paris. La lecture de leurs règles provoque à chaque fois chez les lutins des fou-rires (jaunes).
Jan DeGaetani propose une déclamation d'une ductilité absolument hors du commun. Bien que parlée, la voix glisse avec précision le long des hauteurs, et sans la moindre affectation - l'écueil qui fait sombrer à peu près tout le monde dans cette pièce. Presque de la fraîcheur !
Certains instruments en déshérence, bien qu'employés désormais par souci de retour aux sonorités d'époque, demeurent peu connus, ou difficilement identifiables pour les mélomanes sur les disques.
Voici une page qui en recense avec des extraits musicaux légaux : cornet à bouquin, cromorne, rebec...
Attention, ces notes, ainsi que le bref compte-rendu de ce qui a été effectivement proposé, n'ont que pour but de satisfaire les curieux qui avaient réclamé un retour de ce genre. Ca n'a pas grand intérêt en soi, surtout que pour ce qui est du choix des pièces, on s'y jette volontiers des fleurs : que des chefs-d'oeuvre sans exception, et tout à fait accessibles pour une initiation... Mais comment pourrions-nous exprimer que Clara Wieck-Schumann et Alma Schindler-Mahler méritent leur place de seconde zone ? C'est précisément leur excellence qui nous les a rendues indispensables... (et non l'inverse, même si on aimerait bien...)
Par DavidLeMarrec,
dimanche 17 février 2008 à 23:47 ::Transversal
De même, sur requête aujourd'hui.
Du plus urgent au moins urgent à mon humble avis tout personnel.
Castor & Pollux par Christie
Le disque ultime, oeuvre extrêmement dense et riche, servie par des interprètes tous superlatifs (Mellon, Gens, Crook, Corréas !).
Zoroastre par Kuijken (épuisé) ou par Christie.
Dans le même goût, le versant dramatique de Rameau. Christie est très vif et dramatique. Kuijken est plus poétique - je préfère à l'usage - avec une temporalité qui s'épanouit pleinement y compris dans les danses.
Suites pour clavier par Tharaud
Alexandre Tharaud réinvente purement et simplement le piano, avec un rubato très baroque. Une transposition fantasmatique du clavecin au piano. Tous les modes de jeu sont réinventés, jusqu'aux trilles ; de façon à être le plus proche possible de l'esprit de ces pièces. En concert, il jouait entre les pièces de la Suite en la des commandes à de jeunes compositeurs (Mantovani / Connesson / Pécou / Campo / Maratka / Escaich). Inoubliable. Un des plus grands albums de piano de ma connaissance, l'élégance et l'inspiration incarnées. Et le plus enthousiasmant de très loin pour toute la période avant 1800.
Pygmalion et Nélée & Myrthis par Christie
Deux drames courts, avec de très beaux moments, idéalement servis.
Platée (DVD) Minkowski / Pelly
Parodie de la tragédie lyrique qui amuse d'autant plus lorsqu'on connaît un peu le genre. Les danses actualisées débordent d'esprit visuel.
Dardanus par Minkowski
Dans la même veine héroïque que Castor et Zoroastre, un très beau jalon également.
Par DavidLeMarrec,
dimanche 17 février 2008 à 21:15 ::Transversal
Sur demande, aujourd'hui, de recommandations ou de mises en garde dans le catalogue Naxos, qui a l'avantage de sa distribution à présent assez large en France et de ses tout petits prix. La chose peut toujours servir, aussi voici quelques repères qui nous viennent à l'esprit, pêle-mêle. Pardon pour le ton à l'emporte-pièce, parfois railleur, ce n'était pas prévu pour ce support, et donc simplement fourni à titre indicatif.
Par DavidLeMarrec,
lundi 11 février 2008 à 14:32 ::Opéra
Soirée du Met totalement électrique. La mort et la marche funèbre de Siegfried sont traités sur un mode farouche extrêmement saisissant. Très différent de l'atmosphère de deuil habituelle, qui rend si touchante la disparition de celui que nous avons mis une bonne dizaine d'heures à faire naître et à élever. La mélancolie des cuivres scaligères, pourtant empêtrés dans une technique limitée, est un modèle de ce point de vue chez Furtwängler en 1950.
Chez Kubelik au contraire, l'atmosphère de rituel sauvage sera privilégiée. Une sorte de jubilation paradoxale s'exprime dans cette colère ancestrale et codifiée.
Terrible claque. Tout prend ici un tel relief ! Alternant délicatesse et violence, tout y est ciselé, incisif ; les paroxysmes véritables, à couper le souffle.
Les belles versions sont légion, mais celle-ci possède objectivement tout. Tout au plus Carnets sur sol préfère-t-il le solo de basson initial sur un tempo plus large et lyrique - mais ce moment se trouve si bien réalisé, avec cette entrée non pas suspendue, mais déjà dansante...
Bernstein était sans nul doute le plus indiqué sur le papier pour réussir cette partition : l'incisivité, la danse, l'abandon... aussi le risque de se retrouver un peu dépité était grand. Au contraire, la surprise est inverse.
avril 1972
London Symphony Orchestra
Leonard Bernstein
La version de 1958 a la réputation d'être encore nettement plus. Celle-ci a en tout cas le privilège de rester équilibrée et confortable, sans chercher absolument à subvertir à toute force.
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[A présent, il faut peut-être ajouter que du fait de la maîtrise technique qu'elle réclame, cette pièce ne se trouve quasiment que dans des interprétations irréprochables. Tout au plus certaines sont-elles un peu moins déhanchées (Boulez) ou un peu plus hédonistes qu'engagées (Salonen II), mais la haute valeur de notre Bernstein ne fait pas non plus redécouvrir une oeuvre déjà parfaitement servie.]
Une lecture passionnante, jamais entendue avec cette clarté et cette évidence. La première fois que cette symphonie, mainte fois entendue, nous convainc pleinement, sans cette vilaine pâte habituelle.
Jusque chez Monteux en effet, le son de Franck paraît terriblement regerien.
Ici, la limpidité de l'orchestre comme du discours permet de jouir pleinement de toutes les vertus de l'oeuvre, sans la lourdeur indigeste dont on l'accuse parfois - et dont elle revêt, hélas, souvent les atours.
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(Libre de droits. Une salve Cantelli est à prévoir en conséquence sur CSS.)
Par DavidLeMarrec,
lundi 21 janvier 2008 à 11:24 ::Ecclesiasticus
Incroyable jubilation quasiment transielle qui l'ouvre ; l'orchestre, avec ses timbales déchaînées mais jamais menaçantes, déborde d'une extase extravertie à faire peur.
Le reste de l'oeuvre retourne à un ton plus recueilli - avant toutefois d'exploser à nouveau dans une certaine allégresse finale. Le ton plus posé des airs de la soprane et des récits de la basse sonne plus légitimement solennel, mais toujours avec cet élan très sentimental que maîtrise si bien Dvořák.
Une oeuvre très surprenante, qui n'a sans doute pas les charmes du Requiem, porté de bout en bout par une inspiration sans égale, mais qui captive par ses choix - ainsi que leur belle réalisation.
A ranger aux côtés du Magnificat-passacaille H.73 de Charpentier, à la présentation duquel nous nous activons depuis quelques semaines.
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Interprétation écoutée :
Orchestre symphonie de Prague, Gaetano Delogu. Concert d'inauguration de la Salle Smetana de Prague, après sa restauration en 1994-1997. (Concert hélas inédit, au vu des superbes couleurs de l'orchestre, qu'on a déjà vantées sur CSS à propos du Concerto pour violoncelle de Dvořák.)
Une lecture atypique de Bruckner. A la fois de l'alacrité (qualité inhabituelle dans ces pages) et un caractère quasiment dansant, presque galant.
Plus encore, le son a quelque chose d'une tendresse moelleuse tout à fait inusitée chez ce compositeur. Quelque chose de feutré, un ton ancien - Berlin est méconnaissable. Vraiment surprenant, et immédiatement séduisant. La structure en est de plus lisible avec une grande aisance.
Lorsqu'on accepte de jouer Bruckner sans le décorum qu'on lui accole trop souvent, le résultat est tout de même bien plus digeste - Georges Prêtre a ainsi réussi une Quatrième confondante d'évidence, et d'aspect si clair !
Evidemment, cela ne résout pas les faiblesses lourdes de l'orchestration, mais elles ne font plus obstacle dans ce cas. Un peu de la même façon que ce qui peut apparaître comme des tunnels dans Parsifal disparaît lors d'une exécution à tempo raisonnablement dramatique comme le fait Boulez. Les phrasés sont alors sensibles et trouvent leur sens, sans se perdre de vue (et de souffle).
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Sans doute que la collaboration avec Vienne, qui tend toujours à tiédir très sensiblement les options des chefs, n'est, pas plus que la nature de l'oeuvre, étrangère à la réussite moindre de la Neuvième par Carl Schuricht.
(Cette Septième de 1938 appartient désormais au domaine public. Rappelons incidemment qu'un Chant de la Terre d'anthologie est disponible dans la catégorie libre de droits de CSS par ce chef.)
Autant la sonate avec violon est fraîche, d'une insouciance française qui tient plus d'Ibert que de Debussy, autant ici, cette simplicité touche à un pudique sublime. Un versant français du Via Crucis de Liszt, en quelque sorte. Peu de musique est énoncée, mais beaucoup de poésie.
Quant à la sculpture délicate des phrasés toujours aussi hautement élégants et attendrissants de Marie-Catherine Girod, elle ne peut que nous inspirer la question solennelle : y a-t-il jamais eu meilleure pianiste pour le répertoire français ?
(Pièces pour piano solo. Publié chez Accord à prix très raisonnable.)
Par DavidLeMarrec,
samedi 5 janvier 2008 à 16:05 ::Intendance
Les confidences du Diaire.
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Des découvertes, ou des redécouvertes qui nous ont à nouveau frappé. Qui ne se veulent pas un quelconque bilan, mais une incitation à la découverte.
Ordre bêtement chronologique pour préserver le caractère de catalogue. En gras, ce qui est disponible. En souligné, ce qui devrait l'être probablement ou prochainement - ou qui est disponible sous une autre forme.
Avec de très brefs extraits pour donner un aperçu.
La véritable raison de ce format ? Que nous n'aurons pas le temps d'évoquer toutes ces choses. En voici au moins un aperçu.
Par DavidLeMarrec,
vendredi 4 janvier 2008 à 17:34 ::Ecclesiasticus
On classe régulièrement Walter Braunfels parmi les décadents, peut-être du fait de sa réhébilitation via feue la collection Entartete-Musik de Decca.
Il est vrai que l'agréable insolence d'un sujet comme Die Vögel ("Les Oiseaux"), livret qu'il réalisa lui-même d'après la pièce homonyme d'Aristophane, laisse entrevoir cette fantaisie du temps qui se manifestait notamment dans des livrets parfois simultanément triviaux, fantastiques, historiques, satiriques, et ciselés avec beaucoup de soin.
Cependant, musicalement, le langage demeure tout de même extrêmement proche d'un postromantisme assez orthodoxe, plus comparable à Reger [1], Humperdinck, Siegfried Wagner ou Pfitzner qu'aux postraussiens. Un héritier de Wagner en ligne directe, en somme.
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C'est en cela que l'écoute de ce Te Deum est révélatrice. Elle se montre même étrange ; tout est si traditionnel, avec une solennité parfaitement sérieuse, sans l'échappatoire de la dérision et de l'excès, si caractéristique des décadents.
En réalité, on songe plus au Bruckner liturgique (et même à celui très grandiose du Te Deum), au Holst de Mars, voire à Orff, qu'aux Viennois. Même si le langage, évidemment, demeure extrêmement soigné (et infiniment plus riche que chez les deux derniers). Comme dans la liturgie brucknerienne, on retrouve des moments d'appaisements, matérialisés par des entrelacements de voix solistes sur tempo plus modéré - bien qu'aucun tempo effréné soit jamais de mise -, d'inspiration quasiment mozartienne. On songe aussi à l'Offertoire du Requiem de Verdi [2].
Aucune velléité d'être novateur en tout cas, malgré la délicatesse de seconds plans orchestraux assez passionnants - ce millefeuille est assez caractéristique de la période et du décadentisme -, que Manfred Honeck, dans son concert de 2004 à la tête de la Radio Suédoise, n'exalte pas nécessairement dans leur entièreté. Il faut dire que malgré ses beautés, l'orchestration conserve quelques opacités de la tradition allemande (légèrement rehaussées d'écoutes de Berlioz, manifestement).
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La plus grande particularité se manifeste sans doute dans la scansion précipitée, étrange, du texte liturgique, comme poursuivant une transe sans fin. On touche parfois au minimalisme à venir, y compris dans l'orchestration.
Par DavidLeMarrec,
jeudi 27 décembre 2007 à 18:32 ::Opéra
[Publication temporaire pour AMC : recensement non commenté, qui sera rapidement retiré.]
Liste de musiques de scène disponibles au disque. [C'est-à-dire de musique prévue pour agrémenter une pièce de théâtre, avec de la musique descriptive, des chants, des mélodrames.]
Par DavidLeMarrec,
mercredi 26 décembre 2007 à 22:37 ::Opéra
Après la télédiffusion des représentations de Caen de ce saint Alexis, puis l'exécution à Paris, CSS, à défaut de disposer du temps de rédiger un produit finit, propose quelques pistes sur DSS.
L'oeuvre
Répété partout, seulement des contre-ténors dans tous les rôles, y compris féminins, à l'exception du père et du diable.
(Ce qui est authentique sur le plan de la « vraisemblance sexuelle » ne l'est pas sur celui de la nature vocale, puisqu'il s'agissait à l'origine de castrats, pour pallier l'interdiction de la participation des femmes au rite scénique religieux à Rome.) Voir CSS pour la distinction.
Un accroc dans la réclame, fondée ici essentiellement sur l'authenticité.
Musique très décriée. Il est vrai que Landi module très peu, très peu de variations de couleurs, avec sur la longueur un risque d'uniformité du récitatif d'une simplicité proche de la psalmodie. L'intérêt est ailleurs - on se situe dans la perspective de l'esthétique florentine de Peri et Cavalieri. Du texte brut mis en animation musicale.
A titre individuel, CSS, lorsque la chose est habitée, se déclare tout à fait satisfait. Ce fut le cas, William Christie et Benjamin Lazar nous ayant très agréablement surpris. [Au passage, on peut recommander la Rappresentazione d'Anima et di Corpo de Cavalieri par Christina Pluhar - et ses couleurs orchestrales comme d'habitude hors du commun.]
Très beaux trios d’affliction au début du III. Petits pas de danse avec objets allégoriques. Tout cela plus chatoyant que la moyenne de la pièce.
Démon convoqué dans des scènes de nature comique - bien qu'il ne soit, comme il se doit, jamais mis en doute, que la convention théâtrale ne se déchire jamais. Cet humour demeure donc dans le cadre prétendument mimétique du drame - pas de mise en doute de l'instance qui met en scène, on n'est pas chez Cervantes (encore que dans son théâtre, il n'en aille pas nécessairement de même que dans le Quichotte).
Humour qui consiste ou dans la bouffonnerie des valets, ou dans les jeux de mots présents dans les scènes de non-reconnaissance du démon - qui ne peut, comme on le souhaiterait pour plus de drôlerie, être finalement mis en déroute - il faut édifier.
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Le livret
Recherche d'un bonheur éternel somme toute égoïste (Alessio balance en effet entre le secours porté aux siens et la perte de tous ses efforts pour obtenir le Ciel) qui plombe l'ici-bas (et ses autres habitants). Grande cruauté qui se sent d'autant mieux avec la littéralité assumée de la mise en scène.
Ce tout ou rien, ces sacrifices toujours augmentés par l'interdiction du recul d'un pas qui ferait perdre tout le bénéfice ; la doctrine de Brand se retrouve ici. (cf. Brand sur CSS)
Même perception de la religion où l’enfer est partout pour le saint (pas pour les autres), jusqu’à l’absurdité de la quête horrible, destructrice pour tous, et impossible en fin de compte. Donc un paradis, peut-être, sans doute, mais un leurre car inacessible. Et même pas le droit de se plaindre du côté de la famille, le Ciel leur ferme la bouche – sont finalement virés de scène pour ne pas gâcher le ballet.
Cruauté épouvantable dont on n'a pas tant l'habitude à l'opéra, surtout lorsque les divinités sont en jeu. Quasiment de l'Euripide, ces interventions malignes de la Divinité.
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Interprétation
Mise en scène à la façon de tableaux grâce à l'éclairage à la bougie. Gestuelle totalement statique de l'Italique XVIIe.
D'abord surprenant ou gauche, assez fascinant en fin de compte, avec ces gestes-ponctuation, et cet esthétisme.
Jeux du décor avec les fenêtres où paraissent les personnages au I et au II, très heureux.
Pourquoi les anges chantent-ils surnaturellement mal ? (réaction à la voix d'enfant...) Sinon, linguistiquement parlant, plutôt bien pour un petit français.
Parmi tous les exécutants, saluons :
Xavier Sabata (la mère), pour sa voix exceptionnellement ronde pour un falsettiste, une plénitude à elle toute seule - et une bonne expression.
Max Emanuel Cencic (l'épouse), très à l'aise en costume travesti, avec en particulier de beaux graves mats.
Alain Buet [notre Corésus !] (le père), toujours cette autorité pleine de simplicité. Et cette voix légèrement sèche si naturelle, si spontanée, cette interprétation soignée. Bon acteur de surcroît.
Et le tenant du rôle-titre, Philippe Jaroussky, qui tout en occupant le registre de pureté éthérée un peu uniforme qu'on attend de lui, soutient l'attention par sa musicalité. On aurait peut-être pu confier ce rôle à un chanteur plus « problématique » pour plus de recherche, mais dans ce registre littéral, le choix paraît cohérent, et de toute façon abouti.
William Christie et les Arts Florissants sonnent, sans diversité particulière de couleurs non plus, sans l'ascétisme qu'ils traînent parfois chez les Italiens.
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Paradoxe du spectacle
Décalage intéressant (et frappant) de la Foi qui explique doctement que sur terre ne se trouvent que peines (destinées à éprouver en vue du Ciel, interprétation qui peut être analysée comme biaisée des Textes, puisque la Création ne se fait pas en vue de ce processus). Intéressant, car décalage de ce propos de la Foi, dans un festival où plus personne n'y croit, mais où l'on vient précisément prendre du plaisir très temporel...
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CSS a donc fort aimé, en grande partie grâce à la fascination exercée par les tableaux vivants, dignes de La Tour, confectionnés par Benjamin Lazar. L'oeuvre en elle-même se devait impérativement d'être soutenue par un plateau de cette qualité - et fonctionnait très bien en l'occurrence.