Diaire sur sol

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vendredi 19 septembre 2014

Dutilleux, Lalo, Tchaïkovski — OP, P. Järvi

Je reviens du concert de l'Orchestre de Paris, dirigé par Paavo Järvi.

Dutilleux — Métaboles
Lalo — Concerto pour violoncelle
Tchaïkovski — Symphonie n°5

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Les Métaboles sont forcément sympas en concert ; de même pour le Concerto pour violoncelle de Lalo, avec son ton schumanien et sa veine mélodique populaire façon d'Indy dans chaque mouvement…
Très agréablement surpris par Xavier Phillips, d'ailleurs, dont j'ai toujours trouvé le son désagréablement appuyé en retransmission, mais qui projette remarquablement (y compris sa voix !) le son avec puissance et chaleur. En bis, il ose la Première Strophe sur le Nom de Sacher de Dutilleux, jouée avec une maîtrise et surtout une évidence logique du discours que je n'avais jamais entendue : d'ordinaire, je n'aime beaucoup beaucoup cette pièce qui multiplie les effets… là, c'était dense et éloquent comme du Kurtág. Chapeau.

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Mais la Cinquième de Tchaïkovski, c'était carrément la sidération :

¶ Järvi a complètement changé l'économie sonore de l'orchestre : c'est net, ça claque sans sécheresse, tout ce qui fait ses qualités personnelles et qui n'ont jamais été le propre des orchestres français en général et de celui-ci en particulier. Techniquement, il reste d'ailleurs des traces de l'ancienne manière (les cordes ont tendance à jouer un peu en dehors, avec des entrées pas parfaitement exactes), mais l'esprit est totalement différent.

¶ L'intégration structurelle est stupéfiante : le rubato sert uniquement à emboîter le thème dans sa mutation suivante, avec une adresse et un naturel exceptionnelle.

¶ C'est tendu, tout le temps, au maximum. Exactement comme ses deux dernières symphonies de Sibelius, pour ceux qui y étaient, ou le dernier mouvement de la Symphonie en mi de Rott.

J'ai entendu, dans la même salle, à la même place, cette œuvre par Jansons et le Concertgebouworkest… cent coudées en-dessous. Pas techniquement (la discipline et la virtuosité individuelle sont clairement d'une autre farine à Amsterdam), mais le rendu était purement hédoniste, avec plein d'effets destinés à montrer les possibilités de l'orchestre (je m'étais presque poliment ennuyé, alors que c'est possiblement la symphonie que j'aime le plus de tout le répertoire), là où Järvi construit une progression qui ne se relâche jamais, et qui donne un sens à toute la forme. Totalement exaltant.

samedi 22 mars 2014

Wyschnegradsky gratuit

Vendredi prochain, à 19h, à la salle d'orgue du Conservatoire Supérieur de Paris (à côté de la Cité de la Musique), vous pourrez entendre un concert gratuit dédié à Wyschnegradsky, à l'issue des deux journées d'étude (également ouvertes au public, mais en journée).

Méditation sur deux thèmes de la Journée de l'Existence pour violoncelle et piano.

Trio à cordes Op.53 (commenté en détail pendant les journées d'étude).

Étude pour les mouvements rotatoires Op.45a, pour quatre pianos.

Plus de détails ici : http://www.ivan-wyschnegradsky.fr/fr/actualites/ .

Les amateurs de surprenant et de bizarre seront à la fête avec cette figure puissamment originale de la création musicale au XXe siècle, rarissimement enregistré, alors donné en concert... !

samedi 25 janvier 2014

[Pleyel] Pierrot Lunaire (Sukowa), Salome & Don Juan de R. Strauss (M. Franck, OPRF)

Dans une salle spectaculairement vide (quinze personnes au second balcon, et le reste n'était pas plein du tout non plus), énormément de satisfactions :

Pierrot Lunaire dans une esthétique déclamatoire : Barbara Sukowa est spécialiste du mélodrame et du sprechgesang (actrice de métier, même si elle dispose manifestement de solides références en chant), et sa voix légèrement rauque (ouvertement sonorisée dans la salle, mais sans excès) fait merveille dans les mouvements expressifs insolites de Pierrot. Elle réussit à redonner à cette partition étrange le naturel de la parole, tout en assurant une véritable variété de timbres, de couleurs et d'inflexions – d'autant plus difficile qu'un ambitus parlé est généralement plus restreint, ce qui n'est de toute évidence pas son cas !
Disque DeGaetani excepté, je n'ai jamais retiré de telles satisfactions de l'œuvre (au demeurant une petite merveille d'étrangeté).

¶ Du Richard Strauss par un orchestre qui se surpasse toujours dans les pages d'un lyrisme intense (chez les Russes notamment).

Superbe de bout en bout !

jeudi 23 janvier 2014

Brahms – Chœurs symphoniques et Symphonie n°2 – Blomstedt (Pleyel)

Les Chœurs de l'Orchestre de Paris superbes comme d'habitude, même si l'écriture très homogène noie un peu le détail du texte (ce n'est pas vraiment leur faute !).

Quant à Brahms, on a beau dire, mais les symphonies de Schumann, c'est autrement mieux orchestré que la mélasse des trois premières de Brahms... quelle mélasse, tout de même. Et les alternances vents / cordes, dans le genre systématique. Autant j'adore au disque, autant en salle, il n'y a guère que la Quatrième, de tout le Brahms symphonique, qui m'ait convaincu.

Sinon, j'ai enfin entendu l'Orchestre de Paris pas très discipliné, tel qu'on me l'avait décrit ! Peut-être parce que je ne l'avais entendu qu'avec de très grands chefs (Metzmacher, Billy, P. Järvi, K. Järvi), mais d'ordinaire, engagement et plasticité sont de mise. Cette fois, j'ai davantage entendu la disparité des attaques, ou la paresse métronomique (Blomstedt n'étant pas à dédouaner) de traits bien réguliers, même pas phrasés. Enfin, davantage que d'habitude, parce que c'était bien quand même.

mercredi 22 janvier 2014

Léo DELIBES – Lakmé – Roth, Baur, Devieilhe (Opéra-Comique 2014)

Représentation du 20 janvier (dernière).

Pendant une semaine, tout le monde semblait en extase dans la presse et chez les spectateurs. À juste titre.

Plateau remarquable :
¶ du côté de Lakmé : Sabine Devieilhe, timbre tès nettement focalisé, avec des couleurs à la Gillet ; vocalisation sobre, très raffinée, maîtrisant le vibrato ; médium qui reste dense malgré sa luminosité ;
¶ de Gérald : Frédéric Antoun, dont la voix s'élargit au fil de la représentation, avec ses aigus tous délicieusement mêlés du son [ou] ;
¶ de Frédéric : Jean-Sébastien Bou, mordant, esprit, éloquence, tout y est pour l'un des plus beaux rôles de tout le répertoire ;
¶ des fiancées : Marion Tassou (Ellen) et Roxane Chalard (Rose), nettement articulées et pleines de fraîcheur, sans aigreletteries.

Confier Mistress Bentson à l'immense Hanna Schaer était un contre-sens : elle reste souveraine dans des répertoires difficiles et dans le lied, mais l'abattage comique et les poitrinés ne sont pas spécialités, si bien que le rôle occulte ses qualités.

Et je n'ai pas aimé (comme d'habitude) Élodie Méchain : je trouvais que la voix était très engorgée, épaisse, opaque et mal articulée (ce qui est assez rédhibitoire pour moi, surtout dans le répertoire qui est le sien), mais elle a de plus mal vieilli. Cela bouge beaucoup, on dirait une voix qui a quarante ans de carrière, alors qu'elle doit être dans sa trentaine (d'années de vie, pas de carrière !). Rien de déshonorant non plus, mais à l'aune de la réputation flatteuse qui la précède partout, je suis frustré de ne pas entendre ce que les autres lui reconnaissent.

Grâce à Accentus, je n'avais jamais entendu les chœurs (à l'occasion complexes, mais rarement raffinés) de Lakmé chantés avec autant de netté et de clarté. Comme d'habitude avec eux (oratorio,opéra,motets, encore opéra...).

Orchestralement, les instruments d'époque des Siècles et la disposition circulaire (pour recréer l'orchestre de dos, face à la scène, tel qu'on le pratiquait au XIXe siècle) permettaient d'obtenir de très beaux équilibres. Les timbres en eux-mêmes sont assez rêches, mais cela empêche le fondu et le legato, ce qui est un atout pour la transparence (et un rempart assez puissant contre la sirupification). Autre avantage : présence sonore très discrète qui permet d'entendre les chanteurs sans effort, et donc pour eux de soigner la diction plutôt que de renforcer leur métal.
Surtout, François-Xavier Roth se montre un grand chef, attentif aux détails de phrasés très délicats, à l'opposé des formules mécaniques d'accompagnement qu'on peut entendre chez les spécialistes du belcanto qui jouent cette œuvre.

Visuellement, Lilo Baur parvient, tout en restant parfaitement traditionnel, à éviter l'abus de couleur locale et l'immobilité. Le talus du I oblige les chanteurs à se déhancher un peu... et le très beau saule exotique du III, dans les lumières changeantes et poétiques de Gilles Gentner, compense en atmosphère ce que le (bon) livret de Gondinet et Gille peut avoir de distendu – car si la matière en est stimulante, la temporalité en est souvent paresseuse.

La partition elle-même est un enchantement, on y entend de jolis motifs récurrents (pas de véritables leitmotive), la préfiguration des tuilages obsédants du marché de l'Aladdin de Nielsen, et surtout de très belles harmonies : très souvent, Delibes remplace l'accord principal attendu par un accord proche (deux notes en commun sur les trois). Par exemple un fa mineur ou un ut mineur à la place d'un la bémol majeur dans « Fantaisie aux divins mensonges », ce qui procure de petits contrastes d'éclairage, sans rien de spectaculaire, mais instinctivement sensibles. Il y a quelque temps déjà que je comptais en exposer le détail, ce sera fait à l'occasion.